III. LA HAUSSE ACTUELLE DES COÛTS S'EXPLIQUE PAR LA COMPLEXITÉ CROISSANTE DES ENQUÊTES, PLUS QUE PAR L'ÉVOLUTION DE L'ACTIVITÉ JUDICIAIRE
« Depuis plusieurs années, explique un quotidien français en 201229(*), le travail de police technique et scientifique s'est démocratisé en France. La recherche des empreintes génétiques n'est plus l'apanage de ceux travaillant sur les affaires criminelles mais s'étend à toute la délinquance dite de masse. »
Cette « démocratisation » de moyens d'enquête sophistiqués, mais coûteux, est l'un des facteurs principaux de la croissance des frais de justice depuis le début des années 2000, plus que la croissance de l'activité judiciaire.
A. LES FRAIS DE JUSTICE EXÉCUTÉS SONT COMPOSÉS DE POSTES D'IMPORTANCE TRÈS DIFFÉRENTE
Les documents budgétaires ne donnent qu'une vision agrégée des frais de justice relevant du programme 166 « Justice judiciaire ». Le projet annuel de performances indique que leur montant prévu en 2025 est de 742,7 millions d'euros.
Ils font partie des crédits de fonctionnement (1 260,7 millions d'euros), avec les dépenses liées à l'immobilier occupant (257,0 millions d'euros), les dépenses de fonctionnement courant (211,9 millions d'euros) et celles de l'École nationale de la magistrature (49 millions d'euros).
Les frais de justice s'imputent essentiellement sur les actions 01 « Traitement et jugement des contentieux civils » et 02 « Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales ».
Les frais de justice commerciale et de justice civile constituent la quasi-totalité des crédits, hors titre 2, de l'action 01 « Traitement et jugement des contentieux civils » du programme 16630(*). Les frais de justice en matière pénale constituent la totalité des crédits, hors titre 2, de l'action 02 « Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales ».
Répartition des frais de justice en 2024
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses apportées par la direction du budget au rapporteur spécial
En exécution, les frais de justice sont dépensés :
- d'une part par le budget opérationnel de programme (BOP) central : interceptions judiciaires, analyses génétiques et toxicologiques, cotisations COSP ;
- d'autre part par les BOP locaux des cours d'appel31(*) : analyses et expertises médicales, autres analyses et expertises, frais de procédure, frais d'intermédiaires, interceptions judiciaires (résiduel), mesures judiciaires, rétributions des auxiliaires de justice, dépenses de scellés et de gardiennage, traduction-interprétation.
La définition budgétaire des frais de justice a légèrement évolué au cours du temps. Ainsi, depuis 2013, les frais de transport des magistrats et greffiers dans le cadre de l'exercice de leur fonctions juridictionnelles, les frais de transport des procédures et pièces à conviction ainsi que les frais postaux ne relèvent plus des frais de justice et sont pris en charge sur le fonctionnement courant32(*).
Par ailleurs, certains frais occasionnés par les enquêtes de police ou de gendarmerie ne sont pas refacturés au ministère de la justice. La direction générale de la police nationale (DGPN) estime ainsi à 77 millions d'euros environ33(*) en 2024 le coût des analyses réalisées dans les laboratoires du service national de la police scientifique (SNPS) en réponse à une demande judiciaire, mais budgétairement inscrites au 176 « Police nationale » de la mission « Sécurités » : en effet, ces demandes émanent de policiers ou de gendarmes et ne sont donc pas facturés, mais ils agissent sous l'autorité du parquet. De même, selon la direction générale de la gendarmerie nationale, des analyses d'un montant pouvant être évalué à 8 millions d'euros sont réalisées chaque année par l'institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), et financées par le programme 152 « Gendarmerie nationale » de la même mission « Sécurités », sans être refacturés à la mission « Justice ».
Un chiffrage exhaustif du montant des frais de justice pour l'État serait donc plus proche de 800 millions d'euros. Les investigations du rapporteur spécial se sont toutefois limitées au budget du ministère de la justice, qui représente de très loin la très grande majorité des frais de justice.
* 29 Angélique Négroni, Ce robot traque l'ADN de milliers de cambrioleurs, Le Figaro, 8 août 2012.
* 30 Ces crédits comprennent aussi les menues dépenses de conciliateurs, de l'ordre de 2 millions d'euros par an.
* 31 L'exécution budgétaire du programme 166 « Justice judiciaire » s'articule en particulier autour d'un BOP central et de 17 BOP confiés à des cours d'appel, tandis que les autres cours d'appel ont le statut d'unité opérationnelle de programme (UOP).
* 32 Décret n° 2013-770 du 26 août 2013 relatif aux frais de justice et réponse au questionnaire du rapporteur spécial.
* 33 Ce montant correspond à une valorisation théorique de cette activité sur la base de la grille tarifaire, le SNPS n'étant pas en mesure de comptabiliser ces dépenses séparément de ses autres activités.