B. LA DÉPENSE EFFECTIVE EST GÉNÉRALEMENT SUPÉRIEURE À LA PRÉVISION EN LOI DE FINANCES INITIALE

Tous les rapports sur les frais de justice constatent que la budgétisation initiale ne permet que rarement de couvrir la dépense. Le Premier président de la Cour des comptes jugeait ainsi, au milieu des années 2000, que la dotation budgétaire des frais de justice était « manifestement et gravement insincère »34(*).

La comparaison entre la budgétisation en loi de finances initiale et la dépense constatée en loi de règlement, désormais loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes, confirme l'existence quasi-systématique d'un écart significatif, souvent de l'ordre de 5 à 10 %.

Budgétisation initiale et dépenses effectives de frais de justice

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires et des réponses de la direction du budget au rapporteur spécial

L'insuffisance de prévision concerne aussi les indicateurs budgétaires. L'indicateur 3.1 du programme 166 « Justice judiciaire » porte sur les dépenses moyennes de frais de justice par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale. Cet indicateur se limite donc aux frais de justice pénale et présente l'intérêt d'être indépendant du volume d'affaires, afin de donner une certaine idée du coût que représente une procédure pénale.

Or plus encore que le montant absolu des frais de justice, la prévision du montant par affaire est systématiquement inférieure à la budgétisation : la sous-évaluation ne semble donc pas porter sur le volume des affaires, mais sur le coût d'une procédure elle-même.

Dépense moyenne de frais de justice par affaire
faisant l'objet d'une réponse pénale

(en euros par affaire)

Indicateur 5.1 du programme 166 « Justice judiciaire » : dépense moyenne de frais de justice par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale. Prévision selon le projet annuel de performances (loi de finances initiale). Exécution selon le rapport annuel de performances (loi de règlement ou relative aux résultats de la gestion).

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Or les dépenses budgétaires constatées chaque année ne donnent qu'une idée partielle de la charge réelle représentée par les frais de justice.

En raison du niveau insuffisant de la budgétisation, mais aussi de la charge pesant sur les services des greffes, le règlement de certaines factures est décalé d'une année sur la suivante. Le rapporteur spécial a reçu plusieurs témoignages sur ce sujet.

La Cour des comptes cite ainsi la direction des services judiciaires (DSJ), qui indique que « le niveau des dépenses annuelles reste plus dépendant des ressources budgétaires que de l'activité réelle sur la période, induisant ainsi une variation des charges à payer d'une année sur l'autre »35(*). En d'autres termes, le ministère fait patienter ses prestataires jusqu'à l'année suivante lorsqu'il n'a plus de crédits pour régler les prestations de l'année en cours.

Cette difficulté du ministère de la justice à traiter les mémoires déposés par les prestataires pour des raisons techniques, d'engorgement et de manque de ressources, a pour effet la formation d'une « dette économique » en forte hausse : elle s'établissait à 318,4 millions d'euros en 2024, contre 227,6 millions d'euros en 2021.

Cette dette économique se répartit entre le budget opérationnel de programme (BOP) central, à hauteur de 144 millions d'euros, dont 83 millions d'euros au titre des cotisations sociales des COSP, et les BOP locaux à hauteur de 174 millions d'euros.

La dette économique des frais de justice en 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Sur les BOP locaux, la dette économique inclut des charges à payer d'un montant de 92,7 millions d'euros, des dettes fournisseurs de 3,4 millions d'euros ; les autres charges comprennent les mémoires non certifiés.

Charges à payer, dettes fournisseurs et dette économique des frais de justice

Les charges à payer, notion de comptabilité générale, recouvrent les dépenses pour lesquelles le service fait (exécution de la prestation, livraison de marchandises) a été constaté au titre de l'exercice N, alors que la facture définitive et la mise en paiement ne sont enregistrées que postérieurement au 31 décembre de l'exercice.

Les dettes fournisseurs, notion de comptabilité générale, recouvrent les dépenses pour lesquelles le service fait a été certifié et pour lesquelles la facture est parvenue, la mise en paiement n'ayant toutefois pas eu lieu avant le 31 décembre de l'exercice, par exemple en raison du manque de crédits.

La dette économique des frais de justice comprend en outre le montant des mémoires non encore certifiés.

Source : commission des finances, à partir de l'exposé général du projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024

Cette situation se reflète également dans la progression du montant des mémoires (demandes de paiement) déposés par les prestataires, qui est un indicateur plus fiable de la charge pesant sur l'État que le niveau des dépenses.

Entre 2019 et 2024, le montant des mémoires déposés est passé de 566,0 à 783,4 millions d'euros (+ 38,4 %, alors que l'inflation hors tabac a été de + 14,4 % sur la même période), hausse qui affecte l'ensemble des catégories de frais de justice mais à des degrés très différents.

Évolution du coût des mémoires déposés,
par catégorie de frais de justice

(en millions d'euros et en pourcentage)

Lecture : le coût des mémoires déposés pour des prestations d'analyses et expertises médicales a augmenté de + 49,6 % entre 2019 et 2024.

Source : commission des finances, à partir des données transmises par la direction des services judiciaires

Selon les indications données au rapporteur spécial par le ministère de la justice, le nombre de mémoires déposés serait toutefois en diminution de 0,3 % en avril 2025.

Sur cette question, l'information disponible dans les documents budgétaires s'est malheureusement réduite au cours des années récentes. Jusqu'à l'exercice 2021, les rapports annuels de performances annexés au projet de loi de règlement donnaient des informations plus ou moins détaillées sur les charges à payer, la dette économique et les mesures de fongibilité mises en oeuvre afin de financer la sur-exécution des crédits. Ces informations ont disparu et la seule information donnée est celle du montant exécuté, qui ne reflète que très partiellement la réalité de l'impact budgétaire des frais de justice et ne permet pas d'en comprendre la dynamique.

D'une manière générale, la qualité de la présentation des crédits du programme 166 a été fortement réduite : la répartition des crédits par titre et par brique de budgétisation (frais de justice, fonctionnement courant, immobilier occupant, etc.) a disparu, ce qui réduit l'information du Parlement et des citoyens.

Recommandation : rétablir une présentation détaillée des frais de justice dans les documents budgétaires, avec notamment le montant et l'évolution des charges à payer et de la dette économique, ainsi qu'avec les mesures prises en exécution dans le cas des sur-exécutions.


* 34 Courrier de Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, à Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat, 14 novembre 2005, annexée au rapport d'information n° 216 (2005-2006) de Roland du Luart, fait au nom de la même commission, déposé le 22 février 2006.

* 35 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire de la mission « Justice » en 2024, p. 45.

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