C. LES ENQUÊTES REPOSENT DE PLUS EN PLUS SUR DES MESURES TECHNIQUES OU D'EXPERTISE COÛTEUSES
L'évolution des postes de frais de justice permet de mieux comprendre d'où provient l'augmentation des frais de justice.
En premier lieu, l'augmentation des frais de justice ne s'explique pas par une augmentation du nombre des affaires traitées devant les juridictions pénales.
Le nombre des affaires poursuivables36(*) est même plutôt en baisse, de quelque 1,3 million par an entre 2014 et 2019 à 1,2 million en 2022 et 2023, tandis que le nombre des affaires faisant effectivement l'objet d'une poursuite est stable autour de 600 000 par an37(*).
Selon les éléments communiqués au rapporteur spécial, il apparaît en revanche que le nombre des actes prescrits au cours d'une enquête par les juges ou les officiers de police judiciaire a augmenté, en particulier s'agissant d'actes coûteux.
À titre d'exemple, une enquête pour narcotrafic, face à des réseaux aux moyens financiers et techniques importants, nécessite souvent un grand nombre d'interceptions judiciaires afin de retracer les parcours des trafiquants. L'évolution technologique contribue à renchérir certaines mesures : les téléphones et les ordinateurs sont de plus en plus sécurisés, alors que leur décodage est indispensable pour les enquêtes relatives au narcotrafic.
La progression des enquêtes pour violences sexuelles et intra-familiales, qui ont constitué une priorité de la justice ces dernières années, a également pour conséquence la réalisation d'enquêtes sociales rapides (ESR) ainsi que la prise en charge médicale ou psychologique des victimes. Une enquête pour viol donne également lieu à des analyses biologiques.
Dans certains cas, toutefois, les actes générateurs de frais de justice à court terme peuvent être en réalité utiles sur le plan financier à long terme. Lorsque le garde des Sceaux, par une circulaire de politique pénale générale du 27 janvier dernier, encourage à la mise en oeuvre des dispositifs de saisie et confiscations prévus par la loi, l'effet immédiat est une hausse des coûts de gardiennage des biens saisis, souvent des véhicules ; mais ces biens peuvent ensuite être revendus, ou confiés à des services de police, et apporter ainsi des ressources sur lesquelles on reviendra plus loin dans le présent rapport.
La hausse du coût des frais de justice provient donc, au moins en partie, des inflexions de la politique pénale, et reflète les évolutions de la société.
Il a ainsi été indiqué au rapporteur spécial que le juge, aujourd'hui, s'attend, dans de nombreuses affaires, à trouver dans son dossier des preuves tirées d'interceptions judiciaires ou de l'exploitation du téléphone portable de la victime.
D'une manière plus générale, plusieurs personnes auditionnées ont rappelé que la justice est passée d'une culture de la preuve par l'aveu à une culture de la preuve matérielle. La preuve scientifique apparaît plus « solide » qu'un aveu qui peut toujours être rétracté ou contesté. Or la preuve matérielle requiert des actes d'investigation ou d'analyse plus poussés et plus coûteux, comme l'observait déjà la commission des finances en 201238(*).
* 36 Selon le ministère de la justice, une affaire est « non poursuivable » lorsqu'elle a été classée sans suite parce que les poursuites étaient impossibles, soit pour un motif de fait (auteur inconnu par exemple), soit pour un motif de droit (absence d'infraction par exemple). Une affaire est poursuivable s'il n'existe aucun motif de fait ou de droit rendant impossible la poursuite devant une juridiction pénale. Une affaire poursuivable peut elle-même donner lieu à un classement sans suite pour inopportunité aux poursuites, à une alternative aux poursuites, à une composition pénale, ou à une poursuite.
* 37 À l'exception de l'année 2020, durant laquelle l'activité des juridictions a été ralentie par la crise du Covid (Ministère de la justice, service statistique, des études et de la recherche (SSER), Dix ans de traitement des affaires pénales par la justice, Infostat Justice n° 199, avril 2025).
* 38 Pour une meilleure maîtrise des frais de justice, rapport d'information n° 31 (2012-2013) d'Edmond Hervé, fait au nom de la commission des finances, déposé le 10 octobre 2012.