B. LE MODÈLE DES FILIÈRES À RESPONSABILITÉ ÉLARGIE EST AUJOURD'HUI EN CRISE

Les filières à responsabilité élargie du producteur (REP) ont été mises en place pour organiser l'application du principe du pollueur-payeur à l'échelle européenne.

Les filières REP correspondent à l'obligation pour les producteurs, importateurs ou distributeurs de certaines catégories de produits d'organiser ou de financer la prévention, la collecte, le tri, le réemploi, le recyclage et la valorisation des déchets issus de leurs activités. L'idée sous-jacente est d'obliger les producteurs à prendre en charge le coût de gestions des déchets engendrés par leurs activités - c'est-à-dire à internaliser en amont les externalités négatives produites par leurs activités.

Le principe de la REP a été introduit en droit français par le décret n° 92-377 du 1er avril 1992, en application d'une loi plus ancienne, la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux. L'article 4 de ce décret prévoit ainsi que « tout producteur ou importateur, dont les produits sont commercialisés dans des emballages ou, si le producteur ou l'importateur ne peuvent être identifiés, la personne responsable de la première mise sur le marché de ces produits, est tenue de contribuer ou de pourvoir à l'élimination de l'ensemble de ses déchets d'emballages, dans le respect des dispositions des articles L. 373-2 à L. 373-5 du code des communes ».

L'article 15 de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (DDADUE) a précisé la définition de ce qu'est un « producteur » dans le cadre des filières REP : « Peut être considérée comme producteur toute personne qui, à titre professionnel, met à disposition sur le marché pour la première fois sur le territoire national un produit relevant du principe de responsabilité élargie du producteur et résultant d'une opération de réemploi, de préparation en vue de la réutilisation ou de réutilisation. »

Depuis la première filière REP en 1992, de nouvelles filières ont été mises en place régulièrement. La loi Agec en particulier a conduit à la création de dix nouvelles filières REP entre 2021 et 2025, portant le total des filières à vingt-deux, soit le double par rapport à la situation antérieure à la loi (onze filières). La dernière filière mise en oeuvre est celle des textiles sanitaires à usage unique (lingettes), depuis le 1er juillet 2025, et une filière supplémentaire, celle des emballages industriels et commerciaux (REP DEIC) doit être mis en place en place prochainement10(*).

Historique des filières REP

La première filière REP qui a été mise en place en France est celle des emballages ménagers, par le décret n° 92-377 du 1er avril 1992 portant application pour les déchets résultant de l'abandon des emballages. Plusieurs filières importantes ont ensuite été mises en place au cours des années 2000 (pneumatique en 2002, véhicules hors d'usage en 2003, équipements électriques et électroniques en 2005, textiles d'habillement en 2008).

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « loi Grenelle II » a ensuite consolidé juridiquement le dispositif, en inscrivant explicitement les éco-organismes dans le code de l'environnement, et en prévoyant les cas où de nouvelles filières pouvaient être créées par décret.

Plus récemment, la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite « loi AGEC », représente la réforme la plus importante des filières REP depuis leur création. Elle a notamment élargi le champ des REP au-delà du traitement de la fin de vie des produits, et a mis l'accent sur la prévention, le réemploi et la réparation, par la création du fonds de réemploi et de réparation, géré par les éco-organismes.

Source : commission des finances

Liste des filières REP à date du 30 septembre 2025

Filières REP antérieures à la loi Agec

Nouvelles filières créées par la loi Agec

1. Emballages ménagers et papiers imprimés

2. Équipements électriques, électroniques et électroménagers

3. Véhicules

4. Batteries

5. Médicaments non utilisés

6. Pneus

7. Textiles, linges de maison et chaussures

8. Produits chimiques ménagers

9. Meubles

10. Bateaux de plaisance et de sport

11. Dispositifs médicaux perforants en autotraitement

1. Bâtiments, produits et matériaux de construction

2. Emballages professionnels

3. Jouets

4. Articles de sport et de loisir

5. Articles de bricolage et de jardin

6. Huiles minérales

7. Tabac / Mégots

8. Gommes à mâcher synthétiques

9. Textiles sanitaires à usage unique

10. Engins de pêche contenant du plastique

11. Aides techniques médicales

Note : Les filières « emballages ménagers » et « papiers imprimés » ont fusionné par la loi n° 2023-305 du 24 avril 2023 portant fusion des filières à responsabilité élargie des producteurs d'emballages ménagers et des producteurs de papier.

Source : commission des finances

Pour répondre à ces obligations, les entreprises ont la possibilité soit d'instaurer un système individuel de collecte et de traitement agréé, soit de mettre en place collectivement des éco-organismes agréés avec d'autres entreprises soumises à la même filière REP.

Les producteurs ayant choisi de mettre en place un système individuel relèvent principalement de la filière des équipements électriques et électroniques (EEE) ainsi que de la filière « véhicules » (voitures particulières, camionnettes, véhicules à moteur à 2 ou 3 roues et quadricycles). La grande majorité des producteurs ont opté pour la solution de l'éco-organisme. L'Ademe recense ainsi 27 éco-organismes exerçant leur activité en France11(*).

Il est possible que plusieurs éco-organismes fassent partie de la même filière REP, comme c'est le cas par exemple de la filière « Emballages ménagers et papiers graphiques » qui en comprend trois (Citéo, Adelphe et Léko). Dans ce cas, les entreprises peuvent librement choisir l'éco-organisme auquel elles souhaitent adhérer. Inversement, un même éco-organisme peut être agréé sur plusieurs filières12(*). On compte actuellement 26 éco-organismes (dont trois filiales de Citéo), soit un nombre un peu supérieur à celui du nombre de filières REP. Par ailleurs, sur l'ensemble de ces éco-organismes, 24 d'entre eux13(*) se sont réunis en juin dernier sous la forme d'une association loi 1901, le « collectif des éco-organismes »14(*).

La taille et le chiffre d'affaires (qui correspond aux éco-contributions perçues) des éco-organismes varient fortement. Le plus important, Citéo, comprend 463 ETP en incluant Adelphe et Citéo Pro, tandis que le plus petit, Pyréo, n'a que 2 ETP. De même, le chiffre d'affaires de Citéo atteignait 1,3 milliard d'euros pour l'exercice 2024, alors que celui de Pyréo n'était que de 900 000 euros.

Chiffres d'affaires et ETP des éco-organismes membres
du collectif des éco-organismes à la date de fin 2024

Eco-organisme

ETP

Chiffres d'affaires

(en millions d'euros)

Alcome

24

49,6

Aliapur

25

84,9

Aper

5

3,3

Batribox

16,24

10,8

Citeo

Citeo : 437
Citeo Pro : 12
Adelphe : 14

Citeo : 1 300
Citéo pro : 4,6

Adelphe : 71,4

Cyclamed

5

13

Cyclevia

13

44

Dastri

8

13,5

Ecologic

97

140

Ecomaison

98,9

420,6

Ecominero

39

84,2

Ecopae

1,6

1,4

Ecosystem

165

429

France recyclage pneumatique (FRP)

9

25,6

Leko

24

31,6

Pyreo

2

0,9

Recycler mon véhicule

4

3,2

Refashion

68

120

Soren

10

9,9

Tyval

4

7,2

Valdelia

62

41,9

Valobat

108

149

Note : Les données d'Ecodds et de Citéo Soin & Hygiène ne sont pas présentes, puisque les deux éco-organismes ne sont pas membres du collectif des éco-organismes.

Source : données transmises par le collectif des éco-organismes

Lorsqu'une filière compte plusieurs éco-organismes, l'autorité administrative peut imposer aux producteurs de choisir un éco-organisme coordonnateur, qui doit à la fois répartir les obligations entre les éco-organismes et assurer un service de guichet unique pour les collectivités ayant la charge du service public de gestion des déchets (SPGD)15(*).

Le poids économique des filières à responsabilité élargie du producteur (REP) devrait fortement augmenter les prochaines années, ce que révèle la progression des éco-contributions collectées par les éco-organismes : leur montant est passé de 1,9 milliard d'euros en 2022 à 2,3 milliards d'euros en 2024, et il devrait atteindre 8 milliards d'euros en 202916(*). Le montant des éco-contributions est en augmentation quasi continue depuis plus de vingt ans.

Évolution constatée et prévisionnelle du montant des éco-contributions perçues
par les filières REP entre 2000 et 2028

(en millions d'euros)

Note : les données sont constatées jusqu'en 2023, et prévisionnelles de 2023 à 2028.

Source : commission des finances, d'après les données de l'Ademe

D'un autre côté, le modèle des filières REP apparaît encore éminemment fragile. Les difficultés et les crises se sont en effet multipliées au cours des derniers mois :

- la fédération Envie, groupe spécialisé dans l'économie sociale et solidaire, a assigné l'éco-organisme Ecosystem en justice à la suite de la perte d'un appel d'offres. La presse a évoqué 1 000 emplois directs et indirects au sein du réseau qui auraient été menacés17(*). La procédure contentieuse en référé initiée par la fédération Envie a été rejetée ;

- en raison des difficultés rencontrées par la filière REP des produits et matériaux de construction du bâtiment (PMCB), le Gouvernement a décidé d'un moratoire pour les dispositions devant entrer en vigueur en 2025. Un projet d'arrêté a été soumis à consultation publique jusqu'au 23 septembre dernier, et celui-ci prévoit la suspension de ces mesures jusqu'au 1er janvier 2027 ;

- enfin, la filière de la collecte du textile est entrée en crise l'été dernier. L'entreprise Le Relais, une branche d'Emmaüs qui met à disposition des bornes dans toute la France afin de favoriser le réemploi des vêtements, a ainsi accusé l'éco-organisme Refashion de ne pas leur reverser les éco-contributions. En conséquence, la collecte a été arrêtée dans un certain nombre de points de vente, et le 18 juillet, le ministère de la Transition écologique a annoncé le déblocage de 49 millions d'euros en soutien aux opérateurs de tri de la filière. Ce soutien représente 15 millions d'euros de plus par rapport à la version initiale du cahier des charges18(*).

Plus généralement, la soutenabilité économique des REP soulève des interrogations. En 2021, l'institut d'études économiques Rexecode indiquait « un supplément de coût pour les entreprises des filières REP (les « metteurs sur le marché ») d'au moins 2 milliards d'euros à l'horizon 2025 »19(*) et Marta de Cidrac et Jacques Fernique soulignent dans leur rapport de juin dernier que « Les acteurs économiques entendus, dont notamment France Industrie et le Medef, ont fait part de leurs inquiétudes face au coût économique croissant des filières REP, qui apparaît insuffisamment évalué lors du vote de la loi Agec de 2020. »20(*)

La politique de l'économie circulaire se trouve donc prise en étau entre, d'un côté, une augmentation massive des moyens et des exigences réglementaires dans les années à venir, et de l'autre, un système qui semble déjà toucher à ses limites alors que la loi Agec est à peine mise en oeuvre.

Face à ce constat, plusieurs travaux ont été réalisés sur la gouvernance des filières REP pour tenter d'en dresser un premier bilan. L'Inspection générale des finances (IGF), l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) et le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGE) ont ainsi remis en juin 2024 un rapport intitulé « Performances et gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur », qui passe en revue l'ensemble des filières, et dont la première et principale recommandation est de « créer une instance de régulation des filières REP, afin de regrouper et d'exercer de manière indépendante les fonctions de régulation des équilibres concurrentiels, de gestion des différends, de contrôle et de sanction. Conforter la direction générale de la prévention des risques, en lien avec la direction générale des entreprises, dans un rôle de définition du cadre et des objectifs de la politique publique de la REP et, plus largement, de l'économie circulaire. »21(*)

Dans leur rapport précité de juin 2025, les sénateurs Marta de Cidrac et Jacques Fernique recommandent notamment d'« élaborer une stratégie industrielle pluriannuelle pour chaque filière REP, en associant l'ensemble des parties prenantes » (proposition 1) et de refonder la gouvernance des filières REP par la création de « nouveaux Comités des parties prenantes, institués au niveau de chaque filière REP » (proposition 3)22(*).

Le présent rapport ne reviendra donc pas sur la question de la gouvernance des filières REP, mais il se concentrera sur les enjeux budgétaires et financiers de la politique de l'économie circulaire.

En effet, même si en vertu du principe du « pollueur-payeur », les producteurs eux-mêmes ont vocation à prendre en charge la majeure partie de la politique de prévention des déchets et de soutien à l'économie circulaire, l'État continue de participer directement au financement de cette politique à travers des subventions dans le cadre du fonds vert, du fonds économie circulaire et de France 2030.

Cette implication de l'État doit d'ailleurs être interrogée. L'Ademe, dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, a indiqué qu'« il est important de limiter les moyens d'action du fonds économie circulaire aux domaines non couverts par les filières REP. » La montée en puissance des filières REP avec la loi Agec aurait donc dû en toute logique s'accompagner d'une diminution des subventions publiques, mais c'est le mouvement inverse qui a été observé sur les dernières années : les crédits consacrés à cette politique ont plus que doublé, passant de 175,9 millions d'euros en 2020 à 434,1 millions d'euros en 2024.

Il est donc impératif, à cette aune, que la nécessité et les modalités des subventions en matière de soutien à l'économie circulaire soient réexaminées. Il en va non seulement de l'exigence de réduire le déficit public, mais également de rendre pleinement opérant le principe du « pollueur-payeur ».

Évidemment, si les filières REP doivent prendre en charge elles-mêmes les investissements dans l'économie circulaire, il faut que le fonctionnement et le contrôle des éco-organismes soient satisfaisants. C'est aujourd'hui loin d'être le cas, et le présent rapport formule des propositions en matière de supervision de ces filières.

Enfin, le développement de l'économie circulaire comporte des enjeux pour les finances publiques en raison également de la « ressource propre plastique », que la France paye tous les ans à l'Union européenne. La France est le premier contributeur de cette ressource, en raison de ses très faibles performances dans le recyclage des plastiques, comme cela est détaillé infra.


* 10 Le cahier des charges de la REP emballages professionnels a été mis en consultation publique le 5 septembre 2025.

* 11 Nombre d'éco-organismes au 31 août 2025.

* 12 Valobat par exemple est agréé sur les filières « Articles de bricolage et de jardin », « Produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment » et « Éléments d'ameublement ».

* 13 22 si l'on ne compte pas de manière séparée les deux filiales de Citéo, Citéo Pro et Adelphe.

* 14 Ecodds et Citéo Soin & Hygiène ne font pas partie du collectif à ce jour.

* 15 Article R. 541-107 du code de l'environnement, en application de l'article L. 541-10 du code de l'environnement.

* 16 « Performances et gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur », IGF, IGEDD, CGE, juin 2024, page 9.

* 17 « Économie circulaire : 1.000 emplois menacés dans le réseau Envie suite au dernier appel d'offres d'Ecosystem », Emilie Zapalski, Localtis, 18 avril 2025.

* 18 Arrêté du 13 août 2025 modifiant l'arrêté du 23 novembre 2022 portant cahiers des charges des éco-organismes et des systèmes individuels de la filière à responsabilité élargie du producteur des textiles, chaussures et linge de maison.

* 19 Étude des conséquences pour le système productif de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (loi Agec), Rexecode pour une présentation du groupe de travail « économie circulaire » du Medef, 4 février 2021.

* 20 Rapport d'information fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec), rapporteurs Marta de Cidrac et Jacques Fernique, 25 juin 2025, page 28.

* 21 « Performances et gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur », IGF, IGEDD, CGE, juin 2024, page 19.

* 22 Rapport d'information fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec), rapporteurs Marta de Cidrac et Jacques Fernique, 25 juin 2025, page 12.

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