EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 octobre 2025, la commission des affaires économiques a examiné le rapport d'information de M. Alain Cadec, Mme Annick Jacquemet et M. Rémi Cardon sur l'avenir de l'industrie automobile française.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nos collègues Annick Jacquemet, Alain Cadec et Rémi Cardon vont maintenant nous présenter les conclusions de leur mission d'information transpartisane sur l'avenir de la filière automobile.

Mme Annick Jacquemet, rapporteure. - L'industrie automobile française traverse aujourd'hui une crise profonde, et durable. Luc Chatel, président de la Plateforme automobile française, nous l'avait prédit il y a tout juste un an, lorsque notre commission l'avait auditionné : cette industrie peut, à court terme, disparaître. Ce qui semblait alors une menace assez théorique se concrétise malheureusement mois après mois. Après les plans sociaux chez les équipementiers Michelin et Valeo à l'automne dernier, les usines de Stellantis à Sochaux, Mulhouse et Poissy vont être partiellement mises à l'arrêt, faute de commandes suffisantes.

Où chercher l'origine de ce désastre ? Tout d'abord, dans une contraction sans précédent du marché : depuis la crise sanitaire, les ventes de véhicules neufs ont fortement chuté, d'environ 20 %. Les ventes de véhicules électriques, pourtant « boostées » par la législation européenne, ont connu une croissance moins dynamique qu'escompté : après un pic en 2023, la part des ventes de voitures « tout électrique » et hybrides rechargeables a même baissé en France en 2024 et 2025, pour s'établir à environ un tiers des ventes de véhicules neufs.

Les constructeurs français et européens sont en outre concurrencés par les acteurs extra-européens, au premier rang desquels la Chine, aujourd'hui premier pays producteur de véhicules électriques dans le monde : cette dernière assure près des deux tiers de la production mondiale, et ses exportations ont été multipliées par quatre en deux ans !

Les raisons de ce succès chinois, nous les connaissons : politique industrielle volontariste et planificatrice, mais surtout subventions colossales - on a évoqué le chiffre de près de 230 milliards de dollars d'aides directes - et coûts de production ultra-compétitifs. Résultat : des prix de vente inférieurs d'environ 30 % à ceux des véhicules produits en Europe, pour une qualité égale, voire supérieure. Les différents acteurs que nous avons interrogés nous l'ont en effet tous confirmé, la Chine est en avance technologiquement dans tous les domaines : batteries, mais aussi numérique et logiciels embarqués.

Cette situation a en outre vocation à s'aggraver avec le retour du protectionnisme américain, qui, en plus de nuire directement aux exportations européennes, amplifie encore les surplus de production que la Chine cherche à écouler sur le marché européen, et exacerbe la concurrence avec la Chine sur les marchés tiers.

Cette concurrence chinoise ne concerne pas uniquement les véhicules finis, mais aussi les batteries : 80 % des batteries actuellement utilisées en Europe viennent d'Asie, et notamment de Chine.

Résultat de la contraction du marché : en 2023, la production automobile française était encore inférieure de 40 % à celle de 2019, avec à la clé la destruction de quelque 19 000 emplois, dans une filière déjà minée par deux décennies de déclin.

Depuis les années 2000, la France a connu une baisse structurelle de sa production, en raison de délocalisations massives vers les pays à bas coût de main-d'oeuvre, d'abord en Europe de l'Est, puis vers la Turquie ou le Maghreb - certains collègues ont d'ailleurs pu en avoir un aperçu lors du déplacement de la commission au Maroc, au début du mois de septembre. La part de la France dans la production automobile européenne est ainsi passée de 20 % en 2000 à seulement 8 % en 2020.

Dans ce contexte, les difficultés actuelles risquent de donner le coup de grâce, d'autant qu'elles frappent une filière qui a consenti des investissements considérables pour se mettre au diapason de la transition verte, qu'il s'agisse de décarbonation des modes de production ou de passage à l'électro-mobilité - on parle de dizaines de milliards d'euros. Or, nous l'avons constaté lors de notre déplacement à Montbéliard, malgré de très importants efforts de modernisation, la production de l'usine Stellantis a déjà été divisée par deux, car le marché « ne suit pas ». Les sous-traitants locaux s'inquiètent tout simplement pour leur avenir. Pour la plupart d'entre eux, la transition vers l'électrique n'est pas une opportunité, mais une menace existentielle.

Or la survie de notre industrie automobile est un enjeu de souveraineté. Il ne s'agit pas simplement de maintenir des usines et des emplois, mais aussi de préserver notre indépendance économique, industrielle, technologique et même militaire.

Il y a bien sûr d'abord un enjeu économique et social : l'industrie automobile fait vivre pas moins de 350 000 salariés, répartis sur plus de 4 000 sites, très structurants pour les territoires concernés. Mais elle irrigue aussi de nombreux autres secteurs, comme la chimie, la métallurgie, le caoutchouc, ou encore l'informatique. On peut véritablement parler de « colonne vertébrale » de l'industrie française. La disparition de certains sous-traitants, faute de commandes suffisantes de la part du secteur automobile, aurait ainsi des conséquences dramatiques sur des industries comme la chimie ou la métallurgie, qui sont des industries de souveraineté. À terme, notre capacité de production militaire, notamment, pourrait s'en trouver affaiblie.

L'enjeu sécuritaire découle aussi, plus immédiatement, de la non-maîtrise par les Européens des chaînes de valeur de certaines technologies clés : les batteries bien sûr, mais aussi les logiciels embarqués, souvent développés hors d'Europe, avec les risques que cela représente en matière de fuite de données, de piratage, voire de contrôle à distance des véhicules. Dans un monde de plus en plus instable, céder le contrôle de ces technologies à des puissances étrangères, c'est prendre un risque majeur pour notre autonomie.

C'est pourquoi nous avons besoin d'une stratégie claire et ambitieuse pour éviter que la France - et plus largement l'Europe - ne devienne simple consommatrice de produits et de technologies sur lesquels elle aurait perdu la maîtrise.

Pour cela, nous proposons d'abord des mesures d'urgence pour contrer la concurrence déloyale des pays à bas coût.

La Commission européenne a déjà instauré en 2024 des droits de douane compensatoires pouvant aller jusqu'à 35 % pour contrecarrer les subventions dont bénéficient les acteurs chinois. Ces mesures ont déjà produit leurs effets, puisque les importations en Europe de véhicules chinois ont depuis baissé de près de 20 %. Mais elles restent insuffisantes. D'abord, elles ne concernent que les véhicules finis. Or la part des composants « sourcés » hors d'Europe, dans les pays à bas coût, ne cesse de grimper. Cette tendance va d'ailleurs s'aggraver avec l'électrification, dans la mesure où la valeur du contenu européen, estimé à 90 % en moyenne sur les véhicules thermiques, tombe à 60 % voire 40 % sur les véhicules électriques, notamment des batteries !

Nous estimons donc que l'Europe doit utiliser toute la palette des outils de défense commerciale à sa disposition pour rééquilibrer la concurrence, comme le font du reste les États-Unis ou la Chine dans d'autres domaines. Nous recommandons ainsi d'imposer temporairement des droits de douane massifs sur les véhicules chinois et sur certains composants clés, d'instaurer un seuil minimal de contenu européen dans les véhicules vendus en Europe (à hauteur de 80 % pour les composants hors batterie) et de fixer un objectif de 40 % de batteries produites sur le sol européen d'ici à 2035. Cela aurait pour effet d'obliger les constructeurs étrangers qui souhaitent accéder au marché européen à s'implanter en Europe, avec à la clé des transferts de technologie et des créations d'emplois. Il s'agit d'un levier puissant de relocalisation, qui nous permettrait de conserver sur notre sol l'entièreté de la chaîne de valeur.

Cette mesure devrait être doublée par la mise en place d'un éco-score à l'échelle européenne, qui prendrait en compte l'ensemble du cycle de vie du véhicule, pour déterminer l'éligibilité à certains mécanismes de soutien public. En effet, la réglementation favorise aujourd'hui les véhicules électriques en se fondant uniquement sur leurs émissions à l'échappement. Or, dans une voiture électrique, jusqu'à 75 % des émissions totales de CO2 sont occasionnées par la fabrication. Écologiquement plus juste, ce mode de calcul bénéficierait en outre particulièrement à la France, grâce à son énergie nucléaire décarbonée.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Ce travail de plus de quatre mois nous a permis de procéder à plus de trente auditions, concernant environ soixante institutions ou entreprises.

Je précise que notre objectif, avec la mesure qui vient de vous être présentée, n'est pas de s'extraire durablement de la compétition internationale, mais de laisser le temps à notre industrie de se transformer pour redevenir compétitive. C'est une stratégie de survie, car sans protections douanières, sans règles strictes sur l'origine des composants, dans quelques années, dans quelques mois, comme l'a dit ma collègue, c'en est fini de l'industrie automobile française, et même européenne.

Évidemment, ces mesures devront être temporaires et dégressives, car il ne s'agit pas d'offrir sans contreparties à nos industriels un marché captif, ni de nous dispenser de nous interroger sur les raisons de notre manque de compétitivité. J'y reviendrai, mais c'est un point très important pour que nous, Français, puissions faire entendre notre voix à Bruxelles. En effet, nos partenaires européens, et en premier lieu nos « amis » allemands - en matière industrielle, il convient de toujours mettre le mot « ami » entre guillemets -, qui ont globalement moins de difficultés que nous à exporter, ont souvent tendance à nous soupçonner d'invoquer la souveraineté pour masquer nos propres turpitudes, ce qui affaiblit nos positions.

Or nous avons des demandes à présenter à nos partenaires européens et à la Commission. Vous le savez, le Pacte vert européen, ou Green Deal, a fixé la fin de la vente de véhicules thermiques neufs en Europe à 2035 - une clause de revoyure, qui devait être étudiée en 2026 le sera en 2025, selon ce qu'a déclaré hier le commissaire européen Stéphane Séjourné. Cependant, cet objectif de réduire les émissions de CO2 des véhicules heurte de plein fouet la réalité industrielle. La date a été fixée au doigt mouillé : l'Europe visait la neutralité carbone en 2050, le parc automobile mettait en moyenne quinze ans à se renouveler complètement, il fallait donc arrêter d'y faire entrer des voitures thermiques en 2035. Et tout cela sans consultation des industriels - il est vrai que, après le Dieselgate, ils n'étaient plus très en cour à Bruxelles -, sans vérifier préalablement que l'Europe disposait des capacités technologiques et industrielles, des compétences et matières premières pour produire des batteries. Or, comme le dit Luc Chatel, réglementer n'a jamais fait une ambition industrielle. Voilà pourquoi nous en sommes là aujourd'hui : comme dans beaucoup de domaines, en Europe, nous avons mis la charrue avant les boeufs.

Je remarque d'ailleurs que l'Europe est la seule entité politique au monde à s'être fixé un objectif aussi rigide - à part la Californie. Ne nous y trompons pas : si la Chine est en pointe sur l'électrique, ce n'est pas par vertu, c'est parce qu'elle a parié sur cette technologie, dans une logique de planification industrielle. Alors que l'Union européenne a, encore une fois, choisi de réglementer le marché...

Pourtant, les constructeurs européens ont joué le jeu. Ils ont investi pour engager la transition, mais le marché « patine » et ils ne s'y retrouvent pas. À court terme, la situation semble insoluble.

La Commission européenne a fini par entendre les appels à l'aide de l'industrie : au début de 2025, elle a lancé un « dialogue stratégique », qui a débouché, en mars, sur un plan d'action en faveur de l'industrie automobile et sur un assouplissement de l'objectif intermédiaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon de 2025 - je rappelle que sans cet assouplissement, nos constructeurs auraient dû payer des milliards d'euros de pénalités. Même si le réveil est un peu tardif, on ne peut que saluer ce plan, qui prévoit notamment un soutien à l'innovation et aux batteries, la poursuite du développement des infrastructures de recharge, un soutien à la demande et un accompagnement à la reconversion de salariés touchés par la transition. Il s'agit pour l'instant d'annonces, qui devront se concrétiser dans des textes réglementaires - or il faut se méfier des annonces, quelle que soit leur nature, mes chers collègues !

Alors que préconisons-nous ? Notre première recommandation est de reporter la date l'interdiction des ventes de véhicules thermiques neufs en Europe. Si nous maintenons la date de 2035, nous avons la certitude que notre industrie automobile sera balayée, comme avant elle la sidérurgie ou la téléphonie. Les Chinois ont dix à vingt ans d'avance sur les technologies électriques - nous avons pu le constater lors du déplacement en Chine de notre commission l'an dernier ; nous devons laisser le temps à nos industriels de monter en compétence. La date d'extinction du thermique devra être fixée au niveau européen, après consultation des acteurs industriels, et être précédée par une trajectoire de décrue, afin que la transition se fasse sans heurts. À terme, l'électrique deviendra de toute façon beaucoup plus compétitif, et s'imposera ensuite naturellement dans tous les usages pour lesquels il est adapté.

Au contraire, s'arc-bouter sur le 100 % électrique en 2035 aurait un coût économique, mais aussi social et écologique. En effet, dans les zones très rurales, ou pour les utilisateurs occasionnels qui ne font que de longs trajets, l'électrique n'est, pour l'heure, pas adapté. Pourquoi braquer ces utilisateurs que le passage à marche forcée à l'électrique risquerait de priver de toute solution de mobilité ? Pas plus tard que la semaine dernière, l'Institut Montaigne alertait sur le risque d'un rejet en bloc par les citoyens des solutions de mobilité verte, trop coûteuses et mal adaptées à leurs besoins - nous devrions y prendre garde !

Lorsqu'on parle de décarbonation, il faut aussi prendre en compte la vitesse de renouvellement du parc, qui est deux fois plus lente qu'en 1990, pour s'établir aujourd'hui à vingt-cinq ans en moyenne en Europe. De ce fait, pour faire baisser les émissions à court terme, les solutions décarbonées pour le thermique ont un rôle majeur à jouer.

L'assouplissement de l'objectif 2035 permettrait notamment de mieux tirer parti des « hybrides rechargeables ». Elle réduit massivement les émissions tout en rassurant les usagers sur l'autonomie de leurs véhicules. Ces derniers ont été très critiqués, on a dit qu'ils fonctionnaient en fait presque exclusivement grâce à leur moteur thermique, mais c'est beaucoup moins vrai aujourd'hui, car les pratiques ont changé. En outre, compte tenu de nos capacités limitées de production de batterie, ne vaut-il pas mieux les utiliser pour équiper une demi-douzaine d'hybrides rechargeables à autonomie électrique réduite, qui fonctionnera de temps en temps à l'essence, plutôt qu'une seule « super voiture » électrique que personne n'achètera, compte tenu de son coût trop élevé ? Là aussi, c'est une question de réalisme. On nous a aussi beaucoup parlé des prolongateurs d'autonomie, les range extenders, qui se répandent en Chine et qui permettent de recharger la batterie avec un petit moteur thermique d'appoint, avec très peu d'émissions de CO2 : cela nous semble une solution intéressante à diffuser, en dépit des caricatures.

Notre deuxième recommandation, en plus de cet assouplissement paramétrique du « zéro véhicules thermiques neufs en 2035 », est d'appliquer réellement le principe de neutralité technologique, qui figure d'ailleurs déjà dans le règlement européen. À cela, il y a une raison quasi philosophique : le politique doit fixer des caps, mais ce n'est pas son rôle de faire des choix technologiques. Tenons-nous-en aux objectifs, et laissons à l'industrie le soin de trouver les meilleurs moyens de les atteindre. Je pense naturellement aux biocarburants et aux e-carburants, qui sont des solutions intéressantes, que, contrairement à l'électrique, nous maîtrisons complètement ; elles peuvent donc être mises en oeuvre immédiatement et à moindre coût, car elles ne nécessitent de modifier ni les motorisations ni les infrastructures. Sans compter que la production de biocarburants permet, en France notamment, de soutenir les revenus des agriculteurs. Il ne s'agit en aucun cas de favoriser indûment ces technologies, mais d'ouvrir le champ des possibles, à charge pour les industriels de faire leurs calculs de rentabilité.

La Commission s'est dite prête à réinterroger ces deux points : l'échéance de 2035 et le principe de neutralité technologique. Nous en sommes évidemment satisfaits et demeurerons très attentifs au contenu exact des futures propositions législatives en ce sens.

J'en reviendrai pour finir aux questions de compétitivité. Comme je l'ai déjà dit, si la France veut sauver son industrie automobile, elle a aussi un examen de conscience à faire, sur le coût du travail, mais aussi sur le coût de l'énergie, qui pénalise particulièrement la production de véhicules électriques - plus énergivore que celle des véhicules thermiques. On ne pourra pas en faire l'économie.

Mais nous appelons aussi à des ajustements des règles européennes en matière d'investissement, qui sont plus favorables pour les pays d'Europe centrale et orientale, ce qui fausse la concurrence au sein même de l'Union européenne, alors que ces pays sont déjà avantagés par leurs coûts du travail réduits !

Enfin, les règles européennes en matière d'aides d'État doivent également évoluer pour nous permettre de soutenir puissamment l'industrie des batteries, qui est la brique de base de notre future souveraineté automobile, y compris au stade de l'industrialisation.

M. Rémi Cardon, rapporteur. - Alain Cadec a parlé des conditions de production, je reviendrai pour ma part d'abord sur les conditions de marché. Aujourd'hui, le coût des véhicules électriques demeure un frein à l'achat pour beaucoup de Français.

Il est désormais bien établi que, sur le long terme, rouler en véhicule électrique coûte moins cher que de rouler en véhicule thermique : pour un usage quotidien, la recharge à domicile est environ trois fois moins chère qu'un plein d'essence, et l'entretien est également moins fréquent. Des études dont nous avons eu connaissance estiment que la voiture électrique devient globalement rentable au bout de deux à cinq ans.

Il n'en demeure pas moins que le coût d'entrée est élevé, puisqu'une voiture électrique coûte en moyenne 30 % à 50 % plus cher qu'une voiture thermique, ce à quoi peut s'ajouter le coût de l'installation de bornes de recharge domestiques. C'est un véritable frein à l'achat, particulièrement pour les classes populaires et moyennes, qui sont pourtant celles qui ont le plus souvent besoin de leur véhicule pour se rendre à leur travail.

Nous n'allons pas préempter les discussions budgétaires à venir, mais l'une de nos recommandations est d'assurer désormais la stabilité de ces aides dans le temps, afin de donner de la visibilité aux acheteurs, mais aussi aux industriels, sur les conditions de marché.

Plus fondamentalement, nous estimons que, à moyen terme, c'est au niveau européen que les mécanismes de soutien à la demande de véhicules électriques devraient être mis en place. Car actuellement, concrètement, ce sont les impôts des Français qui financent la production en Chine, mais aussi et surtout en Roumanie ou en Slovaquie... Si les objectifs en matière de baisse des émissions sont fixés au niveau européen et si leur atteinte est évaluée au niveau européen, les mécanismes de soutien au marché doivent aussi être fixés au niveau européen - pondérés, le cas échéant, en fonction du pouvoir d'achat de chaque pays, afin d'éviter des effets d'entraînement trop disparates.

Mais il existe aussi des voies non budgétaires pour soutenir le marché. La première tend à miser sur le marché de l'occasion électrique, qui est en progression, mais demeure moins fluide que celui de l'occasion thermique, en raison, notamment, d'inquiétudes persistantes sur les performances des batteries anciennes, alors que ces dernières sont plutôt meilleures que ce qui était anticipé. Afin de soutenir ce marché, nous recommandons donc de créer un « diagnostic batterie certifié » propre à rassurer les acheteurs, et qui serait exigible lors de la vente de tout véhicule électrique, neuf ou d'occasion.

Notre dernière préconisation pour soutenir le marché ne produira ses effets qu'à moyen terme, car elle nécessite un « changement de logiciel » dans les stratégies des constructeurs français. En effet, l'augmentation des prix moyens des véhicules, si pénalisante pour le marché, n'est pas principalement due à l'électrification, qui n'est arrivée que ces toutes dernières années. Depuis une vingtaine d'années, les constructeurs se sont engagés dans une stratégie de montée en gamme, qui n'a fait que s'accélérer en sortie de crise du Covid-19, dans un contexte de pénurie de l'offre qui a augmenté le « pricing power » des constructeurs. De fait, dans les gammes des constructeurs français, les petites voitures ont quasiment disparu. Or ce sont elles qui faisaient les volumes.

Les industriels ont sans doute leur part de responsabilité dans ces choix stratégiques qui apparaissent aujourd'hui délétères, mais le poids croissant des exigences normatives européennes, notamment en matière de sécurité, a également lourdement pénalisé les industriels français, dont les modèles légers sont devenus plus chers à produire, moins rentables, et donc moins attractifs pour les constructeurs - à la différence des berlines allemandes, relativement moins impactées. Résultat : des constructeurs français aujourd'hui incapables de proposer une offre abordable et qui ne cessent de perdre des parts de marché. Le tir est d'ailleurs en train d'être corrigé, avec l'arrivée de nouveaux modèles comme la ë-C3 ou la Twingo électrique. Mais, de l'avis des experts que nous avons auditionnés, notamment du groupe d'études et de recherche permanent sur l'industrie et les salariés de l'automobile (Gerpisa) du CNRS, le retour à ces modèles ne suffira pas à combler l'écart de prix occasionné par l'électrification.

Aussi, nous estimons nécessaire de modifier le cadre réglementaire pour créer une nouvelle catégorie de véhicules très légers, avec des exigences matérielles de sécurité allégées, mais, en retour, des restrictions en matière de vitesse, taille, puissance, etc. sur le modèle des kei cars japonaises. Compactes et légères, ces voitures aux performances limitées - intermédiaires entre les véhicules classiques et les voiturettes sans permis - permettent malgré tout de répondre à une large part des besoins, notamment pour les trajets du quotidien. Leur coût réduit, synonyme de large diffusion, devrait permettre aux constructeurs de renouer avec les volumes.

Un autre enseignement à tirer du succès des kei cars japonaises, dont la production est mutualisée entre les différents constructeurs pour faire baisser les coûts, est que, face à la compétition mondiale, seule une politique industrielle commune, portée par une vision partagée entre la France, l'Allemagne et les autres États membres de l'Union européenne, permettra de garantir l'avenir de l'automobile européenne.

C'est ce que nous recommandons sur le long terme. Car, même si le tableau est sombre, il y a des lueurs d'espoir pour l'avenir. Nous avons des atouts, en France et en Europe, pour redevenir leaders sur le véhicule de demain. Mais cela suppose que les acteurs européens, institutionnels et industriels, jouent collectif. La tentation de certains constructeurs de passer des alliances avec les Chinois pour rattraper « individuellement » leur retard technologique ne peut qu'accroître, à terme, le risque de dépendance envers la Chine, notamment sur des technologies clés comme les batteries. Nous suggérons au contraire de tirer parti des futures règles de contenu local européen et d'écoconditionnalité pour encourager l'implantation sur le sol européen de ces acteurs chinois, sous condition de transferts de technologie - comme ils l'ont, du reste, fait chez eux ! Alors que le marché états-unien se ferme, l'Europe, forte de ses presque 450 millions de consommateurs, est plus attractive que jamais : elle est en mesure de fixer ses conditions.

Sur le plus long terme, la France et l'Europe ont également de solides atouts en matière de R&D. Plus de la moitié des brevets déposés en France le sont par l'industrie automobile et quatre des dix premières places au classement des déposants de brevets sont occupées par des entreprises de la filière automobile. Même si, en termes d'effectifs, l'Europe n'est pas en mesure de concurrencer la Chine - on parle de 20 000 chercheurs et ingénieurs rien que chez le producteur de batteries CATL ! -, la France et l'Europe disposent de pôles de recherche de grande qualité et d'un vivier de talents reconnus dans des secteurs clés comme les batteries, l'intelligence artificielle et les véhicules autonomes. Dans les batteries notamment, le rattrapage sur les technologies matures n'exclut pas en parallèle les recherches sur les technologies d'avenir, par exemple les batteries solides, qui pourraient offrir de meilleures performances.

Afin de préserver un haut niveau d'innovation, il nous apparaît donc essentiel de sanctuariser des dispositifs comme le crédit d'impôt recherche (CIR), unanimement cité par les acteurs de la filière comme l'un des atouts majeurs de la France, mais aussi de renforcer les liens entre la recherche académique et l'industrie. Cela ne signifie naturellement pas que ces dispositifs ne doivent pas être ajustés - nous aurons sans doute l'occasion d'en débattre lors de l'examen du projet de loi de finances.

La France pourrait notamment tirer son épingle du jeu dans le domaine du logiciel, grâce à sa formation de haut niveau dans les domaines du numérique et de l'intelligence artificielle. Des entreprises comme Valeo sont en pointe dans ce secteur. Or, alors qu'aujourd'hui, les constructeurs réalisent leur bénéfice sur le prix de vente du véhicule, à l'avenir, les logiciels pourraient permettre de créer de la valeur pendant quasiment toute la durée de vie du véhicule. Plus encore que dans l'électrification, c'est sans doute là que réside la prochaine révolution de l'industrie automobile. Face à la force de frappe des Gafam et autres BYD, il est donc indispensable de soutenir l'émergence d'un écosystème européen du véhicule numérique.

Naturellement, ces mesures de long terme n'auront un sens que si notre industrie survit jusque-là.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci à nos rapporteurs. La liste des préconisations vous a été distribuée, place aux questions !

M. Franck Menonville. - Permettez-moi d'exprimer mon désarroi face à ce naufrage industriel, comparable à celui que nous vivons dans l'agriculture ou l'énergie. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, en raison de politiques européennes inadaptées, nous abandonnons encore une fois un secteur où nous disposions d'une souveraineté.

Il ne s'agit pas d'opposer l'électrique au thermique. Mais nous devons répondre à un enjeu de temporalité : quand on ne maîtrise pas de manière souveraine une technologie, on ne lui fait pas une place sur le marché sans s'y être préparé. Or c'est ce que nous avons fait. Il faut inverser la tendance.

La voiture électrique a toute sa place sur certains marchés, mais cette technologie ne peut pas être généralisée. La Chine a quinze ans d'avance sur nous et elle ne va pas nous laisser la rattraper !

En outre, nos constructeurs n'ont pas la capacité financière pour être présents sur toutes les technologies.

D'ailleurs, j'ai fait l'expérience du véhicule hybride rechargeable : on consomme plus qu'avec une voiture thermique !

M. Alain Cadec, rapporteur. - Ce n'est plus vrai aujourd'hui.

M. Franck Menonville. - Peut-être encore en milieu rural, ou bien était-ce une question de modèle. En tout cas, il faut donc continuer à développer les petits moteurs thermiques qui ont encore des marges de progrès et les e-carburants, tout en développant l'électrique dès que c'est possible.

Certains constructeurs misent sur le tout-électrique, mais de nombreux territoires de la planète n'auront toujours pas accès à l'électricité après 2035 : qui va prendre ces marchés ?

Mme Marie-Lise Housseau. - J'ai rencontré des représentants de Mobilians et je retrouve leurs demandes dans ce rapport. Ils estiment bien évidemment que l'échéance de 2035 est ingérable. Selon eux, la R&D permettra de développer des moteurs thermiques consommant très peu, si on leur en laisse le temps. Ils soulignent également que le renouvellement du parc ralentit, à l'inverse de ce que l'on souhaiterait. Par ailleurs, étant élue d'un département très rural, le passage au tout-électrique me paraît utopique.

Enfin, les réglementations actuelles imposent aux constructeurs d'installer des aides à la conduite dont la plupart des conducteurs ne se servent pas, mais qui augmentent le prix des véhicules de 20 % à 30 %...

M. Daniel Gremillet. - Je remercie les rapporteurs pour leurs recommandations courageuses - en particulier la première, sur le report de l'interdiction des ventes de voitures thermiques neuves -, parce qu'elles vont à l'encontre de décisions européennes prises sans aucun recul. Nous sommes aussi à la veille d'une fracture sociale et sociétale, avec l'interdiction du véhicule thermique à l'horizon de 2035 : les chiffres que vous avez donnés sur l'écart de prix montrent combien cela limite le champ des possibles, alors que la mobilité est un enjeu majeur dans notre société.

Je serais tenté de dire qu'il ne faut pas fixer de butoir : il faut laisser la recherche avancer et permettre à la technologie d'évoluer. Des véhicules thermiques de nouvelle génération apporteront peut-être une partie des réponses attendues.

Vous avez également raison de parler dès le début des biocarburants, car ils permettront à un certain nombre de Français qui ne pourront pas acheter un véhicule électrique d'être acteurs de la mobilité décarbonée. Cette prise de position va à l'encontre des politiques actuelles, mais nous aurons l'occasion d'en débattre lors du débat budgétaire.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le rétrofit hydrogène des moteurs diesel ? Nous disposons d'un savoir-faire qui permettrait une meilleure accessibilité à la mobilité décarbonée.

Il serait judicieux que le CIR, s'il est maintenu, soit conditionné au développement industriel en France et en Europe des résultats de la recherche ainsi financée. Par ailleurs, il faut être très exigeant sur le recyclage : le futur appartiendra aux pays qui auront mis en place une capacité de recyclage. L'Union européenne devra avoir une politique beaucoup plus incitative.

Mme Amel Gacquerre. - Je remercie les auteurs du rapport, notamment pour leurs propositions concrètes et de court terme.

Vous l'avez dit, les batteries sont notre point faible, mais elles risquent de le rester. Le grand projet de « vallée de la batterie » devait initialement comporter cinq gigafactories. Actuellement, ACC, à Billy-Berclau, qui devait créer 2 000 emplois, n'en a créé que 600, son rythme de production étant insuffisant ; Envision, à Douai, est la gigafactory la mieux avancée, qui a commencé à produire ; Verkor, à Dunkerque, ne va pas produire avant 2026. Ces résultats ne sont pas à la hauteur pour nous permettre d'avancer.

J'ai interrogé hier le commissaire Séjourné sur l'implantation du constructeur chinois BYD en Hongrie sans qu'il réponde clairement. Vous estimez, quant à vous, que c'est une menace. Que faire pour freiner ce mouvement ? Si vous pensez que notre filière automobile a vraiment un avenir - ne cédons pas au fatalisme ! -, lequel ?

M. Yannick Jadot. - Nous ne soutenons pas l'analyse développée dans ce rapport.

Tout d'abord, les derniers chiffres sur les ventes de voitures électriques montrent une reprise, grâce à l'arrivée de petits véhicules.

Ensuite, il faut parler de ce sujet avec précaution, car il est anxiogène. En matière de transition énergétique, le sujet de la voiture électrique vient en tête dans la désinformation. La date de 2035 marque l'interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs et non pas l'interdiction des véhicules thermiques.

M. Alain Cadec, rapporteur. - C'est bien ce que nous avons dit.

M. Yannick Jadot. - Il y a un an, dans le cadre de diverses commissions d'enquête, nous avons auditionné MM. Senard et Tavares, qui nous disaient qu'ils seraient prêts en 2030...

M. Alain Cadec, rapporteur. - M. Tavares est parti !

M. Yannick Jadot. - Ils nous ont dit qu'ils appliqueraient la nouvelle règle, qu'ils étaient des industriels performants et qu'ils voulaient être les premiers, mais qu'il fallait cesser de changer les règles. Le même raisonnement s'applique aux gigafactories : s'il n'y a plus de commandes de batteries électriques, elles vont devoir courir après les subventions pour tenir ! La Chine a de l'avance, certes, mais la solution ne consiste pas à descendre du train...

M. Alain Cadec, rapporteur. - Il s'agit de le ralentir !

M. Yannick Jadot. - On ne ralentira pas le train de la Chine. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), dans cinq ans, 50 % des voitures vendues dans le monde seront électriques. Ce n'est pas en reculant l'échéance en Europe que nous aiderons nos industriels à satisfaire le marché européen tout en étant compétitifs à l'échelon international. En Chine, au Brésil, en Thaïlande, en Indonésie, les véhicules électriques sont moins chers que les véhicules thermiques, sans subventions publiques, parce que les constructeurs ont fait le choix de véhicules adaptés à la demande.

La crise automobile en France a 40 ans ! Depuis 40 ans, la filière française a régulièrement perdu des dizaines de milliers d'emplois. Ce n'est pas dû à la voiture électrique. Le moment est venu de relocaliser la production. La Renault 5 électrique va être produite en France. La production des petites voitures a été jusqu'à maintenant délocalisée. L'électrique est une opportunité de relocalisation de la production en France.

Il s'agit donc de ne pas réduire nos ambitions européennes sur cette transition, mais de nous donner les moyens d'être au rendez-vous, en rattrapant ceux qui ont pris de l'avance et en relocalisant notre industrie autour de l'électrique.

Quant aux e-carburants, pour la voiture, ils sont dix fois plus chers qu'un carburant classique. Si vous voulez faire du social... Le premier à avoir développé cette idée, c'est Porsche, suivi par Ferrari ! Les e-carburants seront nécessaires pour les avions, mais pas pour les voitures.

M. Fabien Gay. - Je remercie nos trois rapporteurs pour ce travail sérieux. Je peux partager certains constats, notamment sur le besoin de protectionnisme ; d'autres constats m'inspirent des doutes ; enfin, je déplore des manques.

Comme Yannick Jadot, je pense que les industriels de nombreux secteurs - l'automobile, le nucléaire ou l'aéronautique - ont besoin de règles stables et, pour investir dans le long terme. Dans le même temps, il faut clairement préparer la transition vers les mobilités d'avenir. Pour autant, la question de l'impact écologique de la batterie électrique doit aussi être posée, comme celle des carburants. Nous verrons cohabiter pendant un certain temps l'électrique et le thermique, puis nous basculerons vers le tout-électrique, sachant que dans dix ou vingt ans, malgré les efforts d'économies d'énergie, avec la voiture électrique, les objets connectés, etc., la question de la production d'électricité va se poser. Les gigafactories sont à peine naissantes ; si nous donnons le signe aujourd'hui que les règles pourraient changer, un pan du secteur disparaîtra, faute d'investissements, et nous prendrons du retard. C'est un constat qui va au-delà des divergences de fond.

Deuxième point qui me frappe : la France est en train de s'hyperspécialiser, mais elle perd tout le reste de la chaîne de valeur. Nous assumons la conception des produits et parfois la production finale, mais le reste va se faire ailleurs. On observe déjà ce phénomène dans l'industrie du médicament. Depuis la crise du Covid-19, nous voyons les sous-traitants fermer et délocaliser. Dans mon département, l'un des derniers sous-traitants de Stellantis a fermé pour produire en Turquie. Une réflexion manque sur ce point.

Sur la recommandation n° 14, j'approuve le premier point - harmoniser les règles relatives aux aides publiques -, mais je ne peux que contester le deuxième - réduire le coût du travail. La réponse à ces questions d'avenir ne peut pas être dans le moins-disant social et environnemental. On trouvera toujours moins cher pour produire ailleurs !

Enfin se pose la question des véhicules dont nous avons besoin. Nous construisons des véhicules trop chers, quand les Chinois produisent de petits véhicules à moins de 10 000 euros. Le prix des voitures neuves, chez nous, a augmenté de 40 % en quinze ans...

M. Alain Cadec, rapporteur. - À cause des normes européennes !

M. Fabien Gay. - Aujourd'hui, le premier achat d'un véhicule neuf intervient à l'âge de 57 ans en moyenne ! Les jeunes ne peuvent donc pas accéder à des voitures propres. Il faut donc faire prendre un vrai virage stratégique à notre industrie.

M. Henri Cabanel. - Je partage ce qui vient d'être dit sur la demande de clarté des industriels. Si les véhicules électriques sont plus chers que les véhicules thermiques, le coût de la recharge et de l'entretien est nettement moins élevé : on ne le dit pas assez.

Je partage vos propositions sur les tarifs douaniers. Il faut aller plus loin, avec des primes à l'achat qui devraient être réservées à l'achat de véhicules électriques européens. Il faut également distinguer entre les véhicules légers et les poids lourds. Quant aux biocarburants, pensons au biogaz, issu de la méthanisation des déchets agricoles, mais aussi des stations d'épuration : cette solution peut être intéressante pour les véhicules lourds.

M. Daniel Salmon. - Je ne partage pas non plus les conclusions des rapporteurs. Notre commission fait d'ordinaire preuve de volontarisme, elle aime montrer sa capacité à innover. En l'espèce, j'ai le sentiment d'entendre des propos d'arrière-garde...

M. Alain Cadec, rapporteur. - On fait un constat !

M. Daniel Salmon. - Nos constructeurs automobiles, depuis longtemps, commettent des erreurs stratégiques et ils ont beaucoup procrastiné. L'avenir n'appartient pas au véhicule thermique. Les bilans écologiques sont largement en faveur du véhicule électrique. On oublie souvent que le véhicule thermique implique l'importation d'énergies fossiles pour 70 milliards d'euros chaque année. On sait également que pour respecter notre trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il faut agir sur les transports : or c'est là que nous sommes en retard.

Nous avons besoin d'une politique très volontariste si nous voulons avoir une chance de nous en sortir. Nos constructeurs ont fait une erreur en ne travaillant pas assez tôt sur le véhicule électrique, ils ont fait également une erreur en se concentrant sur des véhicules trop lourds et en abandonnant les véhicules plus légers, sans parler des innombrables gadgets inutiles qui pèsent sur le prix à la vente.

Rappelons enfin que l'objectif 2035, c'est uniquement la fin de la vente de véhicules thermiques neufs. Ce n'est pas en tergiversant que nous aiderons notre industrie à se développer.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je retiens deux axes qui nous interpellent : la compétitivité de nos industriels, pour relever le défi de l'électrique, et la capacité des Français à financer l'achat de véhicules électriques.

S'agissant des conditions de marché évoquées dans la recommandation n° 8, à l'approche du débat budgétaire, nous entendons parler d'une extension du malus écologique aux véhicules d'occasion. Comment les Français pourront-ils y faire face ? En ce qui concerne les conditions de production, on constate les effets de la politique tarifaire du président Trump : Stellantis prévoit d'investir 13 milliards d'euros aux États-Unis plutôt qu'en Europe. Dans ce contexte, comment avancer dans le sens que vous préconisez ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - De quelque façon qu'évolue le marché, nous aurons besoin d'installer des bornes de recharge, notamment en zone rurale, par exemple avec les aires de covoiturage. Or les collectivités sont souvent à l'initiative de ces projets et les financent (directement ou indirectement), contrairement à ce qui se faisait dans le passé avec les stations-service, où les industriels contribuaient. Le modèle économique serait peut-être à revoir.

En ce qui concerne le CIR et la relocalisation, les Chinois ne sont pas prêts à nous rendre ce qu'ils nous ont pris... Pour autant, il ne faut pas être défaitistes. La réindustrialisation passe par la maîtrise d'un certain nombre d'opérations de R&D, mais aussi de production. J'insiste sur la question des données qui représente un enjeu énorme. Dans ce domaine, la souveraineté est fondamentale et il ne faudrait pas laisser la main à d'autres acteurs.

Mme Martine Berthet. - J'approuve entièrement les recommandations de nos rapporteurs.

S'agissant de la recommandation n° 12 sur les matériaux critiques, je me permets d'insister sur les difficultés actuelles de la filière de la fibre de verre, qui produit notamment pour la filière automobile, dont les usines ferment en Europe, à cause de la concurrence chinoise qui contourne les mesures européennes de protection.

En ce qui concerne les batteries, des appels à projets avaient été lancés par l'Union européenne, auxquels avait répondu Tokai Cobex, pour la production de carbone spécifique à ces batteries. Cette entreprise japonaise renonce finalement à ce projet, à cause de notre instabilité politique et du coût de l'énergie. Sur ce dernier sujet, EDF commence à avancer des propositions plus favorables aux industriels et plus conformes à leurs besoins, mais il faudrait trouver une solution pour redonner de la confiance aux investisseurs étrangers.

Pour ce qui est du recyclage des batteries, on observe également des difficultés : Ugitech essaie de mettre en place la filière Ugi'Ring sur un ancien site industriel, mais se heurte à la complexité des études environnementales, ce qui ralentit la mise en oeuvre de ce projet d'économie circulaire vertueux, ce qui est regrettable.

Enfin, s'agissant du maintien du CIR et des dispositifs relatifs à l'emploi des doctorants, le sujet avait également été mis en avant lors des travaux de la commission d'enquête sur les aides publiques aux entreprises.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Nous faisons le constat d'un naufrage, mais notre rapport n'a pas pour objet d'opposer l'électrique au thermique.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué Mobilians, que nous avons auditionné et qui sera destinataire de notre rapport, comme tous les organismes auditionnés.

D'autres collègues ont évoqué les carburants alternatifs, comme l'hydrogène : ces technologies ne peuvent pas être rapidement mises en oeuvre et les industriels sont assez frileux, même si la recherche continue. En revanche, le biogaz peut être intéressant pour les gros véhicules, d'autant qu'il est désormais possible de le liquéfier.

Mme Gacquerre a évoqué le problème des batteries. Nous sommes très loin derrière la Chine en termes de production et tous les composants de nos batteries sont chinois ! Nous sommes dépendants des matières premières, qui proviennent de Chine ou de la République démocratique du Congo. Pour l'instant, on ne sait pas non plus recycler les batteries...

Monsieur Jadot, votre position est trop caricaturale. Vous évoquez la nouvelle Renault 5 : son prix de vente est de 30 000 euros, c'est trop élevé pour des ménages modestes. Leapmotor est le seul constructeur qui vende des véhicules électriques à moins de 20 000 euros, mais ils sont fabriqués en Chine.

Quand nous sommes allés à Montbéliard, le responsable du site nous a dit qu'il était incapable de fabriquer des véhicules électriques...

M. Rémi Cardon, rapporteur. - ... de manière rentable, pour être précis !

M. Alain Cadec, rapporteur. - Et ce ne sont pas seulement les patrons qui nous le disent, les syndicats aussi !

Quand M. Jadot dit que, dans cinq ans, 50 % du parc automobile mondial sera électrique...

M. Yannick Jadot. - 50 % des ventes de véhicules neufs !

M. Alain Cadec, rapporteur. - ... j'ai du mal à y croire.

Nous partageons la nécessité de produire des véhicules plus petits et plus abordables.

Par ailleurs, le coût d'utilisation des véhicules électriques est peut-être moins élevé que celui des véhicules thermiques, mais il faut aussi traiter la problématique de l'installation des bornes de recharge, notamment dans les copropriétés, et dans le logement social.

M. Jadot a cité Carlos Tavares, mais son successeur, Antonio Filosa, demande de la flexibilité dans la réglementation, pour aller vers la décarbonation en maintenant l'activité industrielle.

M. Yannick Jadot. - Les constructeurs veulent avant tout éviter les pénalités sur les émissions de CO2 !

M. Alain Cadec, rapporteur. - Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut aller vers l'électrique, mais pas n'importe comment ! L'Europe et la Californie sont prêtes à s'équiper en voitures électriques, mais le reste du monde ?

M. Yannick Jadot. - Même l'Indonésie est en train de rattraper l'Europe sur le taux de pénétration !

M. Alain Cadec, rapporteur. - En Chine, les véhicules électriques circulent uniquement dans les zones urbaines. Dans la campagne chinoise, on circule avec des véhicules thermiques. Et l'électricité y est produite par des centrales à charbon...

Pour terminer, je rappelle que la filière automobile représente 850 000 emplois : 350 000 en amont, 450 000 en aval. On risque d'en perdre une grande partie, c'est insupportable ! S'il suffit de faire un petit effort en décalant l'échéance, on doit pouvoir le faire. Le chancelier Merz lui-même a d'ailleurs demandé hier au Conseil un tel assouplissement.

Mme Annick Jacquemet, rapporteure. - Lors des auditions, nous avons entendu un cri d'alarme de tous les acteurs, auquel nous ne pouvons pas rester insensibles. En ce qui concerne le report de l'échéance de 2035, nous demandons à la Commission d'agir « en accord avec les industriels », il faut examiner la capacité de l'ensemble des acteurs à répondre aux besoins du marché

Monsieur Jadot, quand la R5 est sortie dans les années 1970, son prix équivalait à six mois de salaire moyen ; le prix de la nouvelle R5 représente entre douze et dix-huit mois de salaire. Cette petite voiture n'est pas à la portée de toutes les bourses. En moyenne, les Français peuvent consacrer 15 000 euros à l'achat d'un véhicule d'occasion, et 25 000 euros pour un véhicule neuf. Or le prix des voitures a augmenté de 25 % entre 2020 et 2024 : on comprend que le marché soit atone.

Nous avons auditionné tous les constructeurs de batteries. Ils se trouvent dans la « vallée de la mort » : ils ont mis au point les techniques, mais il leur faut trouver les financements pour passer à l'industrialisation. Ils souhaiteraient pouvoir compter sur des financements européens, mais sauf exception, ceux-ci ne bénéficient qu'à l'innovation et aux nouveaux projets, pas ceux en phase d'industrialisation.

Notre recommandation n° 8 insiste sur la stabilité du cadre fiscal et des aides à l'achat, car effectivement, les entreprises ont besoin de stabilité. En cinq ans, les réglementations ont connu dix-sept changements.

Enfin, les batteries NMC sont recyclables à 90 %, voire 100 %. C'est pourquoi nous insistons sur le développement du recyclage, car la grande majorité de l'extraction et surtout du raffinage des métaux rares se fait pour le moment en Chine.

M. Rémi Cardon, rapporteur. - Comme l'a dit Yannick Jadot, c'est surtout la taxe « Cafe », sur les émissions de CO2, qui fait peur pour l'instant aux constructeurs. La date butoir de 2035 les préoccupe moins, parce qu'ils ont déjà investi massivement.

L'accessibilité des véhicules électriques en termes de coût est un enjeu majeur. Il faut une politique de demande bien plus offensive. Par exemple, le leasing social est réservé à des catégories très modestes, il relève davantage de la politique de communication que d'une vraie politique sociale. C'est un sujet qui devra être abordé lors de l'examen du projet de loi de finances.

Nous sommes à dix ans de l'échéance : il faut faire preuve de volontarisme plutôt que de céder à la fatalité, sinon notre retard de quinze ans va se creuser.

Je vous invite à lire notre rapport, car nos préconisations sont plus modérées que ce qui est parfois ressorti de nos échanges.

M. Yannick Jadot. - Avez-vous abordé la question des flottes d'entreprise ?

M. Alain Cadec, rapporteur. - Nous avons reçu les observations des gestionnaires de flotte et nous en avons tenu compte dans nos recommandations.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous propose d'adopter, par un vote global, le rapport d'information et ses dix-huit recommandations.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

Partager cette page