II. LE DÉPLOIEMENT DU PROGRAMME : APPROPRIATION ET DIFFÉRENCIATION TERRITORIALES
A. SUR LE TERRAIN, DES DIFFÉRENCES DÈS LE DÉMARRAGE : UNE MISE EN PLACE À PLUSIEURS VITESSES
Au-delà des outils communs mis au service du programme PVD à l'échelle nationale, la mission a pu relever sur le terrain que de grandes disparités se sont creusées dès le moment où les collectivités bénéficiaires ont été désignées.
C'est à dessein que les rapporteurs utilisent la métaphore cinétique d'une mise en place à plusieurs vitesses : ce vocabulaire a été largement employé dans les échanges avec, par exemple, le témoignage d'un élu de l'Oise qui a évoqué un « sérieux retard à l'allumage » pour sa commune, celui d'une élue du Var pour qui le programme « a pris un train de retard » dans sa collectivité... Cette mise en place différée a creusé ainsi, d'une commune PVD à l'autre, des écarts non résorbables. À titre d'exemple, un élu de l'Eure a décrit la manière dont il a « presque réussi à rattraper les deux ans de retard » pris lors de la mise en place du programme dans sa commune ; toutefois, il précise qu'en dépit de cette « accélération », le dispositif PVD « n'a pas eu le rendement initialement espéré ».
Plusieurs facteurs, parfois cumulatifs, sont à l'origine de ce démarrage plus ou moins rapide :
- des calendriers différenciés de démarrage du programme et de recrutement des chefs de projet. Ce calendrier est parfois tributaire d'un contexte politique compliqué entre la commune labellisée et son établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. En témoigne un élu rencontré par la mission : « le début a été très poussif, car [la communauté de communes] a piloté le dispositif de manière verticale. La procédure était très lourde, on s'est sentis dépossédés [du programme]. Si j'avais su le temps qu'on mettrait à démarrer, j'aurais été plus égoïste ! » ;
- des disparités territoriales dans la capacité à mobiliser les outils du programme : appels à projets, ORT, OPAH-RU..., notamment dans les territoires les moins dotés en ingénierie ou ceux où l'articulation entre commune et EPCI est la plus complexe sur le plan administratif.
Il ressort cependant que le principal facteur de cette différenciation, souvent à l'origine de tous les autres, est constitué par la difficulté de recrutement et de fidélisation du chef de projet. Dans de nombreuses communes lauréates, l'absence de chef de projet au démarrage du programme a entravé la structuration de la gouvernance locale, le dialogue avec l'ensemble des partenaires et la formalisation du projet de territoire. Cela a mécaniquement ralenti l'accès aux dispositifs d'accompagnement technique et financier.
En outre, la mission a fréquemment rencontré des élus PVD qui ont connu 3, voire 4 chefs de projets différents depuis le lancement du programme, avec à chaque fois des délais incompressibles liés au processus de recrutement, à la formation et à l'acculturation d'un chef de projet aux spécificités du territoire en question et à la montée en compétences de la nouvelle recrue. Un élu de l'Eure qui en était à son quatrième recrutement sur ce poste a déclaré à la mission : « si c'était à refaire, je compléterais le financement qui nous avait été alloué pour le poste de chef de projet » par la Banque des territoires.
Parmi les facteurs susceptibles d'expliquer cette forte mobilité des chefs de projet, la mission relève, outre le niveau de la rémunération proposée, qui correspond souvent au seul montant du financement de la Banque des territoires :
- la forte concurrence entre les collectivités PVD qui ont toutes cherché à recruter en même temps sur le même type de compétences, avec des territoires plus ou moins attractifs ;
- le profil très recherché d'un chef de projet qui soit à la fois polyvalent et technique : un élu de Côte-d'Or a indiqué que leur cheffe de projet était « tellement compétente qu'elle a vite été débauchée » par un autre employeur, un cas de figure relevé à plusieurs reprises lors des déplacements de la mission. Plusieurs chefs de projet varois ont confirmé que cette fonction constituait pour eux « une réelle opportunité professionnelle » et « un vrai plus sur un CV » ;
- le mauvais fonctionnement du binôme élu-chef de projet ;
- la lourdeur du poste pour certains profils peu expérimentés. Une cheffe de projet de l'Eure a ainsi déclaré à la mission : « le fait d'avoir un profil senior m'a aidée pour porter le programme. J'ai pu m'appuyer sur mes expériences professionnelles antérieures ; à l'inverse, j'ai vu des collègues plus jeunes être en grande difficulté ».
À l'échelle nationale, un taux de
vacance de 10 %
et un « turn-over non
quantifié »
Selon le point d'avancement du programme au 31 décembre 2024 établi par l'ANCT, le taux d'occupation des postes de chef de projet s'élevait alors à 90 %. L'ANCT, dans sa contribution écrite, a indiqué « ne pas avoir identifié un profil particulier de villes rencontrant des difficultés de recrutement, les éventuelles difficultés remontées relevant essentiellement de contextes très locaux » ; toutefois, ce dernier point ne concorde pas avec la teneur et l'ampleur des témoignages recueillis par la mission.
En ce qui concerne la forte mobilité au fil du programme, l'ANCT indique avoir « relevé un certain turn-over au cours de l'année 2023, au moment de la signature des conventions-cadres, phase particulière amenant une évolution nécessaire des missions du chef de projet pour passer dans l'opérationnel et le suivi des actions ». Ce turn-over, identifié comme un « signal d'alerte », n'a toutefois « pas été quantifié. »
Un autre élément d'explication de cette forte mobilité émerge des chiffres fournis par l'ANCT. En effet, ceux-ci mettent en lumière la précarité du statut de chef de projet : 75 % des postes correspondent à des CDD, dont 64 % pour une durée inférieure à 3 ans. L'Agence reconnaît ainsi « des difficultés constatées sur la gestion des contrats de chefs de projet, résultant notamment d'un manque de visibilité sur les conditions de la poursuite du programme ».
De manière générale, un point soulevé par l'ANCT qui paraît pertinent est de mettre en regard ces difficultés de recrutement sur les postes de chef de projet avec le contexte général de difficultés de recrutement d'agents publics territoriaux à l'échelle nationale.