EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 23 octobre 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Michel Canévet et Raphaël Daubet, rapporteurs spéciaux, sur la prise en compte des questions migratoires dans la politique de développement.

M. Claude Raynal, président. - Nous débutons nos travaux par la communication de nos collègues Raphaël Daubet et Michel Canévet, rapporteurs spéciaux, sur la prise en compte des questions migratoires dans la politique de développement.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - En tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Aide publique au développement » (APD), nous avons choisi, avec Michel Canévet, de mener un travail de contrôle sur la prise en compte des questions migratoires dans la politique de développement.

Le choix de notre contrôle repose sur deux constats.

D'une part, nous assistons, au sein des ministères et des administrations, sous l'effet également d'une préoccupation du public, à l'intensification de la réflexion sur l'efficacité de notre aide au développement et sur sa contribution au soutien de nos intérêts stratégiques. L'APD ne constitue pas seulement un outil de solidarité, elle est aussi un levier d'influence et de stabilité, qui porte la voix de la France et promeut nos valeurs à travers le monde.

D'autre part, notre politique de développement se trouve aujourd'hui contrainte par la dégradation de nos finances publiques. Qu'on le déplore ou non, la mission « Aide publique au développement » figure parmi celles qui ont été les plus sollicitées au cours des deux derniers exercices budgétaires, avec une baisse de près de 30 % de ses crédits en 2025. Dans ce contexte, il apparaît indispensable de mieux cibler les objectifs de cette politique.

Notre contrôle s'est articulé autour de trois questions principales : l'aide au développement exerce-t-elle un impact sur les migrations ? Peut-elle constituer un levier dans les négociations migratoires ? Enfin, quel est l'effort budgétaire réel consenti par la France dans ce domaine ?

S'agissant de la première question, la réponse demeure incertaine : la recherche académique n'offre pas de consensus clair sur les liens entre migration et développement.

Dans les années 1970, la théorie dite de la « bosse migratoire » postulait qu'une amélioration du niveau de développement entraînait d'abord une hausse, puis une baisse des flux migratoires. Cette théorie est aujourd'hui largement discutée. Toutefois, nous pouvons tirer trois enseignements de la littérature académique.

Tout d'abord, l'évolution des flux migratoires ne dépend pas seulement du niveau de vie ou de l'aide au développement. Elle s'explique également par d'autres facteurs, tels que la situation géographique du pays de départ, ses liens historiques et linguistiques avec le pays d'arrivée, son intégration régionale ou encore son niveau d'inégalités.

Ensuite, une APD mal ciblée peut renforcer l'immigration de manière transitoire, dès lors qu'elle favorise la croissance économique de certains territoires au détriment d'autres.

Enfin, les mobilités depuis les pays à revenus intermédiaires correspondent davantage à des mouvements réguliers, et la grande majorité des mobilités s'effectue dans une aire géographique restreinte - il s'agit, par exemple, de flux d'immigration dits « Sud-Sud ».

Je précise que le cadre fixé par l'OCDE revêt une importance particulière, dans la mesure où il garantit la crédibilité internationale de notre aide et la cohérence des efforts du pays donateur. Le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE a, en 2018, précisé les critères d'éligibilité des dépenses pouvant être qualifiées d'APD. Deux principes majeurs s'en dégagent : d'une part, les projets doivent avoir pour objectif principal le développement du pays bénéficiaire, et non la poursuite d'intérêts propres au pays donateur ; d'autre part, les activités relevant du domaine de la sécurité en sont exclues. Concrètement, un projet dont la finalité première serait de réduire les flux migratoires vers le pays donateur ne saurait être considéré comme de l'aide au développement.

Le respect de ce cadre est essentiel, car il protège à la fois l'intégrité et la légitimité de notre politique de développement.

J'en viens à notre deuxième interrogation : quel est l'effort de la France pour la prise en compte des questions migratoires dans la politique de développement ?

En premier lieu, la France, comme plusieurs partenaires européens, a engagé depuis 2015 une réflexion doctrinale dans le cadre du plan d'action conjoint de La Valette (PACV), qui identifie cinq champs d'action pour l'APD en matière migratoire.

Sur cette base, la France a construit un Plan d'action « Migrations internationales et développement » 2018-2022, qui fixait une feuille de route à notre politique de développement en matière migratoire et ambitionnait le déploiement de 1,8 milliard d'euros de crédits budgétaires.

En second lieu, entre 2017 et 2024, selon les données transmises par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), la France a engagé un effort budgétaire de près de 1 milliard d'euros sur la thématique migratoire. Nous sommes très loin de la cible de 1,8 milliard d'euros fixée par le plan d'action, mais il s'agit tout de même de montants significatifs.

Géographiquement, les crédits ont été principalement orientés vers le Proche et le Moyen-Orient et vers l'Afrique, qui ont respectivement bénéficié de 48 % et 38 % des enveloppes. Les principaux destinataires sont des pays à revenus intermédiaires, ce qui apparaît en décalage avec l'objectif d'allouer 60 % de notre APD aux pays les moins avancés.

Cette concentration s'explique par la géographie des flux migratoires, les pays à revenus intermédiaires constituant les principaux territoires de départ ou de transit. Elle soulève néanmoins une question de cohérence de notre politique : en privilégiant ces zones, nous risquons évidemment de détourner l'APD de sa vocation première, à savoir la lutte contre la pauvreté, au profit d'objectifs de stabilisation à court terme.

Cet équilibre entre solidarité et stratégie mérite donc d'être clarifié.

S'agissant de la répartition thématique de notre aide en matière migratoire entre 2017 et 2024, près de la moitié des financements relève du troisième pilier du PACV, consacré à la garantie des droits et à la protection des personnes déplacées. En revanche, seulement 7 % des financements ont été consacrés à la lutte contre le trafic de migrants et la traite, ainsi qu'à l'aide au retour. Pourtant, ce sont des domaines d'action que les précédents gouvernements avaient déclarés prioritaires pour lutter contre l'immigration irrégulière. Cette divergence entre les priorités affichées et les financements engagés traduit, là aussi, une difficulté de pilotage.

Les actions les plus sensibles restent marginales, alors même qu'elles conditionnent la crédibilité de notre politique migratoire. Il est donc nécessaire de mieux articuler les moyens budgétaires avec les objectifs stratégiques, afin de donner à ces priorités les ressources qu'elles méritent.

Au-delà de ces constats globaux, notre analyse a mis en évidence plusieurs points d'alerte relatifs à la cohérence et au suivi de ces financements.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Dans la continuité du propos de Raphaël Daubet, je présenterai une analyse critique de l'engagement budgétaire de la France dans la prise en compte des enjeux migratoires dans notre politique de développement.

En effet, nous avons identifié quatre points qui nous conduisent à qualifier le plan d'action 2018-2022 d'« acte manqué ».

Premièrement, comme souvent en matière d'aide publique au développement, de nombreux acteurs de cette politique sont impliqués. Cette fragmentation de l'action publique, qui s'explique par des échelles et des domaines d'action distincts, perturbe sa lisibilité. Elle conduit, de plus, à des difficultés de coordination, particulièrement entre le groupe AFD et Civipol, l'opérateur du ministère de l'intérieur.

Deuxièmement, en étudiant les données transmises par le MEAE, nous en avons tiré la conclusion que la progression des financements « migrations » découlait en réalité essentiellement de l'investissement important de la France en matière humanitaire. En effet, entre 2018 et 2024, les crédits de l'aide humanitaire ont été multipliés par plus de cinq. Or, si les actions humanitaires ainsi financées contribuent à limiter les déplacements de populations et à accompagner le retour des réfugiés vers les pays d'origine, le lien avec les enjeux migratoires demeure secondaire.

Troisièmement et en conséquence du point précédent, les projets financés en matière de migrations n'ont pas tous un lien direct avec les migrations. Nous avons observé un effet de « labellisation » a posteriori de ces projets par le MEAE. Le risque d'une telle comptabilisation est d'intégrer des projets qui n'ont pas été pensés en prenant en compte les enjeux migratoires.

Quatrièmement, le plan d'action « Migrations internationales et développement » 2018-2022 n'a fait l'objet ni d'un véritable pilotage ni d'une évaluation a posteriori. S'agissant du pilotage, les instances de concertation chargées du suivi de la mise en oeuvre de ce plan ne paraissent pas se réunir à intervalles réguliers, et leurs travaux n'ont vraisemblablement pas comporté de dimension opérationnelle. Concernant l'évaluation, aucun bilan du plan d'action n'a été opéré, contrairement à ce qui était prévu dans sa programmation initiale. Le ministère n'a pas jugé cette évaluation utile, en estimant que le plan était déjà obsolète, ce qui ne constitue pas, à nos yeux, une justification probante.

La nouvelle stratégie interministérielle « Migrations et développement » pour les années 2024 à 2030 devra nécessairement tirer les conséquences des errements des années passées. Nous identifions, pour cela, plusieurs pistes de réflexion.

Tout d'abord, il importe de clarifier l'objectif migratoire assigné à notre politique de développement. Actuellement, les ministères chargés de cette politique ne sont pas en mesure de définir précisément les enjeux migratoires concernés : s'agit-il de la lutte contre l'immigration irrégulière, visée par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid), ou d'une approche plus large des migrations, comme envisagée par la stratégie pluriannuelle ?

Ce calibrage a son importance. Si nous adoptons une vision trop restrictive de cet enjeu, concentrée sur la lutte contre l'immigration irrégulière, nous risquons de sortir du champ de l'aide publique au développement et d'entrer dans celui de la coopération sécuritaire. Si nous privilégions une conception trop large de la prise en compte des enjeux migratoires, le risque est de reproduire les erreurs passées et de « labelliser » des projets sans rapport direct avec les migrations.

Ensuite, il nous semble que le pilotage de notre politique de développement en matière migratoire doit être renforcé et intégrer une véritable dimension interministérielle. Au cours de nos auditions, les différentes parties prenantes nous ont présenté, non sans une certaine fierté, la nouvelle comitologie de la dimension migratoire de notre politique de développement. Nous avons cependant constaté qu'elle peinait à se concrétiser : une seule réunion du comité stratégique migrations (CSM) a eu lieu depuis 2023.

De plus, dans un contexte budgétaire contraint, il faudra être explicite sur le fait que cette priorisation impliquera une baisse des moyens consacrés aux autres thématiques. Faute de quoi, la multiplication des objectifs de la politique de développement ne pourra conduire qu'à la dilution de son impact.

Enfin, le Quai d'Orsay et nos opérateurs doivent adopter une démarche de suivi et d'évaluation. Il est indispensable que la nouvelle stratégie interministérielle fasse l'objet d'un bilan et d'un suivi en cours de gestion. En outre, les documents budgétaires devront être complétés pour identifier clairement les crédits budgétaires assignés à nos priorités thématiques.

J'aborderai ensuite notre troisième interrogation : l'APD peut-elle constituer un levier dans les négociations migratoires avec les pays bénéficiaires ?

Cette question rejoint celle de la conditionnalité de l'APD en matière migratoire, soit la possibilité de suspendre notre aide dès lors que le niveau de coopération avec les pays bénéficiaires ne paraît plus satisfaisant.

Une conditionnalité stricte présente cependant des limites : elle risquerait de sortir cette aide de la qualification d'aide publique au développement ; l'interruption de projets en cours soulève des risques juridiques pour nos opérateurs ; et une stricte conditionnalité présente un risque politique et réputationnel non négligeable.

Toutefois, sans adopter une démarche trop restrictive, il nous paraît nécessaire d'envisager, en matière migratoire, une approche plus partenariale, plus transactionnelle, de notre APD qui devrait nous conduire à adapter notre niveau d'aide au degré de coopération de nos partenaires. Une telle approche nous permettrait d'assurer la préservation de nos intérêts, tout en maintenant l'objectif prioritaire de notre aide, à savoir le développement des pays bénéficiaires.

Pour conclure, nous proposons, à l'issue de nos travaux, dix recommandations pour répondre aux deux grands enjeux que j'ai évoqués au cours de mon propos : le bon déploiement de la nouvelle stratégie pluriannuelle, d'une part, et une nouvelle approche partenariale et globalisante dans nos relations bilatérales avec les pays bénéficiaires, d'autre part.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il arrive que certains sujets, faute d'efficacité mesurée, d'intérêt réel ou d'évaluations approfondies des mesures, donnent lieu à beaucoup de débats. C'est vrai pour l'écologie, l'aide au développement ou les questions migratoires. Vous faites oeuvre de pédagogie, car vos éclairages permettent de clarifier les enjeux, de poser les limites.

Je note avec intérêt le flou dans l'appréciation budgétaire et l'efficacité de ces politiques. Comme vous le soulignez, alors que l'on souhaite coopérer et articuler les politiques, recourir à l'interministériel pour avoir une approche consolidée, la mise en oeuvre des mesures est quasiment existante. C'est dramatique pour de tels sujets, qui restent très méconnus.

Ne pourrait-on pas imaginer un outil ou un temps d'échange annuel pour rappeler à chacun ses responsabilités collectives, afin de s'assurer que le travail soit réalisé concrètement, plutôt que de continuer à discourir dans le vide ? Est-ce une piste qui pourrait être explorée et mise en oeuvre ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je remercie les rapporteurs spéciaux pour leur travail, qui permet de mieux comprendre la situation. Ce sujet est extrêmement délicat et polémique, et il peut être traité de deux façons : soit sur le plan politique, avec des exagérations et des globalisations utilisées comme argument politique pour « surfer sur la vague », soit sur le plan technique, comme vous le faites ici. On comprend alors que l'évolution chaotique des choses peut s'expliquer par la multiplication des comités et l'interministériel, qui ralentit les décisions. Je note, à titre d'exemple, la dernière polémique concernant les étudiants algériens et la communication de l'ambassade de France sur leur nombre.

Je crains que les recommandations ne soient que des voeux pieux, mais elles présentent le mérite de montrer la complexité de la question, a fortiori dans un contexte interministériel. Ne serait-il pas utile de les orienter davantage pour éviter cette espèce de « foire à tout » ?

Mme Nathalie Goulet. - À mon tour de remercier les rapporteurs spéciaux d'avoir identifié un sujet de niche dans leur mission qui, comme les autres sujets, manque de pilotage et de contrôle, ce qui illustre une certaine cohérence, pourrais-je dire...

Je n'ai pas saisi le sens de la comitologie ; à ce propos, je suggère que le prochain rapport sur les organes multiples, variés et souvent inutiles, reprenne ce terme.

En tant que citoyenne, je suis très préoccupée par ce que j'ai entendu, notamment l'absence de dimension de sécurité dans les programmes.

Ayant beaucoup travaillé sur l'Afrique de l'Ouest, j'ai constaté que l'Agence française de développement tentait de coordonner des programmes pour sécuriser les états civils, essentiels au développement local et à la sécurité régionale, alors que, dans plusieurs pays de la région, ces états civils sont défaillants. Comment expliquer que cette dimension soit totalement exclue ? Même lorsque les évaluations sont inexistantes ou insuffisantes, ne peut-on pas introduire des obligations de résultat et un meilleur encadrement des agences impliquées ? Avec tous les dysfonctionnements actuels, il est temps de responsabiliser toutes ces agences !

M. Victorin Lurel. - Quelle est la politique transactionnelle ? Qu'implique-t-elle véritablement ? Des accords de réadmission sont conclus dans les territoires ultramarins, souvent en secret. J'ai écrit plusieurs fois, sans obtenir les éléments demandés. En Guadeloupe et à la Martinique, la coopération avec des voisins comme la Dominique ou Sainte-Lucie se fait par accords bilatéraux, de même qu'en Guyane avec ses pays frontaliers. Pourtant, ces États refusent de signer des conventions sur la sécurité, la présence d'officiers et de magistrats de liaison, la délimitation des zones territoriales ou les conventions de pêche avec l'Europe. Des Dominiquais peuvent néanmoins séjourner jusqu'à 180 jours par an en Guadeloupe, en effectuant plusieurs séjours courts cumulés, sans que l'on dispose de bilan précis.

Comment intégrer les outre-mer dans cette politique et contrôler ces flux continus, à Haïti, en Guyane, à la Martinique, à la Guadeloupe, alors que les préfectures, transformées en bunkers, ne peuvent plus rendre le service public attendu ?

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Comme l'évoquait le rapporteur général, il faut suivre ce sujet de façon continue et régulière pour vérifier que nos recommandations seront effectivement suivies d'effets. Il est essentiel que l'action de l'État soit coordonnée. M. Hugonet a montré que ce sujet avait de larges conséquences, touchant l'éducation nationale, l'enseignement supérieur et la recherche, les outre-mer, l'intérieur, l'Europe ou encore les affaires étrangères. Le fonctionnement en silo perdure, d'où la nécessité de travailler selon des orientations communes. Nous avons veillé à garder une approche technique du sujet.

S'agissant de la coordination, un ambassadeur chargé des migrations au MEAE est censé piloter le dossier, mais vous avez raison, madame Goulet, la comitologie est impressionnante et nécessite une simplification.

Sur l'état civil, nous préconisons, dans notre recommandation n° 5, un accompagnement technique par Civipol et Expertise France, qui dépend désormais du groupe AFD. C'est un préalable pour identifier les populations et permettre aux pays d'Afrique de mieux gérer leurs flux.

Monsieur Lurel, notre recommandation n° 1 souligne l'absolue nécessité de prendre en compte la spécificité des outre-mer. L'immigration y est trop importante et complique la mise en oeuvre des politiques ultramarines. À Mayotte, par exemple, la reconstruction suppose au préalable la maîtrise des arrivées sur le territoire. Il faut également rester attentif à Madagascar, dont la situation pourrait avoir des répercussions sur nos territoires de l'océan Indien.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - Je compléterai la réponse à l'intervention de M. le rapporteur général, qui souligne le flou qui touche à la fois au budget, à la gouvernance, voire aux objectifs eux-mêmes de l'aide publique au développement, laquelle est percutée par d'autres politiques, notamment l'approche sécuritaire, qui n'en relève pas.

L'aide au développement, qui obéit à des définitions très précises, demeure une politique publique internationale et n'intègre pas la dimension sécuritaire relevant du ministère de l'intérieur.

Nous assistons depuis quelques années à une refonte très profonde de la définition de l'aide publique au développement. Les réflexions menées sur le lien entre migration et développement sont anciennes, mais cette évolution s'est accélérée depuis le sommet de La Valette en 2015, à l'occasion du conflit syrien.

En 2023, le Gouvernement a choisi de modifier profondément la doctrine et les objectifs de notre APD. Cette politique publique est aujourd'hui frappée par une réduction de nos capacités d'action, en raison des enjeux budgétaires, mais aussi par un bouleversement très profond de son paradigme, sous l'influence du comportement des autres puissances mondiales et de la question migratoire, qui devient particulièrement prégnante, notamment dans les outre-mer.

Ce changement profond peut donner le sentiment d'une « foire à tout », pour reprendre l'expression de Jean-Raymond Hugonet, parce que ni les objectifs, ni la gouvernance, ni l'approche de ces différentes dimensions ne sont encore clairement définis. Ainsi, la question ultramarine, pourtant essentielle, n'apparaît pas dans notre plan d'action.

Je citerai l'exemple des Comores, où deux piliers se complètent : la coopération sécuritaire, notamment en ce qui concerne les garde-côtes, qui apporte des résultats, et l'aide au développement. Les 260 millions d'euros investis visent à tarir les causes profondes des migrations et constituent, selon l'ambassadeur, une contrepartie politique qui facilite considérablement les réadmissions. Des résultats importants ont été obtenus dans le recrutement et la formation de magistrats, l'argent de la diaspora revient, des écoles sont construites. Une filière de matériaux de construction locale a même été développée pour produire des briques de terre.

Il s'agit d'une approche de solidarité qui vient compléter la dimension sécuritaire, portée par ailleurs.

Quant à la politique transactionnelle qu'évoquait M. Lurel, il convient peut-être de la nommer autrement, car le terme peut paraître trivial. Il s'agit en réalité de s'opposer à la politique de guichet - autre caricature, mais qui est éloquente.

Cette politique transactionnelle est une politique d'engagement réciproque entre le pays donateur et le pays bénéficiaire, qui permet un dialogue de gestion renforcé entre les États, sans négliger les intérêts de la France dans la manière de délivrer l'APD, ce que certains nomment le « more for more », avec une priorisation des pays les plus coopératifs.

Cela peut interroger au regard des exigences de la lutte contre la pauvreté, qui est d'abord une politique de solidarité désintéressée, mais cette réorientation de notre APD apparaît aujourd'hui absolument incontournable.

Enfin, s'agissant du volet multilatéral, cette redéfinition de la doctrine, de la gouvernance et des crédits budgétaires touche également au choix de privilégier l'aide bilatérale ou multilatérale. Pour ce qui concerne cette dernière, l'Europe a mis en place des partenariats stratégiques globaux qui, en intégrant toutes les dimensions de nos politiques, permettent certainement d'obtenir des résultats plus efficaces.

M. Victorin Lurel. - Plus on aide les gens, plus ils partent ! La politique transactionnelle, est plutôt bilatérale que multilatérale ; défendre ses intérêts, c'est plutôt traiter en bilatéral. Dès lors, la dimension multilatérale s'efface quelque peu...

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - Les partenariats stratégiques globaux européens n'en constituent pas moins une manière transactionnelle d'aborder la question, bien qu'à une autre échelle, et cette approche peut se déployer dans les deux dimensions.

M. Victorin Lurel. - Quelle est aujourd'hui la liste des pays clés, que nous considérons comme prioritaires ?

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - Officiellement, la priorité est accordée aux pays les moins avancés et vulnérables, mais la doctrine conduit en réalité à privilégier les pays à revenus intermédiaires, que concerne la question migratoire. En parallèle de la cible de concentration de l'aide sur les pays les moins avancés et vulnérables, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a défini une liste de quinze pays prioritaires en matière migratoire. Il importe de résoudre cette contradiction par une redéfinition d'ensemble, sans quoi nous risquons de faire n'importe quoi.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorisé la publication de leurs communications sous la forme d'un rapport d'information.

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