N° 96

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 octobre 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la filière viticole,

Par MM. Daniel LAURENT, Henri CABANEL et Sebastien PLA,

Sénateurs












(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Vincent Louault, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; Mmes Martine Berthet, Marie-Pierre Bessin-Guérin, MM. Yves Bleunven, Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché, MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Pierre Cuypers, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Mmes Amel Gacquerre, Marie-Lise Housseau, Brigitte Hybert, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Gérard Lahellec, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot.

AVANT-PROPOS

Pendant longtemps, la viticulture a ronronné.

Une production abondante, globalement de qualité.

Une demande importante, au pays du vin.

Des vignobles fleurons, très organisés, véritables étendards à travers le monde de la culture, de l'histoire et du savoir-faire français.

Un prestige inégalé.

Une contribution à la balance commerciale de la France décisive.

Des crises récurrentes, certes, mais toujours surmontées, souvent à grand renfort d'argent public.

Dans de telles conditions, pourquoi se remettre en question : le producteur fait ce qu'il sait faire, c'est-à-dire produire, et la demande suivra. Le négociant regarde les cours du vin pour acheter au bon moment, ou bien franchit la frontière pour faire ses affaires.

Cette époque est révolue. Désormais, une bouteille d'huile d'olive se vend plus cher que certains vins sous appellation. Dans certains vignobles, des viticulteurs sont à bout, jusqu'à, pour certains, commettre l'irréparable.

Comment en est-on arrivé là ?

Les causes sont multiples, analysées dans ce rapport, mais finalement connues de tous.

La filière pouvait-elle prévoir la succession de chocs mondiaux qu'ont constituée la crise du Covid, l'agression russe, la saga des droits de douane chinois et américains ? De toute évidence non, elle a, comme de nombreux secteurs économiques, dû composer avec un environnement international dégradé et s'est retrouvée injustement prise pour cible dans des conflits qui ne la concernait pas.

En revanche, la filière pouvait prévoir l'évolution lente, mais constante de la demande, des mentalités, des habitudes de consommations, ce qu'elle n'a qu'imparfaitement fait.

Des décennies de montée en gamme, à tel point que pratiquement l'entièreté de la viticulture française est désormais sous signe de qualité, et pourtant, un consommateur lambda, lorsque celui-ci achète encore du vin, connaît-il la différence entre une AOP et une IGP ? A-t-il la moindre idée de la hiérarchie fine existant au sein même des AOP ? Lorsque toute une filière est sous signe de qualité, alors, en un sens, l'est-elle encore aux yeux du consommateur ?

23 ans après la publication du rapport sur l'avenir de la viticulture du sénateur Gérard César, qui, déjà alors, soulignait des tendances qui se confirment aujourd'hui, et formulait des propositions dont certaines sont reprises dans ce rapport, les rapporteurs de cette nouvelle mission d'information sur l'avenir de la viticulture ont une conviction : la filière a toutes les armes pour repartir de l'avant, et sortir d'une crise profonde, qui ne fera que s'aggraver si rien n'est fait.

Aussi, la principale recommandation du présent rapport consiste en l'organisation, au premier trimestre 2026, d'assises de la viticulture, pilotées au plus haut niveau par la ministre de l'agriculture, et incluant l'ensemble des parties prenantes de l'écosystème viticole. Ces assises pourront prendre appui sur les travaux du plan de filière, actuellement au point mort.

Pour que ces assises de la viticulture constituent un véritable tournant pour la filière, les rapporteurs proposent qu'elles s'organisent autour d'un pacte entre l'amont et l'aval de la filière.

Dans trop de vignobles en effet, les deux familles ne se parlent pas, ne se comprennent pas, ne s'accordent pas sur une stratégie commune.

Pourquoi continuer à produire en masse des vins dont le maillon distribution explique depuis des années qu'ils ne correspondent plus à l'état de la demande ? Pourquoi, côté aval, acheter parfois des productions à vil prix, alimentant des offres commerciales indignes en supermarché, ou importer du vin de l'étranger alors que la production a plus que jamais besoin de soutien ?

Quel avenir pour les coopératives viticoles nées de l'intuition ancienne de viticulteurs pionniers qu'à plusieurs on est plus forts que seul ?

Ce pacte devra reposer sur deux évolutions majeures. Les rapporteurs proposent ainsi d'ouvrir, par expérimentation, les organismes de défense et de gestion à l'aval de la filière, pour que celui-ci puisse avoir voix au chapitre quant aux orientations de production choisies.

L'effort demandé à la production est considérable, tant l'histoire des ODG est ancienne. Cet effort ne saurait être unilatéral.

C'est pourquoi les rapporteurs proposent que cette évolution majeure soit conditionnée à un engagement formel, contrôlable et contrôlé par l'État, aux moyens d'indicateurs clairs, publics et transparents, d'un développement massif de la contractualisation dans les bassins de production qui en expriment le besoin.

En outre, les rapporteurs proposent que toute nouvelle aide à la distillation ou à l'arrachage soit conditionnée à la réussite de ces assises, et donc à l'entente entre l'amont et l'aval.

Ces assises de la viticulture devront être le lieu où chacun est mis devant ses responsabilités.

Les banques sont-elles prêtes à soutenir davantage la viticulture et accepter un surcroît de risque ?

Les grandes enseignes sont-elles prêtes à entamer une réflexion sur la redynamisation des ventes et sur certaines politiques tarifaires qui, parfois, interrogent ?

L'hôtellerie-restauration est-elle prête à modifier une politique tarifaire éloignant trop souvent le consommateur du vin à table ?

L'État est-il prêt, une fois encore, à apporter un indispensable soutien financier pour permettre à la filière de restructurer sa production ?

L'administration poursuivra-t-elle et amplifiera-t-elle l'urgent chantier de la simplification administrative ?

Ces assises de la viticulture doivent être un point de départ d'un nouvel acte de la viticulture française, qui n'oublie pas son héritage, mais au contraire le valorise davantage, qui prend conscience que produire n'est pas une finalité en soi, et qui, enfin, fait le pari de la confiance plutôt que la défiance entre chacun de ses maillons.

Les parlementaires intéressés aux questions viticoles peuvent, et veulent s'engager aux côtés de la filière. L'État et les administrations peuvent, et doivent soutenir ses acteurs. Les institutions européennes peuvent et doivent adapter la législation communautaire. Mais finalement, chacun le sait, les réponses ne pourront venir de la filière et de sa capacité à dépasser ses désaccords souvent légitimes, au service d'une ambition commune.

Tel est le voeu que formulent les rapporteurs de la mission d'information sur l'avenir de la viticulture, tous trois viticulteurs de métier, viscéralement attachés à la culture de la vigne.

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