EXAMEN EN COMMISSION
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons maintenant un rapport très intéressant sur l'avenir de la filière viticole, et qui contient des propositions décoiffantes.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Merci, madame la présidente, d'avoir confié ce rapport à trois viticulteurs de métier. Nous avons procédé à une cinquantaine d'auditions et rencontré environ 130 personnes, en présentiel et en visioconférence. Nous sommes allés, par ce dernier moyen, en Chine, aux États-Unis, en Italie, en Espagne et en Belgique - pour rencontrer la Commission européenne. Nous avons effectué des déplacements dans nos territoires, en Bourgogne, à Bordeaux, dans l'Hérault, dans l'Aude - où nous avons constaté les effets dramatiques de l'incendie de cet été. Nous sommes allés jusqu'à Cucugnan où nous avons prié le curé pour qu'il aide la viticulture ! Nous avons vécu de bons moments : le vin, c'est la convivialité !
Notre but n'était pas de publier un rapport supplémentaire. Le dernier rapport de l'Assemblée nationale était axé sur les stratégies de marché des filières viticoles. Nous, nous avons voulu écrire un rapport qui traite du sujet de façon plus globale, qui aille au fond des problèmes, qui dise véritablement les choses, en mettant les viticulteurs et la filière viticole devant leurs responsabilités. C'est pourquoi nous avons émis 23 recommandations dont certaines peuvent être qualifiées de « décoiffantes ».
« Souvent considérée comme le fleuron de l'agriculture française, notre viticulture est aujourd'hui confrontée à des évolutions qui semblent mettre en cause ses fondements. Depuis deux ans, un certain nombre de clignotants sont au rouge. Les exportations diminuent, les parts de marché des vins français sur les marchés extérieurs s'érodent, alors que, parallèlement, la consommation domestique continue de baisser. La situation du secteur s'en ressent, la mévente entraînant un gonflement des stocks, une baisse des cours et rendant nécessaire le recours à trois distillations de crise successives. »
Ces mots sont ceux de notre ancien collègue Gérard César, dans l'introduction de son rapport, il y a 23 ans, sur l'avenir de la viticulture. Notre rapport souligne des éléments similaires.
Comment se fait-il qu'au supermarché, l'huile d'olive coûte plus cher qu'une bonne partie des bouteilles de vin ? Pourtant, notre filière vitivinicole est une filière d'excellence : pris dans une acception large, elle soutient directement ou indirectement 450 000 emplois ; elle produit une valeur ajoutée de 32 milliards d'euros et génère 6,4 milliards d'euros de recettes fiscales.
Cette filière est complexe du fait de sa longue histoire : pour la seule filière vin, on dénombre 236 organismes de défense et de gestion (ODG), qui gèrent 442 appellations d'origine protégée (AOP) et indications géographiques protégées (IGP). On y dénombre pas moins de 23 interprofessions, quand la vaste filière des fruits, légumes et production végétales spécialisées n'en compte que 10.
Néanmoins, soulignons les chiffres flatteurs de cette belle et complexe filière : 3 % d'occupation de la surface agricole utilisée (SAU) génèrent plus de 15 milliards d'euros de valeur et 16 % de la valeur totale de la production agricole du pays. Contrôlant 17 % des parts de marché mondial, notre filière vins et spiritueux dégage en 2023 un excédent à l'export de 14,7 milliards d'euros, en faisant la troisième contributrice de la balance commerciale. C'est l'équivalent de 49 Airbus A380 !
Toutefois, la filière fait face, depuis plusieurs années, à de nombreuses crises : une crise de la consommation, une crise conjoncturelle liée aux aléas internationaux, une crise structurelle et une crise climatique.
La consommation est passée de 135 litres par habitant et par an en 1960 à 41 litres en 2023 et elle continue de décroître annuellement. Cette consommation plus raisonnée n'est naturellement pas une mauvaise chose pour la santé publique, mais cette évolution va bien au-delà : nous sommes au bord d'une rupture culturelle. Les non-consommateurs et consommateurs très occasionnels représentent plus du tiers de la population. Ce constat vaut particulièrement chez les plus jeunes.
Cette crise du vin touche surtout le vin rouge. Il est tout à fait notable qu'en 2023, pour la première fois, la production de vin blanc soit devenue majoritaire. L'évolution des goûts est bien là : préférence pour les vins légers, frais, pour les boissons peu voire non alcoolisées, succès de la bière qui a su miser sur des unités de fabrication ultra-locales.
On constate en outre une véritable rupture générationnelle, due, bien souvent, à l'absence de transmission des codes du vin, ce qui contribue à dissuader tout un public de se tourner vers une boisson trop souvent considérée comme élitiste.
En conséquence, la viticulture française arrache, notamment dans le Bordelais et en Occitanie, tant et si bien que notre surface de 780 000 hectares en 2023 passera probablement sous la barre des 700 000 hectares ces prochaines années.
À cette première crise, de temps long, s'ajoute une crise que la viticulture n'aurait su prévoir : l'attrition de deux de ses principaux marchés, la Chine et les États-Unis.
En Chine, le marché s'est violemment refermé en raison de problématiques socio-économiques internes affectant lourdement les importations de vin. En parallèle, un différend commercial avec l'Union européenne a conduit le pays à imposer des droits de douane provisoires à la filière spiritueuse, puis, récemment, dans le cadre d'un accord imparfait, à instaurer un régime de prix minimum.
Aux États-Unis, la filière chiffrait déjà à 560 M€ les pertes liées au premier mandat du président américain et le second est marqué par l'imposition de 15 % de droits de douane aux importations européennes, sans parler d'un taux de change particulièrement défavorable, renchérissant d'environ 10 % le prix des vins vendus.
Enfin, à ces chocs commerciaux majeurs, il convient d'ajouter la crise climatique, qui frappe durement une filière déjà éprouvée. Tout le monde a en mémoire le terrible incendie des Corbières, dans une zone où les viticulteurs enchaînent les aléas climatiques d'année en année.
Les aléas entraînent des fluctuations majeures de la production, mettant à risque la viticulture et contribuant à affaiblir le taux de couverture assurantielle en raison de la problématique de la moyenne olympique. En conséquence, la filière voit ses indicateurs économiques plonger. État des stocks, rémunération, résultats d'entreprises : les signaux sont au rouge.
Face à ce constat, nous proposons 23 recommandations dont je vous livre la principale : l'organisation par la ministre de l'agriculture, Annie Genevard, d'assises de la viticulture française au premier semestre 2026. En effet, nous montrons dans le rapport que si la filière souhaite sortir la tête de l'eau, elle doit absolument nouer un pacte de confiance entre ses composantes amont et aval, c'est-à-dire entre les producteurs et les négociants. C'est toute la filière, dans son ensemble, qui a son destin entre ses mains.
Ces assises de la vitiviniculture devront être le lieu des compromis mutuels. Il faut faire intervenir davantage le négoce dans la production, en levant, sous forme d'expérimentation, le verrou législatif l'empêchant d'intégrer des ODG en échange d'un engagement formel du négoce, contrôlable et contrôlé par l'État, à développer sans délai les leviers de sécurisation du revenu de l'amont. Ces leviers existent. Mes collègues vont vous en parler.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Avec mes deux corapporteurs, nous avons réalisé un travail important, à la fois au Sénat et sur le terrain. Nous avons souhaité que cette mission soit la plus large possible, et après près de 58 heures passées à entendre les acteurs de la filière, après nos déplacements dans l'Aude, l'Hérault, le Bordelais et en Bourgogne, nous nous sommes forgé la conviction que pour sortir de l'ornière, il nous faut une stratégie. Vous m'entendez depuis toujours répéter dans l'hémicycle que sans stratégie nationale, la filière va dans le mur, car les enjeux sont multiples. Sur le terrain, nous avons noté l'hétérogénéité des exploitations, qu'elles soient individuelles ou coopératives. Celles qui ont compris les enjeux et élaboré des stratégies s'en sortent mieux que les autres.
Nous nous sommes montrés prudents sur la question brûlante de l'arrachage. Pourquoi arracher ? Pour réduire encore et toujours notre potentiel productif et laisser nos parts de marché se faire irrémédiablement grignoter par des acteurs ayant une stratégie de conquête bien en place ? Cette réflexion est aussi valable pour les dispositifs, très coûteux, de financement de distillation de crise. Allons-nous demander 100 M€ tous les deux ans pour distiller des surplus invendables car déconnectés des attentes du marché ? Je rappelle que les soutiens financiers de crise à la viticulture s'élèvent, depuis 2015, à plus d'un milliard d'euros. Nous proposons de conditionner les futures aides à la distillation à une analyse du positionnement de l'opérateur et de ses débouchés. Le cas échéant, si cela s'avère effectivement indispensable, l'aide à la distillation doit s'accompagner d'une obligation d'arrachage temporaire ou permanent.
Cependant, nous montrons, dans le rapport, que bien d'autres outils existent, à la main des ODG, mais aussi des interprofessions, en lien avec les pouvoirs publics. Le premier instrument, et non des moindres, est constitué par les aides de l'Union européenne ouvertes dans le plan stratégique national (PSN). La viticulture dispose d'un budget annuel d'environ 270 M€, qu'elle ventile en cinq mesures d'aide à finalités différentes. L'une d'elles est l'aide à la restructuration et à la conversion du vignoble, plus couramment appelée « aide à la plantation ». Nous proposons de donner une véritable direction à ces aides en ne rendant éligibles que les plans collectifs, qui témoignent donc d'une stratégie collective pour répondre à une demande. Nous proposons en outre d'instaurer une bonification pour les stratégies collectives incluant la plantation de variétés résistantes aux maladies et au changement climatique, car il s'agit là d'un levier fondamental dans un contexte de retraits brutaux d'autorisation de produits phytopharmaceutiques pour les viticulteurs, en conventionnel comme en bio.
Les ODG ont d'autres outils à leur disposition, dont la mise en place de volumes complémentaires individuels (VCI) pour lisser la variabilité interannuelle des volumes produits, par la mise en réserve d'un pourcentage de la récolte d'une année. Mentionnons aussi les autorisations de plantation, qui peuvent être limitées au niveau régional, en lien avec les ODG. La durée de vie des droits à la plantation devrait être portée à huit ans dans le cadre du paquet « vin » actuellement en cours d'adoption à Bruxelles, ce qui permettra par exemple de réaliser de l'arrachage temporaire.
Enfin, nous recommandons dans ce rapport de mettre en oeuvre, en sus d'une régulation de la production, une régulation de la commercialisation. Cette régulation est rendue possible par le droit de l'Union européenne et est déjà appliquée depuis fort longtemps en Champagne ou en Charente, mais aussi depuis peu en IGP Pays d'Oc. Elle a, premièrement, le mérite de mettre les deux familles, production et négoce, autour de la table. Elle permet ensuite, en cas d'accord sur le diagnostic et la stratégie, de déterminer pour chaque exploitation un besoin individuel de commercialisation, accompagné d'un système de réserve, parfois surnommé « réserve climatique ». Si l'exploitant souhaite commercialiser davantage de volumes, il devra justifier de l'existence d'un débouché. Ainsi, nous évitons d'inonder un marché de volumes invendables et, par conséquent, de tirer les prix vers le bas. Nous recommandons à chaque interprofession de se saisir de cet outil très puissant de régulation, mais aussi de coopération.
Le paquet Vin contient lui aussi tout une boîte à outils pour mieux réguler la filière, et notamment la possibilité de fixer la délivrance d'autorisations de plantations nouvelles à 0 % dans certaines zones en tension.
Enfin, dans ce rapport, nous constatons que le fait que 95 % de notre viticulture soit sous signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine (Siqo) ne nous a pas empêchés de perdre nos clients et de ne pas convaincre les jeunes consommateurs de boire du vin, pour la simple raison que la connaissance des appellations est très limitée en dehors des spécialistes.
Nous recommandons un choc de communication par la mise en commun d'une fraction du budget des interprofessions dans le but de communiquer sur la marque France. Certains de nos voisins communiquent sur la marque nationale, comme l'Italie, et en bénéficient pleinement.
Nous plaidons en outre pour revenir sur l'abandon de l'entrée de gamme et développer, dans les territoires qui s'y prêtent, une viticulture mécanisée capable d'alimenter certains marchés comme celui des vins d'apéritif ou des vins mousseux issus de fermentation en cuve close, actuellement pourvus par l'étranger. Cela nécessite, encore une fois, l'engagement des deux parties et donc des contrats pluriannuels.
Enfin, cet effort sur la demande doit se traduire par l'augmentation des aides à la promotion dans les pays tiers, financées par la baisse de certaines aides non essentielles en matière d'investissement.
Il s'agit là d'un effort global : communication, investissement et logique partenariale afin de réussir à pérenniser la filière.
M. Sebastien Pla, rapporteur. - J'invite chacun à lire ce rapport qui contient nombre de données actualisées sur une filière peu documentée jusqu'à présent.
Nous avons besoin d'orienter nos efforts vers la demande pour produire ce que l'on est capable de commercialiser. Cela implique des efforts de l'amont viticole qui ne sauraient se faire sans contrepartie. En effet, le corollaire d'une attention plus marquée à la demande est la sécurisation du revenu du producteur.
Les outils existent, mais il convient d'accepter de se mettre autour de la table, de s'écouter et de partager les mêmes stratégies.
Nous recommandons tout d'abord que les interprofessions publient enfin les indicateurs de coûts de production prévus par les lois Égalim. Il est certes difficile de définir les coûts en viticulture tant celle-ci est hétérogène selon les terroirs et les modes de culture, mais ce n'est pas impossible. Des exemples existent.
Nous recommandons ensuite de mettre en oeuvre des accords de durabilité prévus par le droit de l'Union européenne qui permettent aux interprofessions ou, en cas de désaccord, aux producteurs, de publier des prix d'orientation, outils décisifs de cette construction des prix en marche avant dont nous avons tant besoin pour mieux définir le partage de la valeur.
En outre, nous nous interrogeons : pourquoi la viticulture n'a-t-elle pas d'organisations de producteurs, alors que le droit européen permet qu'elles négocient des contrats pour le compte de leurs membres ? Nous demandons donc au Gouvernement la publication du décret permettant la reconnaissance de ces organisations de producteurs dans le champ viticole.
Enfin, nous ne pouvions parler de revenu sans mentionner la situation difficile de nos coopératives viticoles, qui assurent tout de même 40 % de la production nationale, et même 68 % des volumes produits en IGP. Les caves coopératives sont des amortisseurs sociaux indispensables dans nos territoires. Elles ne fonctionnent pas du tout de la même manière que les grosses caves nationales. Leur modèle traditionnel, fondé sur de la vente en vrac et des petites unités, parfois en concurrence dans un périmètre très réduit, est totalement mis à mal par les évolutions de la demande évoquées par Daniel Laurent. Les coopératives doivent urgemment, là encore, adopter une vision stratégique, se regrouper, se restructurer. Elles le font déjà, mais ont besoin d'un accompagnement conjoncturel fort. Aussi, nous demandons au Gouvernement, à l'issue de la publication du rapport sur la situation des coopératives qu'il a commandé, d'honorer son engagement pris devant nous en loi de finances pour 2025 : dédier 10 M€ au soutien aux coopératives viticoles.
Cette crise risque, une fois encore, dans de nombreux territoires, d'entraîner de la déprise. S'il n'est pas facile de s'installer en agriculture, cela l'est d'autant moins lorsque votre secteur d'activité est en crise. Nous recommandons ainsi de rapidement donner vie à l'aide au passage de relais figurant dans la loi d'orientation agricole.
Si sécuriser le revenu de l'amont viticole est une impérieuse nécessité, notre rapport souligne aussi le besoin de simplification et de stabilité des normes frappant la viticulture. Aussi, nous invitons l'administration à enfin mettre en oeuvre ce principe du « dites-le nous une fois » demandé par la viticulture. En 2024, avaient été recensés pas moins de 86 déclarations possibles et 54 portails répartis entre les administrations et les organismes professionnels. C'est une véritable jungle. Cela ne peut plus durer.
À l'échelon européen, nous invitons le Gouvernement à oeuvrer en faveur de la mise en oeuvre du guichet unique dédié au paiement de l'accise, sur le modèle de ce qui existe déjà pour la TVA, et qui devrait lever une barrière majeure à la capacité d'exportation de nos producteurs. Il est actuellement plus facile d'exporter aux États-Unis qu'au sein de l'Union européenne. Ce n'est pas normal.
Nous sommes, en outre, dans une filière confrontée à une diversité de taxes dont il convient d'assurer la stabilité. Je rappelle que parmi les trois plus grands producteurs de vin européens, seule la France a fait le choix de pénaliser sa propre filière en l'assujettissant à l'accise. Je sais que quelques parlementaires qui ignorent l'écosystème viticole souhaitent introduire une fiscalité comportementale...
Nous voulons de la simplification et de la stabilité.
Dans notre rapport, nous soulignons aussi la nécessité de réfléchir à la diversification comme outil de sécurisation des revenus de la filière. En la matière, avec 12 millions d'oenotouristes par an, chiffre en croissance constante, nous avons un levier puissant tant de diversification que de valorisation de la production, alors même que nous avons bien conscience que faire de la publicité pour notre terroir est, en viticulture, un exercice contraint par la loi Évin.
Nous abordons par ailleurs la résilience économique et climatique, qui doit passer par le développement de variétés résistantes. Dans l'Aude, la chambre d'agriculture nous expliquait qu'à parcelle équivalente, l'indice de fréquence de traitement (IFT) du cépage souvignier gris était de 2 alors que celui du chardonnay était de 13. En conséquence, le coût d'intervention à l'hectare était de 97 euros pour le premier et de 609 euros pour le second. Outre l'intérêt en matière de résilience, il y a un véritable intérêt économique à développer ces variétés, et nous formulons des propositions en ce sens.
La résilience d'une filière dépend, enfin, de la résilience de toutes ses composantes. Ainsi, nous alertons sur la situation délicate des pépiniéristes viticoles, partenaires indispensables de l'amont, de même que des distilleries viticoles, tout aussi indispensables, à l'aval. Nous formulons des propositions pour les soutenir.
En conclusion, nous sommes confiants dans le fait que la viticulture française détient la capacité de sortir par le haut de cette crise, tout simplement parce qu'elle en a toutes les ressources. C'est un secteur économique d'excellence. Nous plaidons pour l'organisation sans délai d'assises de la viticulture, où chacun devra être amené à prendre ses responsabilités.
C'est en jouant en équipe que la filière viticole fera face aux défis dressés sur son chemin. Il y a bien un avenir pour elle.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci aux trois rapporteurs pour ce travail, mené avec passion.
M. Franck Montaugé. - Merci à tous les trois pour ce travail aussi remarquable que nécessaire et urgent. Je m'interroge sur le vote de ce rapport, qui formule des recommandations nombreuses aux conséquences importantes. Dans mon territoire, la viticulture occupe une grande place, et je voudrais pouvoir discuter avec mes interlocuteurs locaux avant de voter. Je suis convaincu de la qualité du rapport après en avoir parcouru les recommandations. J'y suis plutôt favorable à titre personnel. Néanmoins, je voudrais voter en connaissance de cause, en fonction d'une lecture approfondie et des discussions avec mes interlocuteurs. Est-il possible de décaler le vote ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - J'entends ces réflexions légitimes. Nous sommes attendus. Ne pas voter ce rapport, sa publication ou ses 23 recommandations serait dommageable.
Je suis plutôt favorable à ce que nous votions aujourd'hui, comme sur tous les rapports d'information depuis la reprise de nos travaux parlementaires. Cela n'empêche pas chacun de sonder son territoire.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Nous sommes attendus. Il y a urgence. Vous connaissez les difficultés des territoires viticoles. Tout a été organisé pour que le rapport soit publié le plus rapidement possible après les vendanges.
Je voudrais tranquilliser Franck Montaugé. Nous avons rencontré 130 personnes, dont de très nombreux représentants des filières viticoles, et nous sommes allés largement, grâce à la visioconférence, en Europe et à l'étranger. Jusqu'à présent, la viticulture ronronnait, en courbant l'échine pendant les crises. Elle n'a pas pris de décisions systématiques pour avancer dans le bon sens. Ce rapport formule des recommandations décoiffantes, mais qui vont dans le bon sens.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je comprends l'interrogation de Franck Montaugé, car ce rapport est riche de recommandations.
M. Franck Montaugé. - Je ne dis pas qu'elles sont trop nombreuses !
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Ce rapport est issu d'un travail transpartisan et les auditions étaient ouvertes à tous. Je comprends toutefois que chacun souhaite en rendre compte dans les territoires.
La viticulture est une filière excessivement complexe et hétérogène. Il est évident que nous essayons d'être cohérents avec la vision des parlementaires que nous sommes. Certaines recommandations, notamment en Pays d'Oc, vont décoiffer. Nous allons être critiqués, c'est sûr, mais nous avons essayé de prendre un maximum de hauteur dans l'intérêt de la filière nationale.
Lors de toutes nos auditions, nous avons commencé par dire : « Vous n'avez pas fait le job ! ». En effet, la filière a ronronné sans prendre la mesure des enjeux de baisse de la consommation et de changement climatique. Forcément, nous n'avons pas fait plaisir à nos interlocuteurs.
Par nos propositions, nous essayons de répondre à tout cela, en écoutant tout le monde, en allant tant dans des régions où la viticulture se porte bien, comme la Bourgogne, que dans d'autres où c'est moins le cas. Nous avons essayé d'être les plus cohérents possible, malgré l'hétérogénéité de la filière. Je connais une IGP très importante dans ma région dont les représentants ne souriront pas, mais nous avons agi dans l'intérêt de la filière. Nous avons essayé de travailler en cohérence pour dégager une vision claire de l'avenir, en sachant que tout le monde devra fournir des efforts. Nous prônons l'union. Sans union, ce sera un échec.
La France a encore, dans le monde, l'image d'un pays de vin. Cette vision doit être partagée par tous les bassins viticoles.
M. Sebastien Pla, rapporteur. - Je ne voulais pas cosigner un rapport pour qu'il prenne la poussière. Ce ne sera pas le cas de celui-là. Depuis vingt ans, chacun, dans la filière, a sa propre vision des choses et les pouvoirs publics répondent au coup par coup. Cela coûte très cher pour un résultat assez défavorable. Ayons le courage de dire les choses, même si cela ne fera pas plaisir à tous puisque chacun défend son pré carré sans tendre la main aux autres ni dégager une vision générale et partagée. Celui qui est en amont dit que celui qui est en aval profite de lui, alors que peut-être que le premier ne produit pas ce que le second est capable de vendre. Personne ne se parle. Alors, oui, nous allons être vivement critiqués !
M. Franck Montaugé. - J'ai bien entendu vos explications. Quelle est la position de la coopération viticole française sur vos propositions ? Henri Cabanel a fait allusion aux problèmes sur son territoire. Est-ce lié à la fusion suggérée entre Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d'origine contrôlées (Cnaoc) et de la confédération des vins IGP de France (Vins IGP) ?
Qu'en est-il de la dimension budgétaire ? Le caractère d'urgence appelle un engagement du ministère de l'agriculture. On l'interpelle, mais il ne répond pas.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Nous sommes en accord sur ce dernier point. Nous devons continuer à faire pression sur le Gouvernement pour que les engagements envers la restructuration des caves coopératives soient tenus, notamment le déblocage des 10 millions d'euros promis. Nous rencontrerons la ministre de l'agriculture bientôt.
Daniel Laurent l'a largement évoqué : il existe une multitude d'organisations. Dans le Languedoc, il y a quatre interprofessions ; il en faut une, voire deux, mais pas quatre ! Il faut concentrer les budgets. Nous demandons à la filière de réduire le nombre d'acteurs.
M. Franck Montaugé. - Vous vous attaquez à une dimension culturelle importante.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Nous avons auditionné de nombreux acteurs. Nous avons pris en compte leurs remarques, mais il est impossible de tous les contenter. Nous mettons en avant l'impérative nécessité d'être unis. Il faudra que chacun mette de l'eau dans son vin, si je puis dire.
Il y a une vraie hétérogénéité, même au sein d'un même bassin viticole. Certaines coopératives ont très bien compris les enjeux, mais ce n'est pas le cas de toutes.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - La Champagne et la région de Cognac ont su équilibrer leur production et leur vente. Beaucoup de choses pourraient être faites sur d'autres territoires.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Avec Yannick Jadot, je suis rapporteur de la mission d'information sur la nouvelle donne du commerce international. Lors des nombreuses auditions que nous avons menées, nos interlocuteurs, qu'ils soient économistes, chercheurs, avocats, représentants des douanes ou des fédérations professionnelles, nous ont déclaré qu'il n'y avait pas de hausse significative des droits de douane, de façon générale à l'échelle nationale. Je crains que ce diagnostic macroéconomique rassurant ne fasse oublier des filières en première ligne, comme la viticulture, dans les négociations. La filière vin est-elle bien défendue à l'occasion des négociations des accords de libre-échange et comment s'assurer qu'elle ne soit pas sacrifiée dans un compromis global ? La France met deux, trois ou quatre ans pour prendre une décision, alors que Donald Trump décide en une heure. À tout moment, les montants des droits de douane peuvent augmenter considérablement.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Nos ministres de l'agriculture et de l'économie interviennent auprès de la Commission européenne. Malheureusement, nous subissons, l'Union européenne n'arrivant pas à entrer dans un rapport de force constructif avec la Chine et les États-Unis.
M. Lucien Stanzione. - Ce rapport formule nombre de propositions décoiffantes. Daniel Laurent est venu dans le Vaucluse. On aurait aussi pu organiser des auditions dans la vallée du Rhône.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Nous avons auditionné Inter Rhône.
M. Lucien Stanzione. - On ne peut pas nier le travail considérable de nos collègues. Mais je sais que des professionnels sauteront au plafond quand ils liront certaines recommandations.
Il faudrait des points d'étape au cours de la rédaction des rapports pour être tenus informés.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Compte tenu de l'agenda et de la charge de travail, c'est impossible. Ne nous leurrons pas.
Mme Marie-Lise Housseau. - Je veux vous confirmer l'urgence. Les élus de mon territoire ont été sollicités cet été par Vinovalie dont la situation est désastreuse, alors que cette coopérative, jugée exemplaire, a réalisé beaucoup d'efforts de restructuration. Leurs banques historiques ne veulent plus les aider à surmonter leurs difficultés de trésorerie. Je retrouve dans ce rapport un certain nombre de points évoqués par les responsables, qui m'ont bien rapporté les intérêts divergents des viticulteurs. Le cognac, qui produit du vin blanc, a asséché le marché des viticulteurs du Tarn.
Je pense qu'il faut faire confiance aux rapporteurs et voter ce rapport.
M. Daniel Salmon. - Merci aux rapporteurs pour leur important travail. Je rejoins les propos de Franck Montaugé sur la méthode d'adoption des rapports. Nous découvrons des préconisations sur table, or, nous ne sommes pas tous experts de la matière. Les recommandations de ce rapport me semblent très positives, mais j'aurais besoin d'approfondir certains points.
La filière viticole appartient à notre culture, elle façonne nos paysages, mais elle est mal en point de façon structurelle et durable. Il faut, en effet, prendre de la hauteur.
On peut regretter la baisse de la consommation de vin, mais l'alcool fait encore 49 000 morts par an en France et selon le directeur de la police d'Ille-et-Vilaine, 80 % des violences intrafamiliales sont liées à des problèmes d'alcool.
Le sujet des assurances n'est abordé que dans la dernière recommandation. Il est fondamental. Les aléas climatiques entraînent une production erratique.
L'installation-transmission pose aussi problème. Toute une génération s'apprête à partir à la retraite, or, une grande partie des jeunes n'ont pas la même vision que leurs aînés. Alors que la SAU de la vigne n'est que de 3 %, la viticulture consommerait 20 % des pesticides utilisés dans notre pays. Le modèle doit sans doute évoluer pour attirer davantage les jeunes.
La construction du prix doit être davantage étudiée. Où est la marge ?
La diversification est essentielle. C'est là que se trouve la résilience. La monoculture est néfaste. Il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier !
Il me paraît essentiel de travailler sur les débouchés du vin.
M. Bernard Buis. - Merci pour ce rapport important qui met les pieds dans le plat. La baisse de la consommation est phénoménale. Or, la tendance ne changera pas. Il faut en être conscient. Des sommes ont été massivement versées à la filière viticole depuis des années, à fonds perdu. Cela doit cesser. Désormais, il ne faut produire que ce que l'on est capable de commercialiser.
Ce rapport fera prendre conscience à tous les territoires des éléments sur lesquels il faut avancer ensemble.
Il faut cesser la monoculture et privilégier la culture différenciée. Les vignobles du Tricastin, dans la Drôme, ont été restructurés et les agriculteurs s'en sortent bien.
Je voterai ce rapport sans état d'âme.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je salue les rapporteurs, qui se sont rendus en Côte d'Or, tout petit vignoble qui a toujours jugulé les crises, par une collaboration fructueuse entre producteurs et négociants.
Le sujet de la transmission reste majeur.
Une stratégie en faveur des vins de France à l'étranger doit être adoptée. C'est ainsi qu'on luttera contre nos concurrents italiens, bien plus organisés.
Les viticulteurs de Côte d'Or m'ont sollicitée pour que la filière entre davantage dans le dispositif Égalim. Qu'en pensez-vous ?
M. Serge Mérillou. - Je voterai ce rapport, ne serait-ce que par confiance envers les rapporteurs. La situation du monde viticole est pire que ce que j'imaginais il y a encore quelques mois : suicides, découragement. Le Bordelais est au bord du précipice. L'arrachage de vignes modifie le paysage. Si le rapport décoiffe, tant mieux ! Il faut redonner confiance à cette filière.
M. Denis Bouad. - Je voterai ce rapport.
La recommandation n° 3 vise à « sanctuariser, dans le cadre du débat sur les agences, l'existence de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) ». Alors que l'État s'en désengage budgétairement, il faut demander cette sanctuarisation avec force.
Dans le Gard, on dénombre 46 caves coopératives. Je dis depuis trois ans qu'il faut en supprimer la moitié, mais je prêche dans le désert. Ces caves n'ont plus de liquidités. Le Crédit agricole a des encours qui font peur.
Chez moi, le changement climatique et le manque d'eau posent la question de l'avenir de la viticulture.
Ce rapport décoiffe : tant mieux.
M. Yannick Jadot. - Je confirme les propos d'Évelyne Renaud-Garabedian. Il est aberrant de voir, dans les grandes foires internationales, les stands de l'Italie, de l'Espagne, puis ceux de chaque région française.
Avez-vous traité la question de la financiarisation de certaines appellations et de son impact sur la gestion de ces filières ?
Qu'en est-il de la demande et de l'offre de nouvelles méthodes de production ? Une bouteille sur quatre, ou sur cinq, est issue de la viticulture biologique. Il y a de nouveaux modes de production, de nouveaux usages, de nouveaux clients.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - La consommation d'alcool doit être modérée : pas plus de deux verres par jour et pas tous les jours. Les exemples cités par monsieur Salmon sont liés à l'addiction à l'alcool.
Notre rapport aborde largement les cépages résistants, qui divisent par trois à cinq l'usage d'intrants. L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) a été précurseur en la matière, mais la filière ne s'en est pas saisie. Nous voulons une surprime à la plantation pour ces cépages. L'avenir de la viticulture bio passera par là.
Le vignoble français bio est le premier au monde, avec 24 % des surfaces viticoles plantées en bio.
En ce qui concerne les subventions et l'impression que l'argent versé à la filière est dépensé à fonds perdu, permettez-moi de vous faire part d'une anecdote : chaque année la chambre d'agriculture de l'Hérault organise une réunion à l'occasion des vendanges, avec le préfet, les élus, tous les acteurs, etc. Je n'en ai raté aucune : à chaque fois, la filière a demandé des subventions. Certes, la chambre d'agriculture joue son rôle de syndicat, mais cela signifie qu'il y a un manque de stratégie, en amont, concernant l'utilisation de cet argent, et que nous devons aussi, en tant qu'élus, être vigilants quant à l'emploi de l'argent public.
Il est vrai que les vignerons de Côte d'Or n'ont pas de problème pour vendre leurs productions, mais ils rencontrent des difficultés pour transmettre leur exploitation. Les terres du vignoble bourguignon ont été surévaluées : les viticulteurs sont riches, certes, mais ils se rendent compte qu'ils ne peuvent plus transmettre leurs terres. Il faut trouver des solutions.
Sur la loi Égalim, il convient de généraliser la publication des indicateurs de coûts de production. En outre, l'IGP Pays d'Oc s'est saisi d'outils complémentaires prévus par le droit européen. Nous devons encourager cela car il est vrai qu'il est problématique de trouver des bouteilles de Bordeaux à un euro dans certains supermarchés.
En ce qui concerne l'Institut national de l'origine et de la qualité, nous recommandons de le sanctuariser et que l'État respecte son engagement d'augmenter sa contribution à son financement. Nous devons faire confiance à cet organisme qui nous semble indispensable.
Nous demandons à l'État de tenir son engagement de verser les 10 millions d'euros promis pour accompagner la restructuration des caves coopératives. Le département de l'Hérault a pris de l'avance et a déjà entamé cette politique de restructuration depuis une dizaine d'années. Toutefois cette politique ne sera efficace que si elle s'accompagne d'un changement de stratégie : si l'on fusionne deux coopératives qui vont mal, celle qui sera issue de la fusion ira mal.
En ce qui concerne l'eau, je suis très clair : les parlementaires qui disent qu'il y aura assez d'eau pour tous les usages agricoles mentent ! Il n'y aura pas assez d'eau pour tout le monde ! L'agriculture a besoin d'eau, mais il faut qu'elle soit utilisée à bon escient. Pour être équitables à l'égard de ceux qui manquent d'eau, nous préconisons d'instaurer un financement public pour la restructuration des sols, de même que la PAC fournit des financements publics pour l'irrigation. Il s'agit que le peu d'eau de pluie qui tombe soit utilisé de manière optimale.
Je déplore, comme Yannick Jadot, que la France ne fasse pas bloc à l'occasion des salons. Nous l'avons dénoncé plusieurs fois. C'est un handicap pour nos exportations : si nous sommes bons en valeur, nous sommes très mauvais en volume. Nous exportons entre 12 et 13 millions d'hectolitres de vins, quand nos concurrents italiens en exportent 21 ou 22, de même que nos concurrents espagnols, car ils sont groupés et déploient une stratégie commerciale qui nous fait défaut.
La financiarisation du foncier pose des problèmes. On le constate en Bourgogne. Une loi foncière est nécessaire.
M. Yannick Jadot. - Les vignerons sont propriétaires en Bourgogne. Ce n'est pas le cas dans le Bordelais.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Pas tous, mais il y a une volonté de mainmise de la part d'un grand groupe français, qui fait de la spéculation foncière et fait exploser les prix. Une loi est nécessaire.
M. Daniel Laurent, rapporteur. - Dans ce rapport transpartisan - j'insiste sur ce point -, nous formulons des recommandations décoiffantes, mais indispensables, sur la base des données que nous avons recueillies dans l'essentiel des régions, afin de garantir l'avenir de la viticulture. La viticulture va mal. Pour se redresser, elle doit prendre son destin en main.
M. Sebastien Pla, rapporteur. - Nous émettons des préconisations. Celles-ci ne sont pas obligatoires. Toutes ne pourront pas être mises en oeuvre par le législateur ou par Bruxelles : nombre d'entre elles relèveront de l'action des professionnels du secteur, s'ils le souhaitent. C'est un travail collectif. Il était de notre responsabilité de faire des préconisations susceptibles parfois de heurter les uns ou les autres, mais un sursaut est nécessaire, car la filière continue de perdre des parts de marché.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.