III. LES RECHERCHES ET LES INNOVATIONS AU SERVICE DES PERFORMANCES DES SPORTIFS DE HAUT NIVEAU ONT DES APPLICATIONS DANS LES DOMAINES DE LA MÉDECINE, DE L'APPAREILLAGE ET DES LOISIRS
A. UN CONTINUUM ENTRE LA PERFORMANCE ET LA MÉDECINE
1. Des coopérations fortes entre la recherche fondamentale et la recherche clinique
La motricité est le résultat de processus complexes qui impliquent notamment le système nerveux central, le système nerveux périphérique et les muscles.
Composé du cerveau et de la moelle épinière, le système nerveux central est responsable de l'intégration des informations sensorielles et de la coordination des mouvements volontaires et involontaires. Dans le cerveau, le cortex moteur envoie des signaux aux motoneurones de la moelle épinière qui à leur tour activent les muscles. Les nerfs périphériques transmettent les signaux du système nerveux central aux muscles. Les muscles reçoivent les signaux nerveux envoyés par le cerveau et produisent les mouvements par leur contraction. Ils sont essentiels dans le maintien de la posture et la stabilité du corps.
Les lésions du système nerveux central peuvent entraîner des troubles de la motricité centrale, comme dans le cas des accidents vasculaires cérébraux, de la sclérose en plaques, de la maladie de Parkinson ou de certaines formes de paralysie cérébrale. Les troubles de la motricité périphérique peuvent être causés par différentes sortes de neuropathies, mais également par la maladie de Charcot-Marie-Tooth138(*) ou le syndrome du canal carpien. Plusieurs maladies peuvent affecter les muscles comme les myopathies qui entraînent leur dégénérescence progressive ou encore les maladies neuromusculaires.
Les sciences du mouvement ont pour objet, en mobilisant la biomécanique, la physiologie de l'exercice, les neurosciences et la psychologie du sport, l'analyse et la compréhension du mouvement humain sous toutes ses formes, de la performance à la déficience. Les coopérations entre les laboratoires des Staps et les centres hospitalo-universitaires se sont multipliées au cours du temps.
· Les coopérations entre laboratoires des sciences du mouvement et centres hospitalo-universitaires
Plusieurs laboratoires peuvent être mentionnés. Le Laboratoire interuniversitaire de biologie de la motricité (LIBM) rassemble 150 enseignants-chercheurs, médecins, doctorants et post-doctorants sur trois sites : l'université Jean-Monnet à Saint-Étienne, l'université Savoie-Mont-Blanc à Chambéry et l'université Claude-Bernard à Lyon.
Il se caractérise par une recherche multi-disciplinaire ayant tissé des liens forts et efficients entre Staps et médecine. À Saint-Étienne, le laboratoire est implanté au sein d'une plateforme de recherche, l'Institut régional de médecine et d'ingénierie du sport (Irmis), intégrant à la fois le LIBM et le service de physiologie clinique et de l'exercice (unités de myologie et de médecine du sport) du CHU de Saint-Étienne.
De même, le laboratoire Caps (Cognition, action et plasticité sensorimotrice), unité mixte de recherche entre l'Inserm et l'université de Bourgogne, a développé des liens étroits avec le CHU de Dijon-Bourgogne. Cinq de ses services sont intégrés dans des projets de recherche. La Plateforme d'investigation technologique (PIT) du CHU est adossée au Caps pour des projets de recherche translationnels.
Le Human Lab HIPE (Health Improvement Through Physical Exercise) est également un laboratoire de recherche autour de la physiologie humaine. Implanté dans le centre hospitalo-universitaire de la Timone à Marseille, il constitue une unité scientifique de référence pour l'évaluation physique des athlètes de haut niveau afin d'améliorer leur performance, mais également pour l'étude du rôle de l'activité physique dans le bien-être, la prévention et le traitement des pathologies.
· La création de chaires dont les sujets de recherche sont communs aux sportifs de haut niveau et aux patients
La Chaire ActiFS (Activité Physique Fatigue et Santé) à Saint-Étienne a pour objectif de comprendre les mécanismes de la fatigue chronique et aiguë afin de prescrire une activité physique personnalisée et adaptée139(*). Par exemple, 10 à 25 % des personnes qui consultent un médecin généraliste sont touchées par l'asthénie140(*), ce qui compromet leur engagement dans une activité physique alors que l'activité physique est considérée comme indispensable pour prévenir un certain nombre de maladies. Dans ce cadre, 19 projets et axes de recherche sont en cours sur des sujets très larges, allant de l'électrostimulation neuromusculaire à l'effet de l'entraînement sur les réponses cardiovasculaires et neuromusculaires à l'exercice.
La chaire Sport-Santé de l'université de Poitiers est constituée d'un réseau de 19 laboratoires de la région Nouvelle-Aquitaine travaillant ensemble sur le thème du sport et de la santé. L'objectif est de construire des projets de recherche interdisciplinaires en lien avec l'activité physique et la santé des populations. La chaire donne accès à de nombreux équipements scientifiques grâce à un plateau technique mutualisé. Certains laboratoires associés à la chaire ont travaillé sur le projet de recherche D-Day en vue des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Actuellement, le projet IKT in motion (Integrated knowledge translation) cherche à identifier les conditions à réunir pour développer des territoires physiquement actifs en prenant en compte l'avis de l'ensemble des parties prenantes (usagers, collectivités territoriales, professionnels de santé, professionnels du sport, acteurs de la formation et de la recherche, etc.). Le projet Women in motion, également en cours, cherche à comprendre la réponse du système cardiovasculaire de la femme à l'activité physique à chaque période de la vie (puberté, grossesse, ménopause), et tente d'identifier les conséquences psychologiques et les déterminants psychosociaux de l'adhésion à l'activité physique chez les femmes.
La chaire Active Aging 2.0, créée au sein de l'Institut des sciences du mouvement à Marseille, a pour objet de prévenir les effets du vieillissement par l'activité physique et les nouvelles technologies. Ce projet s'articule autour de trois axes : la recherche, les tests et l'innovation technologique. Parmi les travaux de recherche menés, on peut mentionner la préservation des ressources cognitivo-motrices ou encore la prévention du risque de chute. L'objectif est d'étudier les trajectoires de vieillissement afin d'identifier le vieillissement optimal.
· La multiplication des formations universitaires associant sport et santé
L'Université de Bordeaux a créé en 2018 l'Institut universitaire des sciences de la réadaptation (IUSR). Cet institut regroupe les filières traitant des sciences de la réadaptation et d'autres filières paramédicales faisant l'objet d'un diplôme universitaire. Plusieurs formations sont proposées, comme l'orthophonie, la psychomotricité, l'orthoptie, l'audioprothèse, la masso-kinésithérapie, l'ergothérapie, ou encore la pédicurie-podologie. Fort d'un partenariat avec le CHU de Bordeaux, le centre hospitalier de Dax-Côte d'Argent et l'antenne Croix-Rouge de Bordeaux, l'IUSR met les étudiants en relation avec le monde de la recherche. L'objectif est de rapprocher ces formations paramédicales, historiquement éloignées de l'université, du monde académique. Un parcours d'initiation à la recherche est proposé, sous la forme d'un double cursus avec trois unités d'enseignement en lien avec la recherche et un stage en laboratoire (140 heures). Depuis 2019, 85 étudiants ont suivi ce parcours, dont 50 l'ont terminé ; 30 % ont poursuivi en master 2.
D'autres voies universitaires permettent d'investir le champ de la santé, en croisant sciences du sport, réadaptation, prévention et activité physique. C'est le cas de la spécialité Activité physique adaptée et santé (Apas) dans le cursus Staps. À Bordeaux, cet enseignement vise à former des professionnels capables d'agir auprès de publics à besoins spécifiques, avec des enjeux de santé, d'inclusion et de participation sociale. La première année fait partie du tronc commun, puis les étudiants se spécialisent en L2 et L3, avec plus de 500 heures spécifiques consacrées à l'activité physique adaptée (APA). L'approche est universitaire, fondée sur les sciences et la pratique. La licence s'articule autour de cours théoriques (biomécanique, physiologie, physiopathologie, sciences humaines et sociales, psychologie, sociologie) mais également autour de nombreux travaux dirigés appliqués et de mises en situation concrètes (locomotion en fauteuil, cécité, parasport, etc.). À Bordeaux, des partenariats avec des structures spécialisées permettent d'intervenir directement auprès de publics spécifiques, comme des traumatisés crâniens, des personnes obèses, des patients suivis en psychiatrie (via l'hôpital Charles-Perrens), ou encore des personnes en situation de précarité à Mérignac, en lien avec le service de cohésion sociale.
Pour celles et ceux qui poursuivent en master, 25 places sont ouvertes chaque année à Bordeaux en master « Réhabilitation et promotion de la santé par l'activité physique adaptée ».
2. Des domaines de recherche communs à la haute performance et à la médecine
De nombreux domaines de recherche concernent à la fois des sportifs de haut niveau et des patients. Les exemples suivants illustrent les liens forts entre la performance et la médecine.
a) La neuroplasticité
La neuroplasticité est la capacité du cerveau à se restructurer en formant de nouvelles connexions neuronales tout au long de la vie. Cette capacité permet au cerveau de s'adapter à de nouvelles situations, mais également de compenser les pertes de certaines fonctions et de maximiser les fonctions restantes.
L'activité physique, c'est-à-dire le fait de bouger et de réaliser des actions de manière concrète, est l'un des moyens les plus efficaces pour stimuler la plasticité cérébrale. Dans les situations où le mouvement est temporairement impossible (par exemple en cas d'immobilisation), d'autres techniques peuvent favoriser la neuroplasticité : imaginer l'action à réaliser (imagerie mentale), observer quelqu'un en train d'effectuer l'action ou encore utiliser des verbes d'action qui activent le système sensorimoteur.
Ces techniques sont utilisées aussi bien chez les sportifs de haut niveau que chez des patients ou des personnes âgées.
Les techniques favorisant la neuroplasticité aident les athlètes à perfectionner leurs compétences motrices et à améliorer leurs performances grâce à un entraînement répétitif et ciblé. S'entraîner à la représentation mentale d'un mouvement est devenu de plus en plus commun dans le quotidien des athlètes, notamment dans les sports demandant une gestuelle millimétrée avec un temps de réaction rapide et une répétition rigoureuse des mouvements (sport automobile, golf, danse). La représentation mentale favorise l'automatisation des gestuelles et les performances de ces dernières aussi bien en force qu'en précision.
Ces techniques sont également utilisées pour faciliter la récupération après un accident vasculaire cérébral.
L'accident vasculaire cérébral se caractérise par une lésion d'une partie du cerveau à la suite de l'obstruction ou de la rupture d'un vaisseau sanguin. Les cellules nerveuses sont détruites par asphyxie dans la région concernée. Lorsque les cellules du cortex moteur sont touchées, la motricité du patient va être entravée. Les techniques de neuroplasticité peuvent aider à restaurer les fonctions perdues en favorisant la réorganisation des zones saines du cerveau sans être en activité.
De la même manière, chez les personnes âgées, la commande nerveuse peut être affectée à la suite d'une chute. L'imagerie motrice, une forme spécifique d'imagerie mentale qui incite l'individu à s'imaginer réaliser un mouvement, peut aider à leur réhabilitation physique.
Les exercices d'imagerie motrice sont également utilisés par des publics qui se fatiguent rapidement et sont limités dans la pratique réelle d'activité physique. Des protocoles simples peuvent être développés pour compléter les exercices physiques avec des exercices de représentation mentale qui favorisent la neuroplasticité et aident à maintenir et même à améliorer les fonctions motrices.
b) La fatigue
Comme il a été indiqué précédemment141(*), les sportifs de haut niveau sont tous confrontés au phénomène de fatigue et une bonne gestion de cette dernière est fondamentale pour maintenir une performance optimale, prévenir les blessures, protéger leur santé et allonger leur carrière sportive.
Les sportifs ne sont pas les seuls à souffrir de fatigue. Le syndrome de fatigue chronique toucherait 250 000 personnes en France, dont 80 % de femmes142(*). Il se traduit par une asthénie permanente dès le réveil, l'apparition depuis au moins six mois d'une fatigabilité profonde qui s'accompagne souvent d'une incapacité à effectuer les tâches quotidiennes et d'une intolérance à la position debout et à l'effort ainsi que de douleurs musculaires et articulaires.
Aucun de ces symptômes n'est soulagé par le sommeil et le repos, qui ne sont pas réparateurs.
La fatigue peut également apparaître à la suite d'un séjour en réanimation ou d'une maladie infectieuse (covid long par exemple). De même, les personnes atteintes de cancer, de pathologies neurologiques (sclérose en plaques, maladies neuromusculaires), néphrologiques (insuffisants rénaux aux stades 3 et 4) ou dysimmunitaires (maladies inflammatoires chroniques de l'intestin, rhumatismes inflammatoires, etc.) ainsi que de nombreuses personnes âgées ressentent de la fatigue : les tâches demandent plus d'effort, elles sont perçues comme difficiles, ce qui conduit ces personnes à être moins actives. S'instaure alors un cercle vicieux dans lequel la fatigue pousse à l'inactivité, qui à son tour favorise la sédentarité. La sédentarité accélère le déconditionnement physique qui lui-même accentue l'atrophie musculaire et contribue à la fatigue. Il est donc primordial de rester ou redevenir actif.
De nombreuses équipes de recherche cherchent à comprendre la physiopathologie de la fatigue chronique ainsi que les mécanismes spécifiques de désadaptation responsables de la faiblesse et de la fatigabilité musculaires afin d'optimiser les stratégies d'intervention en rééducation et reconditionnement par l'activité physique adaptée.
L'équipe de recherche « Physical Ability and Fatigue in Health and Disease » du LIBM143(*) a mené une trentaine de projets de recherche clinique sur la fatigue neuromusculaire et l'activité physique adaptée entre 2006 et 2023. À la suite de ces travaux, un hôpital de jour a été créé qui propose une expertise sur la fatigue musculaire, le diagnostic de la fatigue (liée ou non à une maladie) ainsi que sa caractérisation et la prescription d'un entraînement personnalisé. Concrètement, les patients remplissent des questionnaires sur leur état de santé, la fatigue ressentie, la dépression, l'anxiété. L'état nutritionnel est également évalué. Ils font l'objet d'un bilan sanguin complet et d'une évaluation métabolique à l'exercice (VO2max, seuil lactique, etc.). Ils sont également soumis à des tests de fatigue neuromusculaire et des tests fonctionnels et leur force musculaire comme leur équilibre et leur souplesse sont évalués.
À l'issue de cette phase, les patients reçoivent une prescription qui fixe les modalités et les posologies de l'entraînement. Une application permet de communiquer avec eux, notamment avec ceux qui sont insuffisants cardiaques, la rééducation n'étant pas réalisée à l'hôpital de jour. Certains patients sont inclus dans des protocoles de recherche sur douze semaines afin de vérifier l'impact de la prescription d'activité physique adaptée sur leur état de santé et sur la fatigue qu'ils ressentent.
Les patients sont impliqués dans la prise en charge de leur pathologie dans le cadre d'un programme d'éducation thérapeutique qui leur apprend notamment à connaître leur maladie et les traitements existants.
Selon le professeur Guillaume Millet, qui est à l'origine de ces travaux sur la fatigue, la principale difficulté dans la mise en oeuvre de l'activité physique adaptée réside dans le nombre insuffisant de structures d'accueil des patients. Afin de combler cette lacune, il souhaiterait pouvoir créer une salle réservée aux patients à proximité (voire au sein) du CHU de Saint-Étienne. La salle pourrait être gérée par une association et employer des enseignants en activité physique adaptée qui accompagneraient les patients pendant quelques mois pour favoriser l'acquisition de leur autonomie dans la pratique d'activité physique adaptée. Des liens avec la filière APA (licence et master Apas) du département Staps seraient à développer.
3. Des applications communes : l'exemple de l'électrostimulation
L'électrostimulation peut être utilisée pour étudier la fatigue ou la défaillance neuromusculaire et déterminer si celle-ci est due à une altération de la commande nerveuse ou à une diminution de la capacité musculaire elle-même. Des personnes peuvent perdre 20 % de leur capacité à produire de la force pour des raisons très différentes. Dans certains cas, le muscle peut être fatigué ou défaillant et moins capable de produire de la force. Pour remédier à cette situation, il faudra entraîner le muscle pour le rendre plus résistant à la fatigue. Dans d'autres cas, la capacité du muscle à produire de la force est intacte, mais la commande du cerveau vers le muscle est altérée. L'accent devra alors être mis sur des stratégies ciblant la commande nerveuse pour éviter une défaillance au fur et à mesure de la répétition de l'action.
L'électrostimulation peut être utilisée pour contourner le système nerveux central et stimuler directement les nerfs qui commandent les muscles. En appliquant des impulsions électriques au muscle au repos, on peut mesurer la force générée en réponse à ces impulsions. Si la force est faible avec l'électrostimulation, la fatigue ou la défaillance est musculaire.
L'électrostimulation permet également de vérifier si la fatigue ou la défaillance est liée à la commande nerveuse. Elle est alors réalisée durant une contraction maximale volontaire. Si la force produite par la stimulation électrique est significativement plus élevée que celle produite par la contraction volontaire, cela peut indiquer une fatigue ou une défaillance de la commande centrale. Pour localiser les altérations nerveuses (cerveau ou moelle épinière), on peut également utiliser la stimulation magnétique transcrânienne. Elle consiste à poser une bobine électromagnétique contre le cuir chevelu qui envoie des impulsions magnétiques à travers le crâne pour modifier l'activité des neurones du cerveau. Parallèlement, des électrodes sont placées sur le muscle d'intérêt pour mesurer son activité. Lorsque la zone du cortex moteur est activée, le muscle se contracte grâce à la commande du cerveau vers le muscle.
L'électrostimulation est souvent utilisée pour mesurer l'impact de l'entraînement sur les capacités neuromusculaires des sportifs de haut niveau ou des patients. Elle est alors réalisée sur le muscle au repos ou pendant une contraction maximale volontaire avant puis après l'entraînement.
L'électrostimulation est également employée pour faciliter la récupération des sportifs de haut niveau en l'appliquant directement sur les muscles. Les courants utilisés sont des courants à basse fréquence et faible intensité, qui provoquent des micro-contractions du muscle, proches d'un massage. La circulation sanguine est stimulée, ce qui aide à éliminer plus rapidement les toxines accumulées pendant l'effort.
L'électrostimulation permet de prévenir l'atrophie musculaire malgré une mobilité réduite. Utilisée par les sportifs de haut niveau en cas de blessure, cette technologie offre la possibilité d'effectuer une activité physique à des personnes qui peuvent difficilement en faire. Dans ce cas, les courants sont appliqués à haute fréquence et à haute intensité afin de provoquer une contraction importante du muscle.
Au laboratoire Cognition, action et plasticité sensorimotrice de Dijon, un rameur a été conçu et aménagé pour être utilisé par des paraplégiques. Des électrodes sont collées sur les muscles quadriceps et reliées au stimulateur. Le patient tient dans sa main une commande qui, lorsqu'on appuie sur un bouton, envoie le courant dans les muscles du quadriceps qui vont se contracter et faire reculer le siège. Le courant est coupé lorsque le bouton est relâché. L'électrostimulation se substitue au travail volontaire des muscles mais a le même impact sur la santé que l'activité physique, à condition toutefois d'atteindre une intensité permettant de simuler un nombre de fibres musculaires suffisant pour mettre en mouvement le corps du patient. L'équipe de recherche sur l'électrostimulation fonctionnelle de Dijon a cité l'exemple d'un athlète spécialisé dans le handibike, qui en s'entraînant sur ce rameur, a augmenté ses capacités respiratoires de 70 %. Avec de l'entraînement, les paraplégiques arrivent à faire du rameur de manière fluide et naturelle.
L'utilisation de cette technique a été étendue à d'autres catégories de population, notamment les personnes en réadaptation respiratoire, les personnes souffrant d'une infirmité motrice cérébrale ou encore les personnes atteintes d'une sclérose en plaques.
Devant l'intérêt de cette technologie, l'université de Bourgogne a décidé d'élargir l'utilisation du rameur au-delà des protocoles de recherche afin de permettre à des personnes en situation de handicap d'accéder à des programmes encadrés et adaptés d'activité physique.
Dans le même objectif, l'association Stimule ton handicap a été créée pour les personnes porteuses de handicap lié à la locomotion (lésion médullaire, neuropathie périphérique, hémiplégie, etc.) désireuses de participer à un programme d'activité physique adapté à leurs contraintes.
L'objectif est d'améliorer l'état de forme des participants grâce à l'évolution de deux facteurs :
- la VO2max (capacité maximale du corps à s'adapter à un exercice) : des études ont montré qu'après six mois d'entraînement, cette valeur est en moyenne multipliée par deux ;
- la masse musculaire : ce paramètre peut être augmenté de 150 % en six mois, ce qui a des répercussions directes sur la vie quotidienne des personnes (aisance pendant les transferts et les déplacements), sans parler du bénéfice esthétique et de l'amélioration de l'estime de soi.
Après une évaluation complète de la personne, un programme individualisé de séances de rameur une à deux fois par semaine est mis en place, adapté aux besoins et aux capacités des pratiquants et faisant l'objet d'une évaluation régulière toutes les dix séances afin de quantifier les progrès.
Si cette initiative est particulièrement appréciée par les membres de l'association, son développement se heurte à un manque de moyens financiers et humains. Actuellement, ce sont les étudiants en Staps qui animent bénévolement les séances et l'association ne dispose pas de locaux dédiés à cette activité. En outre, le rameur utilisé est un prototype développé par l'université qui jusqu'à présent n'a recueilli l'intérêt d'aucun industriel, ce qui aurait permis de lancer sa commercialisation et de poursuivre son développement. Au contraire, plusieurs entreprises européennes qui avaient participé à sa conception ne produisent plus les pièces nécessaires à son entretien, qui doivent être commandées aux États-Unis. Aussi, le rameur ne répondant plus aux normes CE, il n'est plus possible d'obtenir des financements pour des projets de recherche utilisant ce matériel.
L'équipe de recherche de l'université de Bourgogne s'intéresse également à l'électrostimulation fonctionnelle sur vélo qui permet de s'affranchir des difficultés liées aux séances de réadaptation traditionnelles basées sur la modulation de la résistance sur le vélo. Pour les personnes souffrant d'un déficit de mobilité ou très déconditionnées, un tel protocole est difficile à mettre en pratique. L'équipe est en train de travailler sur un programme d'entraînement avec une échelle reposant sur la perception de l'effort. En effet, il a été constaté que les patients estiment l'exercice de pédalage plus facile lorsqu'il est réalisé avec l'assistance de l'électrostimulation. Une étude est donc menée pour vérifier si le fait de faire reposer les séances en réadaptation sur la perception de l'effort plutôt que sur la modulation de la résistance du vélo ne conduirait pas les patients à développer plus de puissance grâce à l'électrostimulation tout en ayant l'impression d'une plus grande facilité, ce qui pourrait avoir un impact positif sur l'adhésion à l'activité physique.
Le laboratoire de physique de l'ENS de Lyon, sous l'égide de Vance Bergeron, chercheur devenu tétraplégique en 2013 à la suite d'un accident de vélo, s'est également spécialisé dans l'électrostimulation fonctionnelle. Ce chercheur a créé en 2015 l'association ANTS144(*) afin de rendre accessibles le sport et les nouvelles technologies aux personnes en situation de handicap moteur. Puis, en 2019, la salle S.P.O.R.T145(*) a été inaugurée dans les locaux de l'ENS de Lyon. Le local et les équipements de musculation sont accessibles en fauteuil roulant. Cet espace propose deux vélos équipés d'électrostimulation, des appareils de musculation adaptés, un accompagnement par des enseignants en activité physique adaptée. L'arrière d'un rameur a été repensé par l'ENS avec un siège, un dossier, des poignées et un harnais de sécurité qui peut être ajouté. Il est également possible de régler la hauteur des pieds ainsi que l'amplitude des jambes avec des ressorts décalables. En 2019, Vance Bergeron et son ancien doctorant Amine Metani ont fondé la start-up Circles qui développe des vélos et rameurs à électrostimulation destinés à des centres de rééducation fonctionnelle et à des salles de sport dédiées aux personnes en situation de handicap moteur, ce qui a valu à Vance Bergeron la médaille de l'innovation du CNRS.
Actuellement, 120 personnes ayant un handicap moteur (maladies neurodégénératives, sclérose en plaques, personnes paraplégiques, tétraplégiques ou encore victimes d'accidents vasculaires cérébraux) viennent régulièrement faire de l'activité physique dans la salle S.P.O.R.T, qui allie rééducation, activité physique, plaisir et socialisation.
En dépit de son succès146(*), l'association ANTS est confrontée à plusieurs défis. D'abord, il lui faut trouver une nouvelle salle d'ici la fin de l'année 2025. Par ailleurs, le coût des équipements reste très élevé. Ainsi, le modèle américain TR300147(*) coûte 50 000 euros.
La salle S.P.O.R.T est actuellement unique en France alors que notre pays compte 120 000 personnes souffrant de sclérose en plaques, 50 000 paraplégiques et tétraplégiques, 7 % de la population française souffrent de douleurs neuropathiques et 3 à 3,5 millions de personnes sont considérées comme à mobilité réduite.
4. Une préoccupation commune : la personnalisation des entraînements
Qu'elles visent les sportifs de haut niveau ou les patients, les recherches en sciences du mouvement partagent la même préoccupation : développer des programmes d'entraînement individualisés au plus près des besoins des personnes auxquelles ils sont destinés pour améliorer leurs performances. Si la personnalisation des entraînements est pratiquée depuis longtemps en matière de sport de haut niveau, l'activité physique adaptée n'a été reconnue officiellement comme une modalité de soin non médicamenteux qu'en 2016148(*).
L'activité physique adaptée est une thérapeutique individualisée qui prend en compte les pathologies du patient, ses capacités fonctionnelles ainsi que son degré d'autonomie mais également l'efficacité des exercices proposés. En effet, les patients ne réagissent pas tous de la même manière : certains vont réagir mieux dans le cas d'exercices à basse intensité, d'autres vont être plus sensibles à du renforcement musculaire seul ou combiné à des exercices cardiovasculaires. Il faut donc développer des outils pour définir les exercices qui conviennent le mieux à chaque patient.
La prise en compte de la fatigue du moment doit permettre d'adapter la séance afin notamment de maintenir la motivation et l'engagement des patients.
Le projet EvaLife vise à proposer un programme d'entraînement personnalisé. Développé par le Laboratoire interuniversitaire de biologie de la motricité (LIBM) et le laboratoire Hubert-Curien, il repose sur trois piliers :
- une station mobile d'auto-évaluation des capacités physiques (force du bas du corps, force du haut du corps, endurance, souplesse, équilibre, puissance, etc.) pendant une heure à partir de sept tests ;
- le développement d'un plan d'entraînement par un algorithme qui tient compte non seulement des capacités physiques, mais également du temps et du matériel disponibles ;
- une application sur smartphone qui va proposer des séances d'entraînement.
À la fin de chaque séance, la personne est invitée à préciser si elle a trouvé l'exercice difficile et si elle a ressenti des douleurs. Ces informations sont prises en compte par l'algorithme pour la conception des futures séances d'entraînement.
Cette initiative avait pour but initial de favoriser l'activité physique chez des personnes sédentaires sans pathologie avérée. La conception d'une station mobile d'auto-évaluation des capacités physiques devait permettre à des entreprises de louer ce matériel pour que leur personnel puisse réaliser les tests sur leur lieu de travail et bénéficier d'un programme d'activité physique adapté à réaliser en autonomie (à domicile).
Au regard des difficultés rencontrées pour créer la start-up pouvant prendre en charge cette activité, le projet EvaLife a été réorienté vers des personnes souffrant d'une pathologie afin de leur proposer, grâce à une application sur leur smartphone, un programme d'activité physique répondant à leurs besoins individuels. Un premier essai a été lancé avec un patient atteint de myopathie. À la différence de l'application prévue pour les personnes sans pathologie avérée, le programme d'entraînement développé par l'algorithme doit faire l'objet d'une validation par un enseignant en activité physique adaptée (ou un autre professionnel de santé) avant d'être envoyé au patient.
Ce suivi personnalisé présente plusieurs avantages. Proposé en complément de séances avec un enseignant en APA, il permet de motiver les patients à faire les exercices et à ne pas se désengager. En outre, il permet de pallier le nombre insuffisant d'enseignants en APA et limite le coût de la prise en charge de l'APA. Toutefois, ce projet doit faire l'objet d'essais cliniques pour tester son efficacité et prétendre à une prise en charge par l'assurance maladie. Ces essais cliniques n'ont, au moment de la rédaction du présent rapport, pas encore trouvé de financement (plusieurs demandes de financement sont en cours).
* 138 Qui entraîne une faiblesse musculaire et une atrophie.
* 139 Cf. supra III. A. 2.
* 140 Il s'agit d'une fatigue anormale qui subsiste après le repos.
* 141 Cf. I. C. 3.
* 142 Les personnes souffrant de fatigue chronique à la suite d'une maladie ou même sans cause identifiée (fatigue idiopathique) seraient au nombre de plusieurs millions.
* 143 Laboratoire interuniversitaire de biologie de la motricité.
* 144 Advance Neurorehabilitation Therapies and Sport, acronyme anglais pour Sports et Thérapies Neuro-éducatives Avancées.
* 145 Stimulating People and Organizing Recreational Therapies.
* 146 50 personnes sont actuellement sur liste d'attente.
* 147 Vélo ergomètre robotisé avec stimulation électrique fonctionnelle.
* 148 Loi n° 20168-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. L'activité physique adaptée vise des personnes incapables de pratiquer des activités physiques ou sportives ordinaires en autonomie et en sécurité et considérées comme inactives.