C. LA DÉGRADATION DE LA CONDITION PHYSIQUE DE LA POPULATION
Nos sociétés modernes sont confrontées à un paradoxe majeur.
Le niveau de preuve de l'impact de nos habitudes de vie sur notre santé est de plus en plus élevé : le nombre de citations pour « physical activity and health » dans Pubmed est passé de 1 230 entre 1970 et 1979 à 3 612 entre 1980 et 1989, 14 066 entre 1990 et 1999, 44 503 entre 2000 et 2009 et 132 765 entre 2010 et 2019.
Pourtant, nos habitudes de vie ne font que dégrader la condition physique de la population générale.
1. Le non-respect des recommandations en matière d'activité physique
En France, quelles que soient les tranches d'âge, l'activité physique est considérée comme insuffisante au regard des recommandations de l'OMS et l'inactivité physique semble devenue une norme de vie. L'étude INCA 3211(*) a montré que 37,5 % des hommes et 46,4 % des femmes se déclaraient inactifs. Les femmes sont les plus concernées : en 10 ans, la proportion de femmes physiquement actives a diminué de 16 %.
En ce qui concerne les plus de 65 ans, 87 % d'entre eux connaissent les préconisations de l'OMS, mais seulement 30 % les respectent.
Le niveau de pratique de l'activité physique des adolescents est également inquiétant. Une étude réalisée sur près de 1,6 million de personnes en 2020 montre que, parmi les populations jeunes (11-17 ans) des 25 pays les plus favorisés, la France occupe le 22e rang.
Les données épidémiologiques les plus récentes en France proviennent d'enquêtes réalisées entre 2014 et 2016 (étude INCA 3 menée en 2014-2015 et étude ESTEBAN mise en place de 2014 à 2016). Les résultats de ces enquêtes montrent que 49,3 % des garçons et 76,7 % des filles âgés de 6 à 17 ans ne respectent pas les recommandations de 60 minutes d'activité physique d'intensité modérée à élevée par jour.
La puberté est un des marqueurs du déclin de l'activité physique quel que soit le sexe. Si 70 % des garçons et 56 % des filles âgés de 6 à 10 ans respectent les recommandations de l'OMS, ils ne sont plus que 40 % des garçons et 16 % à l'âge de 15 à 17 ans.
Le niveau d'activité physique est marqué par d'importantes inégalités de genre. À partir de 11 ans, les filles sont moins actives que les garçons et cette tendance s'accentue avec l'âge.
Les inégalités observées dans la pratique d'activités physiques et sportives sont également sociales. La proportion d'adolescents ayant de faibles niveaux d'activité physique est plus importante dans les établissements scolaires situés en zones défavorisées que dans ceux en zones mixtes, ou en zones favorisées (respectivement 41 %, 21 % et 19,5 %). Au sein de chaque catégorie d'établissement, un gradient social est observé, les élèves issus de milieux socio-économiques modestes ayant les plus faibles niveaux d'activité physique, en particulier à cause d'un manque de soutien et d'engagement de la part de leurs parents. De même, la pratique sportive en club ou au sein d'une association est plus importante chez les jeunes dont le ou les parents ont un niveau scolaire élevé.
L'enseignement d'éducation physique et sportive constitue une part importante de l'activité physique des élèves. Interrogés dans le cadre d'enquêtes épidémiologiques, approximativement 80 % des enfants et adolescents déclarent avoir eu un cours d'EPS la semaine qui précède. Dans le cadre du projet SCOPE (Suivi de la condition physique des élèves) mené à Rennes, il a été constaté que les jours d'EPS permettent une augmentation conséquente de l'activité physique des lycéens (85 % atteignent les recommandations d'activité physique ce jour-là contre 23 % les jours sans EPS). Les pratiquants en clubs sportifs sont les plus susceptibles de respecter les recommandations de l'OMS. Pour les jeunes, le sport est un moyen privilégié de réaliser de l'activité physique.
Certains publics sont particulièrement sujets à l'inactivité, comme les enfants en situation de handicap, trop souvent privés d'accès à une activité physique et sportive faute d'aménagements spécifiques.
Plus largement, les enfants en situation de surpoids ou d'obésité sont pris dans des cercles vicieux, leur pathologie les tenant éloignés de l'activité physique et sportive, notamment des cours d'EPS, alors qu'ils devraient au contraire bénéficier de possibilités de pratique renforcées212(*).
L'environnement physique a une forte incidence sur le niveau d'activité physique des enfants et des adolescents. Le temps passé en dehors de la maison, l'accès à des espaces de jeu, la disponibilité des équipements, les aménagements des logements, le potentiel piétonnier du quartier, sa densité ou encore la sécurité du trafic peuvent être des déterminants. Ainsi, 40 % seulement des enfants âgés de 6 à 10 ans utilisent un mode de transport actif pour se déplacer du domicile familial à l'établissement scolaire, essentiellement à pied. 60 % des déplacements sont effectués avec un moyen de transport motorisé, dont 31,7 % en voiture. Le choix du mode de transport est principalement guidé par des critères de sécurité : 46 % des parents ne sont pas favorables à ce que leurs enfants se rendent au collège à vélo pour des raisons de sécurité.
La pandémie de covid-19 a, malheureusement, eu un impact particulièrement négatif sur l'activité physique. Entre 30 et 60 % des enfants et adolescents ont diminué leur niveau d'activité physique pendant le premier confinement.
2. La montée inquiétante du niveau de sédentarité
En France, une étude de 2015213(*) sur les comportements sédentaires de 35 000 travailleurs adultes a révélé qu'ils passaient 12 heures assis les jours de travail et 9 heures les jours non travaillés.
On observe néanmoins des différences selon les classes d'âge. Les 15-25 ans passent en moyenne plus de 6 heures par jour assis, principalement devant des écrans. Ce temps reste élevé au cours de la vie d'adulte, mais n'est plus que de 3 h 45 chez les 55-64 ans. En revanche, plus de 80 % des personnes âgées ont des comportements sédentaires élevés.
Le temps sédentaire passé devant la télévision est inversement associé au niveau d'instruction. Par contre, le temps passé devant un ordinateur pendant le temps de loisir est associé au niveau d'instruction.
Chez les enfants et les adolescents, le temps total passé assis occupe 45 % de la journée à 7 ans et 75 % de la journée à 15 ans. L'école participe à la sédentarité en maintenant les élèves en position assise. On estime que 65 à 70 % du temps passé à l'école l'est dans un comportement de sédentarité.
Le temps passé devant un écran est considéré comme un marqueur du comportement sédentaire. L'évolution rapide des technologies et l'omniprésence des médias numériques affectent la façon dont les enfants et les adolescents se divertissent. Les activités physiques sont reléguées au second plan au profit d'activités sédentaires sur écran. Les enquêtes sur le temps passé devant les écrans sont anciennes. Ainsi, selon l'étude ESTEBAN menée en 2014-2016, chez les garçons, 50,7 % des 6-10 ans, 72,5 % des 11-14 ans et 87,1 % des 15-17 ans passent au moins trois heures par jour devant un écran. Chez les filles, ces pourcentages sont respectivement 41,2 % des 6-10 ans, 67,8 % des 11-14 ans et 71 % des 15-17 ans. Des données plus récentes214(*) recueillies de 2020 à 2021 auprès de 283 collégiens ont montré qu'en moyenne, ceux-ci déclaraient passer 4 h 27 devant un écran chaque jour. Mais ces données sont déjà un peu anciennes et elles reposent sur une base déclarative qui tend à sous-estimer ou minimiser le temps passé réellement devant les écrans.
Cet indicateur est un marqueur social. Ainsi, la proportion d'enfants passant plus de trois heures par jour devant un écran est inversement associée au niveau d'étude du ou des parents de l'enfant, chez les garçons comme chez les filles.
La pandémie de covid-19 a là aussi favorisé les comportements sédentaires des enfants et des adolescents. 60 à 80 % d'entre eux ont augmenté leur temps d'exposition à un écran. L'augmentation de la sédentarité pendant cette période a été plus marquée chez les enfants (+ 2 h 40 min par jour) que chez les adultes (+ 2 h 06 min). Une étude portant sur 30 000 enfants de différentes nationalités215(*) a montré que le temps moyen passé devant les écrans par les 3-18 ans est passé de 162 minutes par jour à 246 minutes pendant la pandémie. Or, un an après la pandémie, seuls 15 % des enfants de 8-11 ans avaient baissé leur temps de sédentarité, ce qui laisse penser que les habitudes prises pendant la pandémie ont perduré.
Le temps passé devant les écrans par les enfants est un élément important à prendre en compte, 71 % des élèves de 11 ans et 83 % des élèves de 12 ans étant équipés d'un smartphone.
La condition physique représente un déterminant majeur de santé chez l'enfant et l'adolescent. D'une manière générale, la condition physique des garçons de 6 à 12 ans est légèrement meilleure que celle des filles, à l'exception de l'agilité et de la souplesse. De faibles capacités physiques à l'adolescence sont associées à une augmentation de la morbidité et de la mortalité à l'âge adulte.
Dans de très nombreux pays, on note une baisse régulière des capacités cardiorespiratoires des enfants et adolescents depuis les années 1980, souvent plus importante chez les garçons que chez les filles, mais qui s'atténue depuis les années 2000. En France aussi, la baisse des capacités cardiorespiratoires est importante et régulière depuis le début des années 1980. Les capacités musculaires (force, puissance et endurance musculaire) des jeunes diminuent régulièrement depuis le début des années 2000, avec pour conséquence une baisse de 11 centimètres en 30 ans des performances lors de sauts en longueur sans élan, indépendamment de l'âge, du sexe et du poids corporel.
Selon la Fédération française de cardiologie, en quarante ans, les enfants ont perdu environ 25 % de leur capacité cardiovasculaire. En 1970, un collégien pouvait courir 600 mètres en trois minutes. Aujourd'hui, pour parcourir la même distance, il lui faut en moyenne une minute de plus. Trois enfants sur cinq ne savent pas enchaîner quatre sauts à cloche-pied en entrant en sixième.
La pandémie de covid-19 a accentué la dégradation de la condition physique des enfants. L'Onaps216(*) a réalisé une étude longitudinale de manière à évaluer les effets des différents confinements liés à la covid-19 sur la condition physique et les performances cognitives des enfants du primaire. Pour cela, 106 élèves de CE2 et CM1 ont participé à une évaluation en février 2020 (juste avant le premier confinement) et 100 élèves de CE2 et CM1 à une évaluation en janvier 2021. Ces enfants ont réalisé la même batterie de tests évaluant leurs caractéristiques anthropométriques, leur composition corporelle, leurs préférences d'activités, leurs performances cognitives et leur condition physique. Les résultats n'ont fait apparaître aucune différence concernant le poids, l'IMC, le pourcentage de masse grasse et la force de préhension. En revanche, la puissance musculaire, la motricité, les capacités cardio-respiratoires et les performances cognitives sont apparues significativement réduites en 2021 (post-confinements) comparativement à ce qui était observé avant les confinements (mars 2020), soulignant ici un effet délétère de ces derniers.
3. Des coûts sanitaires induits très élevés
Différentes études économiques réalisés à l'échelle internationale et à l'échelle nationale ont cherché à évaluer les coûts associés à l'inactivité physique et à la sédentarité dans nos sociétés. Les variations dans les estimations s'expliquent par l'hétérogénéité méthodologique considérable entre les différentes études. En effet, certaines ne prennent pas en compte l'ensemble des pathologies associées à l'accumulation de comportements délétères, d'autres ne prennent en compte que les coûts à l'échelle du secteur public ou du secteur privé.
Le point commun de toutes ces études est la probable sous-estimation des coûts en raison des choix méthodologiques qui ont été faits.
France Stratégie217(*) a évalué en 2022 le coût de l'inactivité physique. Un outil a été élaboré pour estimer les coûts évités en termes de mortalité et de morbidité, pour des scénarios caractérisés par la proportion de personnes adultes (20-39 ans ou 40-74 ans), sans maladie chronique préexistante, dont l'activité physique deviendrait, jusqu'à leur décès, conforme aux recommandations de l'OMS.
Son utilisation permet de mettre en évidence qu'un coût annuel de 140 milliards d'euros serait évité si toutes les personnes inactives sans maladie chronique préexistante âgées de 20 à 74 ans devenaient actives et le restaient jusqu'à leur décès. Le coût évité par personne devenant définitivement active s'élève à 840 euros pour une personne âgée de 20 à 39 ans et à 23 275 euros pour une personne âgée de 40 à 74 ans : plus de 90 % de ces valeurs sont liés au coût social de la mortalité, environ 5 % au coût des pertes de bien-être liées à la maladie et le reste aux dépenses de soins.
En France, entre 40 000 et 50 000 décès sont annuellement attribuables à la sédentarité et à l'inactivité physique.
En 2021, en France, 12 millions de patients souffraient d'une maladie chronique reconnue dans le cadre du dispositif d'affection de longue durée (ALD). Les projections du ministère de la santé annoncent une augmentation des malades chroniques de 750 000 à 1 million entre 2020 et 2025 et une déclaration des maladies chroniques de plus en plus précoce (dès 30 à 40 ans).
Selon l'Assurance maladie, en 2020, les pathologies et les traitements chroniques ont représenté 63 % des dépenses de santé du régime général (environ 86 milliards d'euros) et concerné 36 % de la population (soit près de 21 millions de personnes pour le régime général de la sécurité sociale). La prévention des maladies chroniques est donc cruciale pour contenir les dépenses de santé.
Par ailleurs, l'augmentation de l'espérance de vie s'accompagne d'une augmentation des années de vie en incapacité, même s'il y a une baisse importante de la mortalité pour les maladies cardiovasculaires et la plupart des cancers. Or, selon la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, si la part des 65-74 ans devrait rester stable entre 2020 et 2070, la part des 75-84 ans devrait passer de 6,1 % à 10 % et celle des 85 ans et plus passer de 3,4 % à 7,8 %.
Actuellement 7,2 % de la population de 60 ans et plus bénéficient de l'allocation personnalisée d'autonomie et le montant total de la contribution des finances publiques à la compensation de la perte d'autonomie s'élève à 27,7 milliards d'euros. L'allongement de l'espérance de vie sans incapacité constitue donc un enjeu financier majeur.
* 211 Études individuelles nationales de consommations alimentaires menées par l'Anses entre 2014 et 2015.
* 212 Cf. Frédérique Meunier et Christophe Proença, mission flash sur l'activité physique et sportive et la prévention de l'obésité en milieu scolaire, commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. Communication du 19 mars 2025.
* 213 Saidj et al., « Descriptive study of sedentary behaviours in 35,444 French working adults: cross-sectional findings from the ACTI-Cités study », BMC Public Health, 15, 379, 2015.
* 214 Données du Centre national d'appui au déploiement en activité physique et lutte contre la sédentarité (CNDAPS).
* 215 Madigan et al., « Assessment of Changes in Child and Adolescent Screen Time During the covid-19 Pandemic », JAMA Pediatrics, Vol. 176, N° 12, 2022.
* 216 Observatoire national de l'activité physique et de la sédentarité.
* 217 France Stratégie, L'évaluation socioéconomique des effets de santé des projets d'investissement public, rapport du groupe de travail présidé par Benoît Dervaux et Lise Rochaix, mars 2022.