II. UN IMPÉRATIF : CONSTRUIRE L'EUROPE POSTALE AVEC PRAGMATISME EN PRÉSERVANT LE SERVICE PUBLIC AUJOURD'HUI ET DEMAIN

Au cours du dernier congrès du parti conservateur britannique, sir Léon Brittan, commissaire européen défendant ardemment la libre concurrence et le libre échange, a pu déclarer : « il y a une nouvelle atmosphère à Bruxelles. Peu de vestiges, sinon aucun, restent de la vieille tendance à légiférer pour légiférer. Le nombre de directives produites à Bruxelles s'est réduit à quelques gouttes. La politique sociale, maintenant, ne parle que d'alléger les charges des entreprises, remettre les gens au travail et encourager le secteur privé. L'harmonisation est « out », la dérégulation est « in » ( ( * )3).

De tels propos démontrent que l'idéologie en matière de libre concurrence et de libre échange a encore de beaux jours devant elle. Des traces en subsistent au sein de la proposition de directive sur les services postaux. Malgré un réel effort pour prendre en compte d'autres impératifs que la concurrence, certaines dispositions font craindre que les missions de service public ne soient qu'en sursis et non prises en compte de manière définitive. En outre, certains problèmes graves de méthode se posent également.

A. UNE MÉTHODE CONTESTABLE

1. Un dispositif juridique dédoublé

La Commission européenne a publié, en même temps que la proposition de directive soumise au Parlement européen et au Conseil, un projet de communication sur l'application des règles de la concurrence au secteur postal et, notamment, sur l'évaluation de certaines mesures d'État relatives aux services postaux. Elle a manifesté son intention d'adopter rapidement cette communication après avoir consulté les États membres.

Cette communication a pour objet de définir les règles de concurrence qui doivent être respectées par les opérateurs et les États membres. Or, parmi les dispositions de la proposition de directive figurent également de nombreux articles relatifs aux règles de concurrence. La publication d'une telle communication conduirait donc à devancer les règles qui doivent être définies par le Parlement européen et le Conseil, ce qui paraît tout à fait critiquable. Une telle communication ne devrait être publiée qu'en même temps que la directive qui fixera le cadre général applicable au secteur postal.

Par ailleurs, le statut juridique de cette communication apparaît très incertain. En principe, un texte de ce type ne peut avoir de valeur normative, mais la manière dont la communication est rédigée rend cette affirmation plus aléatoire. Elle contient par exemple des dispositions relatives à l'étendue des services réservés alors qu'aucun texte normatif n'a encore défini cette étendue, puisque c'est l'un des objets de la proposition de directive.

Enfin, certaines définitions utilisées dans la communication sont en contradiction avec la proposition de directive. Ainsi, il est précisé dans la communication que le service réservé est composé pour l'essentiel par le service des lettres ordinaires qui « comprend la distribution d'objets de correspondance lors des tournées de distribution journalières » . Dans la proposition de directive, sont évoqués « la collecte, le tri, le transport et la distribution » ce qui est tout à fait différent.

En définitive, ce type de communication s'apparente presque aux directives prises sur la base de l'article 90-3, qui permettent à la Commission de libéraliser seule des secteurs de l'économie. Dans le domaine postal, il semble que la Commission européenne ait envisagé de prendre une directive selon cette procédure, mais que la pression des États et les divergences en son sein l'aient conduit à y renoncer. Cette communication fait figure de solution de repli.

On ne peut que condamner la dualité du dispositif retenu. Il est inacceptable qu'une autorité telle que la Commission européenne prenne, en l'absence de toute base juridique, des textes auxquels elle entend manifestement donner une valeur normative. Le 25 octobre 1995, le Parlement européen a adopté une résolution demandant le retrait de cette communication, ce qu'a fermement exclu le commissaire européen chargé de la concurrence, M. Karel Van Miert.

Lors du récent Conseil des ministres des télécommunications, qui s'est déroulé le 27 novembre, le Conseil s'est également montré sceptique à l'égard de la méthode adoptée par la Commission européenne. Il a adopté une résolution demandant à la Commission de « veiller, dans un souci de transparence et de sécurité juridique, à ce que les définitions et les concepts utilisés respectivement dans la communication et dans la proposition de directive ou dans d'autres dispositions communautaires pertinentes soient cohérente ». Le Conseil a en outre souhaité que la publication de la communication au Journal officiel intervienne simultanément à celle de la directive. La Commission européenne a alors accepté de repousser la publication de la communication jusqu'à la fin de 1996.

On peut donc espérer que le danger présenté par l'existence de deux textes sur le même sujet sera atténué s'ils sont cohérents et publiés en même temps. Il convient cependant de demeurer très vigilant, afin d'éviter qu'un texte au statut incertain n'anticipe des dispositions qui méritent une réflexion approfondie.

* (3) Agence Europe, 14 octobre 1995

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