MAGISTRATS DU PARQUET

M. Joseph SCHMIT - Procureur de la République à Rouen

M. Jean-Pierre VALENSI - Procureur de la République à Saint-Omer

M. Joseph SCHMIT .- Monsieur le Président, vous m'avez fait l'honneur de me demander d'intervenir sur le problème de la délinquance juvénile, dans le cadre du projet de loi sur la réforme de l'ordonnance de 1945 voté par l'Assemblée Nationale.

Je dois dire à votre honorable Assemblée que cette réforme dans sa globalité est très attendue, au moins en ce qui concerne la disposition prévue par le troisième alinéa de l'article 5 de l'ordonnance de 1945, qui permet au procureur de la République de faire convoquer directement devant le juge des enfants, voire à l'audience du tribunal, un mineur par un officier de police judiciaire, dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours.

C'est une réforme attendue qui est approuvée par tous les magistrats du Parquet avec lesquels j'ai eu le plaisir de travailler tant à Reims, de 1987 à 1995, qu'à Rouen, où nous avons délibéré et où ce texte a été salué à l'unanimité comme un moyen juridique intéressant.

Nous avions été déçus par la loi du 8 février 1995, le législateur n'était pas allé jusqu'au bout. Elle permettait de convoquer le mineur devant le juge des enfants, mais la convocation était dénuée de tout effet juridique.

Or cette fois-ci le projet va jusqu'au bout et donne à la convocation par officier de police judiciaire un effet juridique qui équivaut à une mise en examen, et permet au juge éventuellement, si le dossier est en l'état, de juger immédiatement.

La délinquance des mineurs dans des agglomérations comme celle de Rouen est devenue un problème extrêmement préoccupant. Il doit être abordé avec vigilance, également avec sang-froid.

Je voudrais citer quelques chiffres.

En 1993, 617 mineurs ont été impliqués dans des affaires pénales, en il y en a eu 697, augmentation peu significative et peu alarmante. Et en nous sommes passés à 1.464, soit une progression considérable.

Ce chiffre pour 1995 de 1.400 mineurs doit être comparé aux 6.000 personnes interpellées par les services de police. Donc l'augmentation est significative, mais dans un rapport plus modéré par rapport aux années antérieures.

Le commissariat de police a changé de responsable ainsi que la Direction Départementale de la Sécurité Publique.

Ces responsables du commissariat de police ont décidé de mener une politique de transparence totale pour les mineurs, car jusque-là que se passait-il ? Sur le terrain les victimes pensaient que le Parquet et le tribunal ne faisaient rien et qu'il était donc devenu complètement inutile de déposer plainte. Les agents de police avaient également ce sentiment.

Dans la rencontre entre la victime et l'agent, lorsque la première disait « je ne désire pas porter plainte », l'agent n'essayait pas de la convaincre du contraire. Et quand elle décidait de le faire, l'agent lui disait que ce n'était peut-être pas la peine.

C'est une réalité -je ne la critique pas- qui m'a été confirmée par les chefs du commissariat central. Ils ont exigé que chaque acte de délinquance commis par un mineur soit signalé. C'est très important pour l'avenir.

En effet, nous estimons, nous, magistrats du Parquet, qu'un acte commis par un mineur contre la loi doit être systématiquement pris en charge par l'autorité judiciaire.

J'estime que ce problème est devenu essentiel dans les grandes agglomérations.

Cette délinquance des mineurs est préoccupante car elle se nourrit depuis quelques années dans un vivier de plus en plus jeune, avec des phénomènes de bandes dans les quartiers les plus défavorisés, qui ont des effets désastreux, parce qu'il y a des rivalités, des conflits, une espèce de surenchère de la délinquance. C'est préoccupant, assez nouveau en France depuis quelques années. Il faut être vigilant.

Il s'agit de délinquants de plus en plus jeunes, très souvent de moins de 16 ans. Ils deviennent petit à petit des délinquants endurcis.

Parfois des enfants de 12 ans participent à des actes d'agressions contre les biens ou les personnes. Ils vivent dans des milieux pauvres, dans des familles déstructurées, ils ont un fort sentiment d'exclusion, ils n'ont aucune référence, n'ignorant pas la différence entre le bien et le mal, entre ce qui est permis et ce qui est interdit.

À Reims j'ai interrogé un jeune de 18 ans. Il en était à sa quatrième condamnation, il n'était jamais allé en prison. Il en était à son sixième vol de voiture. J'ai décidé de le faire comparaître devant le tribunal correctionnel, selon la procédure de la comparution immédiate, pour qu'il prenne à son encontre des mesures plus rigoureuses. J'ai demandé au juge de l'incarcérer provisoirement pendant vingt-quatre heures.

Lui ayant notifié cette décision, il est resté complètement béat, il m'a dit « vous n'allez quand même pas me mettre en prison parce que j'ai volé une voiture ? ». Je lui ai expliqué que ce n'était pas la raison, mais parce qu'il en était à son huitième avertissement judiciaire, qu'il ne semblait pas comprendre. Il m'a répondu « qu'est-ce que j'ai fait de mal, d'autant que la voiture a été retrouvée ? ».

Voilà en quels termes se pose le problème. Les jeunes sont très souvent défendus par les parents quand ils sont impliqués dans une affaire judiciaire, lesquels les confortent dans leur système de référence qui n'est pas toujours celui souhaité.

Un troisième élément est très important. Cette délinquance a changé de nature.

Avant il s'agissait essentiellement d'appropriation de biens, et plus généralement d'affaires de peu de gravité ; c'était de la rapine, on volait un objet dans une voiture, etc. C'étaient plus des jeux que des actes graves.

Mais depuis 1990, et à Rouen tout particulièrement, cette délinquance a changé de nature, car actuellement le recours aux violences s'amplifie. Celles-ci s'adressent, de la part de ces jeunes délinquants, bien entendu aux personnes les plus vulnérables dans notre société, c'est-à-dire les personnes âgées auxquelles sont volés les sacs à main, sans faire preuve du moindre égard d'ailleurs. Elles sont d'ailleurs grièvement blessées. Et les autres jeunes ont recours au racket, aux agressions dans les établissements scolaires et autour.

Ceci contribue à créer un climat d'insécurité dans l'opinion. Je ne dis pas qu'à Rouen il existe à tort.

Tous ces comportements participent de ce que j'appelle le malaise grave des banlieues et les violences urbaines.

Quelques exemples.

Dans les établissements scolaires la drogue est une pratique courante. Il est de même fréquent de voir des jeunes qui vont au lycée ou au collège avec des armes blanches ou à feu.

Si bien que j'ai pris avec l'Inspection d'Académie des dispositions applicables depuis ce mois-ci, pour rappeler aux enseignants qu'ils sont des fonctionnaires et qu'au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, ils doivent -évidemment ce n'est pas facile vu la fonction qu'ils exercent- dénoncer systématiquement les faits au Parquet.

J'ai demandé que soient au moins saisies la drogue et les armes.

Les agressions contre les écoles sont fréquentes aussi. Les bandes de jeunes délinquants choisissent de faire le vide parce qu'elles veulent créer des zones de non droit dont elles sont les seules propriétaires, des terrains sur lesquels elles peuvent faire ce qu'elles veulent.

Donc les écoles sont actuellement des cibles visées.

Il y a également un phénomène nouveau, les violences systématiques contre les policiers. Il faut être vigilant. Il n'y a plus d'arrestation sans que le jeune se révolte, sorte une arme et se batte. Et quand l'autorité n'arrive pas à se faire obéir par une simple sommation, elle est obligée d'entrer dans un cycle de violence dont elle ne tire aucun profit, et qu'il est souhaitable d'éviter.

Dans les banlieues souvent les tout jeunes, de 10 à 12 ans, servent de guetteurs à leurs grands frères qui sont des délinquants qui organisent à l'intérieur d'un quartier un trafic de stupéfiants, etc. Ils préviennent de l'arrivée des services de police. Ces derniers sont accueillis à coups de pierres, pour retarder le moment de leur intervention sur les lieux de trafic. Les tout jeunes commencent leur apprentissage très tôt.

Je crois indispensable de vous indiquer, en tant que procureur depuis 1983, ma perception, à tort ou à raison -je pense qu'elle est quand même bonne-de la réalité de ces phénomènes de délinquance.

À Rouen, cette constatation a une ampleur incomparable. À Rouen deux à trois fois par jour j'ai des incidents dans les banlieues, des agressions permanentes de chauffeurs d'autobus, avant-hier une dame s'est fait voler son sac par trois jeunes dans le métro, etc.

Je considère que le traitement de la délinquance des mineurs, s'il est possible, est devenu l'action prioritaire de mon Parquet, au point qu'avec M. le Préfet, dans le cadre du Plan Départemental de Sécurité, nous l'avons inscrit comme cible prioritaire.

Et le SRPJ, dont ce ne sont pas les attributions classiques, pense qu'aujourd'hui il doit se préoccuper de ce phénomène, à l'égard notamment de certains chefs de bande parfaitement repérés, contre lesquels il faudrait établir des procédures incontestables sur les plans juridique et judiciaire, car le problème du recueil des preuves est extrêmement difficile. Les honnêtes gens ont peur, ils ne veulent pas témoigner ni dénoncer, parce qu'ils savent très bien que si le jeune a été arrêté, le retour de bâton sera inévitable.

Je crois qu'il faudrait envisager au niveau du ministère de l'Intérieur de créer des brigades spéciales, qui pourraient travailler pour le compte du SRJP.

J'ai décidé, après avoir pris connaissance de cette situation -je suis arrivé en septembre à Rouen- selon un principe que j'ai toujours appliqué dans toutes les affaires, de mettre en place une politique de l'action publique permettant de donner une réponse judiciaire à chaque délinquant mineur quel qu'il soit.

Je rends hommage à mes collègues juges des enfants qui font un travail considérable. Je ne reviens pas sur leurs moyens, mais j'ai des chiffres parlants.

L'assistance éducative, compte tenu de l'état de la société dans certains lieux, est devenue une tâche quasi prioritaire pour les juges des enfants, qui leur demande un temps presque complet. Ils essaient de faire le maximum, et ce n'est pas facile.

En 1984, le tribunal pour enfants de Rouen avait rendu 1.235 jugements de condamnation, en 1989 834, en 1994 148, et en 1995 je ne suis pas sûr que ce ne soit pas encore inférieur.

Je n'incrimine personne, les juges des enfants font le maximum. À Rouen, depuis le mois de décembre, sur quatre juges des enfants, un seul titulaire est présent, un est parti en congé de maternité, les deux autres cabinets sont occupés par intermittence par un délégué ou un suppléant nommé par le premier président de la cour d'appel.

Quand il n'y a pas de réponse judiciaire au niveau des juges des enfants, la délinquance ne peut qu'augmenter.

Il faut aller de la méthode la plus simple à la plus complexe, je n'exclus pas les plus rigoureuses.

Il faut permettre qu'un acte de délinquance ne reste pas sans réaction judiciaire, sans rappel à la loi. Mais surtout, il faut tenir compte de la réalité dans laquelle nous travaillons. Les juges des enfants ne peuvent pas tout faire, il faut donc que le Parquet « déblaye » à sa manière la réponse judiciaire à apporter pour réserver aux juges des enfants le temps de s'occuper vraiment des délinquants qui le méritent.

Ce que j'ai mis en place constitue de la médiation pénale pure et simple. Il y a une lettre de mise en garde pour un acte banal. La mise en garde est notifiée par lettre écrite remise par l'OPJ au commissariat de police et aux parents, éventuellement accompagnée d'une médiation pénale.

À chaque fois qu'il y aura une victime, cette médiation sera systématiquement ordonnée, afin que le médiateur spécialement formé puisse faire un rappel à la loi au mineur. Il faut aussi que les parents soient responsabilisés pour les conséquences des actes commis par leurs enfants, et frappés au porte-monnaie, si vous me permettez l'expression.

Pour des mineurs qui sembleraient s'ancrer un peu plus dans la délinquance, nous passerions à la médiation réparation, excellente mesure, et beaucoup de jeunes y adhèrent. Pris en charge par les adultes, ils prennent ainsi conscience de certaines choses.

Ce rythme doit être maintenu systématiquement.

L'objectif pour le Parquet -je tiens à le dire pour qu'il n'y ait pas de quiproquo- est l'idée que la priorité doit être donnée absolument aux mesures éducatives.

Nous devons toujours rechercher pour les mineurs la solution éducative. Tout acte de délinquance qui justifie une intervention un peu lourde du juge des enfants doit être précédé d'une enquête qui permette la recherche d'une solution éducative.

Chaque fois qu'il y a l'espoir qu'une telle solution permette de sortir le jeune de sa situation, cette solution éducative doit toujours l'emporter sur celle un peu simpliste, et qu'on m'a d'ailleurs attribuée à tort dans une campagne de presse, de l'incarcération provisoire.

Je veux conforter ce qui a été dit tout à l'heure. Il faut être vigilant dans l'approche du problème. Un grand nombre de délinquants ne commettront dans leur carrière, si je puis dire, qu'un seul acte, c'est exact.

D'autres vont en commettre plusieurs. Dans les phénomènes de bandes d'ailleurs, des jeunes commettent des actes pendant quatre ou cinq mois, voire moins, et brutalement arrêtent.

Et d'autres s'enferrent, décident de ne vivre que de la délinquance, ce sont des cas lourds, et, malheureusement pour ceux présentés au Parquet pour la septième ou huitième fois, nous n'avons pas beaucoup de solutions.

Il est vrai que nous pouvons compter sur le dévouement des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, qui font un travail difficile avec peu de moyens. Ceux dont ils disposent ne leur permettent pas toujours d'être tout à fait vigilants -ce n'est pas une critique, mais un constat- sur l'application des mesures éducatives qu'ils ont proposées au Parquet et au juge des enfants, voire au juge d'instruction, et qui ne sont pas toujours suivies.

La convocation par OPJ votée par l'Assemblée nationale ne sera qu'un élément de plus, qui permettra d'apporter une réponse rapide à un acte de délinquance un peu plus grave, pour un jeune qui a tendance à devenir délinquant d'habitude.

Elle nous permettra une politique de l'action publique commune au juge des enfants et au Parquet, en ce sens que nous définirons avec le juge des dates spécifiques pour convoquer ces jeunes, afin qu'il puisse les écouter.

Cela me paraît préférable à la situation actuelle.

Dans tous les Parquets que j'ai eu l'honneur de diriger, la méthode est toujours la même. Il est difficile d'établir avec des juges des enfants des plannings qui vont les rendre disponibles.

Quand nous avons des cas difficiles nous prévenons le juge des enfants que nous envisageons de lui présenter quelqu'un à l'issue d'une garde à vue de vingt-quatre heures. Si celui qui le connaît n'est pas disponible on va voir son collègue.

Dans le silence du cabinet, entre le procureur et le juge, il s'échange des propos. Je n'aime pas beaucoup pratiquer cela, parce que c'est selon moi une atteinte aux droits de la défense, parce que ces propos risquent d'échapper complètement au débat contradictoire, et en tout cas ne sont pas dits devant le défenseur du mineur.

Donc je me réjouis que la loi oblige à demander systématiquement au mineur de s'exprimer et à prévoir qu'il soit assisté d'un avocat. C'est un progrès très important.

Ce texte va nous permettre d'apporter dans le panel que nous avons actuellement un élément supplémentaire, pour permettre une réponse plus rapide à l'acte posé par le délinquant.

Je pourrais parler pendant des heures, mais je préfère maintenant laisser la parole à mon collègue.

M. Jean-Pierre VALENSI .- Le tribunal de Saint-Omer est petit, il se trouve entre Calais et Béthune. Au regard de la population globale du Pas-de-Calais, 1.400.000 habitants, il n'y a que 140.000 habitants, et assez peu de mineurs, 48.000 environ, ce qui explique une délinquance tout à fart différente de la délinquance urbaine, car nous sommes en zone rurale.

Le cabinet du juge des enfants n'est pas spécifiquement encombré de dossiers pénaux, une centaine seulement à l'heure actuelle, et il y a assez peu de mineurs qui commettent des infractions.

C'est donc un cas tout à fait spécifique, qui ne nous a pas empêchés toutefois de développer une politique pénale en matière de délinquance juvénile.

Le Parquet de Saint-Omer applique depuis le début de l'année la procédure de traitement en temps réel. De cette manière il a une connaissance plus approfondie de la délinquance.

L'obligation est faite à tout officier de police judiciaire qui a un délinquant dans ses locaux de téléphoner au Parquet, qui lui donne des instructions.

Cette procédure, je l'ai étendue évidemment aux mineurs. Dès lors que l'un d'eux se trouve dans une gendarmerie ou un commissariat de police, l'officier de police judiciaire doit rendre compte au Parquet, qui lui demande systématiquement l'audition du plaignant, des témoins, et du mineur.

Selon le degré de gravité de l'acte commis et la personnalité du mineur, une réponse est systématiquement apportée, elle est graduée.

Il y a d'abord les actes les moins graves, pour lesquels nous demandons en général à l'officier de police judiciaire de donner un sévère avertissement au mineur, puis nous le remettons à ses parents, ou encore nous demandons tout de suite la réparation du préjudice subi par la victime.

Dans cette hypothèse généralement, nous convoquons celle-ci. Elle fournit un devis. Le mineur, en présence de ses parents s'engage à dédommager.

Nous lui notifions par l'OPJ qu'il a un certain délai pour le faire. L'OPJ, lorsque le mineur est à nouveau dans ses locaux après avoir dédommagé, nous rend compte, et la procédure est classée.

C'est le premier niveau.

Je vois un intérêt tout à fait spécifique à ce type de procédure, car les policiers sont motivés par ce qu'ils font. Ils savent qu'ils ont des instructions, et ils connaissent également l'issue de la procédure. C'est très important.

Deuxième type de réponse : elle concerne les mineurs plus connus, ou les faits plus graves.

Dans ces cas-là, le Parquet demande à l'OPJ de convoquer le mineur devant lui. Il fait procéder par le service éducatif à une enquête, et le mineur doit se présenter à une date fixe devant le procureur de la République.

Alors il peut y avoir un classement provisoire. Si le mineur ne réitère pas, il devient définitif.

Il peut y avoir aussi l'injonction faite par le magistrat du Parquet de procéder à la réparation.

Et s'il s'agit de faits beaucoup plus graves, il peut y avoir saisine du juge des enfants ou encore du juge d'instruction.

Nous procédons de cette façon pour des faits moyennement graves. Si la personnalité du mineur est connue, nous délivrons par l'OPJ une convocation, suivant un modèle, à partir d'un mémento diffusé aux OPJ.

La procédure de traitement en temps réel est une façon d'impliquer les OPJ dans le travail du Parquet. Ils choisissent les qualifications, ils le font sous le contrôle du Parquet.

Dès lors que nous avons défini une procédure très stricte, que nous avons donné le modèle de convocation, un mémento contenant exactement les qualifications est transmis -au Parquet de Saint-Omer nous diffusons même une disquette, ce qui permet à l'OPJ, s'il a le même ordinateur, d'appeler directement le texte rédigé par les services judiciaires. Avec cette mesure nous avons toute chance d'obtenir une procédure régulière, qui permettra au juge des enfants de statuer correctement.

La loi du 8 février 1995 a donné l'obligation pour le Parquet de saisir le juge des enfants par une requête. C'était une complication inutile.

Les documents de la police ou de la gendarmerie sont repris par la requête, le même travail est fait deux fois.

J'exige bien entendu que lorsqu'une convocation par OPJ arrive au tribunal, elle passe par le Parquet. Qu'il y ait requête ou pas, la légalité de la procédure est examinée.

Notre pratique va être simplifiée par la nouvelle loi de ce point de vue-là.

J'attire toutefois l'attention de votre Commission sur la rédaction du texte, dans le cas spécifique d'un Parquet frontalier. Il s'agit du renvoi à l'article 552 du code de procédure pénale.

Celui-ci prévoit une durée minimum de dix jours pour la citation, mais qui est augmenté de deux mois pour les étrangers, soit deux mois et dix jours.

Cela me paraît assez inconciliable avec le fait que nous avons quelques mineurs étrangers en séjour, que nous allons poursuivre. Or, dans les deux mois et dix jours ils seront partis, la faculté de la réponse ne sera plus assurée, et si nous citons à moins de dix jours, spécialement avec les Anglais, il sera soutenu que la convocation par OPJ est nulle, donc le tribunal ne sera pas saisi et la juridiction ne pourra pas statuer sur les intérêts civils.

Je préférerais donc que cette référence ne figure pas dans le texte, et qu'il soit uniformément prévu un délai de dix jours pour cette raison. Le problème se pose d'ailleurs aussi pour les majeurs.

Je considère que la convocation par OPJ telle qu'elle résulte du texte actuel n'est que la consécration de la pratique de la plupart des Parquets.

J'ai contacté mes trois collègues du Pas-de-Calais, ils ont très exactement la même pratique que moi.

En ce qui concerne les infractions les plus graves, nous recherchons une présentation immédiate. Ensuite, il y aura soit médiation réparation, soit classement à terme, soit saisine immédiate du juge des enfants et du juge d'instruction, aux fins de mesures soit éducatives, soit répressives.

De ce point de vue nous avons plutôt une inclinaison à saisir le juge d'instruction pour la détention provisoire, mais c'est une pratique du Parquet de Saint-Omer, qui correspond peut-être à un choix de mesures sur la personnalité, dans le sens où je constate que les juges des enfants, lorsqu'ils jugent des mineurs, n'ont pas forcément un dossier de personnalité extrêmement abondant, d'où un gros problème.

La nouvelle loi prévoit l'intervention des services de la protection judiciaire de la jeunesse, mais -et là je suis obligé de rejoindre les conclusions des précédents intervenants- nous n'avons pas les moyens, compte tenu même de la petite délinquance de Saint-Omer, de mettre dans le dossier suffisamment de renseignements de personnalité pour éclairer la juridiction de jugement.

À Saint-Omer il n'y a que quatre éducateurs. Un rapport récent de la PJJ au niveau régional indique combien les personnels sont inquiets. La jeunesse de certains éducateurs paraît incompatible avec le rythme des mutations par rapport à la délinquance, qui se concentre en certains endroits et qui devrait être traitée par des gens d'expérience.

Le juge des enfants bien souvent n'a pas les moyens d'ordonner un examen médicopsychologique, une expertise psychiatrique. C'est la raison pour laquelle le Parquet de Saint-Omer, lorsqu'il y a des cas extrêmement lourds -pas nombreux, certes, trois ou quatre par an- préfère recourir à l'instruction car le juge d'instruction va systématiquement constituer un dossier de personnalité très fourni.

En matière de juridiction pour enfants il faut reconnaître -et c'est le deuxième volet de cette loi- que les réquisitions du Parquet ont moins de poids que dans d'autres procédures.

Une nouveauté de ce texte est l'introduction d'un certain contrôle du Parquet par l'intermédiaire notamment de l'article 8.3 de l'ordonnance.

Je distinguerai la requête classique que nous allons toujours utiliser et la requête accélérée.

La première existera toujours. Elle peut devenir accélérée suite à des réquisitions du Parquet.

En matière correctionnelle le texte dit « à tout moment le procureur de la République pourra faire application des dispositions de l'article 8.2 ».

Mais quel événement permettra au procureur de la République d'intervenir ? Un événement extérieur, parce qu'il y a une procédure en cours, que le mineur a réitéré des faits ? Dans ce cas on va vraisemblablement ouvrir un nouveau dossier.

Si c'est un événement intérieur, c'est-à-dire l'inaction du juge pour enfants, car il faut appeler un chat un chat, il faut que le Parquet dispose des moyens d'accéder au cabinet du juge des enfants.

On pourrait par exemple imaginer que, tout comme dans l'article 82 du code de procédure pénale, on autorise le ministère public à faire des réquisitions auprès du juge pour enfants pour obtenir communication du dossier, à charge pour lui de restituer le dossier dans les 48 heures.

Il s'agirait d'une disposition parallèle à celle utilisée pour les juges d'instruction, et en rapport avec cette possibilité donnée au ministère public d'obliger le juge à agir.

Plus généralement, le juge des enfants mène en quelque sorte sans contrôle un dossier dans le cadre de cette procédure un peu souple de l'ordonnance de 1945.

En réalité il s'agit dans ce texte d'introduire un début de contrôle, mais ne pourrait-on pas penser -et je reprends en cela les conclusions du rapport conjoint déposé en mars 95 par l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale des services judiciaires- qu'au niveau de la cour d'appel le président de la chambre spéciale ou le délégué à la protection acquière des pouvoirs similaires à ceux du président de la chambre d'accusation, en tout cas qu'on lui reconnaisse un véritable pouvoir de contrôle et de direction des cabinets pour enfants de l'ensemble d'une cour d'appel.

Ce serait peut-être la conséquence logique des dispositions introduites dans le texte actuel, qui reste en deçà d'un véritable contrôle du Parquet sur les juges pour enfants.

Je conclurai en disant que je suis favorable à cette loi, dans ses dispositions concernant la convocation par OPJ ou les requêtes avec déferrement du mineur et ensuite comparution à délai rapproché.

Je crois que le temps pénal doit s'adapter à celui vécu par les mineurs. S'ils sont jugés six mois plus tard pour des faits graves, ils ont oublié bien souvent, surtout si ces agissements sont très nombreux.

Un mineur peut très bien basculer dans la délinquance pour des raisons familiales le plus souvent, mais aussi pour un mal-être entre 15 et 18 ans, en raison du « complexe du homard ».Mais ce basculement n'est qu'une parenthèse dans sa vie, qui ne va pas durer.

C'est la raison pour laquelle l'accélération de la procédure pénale va dans le sens d'une meilleure protection des mineurs, et en même temps les délais introduits permettent de prendre en compte le fait que la délinquance ne peut être qu'une parenthèse dans la vie d'un mineur.

M. le Président.- Je vous remercie, Messieurs.

M. Guy ALLOUCHE.- Qu'est-ce que le complexe du homard ?

M. Christian BONNET.- Merci d'avoir eu le courage de poser une question que tout le monde se posait autour de cette table.

M. Jean-Pierre VALENSI.- C'est une expression de Françoise Dolto, qui explique qu'entre 15 et 18 ans le mineur change de carapace. Cela lui pose des problèmes existentiels que nous avons tous vécus.

M. Michel RUFIN.- Vous nous avez indiqué notamment combien les services de police et de gendarmerie devaient être attentifs à tous les faits répressifs.

Bien entendu vous avez aussi rappelé combien le sentiment d'impunité existant parmi les mineurs était fort, et combien les personnes fragiles et socialement confrontées à des problèmes étaient traumatisées par ce phénomène d'insécurité.

Il est certain que ces dernières années on a eu plutôt tendance dans des commissariats de police à négliger ou à laisser de côté l'activité donnée aux brigades de mineurs spécialisées. Celles-ci ont plutôt eu tendance à disparaître.

Ne pensez-vous pas qu'il y aurait lieu, justement à cet égard, de les renforcer à nouveau, de manière à leur redonner une vigueur qu'elles n'ont plus ?

M. Joseph SCHMIT. - Vous posez une question difficile à résoudre. Je ne crois pas que le ministère de l'Intérieur donne des instructions de cette nature. Je crois que les choses se font par sélection sur le terrain par les hommes eux-mêmes, qui ont conscience de la réalité et qui en tirent les conséquences.

Les brigades des mineurs ont été faites dans les commissariats des grandes villes pour s'occuper du traitement des mineurs délinquants.

Depuis trois ans nous sommes confrontés à un phénomène. Quand j'étais procureur à Reims, jusqu'en septembre 93 nous avions des affaires de maltraitance de mineurs de l'ordre de 50 par an.

Brutalement, en novembre 93, nous sommes passés à 20 affaires par mois. La plupart d'entre elles étaient des violences sexuelles.

J'ai cru que c'était un phénomène provisoire. Je me suis interrogé pour savoir s'il était purement local. J'ai consulté mes collègues des autres Parquets, ils ont été confrontés au même phénomène et il dure encore.

Nous avons à Reims plus de 200 affaires de maltraitance par an, dont la plupart sexuelles, et à Rouen c'est le cas aussi.

Si bien que, devant la nécessité, les Parquets ont été interpellés par la souffrance et la misère de ces enfants très jeunes, bien plus importantes souvent que l'aspect de la question que vous évoquez.

Nous sommes intervenus auprès des services de police, qui ont fait le maximum avec les effectifs qu'ils avaient, qu'il aurait fallu renforcer.

Mais la police ne peut pas faire face à la situation avec ses moyens actuels pour les mineurs victimes, et petit à petit les brigades des mineurs se sont mobilisées pratiquement exclusivement pour les affaires de maltraitance d'enfants.

C'est le cas à Rouen. Elle travaille 24 heures sur 24 sur les affaires de violences sexuelles dont sont victimes les mineurs. Parfois certains sont en état de danger.

Ils accusent le père, ils sont en danger, ils sont les victimes, et parce qu'on n'a pas la maîtrise immédiate de la réaction à ces crimes, on est obligé de saisir le juge des enfants. Celui-ci place l'enfant, pour sa sécurité, en attendant que l'autorité puisse s'occuper de l'auteur.

Là aussi les juges des enfants sont débordés par ces affaires difficiles. Chacun fait ce qu'il peut, du mieux qu'il peut.

La police a conscience de cette situation, elle essaie de trouver des réponses. Dans une agglomération comme celle de Rouen, très étendue, une brigade des mineurs centralisée, sauf à y mettre 60 ou 80 personnes, ne peut s'occuper des deux à la fois, ce serait ingérable.

Il faut une spécialisation par commissariat de quartier. Dans les commissariats ou sous-commissariats, des fonctionnaires de police sont spécialisés dans l'accueil et la gestion des phénomènes de délinquance.

Celle des mineurs est une délinquance de terrain, de proximité. Le quartier est son domaine d'action. Les policiers connaissent bien les sujets. C'est une meilleure formule qu'une brigade centralisée, selon moi.

M. Michel RUFIN.- La principale critique adressée à la comparution à délai rapproché concerne le droit d'appel reconnu au Parquet en cas de refus du juge des enfants de faire droit aux réquisitions du procureur.

Qu'en pensez-vous ?

M. Joseph SCHMIT.- Ce qui compte n'est pas tellement la condamnation rapide du mineur, mais l'intervention rapide du juge des enfants.

Il faut que le mineur comparaisse devant lui. Il va alors, après une enquête ordonnée par le Parquet, complète ou pas, prendre une décision.

Dans les grandes villes comme Reims ou Rouen, il y a un service éducatif qui a les moyens de délivrer des enquêtes. Il connaît souvent les délinquants, il peut donner des renseignements.

Au moment de la comparution devant le juge, il faut un minimum de renseignements pour lui permettre de refaire un bilan. Le texte prévoit d'ailleurs que si le juge estime que les éléments sont insuffisants, il peut ordonner toute mesure d'investigations complémentaires pour mieux se renseigner sur la personnalité de l'auteur.

Je pense que dans ce domaine, ce qui compte ce n'est pas tellement la convocation devant le tribunal, mais devant le juge rapidement.

Je ne veux pas critiquer le texte sur ce point, car cette deuxième partie pourrait être utile, mais elle sera très difficile à mettre en oeuvre. Les juges des enfants doivent quand même conserver la maîtrise de ces affaires, car ils connaissent les jeunes, leur milieu, leur famille.

Je vous l'avoue franchement, après en avoir délibéré avec mes collègues du Parquet, je ne me vois pas me mettre dans une situation conflictuelle avec un juge des enfants, en lui disant « Cher collègue, des dossiers traînent, ne pourriez-vous pas faire un effort ? Ou alors passez-moi les dossiers, je vais faire une requête ».

Entre gens intelligents il est toujours possible d'aller voir le juge et lui expliquer la situation, lui demander une audience plus rapprochée. En général il écoute.

Je ne me vois pas du tout interjeter appel devant la chambre des mineurs pour un refus d'un juge qui s'opposerait à cette demande.

Connaissant les hommes que sont les magistrats, je ne sais pas si la chambre des appels des mineurs aimerait cela. Une fois peut-être, quand ce sera très bien justifié, pour des raisons particulières.

Le texte reste peut-être utile de ce point de vue-là, mais je n'en suis pas convaincu, je pense qu'il est source de difficultés dans les relations des uns avec les autres.

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT.- Pourquoi le juge d'instruction a-t-il plus de moyens que le juge des enfants pour constituer un dossier de personnalité ?

M. Jean-Pierre VALENSI. - Parce qu'il pourra plus facilement recourir à des médecins experts, il a l'habitude dans les dossiers criminels notamment de prendre des ordonnances d'expertises psychiatrique, médicopsychologique, d'ordonner des enquêtes sociales.

Il le fait beaucoup plus systématiquement que le juge des enfants.

S'agissant de l'appel, j'ai tendance à croire que la loi d'une certaine façon permet de rationaliser les rapports entre le Parquet et le Siège. C'est plus protecteur qu'une zone de non droit dans laquelle on ne sait pas exactement ce qu'on peut faire ou pas.

Je pense qu'il est mieux de réglementer, car la loi est protectrice par rapport à cette liberté qui ne permet pas d'obtenir un dossier, qui permet des arrangements, mais ne règle pas les situations de conflits.

La procédure est là pour régler les conflits dans la clarté.

M. Guy ALLOUCHE.- Est-ce que l'avocat du mineur peut faire appel ? Le constat que vous avez dressé devant nous, Monsieur le Procureur de Rouen, est celui que nous faisons aussi très souvent dans les départements.

J'ai cru comprendre que vous étiez un peu en contradiction avec ceux que nous avons entendus avant vous...

M. le Président.- Permettez-moi de vous interrompre trente secondes. Si nous entendions des auditions allant toutes dans le même sens, quel serait leur intérêt ?

M. Guy ALLOUCHE. - Évidemment, c'est la contradiction qui nous permet de nous enrichir, d'avoir des idées.

Vous terminez, Monsieur le Procureur, en craignant que ce texte provoque des difficultés relationnelles entre les différents magistrats, qu'ils soient juge d'instruction ou juge pour enfants.

M. le Président.- Quelle est votre impression sur le risque de situations conflictuelles ?

Nous avons deux thèses parfaitement exprimées :

1) s'il y a risque de conflit il faut un arbitre ;

2) M. le Procureur de Rouen, avec une certaine circonspection dit « cela m'ennuie ».

M. Joseph SCHMIT.- Le juge des enfants n'aimera pas que le procureur lui fasse des reproches.

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT.- Alors pourquoi une loi ?

M. Joseph SCHMIT.- Le procureur de la République maîtrise toujours l'exercice de l'action publique, elle lui appartient.

Pour des raisons purement techniques et qui tiennent à la spécificité de la matière, le Parquet a laissé l'opportunité non pas de la décision de la poursuite, mais de la mise en oeuvre de la décision de poursuite au juge des enfants.

Traditionnellement, quand le Parquet rédige un acte d'accusation, celui-ci va dans un service du Parquet, celui de l'audiencement, qu'il s'agisse des dossiers concernant les majeurs ou les mineurs.

Le Parquet a toujours la maîtrise des dossiers qu'il choisit pour la poursuite.

Mais la matière étant spécifique, les juges des enfants sont les seuls à bien connaître les mineurs. Petit à petit, les Parquets ont été amenés à déléguer, au sein du service du greffe des juges des enfants à un fonctionnaire du Parquet devenu un fonctionnaire au service des juges des enfants.

Les dossiers sont classés et gérés au greffe du tribunal pour enfants, et on laisse l'opportunité au juge des enfants de décider lui-même du moment qui convient le mieux pour poursuivre.

Mais si le Parquet veut reprendre la situation en main, à travers une nouvelle organisation il peut le faire, les poursuites devant le tribunal pour enfants étant gérées de sa propre autorité.

Cela est devenu depuis si longtemps un usage qu'il ne sera pas possible de revenir en arrière, mais je pense qu'il n'y a pas besoin de texte actuellement pour dire « on va tel jour saisir le tribunal pour enfants ».

M. le Président.- Cela ne se fait pas, pour des raisons parfaitement expliquées. Nous sommes dans une situation où en gros le Parquet a des capacités d'intervention, et où pour des raisons de tradition parfaitement respectables elles ont été « abandonnées ».

M. Joseph SCHMIT.- Pour un objectif précis.

M. le Président.- Merci Messieurs. Nous devons entendre les fonctionnaires de police et les membres du corps préfectoral : M. Maucourant, commissaire divisionnaire du XVIIIème arrondissement, M. Lutz, commissaire principal au Blanc-Mesnil, M. Lanvers, sous-préfet du Rhône à la ville.

Le temps nous est compté.

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