N° 264

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 mars 1997.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1),

sur le
système commun de TVA en Europe ,

Par M. Denis BADRÉ,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : MM. Jacques Genton, président ; James Bordas, Michel Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon, vice-présidents ; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant, secrétaires ; Robert Badinter, Denis Badré, Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, M. Charles Descours, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre Lagourgue, Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Alain Richard, Jacques Rocca Serra, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, André Rouvière, René Trégouët, Marcel Vidal, Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.

Union européenne. - Fiscalité - Impôt sur la consommation - TVA - Harmonisation fiscale - Rapports d'information.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Parlement français a été saisi, le 28 février 1996, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, sous le numéro E 595, d'une proposition de directive modifiant la directive 77/388/CEE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (niveau normal du taux normal).

Cette proposition de directive vise à fixer le niveau minimal et le niveau maximal du taux normal de la TVA à respectivement 15 et 25 % (un " tunnel "), pendant une période allant du 1 er janvier 1997 au 31 décembre 1998. La Commission européenne a estimé que cette décision est nécessaire pour consolider le fonctionnement du marché intérieur d'un point de vue fiscal, " en particulier en vue de la préparation du régime définitif pour le système commun de TVA ".

L'Assemblée nationale a adopté, le 2 juin 1996, une résolution dans laquelle elle considérait que l'adoption du régime définitif passait, non seulement par une harmonisation de l'ensemble de la législation communautaire en matière de TVA (niveau, structure des taux, droits à déduction, champ d'application...), mais aussi par un examen des conséquences institutionnelles de ce régime et la mise en place préalable de la monnaie unique.

Considérant qu'il n'apparaît, " ni urgent, ni opportun ", de fixer un taux plafond de la TVA, elle a en outre demandé au gouvernement de limiter l'objet de cette directive au maintien d'un taux minimal qui ne pourrait être inférieur à 15 % pendant une période allant du 1 er janvier 1997 au 31 décembre 1998, et de s'opposer en l'état au principe d'un plafonnement communautaire du taux normal de TVA.

La délégation du Sénat pour l'Union européenne a examiné cette proposition de directive au cours de sa réunion du 16 avril 1996.

Considérant que le problème posé par cette proposition de directive est en réalité celui du passage au " régime définitif " qui est souhaité par la Commission européenne et qui se traduirait par le paiement de la TVA dans le pays où le bien est produit, et non plus dans celui où le bien est acheté, la délégation avait alors estimé nécessaire de disposer de tous les éléments d'information pour porter un jugement sur la proposition E 595 et sur le régime définitif.

Pour l'éclairer sur ce dossier très difficile, la délégation a en conséquence demandé une expertise technique et économique au Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales (CEPII) ; cette expertise a été réalisée par des spécialistes en fiscalité de France et du Royaume-Uni. Elle est intégralement reproduite en annexe au présent rapport.

Avant de prendre définitivement position, la délégation a également cru nécessaire de connaître la position du gouvernement. Elle a procédé à l'audition de M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget, le 18 février 1997. Le compte rendu de cette audition est également joint en annexe.

Il ressort quatre éléments saillants de l'instruction approfondie du dossier :

- Le nouveau système commun de TVA proposé par la Commission européenne est très diffèrent de celui qu'elle avait proposé en 1987 ;

- Ce nouveau système comporte des inconvénients sérieux ;

- L'analyse économique montre qu'un système commun de TVA peut comporter certaines disparités entre Etats ;

- L'actuel système de TVA communautaire est perfectible.

I. LE NOUVEAU SYSTEME COMMUN DE TVA PROPOSE PAR LA COMMISSION EUROPEENNE EST TRES DIFFERENT DE CELUI DE 1987

La taxe à la valeur ajoutée (TVA) est un impôt important pour les ressources de l'Etat français : en 1996, elle a assuré la moitié des rentrées fiscales du budget. C'est dire si la modification du système de collecte de la TVA en Europe est un sujet sensible pour le fonctionnement de l'Etat et pour la recherche de l'équilibre budgétaire. Donc il convient d'être particulièrement attentif aux propositions actuelles de la Commission qui ont pour objet une transformation profonde du système actuel de perception de la TVA en Europe.

A. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DE 1987 N'AVAIENT PAS ETE ACCEPTEES PAR LE CONSEIL

La Commission est parfaitement dans son rôle quand elle propose de modifier le régime de la TVA. En effet, dès 1957, le traité de Rome demandait à la Commission, dans son article 99, de soumettre, au Conseil, des propositions d'harmonisation " dans l'intérêt du marché commun ". De plus, l'article 99, modifié par l'Acte Unique et par le traité sur l'Union européenne, stipule que " le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du Conseil économique et social, arrête les dispositions touchant à l'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, aux droits d'accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur dans le délai prévu à l'article 7 A (1( * )) ".

C'est sur la base de cet article que, à la demande d'un Conseil ECOFIN de juin 1986, la Commission avait proposé en août 1987 un système de TVA communautaire contenu dans plusieurs documents.

Dans une Communication au Conseil COM(87) 320, la Commission décrivait les grandes lignes de sa stratégie qui portait sur la suppression des frontières fiscales, l'harmonisation minimale des fiscalités indirectes, compte tenu des contraintes budgétaires des Etats membres, en particulier pour éviter les distorsions de concurrence et les détournements de trafic, et la modification des mécanismes d'imposition des opérations import-export.

Cette communication était accompagnée de trois textes qui précisaient le contenu du système.

Une première proposition de directive COM(87) 321 concernait le rapprochement des taux de TVA : un taux normal (entre 14 et 20 %) serait appliqué à la plupart des produits et des services ; un taux réduit (entre 4 et 9 %) serait appliqué aux produits de première nécessité (environ un tiers de l'assiette TVA), aux denrées alimentaires (à l'exception des boissons alcoolisées), aux produits énergétiques pour le chauffage et l'éclairage domestique, à la livraison d'eau, aux produits pharmaceutiques, aux livres, aux journaux et périodiques et au transport de personnes.

Une seconde proposition de directive COM(87) 322 complétait et modifiait la sixième directive de 1977 relative à l'assiette uniforme pour le système commun de TVA et visait à unifier le régime de TVA applicable au commerce intracommunautaire et au régime applicable aux opérations de commerce international. Dans cette proposition, la Commission suggérait que le produit exporté ne soit plus détaxé à la frontière et ne soit plus soumis à la TVA du pays d'importation, mais qu'il soit soumis à la TVA du pays de livraison.

Un troisième document de travail COM(87) 323 prévoyait la création d'un mécanisme destiné à affecter la TVA perçue dans le pays exportateur au pays de consommation sous forme de compensation entre Etats . Sur la base des déclarations périodiques de TVA remplies par les entreprises, chaque Etat aurait fourni à la Commission un décompte mensuel récapitulant de façon globale les recettes de TVA collectées et les TVA déduites. Sur le solde de la position ainsi calculée, les pays membres auraient versé les montants en cause à une caisse de compensation.

A l'époque, ces propositions avaient été fortement contestées, en particulier par " le père " de la TVA, M. Maurice Lauré (2( * )) , qui insistait alors sur les risques de détournement d'achats des consommateurs finals, en particulier pour les entreprises de ventes par correspondance et les achats transfrontaliers. Ces réserves avaient été confirmées par une commission d'experts français présidée par M. Marcel Boiteux. Le Conseil ECOFIN de Crète de septembre 1988 avait alors demandé à la Commission de revoir ses propositions et ce n'est qu'à l'occasion du Conseil européen de Rome de décembre 1990, qu'il fut décidé la mise en place d'un régime transitoire de TVA, à compter du 1 er janvier 1993, devant aboutir à un régime définitif, au 1 er janvier 1997.

B. LE SYSTEME ACTUEL FONCTIONNE SELON UN REGIME DIT TRANSITOIRE

Une nouvelle proposition de la Commission en date du 17 juillet 1990 a ainsi pris acte de l'impossibilité de passer directement au stade du régime définitif de TVA. Cette proposition a alors posé les principes d'un régime transitoire qui a été adopté par le Conseil dans la directive n° 91/680 du 16 décembre 1991. Conformément à ses orientations, les contrôles douaniers aux frontières intracommunautaires ont été démantelés au 1er janvier 1993 et les marchandises circulent librement depuis cette date dans l'Union européenne.

Le système transitoire fonctionne sur la base de trois principes.

- la fin des restrictions à l'achat pour les voyageurs, qui sont imposés à la TVA dans le pays d'origine des biens qu'ils achètent - sauf pour l'achat de véhicules neufs et pour les ventes à distance  ;

- l'abolition des contrôles aux frontières pour les entreprises , abolition qui a permis à celles-ci de bénéficier de la suppression des frais liés à l'accomplissement des formalités douanières, tels que la rémunération des commissionnaires en douane, les cautionnements douaniers et les charges administratives ;

- le maintien de la taxation dans le pays de destination pour préserver les recettes de chaque Etat.

La contrepartie de la disparition des formalités aux frontières dans le cadre du marché unique est la déclaration d'échange de biens (DEB) : chaque trimestre, les entreprises doivent communiquer un état récapitulatif de leurs livraisons intracommunautaires par client et fournir une déclaration statistique détaillée de leurs mouvements de marchandises avec les autres pays européens. Cette déclaration unique, collectée par le service des Douanes, sert ainsi à l'établissement des statistiques du commerce extérieur intra-européen. Elle permet la coopération entre les administrations fiscales nationales dans le cadre du fonctionnement d'une base de données européenne de recoupement des déclarations (Système VIES).

C. LE NOUVEAU SYSTEME PROPOSE PAR LA COMMISSION EST TRES AMBITIEUX

La Commission a rendu public, le 22 juillet 1996, un document COM(96) 328 final intitulé " Un système commun de TVA, Un programme pour le Marché unique ".

La Commission part du principe que " de par sa conception et sa législation de base, la TVA est une taxe communautaire qui a notamment pour objet d'instaurer un système commun de taxe sur la valeur ajoutée ". L'objectif de la Commission, dans ce contexte, est de donner au système commun de TVA " les caractéristiques d'un véritable espace fiscal communautaire, assurant le traitement égal des transactions domestiques et intracommunautaires ".

Les principaux éléments du nouveau système sont les suivants :

- suppression de toute distinction entre opérations domestiques et intracommunautaires , et donc taxation des produits dans le pays d'origine ;

- taxation de toutes les opérations effectuées dans la Communauté par suppression des mécanismes de détaxation/taxation des échanges entre Etats membres ;

- lieu unique de taxation pour toutes les opérations réalisées par un opérateur sans distinction selon l'Etat membre où sont réalisées ces opérations ;

- renonciation à l'attribution directe des recettes TVA aux Etats et mise en place d'un mécanisme de réattribution des recettes entre Etats membres sur base statistique de la consommation.

La Commission estime que, dès l'instant où l'ensemble de l'activité économique réalisée par un opérateur dans la Communauté est soumise à la taxe dans un seul Etat membre, un très large degré d'harmonisation des mécanismes d'imposition est désormais indispensable pour assurer l'uniformité d'application du système. De ce fait, il convient de procéder à une harmonisation des taux de TVA, " le niveau du taux normal à retenir devant faire l'objet d'une décision politique tenant compte du besoin général des Etats membres de disposer de recettes suffisantes, de la répartition des charges entre les grandes catégories de prélèvements obligatoires (fiscalité directe, indirecte, contributions sociales) et des orientations fiscales à moyen terme) ".

Pour la mise en place du nouveau régime TVA, la Commission envisage, dès 1997, d'arrêter ses principes de fonctionnement (champ de la taxe, exemptions, définition des personnes assujetties, droits à déduction...) ; puis, en 1998 , de définir la détermination du lieu de taxation et le mode du système de fonctionnement de la compensation ; enfin, en 1999, de déterminer les taux harmonisés. Chaque étape ne serait mise en oeuvre que deux ans après avoir été arrêtée par le Conseil, de telle sorte que le régime pourrait entrer en vigueur après 2001 .

C'est donc bien dans le cadre de ce programme d'ensemble que doit s'effectuer l'analyse de la proposition E 595.

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