3.1 Évaluation de la compétitivité des ports français par leurs usagers
3.1.1 Le point de vue des chargeurs et commissionnaires de transport
L'appréciation de l'évolution de la compétitivité des ports français par les chargeurs et commissionnaires de transport est différenciée selon les ports. Il faut souligner toutefois que l'enquête ayant porté sur un petit échantillon de chargeurs et commissionnaires de transport de la région parisienne, la région Rhône-Alpes, le Massif Central et le nord de la France, les principaux ports mentionnés sont Le Havre, Marseille et Dunkerque, ainsi que les ports d'Anvers, Rotterdam et parfois Zeebrugge.
Concernant le port du Havre, toutes les chargeurs rencontrées s'accordent pour reconnaître qu'il a nettement amélioré son niveau de compétitivité depuis le début de la réforme portuaire, qu'il est le seul port français à rester en course dans la compétition portuaire européenne sur les trafics de lignes régulières conteneurisées, mais qu'il doit encore faire des efforts d'amélioration pour se mettre au niveau de compétitivité de ses principaux concurrents de mer du nord.
Le port de Marseille est jugé beaucoup plus sévèrement par les chargeurs et commissionnaires de transport rencontrés qui s'accordent pour dire que malgré la réforme portuaire il n'a pas réagi au niveau nécessaire par rapport à l'évolution de la concurrence portuaire, qu'il a déjà quasiment perdu la bataille du conteneur en Méditerranée et que les chargeurs qui l'utilisent encore le font principalement en raison de l'implantation de leurs installations dans son hinterland proche.
Le port de Dunkerque est relativement bien apprécié par les chargeurs qui l'utilisent. Ils considèrent généralement que c'est le port qui présente les résultats les plus satisfaisants dans la mise en oeuvre de la réforme portuaire. Mais malgré ses efforts, il ne réussit pas à attirer les lignes régulières et son offre de transport maritime demeure peu satisfaisante dans un environnement géographique très concurrentiel.
3.1.2 Le point de vue des armateurs
• Pour le trafic
conteneurs
Concernant le port du Havre, les armateurs s'accordent avec les chargeurs pour souligner la nette amélioration de son niveau de fiabilité et expriment leur satisfaction à ce sujet. Mais il souffre encore d'une mauvaise image de marque auprès des directions des compagnies maritimes à l'étranger. Le caractère inachevé de la réforme portuaire et les nombreux problèmes de droit du travail et de statuts de personnels (conducteurs de portiques et dockers notamment) laissés en suspens constituent pour eux une appréhension sur la garantie de maintien de ce niveau de fiabilité.
L'amélioration du niveau de productivité du port du Havre est également jugée satisfaisante. Mais des efforts sont encore à réaliser pour atteindre les niveaux plus compétitifs des ports de Rotterdam ou Anvers. En matière de qualité des services portuaires, les appréciations sont différenciées selon la taille des armements. Le port du Havre, dans son ensemble, accorde une certaine priorité aux grands armements étrangers qu'il s'efforce de fidéliser et les armements de moindre envergure, notamment les armements français, se plaignent de ne pas bénéficier d'une qualité de service aussi satisfaisante.
Des efforts commerciaux appréciables ont été réalisés sur les coûts d'escale de navires. Mais certains tarifs sont jugés encore pénalisants par rapport à ceux pratiqués dans les ports concurrents. C'est en particulier le cas des services soumis à un monopole de fait, tels que le remorquage, le camionnage et tous les services à terre dans l'enceinte portuaire. Cependant au-delà des tarifs qui ont atteint des niveaux relativement satisfaisants (ex. droits de port) ou peuvent être compensés par des ristournes commerciales (ex. manutention), ce sont les coûts par unité transportée qui pénalisent les escales au port du Havre en raison de son volume de trafic insuffisant 86 ( * ) . Selon les armateurs, cette insuffisance de volume de trafic ne peut se résoudre que par un élargissement de son hinterland et donc par l'amélioration de la qualité et de la compétitivité de son réseau d'accès terrestres.
Concernant le port de Marseille , l'appréciation des armateurs est très sévère et généralement négative. Le manque de fiabilité et les fréquents conflits sociaux au port de Marseille constituent pour eux une véritable hantise. La mise en oeuvre de la réforme portuaire et l'exacerbation des conditions de concurrence portuaire en Europe ne semblent pas avoir d'effets sensibles sur les niveaux de productivité et de qualité des services portuaires à Marseille qui demeurent bien en deçà des standards européens.
Malgré des conditions d'accès nautiques nettement plus avantageuses que celles des ports du nord, les tarifs de droits de port et de remorquage restent relativement élevés à Marseille, alors que les tarifs de manutention y sont nettement plus chers que dans tous les ports européens.
Dans un contexte extrêmement concurrentiel, où les stratégies armatoriales de desserte de la Méditerranée sont de plus en plus déterminées par la concurrence très vive sur les flux Est-Ouest, la mise en place de méga-alliances maritimes, l'utilisation de navires de plus en plus gros, la réduction du nombre d'escales par rotation et le développement du transbordement et du feedering, il apparaît que le port de Marseille, en raison de son manque de fiabilité et de compétitivité, a probablement déjà perdu la bataille du conteneur en Méditerranée et risque à terme de devenir principalement un port de feeders. Même les grandes compagnies maritimes qui continuent de toucher Marseille en direct se posent aujourd'hui des questions sur l'avenir de leur escale et ne cachent pas que des décisions importantes seront prises à court terme si aucune amélioration n'est enregistrée.
•
Pour les trafics conventionnels
L'appréciation du niveau de compétitivité des ports français par les transporteurs de trafics conventionnels n'est pas très différente de celle de leurs homologues des lignes conteneurisées pour les facteurs de fiabilité et de coûts de droits de port ou de services au navire. Mais elle rejoint beaucoup plus le point de vue des chargeurs sur le manque de compétitivité de la manutention et de tous les services à la marchandise que nécessitent beaucoup plus les trafics conventionnels.
La raison de ce manque de compétitivité réside selon les armateurs dans la persistance très pénalisante de monopoles de fait sur l'exercice de toutes les prestations de services réalisables dans l'enceinte portuaire (camionnage, groupage/dégroupage, prestations diverses sous hangar ou sur terre-plein portuaire, etc.) pour lesquels les opérateurs n'ont pas la liberté de choisir leurs sous-traitants et sont contraints de faire appel à la main-d'oeuvre docker en supportant ses tarifs et ses niveaux de productivité et de qualité de service.
Pour les trafics de vrac
Les transporteurs maritimes de vracs liquides et solides sont généralement satisfaits de la qualité des infrastructures d'accueil des ports français.
Comme tous les autres armateurs, ils sont sensibles aux facteurs de fiabilité et de productivité qui n'y sont pas toujours satisfaisants. Mais ils sont surtout préoccupés par les niveaux de tarifs portuaires qui sont généralement plus élevés que dans les autres ports européens.
Ils sont particulièrement mécontents des niveaux de tarifs de droits de port qui leur sont appliqués et ont l'impression d'être considérés comme des clients captifs qui « subventionnent » les trafics plus concurrentiels, notamment les conteneurs. Les transporteurs de vrac sont également mécontents des tarifs de services maritimes (pilotage et remorquage) qui sont plus élevés en France que dans les autres ports européens. Ils remettent en cause les monopoles de fait qui sont exercés sur le pilotage et le remorquage et souhaitent un changement de statut et une libéralisation de ces activités.