II. UN POUVOIR DE DÉCISION AFFAIBLI

A. UNE PROCÉDURE DE DÉCISION INADAPTÉE

Permettre au Conseil de se prononcer à la majorité qualifiée sur un plus grand nombre de questions, laisser aux Etats, dans le cadre de la subsidiarité, le soin de régler eux-mêmes les questions qui les touchent de près : ce sont là les deux volets, non pas contradictoires mais complémentaires, d'une réforme destinée à renforcer l'efficacité de l'Union, que le traité d'Amsterdam n'a pas su conduire.

1. Une unanimité paralysante

L'extension du vote à la majorité qualifiée constitue le moyen le plus sûr de surmonter les blocages, déjà nombreux dans une Union de quinze Etats membres mais encore appelés à se multiplier dans une Europe élargie. Toutefois le calcul de la majorité doit représenter de façon significative la majorité de la population, sans quoi la légitimité des décisions prises apparaîtrait sérieusement compromise. Il existe donc un lien étroit entre les modalités de vote et la pondération des voix. Or le décalage n'a cessé de se creuser entre la majorité qualifiée et la représentativité en termes démographiques.

a) Une pondération des voix devenue inadéquate

Une certaine sur-représentation des " petits " Etats a toujours été admise au sein du Conseil. Elle permet de corriger le déséquilibre auquel conduirait une stricte prise en compte des critères démographiques.

Cependant, les élargissements successifs ont entraîné une accentuation de cette tendance. Si le poids des " grands " Etats au sein de la population de l'Union s'est légèrement érodé -de 87 % à 79 % entre 1957 et 1995-, le poids de leurs voix s'est sérieusement réduit au cours de cette période -de 70,59 % à 55,17 % du total des voix 4( * ) . La majorité qualifiée -fixée à 70 % des voix- ne représente aujourd'hui que 58 % de la population totale. Sans modification du régime actuel, la majorité qualifiée représenterait 50,29 % de la population dans une Union élargie à 26 Etats. Dans ces conditions, des décisions pourraient être adoptées ou bloquées contre l'avis de certains des Etats les plus peuplés de l'Union.

C'est pourquoi il convient de procéder au réaménagement de la pondération ou, à défaut, à l'instauration d'un système de double majorité fondé d'une part sur le nombre d'Etats et d'autre part, l'importance démographique de chaque Etat-membre. La France avait plaidé dans ce sens, sans succès. Les " petits " Etats, soucieux avant tout de conjurer le risque d'un " directoire des Grands", ont défendu en effet pour leur part pour le maintien de l'actuelle pondération, formule équilibrée entre l'égalitarisme qui prévaut en principe dans la représentation des Etats au sein du système international et la prise en compte du facteur démographique. Pour ces pays, c'est au Parlement européen d'assurer une représentation démographique équilibrée.

b) Une extension très limitée du vote à la majorité qualifiée

Si le vote à la majorité qualifiée se développe, aux termes du traité d'Amsterdam, à la faveur de l'ouverture du champ communautaire à de nouveaux domaines, il ne se substitue que dans des cas exceptionnels à l'unanimité pour les dispositions existantes du traité.

Le vote à la majorité qualifiée prévaut pour les nouveaux domaines de la politique communautaire : orientations et actions d'encouragement en matière d'emploi, exclusion sociale, égalité des chances entre les hommes et les femmes, santé publique, transparence, lutte anti-fraude, statistique, mise en place d'une autorité indépendante pour la protection des données, coopération douanière, régime dérogatoire pour les régions ultrapériphériques.

L'unanimité continue de prévaloir pour l'ensemble des domaines placés sous ce régime dans le système antérieur (l'industrie, la culture, les fonds structurels, certaines dispositions relatives à l'environnement, l'accès aux activités salariées lorsqu'une modification des principes législatifs s'avère nécessaire et, naturellement, la fiscalité ou l'harmonisation dans le domaine de la sécurité sociale). Quelques exceptions méritent cependant une mention en particulier dans le domaine de la recherche où les programmes-cadre annuels seront adoptés à la majorité qualifiée et non plus à l'unanimité .

• Le principe de l'unanimité peut aussi subsister en fait dans certains domaines où il paraissait avoir pourtant reculé, comme la politique étrangère et de sécurité commune avec la notion d'abstention constructive ou les premier et troisième piliers avec la mise en place des coopérations renforcées. En effet, un Etat peut toujours, dans le premier comme dans le second cas, faire valoir des " raisons de politique nationale importantes " et renvoyer ainsi la décision au Conseil européen appelé dès lors à se prononcer à l'unanimité.

Cette disposition, dont l'inspiration paraît l'écho codifié du fameux compromis de Luxembourg de janvier 1966 5( * ) , constitue un nouveau mécanisme de vote à deux temps. Il n'y a pas lieu, du reste, de penser que la " clause d'appel " remette en cause la validité de l'accord politique obtenu en 1966 dont la portée est naturellement beaucoup plus large.

• La politique commerciale commune pourra s'étendre aux négociations et accords internationaux concernant les secteurs des services et les droits de la propriété intellectuelle après un vote à l'unanimité du Conseil sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen (art. 133 § 5). L'application du vote à la majorité qualifiée, de droit dans la politique commerciale se trouve ainsi, après un vif débat lors de la conférence intergouvernementale, subordonnée à une décision à l'unanimité. Le régime antérieur est donc, en fait, maintenu. Il y a lieu de s'en féliciter au regard des positions contestables prises par la Commission -sans réelle concertation avec les Etats membres- sur le marché transatlantique unifié au début de l'année 1998.

2. La subsidiarité : un principe difficile à concrétiser

Si le thème de la subsidiarité n'a pas reçu de traduction concrète dans le cadre du traité d'Amsterdam, du moins les négociateurs se sont-ils montrés plus sensibles à une certaine "différenciation" des politiques communautaires pour les territoires périphériques de l'Union.

a) La simple codification de principes déjà acquis

Le principe de subsidiarité a pour objectif de rapprocher le processus de décision du citoyen . Reconnu pour la première fois dans le traité de Maastricht (art. 5), il conduit à réserver les interventions de la Communauté -dans les domaines où elle ne dispose pas d'une compétence exclusive- aux seules mesures dont les dimensions ou les objectifs recherchés requièrent l'échelle communautaire. Cette formulation très générale n'était pas en mesure d'apaiser les craintes soulevées par les risques d'un empiètement communautaire dans les domaines de compétence nationale.

Le thème figurait donc en bonne place parmi les questions discutées dans le cadre de la réforme institutionnelle. La défense de la subsidiarité recouvrait cependant des motivations diverses : l'Allemagne cherchait à défendre les compétences de ses Etats fédérés, le Royaume Uni voulait promouvoir la déréglementation, la France, quant à elle, s'attachait à conforter la compétence des autorités nationales en matière de transposition de la réglementation communautaire, afin notamment de donner au Parlement la possibilité de contribuer au débat sur la subsidiarité à l'occasion de l'examen des différents textes.

La diversité des points de vues, les réticences de certains Etats, sensibles aux préoccupations d'une Commission placée sur la défensive, à entrer dans un débat sur la répartition des compétences a conduit les Quinze à s'en tenir à un quasi statu quo.

Le traité d'Amsterdam se borne à reprendre dans un protocole les conclusions des deux Conseils européens sous présidence britannique (Birmingham, 16 octobre 1992 et Edimbourg, 11 et 12 décembre 1992) ainsi que l'accord interinstitutionnel conclu en octobre 1993 entre le Parlement, le Conseil et la Commission pour la mise en oeuvre du principe de subsidiarité.

Dès lors le protocole, loin de procéder à un " bornage " rigoureux des compétences communautaires et de déterminer les conditions de contrôle d'un tel partage, se satisfait de quelques orientations générales. Il s'articule en effet autour de quatre principes.

- Le respect du principe de subsidiarité incombe à chaque institution dans l'exercice de ses compétences. Mais ces institutions consentiront-elles volontiers à une limitation de leurs pouvoirs ? On peut en douter.

- L'application du principe de subsidiarité respecte le maintien intégral de l'acquis communautaire et de l' "équilibre institutionnel" ainsi que les principes mis au point par la Cour de justice en ce qui concerne la relation entre le droit national et le droit communautaire.

- Toute proposition de texte législatif communautaire doit justifier sa pertinence au regard du principe de subsidiarité par des indicateurs qualitatifs et, dans la mesure du possible, quantitatifs.

- Une action à l'échelle communautaire se justifie lorsqu'elle réunit trois conditions : la question examinée comporte des aspects transnationaux, une mise en oeuvre, au niveau national, serait contraire aux exigences du traité et présenterait, à l'inverse, des avantages manifestes à l'échelle communautaire.

Ce dispositif laisse en fait une très large marge d'appréciation au principal moteur des initiatives communautaires : la Commission. En fait, et c'est là la principale modification apportée par le traité d'Amsterdam, le protocole codifie l'ensemble du dispositif relatif à la subsidiarité et le place ainsi sous le contrôle de la Cour de justice. Celle-ci n'a toutefois jamais fait montre, dans sa jurisprudence, d'un soin jaloux de sauvergarder les compétences nationales ...

b) Une meilleure prise en compte des spécificités régionales

Le traité cherche à donner un contenu plus concret au principe de différenciation à travers le dispositif consacré aux régions ultrapériphériques et aux pays et territoires d'outre mer.

On le sait, l'application du droit communautaire aux Etats membres connaît une série d'exceptions pour les régions dites " ultrapériphériques " (les départements d'outre-mer français -DOM-, les Açores, Madère et les Canaries) et les pays et territoires d'outre-mer (PTOM).

Une meilleure reconnaissance de la spécificité des régions ultrapériphériques

Le Conseil peut dans le dispositif actuel des traités exclure les régions ultrapériphériques du champ d'application du droit communautaire ou adapter à leur situation particulière le traité ou le droit dérivé. Afin de mieux tenir compte des spécificités de ces régions et au premier chef de leur éloignement et de leur " dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits " le traité d'Amsterdam a apporté deux modifications principales à ce régime :

• les mesures spécifiques prises par le Conseil pour fixer les conditions d'application du traité peuvent porter sur tous les domaines , y compris les politiques communes -certains secteurs ne pouvaient faire l'objet d'une adaptation sous l'empire des dispositions précédentes ;

• les mesures spécifiques sont adoptées à la majorité qualifiée par le Conseil et non plus à l'unanimité.

Le traité supprime par ailleurs le délai spécifique de deux ans pendant lequel le Conseil pouvait apporter certaines adapations au droit communautaire en faveur des régions ultrapériphériques. Cependant ces mesures ne doivent pas nuire à l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique communautaire (art. 299 § 2).

Les régions insulaires

• Dans le cadre de la cohésion économique et sociale, la Communauté vise également à réduire le retard des régions insulaires et plus seulement celui des régions les moins favorisées (art.158). En outre, aux termes d'une déclaration à l'Acte final, la législation communautaire doit tenir compte des handicaps structurels des îles.

Cette attention particulière accordée aux îles répond à une préoccupation de la Grèce. Elle pourrait sans doute justifier une certaine priorité dans le cadre de la répartition des ressources affectées au fond structurel.

Les pays et territoires d'Outre-mer

• Enfin, une déclaration (n° 36) à l'Acte final ouvre la perspective d'un réexamen du régime spécial d'association des PTOM d'ici à février 2000. En effet, ce régime n'a pas réellement permis d'assurer le " décollage " économique des territoires en question. Aussi convient-il d'en améliorer le dispositif dans un quadruple objectif :

- une promotion plus efficace du développement économique et social des PTOM,

- le développement des relations économiques entre les PTOM et l'Union européenne,

- une meilleure prise en compte de la diversité et de la spécificité de chaque PTOM, y compris en ce qui concerne la liberté d'établissement,

- l'amélioration de l'efficacité de l'instrument financier.

A cette fin, le Conseil pourra adopter à l'unanimité des dispositions relatives aux modalités et à la procédure de l'association entre les pays et territoires d'outre-mer et la communauté (art. 187).

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