4. Les mises à disposition : 1.150 enseignants ?

L'un des objectifs assignés à la commission d'enquête concernait l'évaluation des mises à disposition, à propos desquelles les chiffres les plus divers circulaient : 1.000 enseignants selon le ministère, 15.000 " enseignants fantômes " selon la presse.

Sans aucun esprit de polémique, la commission s'est efforcée de distinguer les divers types de mises à disposition dont peuvent bénéficier les enseignants, ainsi que les procédures appliquées.

Au-delà des chiffres avancés, il lui est apparu que le ministère ne maîtrisait pas complètement la mise en oeuvre des dispositions statutaires et que la représentation nationale n'avait pas une connaissance précise exacte du nombre de personnels bénéficiant de cette position.

a) Les mises à disposition statutaires

Il faut rappeler que, jusqu'en 1984, la mise à disposition n'était pas prévue par le statut général de la fonction publique et que la situation des fonctionnaires concernés au ministère de l'éducation nationale était pour le moins confuse.

Un recensement des mises à disposition existantes et l'élaboration d'un règlement intérieur ont permis, à partir de 1982, de procéder à une certaine remise en ordre.

L'article 41 de la loi du 11 janvier 1984 modifiée, complétée par le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 a introduit cette position dans le statut général de la fonction publique en la définissant ainsi : le fonctionnaire mis à disposition d'un service d'accueil demeure dans son corps (ou son cadre d'emploi) d'origine où il est réputé conserver son emploi ; il perçoit la rémunération correspondante qui est versée par son administration d'origine, mais il accomplit ses fonctions dans une autre administration ou dans des organismes aux caractéristiques strictement limitées.

Dans la réalité, la mise à disposition peut être interprétée comme un prêt de fonctionnaire, et cette mesure, censée être exceptionnelle, ne libère pas un poste sur le plan budgétaire.

S'agissant de l'éducation nationale, les fonctionnaires sont mis à disposition auprès :

- d'une administration de l'Etat, notamment dans les cabinets ministériels ou d'un établissement public de l'Etat à caractère administratif ;

- d'organismes d'intérêt général publics et privés ;

- d'organismes à caractère associatif qui assurent une mission d'intérêt général, comme les associations complémentaires de l'enseignement et les mutuelles liées au ministère de l'éducation nationale. Les organismes accueillent dans la pratique le plus grand nombre de mises à disposition (MAD).

Il est regrettable que ces mises à disposition ne soient pas gérées par une seule direction au ministère de l'éducation nationale. Si la majeure partie d'entre elles relève de la direction des affaires juridiques, en revanche les personnels mis à disposition de l'Union nationale du sport scolaire sont gérés par la direction des personnels enseignants et les personnels mis à disposition de structures chargées de l'action sociale sont gérés par la direction des personnels administratifs, techniques et d'encadrement.

Le tableau ci-après indique la répartition de ces MAD par catégories. Au total, 1.150 enseignants tant du premier que du second degré étaient mis à disposition au 31 décembre 1996 .

S'agissant des MAD gérés par la direction des affaires juridiques, leur coût net budgétaire pour le ministère de l'éducation nationale, après déduction des remboursements effectués par certains organismes (30 % des postes) peut être évalué pour 1998 à 98,16 millions de francs pour 622 postes ETP chez les enseignants du premier degré et à 54,32 millions de francs pour 282 postes ETP chez les enseignants du second degré.

MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE LA RECHERCHE ET
DE LA TECHNOLOGIE
NOMBRE DE MISES À DISPOSITION AU PROFIT D'AUTRES MINISTÈRES OU ORGANISMES AU 31 DÉCEMBRE 1996

 

Catégorie A

Catégorie B

Catégorie C

Total titulaires civils

 

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

Total

Au profit de :

 
 
 
 
 
 
 
 
 

une administration de l'Etat

33

36

2

5

 
 

35

41

76

Un organisme d'intérêt général public

87

102

16

36

 

1

103

139

242

Un organisme d'intérêt général privé

122

20

86

16

1

 

209

36

245

Un organisme associatif qui assure une mission d'intérêt général

253

93

191

46

 

4

444

143

587

Total

495

251

295

103

1

5

791

359

1 150

Ce chiffre officiel a diminué depuis 1982, notamment du fait de la décision prise en 1988 par M. René Monory, ministre de l'éducation nationale, qui avait alors supprimé la plupart des 2.200 mises à dispositions estimées à l'époque. Pour répondre aux protestations de nombreuses associations, comme il a été indiqué ci-dessus, ces mises à disposition ont été remplacées par des détachements payés par les organismes destinataires, qui ont bénéficié en contrepartie d'une subvention de l'éducation nationale.

Si la durée de ces mises à disposition est relativement brève -trois ans- elle est renouvelable.

S'agissant des enseignants, notamment mis à disposition des mutuelles ou associations proches de l'éducation nationale, il n'est pas rare que cette durée soit d'une dizaine d'années. Le représentant de la Mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN) a plaidé, devant la commission d'enquête, pour une durée suffisamment longue, indiquant que les fonctions confiées à ces enseignants pouvaient être considérées comme un nouveau métier à part entière comportant un temps d'apprentissage relativement long.

Dans le cas où la mise à disposition est prononcée au profit d'un organisme d'intérêt général -public ou privé- celle-ci implique la signature préalable d'une convention avec l'organisme d'accueil.

La plupart du temps, la convention stipule le remboursement, par l'organisme d'accueil, de la rémunération du fonctionnaire. Ce remboursement intervient dans le cadre de la procédure des fonds de concours, par émission de titres de perception sur la base du coût réel de la rémunération versée, augmenté des charges patronales. Ce remboursement donne lieu à un versement d'acompte avec régularisation sur l'année N + 1.

Le tableau ci-dessous détaille les remboursements effectués en 1998 par les organismes bénéficiant de mises à disposition d'enseignants.

Le total remboursé s'élève à 70,5 millions de francs, correspondant à 302,4 ETP mis à disposition.

REMBOURSEMENTS EFFECTUÉS PAR LES ORGANISMES
BÉNÉFICIANT DE MISE À DISPOSITION D'ENSEIGNANTS
(1998)


ORGANISMES

EFFECTIFS

(en équivalent temps plein)

MONTANT
en MF (*)

Cité des Sciences et de l'industrie

CAMIF

MAIF

MGEN

MRIFEN

UMAE (Union des mutuelles accidents élèves)

Activités éducatives diverses

49,0

1,5

4,5

210,6

3,0

5,0

9,8

11,2

0,4

1,2

53,8

0,1

1,7

2,1

TOTAL

302,4

70,5

(*) Les charges patronales sont comprises dans ce coût. Pour 1998, il s'agit de l'estimation des reversements qui seront demandés aux organismes dès que les conventions seront renouvelées.

Parmi ces organismes ou associations évoluant dans la mouvance de l'éducation nationale, le cas de la MGEN mérite d'être rappelé.

Les lois du 19 mars et du 9 avril 1947, dites " lois Morice " confient aux sections des sociétés mutualistes de fonctionnaires la gestion de la sécurité sociale des fonctionnaires. Pour assurer cette gestion, les circulaires du 26 septembre 1947, du 20 novembre 1948, du 4 juin et du 30 mars 1949, fixent les règles relatives aux mises à disposition dont la MGEN peut bénéficier en précisant que " les mutuelles de fonctionnaires rembourseront à l'Etat, par la procédure des fonds de concours, le montant brut de la rémunération majoré de la cotisation patronale de sécurité sociale d'autant d'instituteurs remplaçants que ces sections ont de fonctionnaires titulaires mis à leur disposition " (circulaire du 30 mars 1949).

Ainsi, lorsqu'en 1986, le ministère de l'éducation nationale a décidé de substituer un système de subventionnement et de détachement au système des mises à disposition pour l'ensemble de l'éducation nationale, la MGEN revendiquant l'application des " lois Morice ", a obtenu, à travers une convention signée le 15 juin 1987, le maintien de 35 MAD correspondant aux administrateurs élus. Mais, cette convention transformait néanmoins les autres mises à disposition en détachements de fonctionnaires dans la limite de 500 postes.

Il convient de noter que ces 500 postes de détachement n'étaient pas assortis d'une subvention puisque, depuis l'origine, la MGEN remboursait l'intégralité du coût des professeurs embauchés par l'éducation nationale pour remplacer ses MAD.

Progressivement, la MGEN, revendiquant la pleine application des lois de 1947, a obtenu le rétablissement complet des MAD : 100 en 1990, 70 en 1992 et 150 en 1993, soit 320 postes remplaçant ainsi la totalité des fonctionnaires détachés.

Cependant, le ministère du budget, en 1994, a remis en cause les 150 derniers postes autorisés et la situation n'est pas réglée à ce jour.

En plus de ces postes, la MGEN bénéficie de décharges partielles équivalent à 6,92 ETP, concernant en réalité 16 personnes qui sont des responsables de sections départementales, ces décharges étant également remboursées par la MGEN. De plus, il faut également tenir compte de 40 autres postes d'enseignants détachés qui assurent la direction d'établissements sanitaires et sociaux appartenant à la MGEN.

Le tableau ci-dessous récapitule le nombre d'enseignants travaillant à la MGEN, comme détachés, mis à disposition ou bénéficiant d'une décharge de service, qui sont dans une très forte proportion des enseignants du premier degré : 310 sur un total de 392.

RÉCAPITULATIF DES ENSEIGNANTS TRAVAILLANT À LA MGEN
AU 31 DÉCEMBRE 1998

MAD et décharges de services partielles
(faisant l'objet d'un remboursement)

Détachés

TOTAL

Elus

Non élus

Militants des sections

Sections départementales

Etablissements

Enseignants
1 er degré

Enseignants second degré + administratifs divers

33

170

16 (6,92 ETP)

133

40

310

82

b) Les mises à disposition " clandestines "

Au-delà de ces mises à disposition réglementaires, la commission estime que d'autres mises à disposition sont organisées d'une manière plus ou moins clandestine.

On lui a indiqué que la procédure de mise à disposition est également utilisée par les recteurs, voire par les inspecteurs d'académie s'agissant des enseignants du premier degré, sans que ces mises à disposition locales soient nécessairement reprises au niveau national dans les statistiques officielles.

Ainsi, il arrive que les recteurs mettent à disposition de tel ou tel organisme local de recherche ou d'animation pédagogique, de mouvements de jeunesse des enseignants, les retirant en conséquence de leur classe. Cette pratique accentue l'écart constaté entre le nombre d'enseignants réellement en position d'enseignement, et recrutés pour cette tâche, et les postes budgétaires votés par la représentation nationale.

Il est vrai que les recteurs ou les inspecteurs d'académie sont l'objet de demandes diverses, assorties souvent de fortes pressions, qui aboutissent à des mises à disposition ou des décharges de service allant au-delà des textes réglementaires. Un état d'esprit couramment répandu veut que l'on considère que le ministère de l'éducation nationale dispose de beaucoup de moyens et qu'il peut donc bien en prêter.

L'anecdote, rapportée devant la commission par M. Bernard Toulemonde, directeur de l'enseignement scolaire est, à ce titre, révélatrice.

" Il y a quelques jours, le cabinet du ministre de l'environnement m'a appelé en m'expliquant qu'un enseignant d'un lycée parisien, spécialiste des sciences de la vie et de la terre, apportait actuellement son concours à la société Cofiroute. Or, l'éducation nationale refusant de mettre cette personne à disposition, les travaux sont arrêtés. Ayant fait remarquer à mon interlocutrice que nous pouvions le placer en disponibilité afin que la société Cofiroute puisse le rémunérer, celle-ci m'a rétorqué que l'éducation nationale était riche d'un million de fonctionnaires et que nous pouvions faire un effort ! "

Il semble également que les affectations d'enseignants au sein du ministère de l'éducation nationale dans des services centraux, des services académiques ou dans des structures de cabinet ne soient pas comptabilisées dans les MAD réglementaires. On parle alors de prêts de personnel entre services relevant d'une même administration, d'activité à responsabilité académique ou encore d'emplois particuliers ministériels.

En tout état de cause, la terminologie employée est loin d'être " stabilisée " et force est de constater que, selon les interlocuteurs de la commission, les concepts utilisés ont des contenus variables. Ainsi en est-il des " activités à responsabilités académiques " (ARA) dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles recouvrent les situations les plus diverses. A la différence de nos collègues de l'Assemblée nationale, votre commission ne saurait se satisfaire de cette présentation aussi peu rigoureuse qui autorise toutes les " dissimulations ".

En effet, selon une note de la direction des affaires financières du ministère de l'éducation nationale : " Certaines activités complémentaires, généralement d'une durée de quelques heures hebdomadaires, sans lien direct avec l'établissement dans lequel ils sont affectés, sont confiées aux enseignants. Les enseignants restent cependant, en affichage, affectés pour la totalité de leur obligation de service dans le même établissement, sur le même type de support, dans la même fonction et la même discipline, même s'ils travaillent dans un autre lieu. On parle alors d'activités à responsabilités académiques (ARA) par exemple : décharges syndicales, reconversions, activités culturelles...".

* Le cas de l'académie de Paris permet " d'illustrer " l'usage de ces pratiques illégales, la commission d'enquête, au cours de son déplacement au rectorat de Paris, ayant procédé à une étude détaillée de l'utilisation des postes budgétaires attribués à l'académie.

Cette étude lui a permis de constater que certaines affectations d'enseignants étaient illégales car elles détournaient des moyens d'enseignement de leur objectif initial.

Ainsi, un certain nombre de mises à disposition académiques permettent de placer des enseignants dans les services administratifs de l'académie, tout en maintenant une affectation fictive dans un établissement d'enseignement. Ces enseignants bénéficient d'une décharge de service partielle ou totale.

L'académie " perd " également un nombre important de postes d'enseignants au titre des emplois particuliers ministériels dont certains semblent bien dépourvus de toute base réglementaire. Ainsi, 36 postes d'enseignants sont-ils affectés au ministère dont quatre au cabinet du ministre. Trois postes sont affectés au Collège de Philosophie et un au cabinet du vice-chancelier des universités. Ces postes ne sont pas répertoriés dans les MAD réglementaires.

Enfin, les moyens employés pour payer ces personnels semblent dépourvus de base légale puisque certains enseignants perçoivent des HSA. On peut rappeler qu'un enseignant ne touche des HSA qu'à la condition d'effectuer un service complet devant les élèves. Or, ces enseignants, relevant d'une mise à disposition académique ou d'un emploi particulier ministériel, bénéficient d'une décharge totale ou partielle de service et touchent néanmoins des HSA.

Pour la seule académie de Paris, 67 enseignants totalement déchargés perçoivent des HSA (253 HSA au total), dont deux personnes affectées au cabinet du ministre, qui perçoivent chacune 10 HSA ; 53 enseignants partiellement déchargés, dont certains à titre syndical, perçoivent également des HSA (345 HSA au total).

En réalité, les HSA sont devenues un moyen clandestin de rémunération complémentaire permettant de faire rétribuer des emplois de cabinet ou des emplois administratifs au ministère et au rectorat.

La commission d'enquête a par ailleurs pris connaissance d'un échange de courriers 2( * ) entre janvier 1998 et janvier 1999, par lesquels le rectorat alerte le ministère sur ces pratiques ; mais la solution proposée était pire que le mal car il s'agissait de transformer ces HSA en HSE (heures supplémentaires effectives).Le dispositif est donc resté en l'état et il a été convenu que le paiement des HSA se ferait désormais selon une procédure " manuelle " !

Compte tenu des caractéristiques particulières de l'académie de Paris, et de sa proximité avec le ministère de l'éducation nationale, il n'est pas possible d'affirmer que de tels procédés sont utilisés à une telle échelle dans les autres académies. On peut néanmoins penser que ces pratiques existent ailleurs de façon officieuse et à des degrés divers.

La commission considère en conséquence qu'une remise en ordre doit intervenir dans la gestion des mises à disposition et que celles-ci ne doivent plus faire l'objet de rémunérations illégales. Elle souhaiterait que le bien fondé de ces mises à disposition soit réexaminé au regard de l'intérêt général, étant rappelé que les enseignants ont été formés pour enseigner.

Leur utilisation dans les structures administratives ministérielles constituent un détournement de moyens publics, et il serait plus judicieux de faire appel, pour faire fonctionner les services du ministère à des personnels formés à ce métier.

Cette remise en ordre suppose également que de véritables solutions alternatives d'emplois soient recherchées pour des enseignants, qui très légitimement souhaitent exercer d'autres fonctions, après avoir enseigné pendant quinze ou vingt ans.

S'agissant des rémunérations des personnels dont la mise à disposition se justifie au regard de l'intérêt général, la solution serait à rechercher dans un régime indemnitaire transparent et réglementairement défini, pour mettre fin à l'attribution illégale d'heures supplémentaires versées dans des conditions peu acceptables sur le plan réglementaire.

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