III. LE CONTRAT DE CROISSANCE ET DE SOLIDARITÉ : UNE GARANTIE ARTIFICIELLE

Depuis 1996 les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales sont régies, dans un cadre pluriannuel, selon le principe d'une " enveloppe normée " qui englobe l'ensemble des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales.

Un indice d'évolution du montant de l'enveloppe normée est déterminé pour trois ans. Inspiré de l'indice de progression de la dotation globale de fonctionnement (DGF), il est déterminé en fonction de l'évolution des prix à la consommation et du taux de croissance du produit intérieur brut (PIB). Pour les années 1999 à 2001, la période couverte par le " contrat de croissance et de solidarité " conclu dans le cadre de la loi de finances pour 1999, l'enveloppe totale des concours de l'Etat doit progresser en fonction d'un indice comprenant les prix et 20% du taux de croissance du PIB en 1999, 25% en 2000 et 33% en 2001.

L'enveloppe normée a un inconvénient : elle implique le sacrifice d'une dotation, la dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCTP) qui joue le rôle de variable d'ajustement, les dotations composant l'enveloppe normée progressant plus vite que celle-ci 30( * ) . Mais elle a un avantage : elle permet la prévisibilité de l'évolution des ressources des collectivités locales.

Par conséquent, si les termes du contrat sont respectés, les collectivités locales peuvent se faire une idée de l'évolution de leurs recettes pendant trois ans.

A. LES MODALITÉS DE LA RÉGULARISATION DE LA DGF SONT CONTRAIRES AU PRINCIPE DE L'ENVELOPPE NORMÉE

La principale composante de l'enveloppe normée est la DGF, qui englobe à elle seule presque 70% des concours de l'Etat aux collectivités locales.

Le montant de la DGF au titre d'une année n est fixé par la loi de finances. Toutefois, depuis la loi de finances pour 1996, pour déterminer le montant en n+1 , le montant auquel est appliqué le taux de progression de la DGF n'est pas celui qui figure dans la loi de finances pour l'année n , mais un montant " recalé ", c'est à dire recalculé à partir des derniers chiffres connus de l'évolution des prix et du PIB.

Le " recalage " de la DGF de 1999 dans la loi de finances pour 2000 ne devrait pas être particulièrement préjudiciable aux collectivités locales. En effet, la DGF de 1999 a été calculée à partir d'une hypothèse d'évolution des prix en 1999 de 1,2% et de croissance du PIB en 1998 de 3,1 %. Or, si l'inflation constatée en 1999 n'est par définition pas encore connue, la croissance du PIB en 1998 a été supérieure aux prévisions et s'établit, selon l'INSEE, à 3,2%.

Si le recalage de la DGF de 1999 devrait être sans conséquence pour les ressources des collectivités locales en 2000, il n'en va pas de même de la " régularisation " dans la DGF de l'année 2000 du " trop perçu " par les collectivités au titre de l'année 1998.

En effet, depuis 1996, le comité des finances locales procède chaque année au mois de juillet à la " régularisation " de la DGF de l'antépénultième année, en la recalculant à partir des données définitives au titre de cette année-là. S'il s'avère que la DGF versée est supérieure au montant ainsi obtenu, la différence est retranchée de la DGF de l'année à venir. Ainsi, le montant de la DGF de l'an 2000 sera amputé d'une somme qui devrait s'établir aux alentours de 628 millions de francs, soit, à titre de comparaison, plus de la moitié du montant total de la dotation de solitarité urbaine (DSU) versé en 1999.

En effet, la loi de finances pour 1998 avait retenu une hypothèse d'augmentation des prix à la consommation de 1,3% et de croissance du PIB de 2,2%. Or, ces taux devraient s'élever à seulement 0,8 % pour l'inflation (hors tabac) et à 2 % pour la croissance du PIB.

La régularisation négative de la DGF 98 dans la DGF 2000

(en millions de francs)

Formule DGF 98

DGF 97 x (prix 98 + 50% PIB 97)

 

DGF dans la LFI 98

104.574 x ( 1,3 + 1,1) =

107.084

DGF 98 régularisée

104.574 x (0,8 + 1) =

106.456

Montant déduit de la DGF 2000

107.084 - 106.456 =

628

Le principe de la régularisation est satisfaisant intellectuellement même si, curieusement, il a été décidé de régulariser la DGF mais pas l'ensemble des dotations progressant en fonction du même indice qu'elle.

Mais la régularisation de la DGF devient absurde dans le cadre d'une enveloppe normée . En effet, le contrat de croissance et de solidarité, comme son prédécesseur le " pacte de stabilité ", reposent sur le principe de la garantie aux collectivités locales d'un certain taux de progression de l'ensemble des concours de l'Etat. Par conséquent, au sein de cette enveloppe fermée, si le montant d'une dotation est surestimé, c'est que le montant d'une autre dotation, la variable d'ajustement, a été sous-estimé d'autant.

Le gouvernement en était convenu et avait accepté, dans la loi de finances pour 1998, de " neutraliser ", dans des conditions toutefois contestables 31( * ) , la régularisation négative de la DGF de 1996 en majorant le montant de la dotation qui joue le rôle de variable d'ajustement de l'enveloppe normée, c'est-à-dire la DCTP.

Pour les années à venir, au cours desquelles la DGF augmentera moins qu'en 1999 puisque le programme pluriannuel des finances publiques prévoit une croissance du PIB limitée à 2,5%, il apparaît plus que jamais nécessaire que le gouvernement continue à jouer le jeu de l'enveloppe normée , et " neutralise " dans la DCTP les régularisations de la DGF.

B. LA RÉDUCTION DES RESSOURCES DES COMMUNES POUR FINANCER L'INTERCOMMUNALITÉ N'ÉTAIT PAS PRÉVUE PAR LE CONTRAT

L'absence de " neutralisation " de la régularisation négative de la DGF constituerait une entorse au contrat de croissance et de solidarité. Mais elle ne serait pas la première. Le contrat a déjà été malmené par le projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.

Le projet de loi prévoit en effet que la dotation globale de fonctionnement versée aux nouvelles communautés d'agglomération fait l'objet d'un financement extérieur à l'enveloppe globale de la DGF à hauteur de 500 millions de francs par an pendant cinq ans.

La nécessité d'un financement extérieur s'explique par le fait que la DGF est une enveloppe fermée. Ainsi, sans financement extérieur, les sommes nécessaires à la DGF des structures intercommunales auraient été prélevées sur les autres composantes de la DGF, la dotation de solidarité urbaine, la dotation de solidarité rurale ou la dotation forfaitaire des communes. Le financement extérieur permet donc en théorie d'éviter que le développement de l'intercommunalité ne pénalise les communes.

Malheureusement, l'étude d'impact du projet de loi prévoit que l'enveloppe de 500 millions de francs se révélera insuffisante dès 2001 et que, en 2004, le surcoût total des communautés d'agglomération s'établira à 2,5 milliards de francs 32( * ) . Il convient donc de trouver une autre source de financement. Le projet de loi prévoit que ce sera la DCTP.

Il apparaît donc que le gouvernement, outre l' incohérence qui consiste à utiliser une ressource communale (la DCTP) pour éviter de réduire une autre ressource communale (la DGF des communes), ne respecte pas la logique du contrat de croissance et de solidarité puisque, sans modifier le montant de l'enveloppe normée déterminée pour trois ans par la loi de finances pour 1999, il en élargit le nombre de bénéficiaires , au détriment des autres collectivités.

Ainsi, la démarche du gouvernement s'apparente à une " fuite en avant " : la DCTP absorbe le coût des ses projets non financés et, pour reprendre l'expression de notre collègue Michel Mercier, devient la " soupape de sécurité de la DGF ".

Votre commission des finances a proposé de limiter la possibilité de puiser dans la DCTP aux seules années du contrat de croissance et de solidarité. Ainsi, en 2001, l'ensemble des concours des concours de l'Etat aurait fait l'objet d'une renégociation globale. Le gouvernement a préféré maintenir son système jusqu'en 2004.

Or, cette année-là, le sort des 2,5 milliards de francs nécessaires au financement des communautés d'agglomération risque de passer inaperçu puisqu'il faudra au même moment intégrer dans la DGF, selon des modalités que le gouvernement n'a toujours pas précisées, la compensation aux collectivités locales de la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle, soit une enveloppe de près de 60 milliards de francs.

Cet exemple est symptomatique d'une évolution de fond : l'opacité croissante du mode de répartition des concours de l'Etat, conjuguée à la transformation d'impôts locaux en dotations, alimente la mise en place préoccupante d'un rideau de fumée de plus en plus épais sur les ressources des collectivités locales.

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