3. Une baisse des charges sociales permettrait-elle d'abaisser le coût du travail et de relancer l'emploi des moins qualifiés ?

Alors que les cotisations à la charge des employeurs avaient significativement augmenté en France tout au long des années 1970, depuis le début des 80 les gouvernements successifs ont mis en place des exonérations temporaires de cotisations sociales pour certaines catégories d'embauche puis des exonérations permanentes, notamment pour les emplois les moins qualifiés. Ainsi, depuis 1993, des exonérations totales sont prévues pour les cotisations d'allocations familiales (historiquement à la seule charge des employeurs) quand les salaires n'excèdent pas 110 % du SMIC. Pour les salaires compris entre 110 % et 120 % du SMIC, les employeurs sont exonérés de la moitié des charges. En outre, depuis 1995, il existe une réduction des cotisations de Sécurité sociale sur les bas salaires. Tous les salaires inférieurs à 120 % du SMIC sont concernés par cette réduction 34( * ) .

Remarquons, au préalable, que l'absence d'un impact significatif de l'augmentation des cotisations sociales sur le coût du travail n'est vraisemblablement pas vérifiée pour les individus les moins qualifiés.

En effet, si l'on reprend le même type d'argument que précédemment, une augmentation des cotisations sociales sur les bas salaires se traduit vraisemblablement par une baisse des salaires nets, mais insuffisante pour ramener les coûts totaux de la main-d'oeuvre à leur niveau initial. Parmi les rigidités le plus souvent évoquées, revient généralement le niveau du SMIC, jugé trop élevé pour permettre un ajustement du salaire réel à la baisse. Dans ces conditions, il se produit à long terme une aggravation du chômage des moins qualifiés.

Par conséquent, pour bon nombre d'économistes, une réduction massive des charges sociales pourrait avoir un effet d'incitation à l'embauche pour les salariés les moins qualifiés pour lesquels le coût du travail est souvent jugé trop élevé au regard de leur productivité. Toutes choses égales par ailleurs, la baisse du coût du travail peut avoir des effets favorables sur l'emploi en ralentissant la substitution du capital au travail - ce qui permet de rendre " la croissance riche en emplois " - et en réduisant les coûts unitaires de production. Cette baisse des coûts pourrait alors permettre d'accroître le niveau de production et d'emploi en augmentant la compétitivité des entreprises ou en augmentant la demande qui s'adresse aux entreprises (à condition, bien évidemment que la baisse des coûts soit répercutée sur les prix).

L'effet d'une baisse des charges sociales sur l'emploi des moins qualifiés dépend essentiellement (1) de l'impact de cette baisse sur le coût du travail, (2) de l'élasticité de la demande de travail des individus peu qualifiés par rapport au coût salarial, (3) du degré de substitution entre les différents types de salariés, (4) enfin de la possibilité pour les employeurs de substituer des machines aux travailleurs.

• En France, la plupart des études empiriques concluent que, globalement, l'élasticité du coût de la main-d'oeuvre aux cotisations sociales (salariés et employeurs) est relativement faible (élasticité égale à - 0,4) pour les raisons évoquées plus haut. Autrement dit, toutes choses égales par ailleurs, on peut s'attendre à ce qu'une réduction des cotisations sociales ait un effet limité sur l'emploi. Tel n'est pas le cas en Allemagne où une modification des cotisations sociales pèse en totalité sur le marché du travail (élasticité égale à - 1) à l'inverse de ce qui se passe aux Royaume-Uni (élasticité égale à 0,25) ou aux Etats-Unis pour les cotisations patronales 35( * ) .

• Les études économétriques montrent généralement que l'élasticité de la demande de travail décroît quand le niveau de qualification augmente (Hamermesh, 1993) 36( * ) . Ainsi, les travaux réalisés aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou au Canada montrent que la demande de travail s'adressant aux jeunes peu qualifiés est relativement sensible à leur coût relatif, l'élasticité étant comprise entre -1 et -2 37( * ) . Pour la France, les études économétriques restent peu concluantes. Il semble, cependant, que cette élasticité soit plus faible et comprise entre -0,5 et - 1. 38( * )

• Par ailleurs, les travaux sur données américaines mettent en évidence une relation de substitution entre les différents types de salariés. Ainsi, les élasticités de substitution entre les travailleurs non qualifiés et qualifiés seraient comprises entre 1 et 2. Pour la France, l'hypothèse la plus probable est de l'ordre de 0,9. En outre, les valeurs des élasticités de substitution entre les différentes catégories de travail diminuent quand la qualification augmente (Assouline, Fodha, Lemiale et Zagamé, 1997) 39( * ) .

• On constate enfin que les salariés non qualifiés sont plus substituables au capital physique que ne le sont les autres catégories de travailleurs. Plus précisément, la substituabilité du capital au travail est d'autant plus élevée que le niveau de qualification est faible. Ainsi, les élasticités de substitution seraient, dans le cas français, comprises entre 1,6 et 4,1 (Maurin et Parent, 1993) 40( * ) .

Notons en outre que le chômage des non-qualifiés s'explique sans doute aussi par une inadéquation structurelle de leur qualification aux besoins des entreprises. Dans ces conditions, l'efficacité d'une politique consistant en une baisse des coûts portant sur les bas salaires serait fortement atténuée et risquerait d'engendrer des effets d'aubaine importants pour les entreprises. En outre, les travailleurs non qualifiés sont relativement substituables de sorte que des mesures ciblées de réduction des charges sociales peuvent favoriser certains d'entre eux au détriment de ceux qui ne correspondent pas précisément aux conditions d'exonération. Dans ce cas, la baisse des charges sociales est à l'origine d'effets de seuil et il n'y a pas de création nette d'emplois.

En dépit de ces limitations et des incertitudes qui entourent les estimations empiriques, il convient de souligner, pour conclure, que les politiques de réduction des charges sur les bas salaires auront également sans doute des effets sur l'offre de travail, ainsi que sur la politique salariale des entreprises. Il est probable, en outre, que leur efficacité dépende, dans une très large mesure, de leur pérennité, les effets d'aubaine purs étant sans doute atténués dans le cas où les allégements sont perçus comme devant être permanents. Ainsi, les travaux les plus récents sur les réductions de charges sur les bas salaires en France (notamment, Malinvaud, 1998) émettent des conclusions favorables à ce type de mesures.

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