Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la création d'une zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République
Art. 2

Article 1er

M. le président. « Art. 1er. - La loi n° 76-655 du 16 juillet 1976 relative à la zone économique au large des côtes du territoire de la République est modifiée ainsi qu'il suit :

« I. - Son intitulé devient : "loi relative à la zone économique et à la zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République".

« II. - L'article 4 est remplacé par les dispositions suivantes :

« Art. 4. - Dans la zone économique définie à l'article 1er ci-dessus, les autorités françaises exercent en outre les compétences reconnues par le droit international relatives à la protection et à la préservation du milieu marin, à la recherche scientifique marine, à la mise en place et à l'utilisation d'îles artificielles, d'installations et d'ouvrages.

« Lorsque, dans une zone délimitée ainsi qu'il est précisé à l'article 1er, les autorités françaises entendent, pour des motifs tenant aux relations internationales, n'exercer que les compétences mentionnées à l'alinéa ci-dessus, cette zone est dénommée zone de protection écologique. Dans cette zone les dispositions de l'article 3 ne s'appliquent pas aux navires battant pavillon d'un Etat étranger.

« III. - A l'article 5, il est inséré un deuxième alinéa ainsi rédigé :

« La zone de protection écologique est également créée par décret en Conseil d'Etat. »

Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Art. 1er
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Art. 3

Article 2

M. le président. « Art. 2. - Dans l'article 2 de la loi n° 86-826 du 11 juillet 1986 relative à la recherche scientifique marine et portant modification de la loi n° 76-655 du 16 juillet 1976 relative à la zone économique au large des côtes du territoire de la République, les mots : "dans la zone économique définie à l'article 1er de la loi n° 76-655 du 16 juillet 1976 précitée" sont remplacés par les mots : "dans la zone économique et dans la zone de protection écologique définies par la loi n° 76-655 du 16 juillet 1976 relative à la zone économique et à la zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République". » - (Adopté.)

Art. 2
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Art. 4

Article 3

M. le président. « Art. 3. - Au premier alinéa de l'article L. 218-21 du code de l'environnement, après les mots : "dans la zone économique", sont insérés les mots : "et la zone de protection écologique définies par la loi n° 76-655 du 16 juillet 1976 relative à la zone économique et à la zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République".

« Au deuxième alinéa de l'article L. 218-21 du code de l'environnement, après les mots : "dans la zone économique", sont ajoutés les mots : "ou dans la zone de protection écologique". »

L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Alduy, au nom de la commission, est ainsi libellé :

« Dans le premier alinéa de cet article, remplacer les mots : "dans la zone économique" par les mots : "côtes du territoire de la République". »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. Cet amendement d'ordre rédactionnel vise seulement à éviter la répétition « côte à côte » - c'est le cas de le dire - des mots « au large des côtes et du territoire de la République » dans l'article L. 218-21 du code de l'environnement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat. Favorable, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 3 modifié.

(L'article 3 est adopté.)

Art. 3
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Art. 5

Article 4

M. le président. « Art. 4. - L'article L. 218-29 du code de l'environnement est modifié ainsi qu'il suit :

« I. - Au I, après les mots : "Dès lors qu'elles ont été commises dans", sont insérés les mots : "la zone économique, la zone de protection écologique".

« II. - Le II est remplacé par les dispositions suivantes :

« II. - Le tribunal de grande instance de Paris est compétent pour la poursuite, l'instruction et le jugement des infractions commises par les capitaines de navire français se trouvant hors des espaces maritimes sous juridiction française.

« III. - Le III est remplacé par les dispositions suivantes :

« III. - Pour la poursuite et l'instruction des infractions mentionnées au I, les tribunaux désignés au I et au II et le tribunal de grande instance dans le ressort duquel peut être trouvé le bâtiment, exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l'application des articles 43, 52, 382, 663, deuxième alinéa, et 706-42 du code de procédure pénale. »

La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel, sur l'article.

M. Pierre-Yvon Trémel. L'article 4 du projet de loi tend à modifier l'article L. 218-29 du code de l'environnement, lequel fixe les règles de compétence juridictionnelle en cas d'infraction aux dispositions de la convention MARPOL.

Avec l'adoption de cet article, les tribunaux de grande instance du littoral maritime spécialisés - Brest, Le Havre et Marseille - connaîtront une extension de leur champ de compétence et bénéficieront d'une compétence exclusive pour le jugement de toutes les infractions de pollution marine sur les espaces se trouvant à un degré ou à un autre sous juridiction française. Seul le jugement des infractions commises par les capitaines de navires français se trouvant hors des espaces maritimes placés sous juridiction française restera de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris.

Nous pensons que la nouvelle règle d'attribution des compétences est un progrès. Comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi et comme vous l'avez vous-même dit, madame la secrétaire d'Etat, cette nouvelle règle favorisera l'émergence progressive de pôles d'expertise, facilitera l'information sur les atteintes lourdes à l'environnement et contribuera à sensibiliser davantage non seulement les magistrats mais aussi, et j'y insiste, l'opinion et les pouvoirs publics à la gravité des infractions de dégazage et de déballastage.

L'article 4 nous donne l'occasion de dénoncer une fois encore les pollutions inacceptables dues aux naufrages du Prestige, de l'Erika et de nombreux autres navires avant eux.

Elu d'un département breton qui compte 350 kilomètres de côtes, j'ai vécu douloureusement les catastrophes intervenues au cours des dernières années, en particulier celles du Torre Canyon et de l'Amoco Cadiz. Je subis de manière récurrente, comme beaucoup d'autres élus maritimes, les effets des dégazages, effets visibles sur nos plages et sur nos rochers.

Pour autant, je frémis quand je prends connaissance des chiffres qui sont publiés ces jours-ci, à la suite du naufrage du Prestige et de la collision intervenue en mer du Nord. Je lisais ainsi hier que en 2000, 158 cas de pollution volontaire avaient été répertoriés par les services français de surveillance en Méditerranée et qu'aucun n'avait donné lieu à condamnation.

Le fonds mondial pour la nature vient quant à lui de publier un rapport, dont on a parlé à la télévision, dans lequel il estime que, chaque année, entre 0,7 million et 1,3 million de tonnes d'hydrocarbures sont déversées en Méditerranée. Plus d'un million de tonnes d'hydrocarbures, c'est quinze fois la cargaison du Prestige et cinquante fois le fioul lourd de l'Erika !

M. Emmanuel Hamel. Effrayant !

M. Pierre-Yvon Trémel. Les grosses tempêtes d'automne et d'hiver, comme celles que nous venons de connaître, engendrent invariablement des dégazages et des déballastages : les marins profitent de ces périodes, car ils savent que les avions chargés du repérage des nappes ne décolleront pas. Mais nous avons nos témoins : les oiseaux !

Quelques cas méritent d'être cités.

Ainsi, le centre de la ligue de protection des oiseaux, la LPO, de Lorient, a reçu depuis le mois de novembre dernier plus d'une centaine d'oiseaux mazoutés dont aucun n'était victime du Prestige. Ils étaient tous victimes de dégazages...

Lors du naufrage de l'Erika, ce même centre a vu passer des milliers d'oiseaux. Il n'a pu sauver que 15 % d'entre eux.

Le centre de soins de l'école vétérinaire de Nantes a recueilli, depuis le 1er janvier 2003, quatre-vingt-quinze oiseaux mazoutés et la base de la LPO de l'Ile Grande, à Pleumeur-Bodou, dans les Côtes-d'Armor, recueille depuis quinze ans entre 200 et 600 oiseaux mazoutés par an.

Le « témoignage » des oiseaux n'est pas encore reconnu par le droit français non plus que par le droit international, mais il révèle des comportements dont on connaît les conséquences. Si les dégazages touchent les oiseaux, ils fragilisent aussi les écosystèmes marins, qui, nous le savons, sont des sources de vie. Nous devons avoir l'honnêteté de le reconnaître : ceux et celles qui affirment que la mer est une poubelle disent la vérité !

Madame la secrétaire d'Etat, ce projet de loi va dans le bon sens. Nous approuvons notamment les dispositions de son article 4. Nous mesurons, cependant, l'immensité de la tâche qui reste à accomplir. Il faudra encore bien des efforts pour faire appliquer les lois et règlements en vigueur, pour faire évoluer le droit national et international, pour porter au niveau souhaitable les moyens de prévenir comme de traiter les pollutions, pour rendre les sanctions effectives.

Je souhaiterais, madame la secrétaire d'Etat, attirer votre attention sur quatre points.

Le premier concerne les moyens matériels de surveillance. Vous avez évoqué le sujet, mais nous souhaiterions bénéficier sur ce point d'une information complète.

A ma connaissance, l'Etat ne dispose que de deux avions pour observer les dégazages : les avions POLMAR 1 et 2, basés à Mérignac et à Hyères. Les avions militaires, basés à Lann-Bihoué, exercent, eux aussi, une surveillance, mais seuls les avions POLMAR sont équipés de radars de détection efficaces. Il serait donc raisonnable que le nombre de ces avions soit porté au moins à trois et que le troisième appareil soit basé à Lann-Bihoué, ce qui permettrait de renforcer la nécessaire surveillance sur le littoral de l'océan Atlantique et de la Manche.

Le deuxième point a trait aux dégazages. Ceux-ci doivent être sanctionnés avec plus de vigueur.

Le centre de documentation, de recherche et d'expérimentation, établi à Brest, a effectué le relevé des jugements prononcés depuis 1996.

Avant cette date, le montant des amendes ne dépassait pas 30 000 francs ; par la suite, la cour d'appel de Rennes l'a porté à 300 000 francs. De plus, alors que onze jugements avaient été rendus entre 1996 et 2002, soit seulement deux par an, douze l'ont été depuis le naufrage de l'Erika et la promulgation de la loi de mai 2001, dite « loi Le Bris ».

Je crois donc qu'il faut soutenir Mme de Palacio, vice-présidente de la commission européenne chargée des transports, lorsqu'elle annonce qu'elle compte présenter des propositions visant à renforcer les sanctions contre les auteurs de pollutions !

Le troisième point a trait aux moyens d'action dont nous disposons, dont certains peuvent être mis en oeuvre immédiatement. En effet, les procureurs ont la faculté, en application de la loi Le Bris, d'immobiliser les navires afin d'exiger une caution, mesure qui n'est que très rarement prise. En outre, c'est très souvent le capitaine qui est traduit en justice ; il serait plus efficace, surtout si la condamnation prévoit la publication du jugement dans les revues maritimes, d'assigner l'armateur, comme cela est désormais possible.

Enfin - ce sera le quatrième point de mon intervention -, vous avez indiqué, madame la secrétaire d'Etat, que le décret d'application serait pris avant l'été. Je m'en réjouis, d'autant que neuf mois s'étaient écoulés entre le vote de la loi Le Bris et la parution du décret d'application.

J'espère donc que les choses iront plus vite cette fois-ci, et que le délai annoncé de trois ou quatre mois sera respecté.

Hier, madame la secrétaire d'Etat, alors que vous étiez à Toulon, s'est tenue à Nantes une réunion des élus du littoral de l'Atlantique et de la Manche. Que nous représentions le littoral de la Méditerranée, celui de l'Atlantique, celui de la Manche ou celui de la mer du Nord, je crois que nous sommes tous au moins d'accord sur un mot d'ordre : foin désormais des incantations, passons vraiment à l'action ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur celles de l'Union centriste. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

Art. 4
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Art. 6

Article 5

M. le président. « Art. 5. - L'article L. 218-45 du code de l'environnement est modifié ainsi qu'il suit :

« I. - Au premier alinéa, après les mots : "soit en haute mer", sont insérés les mots : "soit dans la zone économique ou dans la zone de protection écologique".

« II. - Le deuxième alinéa est complété par les dispositions suivantes :

« Seules les peines d'amende mentionnées à la sous-section 2 de la présente section peuvent être prononcées à l'encontre des navires étrangers pour des infractions commises au-delà de la mer territoriale. » - (Adopté.)

Art. 5
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Art. 7

Article 6

M. le président. « Art. 6. - Au II de l'article L. 218-61 du code de l'environnement, les mots : "dans la zone économique telle que définie à l'article 1er de la loi n° 76-655 du 16 juillet 1976 relative à la zone économique et à la zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République" sont remplacés par les mots : "dans la zone économique ou dans la zone de protection écologique". » - (Adopté.)

Art. 6
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Après l'art. 7

Article 7

M. le président. « Art. 7. - Il est inséré, au chapitre VIII du titre Ier du livre II du code de l'environnement, une section 7 intitulée : "Zone de protection écologique", comportant l'article L. 218-81 suivant :

« Art. L. 218-81. - Ainsi qu'il est dit à l'article 4 de la loi n° 76-655 du 16 juillet 1976 relative à la zone économique et à la zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République, ci-après reproduit :

« Dans la zone économique définie à l'article 1er ci-dessus, les autorités françaises exercent en outre les compétences reconnues par le droit international relatives à la protection et à la préservation du milieu marin, à la recherche scientifique marine, à la mise en place et à l'utilisation d'îles artificielles, d'installations et d'ouvrages.

« Lorsque, dans une zone délimitée ainsi qu'il est précisé à l'article 1er, les autorités françaises entendent, pour des motifs tenant aux relations internationales, n'exercer que les compétences mentionnées à l'alinéa ci-dessus, cette zone est dénommée zone de protection écologique. Dans cette zone les dispositions de l'article 3 ne s'appliquent pas aux navires battant pavillon d'un Etat étranger. » - (Adopté.)

Articles additionnels après l'article 7

Art. 7
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Courteau, Trémel et Courrière, Mme Blandin et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :

« Après l'article 7, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« Au même titre que l'armateur et que tous les différents acteurs du transport maritime, l'affréteur est pleinement responsable du transport de ses marchandises.

« En cas de sinistre, l'affréteur est systématiquement poursuivi pour la réparation de tous les dommages par pollution causés lors du transport de ses marchandises. »

La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Face à la multiplication des catastrophes maritimes, il devient urgent, nous l'avons dit et redit, d'étendre enfin à tous les intervenants du transport maritime la responsabilité pour dommages par pollution.

M. Raymond Courrière. Les voyous des mers !

M. le président. Très bonne expression de quelqu'un que vous admirez beaucoup, monsieur Courrière !

M. Raymond Courrière. C'est le moment d'agir ! Il ne faut pas parler de politique !

M. le président. Poursuivez, monsieur Courteau. Ne vous laissez pas interrompre par M. Courrière ! (Sourires.)

M. Roland Courteau. La convention de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures fait peser cette responsabilité, à l'égard des tiers, sur le propriétaire du navire, et non sur l'exploitant de celui-ci. De graves insuffisances et des carences apparaissent donc dans la chaîne des responsabilités : il est temps que l'affréteur du navire devienne pleinement responsable en matière de transport de ses marchandises et puisse être poursuivi en vue de la réparation de tous les dommages causés par les pollutions liées à ce dernier.

Il s'agit là, d'une certaine manière, d'assurer la mise en oeuvre du principe « pollueur-payeur ». C'est au regard du risque encouru que les affréteurs opteront pour des navires plus sûrs. L'application de la mesure que nous préconisons permettra peut-être de mettre un terme aux pratiques de certains d'entre eux qui, pour des raisons d'économie, et donc de profit, recourent à des navires de plus de vingt ans d'âge, circulant sans respecter des normes de sécurité sévères, avec des équipages souvent mal formés ou pas formés du tout.

Les contrats de travail, quand ils existent, ne sont pas conformes aux normes édictées par le Bureau international du travail, et les marins effectuent d'innombrables heures de travail dans des conditions déplorables.

Or on ne le dira jamais assez : ce sont bien souvent les mauvaises conditions de travail et la fatigue qui sont à l'origine des accidents. Ainsi, la défaillance d'un ou de plusieurs membres de l'équipage est, dans 80 % des cas, la cause des incidents survenant en mer. Quoi qu'il en soit, il est inadmissible que certains affréteurs cherchent à obtenir un profit maximal en recourant à de vieux navires ne répondant pas à de strictes normes de sécurité, faisant ainsi peser de graves risques sur l'environnement.

Par ailleurs, mieux vaut déterminer d'emblée les responsabilités : cela évitera, en cas de sinistre, des années d'enquête complexe.

En conclusion, la France doit adopter sur ce sujet une position avant-gardiste, pour amener l'Union européenne à la suivre. Selon certaines informations, la Commission européenne s'apprêterait d'ailleurs à prendre des initiatives en cette matière.

Pourquoi, dès lors, n'ouvririons-nous pas le chemin, soit de façon unilatérale, soit en liaison avec l'un de nos voisins, à l'image de la décision conjointe prise récemment par la France et l'Espagne d'interdire la circulation des « navires poubelles » dans leurs eaux territoriales ? Ne sommes-nous pas là en situation de légitime défense ? Agissons donc hardiment et ouvrons la voie ! L'un des rares moyens à notre disposition pour organiser la disparition des « navires poubelles » est de faire en sorte qu'ils ne soient plus utilisés. Si nous responsabilisons les affréteurs, nous aurons fait un grand pas en avant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, la convention de 1969, qui a été précisée en 1992, prévoit la responsabilité sans faute, bien que pour un montant limité, du propriétaire nominal du navire.

Cette solution offre des avantages et des inconvénients.

S'agissant de ses avantages, elle permet normalement une identification rapide du responsable du dommage, puisque tout navire est immatriculé à un registre. La mise en cause de la responsabilité s'exerce en dehors de toute faute, ce qui évite les contentieux interminables qui naîtraient si les différents intervenants de la chaîne de transport se renvoyaient la responsabilité en cas de dommage.

S'agissant de ses inconvénients, la responsabilité du propriétaire du navire est limitée en termes de montant et, comme l'a souligné M. Courteau, ce dispositif déresponsabilise les autres intervenants de la chaîne de transport, notamment les affréteurs.

Cela étant, l'amendement n° 1 rectifié, qui vise à ne pas faire peser la responsabilité des dommages non pas seulement sur le propriétaire du navire, mais aussi sur l'affréteur, présente à mon avis le défaut majeur de ne concerner que les navires battant pavillon français, puisque la disposition prévue n'est pas conforme aux conventions internationales.

Par ailleurs, j'indique que, dans l'affaire du Prestige, l'affréteur était la société Crown Resources, filiale d'un conglomérat russe, le groupe Alpha, lequel s'est séparé juridiquement, quelques jours après le sinistre, de sa filiale, qui s'est rapidement transformée en « coquille vide » et est devenue insolvable. On peut donc constater que l'affréteur est tout autant « biodégradable » que le propriétaire, voire davantage !

M. Raymond Courrière. Ce n'est pas une raison pour ne pas commencer à agir ! Ce sont des arguties mises en avant pour ne pas attaquer le véritable propriétaire !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur et à lui seul, monsieur Courrière !

M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. Je veux simplement montrer que la question est complexe, et je ne suis pas sûr que la solution proposée par les auteurs de l'amendement puisse permettre d'améliorer la situation, car sa mise en oeuvre rendrait peut-être plus difficile une indemnisation rapide, tandis que la convention de 1969 prévoit l'identification immédiate d'un responsable, à savoir le propriétaire du navire, sans que le demandeur soit obligé de prouver l'existence d'une faute. Telle est la logique actuellement en vigueur.

Le dispositif américain que j'ai évoqué tout à l'heure s'inscrit dans une logique différente, puisque, s'il vise certes lui aussi le propriétaire, il lui impose de souscrire une police d'assurance à responsabilité illimitée. Par conséquent, lorsqu'un « navire poubelle » est affrété, son propriétaire est obligé d'acquitter une prime d'assurance très élevée, ce qui rend l'opération non rentable et permet ainsi d'assainir le marché du transport. Pour la même raison, le propriétaire n'a pas intérêt à traiter avec un affréteur qui serait quelque peu « indélicat ».

La logique américaine est donc différente de celle qui régit la convention de Bruxelles de 1969. Elle correspond, à mon sens, à une culture de l'économie de marché qui permet une autorégulation par l'exclusion de ce marché des navires poubelles et des affréteurs indélicats.

Quoi qu'il en soit, la commission, qui a longuement débattu de cet amendement ce matin, s'en remet à la sagesse du Sénat et souhaite entendre l'avis du Gouvernement.

M. Raymond Courrière. On ne veut pas faire payer les armateurs !

M. Jean Chérioux. Monsieur le président, notre collègue Raymond Courrière ne pourrait-il être autorisé à exposer son point de vue ? Nous entendons très mal ses interventions et il serait intéressant qu'il nous présente son opinion de façon claire et précise ! (Sourires.)

M. Raymond Courrière. Je suis libre de parler et de m'exprimer, monsieur Chérioux, au même titre que vous !

M. Jean Chérioux. On ne vous entend pas bien !

M. Raymond Courrière. Il faut m'écouter !

M. le président. Monsieur Courrière, personne ne vous conteste le droit de vous exprimer, mais nous ne comprenons pas toujours ce que vous voulez dire ! (Nouveaux sourires.)

Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 1 rectifié ?

Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat. Monsieur Courteau, le dispositif que vous avez présenté va dans le sens des projets du Gouvernement.

Les dispositions qui régissent aujourd'hui la responsabilité pour dommages à l'environnement en matière de transport maritime sont très insuffisantes. Elles font, notamment, la part trop belle à l'armateur, dont la responsabilité est limitée à concurrence d'un montant très bas, et plus encore à l'affréteur, qui est entièrement dégagé.

Cependant, ces règles sont fixées par le droit international du transport maritime, en particulier par la convention de l'Organisation maritime internationale, dite « CLC ». Cette convention est en vigueur pour la France, qui l'a, en son temps, ratifiée : elle constituait, en effet, un progrès considérable par rapport aux règles générales applicables au transport maritime, qui prévoient un plafond de responsabilité encore bien plus bas.

Je ne peux donc qu'émettre un avis défavorable sur cet amendement, dont l'adoption mettrait la France en porte-à-faux vis-à-vis de ses obligations internationales. Je partage cependant la préoccupation qu'il reflète et je tiens à préciser que la France est en train de saisir l'OMI d'une demande de modification de cette convention.

L'objectif visé est double : en premier lieu, permettre la mise en jeu de la responsabilité de tous les acteurs du transport maritime qui auraient, par leurs fautes, contribué aux dommages ; en second lieu, relever notablement le niveau de responsabilité du propriétaire du navire.

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Didier, pour explication de vote.

Mme Evelyne Didier. Madame la secrétaire d'Etat, j'ai bien entendu votre réponse, mais je crains que la mise en jeu d'un trop grand nombre d'acteurs ne permette pas de faire la part des choses. L'affréteur est à mon sens un maillon extrêmement important de la chaîne du transport.

M. Paul Raoult. C'est évident !

Mme Evelyne Didier. Nous sommes bien obligés de constater que, très souvent, la recherche de gains de productivité passe avant les préoccupations relatives à la sécurité et aux salariés, les dépenses afférentes étant toujours considérées comme des surcoûts. Nous en avons ici une nouvelle fois l'illustration.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Evelyne Didier. Nous savons bien que rien ne changera tant que nous ne toucherons pas au porte-monnaie des affréteurs.

MM. Raymond Courrière et Paul Raoult. Bien sûr !

Mme Evelyne Didier. De notre point de vue, la France pourrait et devrait jouer un rôle de premier plan en proposant à l'Europe de prendre des mesures plus radicales, afin de passer réellement à l'action. Nous en avons l'occasion aujourd'hui ; ne la laissons pas passer, et mettons en cohérence notre indignation et nos actes.

M. Raymond Courrière. Très bien !

Mme Evelyne Didier. Les membres du groupe CRC voteront en tout cas l'amendement n° 1 rectifié. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.

Mme Marie-Christine Blandin. Le vote que nous allons émettre est très politique.

Aujourd'hui, l'ensemble de la société souffre en tous domaines d'un morcellement de la chaîne de responsabilités. S'agissant du transport maritime, nous ne pouvons nous attaquer à un seul maillon de cette chaîne en oubliant l'affréteur, qui se cache et qui, par son choix de la rentabilité au détriment de nos océans, de nos mers, des travailleurs, des normes sociales et environnementales, tire fort bien son épingle du jeu.

Nous avons entendu les réserves exprimées par M. le rapporteur, pris en compte les perspectives ouvertes par Mme la secrétaire d'Etat, mais, dans le cadre de nos responsabilités de parlementaires, nous faisons le choix de voter cet amendement, pour lequel le groupe socialiste demande un scrutin public.

M. Raymond Courrière. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

80314306154105201 M. Roland Courteau. C'est regrettable !

M. Raymond Courrière. Le Sénat a soutenu les voyous des mers !

M. Roland Courteau. Nous avons pris nos responsabilités !

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Alduy, au nom de la commission, est ainsi libellé :

« Après l'article 7, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« A compter du 1er janvier 2004, le Gouvernement présente, chaque année, au Parlement un bilan des décisions et mesures adoptées au plan international, communautaire et national dans le domaine de la sécurité maritime et de la protection du littoral. Cette déclaration est suivie d'un débat. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. Le sujet qui nous occupe aujourd'hui suscite énormément d'émotion, et l'on constate que c'est finalement au rythme des catastrophes que s'améliorent les dispositifs de prévention, de répression ou de réparation...

Il nous semble nécessaire d'aborder cette question chaque année lors d'un débat au Parlement, pour suivre les évolutions. On l'a bien vu au cours du présent débat, nous sommes à un moment où les mentalités sont en train de changer. Les législations que nous avons connues pendant de nombreuses années atteignent désormais leurs limites.

Si l'amendement n° 1 rectifié que nous venons d'examiner a été repoussé, c'est précisément parce que le Gouvernement s'apprête à saisir les instances internationales de cette question afin, peut-être, de déplacer le compromis actuel entre, d'une part, l'efficacité de l'indemnisation et, d'autre part, la moralisation du système de responsabilité. C'est bien cela la question ! Il s'agit de trouver un juste équilibre en instaurant un système d'indemnisation efficace et rapide, dans l'esprit des accords internationaux actuels, tout en évitant de déresponsabiliser les acteurs, notamment les affréteurs.

Nous sommes à la veille d'un changement de culture de la sécurité, et pas seulement dans le domaine maritime. Ainsi, Mme Bachelot présentera ici même prochainement un projet de loi relatif à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages dans lequel sera abordée la modification de la culture de la sécurité, qui constitue la question de fond.

Puisque nous sommes dans une période de mutation, il me paraît bon et sain que, chaque année, un rapport soit établi et que celui-ci fasse l'objet d'un débat au Parlement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat. L'amendement que vous venez de présenter, monsieur le rapporteur, répond au souci parfaitement louable de mettre le Parlement en situation d'apprécier chaque année l'évolution des dispositifs de sécurité maritime et de prévention ou de lutte contre les pollutions. Il ne faudrait pas, en effet, que la baisse de la pression médiatique, à mesure que s'éloigne le souvenir de chaque accident grave, se traduise par un coupable abandon de notre effort. Je suis donc favorable au principe d'un rapport annuel du Gouvernement au Parlement.

Toutefois, je ne crois pas indispensable d'imposer un débat au Parlement chaque année. L'examen du rapport permettra aux assemblées d'apprécier l'utilité de susciter ce débat le moment venu. Pour autant, je m'en remets, sur ce point, à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Didier, pour explication de vote.

Mme Evelyne Didier. Aucune mesure ne vaut sans une évaluation de son efficacité. C'est pourquoi nous approuvons pleinement l'idée d'un rapport annuel, mais aussi d'un débat avec le Parlement, car la démocratie et l'efficacité ont tout à y gagner.

Par ailleurs, le sujet est beaucoup trop important pour qu'on le traite seulement au moment des catastrophes, et essentiellement dans la presse. Nous, parlementaires, nous devons nous en saisir.

Nous voterons donc cet amendement.

M. Jean Chérioux. Très bien !

M. Hilaire Flandre. Parfait ! Merci !

M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Paul Alduy, rapporteur. Si le rapport présenté par le Gouvernement ne suscitait pas de débat, je serais très inquiet car, on l'a vu, il reste beaucoup à faire. A priori, il devrait donc y avoir matière à débat chaque année. (Marques d'approbation sur plusieurs travées.)

M. Jean Chérioux. Absolument !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.

Un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 7.