PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux assistants maternels et aux assistants familiaux
 

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RAPPELs AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour un rappel au règlement.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, la commission des affaires sociales vient de se réunir pour examiner les motions qui ont été déposées sur ce texte.

A cette occasion, M. le président de la commission des affaires sociales a eu la délicatesse de nous avertir...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je plaide coupable !

M. Guy Fischer. ... que notre calendrier de travail allait être, une fois de plus, modifié.

Nous savons que plusieurs textes sont en cours d'examen : la politique de santé publique, la bioéthique, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, notamment.

Le bruit courait que le texte sur la bioéthique viendrait en discussion le 23 juin devant le Sénat, ce qui nous semblait un délai acceptable, surtout au regard des sujets traités. Or nous venons d'apprendre qu'il y a de grandes chances - mais c'est la conférence des présidents qui en décidera - que ce texte soit examiné le 8 juin prochain, l'après-midi et le soir,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est en effet une chance !

M. Guy Fischer. ... parce que le projet de loi relatif à l'octroi de mer, dont la discussion était initialement prévue à cette date, ne serait pas inscrit à l'ordre du jour. Il est affligeant de mettre ainsi deux textes en balance et de s'engouffrer dans un vide de l'ordre du jour !

Alors que le texte sur la bioéthique renvoie à la foi ou à l'éthique de chacun et que l'importance de ces sujets, qui mobilisent les scientifiques et les philosophes, mérite une discussion, il nous faudra donc aborder ce projet de loi dans la précipitation.

J'élève une protestation véhémente, monsieur le président : il n'est pas possible de travailler dans ces conditions, car c'est véritablement mépriser la représentation parlementaire, et plus particulièrement le Sénat.

M. Roland Muzeau. Absolument !

M. le président. Je vous donne acte de votre déclaration, monsieur Fischer, et je rapporterai fidèlement vos propos à M. le président du Sénat.

La parole est à M. Gilbert Chabroux, pour un rappel au règlement.

M. Gilbert Chabroux. Je tiens simplement à dire que le groupe socialiste s'associe à la protestation émise par M. Guy Fischer au nom du groupe CRC.

Nous considérons que cette façon de travailler est tout à fait inacceptable. Nous ne comprenons pas que l'on veuille nous imposer de traiter de la bioéthique, un sujet si important, en un laps de temps aussi restreint.

Ce texte devrait venir en discussion le 8 juin, à la place du projet de loi relatif à l'octroi de mer. Nous ne comprenons pas cette substitution qui, je le répète, nous semble tout à fait inacceptable et indigne.

M. le président. Je vous donne acte de votre déclaration, dont je ferai également part à M. le président du Sénat.

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Dossier législatif : projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées
Discussion générale (suite)

solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées
Question préalable

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 299, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. [Rapport n° 313 (2003-2004) et avis n° 315 (2003-2004).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Hubert Falco, ministre délégué aux personnes âgées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après le drame de l'été dernier, le Sénat s'est mobilisé rapidement. Sa mission d'information a contribué à expliquer les causes de la catastrophe et ses propositions ont nourri la réflexion du Gouvernement et le plan d'action qui a suivi.

Aujourd'hui, nous commençons la discussion du projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Je sais que, une nouvelle fois, je peux faire confiance au Sénat pour améliorer ce texte.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l'unité vivante d'un peuple repose sur la solidarité entre ses générations. De l'enfance à l'âge avancé, chacune d'elles doit avoir sa place dans notre société. La considération que l'on marque aux personnes âgées est toujours à la mesure de l'attachement que l'on éprouve pour son pays et son histoire.

Un pays fort de son passé et confiant en son avenir est un pays qui se soucie de ses aînés.

La France doit accompagner cette grande révolution sociale qu'est le vieillissement. Elle doit le faire par une politique réaliste, responsable, fraternelle et pérenne.

Certains auraient souhaité le « tout en un », la réforme absolue, celle qui résout tout immédiatement. Ils s'émeuvent, notamment, de l'urgence dans laquelle nous légiférons, alors que le contour de la réforme de l'assurance maladie est en cours de discussion avec les partenaires sociaux.

Mais attendre cette réforme, ce serait se priver de tout financement supplémentaire pour cette année. Or nous avons déjà pris du retard.

Ainsi, sur 650 000 places en hébergement, seul un tiers des lits sont médicalisés à ce jour. A domicile, nous n'avons qu'une place de soins infirmiers pour sept personnes de plus de soixante-quinze ans. Enfin, nous manquons cruellement de places en accueil de jour et en hébergement temporaire pour les 800 000 personnes atteintes de ce véritable fléau qu'est la maladie d'Alzheimer ou d'affections apparentées.

Face à une telle situation, comment pourrions-nous expliquer à nos concitoyens qu'il faut attendre encore un an pour obtenir des moyens indispensables au maintien de la dignité de nos aînés ?

« On ne fait pas de politique en dehors des réalités », disait le général de Gaulle. Or, la réalité, quelle est-elle ?

C'est une canicule, en 2003, qui a révélé le retard accumulé dans la prise en charge des personnes âgées, à domicile comme en établissement ; c'est également une France qui vieillit et des politiques publiques qui n'ont pas suivi le rythme de la révolution démographique en cours.

C'est en tenant compte de cette réalité pressante que nous avons agi.

II nous fallait tout à la fois prendre acte de la révolution de la longévité et tirer les leçons de l'imprévision du drame de l'été 2003. C'est dans ce but que le Gouvernement a lancé, dès le mois de septembre dernier, l'élaboration concertée d'une réforme de solidarité pour les personnes dépendantes, qui a été annoncée le 6 novembre par M. le Premier ministre.

Cette réforme comporte deux volets : un plan « vieillissement et solidarités », dont je vais rappeler les principales avancées, et un volet « personnes handicapées », dont vous parlera Marie-Anne Montchamp.

Le plan « vieillissement et solidarités » amplifie fortement la politique que nous avons mise en oeuvre depuis 2002. Il vise à satisfaire les besoins de prise en charge nés du vieillissement démographique, à répondre aux souhaits de vie des Français âgés et à instaurer une véritable organisation gérontologique.

Son premier objectif est d'instaurer un système de veille, d'alerte et d'urgence - qui n'existait pas - pour prévenir les événements climatiques et y faire face.

Les effets physiologiques très rapides d'un pic de chaleur rendent nécessaires une anticipation météorologique efficace. Dans ce domaine, il est très vite trop tard. Prévoir et agir en amont est indispensable.

C'est pourquoi, sous notre impulsion, l'Institut de veille sanitaire et Météo France ont signé un accord pour mettre en place un dispositif d'anticipation, qui sera opérationnel dès le 1er juin 2004. Il permettra de repérer à l'avance les situations météorologiques à risque sanitaire et de prévenir la population en fonction de plusieurs seuils d'alerte.

Ainsi, un réseau de surveillance et d'intervention, qui est en cours d'installation, remédiera au caractère parcellaire et disséminé des informations qui, l'été dernier, a tant retardé la prise de conscience du drame.

En outre, pour garantir la rapidité d'action, une chaîne a été établie. Celle-ci va de la veille par les services météorologiques à l'alerte par l'Institut de veille sanitaire, puis au déclenchement des opérations par le préfet et, enfin, à l'intervention des services sanitaires et sociaux auprès des personnes âgées et des personnes handicapées isolées recensées, à leur demande, dans chaque commune.

La prévention des effets de la canicule appelle également l'installation d'une pièce rafraîchie dans chaque établissement pour permettre aux personnes âgées - c'est très important - de récupérer en restant au moins trois heures par jour dans un lieu à température maîtrisée. Cette installation devra être achevée avant l'été. C'est pour nous une absolue priorité.

J'ai eu l'occasion de m'exprimer devant la mission d'information du Sénat sur le drame que nous avons connu en août 2003.

Certes, nous sommes peut-être plus habitués aux grandes chaleurs dans le Sud. Mais ce qui a été le plus dramatique, pour les personnes âgées dépendantes et les personnes handicapées, ce sont les trois nuits du 11 au 14 août, durant lesquelles elles n'ont pas pu récupérer. Nous avons ainsi recensé - hélas ! - près de 3 000 décès dans la nuit du 11 au 12 août, dont bon nombre auraient pu être évités si nous avions été en mesure d'organiser des plages de récupération. En effet, tous les éminents spécialistes nous l'ont expliqué, l'organisme, dans son cycle normal, a besoin de récupérer.

Nous nous proposons de remédier à cette carence en mettant à la disposition des personnes âgées des pièces rafraîchies, où elles pourront récupérer au moins trois heures par jour.

Pour aider les établissements à s'équiper, le Gouvernement apporte un concours financier important puisqu'il est garanti à tout établissement une prise en charge publique à hauteur de 40 % du coût de son équipement, dans la limite d'un plafond de 15 000 euros par tranche de 80 lits.

L'Etat a dégagé 40 millions d'euros pour financer cette aide. Par ailleurs, certaines collectivités et bon nombre de départements se sont déjà engagés à accompagner cet effort sur le plan financier.

Au sein de la Haute Assemblée, je sais que siègent de nombreux présidents de conseils généraux, de droite comme de gauche. Je tiens à les remercier. Je compte en effet sur les élus de la nation pour veiller, au-delà de toute polémique partisane, qui ne serait pas de mise face à un pareil drame, à ce que les établissements de leur circonscription s'équipent au plus vite. Le Gouvernement a besoin de la mobilisation de tous.

Ce système de veille, d'alerte et d'urgence est accompagné d'un accroissement sans précédent des moyens de prise en charge et d'encadrement des personnes âgées. Ils s'élèveront ainsi à 4 milliards d'euros d'ici à 2007, auxquels il faut ajouter 4 milliards d'euros pour les personnes handicapées. Ma collègue Marie-Anne Monchamp vous en parlera tout à l'heure.

Le plan alloue 400 millions d'euros supplémentaires par an à l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie.

Il accélère la médicalisation des services à domicile et des établissements : 470 millions d'euros supplémentaires y sont consacrés dès 2004, dont 300 millions d'euros ont été inscrits dès le 1er janvier de cette année. En outre, 2 000 conventions tripartites, permettant de médicaliser 160 000 lits, pourront être signées cette année.

D'ici à 2007, le plan prévoit également 10 000 places nouvelles en établissement, soit l'équivalent de près de 150 nouvelles maisons de retraites.

Enfin, 15 000 personnels soignants seront recrutés sur quatre ans en établissement, et 10 000 à domicile.

Vous l'avez bien compris, cet effort financier est destiné à mieux répondre au choix de vie des Français âgés.

Il entend, tout d'abord, permettre aux personnes âgées de conserver leur mode de vie le plus longtemps possible. Vous le savez tous, la plupart d'entre elles souhaitent en effet demeurer à leur domicile, où elles ont leurs habitudes et leurs racines. Nous devons les y aider.

C'est la raison pour laquelle nous créons 17 000 places dans les services de soins infirmiers à domicile, ainsi que 4 500 places d'hébergement temporaire et 8 500 places d'accueil de jour dédiées à la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou d'affections apparentées.

Ce souci de satisfaire les choix de vie de chacun nous amène également à étoffer la palette des modes d'hébergement proposés afin d'offrir à nos concitoyens un choix varié qui réponde au mieux à leurs besoins et à leurs souhaits. Ainsi, pour éviter que la personne n'ait à choisir entre le « tout établissement » et le « tout domicile », nous encourageons une formule intermédiaire, les petites unités de vie et les résidences intégrées, qui préserve l'intégration des personnes au coeur des villes, des villages et des quartiers.

Le plan prévoit aussi la création d'une véritable organisation gérontologique fondée sur la proximité et sur une meilleure articulation entre les secteurs sanitaire et social.

C'est dans le cadre général de ce plan et pour contribuer à sa mise en oeuvre effective que s'inscrit le projet de loi dont nous allons débattre.

Après la prestation spécifique dépendance et l'allocation personnalisée d'autonomie, étapes significatives dans la prise en charge sociale de la perte d'autonomie, le projet de loi que le Gouvernement vous soumet pose les bases institutionnelles d'une prise en charge globale du vieillissement dans notre pays.

C'est un texte fondateur, car il envisage la question de la dépendance dans sa globalité. Il lui attribue - c'est un élément très important - une ressource propre et pérenne. Il vise aussi à créer un organisme spécifiquement dédié au financement de ce nouveau risque social.

Ce projet de loi a un double objet : d'abord, instituer le plan d'alerte et d'urgence ; ensuite, accompagner cette véritable révolution sociale qu'est le vieillissement en renforçant et en organisant le financement de l'aide aux personnes en perte d'autonomie.

Le plan d'alerte et d'urgence vise à parer aux situations de risques exceptionnelles.

Chaque département devra se doter d'un plan qui sera préparé par le préfet et par le président du conseil général. Décidée par le représentant de l'Etat, sa mise en oeuvre déclenchera le plan bleu dans les établissements - l'équivalent du plan blanc pour les hôpitaux - et l'intervention des services sanitaires et sociaux auprès des personnes âgées ou handicapées isolées à domicile.

Le projet de loi vise en outre à rattraper le retard accumulé dans la prise en charge de nos personnes âgées ou handicapées. Il renforce considérablement les moyens des politiques consacrées à la perte d'autonomie.

La mise en place de la PSD, de l'APA et du plan de médicalisation avait amorcé une réponse collective à cette difficulté. Cependant, l'action engagée n'était pas suffisamment financée. D'une part, il manquait 1,2 milliard d'euros en 2003 pour financer l'APA ; d'autre part, au rythme du conventionnement réalisé entre 2000 et 2002, il aurait fallu de très nombreuses années pour renforcer correctement le taux d'encadrement en personnel soignant des maisons de retraite médicalisées.

Je rappelle que seules 330 conventions ont été signées en 2001, alors que 8 500 établissements étaient concernés. C'est pourquoi nous avions déjà accéléré leur signature : 1 100 conventions ont été conclues en 2002, dont 700 au second semestre ; au cours de l'année dernière, 1 000 conventions ont été signées. Ce chiffre est toujours très insuffisant !

Mesdames, messieurs les sénateurs, une bonne intention sans financement pérenne n'engage à rien. Une attitude responsable impose des décisions réalistes fondées sur un budget garanti. C'est la raison pour laquelle ce projet de loi apporte les moyens nécessaires pour pérenniser les dispositifs antérieurs, les développer et, surtout, accélérer leur mise en oeuvre.

J'en viens à la journée de solidarité.

Ce financement est doublement innovant. D'abord, au lieu de ponctionner un peu plus la richesse présente, ce qui, à nos yeux, nuirait à la croissance et au pouvoir d'achat, il est permet la création de richesses nouvelles grâce à une journée de travail supplémentaire dans l'année.

M. Roland Muzeau. La corvée !

M. Hubert Falco, ministre délégué. La corvée, monsieur Muzeau, était due aux seigneurs par les vassaux, et cela ne concerne pas les personnes âgées !

M. Gilbert Chabroux. Le régime des seigneurs est de retour !

M. Roland Muzeau. Seuls les travailleurs sont mis à contribution, pas le MEDEF !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Nous en reparlerons... dans le calme.

En outre, l'affectation du produit de cette journée est garantie par son versement à une caisse spécifique.

Loin d'être nouvelle, l'idée de financer un plan d'action en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées par l'instauration d'une journée de solidarité a déjà été avancée par plusieurs associations. Au demeurant, l'Allemagne la met en oeuvre avec succès depuis quelques années (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC)...

Attendez la suite : l'Allemagne est même en train d'étudier la création de deux jours de solidarité supplémentaires !

M. Gilbert Chabroux. Eh oui ! Tous les jours de congé !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Et, mieux encore, cette idée a été soutenue, mesdames, messieurs les sénateurs, par cent députés dans un appel que je tiens à votre disposition et qui a été publié par le journal La Vie le 26 juin 2003. La liste comprenait des parlementaires de toutes tendances politiques - ce que je trouve naturel - et la gauche n'était pas en reste puisqu'on peut y lire les noms de MM. Fabius, Ayrault, Terrasse, Bianco, Migaud, Le Drian, celui de Mme Lebranchu... et de bien d'autres encore !

M. Gilbert Chabroux. Il ne faut pas tout confondre !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Vous le voyez, le 26 juin 2003, bon nombre de vos collègues de gauche partageaient notre idée d'instaurer ce jour de solidarité !

M. Gilbert Chabroux. Il n'était pas obligatoire!

M. Hubert Falco, ministre délégué. Il est vrai qu'à l'époque on annonçait que 80 % des Français étaient favorables à cette idée. Vos collègues vivant au rythme des sondages, dès lors qu'un sondage a montré une plus faible adhésion à cette journée, eh bien, ils s'y sont dits moins favorables. Mais ils avaient signé !

Cette journée concrétise une des valeurs fondatrices de notre République, celle de la fraternité. Elle met en oeuvre une solidarité concrète, plus expressive que la solidarité comptable, fondée sur des transferts sociaux anonymes. Une telle solidarité, avouez-le, s'imposait après le drame de l'été dernier.

M. Bernard Cazeau. Une solidarité par le travail !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Il ne s'agit pas, comme on a pu l'entendre ici ou là, d'un « jour sanction ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Mais si !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Nos concitoyens ne sont pas des enfants que l'on punit !

M. Roland Muzeau. Mais 76 % des Français sont contre !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Ils sont des adultes soucieux de solidarité, et ils sont prêts à en assumer la responsabilité.

Les Français veulent que nous agissions de façon responsable, c'est-à-dire en finançant les mesures que nous prenons, ce qui n'a pas toujours été fait.

Ils veulent aussi qu'on ne porte pas atteinte au pouvoir d'achat et que l'on tienne compte de la situation dégradée de nos comptes sociaux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les Français - de toutes tendances, au-delà des clivages politiques, sociaux, économiques et religieux - sont généreux. Ils se mobilisent chaque année par millions pour apporter leurs dons à la recherche médicale. Je suis convaincu qu'au fond d'eux-mêmes nos concitoyens, dans leur très grande majorité, sont prêts à travailler une journée supplémentaire pour exprimer leur solidarité avec leurs aînés et avec les personnes handicapées.

Certains ont voulu voir dans cette mesure une tentative de mettre à bas la réduction du temps de travail.

M. Guy Fischer. Oui, c'est la réalité !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Mais de quel effort s'agit-il en réalité ? De sept heures par an ! Sept heures, mesdames, messieurs les sénateurs, soit 4 % des 175 heures de réduction du temps de travail, et 0,4 % du temps de travail total...

M. Guy Fischer. Cela commence comme cela !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Je vous le demande : avec de tels pourcentages, où est la remise en cause des 35 heures ?

M. Gilbert Chabroux. C'est le premier pas qui coûte !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Cette journée de solidarité sera fixée librement et après concertation, dans le secteur privé comme dans le secteur public. Ce n'est qu'à défaut de trouver une autre solution que le lundi de la Pentecôte sera travaillé.

Les salariés et les fonctionnaires donneront un peu de leur temps, mais ils ne perdront aucun pouvoir d'achat, contrairement à ce qu'auraient entraîné les augmentations de cotisation salariale ou les suppléments d'impôts qu'appellent un peu trop facilement quelques-uns.

M. Roland Muzeau. C'est vrai que vous, vous baissez les impôts. Mais pour les plus riches !

M. Guy Fischer. Vous voulez supprimer l'ISF !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Oui, nous avons baissé les impôts ! Et, pour ce qui est d'augmenter le SMIC, nous avons fait mieux que vous !

En contrepartie de cet effort des salariés, les employeurs publics et privés restitueront au profit de la solidarité nationale la valeur ajoutée produite par la journée supplémentaire de travail.

Cette restitution prendra la forme d'une contribution patronale dont le niveau a été estimé à 0,3 % des salaires et des traitements.

La solidarité des Français sera, en outre, équitablement répartie : les salariés et les fonctionnaires y participeront ; les travailleurs indépendants et les agriculteurs aussi, qui s'acquitteront de la contribution dès lors qu'ils emploient au moins un salarié. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Enfin, cet effort ne reposera pas uniquement sur ceux qui travaillent, puisque les revenus du capital seront redevables d'une participation d'un même montant, à l'exception des produits de l'épargne populaire.

M. Guy Fischer. Heureusement !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Les personnes âgées modestes ne seront donc pas touchées. Ainsi, on ne peut aucunement prétendre que la contribution n'est pas équitablement répartie.

J'aborderai maintenant la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

L'affectation du montant collecté, soit près de 2 milliards d'euros chaque année, sera garantie grâce à son versement à une caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et grâce à la transparence complète du dispositif.

Les Français doivent être certains du bien-fondé de leur effort. Afin que la journée de solidarité corresponde bien à des actions en faveur des personnes dépendantes, son produit ne sera pas fondu dans le budget de l'Etat ou dans les comptes de la sécurité sociale, mais il sera affecté à un organisme bien identifié.

M. Guy Fischer. Une agence ?

M. Hubert Falco, ministre délégué. Et, pour en assurer la transparence, celui-ci sera institué sous forme d'établissement public national à caractère administratif. Ses organes de surveillance associeront des élus, des parlementaires de toutes tendances, les partenaires sociaux et des représentants des milieux associatifs.

Des interrogations se sont néanmoins exprimées à l'égard de cet organisme, et la dénomination de « caisse » a pu induire en erreur sur les intentions du Gouvernement. Ce terme marque notre volonté de mettre en place une politique forte et globale en faveur des personnes âgées. II ne signifie nullement une quelconque dérive vers une sécurité sociale à deux vitesses.

M. Guy Fischer. Oui : ce sera l'assurance privée !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Les personnes âgées comme les personnes handicapées continueront, bien évidemment, de relever de la Caisse nationale d'assurance maladie pour tout ce qui concerne leurs soins. Simplement, à cette prise en charge sanitaire, la nouvelle caisse apportera une prestation nouvelle : la prise en charge de la dépendance.

Etant donné l'urgence dans laquelle nous devons légiférer, il va de soi que le présent projet de loi n'a pas pour objet de définir tous les contours de cette structure. Ses missions définitives seront arrêtées après concertation, sur la base des orientations de la réforme de l'assurance maladie.

A quelles actions le budget de cette caisse sera-t-il consacré ?

Le premier objectif, je l'ai indiqué, est de pérenniser le financement complémentaire que nous avons instauré en 2003 pour sauvegarder l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA : 400 millions d'euros s'ajouteront désormais chaque année au dixième de point de CSG déjà affecté au fonds de financement de l'APA, le FFAPA.

L'emprunt de même montant contracté au titre de 2003 sera remboursé dès cette année par anticipation. La caisse sera ainsi en mesure de mettre un terme de manière durable à la grave impasse financière héritée du précédent gouvernement.

M. Hubert Falco, ministre délégué. Le deuxième objectif de la caisse, c'est de financer le plan « vieillissement et solidarités », qui vise à favoriser la médicalisation des établissements, la modernisation des services d'aide à domicile, la création de places et le renforcement du personnel.

A compter de 2005, le champ d'action de la caisse sera étendu à la perte d'autonomie résultant du handicap.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi dont nous allons discuter a un objet simple : remettre nos politiques publiques en phase avec notre démographie.

II s'agit de consolider une répartition nouvelle des responsabilités entre les collectivités publiques. La réforme privilégie, en effet, un mode de gestion décentralisé, fondé sur la proximité et adossé à une organisation nationale garante de l'utilisation exclusive de la nouvelle ressource au bénéfice des personnes dépendantes. La nouvelle caisse ne démembre nullement l'organisation actuelle de la sécurité sociale, mais maintient son unité et préserve l'universalité de l'assurance maladie, en refusant toute prise en charge différenciée des soins aux personnes âgées.

Enfin, la réforme établit, pour la première fois dans l'histoire de la protection sociale de notre pays, une logique de prise en charge globale de la perte d'autonomie, qu'elle soit due à l'âge ou au handicap.

Certes, on peut toujours faire mieux et plus. Reconnaissons néanmoins que ce projet de loi constitue une véritable avancée face au défi du vieillissement.

Les circonstances tragiques qui en ont accéléré l'élaboration doivent nous rappeler la nécessité impérieuse d'anticiper les évolutions sociales et économiques de notre pays, fussent-elles taboues comme l'est encore le vieillissement.

Plutôt que de bercer les Français d'illusions, nous avons choisi un langage de vérité et de responsabilité.

Oui, nous demandons un effort, mais c'est un effort responsable, car il n'ampute pas le pouvoir d'achat de nos concitoyens.

M. Hubert Falco, ministre délégué. C'est un effort juste, car il est équitablement réparti.

M. Hubert Falco, ministre délégué. C'est enfin un effort qui fait honneur aux Français, car il est généreux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Mesdames, messieurs les sénateurs, il y a quelques semaines, vous avez voté en première lecture le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Aujourd'hui, j'ai l'honneur de présenter devant vous, avec mon collègue Hubert Falco, le projet de loi relatif au dispositif de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

Ces deux projets forment un ensemble législatif qui marque un nouveau progrès de notre démocratie.

Pour la première fois, la question du handicap est posée dans les termes généraux de la capacité de notre société à reconnaître sans discrimination l'ensemble de ses membres, à fixer des règles communes dans le respect des différences, à fonder la cohésion sociale sur la diversité.

Pour la première fois, le risque dépendance-autonomie est reconnu comme un risque détaché de la condition de salarié, assuré d'un financement et d'un mode de gestion propres.

Ce projet de loi était très attendu par les personnes âgées. Il crée les moyens de financement nécessaires pour prévenir les conséquences vitales de l'isolement, pour prendre en charge la perte d'autonomie, pour organiser les services individuels et collectifs auxquels elles ont droit.

Il était aussi très attendu par les personnes handicapées. II crée en effet les moyens nécessaires au financement de la prestation personnalisée de compensation, qui permettra aux personnes handicapées d'accéder à l'ensemble des aides qui leur sont nécessaires : aides humaines, aides techniques, aménagement du logement, aides diverses.

Ce projet de loi est aussi l'aboutissement de l'annonce faite le 6 novembre dernier par le Premier ministre et qui porte l'espoir d'une refondation de la protection sociale, j'oserai dire d'un nouveau paradigme de la protection sociale, car elle reconnaît l'existence d'un risque nouveau, fait appel à un financement nouveau et met en place une gouvernance nouvelle.

Le risque dépendance-autonomie est un risque nouveau, qui n'existait pas ou n'existait que peu en 1945 alors que l'espérance de vie à la naissance et la durée moyenne de vie étaient bien plus faibles qu'aujourd'hui : l'état des connaissances scientifiques et médicales ne permettait pas les nombreuses naissances prématurées, qui sont parfois génératrices de handicap, et les accidents de la route étaient moins fréquents et moins meurtriers qu'ils ne le sont aujourd'hui.

C'est un risque universel, un risque pour tous : la naissance, la maladie, l'accident, le vieillissement peuvent engendrer une situation ou un état de dépendance plus ou moins durable.

C'est aussi un risque irréductible à d'autres risques. L'état ou la situation de dépendance ne sont en rien comparables à l'accident ou à la maladie, qui privent provisoirement le salarié de son travail et de son revenu, ni à l'événement heureux que constitue une naissance dans la famille - événement heureux qui crée cependant des charges financières supplémentaires -, ni à un retrait d'activité, qui réduit certes les revenus mais qui a fait l'objet d'une assurance préalable tout au long de la vie active.

La situation ou l'état de dépendance, la perte d'autonomie des personnes âgées dépendantes, le maintien ou la recherche d'autonomie des personnes handicapées exigent, certes, une compensation financière, mais leur spécificité consiste plutôt à organiser dans la proximité une offre de biens et de services adaptée à la personne.

Pour une personne handicapée, le droit à compensation, c'est, bien sûr, la garantie d'être en mesure de faire face aux charges spécifiques liées à son handicap. Mais c'est surtout la liberté de choisir son mode de vie, de ne pas être enfermée dans une institution, mais de trouver la réponse adaptée là où elle le souhaite, soit à domicile, soit en établissement. C'est, finalement, l'expression de l'égalité des droits et des chances.

C'est pourquoi le Gouvernement a choisi de sortir des sentiers traditionnels de la sécurité sociale pour jeter les bases d'une solidarité mieux ancrée dans la citoyenneté.

Ce qui est en cause, ce n'est ni la garantie d'un revenu de remplacement, apportée aujourd'hui par les assurances sociales, ni la garantie d'un minimum d'existence, apportée aujourd'hui par l'aide sociale des communes et des départements. Ce qui est en cause, c'est la mise en oeuvre de la solidarité nationale non pas pour exister mais parce qu'on existe.

En invitant les Françaises et les Français à travailler un jour de plus chaque année au profit des personnes âgées en perte d'autonomie ou des personnes handicapées en recherche d'autonomie, le Gouvernement établit le lien entre l'obligation individuelle et l'obligation commune et générale de venir en aide aux plus fragiles d'entre nous, conformément à notre nature même qui est de vivre ensemble.

Dans son discours du 6 novembre dernier, le Premier ministre a employé le terme « fraternité » pour donner son sens à la journée de travail supplémentaire. II a appelé à l'engagement personnel et à la solidarité de tous les Français. Il a demandé à chaque Français de « donner un peu de soi-même ».

Je crois pouvoir dire que le Premier ministre a eu là une formule juste et certainement fondatrice. En effet, l'enjeu de notre société, devenue tellement technique, bureaucratique et froide, est bien d'aller au-delà de la solidarité purement comptable, faite de transferts sociaux anonymes, pour enclencher une solidarité citoyenne, cette solidarité du corps social vivant une communauté de destin, une communauté de valeurs, une fraternité.

L'enjeu est de sortir de la société de transfert, de l'étatisation du social, de la logique du dossier et de l'ayant droit pour prendre en compte les individus singuliers, dans leur situation particulière, avec leurs aspirations et leurs projets de vie propres.

La face cachée du droit à compensation, c'est la personnalisation de l'aide, l'évaluation des besoins de la personne dans son environnement ordinaire, tenant compte de son projet de vie.

Au-delà de la solvabilisation nécessaire apportée par le versement d'une prestation, le droit à compensation conduit à organiser des métiers, des formations, à susciter des réponses adaptées et, finalement, à structurer une offre de services de proximité. Ce n'est pas dans la logique de la sécurité sociale, qui se limite à verser sur dossier des prestations, dans une logique qui fait prévaloir l'ayant droit sur la personne.

L'institution d'une journée nationale de solidarité dégage aussi un financement substantiel pour le nouveau droit à compensation : 5 milliards de francs, soit 850 millions d'euros en année pleine. Au total, des moyens considérables sont alloués à la prise en charge de la dépendance-autonomie, puisque ce sont 9 milliards d'euros supplémentaires qui lui seront consacrés d'ici à 2008, soit 20 % de crédits en plus pour la dépendance.

Nous savons tous que ni l'allocation compensatrice pour tierce personne, à la charge des départements, ni les services d'auxiliaires de vie, financés par l'Etat, ni le remboursement par l'assurance maladie des aides techniques inscrites à la liste des produits et prestations remboursables par l'assurance maladie, ne sont aujourd'hui à la hauteur du droit que revendiquent légitimement les personnes handicapées.

C'est aussi un financement qui, pour la première fois, autorise un progrès social sans réduire le niveau de vie, sans alourdir la charge des assurés sociaux, sans compromettre la compétitivité des entreprises parce qu'il mobilise la ressource la plus répandue : le temps libre.

Ainsi que l'a dit à l'instant mon collègue Hubert Falco, d'autres pays ont fait face à de nouveaux besoins avec de nouveaux moyens. Ainsi, l'Allemagne, qui a inventé les assurances sociales, a donné l'exemple en 1993 en créant une assurance dépendance financée par la suppression d'un jour férié. Osons, à notre tour, dire que la protection sociale à visée universelle ne peut plus reposer sur la seule redistribution des revenus monétaires, quel que soit le mode de prélèvement.

Enfin, la création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, répond à une demande forte des personnes handicapées, qui souhaitent désormais être pleinement associées à la gestion du risque qui les concerne.

Sans anticiper sur le deuxième texte à venir relatif à la CNSA et sur la concertation prochaine qui suivra la remise du rapport de MM. Briet et Jamet, nous souhaitons que la création de cette caisse inaugure un mode nouveau de gouvernance qui ferait une place égale aux personnes handicapées et aux personnes âgées à côté des représentants des pouvoirs publics et des partenaires sociaux. C'est ainsi que sera garantie l'indispensable égalité de traitement sur l'ensemble du territoire.

Par ailleurs, la CNSA distinguera clairement la gestion des fonds destinés au financement du droit à compensation de celle des fonds destinés à la dépendance des personnes âgées. Ces fonds ne seront pas fongibles.

L'aide aux personnes âgées dépendantes relève d'une logique de la solvabilité, d'une aide à la personne pour l'accès à un besoin collectif reconnu, de la réduction des inégalités dans l'accès aux biens publics.

Le droit à compensation évoque, d'emblée, l'égalité des conditions et conduit à neutraliser le coût financier des aménagements nécessaires afin de maintenir les mêmes conditions de vie avant et après l'occurrence du handicap.

La perte d'autonomie est quasi irréversible au regard de l'âge des personnes dépendantes. II n'en va pas nécessairement de même pour les personnes handicapées qui, le plus souvent, sont davantage en recherche d'autonomie qu'en perte d'autonomie.

En outre, une autonomie insuffisante peut être liée à une déficience autant qu'à l'environnement. Je pense, bien sûr, aux personnes dont le handicap a une composante physique, sensorielle ou auditive. Mais l'autonomie peut aussi parfois emporter des risques pour la personne elle-même ou pour un tiers. Je pense aux personnes handicapées mentales, dont il faut encadrer l'autonomie, par une protection juridique, par exemple, et aux personnes souffrant d'un handicap psychique, dont il faut organiser les formes souples de suivi et d'accompagnement.

Dans tous les cas, la compensation du handicap vise à maintenir ou à restaurer la plus grande autonomie possible et ne saurait être confondue avec l'aide qui est due aux personnes âgées dépendantes.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'aide à la dépendance des personnes âgées et le droit à la compensation pour les personnes handicapées sont fondamentalement liés par l'exigence de citoyenneté, le droit à vivre une vie digne, quelles que soient les raisons de cette dépendance ou de ce handicap, qu'elles soient liées à l'âge, bien sûr, mais aussi à la maladie, à l'accident, auxquels chacun d'entre nous peut se trouver provisoirement ou durablement confronté.

Aux uns et aux autres, la société tout entière se doit de garantir le maximum d'autonomie possible, la plus grande participation possible à la vie en société, le plus grand exercice de sa citoyenneté. La solidarité envers le grand âge autant qu'envers le handicap est avant tout un acte de citoyenneté partagée.

Le texte sur lequel vous êtes invités à vous prononcer ce soir est porteur d'une réforme sociale sans précédent. Il n'est pas l'achèvement d'un édifice ancien. Il marque l'avènement d'un ordre social nouveau. La création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie matérialise le changement de niveau et de nature de l'effort social de la nation.

Je souhaite que nous soyons guidés, tout au long de la présente discussion, par cette perspective nouvelle de protection sociale ouverte, avec la conviction que la vie vaut la peine d'être vécue, quel que soit l'âge ou le handicap. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Lardeux, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le drame humain des 15 000 décès provoqués par la canicule de l'été 2003 a rappelé cruellement à notre société le prix de son indifférence et ce qu'il en coûte de laisser se diluer les liens de solidarité les plus essentiels.

C'est davantage de notre désintérêt que des conditions climatiques qu'ont été victimes les plus fragiles de nos concitoyens.

En effet, de nos trois valeurs républicaines de liberté, d'égalité et de fraternité, ce n'est pas la troisième qui suscite le plus d'engouement ; d'ailleurs, qui parmi nous savait, avant de lire la presse de ce jour, que la présente journée était dédiée à la fraternité !

M. le ministre a rappelé tout à l'heure, comme il l'avait fait devant notre commission, que, face à cette situation, le Gouvernement avait le devoir d'agir résolument. Il a traduit cette détermination dans le plan de solidarité pour l'autonomie présenté par le Premier ministre dès l'automne dernier.

Bien évidemment, l'impasse hors de laquelle le Gouvernement doit tirer notre système de protection sociale n'a pas contribué à rendre l'action facile.

Nous savons bien à quelles difficultés il s'est trouvé confronté en arrivant aux affaires : des droits nouveaux imparfaitement financés, l'absence de réforme des régimes de retraite et d'assurance maladie, la situation des personnes handicapées laissée à l'état de friche ; autant de sujets qui expliquent que le projet de loi que nous examinons aujourd'hui ne constitue qu'un élément, parmi d'autres, d'un processus législatif global plus complexe.

Ce texte garantit néanmoins un cadre financier réaliste au plan de solidarité et il n'hypothèque pas l'issue de la concertation qui doit déboucher sur la définition d'un socle durable pour l'organisation de la prise en charge de la dépendance.

Les nombreux débats qui ont entouré ce texte ont révélé beaucoup de craintes, souvent injustifiées d'ailleurs car fondées sur une confusion entre le projet de loi lui-même et le contenu du rapport d'étape rendu public voilà peu par MM. Briet et Jamet sur l'étude connexe qui leur a été confiée par le Gouvernement. Ces craintes traduisent néanmoins l'urgence d'organiser, désormais de manière pérenne, la prise en charge de la dépendance.

Sans mettre en cause l'universalité de l'assurance maladie, ni créer « une cinquième branche » pour répondre « à un cinquième risque », le projet de loi pose aujourd'hui, de manière pragmatique, les premiers jalons d'une réforme ambitieuse.

Il se compose de trois titres : le premier est consacré à la mise en place d'un dispositif de veille et d'alerte, dont l'urgence est manifeste à cette époque de l'année ; le deuxième institue la fameuse « journée de solidarité » ; quant au troisième, il prévoit les dispositions créant une caisse nationale de solidarité et les modalités de son financement.

Permettez-moi d'évoquer brièvement le plan de veille et d'alerte, dont M. le ministre vient de nous rappeler l'importance et la manière dont il s'insère dans un dispositif plus global destiné à prévenir la répétition du drame que nous avons connu l'an dernier.

Le dispositif proposé vise à instituer un plan départemental, dont le contenu est déterminé conjointement par le préfet et le président du conseil général.

Il prévoit également de confier aux communes la charge d'établir un fichier des personnes âgées et handicapées, sur leur demande ou avec leur consentement, qui permettra aux autorités de disposer rapidement de la liste des personnes auxquelles une attention particulière doit être portée.

Bien évidemment, la commission des affaires sociales est favorable à l'adoption de ce dispositif, auquel elle apportera quelques améliorations.

J'en viens maintenant au dispositif central du texte, qui a pour objet de répondre aux défis posés par la dépendance, en conciliant pédagogie et pragmatisme.

Je pense bien sûr, au premier chef, à la transformation d'un jour férié en journée de solidarité. Ce dispositif n'est pas une innovation française puisque, vous le savez, l'Allemagne finance l'autonomie des personnes âgées, depuis de nombreuses années, selon cette modalité.

Toutefois, cette innovation dans le système français de protection sociale revêt quatre dimensions.

En premier lieu, ce choix symbolique - renoncer à l'un des onze jours fériés reconnus par solidarité envers les personnes âgées et handicapées - ouvre la porte à une réflexion plus vaste sur le rapport des Français au travail.

Le projet de loi aboutit, pour la première fois depuis plus de vingt ans, à ce qu'en France la durée du temps de travail soit majorée du fait d'une décision législative.

M. Gilbert Chabroux. Ce n'est pas glorieux !

M. André Lardeux, rapporteur. Bien que la tendance à la diminution du temps de travail soit un phénomène constaté dans l'ensemble des pays de l'OCDE, la France occupe dans ce classement une position particulière : le nombre annuel d'heures travaillées par actif occupé y est aujourd'hui inférieur d'environ 15 % à la moyenne.

Certes, l'augmentation du temps de travail résultant de la journée de solidarité reste très modeste : elle n'exige des salariés qu'une présence supplémentaire de 0,4 %. Mais elle permet de rappeler que l'extension, et même la préservation d'un système de protection sociale généreux ne pourra être financée à long terme que par l'accroissement de la production de richesse que permet le travail.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bien !

M. André Lardeux, rapporteur. En deuxième lieu, au-delà de sa dimension « fraternelle », selon l'expression du Premier ministre, le choix d'instituer une journée de solidarité en lieu et place d'un jour précédemment chômé conforte le constat qu'il n'est désormais plus possible d'augmenter tout simplement la pression fiscale chaque fois que des ressources doivent être trouvées.

En troisième lieu, l'instauration de cette journée préserve le revenu des ménages : certes, elle ne donne pas lieu à rémunération supplémentaire, mais les salariés mensualisés, auxquels les jours fériés sont déjà payés, ne subiront aucune perte de salaire.

Préserver la croissance, éviter de recourir à de nouveaux déficits qu'il faudrait un jour rembourser, financer demain l'assurance maladie sont autant d'arguments qui plaident pour cette solution.

Cela dit, je n'en disconviens pas, la neutralité économique de la mesure n'est pas acquise.

En quatrième lieu, enfin, si l'institution d'une journée de solidarité permet également de tenir le pari de préserver la compétitivité des entreprises en n'accroissant pas les charges qui pèsent sur le travail, ce pari est fondé sur l'hypothèse qu'un jour travaillé de plus permettra, à terme, un surcroît de valeur ajoutée dans le secteur marchand.

A ce point du débat, il nous faut nous interroger sur la situation de la fonction publique. En effet, l'ajustement dynamique que l'on espère pour le secteur privé ne peut être envisagé de la même manière pour le secteur public puisque, si celui-ci a beaucoup à offrir, il n'a rien à vendre.

Je crois profondément inexact d'y limiter l'impact de la journée de solidarité à une augmentation d'impôt. Dès lors que le dispositif est appliqué avec suffisamment de souplesse, ce que permet d'ailleurs le texte voté par l'Assemblée nationale, il peut se traduire par une amélioration du service rendu au public. À titre d'exemple, une journée de travail supplémentaire à l'hôpital permettra d'améliorer l'accueil et les soins dispensés aux usagers du système de santé.

Le pari le plus ambitieux, finalement, auquel est confrontée cette mesure est de réussir son insertion dans le droit social. Or, si l'idée de supprimer le lundi de Pentecôte est séduisante dans son principe, elle se heurte à la grande diversité du chômage des jours fériés en France.

De nombreuses entreprises font travailler leur personnel durant ces jours, moyennant quelques contreparties. Dès lors, la suppression du caractère férié du lundi de Pentecôte n'entraînera pas systématiquement pour elles de production supplémentaire. On rencontrera ce même problème lorsqu'il s'agira d'adapter la mesure au cas des entreprises travaillant en continu.

Une autre série de difficultés résulte de la situation des salariés non mensualisés. Ceux-ci bénéficient généralement du chômage des jours fériés, mais sans être rémunérés. Il serait dans ce cas singulier de leur demander d'exécuter une journée supplémentaire de travail sans aucune contrepartie financière.

Sur ces deux aspects, le Gouvernement, comme l'Assemblée nationale, a prévu les assouplissements nécessaires.

Le projet de loi initial fixait la date de la journée de solidarité au lundi de Pentecôte, mais ouvrait à la négociation collective la faculté de prévoir un autre jour.

La logique est désormais inversée. Les partenaires sociaux négocieront, et c'est seulement en cas d'échec des pourparlers que la journée de solidarité sera fixée, par défaut, au lundi de Pentecôte.

Le Gouvernement a également prévu que les salariés non mensualisés seraient rémunérés s'ils étaient amenés à travailler une journée de plus, et des dispositions spécifiques ont été envisagées pour certains cas particuliers : les salariés à temps partiel ou ceux qui, changeant d'employeur en cours d'année, pourraient être conduits à offrir deux journées de solidarité. La difficulté que j'évoquais est donc levée.

En tout état de cause, c'est la création de cette journée particulière qui rend possible la seconde innovation du projet de loi : le financement de l'autonomie des personnes âgées ou handicapées et la création d'une caisse nationale dédiée à cet objet.

En effet, l'estimation de la richesse supplémentaire produite par une journée travaillée a conduit le Gouvernement à considérer qu'une contribution équivalant à 0,3 % de la masse salariale pouvait être, en contrepartie, demandée aux entreprises.

Cette contribution sera instituée, calculée et recouvrée selon les mêmes modalités que les cotisations patronales d'assurance maladie. Elle devrait rapporter 1,6 milliard d'euros, soit 1,2 milliard versé par les employeurs privés et 400 millions par les employeurs publics.

À cette contribution s'ajoutera l'effort demandé aux revenus du patrimoine. Le projet de loi prévoit en effet une contribution additionnelle à la taxe de 2 % sur les revenus du capital, qui produira environ 300 millions d'euros de recettes supplémentaires.

Au total, c'est donc 1,9 milliard d'euros de moyens nouveaux qui sera affecté à la CNSA pour la prise en charge de l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, car il s'agit bien ici de créer une caisse nationale pour assurer la prise en charge du cinquième risque.

Si le financement en lui-même était urgent, puisqu'il fallait bien régler la facture de l'allocation personnalisée d'autonomie en 2003 et 2004 et prévoir les dispositions relatives au plan de veille, l'institution de la CNSA aurait pu, quant à elle, être décidée ultérieurement. En effet, dans l'attente des conclusions du rapport Briet-Jamet, le projet de loi ne peut, pour l'instant, prévoir de manière définitive les organes et les missions de cette caisse.

Le Gouvernement n'a toutefois pas voulu différer davantage ce qui constitue une mesure d'affichage forte pour les personnes âgées et handicapées, et nous comprenons cette préoccupation.

Ce faisant, nous serons conduits à nous interroger pendant quelques mois encore sur les modalités définitives qui seront retenues pour prendre en charge la dépendance en France.

Pour des raisons que je qualifierai d'historiques, je ne pense pas que la création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale soit désormais probable.

La situation financière de la sécurité sociale, d'une part, et la riche expérience des départements dans la prise en charge de la dépendance, d'autre part, ne m'incitent pas à souhaiter que la gestion de ce risque soit confiée à la sécurité sociale.

En disant cela, on laisse entière la question de l'articulation future entre une caisse nationale, qui n'est pas une caisse de sécurité sociale et qui est chargée de garantir à tous des droits égaux et de qualité, et la gestion concrète des actions, qui comprend la distribution de prestations assurée au niveau local.

Beaucoup de points restent donc en suspens. Ils seront tranchés soit dans le cadre du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, soit ultérieurement.

En l'état, le présent projet de loi ne définit le rôle dévolu à la Caisse que dans ses grandes lignes.

En revanche, il affecte dans le détail les ressources nouvelles entre personnes âgées et personnes handicapées, en prévoyant une stricte étanchéité entre ces deux secteurs.

Ainsi, les personnes handicapées pourraient bénéficier, à partir de 2005, d'environ 850 millions d'euros, essentiellement consacrés au financement de la prestation de compensation. Les personnes âgées verraient, quant à elles, les crédits du fonds de financement de l'APA, soit 1 milliard d'euros, concentrés dans la future caisse et disposeraient en sus de 60 % des 1,9 ou 2 milliards de recettes nouvelles créées : 20 % serviront de complément pour le financement de l'APA, les 40 % restant permettant de solvabiliser les actions en faveur des personnes âgées affichées dans le plan de solidarité pour l'autonomie, c'est-à-dire la médicalisation des établissements et l'accentuation de l'effort en faveur de la vie à domicile.

Les crédits nouveaux vont donc susciter un « effet masse » avec les crédits médico-sociaux dont dispose l'assurance maladie au sein de l'ONDAM, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, sans pour autant s'y substituer.

Mes chers collègues, la commission des affaires sociales ne vous proposera pas de modifier en profondeur ce projet de loi, mais de lui apporter un certain nombre d'amendements de précision.

Elle insiste cependant sur la nécessité de prévoir le principe d'une compensation financière en faveur des collectivités territoriales, visant à compenser les charges qu'entraînera l'application de ce texte, conformément à l'article 72-2 de la Constitution.

En effet, le projet de loi prévoit la création d'un fichier par les communes. Or - et les auditions auxquelles j'ai procédé confirment cette prévision - cette opération constituera une charge significative pour celles-ci. Il paraît donc légitime que la prochaine loi de finances évalue cette charge et en précise les modalités de compensation.

Cette dernière remarque me conduit à remercier notre collègue M. Adrien Gouteyron pour l'excellent rapport pour avis qu'il a rédigé au nom de la commission des finances. La lecture attentive que j'en ai faite m'amène à constater, pour m'en réjouir, les larges convergences d'appréciation qui existent entre nos deux commissions.

M. Guy Fischer. Il y a aussi des critiques !

M. André Lardeux, rapporteur. J'ai bien noté, toutefois, l'inquiétude que lui inspire un éventuel aléa d'environ 100 millions d'euros concernant les rentrées possibles de la cotisation de solidarité. Cette inquiétude honore la volonté de précision, jamais démentie, de la commission des finances.

Pour sa part, la commission des affaires sociales n'a pas formulé une telle réserve. Dans un passé pas si lointain, l'expérience a montré que les prévisions de recettes assises sur l'évolution de la masse salariale peuvent être sujettes à de sérieuses corrections, à la hausse comme à la baisse.

La commission des affaires sociales veut croire que les politiques tendant à améliorer la croissance et l'emploi mises en oeuvre par le Gouvernement seront couronnées de succès et permettront d'atteindre le niveau de ressources initialement envisagé, et même de le dépasser.

M. Roland Muzeau. C'est la méthode Coué !

M. André Lardeux, rapporteur. J'ai également noté notre souhait commun que soit organisé un contrôle parlementaire de la future Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Certes, les modalités que nous avons respectivement envisagées divergent, mais elles nous renvoient toutes au débat désormais bien connu sur la nature du contrôle parlementaire qu'il convient de mettre en place en matière de protection sociale ou, pour parler plus simplement, sur l'articulation du champ des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Mais nous aurons sans doute l'occasion d'aborder ce débat plus large autrement que « par ricochet ».

En conclusion, permettez-moi, au nom de la commission des affaires sociales, de faire une observation de portée générale, qui aurait parfaitement pu être formulée par la commission des finances tant elle répond à notre souci commun. Je parle ici sous le contrôle de M. Gouteyron.

Le projet que nous examinons aujourd'hui ne résout évidemment pas de manière définitive les problèmes que pose la détérioration du rapport démographique à laquelle notre société est confrontée.

Aucun texte, d'ailleurs, ne pourrait à lui seul assurer la prise en charge pérenne des 4 millions d'octogénaires que comptera la France dans quinze ans. Une étude universitaire évalue à 12 milliards d'euros le montant des ressources nécessaires pour prendre en charge aujourd'hui, dans sa totalité, la perte d'autonomie des personnes âgées.

Une telle somme n'est-elle pas hors de notre portée ? Poser la question, c'est aussi y répondre.

En conséquence, d'autres mesures doivent ou devront être prises pour préparer cet avenir. Dans cet esprit, la proposition de loi déposée par Alain Vasselle et plusieurs de nos collègues met en avant le rôle fondamental que pourrait jouer la prévoyance individuelle ou collective si les pouvoirs publics savaient intelligemment la stimuler.

La commission des affaires sociales a étudié cette proposition de loi en même temps que le présent projet de loi. Elle vous propose d'en retenir plusieurs éléments et d'adopter des dispositifs d'incitation fiscale et sociale permettant aux personnes de s'assurer ou d'assurer leurs parents, face au risque de la dépendance. (Murmures réprobateurs sur les travées du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Selon que tu es riche ou pauvre... !

M. André Lardeux, rapporteur. Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler sur ce projet de loi, auquel la commission des affaires sociales a donné un avis favorable sous réserve des amendements que je vous présenterai. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, André Lardeux ayant tout à la fois présenté les dispositions du présent projet de loi de manière extrêmement précise et détaillée et relevé les concordances qui existent entre nos deux rapports écrits sans pour autant méconnaître nos quelques divergences, je me bornerai à formuler quelques remarques et quelques questions.

Le présent projet de loi met en oeuvre le financement du programme ambitieux annoncé par M. le Premier ministre le 6 novembre 2003, en instituant une Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie chargée de garantir l'utilisation de certaines ressources en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées. Il vise notamment à garantir le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, ce que nous ne pouvons qu'approuver.

Monsieur le ministre, vous avez à juste titre rappelé que l'on ne pouvait pas attendre la réforme de l'assurance maladie, puisqu'il fallait assurer le financement de l'APA dès cette année, ce qui est précisément l'objet de cette caisse.

Nous saluons cette volonté et nous comprenons l'urgence de la situation, monsieur le ministre, ce qui relativise certaines remarques qui vont suivre. Mais je tenais à faire ce constat pour remettre ces dernières dans leur contexte.

Vous ne l'avez pas caché, monsieur le ministre, il s'agit d'un projet de transition

La mission de réflexion conduite par MM. Raoul Briet et Pierre Jamet est en cours. Un rapport d'étape a été déposé, certes intéressant, mais nous ne disposons pas encore des conclusions définitives. Nous ne connaissons pas non plus, madame la secrétaire d'Etat, les termes définitifs du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. (Murmures sur les travées du groupe CRC.)

Il subsiste donc quelques incertitudes, liées au calendrier, et il faut bien que nous les acceptions.

La commission des finances s'est tout d'abord interrogée sur la nécessité de prévoir une Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie à ce stade de la réflexion. Nombre de commissaires des finances ont fait part de leurs réserves mais, dans son ensemble, la commission a accepté le principe de la création de cette caisse.

Toutefois, monsieur le ministre, traduisant les préoccupations exprimées par la commission des finances, je souhaiterais que vous nous indiquiez précisément les raisons qui vous ont conduit à envisager dès à présent cette création, alors même que les missions définitives de la caisse, comme l'a rappelé André Lardeux, ne peuvent pas être connues à l'heure actuelle.

Vous avez mentionné dans votre discours, monsieur le ministre, la nécessité de sécuriser les ressources, ce qui ne peut que nous satisfaire, car nous le souhaitons nous aussi. Mais on peut se demander si la création de cet organisme apportera à cet égard une garantie suffisante.

Je relève ensuite que l'intitulé même de « Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie » est ambigu, dans la mesure où il fait référence au vocabulaire employé dans le domaine de la sécurité sociale. Je vous renvoie à cet égard aux propos d'André Lardeux.

Moi non plus, je ne pense pas que le « cinquième risque » assumé par la sécurité sociale corresponde véritablement aux besoins et aux questions qu'entraîne la perte d'autonomie.

Ne conviendrait-il pas de lever cette ambiguïté en changeant le nom de cet organisme ? Mais j'ai cru comprendre que le Gouvernement y était attaché pour des raisons d'affirmation forte de sa politique. MM. Briet et Jamet ont proposé le terme d'« agence ». Pour ma part, je pense que ce terme conviendrait mieux.

Le financement des actions en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées se traduit par de nouveaux prélèvements, les uns à la charge des employeurs, en contrepartie de la journée de travail supplémentaire non rémunérée demandée aux salariés et aux agents publics, les autres pesant sur les revenus du capital.

S'agissant de la journée de travail supplémentaire non rémunérée, je veux moi aussi relever sa valeur d'affirmation de la volonté de solidarité de notre société vis-à-vis des personnes souffrant d'un handicap ou de la dépendance découlant de leur âge. Il convient d'afficher et d'exprimer fermement cette volonté. C'est le cas dans ce projet de loi, ce dont je me réjouis.

André Lardeux l'a dit, il y a dans cette relation entre la journée travaillée supplémentaire et les ressources qui en découlent une forte valeur pédagogique : l'idée que l'on ne peut distribuer que ce que l'on gagne, c'est-à-dire la richesse supplémentaire produite par le travail. Il faut que nos compatriotes en soient conscients et que, nous-mêmes, nous le leur disions et répétions.

J'en reviens à la question des prélèvements.

La contribution patronale, dont le taux a été fixé à 0,3 % de la masse salariale en fonction de l'évolution attendue de la valeur ajoutée dans le secteur marchand, se traduira par une charge nouvelle pour les entreprises et les collectivités publiques. Mais les entreprises devraient parvenir à compenser cette charge en produisant davantage de richesses, si toutefois le lien effectué entre le taux de la contribution et l'augmentation de la valeur ajoutée est conforme à la réalité économique. Or il y a là une relative incertitude.

La contribution additionnelle au prélèvement social sur les revenus du patrimoine et des produits de placements, dont le taux est aussi de 0,3 %, relève - c'est évident - d'une volonté de parallélisme qui a une valeur politique, mais qui n'a que cette valeur.

Cette hausse de la fiscalité de l'épargne appelle de la part de la commission des finances quelques remarques.

L'assiette retenue exclut les intérêts des sommes inscrites sur les livrets A, les livrets d'épargne populaire, les CODEVI, les livrets jeunes ou encore les livrets d'épargne-entreprise, qui sont exonérés de ce prélèvement.

La commission des finances a l'habitude de rappeler qu'il convient d'encourager l'épargne à long terme et le risque, alors qu'il est politiquement très facile d'exonérer les liquidités qui découlent de l'épargne populaire et des placements réglementés. C'est là une position que la commission a constamment défendue et que je crois nécessaire de rappeler à ce moment de mon propos.

Puis-je regretter, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, que l'on procède à des aménagements fiscaux par « petites touches », sans suffisamment les inscrire dans une perspective d'ensemble ? C'est le cas de cette augmentation de la fiscalité de l'épargne, alors que de nouvelles mesures sont évoquées dans le cadre de la réforme de l'assurance maladie. On verra bien ce qu'il en sera, mais il n'empêche que l'on ne peut pas ne pas se dire que ces petites « retouches » ne sont pas forcément satisfaisantes.

La commission des finances estime que la politique fiscale devrait, à l'avenir, être le fruit d'une vision cohérente, fondée sur des principes cohérents et clairement affirmés.

Au total, le niveau de ces deux recettes devrait représenter 890 à 900 millions d'euros en 2004, soit moins que ce qui avait été initialement envisagé, et entre 1,84 et 1,87 milliard d'euros en 2005. Les recettes devraient tendre vers 2,1 milliards d'euros en 2008. La Caisse recevra, en outre, une fraction du produit de la contribution sociale généralisée et une participation des régimes obligatoires de base de l'assurance vieillesse, qui étaient auparavant affectée au Fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie.

La montée en charge des dépenses doit être prise en compte lorsque l'on analyse la Caisse. Les dépenses en faveur des personnes âgées, monsieur le ministre, devraient en effet augmenter, lentement peut-être, mais sûrement, ce qui signifie que les reports de crédits devraient être relativement importants au cours des premières années.

La montée en charge des dépenses en faveur des personnes handicapées est, en revanche, à ce stade, madame la secrétaire d'Etat, très difficile à apprécier dans la mesure où, d'une part, on ne connaît pas les contours définitifs de la prestation de compensation du handicap prévue par le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et où, d'autre part, les dépenses prises en charge par la caisse paraissent incertaines. A cet égard, je souhaiterais, madame la secrétaire d'Etat, que vous nous apportiez, si possible, quelques précisions.

Je souhaiterais également obtenir, monsieur le ministre, des informations sur les crédits en faveur de l'aide à domicile, qui ont suscité des questions en commission des finances.

Ces crédits sont actuellement peu utilisés dans le cadre du Fonds de modernisation de l'aide à domicile, puisque seuls 16 millions d'euros de subventions ont été versés en 2003, alors que les ressources disponibles du Fonds s'élevaient à 64 millions d'euros. Comment ces crédits, qui sont prévus dans le texte à hauteur de 61 millions d'euros, si ma mémoire est bonne, seront-ils concrètement utilisés dans le cadre de la nouvelle structure mise en place ?

Compte tenu des incertitudes que je viens de mentionner, il apparaît essentiel à la commission des finances de prévoir que la Caisse agit dans le cadre d'une « enveloppe fermée », c'est-à-dire qu'elle ne contribue aux actions en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées que dans la limite des ressources qui lui sont affectées. Cette précision instaurerait une sorte de garde-fou en cas de dérive des dépenses, les prévisions étant, pour l'heure, relativement incertaines.

Enfin, se pose la question du contrôle exercé par le Parlement sur cette caisse.

La commission des finances et la commission des affaires sociales s'accordent à considérer qu'il faut prévoir un tel contrôle. Il est vrai qu'elles divergent sur la point de savoir qui doit en avoir la responsabilité, mais je ne fais qu'évoquer ce problème puisque l'examen des articles nous permettra d'y revenir au cours du débat.

Je conclurai mon propos, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, en vous disant que, malgré ses interrogations, malgré quelques doutes,...

M. Guy Fischer. De très nombreux doutes !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. ... malgré quelques incertitudes...

M. Roland Muzeau. Et de très nombreuses critiques !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. ... la commission des finances vous propose d'adopter ce texte. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Nous ne sommes pas là, mes chers collègues, pour dire oui aveuglément,...

M. Hubert Falco, ministre délégué. C'est le débat parlementaire ! Nous ne sommes pas au parti communiste !

M. Adrien Gouteyron. ... nous sommes là pour soutenir le Gouvernement et lui demander, lorsque c'est nécessaire des explications et des précisions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)