PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

Motion d'ordre
Dossier législatif : projet de loi d'orientation agricole
Question préalable

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi d'orientation agricole.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Raoult.

M. Paul Raoult. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nouvelle loi d'orientation agricole est-elle utile ? On peut en effet s'interroger sur la nécessité de proposer un nouveau texte alors que, depuis quarante ans - on parle toujours de la loi Pisani ! -, beaucoup de textes ont été votés, certains ayant été perçus comme des voeux pieux, des incantations aux effets très limités.

Cependant, il est vrai que notre agriculture continue d'évoluer à un rythme rapide et l'on peut donc penser qu'une nouvelle loi d'orientation agricole permettrait de répondre à la déprime, au malaise des paysans d'aujourd'hui. La rentabilité de leurs exploitations continue de se dégrader - le résultat courant avant impôt a diminué de 4 % en 2004 - et leur taux d'endettement, de croître.

Par ailleurs, les enquêtes d'opinion montrent amplement qu'il y a des attentes fortes de la société, qui est devenue exigeante sur la qualité alimentaire. Nos concitoyens expriment aussi un besoin de nature et de qualité environnementale, qui peut parfois paraître en contradiction avec les pratiques culturales.

Chaque loi d'orientation agricole précédente a prétendu favoriser l'installation. Or on constate que le nombre d'exploitations diminue inexorablement : 2 millions en 1960, 1,2 million en 1980 et environ 600 000 actuellement. L'agriculture a perdu 3 millions d'emplois en quarante ans. Cela signifie que, quels que soient les discours ou les actions mises en oeuvre, on est devant une situation d'échec. La détermination des politiques n'a pas permis de stopper l'hémorragie, au point que la population active agricole est passée de 26 % en 1962 à 4 % en 2001.

Peut-on aujourd'hui arrêter définitivement cette hémorragie ? C'est un pari difficile et pourtant ô combien nécessaire. Certaines micro-régions voient aujourd'hui leur agriculture et leurs agriculteurs disparaître complètement. Les moyens juridiques, législatifs et réglementaires dont nous disposons ne sont plus pertinents. Ceux que vous proposez dans votre texte, monsieur le ministre, sont bien timides face aux progrès de la productivité, de l'intensivité, de la mécanisation, qui suppriment irrésistiblement des emplois et des exploitations tout en permettant de produire toujours plus.

La question que je viens de poser en introduit donc deux autres : n'est-on pas arrivé à un « taquet environnemental » ? N'est-il pas temps de mieux maîtriser les progrès de la productivité, qui peuvent se faire au détriment de notre potentiel naturel, et en particulier celui des sols ?

Nous voici à la croisée des chemins : il nous faut définir réellement un développement durable de notre agriculture, en cassant le rythme de l'agrandissement permanent des exploitations et de l'intensivité de l'agriculture, qui elle-même a ses limites.

Un autre problème se pose en termes d'aménagement du territoire. Notre intérêt général est de maintenir un réseau suffisamment dense d'agriculteurs capables d'entretenir correctement notre paysage agraire, qui fait partie du patrimoine naturel, culturel et esthétique de notre pays. Les paysans restent les animateurs, certes minoritaires mais décisifs, du monde rural. Aussi, nous devons nous interroger sur le type d'agriculture que nous voulons favoriser. Mon sentiment est qu'aujourd'hui se présentent trois cas de figure contradictoires : soit l'évolution vers l'abandon, la forêt, la friche ; soit l'évolution vers une agriculture extensive, autour de très grandes exploitations et avec très peu d'emplois ; soit une agriculture intensive dans les régions les plus favorisées, avec des produits du terroir, une agriculture de proximité.

On voit bien que ces trois scénarios s'entrechoquent en raison d'un manque de clarté dans la définition de nos objectifs, ce qui conduit à une insuffisante lisibilité de notre politique agricole et contribue au désarroi de nos agriculteurs en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent.

Nous devons donc favoriser plus nettement le scénario qui créerait le maximum d'emplois dans une agriculture de proximité, respectueuse de l'environnement.

L'autre évolution significative, c'est l'étalement urbain, périurbain et l'accélération de la spéculation sur le foncier. Ce phénomène se déroule au détriment des agriculteurs. La spéculation foncière s'enflamme sur l'ensemble du territoire. L'installation ne va-t-elle pas être encore plus difficile si le prix des terres, des bâtiments et des maisons continue de progresser à un rythme aussi vertigineux ? Nos outils actuels sont largement insuffisants pour maîtriser l'espace foncier réservé à la production agricole. Dans ce domaine, le rôle des SAFER doit être renforcé ; elles doivent être financièrement soutenues beaucoup plus qu'elles ne le sont aujourd'hui et il convient de prendre des engagements forts dans ce domaine.

La troisième évolution significative depuis quelques années est la part croissante des subventions, en particulier européennes mais aussi nationales, dans le revenu agricole, 9,7 milliards d'euros venant de l'Union européenne et 2,5 milliards d'euros de notre propre pays. Les agriculteurs sont presque transformés en récepteurs d'aides publiques. Cette situation devient difficile à gérer, à faire admettre par l'opinion publique.

En même temps, compte tenu de la mise en place progressive du découplage et des DPU, nous sommes très pessimistes quant au maintien de ces subventions dans les dix prochaines années. La dissociation entre subvention et acte de produire sera vécue comme la mort annoncée des subventions dans un avenir plus ou moins proche. Le découplage est en fait le moyen le plus sûr de délégitimer les aides aux yeux du reste de la société.

Je m'inquiète donc de l'avenir des revenus agricoles si on les rend de plus en plus dépendants des marchés mondiaux. Les marchés sont, avec les nouvelles technologies, de plus en plus volatils. Ils ne peuvent être la référence pour garantir les revenus agricoles. Or, depuis une quinzaine d'années, l'Union européenne aligne de plus en plus les prix européens sur les prix mondiaux. On l'a vu encore récemment à propos du prix du lait et, tout dernièrement, en ce qui concerne la betterave à sucre. Résultat : aujourd'hui, l'Union européenne est - on ne le dit pas assez - déficitaire de 10,9 milliards d'euros s'agissant de ses échanges de matières premières agricoles, notamment en protéines.

Je voudrais donc rappeler cette vérité élémentaire, trop vite oubliée : l'agriculture, c'est la garantie de notre subsistance et donc de notre sécurité.

Les économistes nous conduisent dans l'impasse en nous faisant croire que l'on pourrait très facilement et très régulièrement s'approvisionner sur les marchés mondiaux.

Or, vous le savez, en particulier pour ce qui des produits agricoles, les marchés ont tendance à amplifier les déséquilibres et les tensions. S'en remettre au fonctionnement des marchés pour garantir la sécurité alimentaire en quantité et en qualité est, dès lors, une folie.

Le général de Gaulle disait qu'un pays qui ne peut pas se nourrir lui-même n'est pas un grand pays. Eh bien, nous devons, par des outils législatifs, organiser les marchés, garantir un prix minimum promettant aux agriculteurs de vivre de leurs productions, de leur travail.

Il vaudrait mieux, à la limite, faire disparaître les subventions et augmenter le prix de notre subsistance. Je rappelle que les prix des produits agricoles français ont baissé de 60 % depuis 1960 et que la part de l'alimentation dans le budget des ménages est passée de 36 % à 18 %.

Ce sont là des réalités qu'il faut bien avoir à l'esprit avant de dire qu'il est plus facile d'acheter dans n'importe quel magasin pratiquant le hard discount. Il faut payer le prix que l'on doit aux agriculteurs par rapport au travail qu'ils fournissent pour produire notre alimentation.

M. Alain Vasselle. Très bien !

M. Paul Raoult. D'ailleurs, qui peut dire que les prix mondiaux des produits agricoles ne vont pas augmenter de la même façon que ceux de l'énergie et des matières premières actuellement ? Ayant laissé notre agriculture s'affaiblir, nous serions alors obligés de réagir dans le désordre et l'improvisation, ce qui nous ferait sans doute aboutir à un système encore plus coûteux que celui qui existe aujourd'hui.

Même si je refuse l'idée d'une économie administrée, je considère qu'il faut protéger les agriculteurs des incertitudes du marché. Or votre projet de loi d'orientation agricole, monsieur le ministre, par certains aspects, fragilise d'avantage notre agriculture et rend son avenir incertain.

Il faut donc éviter que les paysans ne deviennent des entrepreneurs de la chaîne agroalimentaire, marginalisés dans le rapport de force politique. Nous avons besoin d'une agriculture viable, qui redonne de la fierté aux agriculteurs.

Votre réponse, monsieur le ministre, me paraît bien timide, voire parfois dangereusement néolibérale. Elle n'est peut-être pas à la hauteur des défis qu'il nous faut relever. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.

M. Yann Gaillard. Monsieur le ministre, monsieur le président, monsieur le rapporteur, après ces considérations fort intéressantes - un peu passéistes, certes, mais fort intéressantes -, je me contenterai de parler de la forêt de façon plus technique et plus précise.

Dans cette loi d'orientation agricole, le ministre de la forêt que vous êtes également, monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche, a inséré plusieurs dispositions qui nous intéressent, nous, forestiers.

Agriculture et forêt sont les deux piliers du développement rural. Ce propos ne constitue certes pas une grande nouveauté. En effet, le projet de règlement de développement rural pour la période 2007-2013, pour ne citer qu'un exemple, l'intègre pleinement et il se retrouvera sans doute - en tout cas, je le souhaite fortement - dans la déclinaison nationale du règlement européen en cours d'élaboration à votre diligence, monsieur le ministre.

Je note avec une grande satisfaction la présence d'un certain nombre de dispositions dans ce projet de loi d'orientation.

Tout d'abord, la baisse du taux de TVA en faveur du bois-énergie sera un élément d'incitation très positif dans l'objectif, partagé par tous les acteurs du monde rural, d'un fort développement de cette source d'énergie renouvelable. Les communes forestières, avec votre soutien, monsieur le ministre, montent dans ce but un réseau de développement de la filière bois-énergie en milieu rural.

Sur ce thème de la TVA, je souhaite cependant rappeler l'engagement que vous avez pris d'étendre le taux réduit aux abonnements à des réseaux de chaleur à base de bois dès que la mesure en sera rendue possible par la sixième directive européenne sur la TVA, qui est en préparation. Pourrez-vous nous dire où en est ce dossier ?

Je salue avec encore plus de reconnaissance et d'enthousiasme la contribution que votre texte apporte à la question de la gestion forestière et de la valorisation des produits forestiers dans la réduction des émissions nationales des gaz à effet de serre et leur introduction dans les mécanismes de marché correspondants.

Oui, la forêt stocke du carbone pour la simple raison que les arbres se construisent à partir du gaz carbonique de l'air. Oui, le bois utilisé dans la construction est du carbone stocké dans la durée. Oui, le bois-énergie se substitue aux énergies fossiles et réduit ainsi les rejets dans l'atmosphère de ces gaz qui modifient le climat. Oui, il est juste et sain d'organiser un retour de cette contribution en direction des produits forestiers. L'article 11, qui les met en parallèle avec les produits agricoles, constitue à cet égard une avancée dont nous vous félicitons. Il reste néanmoins à en trouver la forme technique, une forme qui soit synonyme de dynamisation de la gestion forestière, d'accroissement de la récolte de bois à usage de bois-énergie et de bois-construction dans le cadre de la gestion durable des forêts.

Les communes forestières souhaitent, monsieur le ministre, être associées à cette réflexion. Nous n'ignorons pas qu'il s'agit d'un problème extrêmement ardu, qui doit être envisagé en liaison avec la réglementation internationale et le protocole de Kyoto. Il nous faudra certainement travailler tous ensemble de manière assidue pour arriver à quelque chose de précis. Il reste que c'est certainement la meilleure ressource que nous avons à proposer pour l'avenir de nos forêts.

Afin de rationaliser pleinement les apports de la forêt dans les massifs de montagne, j'ai déposé un amendement ; vous m'avez fait connaître votre accord quant au principe, mais il semble que quelques difficultés subsistent. Cet amendement concerne la généralisation des schémas stratégiques forestiers de massif à l'ensemble des massifs de montagne. A cette échelle du grand massif de montagne, le schéma forestier organise la stratégie forestière et en planifie les actions en faveur de la valorisation des différentes fonctions de la forêt, de la mobilisation de la ressource forestière, de la compétitivité de la filière et de la création d'emplois ainsi que du développement des usages du bois.

J'aurais aimé, enfin, que la loi reprenne la disposition d'aide à l'exploitation des peuplements de montagne à fort handicap d'accessibilité, disposition que vous avez prise par une circulaire datée du 16 août, à titre d'essai et pour une durée limitée à deux années. Certes, la circulaire existe, mais nous aurions aimé une consolidation législative. Pourriez-vous, en tout état de cause, me confirmer que, si les résultats sont positifs comme nous l'escomptons, ces dispositions de soutien au débardage et aux plateformes de stockage seront pérennisées. A travers cette mesure il s'agit, là encore, de renforcer la contribution de la forêt à la gestion des paysages, à la mise en valeur et à l'équilibre des territoires de montagne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. M. le ministre et M. le rapporteur nous ont dit en début d'après-midi que le débat à l'Assemblée nationale avait enrichi le projet de loi. Mais la véritable question est de savoir s'il va enrichir les petits agriculteurs,...

M. Alain Vasselle. Les agriculteurs !

M. Jean Desessard. ... s'il va empêcher l'exode des paysans et empêcher la désertification du monde rural.

Dans un mois, les négociations seront âpres au sein de l'Organisation mondiale du commerce, à Hong-Kong, pour déterminer le taux de libéralisation des échanges. Or nous sommes réunis aujourd'hui pour discuter de la politique agricole de la France, au sein de l'Europe, pour les quinze prochaines années. Force est de constater que nous aborderons ces négociations non pas avec une vision claire, non pas avec de grandes orientations, mais avec un simple projet d'adaptation au compromis de Luxembourg.

M. Jean Desessard. Tout comme l'année dernière nous étions déçus par le projet de loi d'orientation sur l'énergie, qui n'engageait pas d'audacieuses politiques pour l'avenir énergétique de la France, aujourd'hui encore nous constatons la timidité des mesures qui nous sont proposées.

Nous entérinons seulement les modifications de la PAC de 2003. Alors que la PAC, pilier historique de la construction européenne, constitue désormais un casus belli entre les pays fondateurs, faut-il rappeler que les agriculteurs ont massivement voté contre le traité constitutionnel européen au printemps dernier ? N'y a-t-il pas là comme un hiatus qui mériterait examen ? Quelles que soient les raisons de ce vote, il semble évident que le monde paysan a besoin d'être écouté et rassuré par des mesures à long terme qui répondent à la crise de certains secteurs, à l'entrée des nouveaux pays dans l'Europe des Vingt-Cinq, puis des Vingt-Sept, à la mondialisation, mais aussi qui prennent en compte les crises sanitaires et les innovations technologiques.

N'est-ce pas le moment de reconsidérer notre agriculture et de prendre le temps d'apporter des solutions respectueuses du travail des agriculteurs, de l'environnement qui les entoure et de la santé des populations ?

En 2013, le budget de la PAC sera revu à la baisse. Que ferons-nous alors ? Il est probable que nous serons encore obligés d'élaborer de nombreuses lois qui ne seront que des lois d'adaptation et non pas des lois d'orientation.

Les accords de Luxembourg ont produit des mesures kafkaïennes ! Le calcul et la mise en application des droits à paiement unique sont tellement compliqués que peu de gens semblent en maîtriser réellement toutes les subtilités, y compris au sein des directions départementales de l'agriculture et de la forêt. Il aurait fallu élaborer des politiques visibles pour le maintien des productions agricoles de proximité, le maintien de prix agricoles rémunérateurs, le soutien plus affirmé à l'agriculture biologique et les aides aux zones défavorisées et de montagne.

S'agissant du fonds agricole, qu'il soit optionnel ou pas, la question n'est pas tant de savoir si une exploitation peut ou doit se transformer en entreprise pour survivre à la conjoncture actuelle, que de savoir quelle agriculture nous souhaitons créer en France et en Europe pour les vingt prochaines années.

De nombreuses exploitations céréalières se sont déjà constituées en exploitation agricole à responsabilité limitée ou en société à responsabilité limitée. Que va leur apporter ce nouveau droit ?

Aujourd'hui, on nous propose la modernisation par la fuite en avant, une standardisation, une homogénéisation. Mais entrer dans le XXIe siècle, n'est-ce pas plutôt prendre le temps de réfléchir, de mettre en oeuvre le bon sens et de s'appuyer sur la mosaïque de l'agriculture française, qui porte en elle des potentialités et des initiatives qui gagneraient à être valorisées ?

Prenons l'exemple des biocarburants et des agrocarburants. Les Verts ne peuvent qu'approuver la manière dont la préservation de l'environnement et le soutien aux biocarburants sont évoqués dans ce projet de loi. Bravo ! Mais quelle frilosité ! Au lieu de propositions dynamiques, on nous soumet des mesures d'adaptation prudentes.

Il est dommage que le projet de loi mette l'accent simplement sur l'aspect économique des biocarburants et non pas sur la nécessité de les développer afin de respecter le protocole de Kyoto. Pour preuve, le soutien aux biocarburants est réalisé sans discernement. Aucun cahier des charges n'est réclamé et les agrocarburants, issus des productions agricoles, ne sont pas dissociés des biocarburants, qui sont, eux, issus de productions biologiques.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean Desessard. Ainsi, l'ethyl-tertio-butyl-éther, l'ETBE, et le diester, sont issus de l'agriculture intensive et sont donc nuisibles à l'environnement de par leur mode de production, qui utilise du pétrole, et de par leur utilisation, alors qu'ils sont abusivement présentés comme d'efficaces carburants de substitution à l'essence. Mais pour qui sont-ils efficaces ? Quel est leur véritable bilan énergétique ?

De leur côté, les huiles végétales pures, dont l'écobilan est positif, sont mises sous cloche et font l'objet d'une discrimination dans le présent projet de loi, qui en limite sérieusement le développement.

De même, rien n'est fait en matière de recherche pour inciter les fabricants automobiles à adapter les injecteurs et les carburateurs aux huiles végétales.

Ainsi, l'essor et le soutien des agrocarburants profiteront peut-être aux agriculteurs, mais surtout aux lobbies agricoles et aux grandes firmes pétrolières ; ils ne sont pas suffisamment analysés en fonction du réchauffement climatique.

Les agrocarburants et les biocarburants deviennent plus rentables que le pétrole. Profitons-en pour accélérer la recherche dans ce domaine.

Enfin, il n'est pas assez question de la méthanisation des déchets végétaux et fumiers, malgré les recommandations de la Commission européenne. Pourtant, les systèmes sont parfaitement au point et permettent de ne pas laisser s'échapper dans l'atmosphère le méthane, l'un des gaz les plus « toxiques » pour l'effet de serre.

L'avenir des territoires ruraux n'est pas dans une mondialisation qui laisserait ses acteurs sur le carreau. Redynamiser les territoires ruraux et préserver l'environnement sont deux enjeux qui vont de pair et se rejoignent dans la prise en compte de la pluriactivité et de la multifonctionnalité de l'agriculture, mais aussi dans la mise en place des circuits courts. Il faut interpréter cette volonté d'autonomie protéinique et d'autosuffisance alimentaire non pas comme un retour en arrière et, encore moins, comme un idéal d'autarcie déplacé, mais comme une mesure de bon sens où tout le monde sera gagnant.

Pour l'environnement, les circuits courts permettent des économies d'énergie par la réduction considérable des transports. Mais si l'on utilise les huiles végétales pures, c'est aussi le moyen de créer des échanges entre agriculteurs, de procurer à ces derniers un complément de revenus, de favoriser les services publics dans des régions où les stations-service sont très espacées et où les collectivités locales sont demandeuses de moyens économiques et écologiques pour maintenir le car scolaire ou favoriser les déplacements de la camionnette de La Poste.

Par ailleurs, je suis surpris de voir écrit noir sur blanc dans ce projet de loi que les produits phytopharmaceutiques peuvent contenir des OGM. Voilà encore un moyen d'inscrire dans la loi des questions qui ne sont pas encore tranchées.

A l'heure actuelle, les animaux d'élevage sont nourris avec du tourteau de soja provenant du Brésil ou d'Argentine. Ces pays ont fait, en grande partie, le choix de cultures d'OGM. Ainsi, alors qu'en France le débat sur les OGM est loin d'être tranché, l'élevage français se nourrit d'OGM importés, malgré le refus massif des consommateurs.

S'il avait orienté l'agriculture française vers la mise en place des circuits courts, ce projet de loi aurait pu apporter une solution à ce problème. A titre d'exemple, le développement dynamique de la production d'huiles végétales pures à la ferme aurait permis de produire des tourteaux de tournesol ou de colza, qui ne seraient pas des OGM, qui n'auraient pas besoin de franchir des milliers de kilomètres et qui pourraient apporter un revenu complémentaire aux agriculteurs.

J'en reviens à la fonction de l'agriculture. Il ne s'agit pas simplement d'une activité visant à produire du blé, de la viande, des légumes ou du lait, comme cela a été dit à plusieurs reprises. L'agriculture produit aussi des paysages, qui constituent notre patrimoine. Non figés dans le temps, ils évoluent depuis des millénaires. Il faut cesser de considérer qu'un espace non urbanisé est un espace vierge en voie d'urbanisation. Nous protégeons nos forêts au même titre que le patrimoine bâti, mais n'oublions pas les champs et les vergers.

L'agriculture est aussi la sauvegarde de l'environnement. Les espaces agricoles favorisent le maintien des sols, la préservation de la biodiversité. Dans l'esprit de beaucoup, la biodiversité reste encore un luxe un peu abstrait. C'est pourtant un .pilier essentiel non seulement de la protection de notre milieu naturel, mais aussi de la sécurité sanitaire. Il n'est que de voir l'exemple des ravages causés par la vache folle dans le cheptel des Prim Holstein. Peut-être l'avenir nous montrera-t-il que la grippe aviaire s'est propagée en raison de la standardisation du capital génétique. Véritable barrière en cas de pandémie, la variété des espèces pourra certainement nous être utile face au changement climatique qui nous est annoncé.

C'est la raison pour laquelle je m'interroge au sujet des articles de ce projet de loi qui prévoient la certification des semences pour les ruminants. Il m'avait pourtant semblé que nous allions dans le sens d'un retour à la diversité des races avec la réhabilitation du baudet du Poitou ou de la pie noire bretonne, sauvée in extremis de la disparition.

J'en viens à la qualité de notre alimentation. Deux choses devraient aller de pair : la qualité gustative et la qualité sanitaire. Mais, trop souvent, ce vocable « sanitaire » n'est que le souci hygiéniste pastorien. Jamais n'est prise en compte l'accumulation des toxiques chimiques dont sont remplies les cuves des pulvérisateurs agricoles.

Trop souvent dans ce projet de loi, les consommateurs, ainsi que leurs associations dont le rôle de veille est essentiel pour les parlementaires que nous sommes, sont oubliés des organismes consultatifs.

Trop souvent, le respect de l'environnement et la protection animale sont oubliés des processus de labellisation des produits ou des conditions indispensables à l'obtention d'un soutien financier.

Où sont les projets pour une agriculture raisonnée, moderne par son souci de réduire les intrants, de redynamiser les territoires, de donner leur place aux grandes comme aux petites exploitations ? Quelles sont les perspectives dans le domaine de la recherche qui permettront de développer une agriculture intelligente dans les années à venir ?

Si nous prenons l'exemple du maïs, je ne vois rien dans le présent texte qui incite concrètement à réfléchir sur cette culture extrêmement consommatrice en eau. En ces temps de dérèglements climatiques et d'épuisement des ressources, faut-il exploiter le maïs différemment et, si oui, comment ? Ou bien faut-il en arrêter progressivement la culture dans certaines régions ou l'associer à d'autres cultures ?

Ce projet de loi entend adapter le monde agricole à la libéralisation des échanges, à la recherche du prix minimum. Ce n'est pas la direction que les consommateurs, les agriculteurs, les Verts et leurs parlementaires souhaitent prendre.

Dans le cadre actuel de crise environnementale, c'est pourtant de l'agriculture que viendront les solutions. Productrice d'énergie verte, génératrice d'échanges et d'emplois, implantée dans le monde rural en équilibre par rapport à la ville, l'agriculture moderne sera écologique, sociale, ou ne sera pas. Ce n'est évidemment pas dans cette direction que nous oriente la nouvelle loi agricole, puisqu'elle est sans véritable orientation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le temps de parole qui m'est imparti ne me permet pas de disserter sur le sujet, mais il est suffisant pour remercier M. le ministre de s'être attelé à la tâche et de défendre au mieux, dans le cadre des rencontres européennes et internationales, notre profession agricole, qui a quelques états d'âme par les temps qui courent !

La nouvelle politique agricole commune, au travers des DPU, est plutôt source d'inquiétude. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les orateurs qui m'ont précédé et, à quelques nuances près, je n'ai que peu de choses à ajouter aux propos qui ont été tenus sur les travées aussi bien de droite que de gauche. Ainsi, lorsque M. Raoult a demandé que la production agricole soit payée à son juste prix, j'ai failli applaudir des deux mains. Mais j'ai eu quelque retenue, craignant que ce soit peut-être mal vécu par mes collègues de la majorité, à laquelle j'appartiens. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

J'ai constaté qu'il n'y avait pas véritablement de critiques fortes sur ce projet de loi d'orientation agricole : simplement quelques regrets et, selon certains, notamment notre collègue Jean Desessard, un manque d'ambition pour aller beaucoup plus loin. Mais l'ensemble des mesures présentées vont dans la bonne direction.

Cependant, j'ai eu l'impression d'un texte portant « diverses mesures d'ordre agricole », à l'instar du début des années quatre-vingt-dix, lorsque les gouvernements nous présentaient assez régulièrement des textes de loi portant diverses dispositions d'ordre social ou diverses mesures d'ordre financier.

Il est vrai, monsieur le ministre, à votre décharge, que la politique agricole se détermine aujourd'hui non pas en France, mais à l'échelon européen, et même bien au-delà, lors des négociations qui sont menées au sein de l'organisation mondiale du commerce. Votre marge de manoeuvre est donc très étroite. Mais je constate que vous l'avez totalement utilisée pour essayer de contenir, d'aménager ou d'améliorer le contexte juridique, économique et social dans lequel l'agriculture sera appelée à évoluer dans les prochaines années.

De ce point de vue, je ne peux que me féliciter de l'action du Gouvernement et de sa volonté d'aller vite pour répondre à l'attente forte de la profession agricole.

Je me félicite également des propos qui ont été tenus par les rapporteurs. J'ai parfois la dent un peu dure et il m'est arrivé de m' « accrocher » avec le président Jean-Paul Emorine sur certains sujets - pas encore avec mon collègue Gérard César, mais peut-être m'en fournira-t-il l'occasion s'il émet un avis défavorable sur mes amendements. (Sourires.) Cela étant, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les propos de Joël Bourdin qui s'exprimait au nom de la commission des finances.

Néanmoins, sur le plan fiscal, je reste sur ma faim. Car ce n'est pas dans le présent texte que nous allons examiner diverses mesures fiscales : c'est dans le cadre de la prochaine loi de finances. Qu'en sera-t-il réellement ? J'espère, monsieur le ministre, que vous serez alors au banc du Gouvernement, aux côtés du ministre des finances, pour défendre les amendements accompagnant l'ensemble des mesures prévues dans ce projet de loi.

M. Emorine a évoqué le foncier non bâti, sujet auquel je ne suis pas insensible. Nous évoluons vers une nouvelle notion, a-t-il dit, puisque l'on parle non plus d'exonération, mais de dégrèvement.

M. Gérard César, rapporteur. Oui !

M. Alain Vasselle. Monsieur le ministre, nous devons rester vigilants sur ce point. Deux aspects sont à considérer.

Le premier est celui de la compensation de l'exonération : il ne faut pas que le vocabulaire utilisé ou le type de mesure employée soient l'occasion pour le ministère des finances de s'affranchir de la compensation aux collectivités locales. Autrement dit, l'Etat ne doit pas s'abriter derrière des questions purement sémantiques pour déclarer qu'un dégrèvement n'est pas une exonération et n'ouvre pas droit à compensation.

Second aspect : vous voulez faire bénéficier les fermiers des dispositions concernant le foncier non bâti, ce qui est juste compte tenu de leur pouvoir d'achat qui est particulièrement atteint. Mais il ne faut pas oublier les bailleurs ! J'ai déposé un amendement visant à faire en sorte que la réduction d'impôt sur le foncier non bâti profite totalement non seulement aux fermiers, aux exploitants agricoles, mais également aux propriétaires bailleurs.

La semaine dernière, un journal agricole de mon département annonçait une nouvelle baisse de l'indice du fermage, ce qui signifie que les propriétaires bailleurs voient le produit de la location de leurs terres baisser, alors qu'ils subissent dans le même temps un accroissement du poids de leurs charges et de leurs impôts.

Je vous rends grâce, monsieur le ministre, d'avoir prévu des dispositions visant à améliorer quelque peu les relations entre le fermier et le propriétaire et à redonner aux bailleurs un peu plus de droits sur leurs propriétés. Je défendrai d'ailleurs quelques amendements tendant à conforter les mesures qui sont prévues dans ce sens. Mais il faut, mes chers collègues, que nous trouvions un juste équilibre entre la préservation des droits des propriétaires et la nécessité de satisfaire les besoins des exploitants, qui voient leur pouvoir d'achat s'éroder d'année en année.

Pour ma part, je ne souhaite pas la mise en place d'une troisième ou d'une quatrième politique agricole commune, car à chaque nouvelle PAC les aides à la profession diminuent. La modulation qui accompagnera les DPU représente une atteinte au pouvoir d'achat et à la capacité d'investissement de la profession.

Qu'en sera-t-il en 2013, en 2014, lorsque les cartes seront redistribuées ? Je l'ignore, mais si l'on y ajoute le poids des contraintes environnementales, tout à fait légitimes, cela devrait faire l'objet d'une compensation financière en faveur de la profession, compensation qui n'existe pas dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune.

Notre collègue de La Réunion s'est inquiété du règlement « sucre », qui constitue une préoccupation majeure des betteraviers. J'espère, monsieur le ministre, que vous saurez défendre les intérêts de notre pays. Je compte sur vous et sur le Président de la République pour que, dans le cadre des négociations menées au sein de l'OMC, la France fasse valoir son droit de veto, car nos concitoyens, et les agriculteurs en premier lieu, ne comprendraient pas que la France cède devant les propositions que le représentant du Royaume-Uni se prépare à présenter au nom de l'Europe. (M. Jean Desessard s'exclame.)

Sans vouloir être trop long ni décliner les différentes mesures prévues dans le texte, tels le fonds agricole, le bail cessible, les mesures en faveur des exploitants agricoles, l'assurance récolte - chère à notre ami Jean-Paul Emorine, dont je soutiendrai les propositions -, je voudrais encore évoquer deux aspects du texte.

Tout d'abord, je rappellerai que les biocarburants ne doivent pas être source d'illusions et de faux espoirs pour la profession agricole. Compte tenu de la flambée des cours du pétrole, dont le baril a dépassé les 100 dollars, tout le monde convient qu'il est nécessaire de trouver de nouvelles énergies pour satisfaire les besoins énergétiques du pays et que les biocarburants représentent la solution de substitution à l'utilisation du pétrole, du fuel ou de l'essence. Encore faudra-t-il que la profession voie sa production payée à son juste prix ! Si le quintal de colza, la tonne de betterave ou le quintal de blé sont achetés à des prix qui ne représentent pas les coûts de production, à 50 francs le quintal de blé ou légèrement plus pour le colza, peu nombreux seront les agriculteurs qui s'engouffreront dans cette voie de production !

Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes convaincu de cette nécessité ; il faut maintenant que les mesures fiscales qui accompagneront le dispositif permettent de concilier à la fois les besoins énergétiques de la France et ceux de la production agricole.

Ensuite, vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que je ne puisse pas passer sous silence les dispositions du texte concernant l'exonération de certaines charges sociales dans le cadre de la politique de l'emploi en faveur de la profession agricole. En ma qualité de professionnel, je ne vois aucun inconvénient à ce que soient prises de telles mesures, bien au contraire. Mais je suis également le rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale, et je tiens comme à la prunelle de mes yeux à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale. Si nous n'avons pas encore réussi à l'atteindre, nous nous sommes fixé pour objectif d'y parvenir en quelques années. Encore faut-il que chacune des mesures d'exonération que nous prenons soit intégralement compensée ! J'espère que sur ce point, monsieur le ministre, vous saurez nous rassurer.

Enfin, même s'il ne fait pas l'objet du projet de loi d'orientation agricole, il me paraît difficile de ne pas évoquer le fonds de financement des prestations sociales agricoles, le FIPSA, qui connaît aujourd'hui une perte nette de 3,2 milliards d'euros, car c'est l'avenir des retraites des agriculteurs qui est en jeu. M. Copé a annoncé à l'Assemblée nationale qu'il envisageait de faire figurer dans le projet de loi de finances pour 2006 des dispositions permettant de faire au moins la moitié du chemin, et que la seconde moitié serait traitée dans le projet de loi de finances pour 2007. Je souhaite, monsieur le ministre, que cela soit écrit noir sur blanc et que le Gouvernement prenne des engagements très clairs : pourriez-vous nous confirmer les propos de M. Copé et, par là même, nous rassurer sur ce point ?

Restera cependant le déficit annuel, qui représente 1,7 milliard d'euros. Nous aurons environ 300 millions d'euros qui permettront d'en compenser une partie, mais il nous faudra trouver 1,4 milliard d'euros de ressources nouvelles pour assurer l'équilibre des comptes du FIPSA. Il me paraît important, mes chers collègues, avant même l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, que nous réfléchissions aux dispositions à prendre pour assurer l'équilibre du budget des assurances sociales agricoles et garantir l'avenir de ces dernières. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Claude Lise.

M. Claude Lise. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'annonce d'une loi d'orientation agricole ne pouvait a priori qu'être accueillie avec intérêt dans les régions d'outre-mer, où une grande partie de l'activité économique et le maintien de nombre d'emplois dépendent de l'activité agricole : à titre d'exemple, en Martinique, la population agricole demeure trois fois plus nombreuse, en proportion, qu'en métropole.

Pourtant, monsieur le ministre, je dois vous faire part d'une double déception.

Tout d'abord, la demande quasi unanime et maintes fois réitérée des socioprofessionnels et des représentants politiques d'outre-mer que soit adoptée une loi spécifique susceptible de répondre aux enjeux particuliers de l'agriculture ultramarine n'a pas été satisfaite. On ne peut en effet, monsieur le rapporteur, assimiler les quelques mesures du titre V à une telle loi.

Ensuite, à défaut d'un texte spécifique, le Gouvernement n'a même pas tenu compte des recommandations de la Commission nationale d'orientation, mise en place en septembre 2004 par le ministre Hervé Gaymard, à laquelle les représentants des régions d'outre-mer ont très activement participé.

En effet, les travaux de cette commission ont souligné un certain nombre de particularités de l'outre-mer en termes de types de productions, de structure des exploitations, d'organisation foncière et d'organisation économique. Ces particularités sont tout autant dues à des facteurs naturels, tels que le climat en zone tropicale ou équatoriale, l'insularité, diverses caractéristiques géographiques, qu'à des facteurs hérités de l'histoire et des pratiques du passé : je pense plus spécialement à la monoculture d'exportation qui a longtemps dominé l'agriculture antillaise, ou encore aux effets de l'utilisation de pesticides, restée hélas trop longtemps courante dans les exploitations de bananes, sur la qualité des sols et de l'eau.

Dans son avis, la Commission nationale ajoute que ces particularités justifient que l'on fasse, département par département, la part respective des outils et procédures qui s'appliquent ou pourraient s'appliquer comme dans l'Hexagone, de ceux qui doivent être adaptés, et de ceux, enfin, qui restent à créer de façon spécifique. A l'évidence, le projet de loi qui nous est présenté ne satisfait pas suffisamment à cette triple exigence. Il ne peut donc pas vraiment répondre aux grands enjeux de l'agriculture ultramarine, notamment à ceux de l'agriculture antillaise, que je souhaite rappeler succinctement.

Le premier enjeu est celui de la protection du foncier agricole dans un contexte de « périurbanité » majoritaire et de parcellisation très forte, avec pour facteur aggravant l'acuité du problème de l'indivision. La stabilité du foncier pour l'agriculture n'est pas assurée aux Antilles. A titre d'exemple, en trente ans, de 1973 à 2000, ce sont 37 % de la surface agricole utile martiniquaise qui ont été détournés de l'usage agricole. Des mesures audacieuses doivent donc être prises si l'on ne veut pas, à terme, mettre en danger le maintien d'une activité agricole sur de tels territoires exigus.

Le deuxième enjeu concerne le statut de l'exploitant agricole, dans un contexte de pluriactivité généralisée sur des surfaces moyennes d'exploitation très restreintes. En Martinique, par exemple, 86 % des exploitations agricoles ont une surface inférieure à 5 hectares.

Le troisième enjeu, enfin, concerne le fonctionnement et le financement des institutions nécessaires à notre agriculture. Je pense en tout premier lieu à l'Office de développement de l'économie agricole dans les départements d'outre-mer, l'ODEADOM, qui a pour mission d'être un outil de cohérence des politiques en faveur de l'outre-mer, mais qui, on le sait, souffre d'un manque de moyens et d'un fonctionnement beaucoup trop lourd.

Monsieur le ministre, vous l'aurez compris, la position qui me semble répondre le mieux aux enjeux de l'agriculture ultramarine, agriculture marquée par la diversité des situations, par de nombreuses spécificités et par le caractère aigu des crises que traversent certaines productions - est-il besoin d'évoquer le problème de la banane en ce moment ? -, ma position, donc, est qu'il est indispensable que soit élaborée une loi d'orientation agricole spécifique à l'outre-mer.

Au cours des débats à l'Assemblée nationale, il me semble que vous avez indiqué qu'à titre personnel vous n'étiez pas opposé à cette idée. Pouvez-vous aujourd'hui nous dire si le Gouvernement y est favorable ? Ce serait évidemment une bonne nouvelle pour l'outre-mer.

Quoi qu'il en soit, se pose le problème de l'application, ne serait-ce que dans un premier temps, du présent projet de loi. A l'évidence, celui-ci n'aurait guère d'effets bénéfiques ; il pourrait même comporter, dans certains domaines, des effets incontestablement négatifs.

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai quelques amendements. Le sort que vous leur réserverez, monsieur le ministre, sera, vous le comprendrez, révélateur de l'intérêt réel que porte l'actuel gouvernement à l'agriculture et aux agriculteurs de l'outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Monsieur le ministre, vous nous avez présenté d'une manière très claire et précise le projet de loi d'orientation agricole que le Gouvernement soumet à la Haute Assemblée après son examen par l'Assemblée nationale.

Les rapporteurs, Gérard César, qui s'est fortement investi, Joël Bourdin, pour la commission des finances, ainsi que Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques, ont complété cette présentation en indiquant les orientations et précisions que se propose d'apporter le Sénat. Je partage pour l'essentiel leur point de vue, et j'aurai l'occasion d'y revenir lors de l'examen des articles.

Je soulignerai un point particulier traité dans l'article 1er, pour, bien sûr, dire ma satisfaction. En effet, il me souvient avoir suggéré, lors de l'examen d'un précédent projet de loi d'orientation agricole, la création du « fonds d'exploitation agricole » pour permettre de bien identifier l'outil de production et faciliter sa transmission. Je me réjouis de le voir aujourd'hui figurer dans le texte, ce qui me conduit à ne pas désespérer qu'il soit encore amélioré à l'occasion de la discussion de lois à venir.

Je voudrais en cet instant axer mon propos sur les orientations à prendre pour l'avenir. Vous avez dit, monsieur le ministre, je ne sais si je vous répéterai mot pour mot, mais je pense en tout cas respecter l'esprit : « Nous croyons que l'agriculture française a besoin de perspectives et d'orientations. Il y a de la part des agriculteurs une attente forte. »

M. Jean-Marc Pastor. Il l'a dit !

M. Charles Revet. Vous avez ajouté que ce secteur économique n'était pas délocalisable, et pour cause !

Je partage totalement ces affirmations. La France a la chance de disposer d'un espace agricole important qui permet de développer des productions nombreuses, diversifiées et de qualité. C'est bien sûr le travail d'hommes et de femmes qui ont prouvé leur savoir-faire. Mais ces femmes et ces hommes s'interrogent : quel va être leur devenir ? Si, pendant des décennies, il leur a été demandé de produire pour couvrir les besoins alimentaires de la nation ainsi que ceux d'autres pays européens déficitaires, s'ils sont vécu une première évolution sensible, voilà une quinzaine d'années, lorsque les prix de certaines productions ont été alignés sur les cours mondiaux et que des mesures financières compensatrices ont été établies dans le cadre de la PAC, aujourd'hui, le contexte auquel ils sont confrontés ne manque pas de les interpeller.

La mondialisation de l'économie s'est accentuée avec l'arrivée de nouveaux pays producteurs, l'élargissement à vingt-cinq de la Communauté européenne, la remise en cause par certains partenaires du budget agricole, le fait que de nouveaux arrivants, dans le même temps qu'ils sont des concurrents en termes de production, sollicitent leur part de l'enveloppe budgétaire. Certes, monsieur le ministre, comme vous l'avez souligné - et il faut s'en féliciter -, le Président de la République a obtenu la pérennité de l'enveloppe financière dont bénéficie la France jusqu'en 2013. Mais 2013, c'est demain ! Si l'on y ajoute l'augmentation considérable et, on peut le penser, durable du prix du pétrole, tout cela montre que le contexte a fortement changé et nécessite une réorientation de notre agriculture. L'examen de ce projet de loi en offre l'occasion.

Quelle agriculture voulons-nous bâtir pour demain ? C'est à cette question que nos agriculteurs souhaitent que nous apportions une réponse qui les sécurise à moyen et à long terme.

La première mission de l'agriculture est bien sûr d'assurer la couverture des besoins alimentaires de la population et, à travers les exportations, de participer à l'équilibre de la balance commerciale. A cet égard, les produits labels ou similaires constituent un atout important par la qualité et la sécurité des produits qu'ils apportent, en permettant en même temps une meilleure valorisation.

Des sucriers m'expliquaient récemment que, prix du pétrole oblige, le Brésil, gros producteur de sucre et d'alcool, force actuellement sur l'alcool et diminue sa production de sucre.

M. Charles Revet. En conséquence, les cours mondiaux augmentent. Or les sucriers m'ont affirmé qu'ils n'auraient pas l'autorisation, même à des cours mondiaux intéressants, d'exporter le sucre supplémentaire parce que la Communauté européenne s'y opposerait, alors qu'ils ne demandent pas de subvention !

Si c'était le cas, ce serait d'une gravité extrême !

M. Alain Vasselle. Exactement !

M. Charles Revet. Peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous apporter le moment venu quelque information sur ce point.

L'agriculture joue un rôle essentiel dans l'entretien et l'aménagement du territoire, mais il faut développer de nouveaux débouchés ; on pense, bien sûr, à l'utilisation de produits agricoles pour des usages non alimentaires. De nombreuses possibilités existent, mais celle qui s'impose en termes tant de volume que de pérennité, c'est l'utilisation énergétique de ces produits.

C'est une démarche que je défends depuis de nombreuses années. Rappellerai-je, monsieur le ministre, que j'ai fait circuler sur les routes de France - je suis même entré avec ce véhicule dans la cour de l'Assemblée nationale - une voiture fonctionnant à l'alcool pur de betterave du pays de Caux ? Pourrais-je le faire demain dans les mêmes conditions ? Je ne vous cache pas - et c'est pourquoi j'ai déposé un amendement dans ce sens - que je me pose la question. Je souhaiterais que vous puissiez nous apporter quelques éclaircissements sur ce point.

C'est l'orientation qu'ont choisie le Brésil, les Etats-Unis et certains pays de l'Europe du Nord. Pourquoi pas la France, qui améliorerait ainsi son indépendance énergétique en offrant de nouveaux débouchés à notre agriculture ?

Monsieur le ministre, le Gouvernement doit donner un signe fort de sa volonté de développer les biocarburants, d'une part, parce qu'il s'agit d'une attente de la profession, d'autre part, parce que la recherche peut permettre une amélioration importante de la productivité au niveau tant des produits agricoles servant de matière première que des techniques de transformation, ce qui permettrait une meilleure compétitivité des biocarburants. Mais il faut pour cela que les laboratoires susceptibles d'engager ces recherches aient confiance dans le développement durable de la filière.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions que je souhaitais soumettre à notre Haute Assemblée. Je suis bien conscient que nous ne maîtrisons pas l'ensemble des paramètres. Vous nous avez déjà montré votre volonté et même votre fermeté de voir nos intérêts pris en compte. Soyez-en remercié et félicité. Ce que je souhaite, c'est que nous élaborions ensemble un texte de loi qui offrira de nouvelles perspectives à nos agriculteurs et qui leur donnera confiance en l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. André Lejeune.

M. André Lejeune. Monsieur Revet, nous avons le même souci : préparer l'avenir du monde agricole ; la volonté de lui proposer une direction claire, crédible et durable paraît être partagée sur l'ensemble des travées de notre Haute Assemblée.

L'exposé des motifs du présent projet de loi d'orientation agricole rappelle, à juste titre, les qualités du monde agricole, qui a dû et a su se moderniser durant les Trente Glorieuses, faisant de la France, en 2005, le premier pays exportateur de produits agricoles transformés et le deuxième exportateur de produits agricoles bruts dans le monde.

Cette incontestable réussite ne doit pas cependant cacher la part d'ombre : en 1945, les agriculteurs étaient 4 300 000 ; actuellement, ils ne sont plus que 500 000.

En 2020, selon un rapport de l'Institut Montaigne, véritable inspirateur des dispositions de votre projet de loi, monsieur le ministre, notre pays n'en recensera que 150 000, tous voués à devenir au final des capitaines d'industrie, à en croire la page 81 de ce rapport publié en juillet 2005.

En réalité, votre objectif, monsieur le ministre, s'inscrit dans ce même dessein idéologique : il donne tout à une infime catégorie d'agriculteurs et abandonne les autres. Ce n'est pas de l'exagération : 80 % des aides vont toujours à 20 % des exploitants agricoles, et le 1 % du produit intérieur brut que versent les Etats au budget européen ne fera qu'aggraver la situation, puisque dix nouveaux pays sont entrés dans l'Union européenne. Le gâteau sera donc partagé ! Dès lors, ce n'est pas 1 % qu'il nous faut ; c'est au moins 1,4 %.

Aussi, votre silence sur la question des retraites agricoles est révélateur de l'indifférence que vous manifestez vis-à-vis du sort des petits et moyens exploitants. Votre projet de loi prétend être salutaire pour l'agriculture, mais il méprise en fait l'avenir des agriculteurs.

Pourtant, nous savons tous ici l'importance que revêt ce sujet pour nos concitoyens par le biais de nos permanences. Leurs principales préoccupations concernent « l'après activité », souvent vécue pour beaucoup dans la misère.

A cet égard, comment ne pas être bouleversé face aux témoignages de ceux qui, nombreux, avec des carrières complètes, ne touchent pas plus de 490 euros par mois ?

Quelles réponses sérieuses peut-on apporter à leurs épouses qui, à durée de travail égale, reçoivent au titre de la retraite agricole six fois moins que le SMIC ?

M. André Lejeune. Enfin, pensez-vous, monsieur le ministre, qu'il était accessoire d'expliquer dans votre projet de loi comment le Gouvernement compte garantir à deux millions de retraités agricoles le seuil minimum de retraite de 75 % du SMIC décidé par la loi du 1er octobre ?

M. André Lejeune. Il est vrai, monsieur le ministre, que vous avez trouvé la parade à votre inaction. En incluant dans la cession de propriété les droits à produire, vous allez créer une plus-value, qui représentera certes un petit pécule pour les cédants, mais qui n'est qu'une supercherie. En effet, cela empêchera la reprise pour nombre de jeunes et, pour ceux qui pourront le faire, ce sera une charge supplémentaire. Ils devront payer davantage pour s'installer sans être assurés de pouvoir revendre ces DPU puisque leur pérennité n'est pas garantie après 2013.

M. Gérard Le Cam. C'est vrai !

M. André Lejeune. Sur cette question, la droite et la gauche n'ont pas le même bilan. De 1997 à 2002, le gouvernement socialiste et de gauche a entrepris de répondre réellement aux attentes des retraités agricoles. Concrètement, cela s'est traduit par un effort de 3,55 milliards d'euros. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Le Cam. Il n'y a pas eu de suite !

M. André Lejeune. Je pensais être applaudi à droite...

Ces 3,55 milliards d'euros consacrés au relèvement des retraites les plus faibles ont représenté, au cours de cette mandature, une hausse des retraites de base de 29 % pour les chefs d'exploitation, 49 % pour les veuves et 79 % pour les conjoints.

Quant à votre bilan, il est simple : en 2002, c'est zéro euro ; en 2003 c'est zéro euro ; en 2004, c'est zéro euro. Zéro plus zéro plus zéro égale zéro !

M. Roland Courteau. Cela ne fait pas beaucoup !

M. André Lejeune. Donc, depuis 2002, c'est zéro euro en matière de revalorisation des retraites. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Ce n'est pas moi qui l'ai inventé, cela a été dit à l'Assemblée nationale !

M. Gérard Le Cam. C'est un beau réquisitoire pour les retraites !

M. André Lejeune. Une profession peut-elle accepter que, sur une longue période, la précarité frappe de manière permanente ses anciens ? C'est là, à coup sûr, le défi le plus angoissant auquel est confronté ce corps social et autour duquel se joue, en fait, sa stabilité ou son déclin. En effet, comment peut-on attirer des jeunes vers cette activité alors que ceux-ci voient basculer leurs prédécesseurs dans l'extrême pauvreté ?

Tout examen lucide et sérieux des problèmes actuels de l'agriculture aurait dû faire de cette inquiétude collective un préalable. Tel n'a pas été le cas dans votre projet de loi, monsieur le ministre. Le groupe socialiste le regrette, en particulier mon collègue Bernard Cazeau qui s'investit beaucoup dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, ce projet de loi d'orientation agricole arrive à un moment charnière pour notre agriculture, avant l'échéance de 2013 et les négociations à l'OMC, et alors que celle-ci doit impérativement s'adapter aux contraintes de la mondialisation et que l'on ne sait si, dans huit ans ou dix ans, les subventions européennes existeront encore. Nos agriculteurs ont donc besoin de perspectives et la morosité actuelle vient en grande partie de ne pas savoir de quoi demain sera fait.

L'exploitation familiale change et il faut l'adapter aux mutations actuelles : des propriétaires fonciers qui ne sont plus toujours exploitants, une main-d'oeuvre de plus en plus saisonnière, une exigence de gestion et de technicité toujours plus grande pour l'exploitant mais aussi pour ses salariés.

L'évolution du statut vers une logique d'entreprise est donc nécessaire ; elle contribuera à la modernisation de notre modèle agricole et lui donnera les moyens d'une compétitivité renforcée. Car n'oublions pas, monsieur le ministre, qu'avec des prix toujours tirés à la baisse, et toutes les interrogations non seulement sur l'après 2013 mais aussi sur ce qui se passera à l'OMC avant la fin de l'année, les agriculteurs ont besoin d'avoir des assurances et d'être accompagnés dans leurs investissements, que ce soit en matière d'équipement, de bâtiments ou de mise aux normes. A cet égard, nous pouvons nous féliciter de l'action qui a été conduite pour les bâtiments d'élevage et souhaiter que cette politique puisse perdurer voire être développée tant ces investissements sont lourds mais indispensables pour poursuivre la modernisation de notre agriculture.

J'approuve particulièrement les dispositions du texte qui permettent de renforcer l'organisation économique ; je pense aux articles 14 et 15. Nous assistons, depuis plusieurs années, à un déséquilibre de plus en plus grand entre les producteurs et la grande distribution, au bénéfice de cette dernière, et il est vital de renforcer le poids des interprofessions ainsi que leur pouvoir de négociation. En effet, 60 % des produits alimentaires sont commercialisés par cinq grandes enseignes. Il existe donc, d'un côté, une extrême concentration et, de l'autre, la masse des producteurs qui doit impérativement s'organiser et s'investir dans les organisations de production et les comités économiques.

Plus les filières seront solides, mieux elles seront à même de promouvoir les produits agricoles, d'investir pour l'exportation ou d'intervenir dans la gestion des crises.

Autre avancée importante de ce texte : l'instauration d'un crédit d'impôt représentant la moitié du coût de l'emploi d'un remplaçant. Monsieur le ministre, j'avais déjà attiré votre attention l'an dernier, lors de l'examen de la loi de finances, sur la nécessité de favoriser les services de remplacement. Les agriculteurs, et principalement les éleveurs, ne peuvent pas s'absenter ou prendre des vacances sans mettre en péril leur exploitation. Cela peut devenir dramatique lorsqu'il s'agit de longue maladie ou d'accident. Ce genre de mesure, qui rassure et facilite la vie, contribue à favoriser l'installation des jeunes agriculteurs et est en phase avec l'évolution de notre société.

Tout comme mes collègues, j'approuve l'article 12 relatif aux biocarburants. Il était temps, dans le contexte actuel de hausse continue du prix du pétrole, de valoriser les débouchés non alimentaires de l'agriculture. Produire plus de biocarburants, c'est bien, mais je regrette que l'utilisation d'huiles végétales pures soit limitée à un usage agricole. Ne pourrait-on pas l'élargir ? Est-ce prématuré ? De toute manière, c'est le début d'un « cercle vertueux » et j'espère que, dans un proche avenir, les biocarburants occuperont une place beaucoup plus importante. Cette production d'énergie ne peut que contribuer à la dynamique du secteur en termes de revenu et d'emploi.

Je n'oublie pas que nous avons 1 200 000 hectares de jachères qui peuvent - qui doivent ! - être utilisés à cet effet pour la production d'énergie, mais aussi pour le chauffage et pour la fabrication de nombreux produits tels que des emballages.

J'en viens au soutien de la démarche de qualité. Nos concitoyens sont de plus en plus sensibles à la qualité et à la traçabilité des produits. Tout le monde connaît les atouts que sont pour une région ses produits AOC. Dans mon département, le Jura, on sait l'importance de nos filières Comté, Morbier et bleu du Haut Jura.

Les producteurs qui s'attachent depuis des générations à fournir des productions sous le label de qualité AOC font vivre la montagne Je souscris aux propositions de mon collègue Jacques Blanc en faveur de la montagne, notamment la désignation d'une commission spécialisée composée en majorité de représentants des organisations professionnelles agricoles, qui sera consultée sur les décisions administratives autorisant ou non l'emploi de la dénomination « montagne » intéressant le massif concerné.

Je sais, monsieur le ministre, que vous souhaitez aborder la protection du foncier agricole dans un projet de loi spécifique. Je m'en réjouis, car il y a urgence, mais je considère qu'il est tout aussi urgent de protéger les sièges d'exploitation ; je pense notamment à la zone des cent mètres. La modernisation agricole conduit les agriculteurs à utiliser des matériels, des équipements qui peuvent être bruyants ou dérangeants. Les riverains s'émeuvent du bruit, des odeurs, des nuisances, et les éleveurs se voient ensuite refuser tout permis de construire pour des aménagements ou des agrandissements pourtant indispensables pour eux. C'est pourquoi j'ai proposé un amendement à ce sujet.

J'en viens à la modification importante de notre dispositif génétique français qu'apporte l'article 28 du projet de loi.

La loi sur l'élevage de 1966, dite loi Edgar Faure, qui est bien connue dans mon département, a permis d'améliorer notoirement le patrimoine génétique de notre cheptel et de hisser nos races parmi les premiers rangs mondiaux. Vous nous proposez, pour suivre les instructions de Bruxelles, de supprimer le monopole de zone et d'ouvrir à la concurrence le dispositif de mise en place de la semence et de certification de la filiation. Un service universel de l'amélioration génétique serait institué. C'est très bien, mais soyons vigilants, monsieur le ministre : ne cassons pas un système qui nous a permis de préserver de nombreuses races adaptées aux spécificités de notre territoire ! Soyons très sérieux, car de la qualité des cheptels dépend la rentabilité des élevages en général et des élevages laitiers en particulier. Attention aux prix bas ! Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner des assurances sur ce nouveau système ?

Je souhaite aussi que vous nous rassuriez sur l'évolution des crédits destinés à la génétique. Nos unités nationales de sélection et promotion de la race, UPRA, et donc les éleveurs, s'inquiètent beaucoup : il semble que l'abaissement, de 4 millions à 2 millions d'euros, du gel budgétaire des crédits ne sera pas respecté. Ce serait très dommage pour les organisations d'éleveurs, qui doivent s'adapter aux nouveaux enjeux et à la préservation de notre patrimoine génétique. J'espère que vous en tiendrez compte, monsieur le ministre.

Enfin, je ne peux pas terminer sans aborder les retraites agricoles. Ce dossier a déjà été évoqué cet après-midi par Dominique Mortemousque. A l'instant, mon prédécesseur à cette tribune a déclaré que, sous un certain gouvernement, les crédits avaient été abondés. Mais alors comment expliquer le faible niveau qu'atteignent ces retraites aujourd'hui ? Heureusement, monsieur le ministre, vous nous avez donné l'assurance que vous vous pencheriez sur cette question.

J'ai consulté la caisse de la mutualité sociale agricole de mon département pour connaître plus précisément le montant des retraites agricoles. Ainsi, en 2004, la MSA a versé 54,6 millions d'euros à 13 918 d'affiliés, soit une moyenne mensuelle de 327 euros - ou 2 145 francs. Or, certains affiliés, qui exercent des activités multiples, cotisent à la MSA car ils exploitent quelques hectares de terres, sans être pour autant considérés comme des agriculteurs. J'ai donc été amené à réduire de plus de la moitié le nombre des bénéficiaires. Il reste alors 6 245 exploitants véritables, soit 45 % des 13 918 affiliés.

Parallèlement, j'ai soustrait des 54,6 millions versés par la MSA les sommes correspondant aux prestations que percevaient les cotisants pluriactifs. J'obtiens alors un niveau moyen de retraite de 512 euros, soit 3 300 francs par mois. Pourtant, ces exploitants, comme leur épouse, ont été agriculteurs durant toute leur vie. Ce sont eux qui, pendant ces trente dernières années, ont fait de notre pays une des premières puissances agricoles. Nous devons leur en être reconnaissants. L'opinion publique ne sait pas qu'un agriculteur qui a consacré sa vie à son métier ne perçoit en moyenne que 512 euros de retraite par mois. Ces chiffres sont ceux de mon département, mais je pense qu'ils sont identiques dans d'autres départements.

Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes sensible à ces problèmes et je me réjouis de votre détermination à y remédier.

Comme je l'ai indiqué au début de mon intervention, le projet de loi d'orientation agricole était attendu par nos agriculteurs, inquiets pour leur avenir. Nous espérions, certes, qu'il serait un peu plus riche en crédits, mais nous connaissons le niveau d'endettement de notre pays. Cette future loi apportera néanmoins au monde agricole un peu d'oxygène et ouvrira aux jeunes, je l'espère, de nouvelles perspectives. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Benoît Huré.

M. Benoît Huré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi vise à donner de nouvelles orientations à l'agriculture et aux agriculteurs, mais aussi à la politique économique et internationale de la France.

Nous mesurons en effet l'atout exceptionnel que représente l'agriculture pour notre pays dans ses développements actuels, qui sont essentiellement la production de biens alimentaires, et nous appréhendons de mieux en mieux les développements des productions de demain, qui sont non alimentaires et très prometteuses à bien des égards.

Dans ces deux domaines de production, l'alimentaire et le non-alimentaire, nous devons donner à l'agriculture tous les moyens lui permettant de renforcer sa place dans un secteur d'activités qui, à la fois, procure le plus d'emplois dans notre pays - 2,5 millions d'emplois, vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre - et, par ses exportations, apporte d'importantes rentrées de devises ; avec 8 milliards d'euros, l'agriculture se place au deuxième rang de nos exportations.

Revenons un instant sur la première mission de l'agriculture, qui est la production des biens alimentaires. L'agriculture offre en effet à nos concitoyens l'indépendance alimentaire, avec une production de grande qualité, abondante, variée et sécurisée, avec la meilleure traçabilité au monde, tous les experts s'accordent sur ce point.

Le développement de la production agricole, qu'il faut renforcer, devra permettre à la France de prendre toute sa place aux côtés des grands pays producteurs qui devront relever le défi alimentaire mondial de ce début du XXIe siècle. Demain, il faudra nourrir 9 milliards d'hommes et de femmes. Pour cela, il faudra au moins doubler la production alors que, dans le même temps, la surface agricole continuera de se réduire.

En Chine, les simples besoins d'urbanisation absorbent depuis cinq années plus d'un million d'hectares par an ; je rappelle que la surface agricole utile de la Chine est de 115 millions d'hectares.

Alors le charabia, le blabla des disserteurs sur les excédents agricoles est désormais dépassé, voire indécent. Depuis plus de cinq ans, la production mondiale est devenue inférieure à la consommation solvable, elle-même très en deçà des besoins. Pour les seules céréales, les stocks mondiaux sont à peine équivalents à deux mois de consommation. La consommation solvable depuis cinq ans augmente de 30 millions de tonnes par an.

Si l'agriculture française a encore d'importants développements à faire dans le domaine de la production dite alimentaire, elle doit s'attaquer à un autre défi, celui de la demande croissante d'utilisation non alimentaire des productions agricoles, appelée aussi la chimie verte.

Cette demande se décline dans le domaine de biocarburants, car réduire notre dépendance énergique et la facture qui s'ensuit est devenu une ardente obligation, surtout à l'heure où la ressource pétrolière s'assèche.

La chimie verte se décline aussi dans le domaine de la production de produits tensioactifs, avec toutes les perspectives d'élaboration de matériaux industriels à base de fibres végétales, par nature biodégradable.

La chimie verte se décline encore dans le domaine des cultures biomoléculaires pour répondre aux nouveaux besoins de l'industrie pharmaceutique.

Bref, la chimie verte semble sans limite. A partir d'une plante on peut fabriquer, entre autres, des aliments, des carburants, des produits industriels, des produits pharmaceutiques, des articles de beauté, des détergents. Tous ces produits sont biodégradables. En outre, les agro-ressources sont inépuisables, puisque sans cesse renouvelables, et de surcroît « indélocalisables ».

Tels sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grands enjeux, les défis majeurs que notre agriculture doit relever en ce début de XXIe siècle. Le projet de loi d'orientation agricole s'inscrit dans cette perspective puisqu'il vise à donner aux agriculteurs les moyens de relever tous ces défis.

Ce projet de loi est l'aboutissement du travail de concertation que vous avez conduit, monsieur le ministre, avec l'ensemble des représentants du monde agricole. Il tend à moderniser le statut de l'exploitant, à faciliter l'exercice du métier, sous forme associative ou sociétaire, à permettre, par une contractualisation équilibrée et plus équitable pour les agriculteurs, d'améliorer leurs relations avec les autres acteurs de la filière. Il dotera aussi les exploitants de meilleurs outils pour gérer les risques et aléas de la production.

Le présent projet de loi a aussi pour objet de simplifier les procédures et réglementations administratives, souvent tatillonnes, il faut le reconnaître, que subissent les agriculteurs.

Ce projet de loi, monsieur le ministre, est un bon projet de loi. Enrichi du travail des sénateurs il deviendra, je n'en doute pas, une très bonne loi, une grande loi, comme le fut en son temps la loi dite Debré-Pisani.

Avec cette loi et ses déclinaisons budgétaires à venir, nous voulons donner aux agriculteurs des raisons de croire en leur métier en vivant dignement de leur travail, en retrouvant des capacités d'investir et d'oser entreprendre. Nous voulons aussi les conforter dans leur rôle irremplaçable en matière d'aménagement du territoire. Nous voulons leur donner les moyens de pratiquer une agriculture durable, respectueuse de l'environnement. Oui, cette future loi permettra de garantir l'avenir des agriculteurs et de conforter un secteur important pour la prospérité de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Henneron.

Mme Françoise Henneron. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, que de chemin parcouru par l'agriculture française, depuis un demi-siècle ! Au cours des cinquante dernières années, le monde agricole a relevé avec succès le défi de la modernisation de notre agriculture : performance économique, indépendance et sécurité alimentaires, maintien de territoires vivants.

Pourtant, la mutation de notre agriculture n'est pas terminée : une loi d'orientation était nécessaire pour lui redonner un nouveau souffle, un nouvel élan.

Ce texte doit tracer l'avenir de l'agriculture, sans pour autant proclamer des évidences, sans se tourner avec nostalgie vers un passé qui n'est plus, mais sans pour autant renier ce passé : quels enjeux !

Voilà la difficile équation que le projet de loi d'orientation agricole doit résoudre : donner à notre agriculture les moyens de se maintenir, tout en développant ses potentialités pour l'avenir.

Jusqu'à présent, l'agriculture française peut être fière de ses réussites et de sa faculté d'adaptation à des conditions économiques et environnementales ardues. Mais les agriculteurs n'en sont pas moins confrontés à des difficultés face à une situation économique de plus en plus fragile. Une véritable crise d'identité s'est fait jour au fil des épreuves qu'ils ont eu à traverser.

Les défis que nos agriculteurs continuent de relever sont aussi nombreux que leurs attentes : nous avons plus que jamais besoin d'une agriculture forte, écologiquement responsable, qui participe à la puissance économique de notre pays, qui valorise les territoires, qui assume ses responsabilités en matière alimentaire et non alimentaire.

Autant d'objectifs que doit permettre d'atteindre ce texte en redessinant le cadre de notre agriculture pour lui permettre d'entrer dans une nouvelle ère, en prise plus directe avec les marchés.

D'où la notion pivot de ce texte : celle de l'entreprise agricole qui modernise le statut des exploitations, mais s'accompagne d'un allègement des contraintes administratives, de la modernisation du statut des exploitations, de la sécurisation du revenu des agriculteurs et du renforcement de l'organisation économique du monde agricole. Ce sont autant de leviers d'action pour accompagner les mutations à venir et répondre aux enjeux de demain.

Le texte qui est aujourd'hui soumis à notre Haute Assemblée comporte des avancées notables : reconnaissance de l'entreprise agricole, renforcement des organisations de producteurs et développement des missions des interprofessions, modernisation du statut de la coopération, ou encore volonté de mettre en place une structure de gestion des aléas.

Je salue d'ailleurs à ce propos le travail de nos collègues députés, dont les amendements ont enrichi ce projet de loi. Cependant, si nous voulons adopter un texte ambitieux, il est de notre responsabilité de revenir sur certains points qui ont été modifiés à l'Assemblée nationale au mois d'octobre dernier.

S'agissant du fonds agricole, les députés ont adopté un amendement rendant ce fonds optionnel, avec une déclaration au niveau de l'administration. Ils ont soutenu que le fait de prendre en compte les droits incorporels servant à l'exploitation donnerait une valeur à ces éléments, et que l'accès des jeunes au métier serait ainsi plus onéreux.

Toutefois, la création du fonds agricole ne peut, en soi, aboutir à un surcroît de valeur et à un renchérissement des transactions. Au contraire, c'est l'approche patrimoniale qui conduit souvent à surévaluer la valeur des actifs.

Par ailleurs, il me semble souhaitable de revenir sur la question de la cessibilité du bail avec l'accord du propriétaire. La logique du bail cessible est de séparer l'exploitation et le foncier. L'exploitant est un chef d'entreprise, à la tête d'une unité économique de production, qui cherchera à assurer la pérennité de son entreprise en préparant sa succession.

Permettre le choix du concessionnaire par le bailleur peut déséquilibrer le système. C'est comme si, en matière commerciale, le propriétaire des murs pouvait se substituer au propriétaire du fonds lors d'une cession. Toute la difficulté est de tenir compte également des petits propriétaires fonciers, qui ne sont pas tous des investisseurs, et qui souhaitent garder un droit de regard sur l'utilisation de leurs terres.

La question de l'organisation des producteurs prévue par le texte est, elle aussi, importante. Cette organisation est nécessaire pour donner aux producteurs les moyens de gérer l'approvisionnement du marché face à la concentration de la demande par les centrales d'achat.

Pour qu'une négociation s'effectue dans les règles, il est indispensable que la propriété des marchandises ait été transférée à l'organisme qui négocie avec la centrale d'achat. Le projet de loi d'orientation agricole tend à inciter les organisations de producteurs à rendre plus équitables les relations entre la distribution et la production. Nous avions obtenu quelques avancées à ce sujet dans la loi relative au développement des territoires ruraux.

En ce qui concerne la valorisation non alimentaire des produits agricoles - je pense notamment aux huiles végétales pures -, le texte initial allait dans un sens plus favorable à la recherche de débouchés durables que celui de l'Assemblée nationale. Il est clair que la France souffre, aujourd'hui encore, d'un retard en matière de valorisation non alimentaire des produits agricoles, et je le regrette. C'est une attente forte des agriculteurs, mais les débouchés sont encore trop confidentiels.

Des mesures simples pourraient être prises : on pourrait par exemple clarifier les conditions du traitement fiscal des biocarburants. Cette visibilité rendrait possible le développement de ces filières dont l'équilibre économique dépend également d'un allégement de la fiscalité. Mes collègues ont d'ailleurs déposé à ce sujet des amendements que je soutiendrai.

On le voit, ce texte a une réelle ambition : créer les outils juridiques et économiques d'un nouveau modèle agricole et accompagner les principales évolutions de l'agriculture française des prochaines années. Il est en rupture avec la logique territoriale qui prévalait dans la loi d'orientation votée par la gauche en 1999.

M. Charles Revet. Il faut le dire !

Mme Françoise Henneron. Ce projet de loi nous donne l'occasion d'adresser deux messages forts : l'un en direction du monde agricole, l'autre en direction de la société. De ce fait, il nous permet d'atteindre un double objectif : rapprocher le secteur agricole dans toutes ses dimensions des autres secteurs économiques et maintenir le lien fort qui existe entre les agriculteurs et les citoyens, en donnant aux uns les moyens de répondre aux attentes des autres.

La défense de notre agriculture est une cause juste et nécessaire. Elle exige la plus grande détermination et une réelle ambition, qui peut être partagée sur toutes les travées de la Haute Assemblée.

M. Charles Revet. Tout à fait !

Mme Françoise Henneron. En votant ce texte, sachons entendre le monde agricole et creuser le sillon de l'agriculture de demain, afin de lui permettre d'être en phase avec les attentes de tout un pays. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il est évident que nous devons tout mettre en oeuvre pour que le financement de la politique agricole commune et de la politique de développement rural ne soit pas remis en cause à l'échelon européen.

Aussi le projet de loi d'orientation qui nous est soumis mérite-t-il d'être largement approuvé : il va permettre l'adaptation de notre secteur agricole à l'évolution du contexte mondial et européen, ainsi qu'aux modifications des attentes de nos concitoyens en termes de respect de l'environnement, de traçabilité et de qualité des produits.

Les dispositions de ce texte ont été très bien analysées par le rapporteur de la commission des affaires économiques, Gérard César. Je concentrerai donc mon propos sur l'installation des jeunes, condition de la pérennité de l'agriculture, et le développement des biocarburants.

Aujourd'hui, 642 000 personnes sont employées dans les industries agricoles et alimentaires, qui constituent le premier secteur industriel français, avec un chiffre d'affaires de 136 milliards d'euros. Les effectifs s'y accroissent régulièrement.

Dans le même temps, le nombre des exploitations agricoles dites « professionnelles » diminue de 2,3 % à 2,5% par an, ce qui est logique, compte tenu de l'accroissement de la taille des exploitations lié aux contraintes de rentabilité et d'amortissement des matériels.

Dans ces conditions, l'installation des jeunes agriculteurs est un sujet majeur. Or force est de constater que les deux dispositifs validés par la Commission européenne - le programme pour l'installation et le développement des initiatives locales et la dotation jeune agriculteur - ne permettent pas de transmettre convenablement une exploitation hors du cadre familial.

Cela conduit au démantèlement des exploitations sans successeur et à l'obligation, pour les jeunes qui s'installent hors du cadre familial, de reconstruire une exploitation à chaque génération.

L'instauration d'un « crédit transmission » est susceptible de remédier à la difficulté que j'évoquais. Ainsi, les vendeurs d'une exploitation agricole domiciliés fiscalement en France bénéficieront d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des intérêts perçus au titre du différé de paiement qu'ils accorderont à un jeune agriculteur reprenant l'exploitation.

La création du fonds agricole, la cessibilité du bail hors du cadre familial, ainsi que l'amélioration du statut sociétaire permettront une réelle consolidation des activités agricoles. Les exploitants qui le souhaitent auront désormais la possibilité d'inscrire leur exploitation dans un cadre économique de long terme.

Se posera néanmoins une question, monsieur le ministre : quelles seront, dans ce nouveau cadre légal, les modalités d'aide complémentaire que les collectivités locales pourront éventuellement apporter, étant précisé qu'elles peuvent déjà s'associer au dispositif d'aides de l'Etat ? Cette aide complémentaire est accordée dans mon département, en accord avec la profession, et cela donne satisfaction.

En bonne logique, de jeunes agriculteurs s'installeront d'autant plus facilement que les débouchés de leur production seront assurés. Le développement de nouveaux débouchés non alimentaires tels que les biocarburants, qu'ils soient issus de la filière éthanol ou de la filière des huiles végétales, est donc de première importance.

Le Gouvernement a décidé d'avancer le calendrier d'application des objectifs communautaires relatifs aux biocarburants en portant la consommation de ceux-ci à 5,75 % du total des carburants consommés dès 2008 et à 10 % en 2015. Cet effort mérite d'être salué. L'appel d'offres ministériel lancé pour 1 800 000 tonnes d'agréments nouveaux permettra de multiplier par six le niveau de production et les surfaces correspondantes à l'horizon 2008.

Il est également prévu d'exempter de taxe intérieure de consommation les huiles végétales pures utilisées en autoconsommation comme carburant agricole dans les exploitations. Cette mesure était doublement souhaitable : d'une part, elle mettra fin à une situation illégale ; d'autre part, elle ouvrira une deuxième étape au cours de laquelle pourra être autorisée la commercialisation par les agriculteurs de l'huile qu'ils ont produite comme carburant agricole.

Des interrogations subsistent sur ce point. Il est par exemple possible de considérer que les débouchés des huiles devraient davantage être orientés vers les combustibles. Je souhaiterais savoir si vous envisagez d'engager des études plus poussées dans ce sens, monsieur le ministre.

Enfin, je ne peux conclure sans mentionner les importantes avancées sociales apportées par ce projet de loi d'orientation. Je citerai en particulier l'extension de la couverture sociale agricole, le crédit d'impôt pour le remplacement des exploitants ou encore la revalorisation des retraites des femmes polypensionnées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, proposer une loi d'orientation agricole est toujours un moment fort non seulement pour notre agriculture, mais aussi pour le pays tout entier, car, plus que jamais, l'agriculture est au coeur de notre société.

Souvenons-nous de la loi d'orientation agricole de 1960, qui avait confié à notre agriculture la délicate mission d'assurer la couverture alimentaire des Françaises et des Français.

En 2005, l'environnement socioéconomique ayant profondément évolué et l'agriculture étant entrée dans une économie de marché, il convient de passer d'une vision patrimoniale à une vision entrepreneuriale de l'agriculture française. Parallèlement, nous devons assurer une parfaite intégration de l'agriculture au sein de cette société dont les aspirations ont, elles aussi, beaucoup changé.

Les Françaises et les Français veulent davantage de qualité, de sécurité sanitaire, de typicité, et également de l'environnemental et du bien-être animal - que de missions ! - ainsi que, tout récemment, à la suite à l'explosion durable des coûts de l'énergie, la fourniture de biens non alimentaires.

Cette loi d'orientation répond à toutes ces demandes, avec pertinence et détermination. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous en féliciter et de vous assurer de mon total appui.

Je ne mettrai l'accent que sur deux points.

Le premier est la vocation non alimentaire de l'agriculture, approche désormais essentielle ; c'est même la grande évolution de l'agriculture de ce XXIsiècle. Cette « chimie verte » doit produire non seulement des biocarburants, mais aussi des biolubrifiants, des cosmétiques, des acides gras spécifiques, des acides aminés essentiels...

La production de ces molécules industrielles, dont la toute première transformation pourra être réalisée « au champ », est une vraie révolution, qui permettra de diversifier profondément notre agriculture et d'assurer une régulation plus fine de nos volumes de production des filières proprement alimentaires.

Sur ce sujet particulier, monsieur le ministre, permettez-moi d'insister sur le nécessaire partage de la valeur ajoutée entre l'agriculteur et l'industriel, gage d'une indispensable équité, et sur la pertinence de l'utilisation des biotechnologies dans le domaine non alimentaire, afin de répondre à la demande de l'industrie tant en quantité qu'en spécificité de production des molécules concernées. Actuellement, 1 200 000 hectares sont en jachère. Je me réjouis que l'agriculture française puisse trouver une destination spécifique à ces surfaces au travers du non-alimentaire.

Le second point sur lequel je veux mettre l'accent est l'intégration de notre agriculture dans un environnement très concurrentiel à l'échelon international.

A la veille des négociations de l'OMC à Hong-Kong en décembre prochain, nos débats d'aujourd'hui n'ont que plus d'importance encore pour conforter nos agriculteurs et nos industries agroalimentaires, afin que les uns et les autres puissent affronter les marchés dans de meilleures conditions. Soyons particulièrement conscients de l'importance grandissante des tensions sur les marchés, qu'ils soient de matières premières ou de produits transformés.

Monsieur le ministre, permettez-moi de regretter qu'en juin 2003 - c'était hier ! -, lors de l'Accord de Luxembourg, nous ayons été un peu trop vertueux - c'est le qualificatif qui convient - en réformant trop fortement la politique agricole commune. A cette époque, je m'étais exprimé contre l'ampleur des mesures proposées par M. Franz Fischler et portées à l'OMC par M. Pascal Lamy, notre commissaire européen de l'époque. Certes, la stratégie était bonne, mais le dosage ne l'était pas ! Face à nos partenaires, notamment les Etats-Unis, nous n'avons plus aujourd'hui qu'une infime marge de manoeuvre dans la négociation.

Monsieur le ministre, les négociations avec M. Portman, secrétaire d'Etat américain au commerce extérieur, vont se dérouler alors que ce dernier n'aura aucune maîtrise sur la réforme du Farm Bill, programmée après Hong-Kong, au cours de l'année 2007. Seul le congrès américain aura les pleins pouvoirs et, aujourd'hui, personne ne peut être sûr qu'il renouvellera au président Bush, au travers de la procédure dite du fast track, son autorité économique.

Nous serons alors dans une totale impasse, avec des aides américaines à hauteur de 20 000 dollars par farmer, à comparer aux 14 000 dollars par agriculteur français, ...

M. Paul Raoult. Très juste !

M. Jean Bizet. ... ce qui représente 350 dollars de contribution par américain, à comparer aux 250 ou 270 dollars par citoyen européen. J'ajouterai à cela une politique agricole américaine fortement soutenue par l'aide alimentaire et les marketing loans. Monsieur le ministre, vous êtes bien conscient que le compte n'y sera pas et j'oserais dire que le timing n'y sera pas non plus !

Ne soyons ni agressifs ni naïfs ; soyons tout simplement lucides : il faut que l'Union européenne envisage de se doter d'outils rigoureusement identiques - je veux parler de l'aide alimentaire et des marketing loans - pour assurer la régulation du marché intérieur, d'une part, et les soutiens transitoires aux exportations, d'autre part.

M. Jean Bizet. Dans l'hypothèse où le négociateur américain ne voudrait pas évoluer sur ces deux sujets, nous n'aurions en effet d'autre alternative que d'exiger de nous doter des mêmes procédures, afin d'obtenir un parallélisme rigoureux de nos politiques agricoles.

En conclusion, monsieur le ministre, au travers de ce débat sur le projet de loi d'orientation agricole, je voudrais, au-delà de cet hémicycle, m'adresser aux agriculteurs de ce pays pour leur dire qu'ils doivent être conscients de la pertinence du modèle agricole français et fiers de leur engagement. Je voudrais également m'adresser à nos concitoyens pour leur dire qu'ils doivent précisément faire confiance à ces mêmes agriculteurs et les assurer de leur soutien, car la période à venir sur le marché international s'annonce lourde de turbulences ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. René Beaumont.

M. René Beaumont. Monsieur le ministre, si je me permets, à cette heure tardive, de distraire quelques instants d'un temps qui vous est précieux, c'est tout d'abord pour vous remercier et vous féliciter de nous soumettre cette loi d'orientation agricole - j'insiste sur le terme « orientation » -, dont notre agriculture a grand besoin.

Pour raccourcir mon propos et éviter les redites, je vais essayer de démontrer, en partant d'un seul exemple - peut-être est-ce prétentieux ? -, d'une part, que cette loi est effectivement une loi d'orientation et, d'autre part, qu'elle répond à un réel besoin immédiat.

Comment ne pas reconnaître, en effet, que notre agriculture n'attire plus les jeunes aujourd'hui et qu'elle est incomprise, voire mal aimée de notre société trop fortement urbanisée et donc éloignée de la nature ? Il est donc temps de redonner à l'agriculture française une raison d'être qui soit aussi, pour ses acteurs, un moyen de gagner honorablement leur vie.

Trop peu de nos concitoyens ont en mémoire le formidable essor de notre agriculture vivrière depuis la fin de la dernière guerre, qui nous a conduits à un remarquable excédent du commerce extérieur pendant des décennies dans ce secteur d'activité, plaçant la France au deuxième rang des exportateurs de produits agroalimentaires dans le monde.

Aujourd'hui, à l'évidence, la seule vocation alimentaire de notre agriculture s'avère insuffisante pour assurer la juste rétribution de ses acteurs face à des cours mondiaux très inférieurs au simple prix de revient des produits agricoles français.

Comment ne pas s'inquiéter de la stagnation désormais certaine des gains de productivité qui ont jusqu'alors permis cette formidable modernisation, mais qui demeureront désormais bloqués par un souci écologique bien nécessaire, certes, mais limitant de plus en plus, à l'avenir, les amendements des sols et les manipulations génétiques ?

Comment ne pas être troublé de constater par ailleurs l'augmentation des surfaces céréalières dans toute l'Europe du fait du découplage des aides et de l'évolution du régime sucre, ce qui nous prive d'une majeure partie des débouchés rentables pour les céréales françaises ?

Enfin, comment ne pas prendre en considération l'évolution très probablement défavorable - mon ami Jean Bizet vient de l'évoquer à l'instant - des négociations de l'OMC en la matière ?

Face à l'évolution sombre de l'agriculture française, le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, tout comme ses prédécesseurs immédiats d'ailleurs, n'est pas resté immobile. Vous avez en effet compris que le développement de l'agriculture à vocation énergétique était un moyen nécessaire, tant sur le plan économique que par rapport au strict souci d'indépendance énergétique de notre pays. En disant cela, j'abonde, bien sûr, dans le sens des propos qui ont été tenus sur ce sujet par mes prédécesseurs à cette tribune, que ce soit Charles Revet, Alain Fouché, Benoît Huré ou encore, à l'instant, Jean Bizet.

Vous avez déjà fait évoluer les objectifs d'incorporation des biocarburants jusqu'à 7,5 % en 2010. Vous avez fixé un accroissement de 50 % de la production directe de chaleur à partir de la biomasse à la même échéance et vous vous êtes fixé pour objectif, toujours en 2010, de porter à 21 % la part d'électricité d'origine renouvelable dans la production nationale, tout cela en respectant les recommandations fortes de la directive européenne relative à la promotion des biocarburants et surtout en satisfaisant pleinement aux normes d'émission de gaz à effet de serre qui résultent du protocole de Kyoto. Ainsi, vous ouvrez la voie à une agriculture nouvelle écologique et énergétique, dont nous avons besoin aujourd'hui pour définir notre indépendance.

Monsieur le ministre, l'aide du Parlement vous sera nécessaire pour réussir cette mutation énergétique indispensable et aller plus loin, plus vite et plus efficacement dans cette voie. Nous sommes décidés à vous y aider, mais il vous faudra vaincre les résistances très fortes des transformateurs d'énergie fossiles, qui se cramponnent à leur monopole et donc à leurs privilèges.

En effet, alors que l'utilisation en direct du bioéthanol aboutit à une réduction de l'émission de gaz à effet de serre deux fois supérieure à l'adjonction de l'ETBE, alors que ce procédé a déjà été utilisé par de nombreux pays européens, alors que les distributeurs indépendants français confirment cette vérité première par des essais récents de grande envergure, comment se fait-il que certains services administratifs français en soient encore à préconiser de nouvelles études ?

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous poser une question précise sur un dysfonctionnement majeur de votre administration. Comment se fait-il que, pour l'application de la TGAP en cas d'insuffisance d'incorporation de biocarburants - je vous rappelle, mes chers collègues, qu'il s'agit d'une mesure adoptée par le Parlement à l'occasion de la loi de finances de 2005 -, le Bulletin officiel des douanes ait retenu, quelques mois plus tard, des normes favorisant toujours ce même ETBE produit par la chimie du pétrole au détriment de l'éthanol agricole ?

Monsieur le ministre, avec ce seul exemple, je veux vous convaincre de la nécessité d'imposer cette mutation énergétique de notre agriculture. Mais vous devrez faire preuve de beaucoup de courage et être animé d'une volonté farouche, qui est aussi la nôtre, vous l'avez constaté en écoutant les différents orateurs qui se sont exprimés avant moi.

Je voudrais vous interroger sur quelques points précis, qui ont d'ailleurs été évoqués par la plupart des intervenants.

Quels avantages fiscaux souhaitez-vous apporter à la culture de produits destinés à fabriquer des biocarburants ? Que pensez-vous de la mise en jachère des 1 200 000 hectares disponibles ? Que pensez-vous d'un partenariat, fortement incité par le Gouvernement, entre la coopération agricole et les banques pour installer, sur l'ensemble du territoire, à proximité des lieux de production bien sûr, des unités de distillation ou de fabrication de diester ?

Monsieur le ministre, vous redonnerez ainsi une véritable raison d'être à nos agriculteurs, qui seront non plus des pollueurs aux yeux de leurs concitoyens, mais, au contraire, des producteurs d'énergie salutaire à l'économie nationale et essentielle à notre environnement et à celui de nos enfants.

En imprimant cette orientation énergétique à notre agriculture, en défendant la ruralité, à laquelle les citoyens deviennent à nouveau sensibles, en défendant nos merveilleux paysages, à l'entretien desquels les agriculteurs sont indispensables, vous marquerez durablement votre passage et vous assurerez notre indépendance énergétique.

Monsieur le ministre, personne ne doutera plus alors de l'utilité de la loi d'orientation agricole que vous nous présentez aujourd'hui et que nous soutiendrons, car elle conditionne tout simplement l'avenir de notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. Dominique Bussereau, ministre. Je ne répondrai que brièvement à chacun des orateurs qui sont intervenus et j'apporterai ultérieurement des réponses plus détaillées aux questions précises qui ont été évoquées ; je pense notamment à René Beaumont qui vient de poser une série de questions particulièrement intéressantes.

Je tiens tout d'abord à remercier Gérard César, rapporteur, du travail approfondi qu'il a réalisé. Ses conclusions permettront d'améliorer ce projet de loi en le clarifiant, en le simplifiant et en le complétant.

M. Gérard César, rapporteur. C'est notre souhait !

M. Dominique Bussereau, ministre. Monsieur le rapporteur, j'ai bien noté votre adhésion aux dispositifs centraux proposés dans ce texte, à savoir la cessibilité du bail et la création du fonds agricole. Je confirme mon accord sur le caractère optionnel de ce fonds.

Par ailleurs, je suis très ouvert à tous les aménagements que vous proposez pour adapter des dispositions relatives aux sacs plastiques ou aux huiles végétales pures.

Je partage également votre souci de clarifier ce texte. S'agissant du contrôle des structures, par exemple, le projet de loi tient compte du livret qui a été élaboré en y associant les organisations professionnelles agricoles et la représentation nationale.

De façon générale, les sociétés sont traitées à égalité avec les exploitations individuelles. Le contrôle de la double participation est maintenu. Les modifications proposées dans ce projet de loi sont donc limitées : elles concernent essentiellement la réduction du nombre d'associés et la répartition interne du capital entre les associés. Les contrôles spécifiques aux sociétés ont été peu utilisés compte tenu de leur complexité et des risques de contentieux qu'ils présentent.

Nous aurons l'occasion de revenir sur vos principales propositions, monsieur le rapporteur, lors de la discussion des articles.

Monsieur le rapporteur pour avis, vous avez, à juste titre, évoqué les incertitudes qui pèsent sur l'évaluation des DPU. Il est vrai que nos prévisions s'arrêtent à 2013, mais cela représente tout de même 10 milliards d'euros par an d'ici là !

Vous avez également abordé les conséquences fiscales de la création du fonds agricole, ce qui est compréhensible en votre qualité de rapporteur de la commission des finances. Je puis vous apporter des assurances en la matière : d'une part, la création de ce fonds n'aura aucune conséquence fiscale au moment de sa création ; d'autre part, en cas de mutation à titre gratuit, le régime fiscal sera le même que pour l'exploitation individuelle, avec, pour le cédant, une exonération des plus-values si l'activité est poursuivie, et des trois quarts des droits de mutation pour les héritiers. En cas de vente, les plus values du cédant bénéficieront des exonérations prévues dans la loi Dutreil et le repreneur ne devra acquitter qu'un droit fixe de 125 euros, disposition qui a été introduite par les députés.

Enfin, je veillerai à ce que le dispositif relatif à l'exonération des plus-values prévu pour la cession des fonds de commerce d'une valeur inférieure à 300 000 euros, qui doit être revu lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2006, soit étendu au fonds agricole. Sur ce point, vous aurez donc satisfaction, monsieur le rapporteur pour avis.

Je tiens également à remercier le président de la commission des affaires économiques de sa contribution. S'agissant de l'exonération de la TFNB, il a développé une argumentation simple, que je partage. Il est par ailleurs très attaché à l'assurance récolte.

L'un des objets du projet de loi est bien d'encourager la compétitivité de notre agriculture, donc d'alléger les charges. Pour ce faire, le Premier ministre a décidé de diminuer progressivement la taxe sur le foncier non bâti. Je le répète, un débat vous sera proposé à ce sujet dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2006. Cette mesure représente quand même 140 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable pour les exploitations agricoles. Cette diminution sera intégralement compensée par l'Etat aux communes. Le dispositif proposé permettra de la répercuter totalement sur les exploitants agricoles. J'ai bien entendu l'appel quelque peu différent de M. Vasselle en la matière.

Monsieur Emorine, vous souhaitez par ailleurs développer le mécanisme d'assurance récolte, qui a rencontré un franc succès, avec plus de 65 000 adhésions la première année. Le monde agricole est donc intéressé ! Je partage votre analyse : il est nécessaire d'élargir l'assiette, afin de mutualiser les risques. Le Gouvernement examinera favorablement l'amendement que vous proposez et qui vise à étendre progressivement ce mécanisme à l'ensemble des productions agricoles.

Monsieur le Cam, nous avons des visions stratégiques divergentes sur l'agriculture. Peu d'articles du texte recueillent votre approbation, et je le regrette. Je tiens toutefois à corriger, si vous permettez cette expression, quelques points.

Les quotas laitiers n'ont pas de valeur marchande et n'ont donc pas vocation à faire partie du fonds agricole. S'agissant de l'article 14 relatif à l'organisation économique des producteurs, le transfert de propriété n'est pas l'unique voie de reconnaissance pour les organisations de producteurs. Nous avons prévu une certaine souplesse dans le mécanisme.

Vous avez également évoqué les « mesurettes » prises en faveur des producteurs bio. On peut toujours, il est vrai, faire plus, mais les dispositions prévues représentent déjà 22 millions d'euros par an, ce qui n'est pas négligeable. On sait que l'agriculture biologique dispose d'un créneau économique dans notre pays.

Monsieur Soulage, vous avez parlé du calendrier quelque peu serré de l'examen de ce texte, des biocarburants, de la filière des fruits et légumes, de l'assurance récolte. Je vous remercie d'avoir rappelé que l'agriculture constitue un atout essentiel pour le dynamisme économique de nos régions. Ce projet de loi est cohérent avec la mise en oeuvre de la réforme de la PAC. Nous avons souhaité utiliser la procédure d'urgence, car il est essentiel que les décrets d'application soient publiés avant le 1er janvier 2006.

Vous avez également abordé la question des biocarburants, comme l'avait fait à l'Assemblée nationale votre collègue du Lot-et-Garonne Jean Dionis du Séjour.

Le développement non alimentaire des produits agricoles est désormais un objectif à part entière de notre politique agricole. Comme M. Beaumont vient de l'indiquer, le Gouvernement s'est engagé sur des objectifs concrets quantifiés.

En ce qui concerne les huiles brutes, nous avons mis en place un dispositif, avec une phase d'observation, afin d'éviter que le développement trop rapide et non contrôlé des huiles brutes ne remette en cause celui de l'éthanol ou du diester. Nous essayons de parvenir à un équilibre. Naturellement, nous pourrons revenir sur ce point, car il s'agit d'une question importante.

S'agissant de la filière des fruits et légumes, votre département, comme bien d'autres - notamment ceux du Tarn-et-Garonne, du Vaucluse, ou encore des Bouches-du-Rhône -, est touché par la crise que connaît ce secteur. Nous voulons lutter contre les distorsions de concurrence au niveau européen. J'ai récemment envoyé un courrier à la commissaire européenne à propos des importations massives ou mal contrôlées qui ont eu lieu l'été dernier.

Nous avons également pris de bonnes mesures en faveur de l'emploi saisonnier, car ce secteur y a largement recours. L'organisation économique de cette filière doit être améliorée ; j'ai engagé des démarches en ce sens au niveau européen, car les dispositifs de gestion de crise font actuellement défaut. Il est vrai que nous ne disposons pas des bons outils eu égard tant aux règles de concurrence qu'aux règles de gestion des marchés. Avec un grand nombre de pays, nous faisons donc pression sur la Commission européenne pour avancer dans ce domaine.

M. Pastor, quant à lui, a notamment estimé que le texte était un peu libéral. Il a évoqué les petites entreprises, la multifonctionnalité. Les petites entreprises agricoles bénéficieront de toutes les mesures contenues dans ce texte ; j'emploie à dessein le terme « entreprise », car la forme sociétaire n'est pas, à mes yeux, opposée au fait que l'exploitation conserve son caractère familial. Mais il faut bien prendre en compte les évolutions actuelles.

La multifonctionnalité est au coeur du texte de Jean Glavany ; elle passe par le développement de nouveaux débouchés pour l'agriculture. Selon moi, ce texte ne représente pas une marche arrière, bien au contraire !

M. Jacques Blanc a défendu avec passion, comme bien d'autres, la nécessité de prévoir un volet « montagne ». Il a beaucoup travaillé sur ce sujet en commission, avec le rapporteur et le président. Il a même, à un certain moment, poussé à la roue. Quarante amendements ont été déposés à ce propos ; nous verrons le sort qui leur sera réservé.

L'idée est de reprendre les mesures déjà introduites par l'Assemblée nationale, en particulier le code de la montagne, et, si vous le décidez, d'y ajouter d'autres dispositions. Par exemple, M. Blanc a proposé de prendre en compte les handicaps naturels ou le soutien à la fonction agro-environnementale de l'agriculture de montagne. Mais cela peut aussi intéresser la politique de la forêt.

M. Baylet a indiqué que ce texte privilégiait les grandes exploitations. C'est faux ! Ce texte ne se résume pas à cette logique. Je ne crois pas que le volet social soit inexistant. La suppression de la cotisation de solidarité pour les associés non exploitants, la mise en place d'un congé formation en faveur des exploitants agricoles, le congé de remplacement pour les éleveurs, l'amélioration de la protection sociale des petits exploitants - exploitations d'une superficie inférieure à une demi-SMI - sont autant de mesures qui démontrent que ce texte prend bien en charge le volet social.

Madame Hoarau, vous avez évoqué deux sujets importants pour la Réunion.

Tout d'abord, la suppression du colonat, une demande ancienne des agriculteurs réunionnais, est une mesure essentielle du projet de loi.

Vous avez également souligné la crise que traverse l'agriculture réunionnaise du fait de la situation de la production sucrière.

Vous le savez, la Commission européenne a engagé une réforme de la filière du sucre. Nous nous battons pour obtenir des aménagements en faveur de l'outre-mer : une moindre baisse du prix du sucre, le rétablissement de l'aide à l'écoulement dans l'enveloppe financière accordée à la filière ou encore des mesures très spécifiques pour l'outre-mer.

Lors du Conseil des ministres qui s'est tenu la semaine dernière, nous avons indiqué très clairement à la Commission que ce texte devait être amélioré dans son volet ultramarin et pour les petites sucreries qui ne se situent pas dans les grands secteurs de production de la métropole. Si la Commission persistait dans une attitude de blocage sur les négociations de l'OMC, nous serions conduits à revoir l'approbation de principe que nous avons donnée à propos de la réforme du sucre.

Quoi qu'il en soit, nous souhaitons préserver les intérêts de l'outre-mer et ne pas oublier les pays les moins avancés, telle l'île Maurice, une grande part de leur activité économique et de leurs exportations dépendant de la production sucrière. Nous devons, dans notre politique, tenir compte des liens anciens que nous avons depuis les accords de Lomé.

M. Jean Boyer a surtout évoqué les zones de montagne, qu'il connaît bien dans le département de la Haute-Loire, et les compensations du handicap naturel. Les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale sont traitées dans différents titres du projet de loi, ce qui nuit à leur lisibilité. Sur l'initiative de votre rapporteur, de Jacques Blanc et de vous-même, elles seront regroupées. Elles formeront, je l'espère, un véritable volet « montagne », sachant que la loi relative au développement des territoires ruraux avait déjà largement abordé ces questions.

Mme Herviaux a évoqué le décalage existant entre ce projet de loi et les débats régionaux. Certes, nous n'avons pas pu tenir compte de tous les débats qui se sont déroulés dans les vingt-deux régions métropolitaines et les régions d'outre-mer, car ils ont naturellement été très riches et divers, mais c'est vraiment à partir de cette consultation que nous avons élaboré ce texte.

La Bretagne étant une grande région agricole, je n'ose imaginer qu'une partie des propositions que nous avons reprises n'aient pas été évoquées par cette région.

Vous avez décrit l'évolution de l'agriculture dans un petit village breton. J'ignore si c'est celui de la bande dessinée, mais j'ai trouvé votre histoire imaginative. (Sourires.) L'issue de nombre des actions ou des situations que vous décrivez dans ce paysage idéal dépend de dispositions contenues dans le présent projet de loi d'orientation. Aussi, j'espère que vos rêves les plus chers lui laisseront quand même une petite place si, bien sûr, il est voté par la Haute Assemblée. En tout cas, vous avez présenté les choses de façon très astucieuse.

M. Mortemousque a évoqué de nombreux sujets- il a beaucoup travaillé sur ce texte - notamment les multifonctionnalités et la simplification. Il faut insister sur les multifonctionnalités. Il est nécessaire d'accompagner les évolutions agricoles dans une logique d'entreprise, laquelle est parfaitement compatible avec la valorisation des produits locaux de qualité, des produits labellisés - je sais que vous y êtes attaché, en particulier dans votre département de la Dordogne -, avec la diversification et avec l'accueil à la ferme. A cet égard, votre département est un exemple de cette agriculture double. Ces deux agricultures se complètent et ne sont pas adverses. Il faut simplifier l'application des réglementations. Le projet contient un certain nombre de dispositions en ce sens, mais nous pouvons encore progresser dans cette voie.

Je veux dire quelques mots sur les retraites. Vous avez évoqué la présence dans les tribunes du président d'une très active association de retraités. Les mesures en faveur des retraites ne figurent pas dans ce projet de loi d'orientation agricole puisque, par nature, elles trouvent leur place soit dans un projet de loi de finances, soit dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Depuis 1994, de nombreuses mesures ont été prises en faveur des retraites, et ce par tous les gouvernements. Néanmoins, il convient de noter que, depuis 2002, les pensions de base ont été revalorisées de 43 % pour les chefs d'exploitation, de 80 % pour les personnes veuves et de 93 % pour les conjoints aides familiaux.

Votées à l'unanimité - ce qui est positif - à l'approche d'un grand débat national, sur l'initiative d'une majorité, ces mesures ont été financées par une autre majorité. A la suite du changement intervenu après les élections, chacun a pris ses responsabilités. Ces mesures représentent néanmoins un effort annuel de 1,5 milliard d'euros de la collectivité nationale en faveur des retraités agricoles. (M. Dominique Mortemousque approuve.)

Votre majorité a mis en place, mesdames, messieurs les sénateurs, dans un contexte budgétaire très difficile, la retraite complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles. Elle représente en moyenne 1 000 euros supplémentaires par an pour 435 000 retraités. C'est également cette majorité qui a voté la mensualisation de la retraite, répondant ainsi à une demande très forte et très ancienne des retraités agricoles, ainsi que l'a souligné M. Bailly. Pour autant, de gros efforts doivent encore être faits en leur faveur. Nous savons tous, par exemple, pour les recevoir dans nos permanences, ce que représente la retraite mensuelle des veuves retraitées.

Je remercie M. de Montesquiou du soutien qu'il apporte au texte. Il a évoqué le coût que représentent l'ensemble des mesures prévues, à savoir 80 millions d'euros. C'est peut-être peu, mais, dans la conjoncture budgétaire actuelle, c'est important. En outre, il convient d'ajouter à cette somme les 140 millions d'euros correspondant à la première tranche de baisse de la taxe sur le foncier non bâti, ce qui représente, au total, 220 millions d'euros.

S'agissant de l'armagnac, alcool aussi important que le cognac, nous pourrons sans doute satisfaire vos voeux par la voie réglementaire. Je vous propose que vous-même, les producteurs et le ministère travaillent sur ce sujet. Je veillerai à ce que cela se fasse rapidement. En cas d'accord, nous aurons réglé cette affaire dans deux à trois mois. Rien ne s'oppose à ce que nous apportions une réponse à votre demande dont je comprends parfaitement la justification.

M. Biwer a évoqué la démographie des agriculteurs ainsi que celle des fonctionnaires, et a établi des comparaisons. Il a souhaité une politique intelligente des contrôles. Nous avons fait beaucoup d'efforts en cette matière : nous avons essayé de les limiter dans le temps et d'organiser de meilleurs rapports au moyen d'une charte. Tout s'est relativement bien passé cette année, sur le terrain, mais les efforts doivent être poursuivis.

Il nous faut également assurer la protection des contrôleurs. Nous avons tous en mémoire le drame survenu en Dordogne. Il y a quelques semaines, M. Mortemousque et moi-même étions sur place afin de rendre hommage à ces contrôleurs qui ont été assassinés dans des conditions épouvantables. Il faut donc pacifier les relations et mieux organiser le dialogue afin que les agriculteurs n'aient pas le sentiment que leur exploitation est soumise à une multitude de contrôles sans suites et sans coordination.

Mme Boyer a rappelé la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, dont je ne conteste pas certains effets positifs. Le projet de loi qui vous est soumis s'adapte aux exigences d'aujourd'hui, qui ne sont pas exactement les mêmes qu'à l'époque, compte tenu de la réforme de la PAC et des questions liées à l'OMC. Nous avons veillé à ce qu'il soit cohérent avec la loi relative au développement des territoires ruraux. Il existe une complémentarité entre l'économie agricole et les enjeux du développement rural. Ce projet doit donner confiance aux agriculteurs, qui ont un rôle de producteurs de biens agricoles, mais également de biens non alimentaires.

Je confirme à M. Vasselle, qui a une connaissance tant professionnelle que politique de ce sujet, que nous avons cherché à utiliser toutes les marges de manoeuvre disponibles dans les cadres communautaires et internationaux. Il faut être positif. Nous pouvons agir en de nombreux domaines. J'ai bien noté vos remarques sur la TFNB, sur le FIPSA, sur l'équilibre du PLFSS, dont vous êtes le rapporteur. Nous aurons des débats sur le financement du FIPSA lors de l'examen du PLFSS ou lors de l'examen du projet de loi de finances, à tout le moins avant la fin de cette année calendaire.

J'ai souhaité saisir l'occasion de ce projet de loi pour définir, à travers le bail cessible, un nouvel équilibre entre bailleur et preneur. Je me réjouis du caractère très constructif de la concertation que nous avons menée avec l'ensemble des parties. Nous avons réussi à trouver un équilibre qui ne lèse aucune d'entre elles. Nous nous situons dans un scénario « gagnant-gagnant », que nous pourrons toujours améliorer au moment de la discussion des articles.

M. Raoult a parlé de la compétitivité de l'agriculture, de sa dépendance à l'égard des marchés mondiaux et de la solidité de nos industries agroalimentaires. Il est vrai que la garantie des prix est une nécessité de bon sens : des prix plus élevés aux plans européen et international sont préférables aux aides. C'est la raison pour laquelle nous nous battons, au sein de l'OMC, afin que la spécificité des produits agricoles soit reconnue et, au niveau national, pour que l'organisation économique et celle des interprofessions soient améliorées. Nous souhaitons aider les agriculteurs à préserver les prix et à les augmenter en amont. C'est le meilleur service que nous puissions leur rendre.

M. Gaillard, comme toujours, a évoqué la forêt, qu'il connaît bien en tant que président de la Fédération nationale des communes forestières, la FNCOFOR. La forêt couvre 30 % de notre territoire et sa surface croît dans tous les départements. C'est une importante filière, qui représente 450 000 emplois. Elle fera prochainement l'objet d'un comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires.

Nous avons retenu la possibilité de mieux mobiliser nos ressources forestières par l'utilisation du bois en tant que matière première énergétique et par la valorisation, au moyen des mécanismes de marché, du carbone stocké par la forêt. Il nous faut maintenant réussir à mettre en oeuvre cette mesure. Vous avez proposé de nous faire profiter de votre connaissance remarquable de la forêt. J'y souscris volontiers. Nous pourrons installer un groupe de travail pour travailler sur les dispositions prévues à l'article 11 du présent projet.

M. Desessard a parlé des biocarburants. Il est vrai que cette question ne concerne pas uniquement l'agriculture. La production de biocarburants nécessite l'utilisation à grande échelle de terres agricoles, ce qui est toujours préférable à leur mise en jachère - M. Beaumont a évoqué ce point tout à l'heure. Avec les biocarburants, les exploitants trouveront de nouveaux débouchés. S'agissant des huiles végétales pures, l'article 12 du projet de loi d'orientation apporte un changement : ce qui était jusqu'à présent interdit est désormais autorisé dans un cadre expérimental, cette autorisation ayant naturellement vocation à être pérennisée. Les exploitants pouvant utiliser une énergie dont ils sont producteurs, leurs charges s'en trouveront certainement diminuées.

M. Murat a évoqué la question foncière. La loi relative au développement des territoires ruraux a donné lieu à de longs débats sur les relations entre l'agriculture et l'utilisation de l'espace rural. Un certain nombre de dispositions ont été prises concernant les services au public en milieu rural.

Nous avons essayé d'améliorer le volet foncier en nous inspirant du rapport Boisson. A cette fin, nous avons introduit plusieurs mesures afin de mieux prendre en compte les intérêts agricoles dans les procédures liées à l'urbanisme. Vous connaissez tous le phénomène de la périurbanisation : le développement des lotissements communaux a naturellement pour conséquence d'empiéter sur l'espace agricole. En même temps, nous ne voulons plus de grands ensembles. Là réside la difficulté. Il nous faut trouver le moyen de mieux organiser la « cohabitation » entre les communes et les agriculteurs.

M. Lise a parlé de l'agriculture ultramarine. Il est vrai que seul le titre V contient quelques mesures spécifiques en sa faveur. Cependant, les autres dispositions prévues dans le présent projet s'appliquent aussi à l'outre-mer, qu'il s'agisse de l'organisation économique, des biocarburants, du traitement des produits phytosanitaires, du foncier ou de l'emploi. Ce sont autant de mesures en faveur de l'ensemble des exploitations françaises, qu'elles soient métropolitaines ou ultramarines.

Il serait effectivement intéressant que soit présenté, un jour, un projet de loi spécifique à l'agriculture et à la pêche ultramarines - cette idée a été lancée à l'Assemblée nationale par plusieurs de vos collègues ultramarins - ou qu'un texte, qui serait préparé par François Baroin, contienne un volet agricole. Nous en parlerons avec lui, mais je suis très ouvert aux propositions des parlementaires ultramarins pour bâtir en commun un tel texte.

Je remercie M. Revet d'avoir évoqué de nombreuses perspectives d'avenir. L'enjeu consiste à permettre à notre secteur agricole et alimentaire de rester innovant et performant, de conserver sa place sur le marché mondial, d'être un facteur de cohésion nationale. Un autre enjeu, tout aussi noble, est de consolider le revenu des agriculteurs en favorisant de nombreux débouchés, en stabilisant les prix, en renforçant les systèmes d'assurance. C'est dans ces conditions que nous attirerons des jeunes dans le métier.

J'ai bien noté, monsieur Revet, les questions plus précises et plus techniques que vous avez posées, en particulier sur le sucre et sur la filière de la betterave. Nous vous donnerons des réponses rapidement.

M. Lejeune nous a rappelé l'arithmétique la plus simple, à savoir l'addition des zéros. Vous avez été un peu dur, monsieur le sénateur. Sur la question des retraites, le Gouvernement et sa majorité n'ont pas de leçons à recevoir ! Un travail sérieux a été effectué, même si l'on peut toujours mieux faire.

M. Bailly a évoqué la loi du 28 décembre 1966 sur l'élevage. Le schéma de financement de cette réforme est désormais stabilisé. Dans les années qui viennent, les crédits de l'Etat consacrés à la génétique animale seront d'un niveau suffisant pour attendre la montée en puissance progressive de la réforme.

Je souhaite vous rassurer s'agissant du court terme. En effet, de nombreuses questions écrites me sont posées sur ce sujet, en particulier par les sénateurs. Il est vrai que les crédits de la génétique animale ont fait l'objet d'un gel assez significatif. Toutefois, une fraction de ces crédits sera dégelée avant la fin de l'année, permettant ainsi de satisfaire une partie des besoins. Je vous répondrai sur d'autres points plus techniques ultérieurement.

Je remercie Benoît Huré de son soutien sur les différents aspects du projet : enjeux économiques, traçabilité, chimie verte, simplification de procédures trop complexes. Vous avez mis l'accent, monsieur le sénateur, sur les orientations fortes de ce projet de loi. Nous ne ferons de ce texte une « grande loi pour l'avenir » qu'à la condition que, dans cet environnement international difficile, le Sénat nous aide à lui donner plus de cohérence et plus de contenu.

C'est également l'analyse que fait Mme Henneron de ce texte. Le projet donne les moyens de renforcer la compétitivité de notre agriculture, de nos entreprises agricoles - grâce au fonds agricole -, de constituer des unités pérennes et transmissibles, les formes sociétaires, plus sûres sur le plan économique, pour de meilleures conditions de vie et une organisation du travail plus rationnelle. Nous partageons ces objectifs.

Monsieur Fouché, vous avez parlé de l'installation des jeunes et des biocarburants. S'agissant du premier point, je sais que la collectivité que vous présidez est très active dans ce domaine.

Le concours des collectivités, quelle que soit leur couleur politique, est très utile pour renforcer les initiatives nationales et européennes et augmenter fortement les enveloppes. A l'occasion du sommet de l'élevage, j'ai constaté l'intervention de la région Auvergne et de plusieurs de ses départements en faveur des bâtiments d'élevage. Les efforts des collectivités seront payés de retour : elles tireront bénéfice des installations et des équipements nouveaux, qui favoriseront l'animation de leur territoire.

Vous avez évoqué les biocarburants. Nous travaillons afin que leur utilisation soit pleinement satisfaisante. Je sais que la région à laquelle vous appartenez est très intéressée par cette question.

M. Bizet nous a fait part de ses analyses, et je l'en remercie, sur l'importance des produits non alimentaires pour l'agriculture et sur le rôle de l'OMC. C'est un sujet qu'il connaît bien. Pour notre part, nous sommes déterminés à préserver la réforme de la PAC. Nous aurions peut-être dû nous y prendre autrement que par le passé, mais nous devons défendre le mieux possible la copie qui est celle de la France et de l'Europe.

M. Beaumont a évoqué de nombreux points, en particulier les enjeux économiques de l'agriculture. Il m'a interrogé sur les mesures fiscales : elles figureront dans le projet de loi de finances. L'Assemblée nationale a d'ores et déjà adopté des amendements destinés à accompagner le plan sur les carburants.

Je réponds par l'affirmative en ce qui concerne la jachère. Nous aurons certainement besoin de la quasi-totalité des jachères actuelles pour atteindre l'objectif de 5,75 % en 2008. Cela suppose de prendre rapidement un certain nombre de décisions.

Le plan annoncé par Jean-Pierre Raffarin prévoyait six nouvelles unités de fabrication de biocarburants, qu'il s'agisse d'usines neuves ou d'unités transformées. Avec le gain de deux ans apporté par Dominique de Villepin pour l'objectif 2008-2010, nous devrions bénéficier de deux unités de fabrication supplémentaires. Nous réfléchissons actuellement, avec l'ensemble des membres du Gouvernement, à leur bonne localisation sur le paysage français. Nous voulons les répartir de la façon la plus harmonieuse possible en fonction des productions locales et des exigences de l'aménagement du territoire.

Monsieur le président, je vous prie de m'excuser d'avoir été un peu long, mais je souhaitais répondre à chacun des orateurs. Je tiens à remercier les uns et les autres, en particulier les rapporteurs, de leur participation très constructive à ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Question préalable

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi d'orientation agricole
Art. additionnels avant le titre Ier (avant l'art. 1er) ou avant l'art. 1er

M. le président. Je suis saisi, par MM. Le Cam,  Billout et  Coquelle, Mmes Demessine,  Didier et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 576, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, d'orientation agricole (n° 26, 2005-2006).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Evelyne Didier, auteur de la motion.

Mme Evelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'énergie, c'est aujourd'hui le secteur agricole que le Gouvernement entend livrer aux effets dévastateurs de la déréglementation. Et il entend le faire selon les procédures que sont l'urgence et le recours aux ordonnances.

Ne nous y trompons pas : la procédure législative ne constitue pas une question de forme ; bien au contraire, elle est la garante de l'exercice des droits fondamentaux que détient le Parlement. Le caractère récurrent de ces deux procédures, ajouté à leur utilisation sur des textes fondamentaux pour l'avenir de notre pays, comme les lois d'orientation, constitue un véritable déni des prérogatives de notre assemblée et de l'opposition.

Encore une fois, le débat parlementaire est tronqué et le recours aux ordonnances permettra que des dispositions essentielles de la réglementation agricole soient définies en dehors du Parlement.

Cela s'ajoute au fait que ce projet de loi d'orientation agricole s'inscrit directement dans le processus de soumission de notre agriculture aux objectifs ultra-libéraux de l'OMC et ne constitue qu'une adaptation à la réglementation issue de la réforme de la politique agricole commune de 2003.

Vous le savez, monsieur le ministre, l'objectif consiste à tirer vers le bas les prix à la production, à déconnecter le coût du produit agricole de celui du travail des agriculteurs, et à développer une agriculture dans laquelle les petites et moyennes exploitations n'ont plus leur place. Ainsi, c'est tout un équilibre, souvent fragile, qui risque d'être déstabilisé par les politiques menées à l'échelon national et international.

Pour mémoire, rappelons qu'à ses débuts, en 1962, la PAC avait pour objectif d'assurer l'autosuffisance alimentaire en Europe tout en maintenant un revenu convenable aux agriculteurs.

En 1992, un premier infléchissement a été apporté à cette politique au motif qu'il fallait corriger les excédents, maîtriser les dépenses et prendre en considération les atteintes à l'environnement. Sont instaurées alors les primes aux jachères et sont mises en place des aides directes aux revenus en compensation de la baisse du soutien au prix.

Ainsi, l'Europe abandonne toute politique de soutien des prix pour une politique de soutien des revenus. Le processus de la baisse des prix mondiaux de l'agriculture est ainsi encouragé. Dès 1999, sont instaurées de nouvelles aides dites de « développement rural ». Puis, le découplage entre les aides et la production est érigé en principe en 2003.

Ce bref rappel historique montre bien comment les agriculteurs, face à des prix qui ne sont plus rémunérateurs, ont dû, pour survivre, se soumettre à la loi du marché, celle de l'industrie agroalimentaire, des centrales d'achat et de la grande distribution. L'Europe remet aujourd'hui en cause la garantie des revenus à travers la diminution du montant des aides compensatoires versées aux agriculteurs.

Par ailleurs, l'absurdité de cette politique de découplage est renforcée par son application nationale. En effet, la valeur des droits à paiement unique sera fonction, en France, des aides versées pendant la période de référence 2000-2002. Le Gouvernement favorise ainsi les plus grosses exploitations, les 20 % qui touchent 80 % des aides. (M. .Alain Vasselle s'exclame.)

Cette concurrence organisée à l'échelon national est également renforcée à l'échelon international par la politique de l'OMC.

Le 28 octobre dernier, la Commission européenne a rendue publique une offre de réduction des droits de douanes sur les produits agricoles, de 35 % à 60 %, dans le cadre des négociations commerciales internationales. Cette décision risque de placer les paysans européens dans une situation de concurrence insoutenable face à des pays qui s'exonèrent des contraintes sociales et environnementales.

Ainsi, la suppression de toutes les protections tarifaires se poursuit, laissant la place à l'instauration de prix mondiaux uniques des denrées agricoles, les plus bas possibles, bien entendu.

L'agriculture devient un domaine où coexistent ceux qui, ayant investi des capitaux, souhaitent obtenir une rémunération, et les salariés.

Les politiques agricoles déterminées au sein de l'OMC et de l'Union européenne visent la suppression de toute aide pour insérer de plus en plus l'agriculture dans les rouages du capitalisme mondialisé. Et le projet de loi d'orientation agricole organise la mise en oeuvre de cette politique ultralibérale.

Le projet de loi va relancer la sélection par l'argent et la course aux hectares des grandes exploitations au détriment de l'installation des jeunes.

A titre d'exemple, la création d'un fonds agricole ne peut que favoriser une financiarisation de l'agriculture, notamment au regard de la question de l'intégration dans ce fonds des droits à prime. La cessibilité du bail est largement incompatible avec la dimension collective du contrôle des structures. Le foncier étant intégré au fonds agricole, l'accès au foncier sera le privilège du plus offrant.

Pour lutter contre le pouvoir écrasant de la grande distribution, vous proposez, par exemple, de mieux organiser l'offre par le regroupement des organisations de producteurs en entités à forme commerciale. Mais ces mesures restent largement insuffisantes tant que rien ne sera fait pour que les prix agricoles soient rémunérateurs pour l'ensemble des agriculteurs.

Enfin, le projet de loi d'orientation agricole va pousser au rendement, alors qu'il faudrait privilégier une agriculture durable en limitant l'utilisation des biocides ainsi que la consommation d'eau. Le Gouvernement n'engage pas de réflexion sérieuse en matière d'environnement. La préoccupation environnementale est d'abord un affichage de bonnes intentions, alors que la politique du Gouvernement - cela ne trompe personne ! - reste marquée par une approche consumériste de notre patrimoine environnemental, préférant la réparation à la prévention.

De plus, l'intérêt pour un certain nombre de produits issus de l'agriculture est guidé, avant toute chose, par le besoin de diversification des débouchés des productions agricoles.

Pour conclure, je souhaite rappeler que l'agriculture remplit de multiples fonctions : production de denrées, structuration de l'économie rurale, protection de l'environnement, valorisation des patrimoines et des savoir-faire. Mais sa première mission vitale est de nourrir les hommes. La nourriture joue un rôle unique dans la culture et la sécurité des populations. Elle constitue bien plus qu'un produit qui se vend et s'achète ; elle satisfait divers besoins humains culturels, psychologiques et sociaux. On ne peut donc pas la traiter comme les autres biens de consommation.

Il importe de créer une exception agricole dont la première expression pourrait être une loi d'orientation agricole garante pour tous de la qualité et de la sécurité des aliments, de la diversité des productions, de la juste rémunération des agriculteurs et de la pérennité des savoir-faire agricoles.

Parce que votre projet de loi d'orientation agricole s'oppose à cette conception de l'agriculture, parce qu'il est l'instrument de la déréglementation du secteur agricole organisée à l'échelon tant mondial que communautaire, parce que sa mise en oeuvre aura des conséquences dramatiques et irréversibles pour notre agriculture, pour les agriculteurs et pour nos concitoyens, nous avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Gérard César, rapporteur. Je ne peux souscrire à l'idée que sous-tend cette motion : le projet de loi d'orientation ne répondrait pas aux besoins des agriculteurs. Au contraire, ce texte donne aux agriculteurs les atouts nécessaires pour répondre aux opportunités qui s'offriront à eux.

Les auteurs de la motion évoquent également les difficultés sociales. Or le projet de loi d'orientation comportera un volet social très important qui fera date, j'en suis convaincu, pour le monde agricole.

Je ne reviendrai ni sur les éléments que nous avons abordés lors de la discussion générale ni sur ceux que j'ai exposés dans mon rapport écrit, mais vous comprendrez aisément que la commission des affaires économiques émette un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique Bussereau, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 576, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 5 :

Nombre de votants 323
Nombre de suffrages exprimés 323
Majorité absolue des suffrages exprimés 162
Pour l'adoption 120
Contre 203

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

TITRE IER

PROMOUVOIR UNE DÉMARCHE D'ENTREPRISE AU SERVICE DE L'EMPLOI ET DES CONDITIONS DE VIE DES AGRICULTEURS

CHAPITRE IER

Faire évoluer l'exploitation agricole vers l'entreprise agricole