compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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Dossier législatif : projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté
Discussion générale (suite)

Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté
Article 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté. [Nos 471(2006-2007), 26].

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Tout d'abord, je remercierai ceux qui sont présents aujourd'hui dans cet hémicycle compte tenu des difficultés de circulation dues à la grève dans les transports.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter en seconde lecture le projet de loi relatif à l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Vous l'avez examiné lors de la session extraordinaire qui nous a réunis cet été. L'Assemblée nationale l'a adopté à son tour en première lecture le 25 septembre dernier. Vous le constatez, nous n'avons pas perdu de temps.

Pour le Parlement, comme pour le Gouvernement, l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté a valeur de symbole. Ce projet de loi répond à une grande attente.

Sept années ont passé depuis les initiatives parlementaires sur le contrôle des conditions de vie en prison. Vos rapports et votre proposition de loi de 2001 ont contribué à une réelle prise de conscience. La réflexion s'est enrichie, l'idée a mûri.

Aujourd'hui, l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté est portée par une volonté politique forte.

Nous le savons tous, la question des droits de l'homme n'est ni de droite, ni de gauche ; elle est universelle. Elle s'inscrit au coeur de nos engagements internationaux.

En adoptant ce projet de loi, vous allez permettre à la France de se conformer aux nouvelles règles pénitentiaires formulées par le Conseil de l'Europe.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est la meilleure !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Vous allez permettre à notre pays de mettre en oeuvre un contrôle indépendant des lieux de privation de liberté avant la ratification du protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Si cette grande idée a pu devenir un projet de loi, si le contrôleur général des lieux de privation de liberté va bientôt devenir une réalité, c'est aussi grâce à la volonté du Gouvernement de donner une orientation claire à la politique pénale dans notre pays.

Nous voulons affronter le défi de la délinquance. Nous nous donnons les moyens de lutter contre la récidive. C'est cette même démarche qui nous conduit à poser un regard franc sur nos lieux de privation de liberté.

La légitimité de la politique pénale du Gouvernement, qu'approuve une majorité de Français, repose sur une exigence impérieuse : le strict respect de la personne humaine dans les lieux de détention.

En ce sens, le projet de loi qui nous réunit aujourd'hui annonce le futur projet de loi pénitentiaire qui sera présenté dans les prochaines semaines.

Ce projet de loi dépasse, vous le savez, les frontières du monde carcéral. Le contrôleur, dans l'exercice de ses missions, sera conduit à visiter tous les lieux d'enfermement, y compris les secteurs psychiatriques des hôpitaux. Les hommes et les femmes privés de liberté, s'ils n'ont pas tous la même histoire, gardent pourtant les mêmes droits fondamentaux. La République se doit de les respecter.

Je veux sans plus attendre adresser mes remerciements sincères à la commission des lois, tout particulièrement à son président, M. Jean-Jacques Hyest, qui est aussi le rapporteur de ce projet de loi. Il m'a accompagnée en Grande-Bretagne, afin d'y rencontrer Mme Ann Owers, inspectrice en chef des prisons britanniques. Depuis longtemps sensible à la question des droits de l'homme dans les lieux d'enfermement, il a été un rapporteur exigeant, pugnace et clairvoyant.

Je tiens aussi à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre forte implication dans l'élaboration de ce projet de loi. Le programme de la session extraordinaire était dense.

La première lecture de ce projet de loi devant la Haute Assemblée a donné lieu à des débats dont je tiens à souligner la grande richesse.

La qualité de votre travail et de votre réflexion se mesure aux vingt-six amendements que vous avez apportés au texte initial. Vos contributions, auxquelles sont venus s'ajouter vingt-sept amendements de l'Assemblée nationale, en ont conforté les dispositions novatrices. Elles les ont enrichies, complétées, clarifiées.

Grâce à vous, le contrôle général des lieux de privation de liberté a pris une nouvelle dimension : le contrôleur général disposera de plus d'indépendance, ses pouvoirs seront élargis, sa mission gagnera en cohérence. Je vais développer ces trois points successivement.

L'indépendance du contrôleur général est renforcée, car vous avez prévu que ses fonctions « sont incompatibles avec tout autre emploi public, toute activité professionnelle et tout mandat électif ».

Dans le même esprit, et conformément aux dispositions du protocole facultatif des Nations unies, vous avez également garanti au contrôleur général des lieux de privation de liberté une immunité pénale.

Ces deux dispositions le mettent ainsi à l'abri des pressions qui pourraient s'exercer sur lui.

Vous avez étendu cette exigence d'indépendance aux contrôleurs qui le seconderont dans ses missions.

Ces hommes et ces femmes ne recevront leurs instructions que du contrôleur général. Grâce à eux, il pourra s'appuyer sur une grande variété de talents et de compétences.

Enfin, vous avez souhaité donner au contrôleur général une garantie politique d'indépendance, en le faisant nommer « par décret du Président de la République, après avis de la commission compétente de chaque assemblée ».

L'Assemblée nationale a approuvé ce dispositif, en reprenant dans ses amendements les termes du protocole facultatif : le contrôleur sera désigné « en raison de ses compétences et connaissances professionnelles ».

L'homme ou la femme qui exercera la fonction de contrôleur général devra être ainsi une personnalité incontestée.

Je me réjouis de votre volonté de renforcer l'indépendance du contrôleur général. Comme je vous l'ai dit lors de la première lecture, cette indépendance est pour moi la clef du succès de sa mission.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté aura de plus grands pouvoirs : le travail parlementaire a permis des avancées importantes sur les modalités de son action.

Ainsi, vous avez souhaité lui donner la possibilité d'effectuer des visites inopinées.

Je sais que ce choix ne représente pas, pour vous, une motion de défiance à l'égard des personnels en charge des lieux d'enfermement. Vous avez conscience, comme moi, de la difficulté de leurs missions et du dévouement avec lequel ils s'en acquittent.

Permettez-moi ici de leur rendre une nouvelle fois hommage, et de les assurer que, loin d'avoir à redouter les interventions du contrôleur général, ils ont au contraire tout à y gagner.

Ces visites inopinées renforcent la transparence du contrôle. Cette capacité à entrer où il le veut, et quand il le veut, donnera tout leur poids aux recommandations du contrôleur général.

Les autorités responsables du lieu de privation de liberté devront justifier le motif qui les contraint de reporter la venue du contrôleur général. L'Assemblée nationale a ajouté que ces motifs devraient être « graves et impérieux ».

Le contrôleur général aura aussi la possibilité d'obtenir les informations qui lui seront nécessaires. Les autorités responsables des lieux qu'il aura visités devront répondre à ses observations. Il ne se verra opposer aucun verrou. Ses observations seront entendues et comprises.

L'Assemblée nationale a renforcé ces dispositions en attribuant au contrôleur général un pouvoir d'urgence. Ce dernier pourra fixer le délai dans lequel l'autorité compétente devra répondre à ses observations. Ce pouvoir d'urgence garantit le suivi et l'efficacité des recommandations du contrôleur général. Son regard sur les lieux de privation de liberté sera actif. Il aura le pouvoir de changer la condition des personnes privées de liberté.

Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez renforcé la cohérence de la mission du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Sa saisine est désormais expressément élargie au médiateur de la République, au défenseur des enfants, au président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, au président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE.

En mentionnant explicitement ces institutions, vous renforcez les possibilités de contrôle, vous encouragez l'indispensable coopération entre toutes les institutions chargées de veiller au respect des droits des personnes privées de liberté.

Je veux insister sur ce point. Le contrôleur général pourra, à son tour, saisir directement le médiateur ou la CNDS. Il ne se substituera pas aux institutions qui exercent déjà un droit de visite ou de contrôle dans les lieux de privation de liberté.

En articulant efficacement son action avec ces institutions, il donnera une plus grande visibilité à leur cause commune. Il prêtera sa voix et son autorité à leurs recommandations.

Nous n'avons pas cherché, par ce projet de loi, à superposer les contrôles. Nous avons cherché à en démultiplier l'efficacité.

À côté des autorités indépendantes s'est posée la question de l'avenir de la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d'attente, la CRAZA, qui a fait un travail remarquable et qui n'aura pas vocation à perdurer lorsque le contrôleur général aura repris ses attributions.

Vous avez également souligné la nature des missions du contrôleur général en inscrivant ses crédits au programme « coordination du travail gouvernemental ».

Cette disposition met en lumière le caractère interministériel de l'effort qui devra lui être consacré. Comme vous le savez, le contrôleur général devra visiter près de 6 000 lieux de privation de liberté, dont 219 seulement relèvent du ministère de la justice.

Je ne doute pas que tous les ministères concernés lui apporteront le concours qui lui sera nécessaire.

Enfin, vous avez ajouté que le contrôleur général aurait à coopérer avec les organismes internationaux compétents. Il développera ses liens avec, notamment, le sous-comité de la prévention institué par l'ONU dans le cadre du protocole facultatif.

Votre initiative vient rappeler que la lutte pour le respect des droits de l'homme est une lutte collective et qu'elle nous engage tous.

Le texte qui vous est soumis permet d'assurer tous ceux qui sont responsables des lieux de privation de liberté, ainsi que tout citoyen français, de la volonté active du Gouvernement de veiller au respect des droits fondamentaux dans les lieux de privation de liberté.

Vos débats ont été l'occasion de soulever bien des questions liées aux droits et à la condition des personnes privées de liberté. Nous les aborderons plus avant lors de la discussion du projet de loi pénitentiaire.

D'ores et déjà, l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté marque une grande avancée. Ainsi, la France se montrera digne de son histoire et de ses valeurs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, ce projet de loi doit beaucoup à votre initiative. Vous avez compris l'esprit de transparence, d'efficacité et de détermination dans lequel il a été préparé.

Les travaux parlementaires l'ont considérablement enrichi, grâce aux cinquante-trois amendements adoptés par les deux assemblées.

Je vous propose de l'approuver aujourd'hui, afin que le contrôleur général des lieux de privation de liberté puisse devenir une réalité dès 2008. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Madame le garde des sceaux, vous venez d'exposer de façon très complète l'évolution de ce texte sous ses différents aspects, depuis son dépôt jusqu'à son examen aujourd'hui par le Sénat en deuxième lecture.

Nous espérons que ce projet de loi aboutira rapidement à la nomination d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté, que le Sénat, comme vous l'avez vous-même rappelé, appelle de ses voeux depuis 2001. Je tiens en cet instant à rendre un hommage particulier à M. Canivet, alors premier président de la Cour de cassation, pour son excellent rapport, dont les conclusions nous ont amenés à déposer, puis à voter à l'unanimité une proposition de loi instituant un contrôleur général, dont les compétences, c'est vrai, se limitaient à l'époque aux prisons.

Bien entendu, la nécessité de se conformer au protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture imposait d'ouvrir ce contrôle général à tous les lieux privatifs de liberté. C'est la raison pour laquelle, en première lecture, nous avons également étendu ce contrôle aux établissements psychiatriques privés.

Le Sénat a voté le projet de loi à la fin de la première session extraordinaire, le 31 juillet dernier. L'Assemblée nationale l'a examiné et adopté à l'automne, le 25 septembre dernier, lors de la deuxième session extraordinaire.

Vous l'avez souligné, madame le garde des sceaux, le texte a été profondément enrichi par les deux assemblées.

En première lecture, la Haute Assemblée a voté vingt-six amendements, dont plusieurs sur l'initiative de l'opposition, qui visaient quatre objectifs : mieux garantir les conditions de nomination du contrôleur général, renforcer l'indépendance de cette nouvelle autorité, étendre ses prérogatives et, enfin, favoriser une articulation efficace avec les autres instances chargées de veiller au respect des droits des personnes.

Dans un avis rendu le 20 septembre 2007, la Commission nationale consultative des droits de l'homme « constate que les amendements apportés par le Sénat ont grandement amélioré celui-ci ». Mes chers collègues, venant d'une telle institution, cette remarque nous rend d'autant plus heureux !

Les députés ont approuvé l'ensemble de ces modifications et ont adopté vingt-sept autres amendements, dont treize à caractère rédactionnel, principalement sur l'initiative de M. Philippe Goujon, rapporteur de la commission des lois. Cela ne nous étonne pas de lui, puisqu'il siégeait à la commission des lois du Sénat jusqu'à son élection à l'Assemblée nationale. J'oserais dire qu'il a été bien formé ! (Sourires sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ces amendements complètent et confortent les orientations défendues par le Sénat sur un certain nombre de points.

Le premier porte sur les conditions de désignation du contrôleur général.

Madame le garde des sceaux, vous l'avez rappelé, ce dernier est nommé par décret du Président de la République, et non par un décret simple, afin de consacrer l'importance de la mission dévolue à cette autorité. La consultation prévue des assemblées a donné lieu à un débat, dans la mesure où la commission des lois de l'Assemblée nationale souhaitait que le contrôleur général soit désigné « dans les conditions prévues par la Constitution ». Soit, mais, pour l'instant, la Constitution ne prévoit rien en la matière ! (Mme le garde des sceaux sourit.) Si elle avait été adoptée, cette disposition aurait donc reporté obligatoirement la nomination du contrôleur général à des temps plus lointains.

Finalement, le texte prévoit l'avis préalable de la commission compétente de l'Assemblée nationale et du Sénat. Bien évidemment, nous attendons les conclusions du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, dit « comité Balladur ».

S'il devait y avoir une révision de la Constitution sur ce sujet de la consultation du Parlement, il sera toujours temps, dans une loi organique qui suivra la révision, de préciser toutes les institutions dont les membres seront nommés « dans les conditions prévues par la Constitution ». Cela étant, la rédaction actuelle du projet de loi permettra de nommer dès à présent le contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Le deuxième point porte sur l'indépendance du contrôleur général.

En première lecture, nous avons souhaité mettre en oeuvre plusieurs des préconisations contenues dans le rapport de l'office parlementaire d'évaluation de la législation sur les autorités administratives indépendantes présenté en 2006 par notre collègue Patrice Gélard.

L'Assemblée nationale a tenu à préciser que les contrôleurs chargés d'assister le contrôleur général seraient placés sous l'autorité exclusive de celui-ci dans « l'exercice de leurs missions ». Il s'agit, me semble-t-il, d'une sage décision, puisque cela permettra de nommer des contrôleurs ayant une autre activité et n'exerçant pas forcément à temps plein et, donc, d'enrichir le « vivier » de recrutement. Il existe d'ailleurs déjà dans l'administration des cas où un certain nombre d'experts désignés n'exercent pas à temps plein. Ainsi, il sera possible de faire appel à un plus grand nombre de personnalités, notamment celles qui ont des compétences pluridisciplinaires. Chacun le sait, compte tenu de la diversité des lieux à contrôler, il ne peut pas y avoir qu'un seul profil de contrôleur.

Le troisième point concerne le renforcement des prérogatives du contrôleur général.

En première lecture, nous avons renforcé les suites données au droit de visite sur trois aspects : les observations adressées par le contrôleur général au ministre intéressé porteraient non seulement sur l'état du lieu visité, mais aussi sur les conditions de détention des personnes privées de liberté ; l'autorité responsable du lieu d'enfermement aurait l'obligation de répondre au contrôleur général lorsque celui-ci l'a expressément demandé ; le contrôleur général serait tenu de dénoncer, d'une part, au procureur de la République, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale, les infractions constatées et, d'autre part, à l'autorité administrative, les fautes disciplinaires parvenues à sa connaissance.

Les députés sont allés dans le même sens. Sur le droit de visite, ils ont même, à mon sens, amélioré encore davantage la rédaction. Pour certains cas, que nous avons conservés et qui me paraissent tout de même justifiés, les motifs opposés à la visite du contrôleur général devraient présenter un caractère non seulement « grave », mais aussi, ont-ils ajouté, « impérieux ». Ils ont rendu obligatoire la motivation de cette opposition. Ils ont, en outre, précisé que les autorités responsables des lieux de privation de liberté devaient informer le contrôleur général dès que les circonstances avancées à l'appui d'un refus de visite avaient cessé.

Quant aux suites données aux visites, les députés ont proposé une procédure d'urgence, permettant au contrôleur général de fixer un délai dans lequel l'autorité compétente devait lui répondre et de rendre public le contenu de ses observations et des réponses. Une telle précision est également importante, car les nouvelles garanties ainsi apportées permettront d'accroître l'efficacité du contrôle général.

Le quatrième et dernier point porte sur la coordination avec les autres instances chargées de veiller au respect des libertés.

Les députés ont enrichi le texte, puisqu'ils ont autorisé la saisine directe du Médiateur de la République par le contrôleur général. Il faut le rappeler, madame le garde des sceaux, le Médiateur de la République se rend déjà dans les établissements pénitentiaires, ce qui est une très bonne chose, mais pour y remplir sa fonction habituelle : les détenus, comme tous les autres citoyens, sont en droit de faire appel à lui pour leurs démarches administratives, notamment auprès des organismes de sécurité sociale. Le Médiateur fait d'ailleurs remarquablement ce travail de grande importance.

De plus, nous nous sommes interrogés sur la pérennité de la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administratifs et des zones d'attente, laquelle pourra donc être supprimée dès que le contrôle général des lieux de privation de liberté sera institué. Je tiens tout de même à le rappeler, cette commission, même disposant de peu de moyens et ne bénéficiant pas du statut d'autorité administrative indépendante, a fait un travail remarquable, et il faut donc en féliciter son président, conseiller à la Cour de cassation, ainsi que l'ensemble de ses membres.

Comme en témoigne ce rappel des travaux parlementaires, l'adoption des amendements des deux assemblées permet de répondre à des préoccupations largement communes. M. Mermaz ne me démentira pas sur ce point, l'Assemblée nationale et le Sénat partagent depuis longtemps le même point de vue sur la nécessité d'instituer un contrôle indépendant, qui s'est donc dans un premier temps limité aux prisons.

La navette a permis de renforcer le statut et les pouvoirs du contrôleur général, lui donnant ainsi les moyens d'une action efficace et conforme aux fortes attentes soulevées par l'institution d'un contrôle indépendant.

Mes chers collègues, l'équilibre auquel le Sénat et l'Assemblée nationale sont ainsi parvenus au terme de la première lecture et l'absence de désaccord entre les deux assemblées conduit la commission des lois à vous proposer d'adopter le projet de loi sans modification.

Je le répète, le vote définitif du texte doit permettre la nomination rapide du contrôleur général. Je souhaite rappeler toute l'importance qui s'attache au choix de la personnalité appelée à exercer ces fonctions, pour asseoir le magistère moral de la nouvelle autorité. À cet égard, la participation, pour la première fois, des commissions des lois de chaque assemblée à la procédure de désignation constitue une forte garantie.

Le vote du texte doit être aussi une incitation pour le Gouvernement à ratifier rapidement le protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture, qui prévoit la mise en place d'un mécanisme national de prévention indépendant. Une telle ratification est très facile, il suffit de l'inscrire à l'ordre du jour ! (M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement sourit.) La France pourra ainsi se prévaloir d'avoir anticipé la mise en oeuvre de ses obligations internationales.

Enfin, le contrôle s'exercera sur quelque 5 700 lieux d'enfermement. Il paraît donc indispensable que la nouvelle institution dispose progressivement des moyens humains et financiers à la mesure de la mission qui lui a été assignée par le législateur, ce que nous pourrons d'ailleurs prochainement vérifier, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2008. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, tel qu'il nous revient après la première lecture à l'Assemblée nationale, n'est guère différent, comme on pouvait s'y attendre, de celui qui avait été voté par le Sénat.

Certes, M. le rapporteur vient de le rappeler, notre assemblée avait amendé le projet de loi sur quelques points.

Elle avait ainsi étendu, à juste titre, les visites du contrôleur général aux établissements de santé habilités à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement. Nous avions également reconnu au contrôleur général un pouvoir de saisine non seulement du procureur de la République, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale, mais aussi des autorités administratives, pour des faits pouvant entraîner des sanctions disciplinaires. Le Sénat avait également prévu que le contrôleur général coopère avec les organismes internationaux compétents. Il avait enfin adopté des dispositions allant dans le sens d'une certaine indépendance financière de l'institution.

L'Assemblée nationale a retenu ces modifications. Elle a apporté, entre autres, des améliorations à l'article 7 du projet de loi, en faisant obligation aux autorités compétentes saisies par le contrôleur général d'une violation grave des droits fondamentaux d'une personne privée de liberté de répondre à celui-ci et de faire cesser la violation dénoncée.

Toutefois, pour le reste, nous constatons que le texte est resté en l'état. Les préoccupations essentielles dont nous avions fait part devant le Sénat lors de la première lecture n'ont pas été prises en compte. C'est pourquoi nous défendrons ce matin plusieurs amendements, afin que chacun, ici, prenne ses responsabilités.

Nous persistons à penser que l'autorité et l'indépendance du contrôleur général ne seraient vraiment garanties que si la nomination de celui-ci par décret du Président de la République était précédée d'un avis de la commission compétente de l'Assemblée nationale et du Sénat pris à la majorité des trois cinquièmes de leurs membres.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n'est pas possible !

M. Louis Mermaz. On parle de tous côtés d'accroître le rôle du Parlement, mais qu'attendent les parlementaires de la majorité actuelle pour exercer, comme nous, sans plus attendre, les pouvoirs qui sont les nôtres ? À qui la faute si le Parlement est réduit au rôle de chambre d'enregistrement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. À la gauche !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n'est pas nouveau !

M. Louis Mermaz. Si ce n'est pas nouveau, monsieur le rapporteur, c'est une raison supplémentaire pour changer la situation !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. C'est bien ce que nous avons l'intention de faire !

M. Louis Mermaz. Les autres articles apportent un soin vétilleux à encadrer, voire à entraver la nouvelle institution avant même qu'elle existe, puisqu'il faut bien la créer pour avoir l'air de répondre à l'exigence internationale du protocole à la convention des Nations unies du 18 décembre 2002.

Mais, dans son article 6, article central, le projet de loi répond-il vraiment à nos engagements internationaux, alors même qu'il enserre l'action du contrôleur général dans un filet d'interdits ?

Lors de la première lecture au Sénat, vous vous êtes méprise, madame le garde des sceaux, dans l'interprétation que vous avez donnée du protocole à la convention des Nations unies, comme l'a fait savoir, à l'ouverture de la séance suivante, notre collègue Jean-Pierre Sueur dans un rappel au règlement. Vous avez invoqué à tort les dispositions concernant les mécanismes internationaux de contrôle qui permettent à un État, au nom du principe de souveraineté, de « faire objection à une visite » ou bien d'y apporter des restrictions, à titre exceptionnel d'ailleurs, et sous réserve d'une possibilité de report. Vous avez cru justifier ainsi les restrictions indûment apportées par le deuxième alinéa de l'article 6 à l'exercice des prérogatives du futur contrôleur général sur le territoire de la République.

Invoquer la défense nationale, la sécurité publique, des catastrophes naturelles ou des troubles sérieux dans le lieu visité ouvre la voie à l'arbitraire dans le choix des motifs qui pourront être invoqués pour refuser ou reporter la visite. Or il ne revient pas aux autorités d'un lieu de privation de liberté de choisir le moment où s'exercera le contrôle. Cette prérogative doit revenir entièrement au contrôleur. Sinon, vous contrevenez aux clauses du protocole à la convention des Nations unies.

Tout aussi graves sont les restrictions de toute nature apportées par l'alinéa 4 de l'article 6 aux investigations du contrôleur général et des contrôleurs qui l'assistent, qui doivent avoir accès à toutes les informations nécessaires à l'accomplissement de leur mission, et ce d'autant plus qu'ils sont tenus au secret professionnel pour les informations qu'ils recueillent.

Enfin, il est essentiel qu'en cas d'atteinte flagrante et grave aux droits fondamentaux des personnes le contrôleur général puisse enjoindre aux autorités responsables de prendre toute mesure nécessaire au respect de ces droits.

Comment peut-on, à ce sujet, nous parler d'empiètement sur la justice, comme s'il ne s'agissait pas de faire prendre dans les plus brefs délais des mesures de caractère administratif, afin de faire cesser les abus ou de mettre un terme à des carences sans exclure, en cas de faute grave, comme cela est prévu, la saisine du procureur de la République ? Refuser au contrôleur général tout pouvoir d'injonction, c'est en faire un témoin impuissant, au mieux un rédacteur de rapports qui iront trop souvent garnir les rayonnages des ministères.

On peut donc se poser la question suivante : le contrôleur général, tel que le conçoit le Gouvernement, est-il une institution dotée des prérogatives et des moyens lui permettant de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, ou bien n'est-ce qu'une sorte de placebo ?

Est-il un paravent pour masquer le déploiement, depuis 2002, d'un arsenal juridique de plus en plus répressif, rendu encore plus inhumain et cruel par la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs du 10 août 2007, dont le quotidien Le Monde nous a fait connaître les premières conséquences dans son numéro daté du 13 octobre dernier ?

Est-il un paravent pour masquer une politique pénale qui conduit à l'accroissement continu de la population carcérale et, trop souvent, à son dénuement ? Est-il un paravent pour masquer la situation faite aux immigrés retenus dans les zones d'attente et les centres de rétention ?

Face à une telle situation, on comprend pourquoi le Gouvernement entend limiter le plus possible le droit de regard et d'intervention du futur contrôleur général, même s'il s'entoure demain de toutes les précautions pour le choisir.

Le vote des amendements que nous allons défendre permettrait seul de lever les inquiétudes légitimes et lourdes que je viens d'exprimer au nom de mon groupe.

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. « Une justice plus humaine garantit le respect de la dignité des personnes détenues. Un contrôleur général des lieux de privation de liberté sera chargé de faire respecter les droits fondamentaux des personnes détenues. Un projet de loi pénitentiaire sera également présenté au mois de novembre. Il améliorera les conditions de prise en charge des détenus et les conditions de travail du personnel pénitentiaire ». Madame le garde des sceaux, tels sont les propos que vous avez tenus dans un article publié récemment dans un grand quotidien national.

Nous voulons tous croire que l'on tourne une page dans les prisons de notre République et que l'on met un point final à ce qui fut, pendant des décennies, une humiliation pour la patrie des droits de l'homme.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes confiant !

M. Jean-René Lecerf. Si, à la prison parfois « école de la récidive » pouvait succéder, demain, la prison « école de la réinsertion », c'est la société tout entière qui en tirerait profit, d'abord pour sa sécurité et celle de nos concitoyens les plus fragiles, ensuite pour la seconde chance qu'elle offrirait à ceux qui, après avoir payé leur dette, sauraient la saisir, et, enfin, pour les valeurs universelles dont nous sommes porteurs depuis plus de deux siècles et dont notre monde carcéral était quelquefois, mais c'est déjà beaucoup trop, la négation.

Je sais bien que seuls les trains qui n'arrivent pas à l'heure intéressent les médias, si je puis me permettre cette image quelque peu osée aujourd'hui. (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Pierre Fauchon. En effet !

M. Jean-René Lecerf. Mais il est aussi, dans le monde pénitentiaire, de remarquables succès.

Avec quelques collègues sénateurs, dont certains sont présents, nous visitions hier, à Fresnes, deux structures uniques en France : l'Établissement public de santé national et le Centre national d'observation. Je ne crois pas trahir leur sentiment en vous disant combien nous avons été impressionnés par la motivation exceptionnelle des médecins, des personnels pénitentiaires, des psychiatres, des psychologues et des travailleurs sociaux que nous avons rencontrés, par leur humanité envers les détenus, par le respect mutuel des personnels soignants et des personnels de surveillance.

M. Robert Badinter. Très bien !

M. Jean-René Lecerf. Mais, bien sûr, ne versons pas dans l'angélisme !

Cette atmosphère, cette culture, je ne les ai pas trouvées lors de tous mes déplacements dans nos établissements pénitentiaires. Mais, parfois, comme dans cette prison sans murs de Casabianda, en Corse, nous avons été attentifs à des détenus qui nous disaient que les barreaux étaient inutiles, car ceux-ci étaient dans leur tête, et nous avons pu constater combien le travail était un élément essentiel pour faire de la prison un temps utile, et non un temps mort.

M. Robert Badinter. Très bien !

M. Jean-René Lecerf. Je voulais simplement dire par là que la volonté de changer la prison n'était pas un rêve de naïf, mais qu'elle était une ardente obligation, unanimement partagée et rendue possible par les progrès considérables, trop souvent passés sous silence, accomplis ces dernières années, tant dans les mentalités des uns et des autres que dans la qualité du personnel de l'administration pénitentiaire.

En adoptant aujourd'hui, sans doute de manière définitive, le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous franchissons une nouvelle étape. Je me réjouis que le Sénat et l'Assemblée nationale aient travaillé dans le même état d'esprit et uni leurs efforts pour améliorer le texte qui leur était proposé, les députés approuvant et confortant les modifications apportées par les sénateurs. Comment s'en étonner, si l'on se remémore l'étroit parallélisme des bilans de l'état de nos prisons que les deux assemblées avaient dressé en 2000, dans leurs commissions d'enquêtes respectives ?

Sans doute, des avancées restaient encore possibles. J'aurais préféré, par exemple, que l'avis de la commission des lois de chacune des deux assemblées, préalable à la nomination du contrôleur général par décret du Président de la République, soit exprimé à une majorité qualifiée suffisamment compréhensive pour englober l'opposition. Je fais confiance aux présidents des deux commissions des lois pour rechercher ce consensus et je souhaite l'entrée en vigueur rapide de cette réforme.

Notre rapporteur, Jean-Jacques Hyest, a raison de rappeler toute l'importance qui s'attache au choix de la personnalité appelée à exercer ces fonctions, afin d'asseoir le magistère moral de la nouvelle autorité. Cette association nouvelle du Parlement et du chef de l'État, que Nicolas Sarkozy souhaite développer pour la nomination aux plus hautes responsabilités, apportera un souffle nouveau à notre République et fera partie, je l'espère, des aspects essentiels de la réforme constitutionnelle à venir. Elle contribuera aussi à montrer qu'au-delà des différences de sensibilité naturelles, légitimes, voire nécessaires dans une démocratie, il existe aussi des passerelles et des points de convergence entre les uns et les autres.

La confiance exprimée par la représentation nationale, dans sa globalité, envers celles et ceux qui seront amenés à exercer d'éminentes responsabilités confortera encore leurs chances de réussite et les protégera des turbulences liées aux alternances politiques.

Madame le garde des sceaux, vous le savez mieux que quiconque, la réforme de nos prisons n'est pas une réforme comme les autres. Elle ne doit pas opposer majorité et opposition, mais les réunir étroitement, car elle puise ses fondements dans le souci absolu de la dignité humaine.

Les débats qui s'organiseront autour de la prochaine loi pénitentiaire sont lourds de sens : traduction dans notre droit positif des règles pénitentiaires européennes, prise en compte des mesures et sanctions pénales tant en milieu fermé qu'en milieu ouvert, développement des alternatives à l'incarcération, respect du droit, bafoué depuis plus de cent trente ans, quant à l'encellulement individuel, nouvelle appréhension, beaucoup plus ambitieuse, de la formation professionnelle et du travail des détenus, attention renouvelée portée à la maladie mentale en prison et à son traitement, meilleure reconnaissance de la qualité du travail si complexe des personnels de l'administration pénitentiaire. Voilà quelques thèmes importants, même s'ils ne sont pas exhaustifs.

Alors que certains commentateurs redoutent que la grande loi pénitentiaire attendue ne se transforme en catalogue de voeux pieux, sans prise sur la réalité carcérale au quotidien - on peut les comprendre quand on sait qu'il y a urgence en ce domaine depuis deux cents ans ! -, nous comptons sur vous, madame le garde des sceaux, pour que nos espérances unanimes ne soient pas déçues. Vous savez que vous pouvez compter sur notre concours, certes vigilant et exigeant, mais déterminé et sans partage.

Dans cette attente et puisqu'à chaque jour suffit sa peine, même s'il n'est pas inutile de remettre les réformes en perspective, c'est avec enthousiasme que le groupe de l'UMP adoptera ce projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)