Mme Catherine Troendle. L’article L. 552-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que l’étranger est maintenu à disposition de la justice pendant le temps strictement nécessaire à la tenue de l’audience et au prononcé de l’ordonnance.

Afin de sécuriser plus clairement encore la situation de l’étranger pendant ce délai, le présent amendement tend à préciser que les conditions du maintien à disposition de la justice sont fixées par le procureur de la République.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agit d’une précision importante : la commission émet un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Richert, ministre. Même avis !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 91.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 38, modifié.

(L'article 38 est adopté.)

Article 38
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité
Article 40

Article 39

Après l’article L. 552-2 du même code, il est inséré un article L. 552-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 552-2-1. – Une irrégularité formelle n’entraîne la mainlevée de la mesure de placement en rétention que si elle présente un caractère substantiel et a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger. »

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 71 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, M. Baylet, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.

L'amendement n° 193 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

L'amendement n° 410 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 71 rectifié.

M. Jacques Mézard. L’article 39 prévoit qu’« une irrégularité formelle n’entraîne la mainlevée de la mesure de placement en rétention que si elle présente un caractère substantiel et a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger ».

Comme l'article 10, il vise donc à limiter les cas dans lesquels le juge pourrait sanctionner les irrégularités formelles qu'il constate par la remise en liberté de la personne maintenue en rétention, en introduisant une hiérarchie entre les irrégularités formelles suivant qu'elles porteraient ou non atteinte aux droits des étrangers.

Concrètement, cela signifie que l'étranger devra justifier devant le juge de cette « atteinte aux droits », notion éminemment subjective, pour pouvoir obtenir l'annulation de la procédure.

De plus, une telle disposition engendrera très certainement un contentieux portant sur la définition de ce qui est « substantiel » et de ce qui ne l’est pas.

Il s’agit d’une matière qui doit être analysée comme un domaine pénal. Or, selon la jurisprudence constante de nos juridictions, en matière pénale les nullités doivent toujours être examinées de la manière la plus stricte possible.

En somme, cela traduit, encore une fois, un manque de confiance envers les magistrats, qu’il s’agit en outre de pousser à ne pas tenir compte d’un certain nombre de causes de nullité. Existe-t-il, dans une procédure qui aboutit à une privation de liberté, des nullités qui n’entraînent pas de préjudice pour la personne qui en est victime ?

M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, pour présenter l'amendement n° 193.

Mme Marie-Agnès Labarre. Cet article vise à limiter les cas dans lesquels le juge pourrait sanctionner les irrégularités qu’il constate par la mise en liberté de la personne maintenue en rétention ou en zone d’attente, en introduisant une hiérarchie entre les irrégularités selon qu’elles porteraient ou non atteinte aux droits des étrangers.

Concrètement, cela signifie que l’étranger devra justifier devant le juge de cette « atteinte aux droits », notion éminemment subjective, pour pouvoir obtenir l’annulation de la procédure.

Or les nullités susceptibles d’être invoquées par un étranger sont d’ordre public et doivent être considérées comme portant grief intrinsèquement.

En ce sens, la série d’arrêts rendus par la Cour de cassation le 31 janvier 2006 rappelant à l’ordre la cour d’appel de Paris illustre l’inanité d’une telle disposition.

La CNCDH, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans son avis rendu sur le présent projet de loi, souligne par ailleurs que « s’agissant d’un contrôle de la régularité d’une procédure ayant mené à une privation de liberté, […] cette procédure touchant aux droits les plus fondamentaux, le vice de procédure doit s’analyser in concreto […]. De plus, la définition du caractère substantiel des vices de procédure ne manquerait pas de susciter un abondant contentieux et serait une source supplémentaire d’insécurité juridique. »

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour présenter l’amendement n° 410.

M. Roland Courteau. L’article 39 institue la règle selon laquelle il n’y aurait pas de nullité sans grief en matière de prolongation de la rétention par le juge des libertés et de la détention. Ce « tri » des nullités limite, selon nous, les cas dans lesquels le juge pourra sanctionner les irrégularités qu’il constatera. Un tel dispositif donnerait satisfaction à l’administration, qui trouve trop tatillon le contrôle des juges.

Cette nouvelle hiérarchie des causes de nullité de la procédure, établie en fonction de leur gravité supposée et de leur incidence sur les droits des étrangers, tend à faire oublier que les nullités susceptibles d’être invoquées causent toujours un grief. En effet, la nature même de la procédure induit un risque d’atteinte aux libertés individuelles.

De plus, l’ajout de l’exigence du caractère substantiel de l’irrégularité pourrait avoir pour effet de rendre les droits de l’étranger théoriques ou illusoires.

Bref, la notion d’atteinte aux droits est éminemment subjective. Il suffira au juge ayant constaté l’irrégularité d’alléguer qu’il n’est pas démontré que celle-ci ait porté atteinte aux droits de la personne retenue pour qu’il puisse décider de prolonger la rétention.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’article 39 écarte les moyens de nullité formels lorsqu’ils ne portent pas atteinte aux droits de l’étranger.

L’adoption de l’amendement n° 500, que je présenterai dans quelques instants au nom de la commission, permettra d’équilibrer ce dispositif.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur les trois amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Richert, ministre. L’article 39 se bornant à intégrer dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation, il n’est pas de nature à susciter un contentieux. Bien au contraire, il aura pour effet d’homogénéiser la jurisprudence des juges du fond, qui se caractérise aujourd’hui par des divergences en la matière.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les trois amendements identiques.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 71 rectifié, 193 et 410.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L'amendement n° 500, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Supprimer les mots :

présente un caractère substantiel et

La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement est identique à l’amendement n° 495 de la commission, adopté à l’article 10, relatif aux zones d’attente.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Richert, ministre. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 500.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 39, modifié.

(L'article 39 est adopté.)

Article 39
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Article 40 bis (Texte non modifié par la commission)

Article 40

(Supprimé)

M. le président. L’article 40 a été supprimé par la commission.

Article 40
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Article 41 (début)

Article 40 bis 

(Non modifié)

À la seconde phrase de l’article L. 552-6 du même code, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « six ».

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 72 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.

L'amendement n° 195 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

L'amendement n° 412 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 72 rectifié.

M. Jacques Mézard. L’article 40 bis tend à faire passer le délai pendant lequel le parquet peut demander que soit prononcé le caractère suspensif de la décision de remise en liberté de quatre à six heures. Rien ne justifie, selon nous, un tel allongement.

L’actuel délai de quatre heures pose déjà une série de problèmes pratiques, en particulier pour les avocats, qui sont obligés de réagir dans l’urgence, à des heures tardives lorsque la demande d’effet suspensif intervient à la suite d’audiences tenues l’après-midi.

Je rappelle que ce délai de quatre heures est calqué sur celui du référé-détention, prévu à l’article 148-1-1 du code de procédure pénale.

Ce parallélisme des procédures doit s’appliquer jusqu’au bout, puisque dans le cas d’espèce la situation de l’étranger n’est pas objectivement différente de celle de la personne placée en détention provisoire.

Cet allongement du délai engendrera des contraintes supplémentaires pour les forces de l’ordre chargées de l’escorte de l’étranger, qui seront obligées de patienter deux heures de plus dans l’attente d’un hypothétique appel. Par conséquent, si vous voulez être cohérent jusqu’au bout avec la révision générale des politiques publiques, n’allongez pas ce délai, car une telle mesure, que rien ne justifie juridiquement, créerait des dépenses supplémentaires liées à la mobilisation des escortes deux heures de plus.

En réalité, vous ne cessez d’allonger la procédure afin de réduire les droits des personnes concernées.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 195.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Conformément à la tendance à l’allongement généralisé de la durée de privation de liberté, aux termes de l’article 40 bis, l’étranger devra rester à la disposition de la justice pendant non plus quatre heures, mais six heures.

Aujourd’hui, lorsqu’un étranger est libéré ou assigné par le juge, la préfecture ou le parquet peuvent faire appel de la décision. Pour obtenir que ce recours, qui n’est pas suspensif par nature, soit déclaré comme tel, le parquet doit le demander au premier président de la cour d’appel, et ce dans un délai de quatre heures.

La disposition proposée tend à accorder plus de temps au parquet pour contester les décisions de remise en liberté ou d’assignation prononcées par le juge des libertés et de la détention, au détriment encore une fois de l’exercice du droit au recours. Elle va à l’encontre du principe du contradictoire et alourdira en outre les procédures, ainsi que le travail des avocats et des escortes.

Pour ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 40 bis.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l'amendement n° 412.

M. Richard Yung. Pourquoi ce délai de six heures ? Il semble calqué sur celui du référé-détention en matière pénale, mais les deux procédures n’ont rien à voir…

L’allongement proposé peut être dommageable. Ainsi, imaginez un avocat saisi au dernier moment, en fin d’après-midi, après avoir attendu pendant six heures : il ne pourra pas former de recours contre la déclaration du caractère suspensif de l’appel du parquet. Le principe du contradictoire ne sera pas respecté, c’est pourquoi nous sommes opposés à cet article.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’actuel délai de quatre heures laissé au parquet pour demander la déclaration du caractère suspensif de l’appel ne paraît pas suffisant pour permettre au ministère public d’accomplir les diligences nécessaires : en effet, la demande du parquet doit être motivée. Or, celui-ci étant rarement présent aux audiences devant le juge des libertés et de la détention, il doit, avant de faire appel, obtenir communication du dossier, en prendre connaissance et rédiger la motivation de sa demande.

C’est pourquoi, comme pour les zones d’attente, l’article 44 prévoit, en matière de rétention, de porter à six heures le délai permettant de demander la déclaration du caractère suspensif de l’appel. Par coordination avec cette disposition, le présent article prévoit logiquement que l’étranger soit maintenu à la disposition de la justice pendant six heures, et non plus quatre heures.

La commission émet donc un avis défavorable sur les trois amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Richert, ministre. Le Gouvernement, suivant le même raisonnement, est également défavorable à ces amendements.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 72 rectifié, 195 et 412.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 40 bis.

(L'article 40 bis est adopté.)

Article 40 bis (Texte non modifié par la commission)
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Article 41 (interruption de la discussion)

Article 41

L’article L. 552-7 du même code est ainsi rédigé :

« Art. L. 552-7. – Quand un délai de vingt jours s’est écoulé depuis l’expiration du délai de quarante-huit heures mentionné à l’article L. 552-1 et en cas d’urgence absolue ou de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, ou lorsque l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l’intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l’obstruction volontaire faite à son éloignement, le juge des libertés et de la détention est à nouveau saisi.

« Le juge peut également être saisi lorsque, malgré les diligences de l’administration, la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé ou de l’absence de moyens de transport, et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que l’une ou l’autre de ces circonstances doit intervenir à bref délai. Il peut également être saisi aux mêmes fins lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement, malgré les diligences de l’administration, pour pouvoir procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai de vingt jours mentionné au premier alinéa.

« Le juge statue par ordonnance dans les conditions prévues aux articles L. 552-1 et L. 552-2. S’il ordonne la prolongation de la rétention, l’ordonnance de prolongation court à compter de l’expiration du délai de vingt jours mentionné au premier alinéa et pour une nouvelle période d’une durée maximale de vingt jours.

« Par dérogation aux dispositions de l’alinéa précédent, si l’étranger a été condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal ou si une mesure d’expulsion a été prononcée à son encontre pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées, le juge de la liberté et de la détention près le tribunal de grande instance de Paris peut, dès lors qu’il existe une perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement et qu’aucune décision d’assignation à résidence ne permettrait un contrôle suffisant de cet étranger, ordonner la prolongation de la rétention pour une durée d’un mois qui peut être renouvelée. La durée maximale de la rétention ne doit pas excéder six mois. Toutefois, lorsque, malgré les diligences de l’administration, l’éloignement ne peut être exécuté en raison, soit du manque de coopération de l’étranger, soit des retards subis pour obtenir du consulat dont il relève les documents de voyage nécessaires, la durée maximale de la rétention est prolongée de douze mois supplémentaires.

« L’article L. 552-6 est applicable. »

M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.

M. Louis Mermaz. L’article 41 vise à porter à quarante-cinq jours, au lieu de trente-deux aujourd’hui, la durée maximale de rétention administrative et à mettre en place un régime dérogatoire de rétention administrative pouvant durer jusqu’à dix-huit mois pour les étrangers sous le coup d’une mesure d’interdiction pénale du territoire national ou d’expulsion en raison d’activités terroristes.

Après une première période de rétention de cinq jours, l’administration pourra demander une prolongation de vingt jours, contre quinze jours actuellement. Ensuite, une nouvelle prolongation de vingt jours pourra être requise si la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée sans que ce défaut d’exécution soit imputable à un manque de diligence de l’administration.

Le Gouvernement a avancé plusieurs explications pour justifier cette mesure : transposition de la directive Retour, amélioration de l’efficacité de la procédure d’éloignement, lenteur de la délivrance des laissez-passer consulaires, absence éventuelle de moyen de transport pour reconduire l’étranger à la frontière…

Cette disposition nous semble abusive et infondée.

Elle est abusive, puisque, par définition, la rétention administrative est une privation de liberté la plus courte possible, ne visant qu’à tenter d’organiser l’éloignement de l’étranger.

Cette disposition est infondée, car elle ne résulte aucunement de la nécessité de transposer la directive Retour, laquelle se borne à fixer une durée de rétention maximale.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Six mois !

M. Louis Mermaz. Cette directive détermine un plafond, mais n’oblige nullement les États membres à le retenir dans leur législation.

La mesure proposée va encore accroître les souffrances, les tensions, les gestes de désespoir des personnes retenues, parfois accompagnées d’enfants, dont les associations, la presse et les élus qui se sont rendus dans des centres de rétention ont pu malheureusement témoigner.

La commission des lois du Sénat a adopté un amendement déposé par le Gouvernement sur le présent projet de loi. Si ce texte était définitivement voté par le Sénat, il permettrait de détenir certains étrangers plus de dix-huit mois en centre de rétention administrative. Certes, sont visées des personnes auteurs de faits graves, mais ce n’est pas une raison pour instituer une sorte de Guantanamo à la française.

Serait en effet créée une nouvelle forme de rétention administrative pour des personnes soupçonnées d’activités terroristes que le Gouvernement souhaite expulser. Pourraient également être concernés d’anciens ressortissants français dénaturalisés, qui, après avoir purgé une peine de prison, ont fait l’objet d’une interdiction de séjour en France ou d’un arrêté d’expulsion qui n’a jamais pu être exécuté parce que cela serait contraire aux articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, ces personnes risquant la peine de mort ou de mauvais traitements en cas de renvoi dans leur pays d’origine. D’ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme a demandé à diverses reprises à notre pays de ne pas les expulser. Une condamnation de la France est même intervenue à ce titre, les précautions nécessaires n’ayant pas été prises.

La loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous avez voté contre !

M. Louis Mermaz. … permet pourtant de placer sous bracelet électronique et d’assigner à résidence certains étrangers ayant été condamnés pour des faits graves touchant au terrorisme, mais non expulsables.

Cette nouvelle rétention administrative servirait dans les cas où, aux termes du projet de loi, il y aurait toutes raisons de croire que l’exécution de la mesure d’expulsion ou d’assignation à résidence ne permettrait pas un contrôle et une supervision suffisants de la personne.

Il n’est pas acceptable que l’on puisse détenir dans les mêmes lieux des personnes soupçonnées d’actes terroristes et des personnes qui sont simplement en attente de départ. Une telle confusion est dangereuse pour les personnes sous le coup d’une mesure d’expulsion. Il importe donc de ne pas créer des situations de ce genre.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 73 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, M. Baylet, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.

L'amendement n° 196 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

L'amendement n° 413 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 73 rectifié.

M. Jacques Mézard. L’article 41, dont nous demandons la suppression, porte de quinze à vingt jours la durée de la première prolongation de la rétention et à vingt jours la durée maximale de la seconde prolongation, soit un allongement de la durée totale de rétention de trente-deux à quarante-cinq jours.

Or, M. le ministre de l’intérieur nous a longuement expliqué, durant la discussion générale, que cette mesure laissait la France en dessous de la moyenne européenne et faisait pratiquement de notre pays un exemple à suivre en la matière. Ces explications ne nous ont guère convaincus.

En effet, cet article conduit à une banalisation de la privation de liberté. Il institue, de fait, la rétention en « mode de gestion » de la politique d’immigration, pour reprendre les termes de l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Cette logique contrevient à l’esprit de la directive Retour, qui vise, au contraire, à faire de la privation de liberté l’ultime recours, au bénéfice de mesures alternatives à l’enfermement. Or, nous avons pu constater, au fil de la discussion des articles, que ces mesures alternatives sont pour ainsi dire marginalisées dans ce texte, y compris l’assignation à résidence, dont les modalités ne sont pas satisfaisantes. De surcroît, la directive impose que la rétention soit aussi brève que possible.

On ne peut, en conséquence, que s’étonner de cet allongement totalement disproportionné à l’objectif visé, a fortiori quand le rapport de la commission précise que la durée moyenne de rétention est actuellement de dix jours et qu’elle ne devrait pas augmenter avec l’application du dispositif de l’article 41. À quoi sert-il, dans ces conditions, puisque, selon la CIMADE, seules 3 000 personnes ont fait l’objet en 2009 d’une rétention au-delà du vingt-huitième jour ? Quel est l’objectif ? Comment expliquer cette modification au regard des chiffres figurant dans le rapport ?

J’ajouterai que la systématisation de l’enfermement engendre un coût important pour nos finances publiques. En 2007, la Cour des comptes relevait, dans son rapport public, que « la relance de la politique d’éloignement du territoire des étrangers en situation irrégulière, partie intégrante d’une politique globale d’immigration a été engagée avant même que l’adaptation nécessaire des capacités des centres de rétention ne soit assurée. […] Le doublement du nombre de reconduites à la frontière a été obtenu au prix d’un accroissement important des moyens mobilisés pour le fonctionnement des centres, mais aussi dans les préfectures et dans les services de police et de gendarmerie, sans que l’ensemble des dysfonctionnements existant en amont de la rétention ait été corrigé. Il conviendrait d’avoir une mesure plus précise de l’efficacité de l’action publique à chaque stade de la procédure. »

En mobilisant ainsi de nombreux fonctionnaires de la police, des préfectures et des tribunaux, l’allongement de la durée de rétention s’inscrit à contre-courant d’une politique générale de réduction des déficits publics, par ailleurs dévastatrice.

Vous n’appliquez pas les politiques que vous nous demandez de mettre en œuvre systématiquement dans nos collectivités. Nous avons là une nouvelle illustration du fait que – les chiffres le démontrent – ce projet de loi ne se justifie pas.

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 196.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet article porte le délai de rétention de trente-deux à quarante-cinq jours. La rétention administrative n’est pourtant qu’une mesure de privation de liberté pour le temps strictement nécessaire à l’éloignement de l’étranger, mais l’allongement proposé témoigne d’un changement de sa nature : elle devient une véritable mesure punitive.

Comme l’a dit mon collègue Jacques Mézard, l’examen des statistiques montre que la majorité des étrangers sont reconduits dans les dix premiers jours. Les chiffres ne permettent donc pas de justifier l’allongement du délai de rétention.

L’argument de la transposition de la directive Retour invoqué par le Gouvernement à maintes reprises est, lui aussi, peu crédible. En effet, la directive dispose que la rétention doit être le dernier recours possible en vue de garantir l’éloignement. En outre, elle n’impose aucunement aux États membres d’augmenter la durée de rétention.

Quant à l’argument relatif au temps nécessaire à l’obtention d’un certain nombre de laissez-passer consulaires, je ferai observer que, si ces documents sont certes nécessaires à l’expulsion de l’étranger, le Comité interministériel de contrôle de l’immigration nous apprend que, de janvier à septembre 2009, ils n’ont été délivrés en dehors des délais de rétention que dans 2,9 % des cas.

L’augmentation de la durée maximale de rétention est dangereuse et ne tient guère compte, d’ailleurs, de l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui s’inquiète, à juste titre, de la banalisation de la privation de liberté.

Dans ces conditions, cette mesure risque fort d’entraîner une multiplication des tensions, des violences et des actes de désespoir que l’on peut malheureusement déjà constater.

Cet article aura pour seul effet de porter atteinte aux droits fondamentaux des migrants. Il privilégie définitivement et de façon disproportionnée la détention des étrangers comme mode routinier de contrôle des personnes devant être éloignées du territoire et opère une confusion dangereuse entre rétention administrative et surveillance des personnes, ce qui ouvre la voie à des amalgames menant à la criminalisation des étrangers en situation irrégulière.