Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à renforcer les sanctions à l’égard des personnes qui ne dénoncent pas la préparation d’actes terroristes. Il semble en effet nécessaire que toutes les personnes ayant connaissance de la préparation de tels actes la dénoncent.

La commission émet donc un avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Nous avons déjà eu l’occasion de débattre sur ce point. Le Gouvernement partage votre conviction et votre souci d’aboutir à une écriture qui, comme on le dit dans le jargon, « tourne ». Cependant, je ne suis pas convaincu que la rédaction que vous proposez soit tout à fait aboutie.

Le Gouvernement émet donc un avis de sagesse sur cet amendement,…

M. Charles Revet. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. … en vous disant la disponibilité de mon cabinet pour que nous puissions d’ici à la prochaine étape lisser les dernières scories qui nous paraissent perdurer.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. J’aimerais savoir si cet amendement concerne aussi les parents qui ne dénoncent pas leur enfant ou les enfants qui ne dénoncent pas leurs parents.

Demander à un ascendant ou un descendant direct de dénoncer ses enfants ou ses parents pose un problème moral. Cet amendement se rapporte à un article du code pénal que je n’ai pas sous la main. Aussi, j’aimerais savoir s’il tient compte de cette problématique.

Bien que je sois partisan, dans de nombreux domaines, d’une répression très forte du terrorisme, notamment du terrorisme que l’on subit actuellement, je suis réservé sur cet amendement. En effet, je ne suis pas d’accord si l’on veut obliger les parents à dénoncer leur enfant ou les enfants à dénoncer leurs parents.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. L’alinéa que nous proposons d’insérer complète la rédaction actuelle de l’article 223–6 du code pénal, qui fait référence à « quiconque pouvant empêcher par son action immédiate » la commission d’un crime. L’amendement vise donc « quiconque ».

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 68 rectifié ter.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 4.

Article additionnel avant l’article 4
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Article 4 bis A (nouveau)

Article 4

Au premier alinéa de l’article 706–22–1 du code de procédure pénale, après la référence : « 706–16 », sont insérés les mots : « , à l’exception des délits prévus aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du code pénal pour lesquels n’a pas été exercée la compétence prévue à l’article 706-17 du présent code ».

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 117, présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Au premier alinéa de l’article 706-22-1 du code de procédure pénale, les mots : « pour une infraction entrant dans le champ d’application de l’article 706-16 » sont remplacés par les mots : « par le tribunal correctionnel, la cour d’assises, le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs de Paris en application de l’article 706-17 ».

La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. La commission donne une compétence quasi exclusive au juge de l’application des peines de Paris pour les personnes condamnées pour des actes de terrorisme par la juridiction parisienne.

Or il ne nous apparaît pas forcément nécessaire de procéder ainsi, d’autant qu’un certain nombre de condamnés pourront ensuite se retrouver dans des prisons situées en dehors de la région parisienne. Il n’y a donc pas de raison de donner une compétence exclusive au juge de l’application des peines près le tribunal de grande instance de Paris.

Mme la présidente. L'amendement n° 204, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Au premier alinéa de l’article 706–22–1 du code de procédure pénale, les mots : « pour une infraction entrant dans le champ d’application de l’article 706–16 » sont remplacés par les mots : « par le tribunal correctionnel, la cour d’assises, le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs de Paris statuant en application de l’article 706–17 ».

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’amendement du Gouvernement prévoit la compétence du juge de l’application des peines antiterroriste de Paris uniquement pour les infractions dans lesquelles les juridictions antiterroristes ont retenu leur compétence.

La rédaction proposée par la commission des lois du Sénat ne permet plus de remplir cet objectif puisqu’elle se borne à exclure de la compétence du juge de l’application des peines antiterroriste de Paris les personnes condamnées pour apologie du terrorisme. La commission introduit une rigidité, et, face au contentieux de masse, cette rédaction risque de conduire à une embolie.

C’est pourquoi le Gouvernement souhaite revenir à la rédaction antérieure.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. Ces deux amendements posent problème dans le suivi de l’exécution des peines.

Le juge de l’application des peines antiterroriste de Paris a des compétences larges. Il nous semble dommage de ne plus prévoir sa compétence exclusive pour des infractions qui ne relèveraient pas des juridictions parisiennes, tels les incidents en détention, car, dans de tels cas, le juge de l’application des peines de Paris dispose du dossier et a donc l’historique de la personne condamnée.

En revanche, le problème principal est celui de l’apologie du terrorisme, que nous visons spécifiquement dans la rédaction que nous proposons.

À cet égard, le juge de l’application des peines parisien doit être compétent uniquement pour les délits d’apologie jugés par les juridictions parisiennes, et pas pour ceux qui ont été jugés par les juridictions territorialement compétentes, puisqu’il y a compétence concurrente pour cette incrimination.

Même si cette question peut paraître complexe, la position prise par la commission est simple : en matière d’apologie du terrorisme, lorsqu’il y a concurrence de compétence entre la juridiction parisienne et les autres juridictions, le juge de l’application des peines parisien n’est compétent que lorsque la juridiction parisienne a prononcé le jugement. En cas de compétence de la juridiction parisienne, le juge de l’application des peines reste compétent, même si les faits incriminés ne concernent plus le terrorisme, tels que les incidents pendant la détention, par exemple, parce qu’il connaît le dossier de la personne et qu’il assure le suivi. Telle est la solution que la commission a retenue, et elle me semble logique.

C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur les deux amendements en discussion commune.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 117 ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 117.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 204.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

Article 4
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Articles additionnels après l'article 4 bis A

Article 4 bis A (nouveau)

Après le premier alinéa de l’article 421–5 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque l’acte de terrorisme défini à l’article 421-2-1 est commis à l’occasion ou est précédé d’un séjour à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes, les peines sont portées à quinze ans de réclusion criminelle et 225 000 € d’amende. »

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 143 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

L'amendement n° 205 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

L’amendement n° 143 n'est pas soutenu.

La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 205.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement s’oppose à la criminalisation de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste dans la mesure où cette évolution introduirait de graves distorsions dans l’échelle des délits et des peines.

En effet, l’article 4 bis A crée une circonstance aggravante criminelle pour l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, l’AMT, comme on a l’habitude de l’appeler, lorsque le fait de participer à un groupement terroriste est commis à l’occasion d’un séjour à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et précédant un tel séjour. Le crime serait alors puni de quinze ans de réclusion criminelle.

Le droit existant prend déjà en compte cette participation dans le cadre de la répression de l’AMT délictuelle de l’article 421–2–1 du code pénal.

En outre, le séjour sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes est un élément constitutif facultatif de l’entreprise individuelle terroriste prévue à l’article 421–2–6 du code précité, et il est puni de dix ans d’emprisonnement.

Par ailleurs, il existe déjà une AMT criminelle aux articles 421–5, deuxième et troisième alinéas, et 421–6 du code pénal pour les cas les plus graves, c'est-à-dire la direction ou l’organisation d’un groupe terroriste.

De fait, la criminalisation introduite par la commission des lois est contraire à la bonne administration de la justice au regard de la lourdeur de la procédure criminelle. Il convient de souligner que le procureur de Paris procède actuellement à la correctionnalisation de certains dossiers, compte tenu de l’impossibilité de juger en cour d’assises spéciale des centaines d’affaires ouvertes sur le fondement de l’association de malfaiteurs en lien avec le terrorisme.

Enfin, du point de vue des principes, la rédaction proposée introduit une réelle distorsion dans l’échelle des peines.

Tous ces éléments ont conduit le Gouvernement à défendre cet amendement de suppression de l’article 4 bis A.

Encore une fois, je comprends la philosophie qui sous-tend cet article – la volonté d’être plus dur ! – , mais cela conduira, dans la réalité, à l’impossibilité de procéder au jugement, comme on le constate aujourd'hui.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. M. le garde des sceaux vient fort élégamment de présenter un amendement de suppression de l’article 4 bis A qui crée une circonstance aggravante pour les associations de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste commise après un séjour sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes.

Je répondrai a contrario à l’un des faits cités.

Aujourd'hui, on le voit bien, il y a un écrasement des peines. De plus en plus souvent, les terroristes sont condamnés à une peine d’emprisonnement de dix ans parce que l’on ne veut pas criminaliser, pour les raisons que vous avez d’ailleurs exposées, monsieur le garde des sceaux : il est extrêmement difficile de réunir la cour d’assises spéciale de Paris et de la faire fonctionner. Je vous en donne volontiers acte, mais il faudra bien trouver une solution si le terrorisme se développe, comme c’est malheureusement le cas aujourd'hui.

Notre proposition est toute simple, nous en avons débattu longuement en commission. Nous nous sommes demandé si nous voulions aller vers une criminalisation totale des associations de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Mais nous avons compris que nous allions alors bloquer le système. (M. le garde des sceaux opine.) Nous avons donc choisi une voie intermédiaire, celle de créer une circonstance aggravante, qui permettra de porter la peine à quinze ans de réclusion criminelle si les magistrats le veulent. Nous n’avons donc pas criminalisé toutes les AMT ; seules quelques-unes le sont, notamment lorsqu’un terroriste revient d’un séjour sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes. Les derniers événements l’ont malheureusement montré, c’est en revenant de Syrie que les attentats ont été commis.

C'est la raison pour laquelle nous avons créé cette circonstance aggravante, tout en sachant que se pose actuellement un véritable problème, celui des moyens dont dispose le service public de la justice pour fonctionner. À cet égard, nous vous soutiendrons, monsieur le garde des sceaux, dans votre campagne pour accroître les moyens de la justice.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, je vois l’effort que vous faites pour ne pas rajouter de l’embolie à une situation qui est déjà tendue.

M. Michel Mercier, rapporteur. La paralysie !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je vois votre effort pour ne pas ajouter la paralysie à l’embolie.

Néanmoins, le fait de créer la circonstance aggravante, comme vous le proposez, présente, selon moi, deux risques. Vous faites courir un risque d’a contrario et, par voie de conséquence, d’ouvrir des débats jurisprudentiels d’une longueur infinie.

Je comprends bien votre intention – je peux même, par certains aspects, la partager –, mais, depuis que je suis aux responsabilités, je cherche à rendre la justice plus fluide et plus efficace au regard de la pénurie des moyens qui sont les siens pour le moment et de l’aggravation des charges qui pèse sur elle.

Vous l’avez très justement souligné, la lutte contre le terrorisme mobilise beaucoup plus d’énergie qu’il y a deux ou trois ans. Depuis le début de l’année, le ministre de l’intérieur rappelle régulièrement que le nombre d’interpellations, qui se traduisent par des incarcérations et conduiront, demain, à des procès, croît à une vitesse exponentielle. C’est rassurant pour ce qui concerne l’efficacité de nos services, mais c’est inquiétant s’agissant de la menace que nous combattons.

Si nous modifions l’échelle des peines sur ce point-là, nous faisons du symbole – j’entends bien la force du symbole, et je ne suis pas un ennemi des symboles ! –, mais, en termes d’administration de la justice, je vous le dis, cela va compliquer excessivement, sans bénéfice avéré, la situation, qui est déjà extrêmement tendue.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le garde des sceaux, je tiens à vous dire que la commission des lois ne veut en aucun cas mettre le Gouvernement, singulièrement vous-même, en difficulté avec cet amendement. Il me paraît important de vous expliquer pourquoi nous tenons néanmoins à l’article 4 bis A.

Nous y tenons parce que nous avons procédé – le rapporteur le premier ! – à de très nombreuses auditions. La commission des lois elle-même a auditionné de hauts responsables du parquet et a été très sensible à des faits qui lui ont été communiqués, parmi lesquels figure le fait que le délit d’association de malfaiteurs en vue de commettre un attentat terroriste – pardonnez-moi l’approximation de la formulation –, qui peut donner lieu à des peines d’un maximum de dix années, donne lieu en réalité à des condamnations qui, chaque fois que le délit est caractérisé, culminent presque toujours à dix ans. L’interprétation qu’il convient de faire de cette pratique de nos magistrats est que l’échelle des peines actuelle est en réalité mal faite : dix ans, ce n’est pas assez.

Les magistrats eux-mêmes, dont la préoccupation est à la fois de prononcer des peines correspondant réellement en proportionnalité à la gravité des actes commis et de protéger la société, demandent, à juste titre, me semble-t-il – la commission, tout comme le rapporteur, pense que cette demande est justifiée –, l’aggravation de ces peines.

Nous aurions pu tout simplement criminaliser intégralement le délit d’association de malfaiteurs en vue de commettre un attentat terroriste. Et, dans un souci de modération, nous avons finalement accepté de nous borner à la circonstance aggravante consistant à avoir commis ce délit en lien avec un séjour dans des lieux où s’entraînent les djihadistes. Nous nous en tenons là pour le moment, tout en ayant conscience que la situation mériterait davantage.

Nous sommes confrontés – ce n’est pas le premier amendement à propos duquel nous avons à nous poser la question – à un rapport complexe entre la loi et les moyens.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. C’est vrai !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tantôt nous prenons des dispositions législatives qui tiennent compte, en le tenant pour acquis, du manque de moyens – nous l’avons fait cet après-midi encore concernant d’autres amendements –, et tantôt, à l’instar de ce que nous faisons pour cet amendement, nous estimons qu’il est tellement important à nos yeux – je comprends que le débat puisse avoir lieu, et j’ai entendu votre position ! – de punir un certain nombre de délits au niveau souhaité par les magistrats que nous souhaitons faire progresser l’échelle des peines, en dépit du manque de moyens actuel de la justice.

Monsieur le garde des sceaux, le Sénat n’est pas sourd à vos préoccupations en termes de moyens. Et je l’ai bien vu, dès votre prise de fonctions, vous avez tenu à dire que l’alpha et l’oméga – même si vous l’avez dit en d’autres termes que moi ! – du service public de la justice aujourd'hui, ce sont les moyens. (M. le garde des sceaux opine.) Vous pouvez compter sur le Sénat dans votre combat pour accroître les moyens de la justice, car la cause est juste, noble et urgente. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Les promesses de soutien du Sénat sur le budget de la justice vous vont droit au cœur, monsieur le garde des sceaux, mais on sait ce qu’il en est des promesses…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Surtout vous !

M. Jacques Bigot. La réalité, demain, c’est un texte qui aggravera l’échelle des peines et sera inefficace.

Monsieur le rapporteur, vous avez été garde des sceaux, vous savez fort bien que les magistrats correctionnalisent le crime lorsqu’ils ne parviennent pas à réunir une cour d’assises ou que c’est trop compliqué. On se retrouve alors malheureusement avec une échelle des peines inférieure.

Or, dans le texte actuel, l’échelle des peines pour les délits visés est déjà importante : dix ans d’emprisonnement. C’est important pour un délit ! Le fait de vouloir transformer ce délit en crime pour aggraver la peine va poser le problème de la capacité de la cour d’assises spéciale de Paris, qui sera saisie de tous ces faits. Or, dans le même temps, vous avez rajouté hier dans le code pénal une disposition, le délit de retour d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes. Le ministre présent au banc du Gouvernement vous a fait remarquer que vous diminuiez le risque. Ce délit sera peut-être plus facile à constituer, mais il sera moins lourdement sanctionné.

Avec votre manière d’approcher les choses, on va à l’encontre de l’objectif que nous visons, qui est avant tout, je le rappelle, de lutter contre le terrorisme de manière efficace, en donnant à la police et à la justice les moyens de lutter et d’arrêter et, ensuite, de poursuivre et de sanctionner. Telle est la réalité !

Sur certains points, notamment à propos du juge de l’application des peines, vous dites que les dispositions que vous proposez sont plus simples et qu’il vaut mieux procéder ainsi. Monsieur le rapporteur, en raison de votre bilan personnel et de votre connaissance de la justice, vous devriez savoir que, pendant des années, la justice n’a pas toujours eu les moyens. On peut toujours espérer qu’elle en ait plus ! Elle en a d’ailleurs besoin dans tous les domaines, pas seulement dans celui du terrorisme, elle en a aussi besoin dans la justice du quotidien. La tâche est énorme ! Mais le rattrapage commence à se faire, notamment avec le recrutement massif de magistrats, alors que l’on a connu des périodes où l’on ne recrutait que quatre-vingts magistrats par an !

M. Alain Fouché. Il ne faut pas exagérer !

M. Jacques Bigot. Voilà la réalité du fonctionnement de la justice.

Pour ma part, je pense qu’il ne faut pas afficher ici des postures, alors que nous voulons lutter efficacement contre le terrorisme. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je ne soutiendrai pas, évidemment, l’amendement de suppression de l’article 4 bis A, mais je veux quand même remettre les choses dans leur contexte. De quoi parle-t-on ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Prenons un peu de hauteur… (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. Je n’oserai pas, monsieur le président ! (Nouveaux sourires.)

Voilà cependant un certain nombre de mois que nous sommes plusieurs à travailler sur ces questions. Il y a 9 915 jeunes gens en voie de radicalisation en France et ils sont plus de 1 700 sur les terrains d’opérations, en Syrie ou ailleurs. Le nombre de personnes qui vont revenir, probablement pas avec de bonnes intentions, ne va donc faire que croître.

J’imagine que, grâce à la télévision et à Public Sénat, ces gens, parmi lesquels il y a de nombreux francophones, écoutent nos débats. Sans doute se sont-ils dit lorsque nous tentions – Dieu merci, cela n’a pas fonctionné – d’étendre la déchéance de nationalité que nous le faisions pour leur faire peur et, aujourd'hui, ils doivent se dire que nous sommes encore dans le symbole parce que la France qui lutte contre les terroristes n’a pas les moyens de criminaliser un comportement terroriste.

Je crois donc qu’il faut conserver cet article et appliquer ses dispositions d’autant que, en matière de symbole, la criminalisation sera beaucoup plus efficace qu’une déchéance de nationalité !

M. Michel Mercier, rapporteur. Très bien !

Mme Nathalie Goulet. En ce qui concerne ensuite les moyens de la justice, il faudra bien qu’on se les donne. On a sacralisé la loi de programmation militaire ; il va bien falloir sacraliser aussi la justice, dont on a impérativement besoin.

Nous sommes de toute façon, à tort ou à raison, dans un cycle de répression et il va bien falloir se doter de mesures efficaces. Or, parmi les mesures efficaces et non symboliques, il y a celle que prévoit cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je veux remercier le président de la commission des lois du Sénat de sa disponibilité pour la discussion budgétaire à venir. Nous aurons besoin et toutes les bonnes volontés, et même au-delà.

Il n’en demeure pas moins que je vais tout à l’heure proposer un amendement pour revenir sur la collégialité de l’instruction, pour les mêmes raisons. On ne peut pas continuer à voter des textes que l’on ne peut pas appliquer et je crois de mon devoir de mettre en garde le Sénat, car je prends le pari, même si ce n’est peut-être pas le bon terme, contre le vote d’une disposition qui va se traduire par une complication du fonctionnement de la cour d’assises spéciale de Paris, qui est la seule juridiction compétente pour examiner ces cas.

Pour la bonne administration de la justice, je suis donc hostile à la démonstration. Je suis dans le cas d’espèce et je ne fais pas du symbole. Je le dis comme un garde des sceaux qui, au quotidien, voit les juridictions sinistrées. Celle-là fonctionne déjà difficilement : pour des raisons symboliques, vous allez la paralyser !

M. Jacques Bigot. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le garde des sceaux, ce sont vos derniers propos qui m’amènent à intervenir. Vous admettez que notre justice est sinistrée : il faut peut-être prendre des dispositions, éventuellement changer de politique économique et financière… (MM. Roger Karoutchi et Henri de Raincourt sourient.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 205.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4 bis A.

(L'article 4 bis A est adopté.)

Article 4 bis A (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale
Article 4 bis

Articles additionnels après l'article 4 bis A

Mme la présidente. L'amendement n° 57 rectifié, présenté par Mme N. Goulet, MM. Reichardt, Bonnecarrère, Bockel, Gabouty, J.P. Fournier et Gournac, Mmes Gatel, Férat et Gruny et M. Lefèvre, est ainsi libellé :

Après l’article 4 bis A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Au second alinéa de l’article 323-2, après le mot : « État », sont insérés les mots : « ou par un opérateur d’importance vitale au sens de l’article R. 1332-1 du code de la défense » ;

2° À l’article 323-4-1, après le mot : « État », sont insérés les mots : « ou par un opérateur d’importance vitale au sens de l’article R. 1332-1 du code de la défense ».

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. N’étant pas femme à renoncer (Sourires.), je continue à tenter de réinsérer dans le dispositif les propositions du rapport de notre commission d’enquête. Il s’agit cette fois de la proposition n° 80.

Le présent amendement a pour objet d’étendre la circonstance aggravante prévue pour les attaques contre les systèmes de traitement automatisé de données, les STAD, mis en œuvre par l’État à l’ensemble des STAD mis en œuvre par les opérateurs d’importance vitale, c'est-à-dire les organismes publics ou privés qui produisent ou distribuent des biens et des services essentiels à la population, à l’État ou à la sécurité de la Nation. Ils sont définis à l’article R. 1332–1 du code de la défense.

On le sait, la cybercriminalité ne cesse de croître et de renforcer ses attaques. Cette disposition semblait au rapporteur et à l’ensemble des membres de la commission d’enquête, qui ont voté son rapport à l’unanimité, une mesure parfaitement légitime et opportune.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Mercier, rapporteur. Comme vient de l’expliquer Mme Goulet, cet amendement a pour objet de créer une circonstance aggravante en cas d’attaques informatiques visant les systèmes de traitement automatisé de données non seulement de l’État, mais aussi ceux des opérateurs d’importance vitale. Parmi ces opérateurs, on dénombre nos réseaux d’électricité, de transport, les installations essentielles à la sécurité du pays.

Néanmoins, cet amendement pose un problème difficile à résoudre, comme le sait parfaitement Mme Goulet. Le droit pénal est en effet soumis au principe de la légalité criminelle. L’article VII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen impose au législateur de définir précisément les infractions pénales pour assurer la prévisibilité de la loi.

Or les opérateurs d’importance vitale sont désignés par l’autorité administrative et ne sont pas tous connus. On en dénombre plus de 200. S’il semble évident que la SNCF ou Orange sont des opérateurs d’importance vitale, il existe également quelques PME liées au secteur de l’énergie ou de l’alimentation de l’eau qui sont concernées.

Si l’individu ne sait pas qu’il attaque un opérateur d’importance vitale, il est inconstitutionnel de lui imposer une peine plus forte que celle qui est prévue pour une attaque de droit commun.

Une solution intermédiaire pourrait être la publication d’une liste réduite d’opérateurs d’importance vitale, pour lesquels la répression pourrait être accrue.

Je veux tout de même rassurer les auteurs de cet amendement : il existe d’ores et déjà en application de l’article 421–1 du code pénal une circonstance aggravante permettant d’augmenter les peines lorsque toute intrusion ou toute attaque contre un STAD a été effectuée dans l’intention de causer un trouble grave à l’ordre public.

De même, toute attaque dans un STAD qui aurait pour effet de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation est d’ores et déjà punie de quinze ans de détention criminelle et de 225 000 euros d’amende, en application des dispositions de l’article 411–9 du code pénal.

Ces observations m’amènent à demander à Mme Goulet de bien vouloir retirer son amendement.