Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.

M. Gaëtan Gorce. Je ne voudrais pas contrarier le bel enthousiasme qui vient de s’exprimer avec lyrisme. J’ai d’ailleurs cru comprendre que l’opposition de droite elle-même n’était pas tout à fait unanime sur la nature des réformes sociales à mettre en œuvre. Certains proposent une remise en question radicale du code du travail ; d’autres estiment que ce serait électoralement dangereux. Je les invite donc à un peu de patience : leurs divisions ne tarderont pas à apparaître.

Pour ce qui nous concerne, nous admettons le débat. C’est pourquoi nous nous exprimons, tous autant que nous sommes. Cependant, j’ai le sentiment, en écoutant certains de mes collègues, que leur vision des choses ne correspond pas exactement au texte présenté.

Il est évidemment légitime et nécessaire de déplorer le trop grand nombre de recrutements en CDD ou le fait que les emplois proposés aux jeunes soient trop souvent des emplois à temps partiel ou mal rémunérés ; mais je ne vois pas, dans le présent texte, ce qui va changer quoi que ce soit à la situation qui leur est faite. J’observe, au contraire, que le marché du travail fonctionne de telle manière que cette précarité et ces difficultés, qui se concentrent toujours sur les mêmes, demeureront une réalité. Les dispositions qui permettraient de les combattre ne se trouveront pas dans des accords d’entreprise, qui peuvent déjà être signés. L’enthousiasme des salariés devrait déjà sans doute s’exprimer dans la mesure où cette capacité à négocier leur est offerte…

Dans ce débat, on oublie de livrer certains éléments. Par exemple, il est question d’ouvrir la négociation beaucoup plus largement qu’autrefois. J’ai indiqué que le nombre d’accords d’entreprise restait stable : environ 35 000 par an. Combien d’entreprises de plus de dix salariés répondent à l’obligation d’avoir un délégué du personnel ?

M. Gaëtan Gorce. Combien d’entreprises disposent d’un délégué syndical ? Combien d’entreprises de plus de cinquante salariés sont dotées d’un comité d’entreprise ?

Une fois que nous connaîtrons ces données, nous pourrons discuter sur des bases sérieuses : nous disposerons en face de nous de la réalité du terrain social, qui n’est pas ce que l’on dit.

Oui, nous sommes pour la négociation d’entreprise ! Oui, nous sommes pour que les salariés s’investissent ! Mais encore faudrait-il leur en donner le pouvoir et les moyens.

Le rapporteur a établi une comparaison avec les lois Auroux. Les quatre lois Auroux avaient toutes pour objet de renforcer les pouvoirs d’intervention et de représentation des salariés, qu’il s’agisse du droit de retrait, du droit d’expression ou de la mise en place des comités d’hygiène et de sécurité. Tous ces dispositifs renforçaient la capacité des salariés non pas à s’exprimer individuellement et à négocier des accords ici ou là, mais à avoir une existence reconnue dans l’entreprise, y compris via leur syndicat.

Si c’est vers cela que vous souhaitez aller, sachez que nous défendrons des amendements en ce sens et que nous sommes même disposés à en déposer d’autres. Une telle entreprise, si nous pouvions l’inscrire dans la perspective qui était celle de Jean Auroux, correspondrait naturellement mieux à l’engagement qui est le nôtre. Je vous invite d’ailleurs à lui demander son avis sur le texte qui nous est présenté ; vous verrez qu’il n’y retrouve pas tout à fait ses petits. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je suis quand même un peu surpris par les propos qui sont tenus, surtout dans une logique de respect de la démocratie.

Tous ceux qui justifient ces amendements affirment que les pauvres syndicats sont trop faibles et qu’il faut se battre contre les syndicats « maison ». Mais ce serait comme si demain on interdisait à des sénateurs non inscrits de se présenter aux élections !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Exactement !

M. Henri de Raincourt. Quelle horreur ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Louis Masson. On a des syndicats qui ne représentent rien et qui s’en plaignent. Il faudrait donc trafiquer la loi pour faire plaisir à des syndicats complètement discrédités ?

Le problème de la CGT, c’est qu’elle représente ce que représente le parti communiste, c'est-à-dire rien du tout ! (Rires sur les travées du groupe CRC.) Voilà le vrai problème !

Quand on voit que la CGT, hier, s’est acoquinée avec des casseurs attaquant un hôpital pour enfants (Exclamations sur les travées du groupe CRC.),…

M. Jean-Pierre Bosino. Ce n’était pas la CGT !

M. Jean Louis Masson. … il ne faut pas s’étonner que les salariés n’en aient plus rien à faire.

Ce qui se passe aujourd'hui pour les syndicats du style de la CGT se produira très prochainement lors des élections pour le parti socialiste et pour le parti communiste ! (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)

Mme Cécile Cukierman. C’est le degré zéro de la politique !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Mieux vaut entendre ça que d’être sourd ! Prétendre que la CGT s’est acoquinée avec des casseurs pour s’attaquer à un hôpital pour enfants, c’est honteux ! (Plusieurs membres du groupe CRC renchérissent.)

M. Dominique Watrin. C’est scandaleux !

M. Daniel Laurent. Mais c’est vrai !

Mme Annie David. Cela mérite des excuses, monsieur Masson. (Marques d’approbation appuyées sur les travées du groupe CRC.) Vous n’étiez pas à cette manifestation. Nous si, et nous avons bien vu ces casseurs ! (Brouhaha sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Tout à fait, on les a vus défiler tranquillement encadrés et protégés par les CRS et la police !

Mme Annie David. Ce n’était pas des membres de la délégation des ouvriers, qui, eux, manifestaient de façon pacifique pour faire respecter leurs droits ! (Le brouhaha sur les travées du groupe CRC s’amplifie.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, un peu de calme ! Des jeunes assistent à nos débats depuis les tribunes.

Mme Éliane Assassi. Il ne fallait pas nous insulter !

Mme la présidente. Veuillez poursuivre, madame David. Vous seule avez la parole.

M. Jean Desessard. Les casseurs sont des non-inscrits ! (Sourires.)

Mme Annie David. Madame la ministre, vous avez évoqué le verrou des accords majoritaires. Vous oubliez de dire que, s’il n’y a pas d’accord, ce n’est pas le droit supplétif qui prévaudra, il y aura référendum. À partir du moment où le référendum aura donné raison au patron, même si les organisations majoritaires dans l’entreprise ne veulent pas signer l’accord, celui-ci sera validé. L’argument du verrou de l’accord majoritaire me paraît donc un peu faible.

Nous sommes favorables au fait qu’il y ait le plus possible d’accords au niveau des entreprises. Je l’ai déjà souligné, 40 000 accords sont signés par an. Ils sont généralement acceptés par l’ensemble des salariés. Cependant, ils s’appuient sur une loi qui prévoit un plancher en dessous duquel il n’est pas possible de descendre, excepté dans certains cas où il y a dérogation. Malheureusement, les dérogations sont de plus en plus nombreuses.

Avec ce texte, nul besoin de prévoir des dérogations : on pourra directement descendre en dessous du seuil prévu par la loi. C’est ce que nous contestons.

Notre collègue Gaëtan Gorce l’a rappelé : beaucoup d’entreprises n’ont pas de représentant du personnel. Vous me répondrez que des salariés seront mandatés, mais il ne s’agira pas forcément de salariés de l’entreprise.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Si !

Mme Nicole Bricq. Ils seront mandatés par le syndicat !

Mme Annie David. Votre argument selon lequel les accords seront négociés au plus près des salariés ne tient donc pas non plus.

Nous continuerons à vous montrer par des exemples concrets de salariés qui se battent dans leur entreprise pour maintenir leur emploi et l’activité économique que nos concitoyens sont attachés à leur emploi dans notre pays.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. La Haute Assemblée s’honorerait effectivement à écouter les arguments des uns et des autres. Pour ma part, je ne répondrai pas à M. Masson tant ses propos sont caricaturaux.

Il n’est pas bon de présenter les choses de manière unilatérale. Ne nous faites pas dire ce que nous ne disons pas ! À l’heure actuelle, il y a les accords d’entreprise, les accords de branche et la loi. Or il existe dans les entreprises un lien de subordination. Je crois que nous pouvons tous le reconnaître – et ce « nous » est véritablement inclusif. Ce lien objectif, reconnu dans la loi, doit être pris en compte afin que les plus fragiles aient des droits. Il importe que ces droits soient les mêmes pour tous sur l’ensemble du territoire.

Quand j’entends certains dire avec des trémolos dans la voix que cette nouvelle loi extraordinaire permettra à chaque ouvrier d’être acteur de son destin, je me dis que c’est du grand théâtre. Des possibilités d’expression pour les salariés existent déjà ! C’est un point positif, même si nous souhaitons renforcer davantage ce droit.

Cela étant, plusieurs de mes collègues l’ont souligné, un certain nombre d’entreprises n’ont pas de comité d’entreprise en raison de leur taille. J’y insiste, car je trouve que le débat d’hier a été assez court, notamment sur le sort réservé à un certain nombre d’entreprises et d’emplois. Je pense en particulier aux femmes qui travaillent dans le secteur de l’aide à la personne. Ces salariées n’ont pas la possibilité de signer des accords d’entreprise. Prévoir dans la loi une hiérarchie des normes avec un principe de faveur est donc important si l’on veut permettre à chacun d’être respecté et que tout le monde ait les mêmes droits.

Ce texte, madame la ministre, même si vous essayez de nous donner des garanties, ouvrira la porte à toutes les dérives et aggravera le sort des salariés, car vous mettez complètement sous le boisseau le fait qu’existe un lien de subordination. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. J’ai apprécié les propos de Gaëtan Gorce. Cela va me permettre de répondre à mon collègue d’Ille-et-Vilaine, qui affirme que cette loi va améliorer la lutte contre la précarité. Malgré l’élan lyrique de son intervention, il ne l’a pas démontré.

Dans la grande distribution, secteur dans lequel on enregistre beaucoup de précarité – les gens bossent à temps partiel, à des horaires non maîtrisés, etc. –,…

Mme Laurence Cohen. Pour beaucoup ce sont des femmes !

M. Jean Desessard. … la concurrence n’est pas internationale. Une grande surface à Rennes n’est pas en compétition avec une grande surface en Allemagne ou dans un autre pays. Elle est uniquement en compétition avec les grandes surfaces du même territoire.

La loi n’arrive déjà pas à régler la précarité dans le secteur de la grande distribution, comment l’accord d’entreprise parviendra-t-il à améliorer la situation des salariés ? Comment parviendra-t-on à améliorer leur sort en donnant plus de pouvoir à des entreprises qui sont en concurrence localement ? La direction de l’entreprise dira aux employés : attention, les autres à côté majorent les heures supplémentaires de 10 %, pourquoi nous vous donnerions davantage ?

Cher collègue d’Ille-et-Vilaine, je vous remercie de nous avoir fourni cet exemple : même la grande distribution utilisera la concurrence pour influer sur le montant de rémunération des heures supplémentaires !

Mme la présidente. La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour explication de vote.

Mme Hermeline Malherbe. Le débat est vif. On entend, de part et d’autre, que les syndicats de salariés ne seraient pas représentatifs de l’ensemble des salariés. On entend aussi que les syndicats du patronat ou les interprofessions ne seraient pas non plus représentatifs du patronat. Une fois ce constat fait, il serait important d’ambitionner davantage de dialogue social, avec tout le monde autour de la table.

Nous ne sommes pas des bisounours. Effectivement, certaines entreprises sont telles que vous les représentez ; vous ne les caricaturez pas. Mais il y en a d’autres qui sont citoyennes, notamment dans l’économie sociale et solidaire, l’ESS, et dans les sociétés coopératives d’intérêt collectif, les SCIC. Il faut donc trouver le moyen de travailler sur ce texte sans chercher à tout supprimer – ce serait dommage. Nous devons faire avancer les choses, car le constat n’est pas réjouissant. Il est nécessaire que nous nous y mettions tous pour faire progresser le cadre du travail.

Voilà pourquoi, au bout du compte, nous ne faisons pas partie de ceux qui souhaitent supprimer cet article. Nous ambitionnons plutôt de l’améliorer afin d’aller dans le sens du progrès social : ce sera bon pour les salariés comme pour l’entreprise. Nous savons que le monde de l’entreprise a besoin de réactivité. Pour autant, nous devons toujours avoir pour ambition de continuer à protéger les salariés.

Si, à un moment donné, certaines propositions introduisent une concurrence déloyale sur le territoire dans un secteur d’activité donné, nous aviserons. Proposons une ambition un peu différente. On entend dire beaucoup de choses, mais il convient de regarder de plus près les réalités de l’ensemble de notre société : elles ne vont pas toutes dans le même sens ; certaines sont positives et d’autres sont négatives.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 473 et 963 rectifié.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 251 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l’adoption 38
Contre 301

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Henri de Raincourt. Tout ça pour ça !

Article 2 (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Discussion générale

5

Candidatures à deux commissions mixtes paritaires

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des lois a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente aux commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion, d’une part, du projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature et, d’autre part, du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Ces listes ont été publiées et la nomination des membres de ces commissions mixtes paritaires aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

6

Article 2 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Article 2 (début)

Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. Nous reprenons la suite de la discussion du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s.

Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons l’examen de l’article 2.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Article 2 (interruption de la discussion)

Article 2 (suite)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 211 rectifié bis est présenté par MM. M. Bourquin et Vaugrenard, Mme Bataille, MM. Anziani, Assouline, Tourenne et Duran, Mmes Guillemot et Khiari, MM. Marie, Godefroy, Courteau, Gorce, Mazuir, Montaugé, Cabanel et Kaltenbach, Mme Meunier, M. Lozach, Mme Bonnefoy, M. Roger, Mme Yonnet, M. Vincent, Mme S. Robert, MM. Masseret, Néri et Labazée, Mmes Cartron et Lepage, M. Manable, Mmes Jourda, Tocqueville et Monier et MM. Karam, Madrelle et Durain.

L’amendement n° 917 rectifié est présenté par Mme Malherbe, MM. Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Mézard, Requier et Vall.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Art. L. 3111-… – Tout projet de convention ou d'accord collectif d'entreprise ou d'établissement conclu dans le cadre des dispositions des titres II à V du présent livre est, préalablement à sa signature, soumis pour examen à la commission paritaire de branche compétente. À défaut d'un avis rendu par la commission dans un délai d'un mois, l'accord est réputé avoir été examiné. »

La parole est à M. Martial Bourquin, pour présenter l’amendement n° 211 rectifié bis.

M. Martial Bourquin. Cet amendement vise à soumettre à l’examen des commissions paritaires de branche tout projet d’accord collectif d’entreprise ou d’établissement négocié en matière de durée du travail, de repos ou de congé. La commission paritaire disposerait d’un délai d’un mois pour donner son avis sur le projet d’accord.

Ce que nous proposons au travers de cet amendement, c’est une sortie par le haut. Nous avons en effet l’impression d’assister à un dialogue de sourds entre la branche et l’entreprise. Je crois profondément, pour ma part, que l’avenir réside dans des accords d’entreprise régulés par la branche.

M. Alain Néri. C’est le bon sens !

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Martial Bourquin. Nous avons la volonté de sortir de cette crise et de rechercher un équilibre inédit entre l’entreprise et la branche, en renforçant les branches, comme l’a proposé fort justement Mme la ministre : il en faut moins et qu’elles soient plus influentes.

Il ne faut surtout pas prévoir que la force soit du côté de l’entreprise, tandis que la branche n’aurait qu’un pouvoir infime de négociation et de dialogue social. Je le répète, l’Allemagne n’a pas fait ce choix et n’est pas près de le faire : elle a tout misé sur les branches. Peut-être le modèle français réside-t-il dans ce dosage inédit entre la branche et l’entreprise ?

Environ 40 000 accords d’entreprise sont passés chaque année. Il y en aura demain 50 000, 60 000 ou 70 000… Certes, via ces accords, c’est la volonté du terrain qui s’exprimera. Nous craignons toutefois que certains d’entre eux ne soient déséquilibrés ; ils pourraient, lorsqu’ils s’apparentent à du dumping social, être mis en cause par la branche.

La volonté affichée dans le projet de loi est d’introduire davantage de flexibilité dans le code du travail. Or il faut aussi beaucoup plus de sécurité. Le dialogue entre l’entreprise et la branche est certainement le moyen d’obtenir autant de sécurité que de flexibilité.

Au stade où nous en sommes, nous devons éviter toute crispation.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Martial Bourquin. La bonne façon de mener le débat, et j’en remercie Mme la ministre, c’est de veiller à s’entendre…

M. Martial Bourquin. … et de faire avancer les discussions. Tel est le but de cet amendement. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour présenter l’amendement n° 917 rectifié.

Mme Hermeline Malherbe. Tout comme Martial Bourquin, je n’oppose pas la branche et l’entreprise.

Vous avez dit, madame la ministre, que vous vouliez renforcer les branches. C’est bien dans cette perspective que je propose que la commission paritaire de branche compétente puisse donner son avis sur un projet d’accord d’entreprise dans un délai d’un mois. Cette mesure renforcerait les liens et les complémentarités entre l’entreprise, la branche et ce cadre légal auquel on ne saurait déroger qu’est le code du travail.

Une inquiétude subsiste néanmoins pour certains : la crainte du dumping social. Pour moi, lorsqu’une entreprise, parce qu’elle est en difficulté, propose à ses salariés de travailler plus pour un salaire identique et qu’elle réussit ainsi à se sauver, voire à gagner des parts de marché, cela peut en effet être un facteur de concurrence déloyale par rapport aux autres entreprises du secteur.

Il faut donc encadrer au minimum – et même au maximum – les accords d’entreprise afin qu’il soit possible de revenir à meilleure fortune et de prévenir les situations de concurrence déloyale, qui pourraient mettre les salariés en difficulté. Tel est l’objet de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales. J’ai bien compris que ces amendements avaient pour objet de trouver une voie de passage, une « sortie vers le haut », pour reprendre les termes de M. Bourquin.

Or le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, qui fait partie des opposants au projet de loi, a écarté d’un revers de main cette solution, qu’il a qualifiée d’« usine à gaz ». En effet, a-t-il ajouté, il faudrait que les commissions paritaires se réunissent quotidiennement ou chaque semaine, et ce type d’outil n’est pas du tout adapté. Si même les personnes qui contestent l’article 2 récusent également cette proposition, celle-ci a-t-elle encore du sens ?

Alors que nous évoquions le temps de travail, Mme la ministre a fait référence à nos propositions relatives aux 35 heures. Je veux rappeler, à cet égard, que les 35 heures ont été la cause de la compression du travail et de l’augmentation de la productivité à un niveau que l’on n’avait guère connu auparavant.

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Les temps de pause, par exemple, ont été supprimés.

De nombreux spécialistes du bien-être au travail disent qu’elles ont été un facteur majeur de l’augmentation du niveau de stress. Notre pays, qui connaît à la fois une productivité importante et des vacances beaucoup plus longues qu’ailleurs, est ainsi au premier rang pour la consommation d’antidépresseurs. Voilà l’effet des 35 heures ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Pour notre part, nous avons fait preuve de cohérence en proposant une durée de référence plutôt qu’une durée légale. Ce n’est pas le Grand Soir ! Il s’agit seulement de permettre une durée de 36 heures dans telle branche, 37 heures dans telle entreprise… Nous n’avons fait que pousser jusqu’au bout la logique de l’article 2 ; mais nous reviendrons sur cette question.

À ce stade, la commission a donc émis un avis défavorable sur ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Cette proposition, qui cherche à trouver un compromis – elle a également été faite à l’Assemblée nationale –, a été examinée par mes services et par les organisations syndicales, qu’elles soient hostiles ou favorables au texte.

Il est tentant, au moment où l’on élargit l’objet de la négociation, de s’interroger sur le rôle de la branche dans le cadre de la négociation de l’accord d’entreprise. Or ces amendements ne sont pas opérationnels,…

Mme Nicole Bricq. Impraticables !

Mme Myriam El Khomri, ministre. … pour plusieurs raisons.

Premièrement – c’est la position des organisations syndicales hostiles au texte –, cette proposition ne saurait permettre une sortie de crise. En effet, aujourd’hui, lorsque des accords sont signés non par des représentants syndicaux, mais par des délégués du personnel, il faut une validation de ces accords par les branches. Or on observe que les entreprises concernées ne sont pas satisfaites par le taux et le délai de réponse des branches. J’ai ainsi relevé que, pour une branche particulière, sur 283 demandes de validation envoyées, quatre réponses positives ont été retournées et quatre validations ont été retenues par défaut de réponse. Il y a embouteillage !

Deuxièmement – cette position est portée par l’ensemble des organisations syndicales –, il faut se demander sur quelles bases sera effectué ce contrôle. Si les organisations syndicales signataires de l’accord d’entreprise ne sont pas les mêmes que celles qui sont représentatives au niveau de la branche, on peut craindre que ne se produisent un marchandage, des difficultés et des tensions syndicales. Je suis très sensible à cet argument !

S’agira-t-il d’un contrôle d’opportunité ? Comment une organisation pourra-t-elle juger de l’opportunité si elle n’est pas représentée au sein de l’entreprise ? Et si la même organisation est majoritaire au niveau de la branche et de l’entreprise, faudra-t-il passer outre le mandat du représentant syndical au sein de l’entreprise ? Ce sont des questions très concrètes, mais qui concernent le caractère opérationnel du dispositif proposé.

Il est légitime que les commissions paritaires puissent examiner les accords signés par des salariés non syndiqués, dès lors que ces personnes n’ont pas été accompagnées et formées par une organisation syndicale. Pour cette raison, la question du mandatement est centrale. Or le patronat considère que le mandatement va conduire à la signature de l’accord par une personne étrangère à l’entreprise. Ce n’est pas cela ! C’est, au contraire, un salarié de l’entreprise qui signera l’accord. J’ai rencontré sur le terrain des responsables patronaux qui pensaient, parfois de bonne foi, qu’une personne étrangère à l’entreprise viendrait signer… Non ! C’est un salarié de l’entreprise qui est mandaté par une organisation syndicale pour signer l’accord.

Voilà pourquoi je dis qu’il est légitime que la commission paritaire de branche valide l’accord lorsqu’il a été signé par un salarié qui n’appartient pas à une organisation syndicale. En revanche, quelle légitimité auraient des organisations syndicales différentes de celles représentées dans l’entreprise pour valider un accord d’entreprise ?

Nous nous sommes demandé s’il fallait un contrôle a priori ou a posteriori et avons examiné la réalité des situations. Mais lorsque des organisations qui jouent un rôle important au niveau des branches vous disent que ce dispositif est une usine à gaz et qu’il n’est pas opérationnel, il faut trouver une autre solution.

Je vous le dis sincèrement, bien que le Gouvernement n’ait pas proposé cet amendement à l’Assemblée nationale, nous étions prêts à l’accepter afin de trouver un compromis. Or ce résultat n’est pas atteint.

Nous ne sommes pas là pour nous faire plaisir, mais pour mettre en place des solutions efficaces ! J’entends bien l’argument de la réaffirmation du rôle de la branche, mais cet objectif ne peut être atteint par ce biais-là. L’avis est donc défavorable.