Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles.

1. Procès-verbal

2. Saisine du Conseil constitutionnel

3. Dépôt de rapports

4. Retrait d’une question orale

5. Communication du Conseil constitutionnel

6. Mises au point au sujet de votes

7. La France et l’Europe face à la crise au Levant. – Débat organisé à la demande d’une mission d’information et de la commission des affaires étrangères

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères

M. Jacques Legendre, président de la mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord

M. Michel Billout, rapporteur de la mission d’information

Mme Nathalie Goulet

Mme Leila Aïchi

M. Gaëtan Gorce

M. David Rachline

Mme Michelle Demessine

M. Robert Hue

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

M. Claude Malhuret

M. Didier Marie

M. Jacques Legendre

M. Bernard Fournier

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

8. Questions d'actualité au Gouvernement

aides européennes agricoles

M. Jean-Jacques Lasserre ; M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

avenir de la langue française

M. Jacques Legendre ; Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; M. Jacques Legendre.

avenir de la ligne ferroviaire du cévenol

M. Alain Bertrand ; Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité ; M. Alain Bertrand.

démantèlement de la « jungle » de calais

Mme Esther Benbassa ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur ; Mme Esther Benbassa.

accord commercial entre le canada et l'union européenne

M. Michel Billout ; M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie.

garde nationale

Mme Gisèle Jourda ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.

violence à l'encontre des représentants de l'état

M. Jackie Pierre ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur ; M. Jackie Pierre.

aide humanitaire entre la martinique et haïti

M. Maurice Antiste ; Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer ; M. Maurice Antiste.

bataille de mossoul

Mme Colette Mélot ; M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie ; Mme Colette Mélot.

parcours professionnels et carrières des fonctionnaires

Mme Éliane Giraud ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles, M. Claude Haut.

9. Égalité et citoyenneté. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Explications de vote sur l’ensemble

Mme Aline Archimbaud

M. Jacques-Bernard Magner

M. Jean-Claude Lenoir

M. Jean Louis Masson

M. Christian Favier

Mme Françoise Laborde

Mme Françoise Gatel

Ouverture du scrutin public solennel

Suspension et reprise de la séance

Proclamation du résultat du scrutin public solennel

Adoption, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. claude bérit-débat

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles.

10. Dépôt d'un rapport

11. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

12. Mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires dans les petites communes. – Discussion d'une question orale avec débat

Mme Françoise Cartron, auteur de la question

Mme Maryvonne Blondin

Mme Catherine Troendlé

M. Patrick Abate

Mme Mireille Jouve

Mme Françoise Férat

Mme Marie-Christine Blandin

Mme Danielle Michel

Mme Brigitte Micouleau

M. Daniel Laurent

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

13. Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire

Suspension et reprise de la séance

14. Orientation scolaire. – Débat sur les conclusions d’une mission d’information de la commission de la culture

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture

M. Jacques-Bernard Magner, président de la mission d’information sur l’orientation scolaire

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la mission d’information

M. Patrick Abate

Mme Françoise Laborde

Mme Marie-Christine Blandin

Mme Agnès Canayer

M. Claude Kern

M. Jacques-Bernard Magner

M. Jacques Grosperrin

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

15. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac,

M. Bruno Gilles.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 14 octobre a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Saisine du Conseil constitutionnel

M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi, le 17 octobre 2016, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Le texte de la saisine est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

3

Dépôt de rapports

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le rapport du fonds d’intervention régional pour l’exercice 2015, le rapport annuel 2015 relatif au fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés et le rapport sur le développement et la valorisation des consultations pluridisciplinaires au sein des établissements de santé.

Acte est donné du dépôt de ces rapports. Ils ont été transmis à la commission des affaires sociales.

4

Retrait d’une question orale

M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 1494 de M. André Reichardt est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.

5

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 17 octobre 2016, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État lui a adressé deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant, d’une part, sur le II de l’article 31 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 (Impôt sur les sociétés – report en arrière de déficit ; 2016-604 QPC), et, d’autre part, sur l’article L. 541-10-9 du code de l’environnement (Obligation de reprise des déchets du BTP ; 2016-605 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

6

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Jacques Genest.

M. Jacques Genest. Monsieur le président, je souhaite procéder à une rectification de vote au nom de mon collègue Mathieu Darnaud. Lors du scrutin public n° 31 portant sur les amendements identiques nos 330 et 455 rectifié ter au projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, M. Darnaud a été enregistré comme votant contre, alors qu’il souhaitait voter pour ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.

M. Bernard Delcros. Monsieur le président, je souhaite également faire une mise au point au sujet d’un vote, la consigne que j’avais donnée n’étant pas parvenue à son destinataire.

Lors du scrutin public n° 30 sur l’amendement n° 316 rectifié bis tendant à insérer un article additionnel après l’article 38 du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, j’ai été comptabilisé comme n’ayant pas pris part au vote, alors que je souhaitais voter pour cet amendement. Il s’agissait d’instaurer une peine complémentaire d’inéligibilité en cas de condamnation pour violences, en particulier pour violences sexuelles.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins.

7

La France et l’Europe face à la crise au Levant

Débat organisé à la demande d’une mission d’information et de la commission des affaires étrangères

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la France et l’Europe face à la crise au Levant, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord.

La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir permis la tenue de ce débat sur une question qui nous préoccupe beaucoup.

Depuis que je m’intéresse aux affaires internationales, je ne suis pas sûr d’avoir déjà observé une situation aussi dégradée partout dans le monde. Au fond, le Levant concentre en quelque sorte toutes les crises. Nous mesurons les efforts et les initiatives que vous déployez, monsieur le ministre, mais la situation actuelle ne laisse pas de nous inquiéter très fortement : partout dans le monde, on voit les désordres monter et le cas du Levant est caricatural à cet égard.

On voit aujourd’hui le président russe se croire obligé d’aller chercher à l’extérieur des satisfactions qu’il ne trouve pas à l’intérieur, eu égard à l’état profondément détérioré de l’économie de son pays.

Au Levant, nous sommes partis avec les Américains lutter contre Bachar al-Assad et contre Daech, et nous nous retrouvons maintenant plutôt avec les Russes, la protection de Bachar al-Assad étant en voie d’être assurée… Cette situation paradoxale est des plus inquiétantes.

Alep vit une tragédie, même si l'on nous annonce une pause : Alep est ruinée, blessée, meurtrie. Cette ville est confrontée à l’horreur, et jamais nous ne pourrons accepter ces crimes de guerre que vous avez eu raison de dénoncer, monsieur le ministre !

Qu’en sera-t-il demain à Mossoul, dans des circonstances certes différentes ? Sur ce théâtre, l’action de la France est bien visible, grâce notamment à la présence de notre porte-avions, alors que, en Syrie, nos forces n’assurent que de 5 % à 20 % du total des frappes.

Cette guerre, qui a déjà fait 300 000 morts, plus de 5 millions de réfugiés et plus de 8 millions de personnes déplacées, entraîne pour nous des effets réactifs particulièrement néfastes.

Ainsi, que se passera-t-il lorsque de nombreux terroristes, contraints de quitter la zone de guerre, voudront revenir dans leurs pays d’origine ? Plus de 700 Français seront ainsi tentés de continuer la guerre chez nous. D’autres quitteront l’Irak ou la Syrie pour se rendre en Libye et menacer ce pays frère, cette jeune démocratie qu’est la Tunisie. Si un jour la Tunisie était déstabilisée, nous le serions aussi.

La Méditerranée est notre première frontière, la première ligne de défense de nos intérêts. Nous ne la protégerons pas seulement par les armes, mes chers collègues, même si nous comprenons bien qu’il faille défendre au Levant les causes qui nous sont chères, en luttant contre le terrorisme.

Je vois bien s’installer aujourd’hui, à l’échelle mondiale, cette idée selon laquelle le recours à la force est nécessaire pour maîtriser le terrorisme, mais je n’oublierai jamais les propos tenus par Jacques Chirac en 2003 : la guerre crée le terrorisme, la brutalité appelle la brutalité, la tension crée la tension. C’est le développement qui apportera la véritable solution. La vraie lutte contre le terrorisme, ce n’est pas la guerre, c’est le développement ! Le développement de la Tunisie, de l’Algérie, du Maroc est sans doute la première condition de la paix ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. Hubert Falco. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Dans ce contexte, nous devons évidemment assumer nos responsabilités. Nous apprécions les efforts qui sont faits pour que l’action de la France soit puissante, notamment sur le terrain humanitaire. Nous apprécions également la volonté que vous avez manifestée, monsieur le ministre, dans le dialogue avec les Russes, d’abord, et avec les Américains, ensuite, pour essayer de progresser vers une solution politique. En effet, nous sommes bien d’accord sur le fait que c’est par la voie politique que l’on sortira de la crise.

Dans cette perspective, il faut revenir à la table des négociations. De ce point de vue, le mérite de la résolution défendue par la France est au moins d’avoir montré de quel côté se trouvait la volonté d’avancer. Nous mesurons qu’il faudra bien entendu aller plus loin pour trouver une solution politique à cette crise : ce n’est pas par la guerre que nous en sortirons.

Il nous paraît de la première importance, monsieur le ministre, d’affirmer le rôle de la France. Notre pays doit pouvoir s’appuyer sur une armée et une force de dissuasion puissantes. C’est la raison pour laquelle nous nous battons tous pour soutenir nos armées, notamment nos soldats qui sont au front aujourd’hui et préparent l’offensive de Mossoul. Nous sommes au côté de nos forces de l’ordre, de nos militaires qui assurent la sécurité du pays.

Pour autant, nous savons que ce sont des solutions politiques qui permettront de résoudre les problèmes. Au fond, nous mesurons bien que la marque constante de la politique étrangère de la France, c’est la volonté d’indépendance ; c’est l’indépendance nationale qui nous permet de parler avec les États-Unis, avec la Russie, avec la Chine. Nous devons parler avec tout le monde !

À cet égard, nous n’avons pas apprécié, monsieur le ministre, l’incident fort désagréable et humiliant survenu avec M. Poutine.

M. Alain Dufaut. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Il n’y aura pas de solution sans ce grand pays qu’est la Russie ! Il ne nous appartient pas de juger en permanence les dirigeants de ce grand pays. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

Bien sûr, nous ne pouvons accepter ce qui se passe à Alep ! Bien sûr, nous condamnons sans réserve les bombardements russes, mais nous avons conscience que, pour aboutir à la paix, nous devons discuter avec la Russie, tout comme avec les États-Unis qui, après avoir été avec nous sur la ligne de départ, se sont très vite retirés, nous plaçant dans une position de fragilité aujourd’hui difficile à tenir.

Dans ce contexte, revenons à la politique de l’indépendance nationale, dont je voudrais qu’elle se conjugue toujours avec la volonté de paix qui doit être la nôtre. Je suis préoccupé quand je vois, partout dans le monde, des forces se préparer en vue de possibles confrontations. Comme vous tous, mes chers collègues, je me félicite que notre industrie de défense remporte des contrats importants à l’export et je salue l’action du ministre de la défense, qui joue un rôle majeur dans ce domaine. Cependant, si l’Australie achète nos sous-marins, si l’Égypte achète nos Rafale, c’est qu’elles ne croient pas beaucoup à la paix, c’est qu’elles ont une vision pessimiste de l’état de ce monde…

La politique de la France, c’est l’indépendance et la diplomatie pour la paix, c’est la capacité de mobiliser des forces, mais pour amener la paix, et non pas pour préparer des guerres ! À l’heure où, partout dans le monde, les tensions s’exacerbent, la voix de la France, cette voix qui exprime principalement une volonté de paix, doit se faire entendre.

Tous ces désordres engendrent la terrible question des migrants. Pour y répondre, nous voyons combien un sursaut européen sera nécessaire à propos de la gestion de l’espace Schengen. Il faut protéger nos frontières, mais aussi prendre la mesure de ces phénomènes migratoires qui pèsent politiquement très lourd en Europe : on l’a vu hier avec le Brexit, aujourd’hui avec la montée des populismes un peu partout. Nous devons mieux débattre de cette question au Parlement, avec plus de fond et moins de postures, pour faire en sorte que notre pays puisse maîtriser ses flux migratoires, organiser sa propre démographie, se montrer accueillant tout en étant capable de faire respecter les règles qu’il s’est fixées ! Or, aujourd’hui, nous invoquons des règles, mais l’autorité pour les faire respecter manque !

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Les désordres du monde sont lourds de menaces auxquelles nous devons nous préparer à faire face. N’oublions jamais que, face à ces menaces, la parole de la France doit être inspirée par la volonté d’indépendance nationale, mais aussi par la volonté de paix ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la mission d’information.

M. Jacques Legendre, président de la mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord de coopération migratoire passé le 18 mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie est qualifié officiellement de « déclaration », mais nous garderons le terme d’accord, auquel tout le monde est désormais habitué.

Le but de cet accord, rappelons-le, était d’endiguer le flux sans précédent de réfugiés et de migrants qui, l’année dernière à la même époque, transitait sans obstacle de la Turquie vers les îles grecques de la mer Égée, avant de s’acheminer, via les Balkans, vers le nord et l’ouest de l’Europe. Plus de 860 000 personnes ont emprunté cette voie en 2015. Outre la nécessité de mettre un terme aux nombreux naufrages, nous nous devions d’agir, car, après des mois de divisions et d’atermoiements sur la politique à mener, la fermeture unilatérale de la route des Balkans menaçait la Grèce d’une crise humanitaire de grande ampleur.

L’entrée en vigueur de l’accord a été suivie, c’est un fait, d’une baisse drastique des flux, qui sont passés de plus de 2 000 personnes par jour en février à une cinquantaine par jour au printemps, une légère remontée, à hauteur d’environ une centaine par jour, étant observée actuellement.

Paradoxalement, ce résultat en termes de flux est obtenu alors que le principal dispositif prévu par l’accord, c’est-à-dire le renvoi en Turquie de tous les migrants arrivés sur les îles grecques après le 20 mars 2016, ne fonctionne pas. Au 7 octobre, seulement 633 migrants avaient été renvoyés.

De fait, plus de 15 000 migrants attendent aujourd’hui dans les hotspots, dans des conditions matérielles et psychologiques difficiles, que leur demande d’asile soit traitée. Cette situation tient non seulement à l’engorgement du service grec de l’asile, confronté à une explosion des demandes, mais aussi à sa réticence à considérer la Turquie comme un « pays tiers sûr » vers lequel les migrants pourraient être renvoyés.

Par ailleurs, si aucune route alternative majeure n’a été décelée, des flux irréguliers persistent aussi bien entre les îles grecques et le continent qu’aux frontières terrestres turco-grecque, turco-bulgare et gréco-macédonienne. Ces brèches démontrent la vitalité des réseaux de trafiquants et pourraient être mises à profit en cas de signal donné à une réactivation des flux.

À cet égard, il est vrai que la réussite de la mise en œuvre de l’accord reste largement tributaire de la bonne volonté de la Turquie, qui garde la capacité d’inverser les flux. La difficulté tient évidemment à l’existence de « contreparties politiques » dont nous savions pourtant, monsieur le ministre, dès la négociation de l’accord, qu’elles seraient difficiles à concrétiser, compte tenu du contexte politique turc.

Force est de l’admettre, cet accord est dans notre intérêt et nous devons le mettre en œuvre. Toutefois, cela ne saurait nous conduire à brader nos valeurs et à nous montrer moins exigeants sur les conditions initialement posées à la mise en œuvre des processus politiques que sont les négociations d’adhésion et la libéralisation de la délivrance des visas. La mission d’information plaide pour une dissociation de ce volet politique.

Dès lors, il nous faut remplir autrement notre part du contrat en honorant sans tarder nos engagements sur les volets liés à la question des réfugiés : accélérer le versement de l’aide financière pour permettre rapidement des avancées concrètes et une amélioration du sort des réfugiés en Turquie, dont la grande majorité vit hors des camps, et accélérer la mise en œuvre des réinstallations de réfugiés syriens en Europe.

Quant aux autres préconisations de la mission, au vu de ce que je viens de dire, je souhaite mettre l’accent sur deux d’entre elles qui me paraissent prioritaires concernant la Grèce.

La première est de débloquer rapidement le traitement des demandes d’asile dans les hotspots grecs, où la situation est explosive et les tensions à leur comble. Le récent incendie du camp de Moria, à Lesbos, l’a démontré : qui sait ce qui pourrait se passer si la soupape sautait ?

Il est urgent de fournir au Bureau européen d’appui en matière d’asile, l’EASO, qui assiste tant bien que mal la Grèce dans le traitement des demandes d’asile, les experts dont il a besoin. Cette agence fonctionne avec 40 experts sur place, alors qu’on lui en avait promis 400, la France s’étant engagée à en fournir une centaine. Cette situation est d’autant plus regrettable que nous disposons, avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, de compétences reconnues qui pourraient être là-bas d’une grande utilité pour traiter des demandes d’asile désormais essentiellement sur le fond. J’invite donc le Gouvernement à honorer aussi rapidement que possible son engagement de fournir des renforts à l’EASO et à inciter l’OFPRA, dans le respect de son indépendance, à reconsidérer sa position de principe sur ce point.

Notre seconde priorité devrait être, pour conforter l’accord, de renforcer, avec l’aide de FRONTEX, la protection des frontières extérieures de l’Union dans la région, en mer mais aussi sur terre. Comme je l’ai déjà indiqué, on aurait tort de croire que le problème est réglé dans les Balkans, les filières, sous l’action des passeurs, se recomposant avec une agilité surprenante. FRONTEX doit aider la Grèce et les pays des Balkans à contrôler leurs frontières terrestres, dont la fermeture garantit l’efficacité de l’accord.

Pour conclure, je veux souligner que la question migratoire est devant nous pour de nombreuses années. Le mouvement auquel nous assistons est durable et structurel. Il faut que nous nous donnions la capacité de l’anticiper et de le gérer. Notre diplomatie doit intégrer cette préoccupation qui devient, que nous le voulions ou non, une question de politique étrangère à part entière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la mission d’information.

M. Michel Billout, rapporteur de la mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en avril dernier, la signature de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie était intervenue sur fond d’inquiétudes et de polémiques : soupçons à l’égard de négociations largement influencées par l’Allemagne ; reproche de céder au chantage de la Turquie en matière de contreparties politiques – libéralisation des visas et relance des négociations d’adhésion –, alors même que la situation des droits fondamentaux dans ce pays ne cesse de se dégrader ; critique du principe d’un renvoi en Turquie de tous les migrants arrivés après le 20 mars, y compris ceux potentiellement éligibles à l’asile ; critique également de l’échange de réfugiés syriens contre d’autres dans le cadre du programme dit « un pour un ». Ajoutons à cela le fait que l’accord n’a pas été soumis à l’approbation du Parlement européen ni à celle des parlements nationaux, malgré ses conséquences budgétaires…

C’est en vue de répondre à ces interrogations que notre mission d’information a été constituée. Si nous restons insatisfaits devant un « arrangement » négocié dans l’urgence, avant tout pour répondre à une situation de crise, un certain nombre de préventions ont pu être levées, en particulier en ce qui concerne la conduite des négociations.

En revanche, concernant la crainte qu’il soit porté une atteinte grave à l’exercice du droit d’asile en Europe au travers de la prise en compte de la notion de « pays tiers sûr », force est de constater que, en pratique, cette tentative de sous-traiter les demandes d’asile à la Turquie ne fonctionne pas, très peu de décisions d’inéligibilité à l’asile ayant été prononcées sur ce fondement. De fait, les migrants ayant besoin de protection obtiennent majoritairement l’asile en Grèce.

Comme l’a rappelé le président de la mission d’information, cet accord, il faut l’admettre, était nécessaire, d’abord et surtout pour des raisons humanitaires.

On peut constater que, sept mois plus tard, l’accord tient et a contribué à l’obtention de l’effet attendu en termes de réduction des flux, malgré les menaces réitérées de la partie turque de le rompre, malgré l’expiration de l’échéance de la fin du mois de juin pour la libéralisation des visas, malgré les soubresauts et des relations plus tendues avec la Turquie au lendemain de la tentative de coup d’État, malgré, enfin, une période estivale traditionnellement propice à l’augmentation du nombre des traversées.

Concernant la situation des réfugiés en Turquie, il faut noter des avancées, qu’il s’agisse des compléments apportés au cadre juridique de la protection internationale ou de la mise en œuvre de l’aide financière européenne, en particulier l’instauration, sous l’égide du Programme alimentaire mondial et du Croissant rouge turc, d’un « filet de sécurité sociale d’urgence » qui permettra à plus d’un million de réfugiés de percevoir une somme mensuelle pour couvrir leurs besoins de base : alimentation, soins, vêtements, logement…

Toutefois, nous ne pouvons pas non plus nier les difficultés : accès insuffisant des enfants réfugiés à l’éducation – 500 000 d’entre eux étant encore non scolarisés –, nombre encore réduit de permis de travail accordés – de l’ordre de 8 000 seulement, selon les derniers chiffres –, qui contraint la majorité des réfugiés au travail clandestin, précarité économique encore vécue par nombre d’entre eux. Mais, précisément, l’aide apportée dans le cadre de l’accord pourra contribuer à améliorer le sort des 3 millions de réfugiés, dont 2,7 millions de Syriens, qui se trouvent en Turquie, premier pays d’accueil au plan mondial.

Le sort des demandeurs d’asile non syriens doit, en outre, faire l’objet d’un suivi attentif en Turquie, car il n’est pas sûr qu’ils bénéficient bien, en pratique, de l’accès à la procédure et de la protection qui leur sont reconnus sur le papier.

Plus préoccupant encore, la frontière entre la Turquie et la Syrie est désormais fermée et des dizaines de milliers de réfugiés s’y entassent.

Par ailleurs, plusieurs hypothèques pèsent sur la mise en œuvre de l’accord, notamment l’engorgement du traitement des demandes d’asile dans les hotspots et les exigences turques concernant la mise en œuvre des contreparties politiques.

Sur ce dernier point, comme l’a indiqué le président de la mission d’information, il n’est pas question de céder au chantage de la Turquie ni d’accepter quelque accommodement que ce soit concernant les critères de la feuille de route, notamment s’agissant de la définition de la lutte antiterroriste. La liberté d’expression, le pluralisme politique, l’État de droit et le respect des droits de l’homme ne sont pas des valeurs négociables.

Dans ces conditions, quelles recommandations faisons-nous ?

Tout d’abord, il est nécessaire de manifester à la Turquie notre détermination à appliquer l’accord dans ses volets exclusivement consacrés aux réfugiés, en accélérant le versement de l’aide financière et en procédant rapidement aux réinstallations. Malgré une accélération ces derniers mois, 1 614 réinstallations seulement avaient été réalisées le 26 septembre, ce qui est bien modeste au regard des 72 000 envisagées par l’accord.

De même, il importe de mettre en œuvre le plan de relocalisation des migrants arrivés en Grèce avant l’accord. Seulement 4 555 relocalisations avaient été effectuées au 27 septembre. Si notre pays mène une action que l’on peut qualifier d’exemplaire sur ce volet, c’est loin d’être le cas de tous nos voisins européens !

Enfin, il faut compléter le soutien apporté à la Grèce par la prise en compte de cette situation dans la négociation sur sa dette et par la mise en œuvre rapide de l’aide humanitaire européenne destinée aux 46 000 migrants arrivés avant la conclusion de l’accord, une priorité absolue devant être, à cet égard, la mise à l’abri dans des conditions décentes des 2 200 mineurs isolés.

Je conclurai, à l’instar de notre rapport, en considérant que ce type d’accord n’a pas vocation à se reproduire et qu’il ne peut trouver sa pleine efficacité que dans le cadre d’une politique migratoire européenne ambitieuse et cohérente que nous appelons de nos vœux. Cela implique de développer une politique partenariale efficace avec les pays d’origine et de transit, comportant un soutien significatif au développement économique, mais également l’ouverture de nouvelles voies légales de migration, indispensables à une gestion maîtrisée des flux, et une véritable mobilisation contre les réseaux de trafiquants et de passeurs qui exploitent la misère humaine et exposent les migrants aux pires dangers sur les routes de la migration irrégulière. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, « la France et l’Europe face à la crise au Levant » : avoir employé le singulier dans l’intitulé de ce débat traduit un certain optimisme, compte tenu de la multiplicité des crises… Cela étant, il est à l’évidence pertinent d’envisager la situation au Levant en faisant le lien avec la crise migratoire et l’accord avec la Turquie. Le remarquable colloque qui s’est tenu au Sénat le 7 octobre était, à cet égard, extrêmement intéressant. Ce sujet occupe nombre de commissions de notre assemblée, y compris celle des affaires européennes.

Personne, dans cet hémicycle, ne détenant la vérité ni la solution pour mettre un terme à ce déluge de sang, de larmes et de migrants, faisons un peu d’histoire !

Un autre colloque s’est tenu dans ces murs, le 8 octobre, sur le thème des accords Sykes-Picot, dont on célèbre cette année le centenaire, et de la trahison de l’Orient arabe.

« Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples. Je savais qu’au milieu de facteurs enchevêtrés une partie essentielle s’y jouait. Il fallait donc en être. » Chacun se rappelle ces phrases célèbres du général de Gaulle. Aujourd'hui, quand on évoque le Levant, les conceptions sont souvent trop simples, voire simplistes, et ne permettent pas de progresser vers une solution. On oppose les bons aux méchants, les démocraties aux dictatures. On pratique la diplomatie des lobbies, celui d’Halliburton n’étant pas en reste, la diplomatie des coups de menton, du double standard, celle du pétrole, semant la mort, le chaos, enfantant des monstres, tel Daech, sorte de Golem des temps modernes…

La situation en Palestine, en Irak, en Syrie, au Yémen est le résultat de cent ans d’une politique binaire dans une époque qui a cessé de l’être, de cent ans de colonialisme puis de post-colonialisme au mépris des aspirations des peuples et de la justice internationale, de cent ans d’accords en forme d’éloges funèbres des Nations unies !

Des accords Sykes-Picot au grand Moyen-Orient de George Bush, on ne cesse d’annoncer une nouvelle feuille de route, une nouvelle réunion pour la paix, une nouvelle conférence internationale censée avoir vocation à stabiliser définitivement cette région, devenue un improbable Rubik’s cube.

Traiter les effets sans se préoccuper des causes, c’est éviter de s’interroger sur sa propre responsabilité. S’agissant de l’Irak, il faut rappeler le courage de Jacques Chirac, qui nous a évité le naufrage dans lequel certains voulaient nous entraîner.

Nous avons assisté, à partir du début du XXe siècle, à l’émergence progressive de l’islam politique en lieu et place du panarabisme. Des guerres ont abouti à faire prospérer le terrorisme dont elles étaient supposées venir à bout !

Les dix dernières années ont sans doute été les plus dramatiques. Je veux parler des années d’embargo subies par l’Irak, qui firent 500 000 morts, Mme Albright déclarant froidement que « cela en valait la peine »… Nous payons aujourd’hui le prix fort, en termes de flux migratoires, de telles interventions armées.

Tous les historiens spécialistes de cette région le savent bien : depuis la nuit des temps, chaque fois que Bagdad a été détruite, la carte du monde a dû être redessinée. L’Irak, la Libye, la Syrie sont devenus des États faillis, des zones grises, des espaces de non-droit où l’on se livre à tous les trafics, y compris celui d’êtres humains. C'est pourquoi nous avons à affronter aujourd'hui cette crise migratoire.

Le président et le rapporteur de la mission d’information ont versé au débat un certain nombre d’éléments techniques. Pour ma part, je voudrais évoquer quelques voies de progrès.

Monsieur le ministre, à l’aube du soixante-quinzième anniversaire de l'Agence française de développement, l’AFD, ne convient-il pas de s’interroger sérieusement sur notre politique d’aide au développement dans certaines parties du monde, notamment en Méditerranée ?

Nous nous sommes rendus à Gaziantep, en Turquie, pour y visiter les camps. Rappelons que 2,7 millions de migrants transitent par ce pays. Monsieur le ministre, qu’en est-il de l’accord de coopération en matière de sécurité intérieure avec la Turquie présenté en conseil des ministres le 1er août 2012 ? Il n’a jamais été appliqué et a été relégué dans un tiroir d’un bureau de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, que préside Mme Guigou. J’ai vainement essayé, à plusieurs reprises, d’inscrire l’examen de cet accord à l’ordre du jour de nos travaux. Reconnaissez pourtant que la mise en œuvre d’un tel accord bilatéral de coopération avec la Turquie apporterait une pierre à l’édifice.

Il faut soutenir la courageuse Jordanie, qui accueille, selon les données du Haut Commissariat aux réfugiés, le HCR, 937 000 réfugiés, et même environ 1,5 million selon des chiffres non officiels, ainsi que le Liban, pays extrêmement fragilisé qui a ouvert ses portes à 1,5 million de personnes. Franchement, la France fait pâle figure à côté de ces États pourtant bien moins riches qu’elle !

Quant à l’Égypte, si on ne l’aide pas à rétablir son économie, si on ne la soutient pas dans sa progression, ce pays en souffrance de 90 millions d’habitants deviendra une nouvelle terre d’émigration. La Tunisie, frappée par des attentats qui fragilisent son économie et compromettent un équilibre déjà tellement précaire, se trouve exactement dans le même cas !

Monsieur le ministre, la Méditerranée est notre frontière. La Jordanie, l’Égypte, la Tunisie, le Liban sont des pays extrêmement fragiles, que nous devons absolument soutenir par l’aide au développement, par l’économie, mais aussi par une stratégie efficace et ciblée.

L’enjeu est d’autant plus important que la crise migratoire n’a pas encore atteint son pic. L’histoire nous enseigne que d’autres vagues de migrants arriveront et que nous aurons à faire face à d’incessantes déstabilisations.

Monsieur le ministre, il faut donc traiter les causes et pas uniquement les effets. Staline disait que la mort d’un homme est une tragédie et que celle d’un million d’hommes est une statistique, mais, derrière les chiffres, il y a des êtres humains plongés dans des situations absolument dramatiques.

L’histoire montre que nous pouvons anticiper les crises qui ne manqueront pas de survenir. À cet égard, je crois beaucoup à l’aide au développement. Le colloque qui s’est tenu la semaine dernière au Sénat a notamment permis de mettre en lumière les perspectives ouvertes par les projets d’électrification promus par Jean-Louis Borloo. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 juin 2016, Claude Malhuret, Claude Haut et moi-même présentions un rapport adopté à l’unanimité par la commission des affaires étrangères et de la défense et intitulé La Turquie : une relation complexe mais incontournable .

Lors de la présentation de ce rapport, nous avions souligné que la situation en Turquie et dans son voisinage immédiat évoluait si vite que la réalité d’un jour pouvait ne plus être celle du lendemain. Nous ne pensions pas si bien dire ! Force est d’admettre que, au cours de l’été, la situation a considérablement évolué.

En juin dernier, le président Recep Tayyip Erdogan amorçait un tournant diplomatique en adressant à Vladimir Poutine une lettre de regrets à propos de l’avion militaire russe abattu par la Turquie le 24 novembre 2015. Depuis, la Turquie et la Russie n’ont cessé de se rapprocher, bien qu’elles aient des objectifs distincts en Syrie. Le tourisme russe en Turquie a été relancé, de même que la coopération dans le domaine énergétique. Le président russe s’est déplacé à Istanbul le 10 octobre dernier, rendant au président Erdogan la visite que celui-ci avait effectuée à Saint-Pétersbourg en août.

Ce rapprochement est aussi celui de deux chefs d’État qui ont des conceptions similaires de l’exercice du pouvoir, disposent d’un soutien important de leur population et refusent un modèle occidental libéral, préférant faire référence à la tradition, à la nation et à la religion.

Par ailleurs, le 15 juillet 2016, une tentative de coup d’État a ébranlé la Turquie, alors même que tous les spécialistes que nous avions rencontrés jugeaient peu réaliste l’hypothèse d’un putsch, après quatorze ans d’exercice du pouvoir par l’AKP. Cette tentative a déclenché une répression tous azimuts, permise par un régime d’état d’urgence particulièrement sévère, dont s’est récemment inquiété le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

Les autorités turques ont eu le sentiment que l’Europe avait tardé à réagir à cette tentative de coup d’État, ce qui a engendré une situation dommageable pour nos relations, et le soupçon de laxisme à l’égard des conspirateurs n’a fait qu’amplifier les malentendus.

Enfin, le 24 août 2016, l’opération militaire lancée par la Turquie à la frontière syrienne a redistribué les cartes sur le terrain en Syrie. En effet, Ankara ne lutte pas seulement contre Daech, mais aussi – et surtout – pour empêcher le parti kurde syrien, considéré comme une branche du PKK, de s’ancrer durablement sur un territoire contigu à la frontière turque.

Dans ce contexte changeant, il est plus que jamais nécessaire de suivre des lignes directrices cohérentes et, dans cette perspective, il me semble que l’analyse que nous avions présentée à la commission avant l’été reste pertinente.

M’étant rendue à plusieurs reprises en Turquie, j’ai pu y constater, en avril dernier, une rapide dégradation du climat. Les tendances que nous avions alors perçues n’ont fait que s’aggraver.

La Turquie a pourtant connu, pendant plus d’une décennie, un développement économique rapide, accompagné d’une stabilité politique, d’une ouverture diplomatique et d’un accroissement de son pouvoir d’influence dans le monde. Mais elle subit aujourd’hui un regain de violences internes, assorti de nombreuses tensions avec ses partenaires, non seulement avec l’Europe, mais aussi avec les États-Unis, où est réfugié Fethullah Gülen, ancien allié du pouvoir turc, aujourd’hui accusé de tous les maux.

Le rapprochement de la Turquie avec la Russie, combiné à une certaine prise de distance par rapport à ses alliés de l’OTAN, ne doit pas nous laisser indifférents : si cette évolution se confirme, elle pourrait constituer une rupture géostratégique.

La Turquie a toujours été – et restera – un « pivot géopolitique de premier ordre » en raison de sa situation géographique, de sa puissance et de sa vulnérabilité potentielle : laisser s’installer le chaos en Turquie serait une catastrophe pour notre propre sécurité. La Turquie est un partenaire stratégique incontournable dans la lutte contre Daech et contre ses réseaux terroristes, ainsi que pour la résolution de la crise des réfugiés.

Il importe donc de continuer à dialoguer avec la Turquie et de renforcer nos liens avec ce pays, de sorte qu’il regarde avec bienveillance vers l’Europe, qu’il s’inspire de ses libertés et de sa modernité pour être à la fois une lueur d’espoir dans un Moyen-Orient tourmenté, un aiguillon et une référence pour le monde musulman.

Sur le plan européen, la déclaration du 18 mars 2016, malgré ses failles, a eu des effets positifs. Le couplage de la question des réfugiés avec celle des visas, décidé dans l’urgence et sur initiative allemande, n’est toutefois pas satisfaisant. La libéralisation des visas nécessite le plein respect des soixante-douze critères de la feuille de route, s’agissant notamment de la révision de la législation et des pratiques en matière de lutte contre le terrorisme.

Nous avons autant besoin de la Turquie qu’elle a besoin de nous pour sa modernisation et son développement économique, dont dépend en grande partie la popularité du président Erdogan. À plus long terme, l’objectif d’arrimer la Turquie aux valeurs de l’Europe doit demeurer, quelle que soit la nature de notre partenariat avec ce pays.

Après le Brexit, l’Europe devra elle-même être refondée, vraisemblablement selon des cercles concentriques, ce qui pourrait conduire à formuler différemment la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.

Un intellectuel turc a écrit : « Si l’élargissement vers l’Est consiste à intégrer l’autre Europe, l’élargissement vers la Turquie consistera à intégrer l’Autre de l’Europe. » Cela soulève la question de la nature du projet européen, qui ne se pose pas en ces termes aujourd’hui, étant donné la situation tant en Turquie qu’en Europe. Cependant, ne nous interdisons pas de la poser à l’avenir, si la situation le permet.

Dans l’immédiat, la priorité pour la France doit être d’intensifier un dialogue politique, certes difficile, mais qui doit être soutenu par un plan d’action volontariste et des échanges à tous les niveaux et dans tous les secteurs d’activité.

Sur le plan diplomatique, malgré des divergences, nous partageons avec la Turquie des positions convergentes sur le conflit syrien, marquées notamment par l’attachement à l’unité territoriale de la Syrie. Quelles que soient les divergences, avec la Turquie comme avec la Russie, elles méritent d’être mises sur la table et débattues. À défaut, nous serions condamnés à rester les témoins de l’une des pires tragédies du siècle, sans pouvoir espérer agir.

Pour conclure, je vous soumets monsieur le ministre, deux interrogations sur lesquelles vous pourriez nous apporter votre éclairage.

D’une part, quelles ont été les répercussions de la tentative de coup d’État sur notre coopération avec la Turquie, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme ?

D’autre part, quel est aujourd’hui l’agenda de la France à l’égard de la Turquie, en vue de cette intensification des relations à tous les niveaux que nous préconisons, notamment face à la crise au Levant ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées de l’UDI-UC. – M. Henri de Raincourt applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, dont je rappelle qu’il est l’un des auteurs du rapport d’information établi au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées intitulé L’Europe au défi des migrants, agir vraiment ! 

M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ensemble des nations européennes et occidentales sont confrontées à un paradoxe. Elles ont manifestement – le Levant en est l’illustration – une difficulté particulière à s’adapter à un système international qui correspond pourtant, au fond, au vœu, exprimé à droite comme à gauche depuis des décennies, de voir le monde libéré de la logique des blocs et de l’emprise de l’hyperpuissance américaine.

La crise au Levant est très exactement la conséquence de cette mutation en cours. Nous avons parfois tendance à la ramener à des considérations plus simples, en la réduisant à un affrontement entre chiites et sunnites ou à des problématiques essentiellement religieuses, alors que nous assistons tout bonnement, me semble-t-il, à une reconfiguration des enjeux.

Plusieurs signes nous l’ont montré au cours de ces dernières années.

Je pense d’abord à l’affaiblissement de l’hyperpuissance américaine. Son intervention désinvolte en Irak a provoqué les conséquences que nous connaissons. D’une certaine manière, l’intervention presque aussi désinvolte que nous avons menée en Libye, sans en mesurer toutes les incidences politiques, montre bien dans quelles situations difficiles nous pouvons nous trouver engagés si nous n’envisageons pas les suites des initiatives que nous sommes amenés à prendre. Cela signifie que nous devons tirer les leçons du passé et toujours accueillir avec beaucoup de circonspection les appels à utiliser l’argument militaire dans un contexte de cette nature.

Par ailleurs, nous l’avons vu, de nouvelles alliances se font jour. Nous assistons aujourd'hui à un rapprochement entre la Russie et la Turquie qui nous interpelle. En même temps, nous ne pouvons pas ignorer les raisons qui conduisent ces deux États à se rapprocher et qui poussent la Russie à mener dans la région une politique certes condamnable, mais que nous pouvons pour autant analyser.

Ignorer que la Russie est d’abord motivée par la volonté d’empêcher l’expansion des forces islamiques radicales qui la menacent dans le Caucase, ignorer qu’elle a pour préoccupation de préserver, d’une certaine manière, le statut particulier qu’elle a su retrouver en se plaçant au premier rang dans un certain nombre de conflits qu’elle contribue à nourrir et à entretenir nous exposerait naturellement à adopter une lecture biaisée de la situation. Nous devons toujours nous efforcer d’envisager les stratégies des uns et des autres sans nous en tenir à une logique manichéenne reposant sur un jugement d’ordre moral, même si les agissements russes à Alep doivent être condamnés.

Les valeurs autour desquelles nous souhaitions auparavant organiser le monde sont aujourd’hui remises en cause. Ainsi, le respect des droits de l’homme n’est plus une grille de lecture acceptée par tous, en tout cas de manière mécanique. Certains font valoir d’autres façons de l’envisager ou même d’autres critères, ce qui nous oblige parfois à reconsidérer nos positions.

Devant cette évolution, la question de l’implication et de l’organisation de l’Europe est évidemment fondamentale. Nous devrions pouvoir nous appuyer sur une Europe déterminée, forte et, surtout, sachant vers quoi elle veut aller.

La crise migratoire a bien montré que nous sommes malheureusement loin de ces objectifs. Ce n’est pas que l’Europe soit incapable de définir des politiques et des objectifs : elle l’a fait à plusieurs reprises en matière de migrations, en mettant en place des instruments qui pouvaient constituer une réponse adaptée à la situation, en mobilisant des crédits d’intervention au bénéfice des pays de premier accueil, en renforçant ses moyens d’intervention humanitaire en Méditerranée, en débloquant des crédits supplémentaires pour favoriser l’accueil des réfugiés, en organisant la relocalisation des familles. Bref, elle a essayé de mobiliser les moyens nécessaires et a même amorcé une réflexion sur une réforme, sans doute indispensable, de l’espace Schengen et des règles de Dublin, mais elle s’est heurtée à une absence de volonté politique commune.

On peut faire reproche aux États de prendre des initiatives, mais ils y sont presque contraints dans ce contexte. Où en serions-nous si Mme Merkel n’avait pas accepté d’accueillir en Allemagne les réfugiés ? Que seraient-ils devenus ? Quelle serait la situation dans les Balkans ? Où en serions-nous si l’Allemagne, accompagnée par le reste de l’Union européenne, n’avait pas pris l’initiative de conclure avec la Turquie un accord sans doute contestable sous de très nombreux aspects, s’agissant en particulier de la question du droit d’asile, mais qui a été la seule réponse efficace trouvée pour mettre un terme à la situation humanitaire épouvantable que l’on observait en mer Égée et, plus généralement, en Méditerranée ?

Pourtant, seule l’Europe nous permettra d’apporter des réponses en profondeur. Comme l’a mis en lumière le rapport que Jacques Legendre et moi-même avons rédigé, nous ne pouvons envisager de construire des politiques de gestion des flux migratoires que si l’Europe tout entière se mobilise pour conclure avec les pays d’origine des migrants de véritables pactes permettant de financer leur développement économique et d’organiser l’accueil provisoire des personnes qui souhaitent émigrer. La situation ne pourra être maîtrisée tant qu’il existera un rapport de un à trois entre l’aide publique au développement et l’argent envoyé par les personnes migrantes dans leurs pays d’origine.

Dans ce contexte, la France a fait ce qu’elle pouvait faire. Je pense qu’elle a agi avec courage. J’en veux pour preuve, monsieur le ministre, votre engagement pour tenter de rechercher une solution politique en Syrie et nouer le dialogue avec l’ensemble des parties.

On peut, en revanche, se demander si nous sommes toujours parfaitement lucides. On sait combien il est difficile d’envisager l’émergence d’une Syrie démocratique quand les forces rebelles sont à près de 80 % acquises au djihad, selon les chiffres fournis par l’armée française. Comment vouloir à la fois la paix et le départ de Bachar al-Assad, ces deux objectifs pouvant paraître quelque peu contradictoires ?

Pour autant, la France n’a pas à rougir de l’action qu’elle mène, dans la mesure où elle s’efforce de concilier ses valeurs et des ambitions fortes. Il faudrait naturellement qu’elle puisse réussir à les faire partager par ses partenaires en Europe, notamment l’Allemagne, pour reconstruire ensemble une approche plus politique des problèmes, qu’il s’agisse de la Russie, de la Turquie ou de la situation syrienne, en résistant à la tentation de donner des leçons de morale. La France ne peut y parvenir seule. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, en préambule, rendre hommage à tous nos soldats qui œuvrent sur ces vastes territoires dans des conditions très rudes, et spécialement à ceux d’entre eux qui ont été récemment blessés. J’ai aussi une pensée pour les populations civiles qui, d’Alep à Mossoul, vivent dans leur chair cette crise.

La crise au Levant est aujourd’hui protéiforme : elle est politique, militaire, humanitaire et, depuis peu, diplomatique ! Malheureusement, la France est loin d’être exempte de tout reproche !

Il est difficile, en trois minutes, d’analyser cette situation bien complexe et que, trop souvent, les politiques français, comme les médias, caricaturent, simplifient par une vision idéologique et même parfois manichéenne !

Qu’en est-il de la politique de la France dans cette région, et spécialement en Syrie ? Obnubilés par un prétendu succès des « printemps arabes », les politiques français ont fait, dès le début des troubles, le choix de soutenir les opposants au gouvernement légitime alors en place. J’imagine que les aimables pressions venues d’outre-Atlantique ou des pays de la péninsule arabique ne sont pas étrangères à ce choix ! Où est notre indépendance dans cette affaire ? Où est la voix si singulière de la France dans le monde, qui faisait à juste titre notre fierté ? Cette voix qui, en 2003, avait exprimé le refus de créer le chaos en Irak ? Malheureusement, depuis cette époque, notre politique étrangère n’est plus définie sur les rives de la Seine, mais bien sur celles du Potomac !

La chute du régime syrien, dont certains actes méritent évidemment d’être condamnés sans réserve, mais grâce auquel un certain nombre de minorités, notamment chrétiennes, pouvaient vivre en paix, n’allant pas assez vite, les politiques français ont fait le choix, comme ils l’avaient fait pour la Libye, avec le résultat que l’on connaît, de fournir argent et armes à ces opposants soi-disant modérés. Dommage que ces derniers se soient empressés de tout donner à des opposants beaucoup moins modérés, comme Al-Nosra, voire Daech ! Certes, nous n’avons pas directement armé de groupes terroristes, contrairement aux Américains, si j’en crois certaines révélations de Wikileaks, mais c’est tout comme ! C’est sans doute ce qui faisait dire à votre prédécesseur, monsieur le ministre, qu’Al-Nosra avait fait du « bon boulot »… Je ne vois pas en quoi décapiter des enfants serait du bon boulot !

Il faut être clair : on n’a jamais empêché ni arrêté une guerre civile en distribuant des armes !

Sur le terrain, qui est aujourd’hui en mesure de mettre un terme à ce conflit, ou plutôt à ces conflits ?

Pour ce qui est de l’Irak, la coalition semble arriver à quelques résultats. On est cependant clairement passé d’un soutien aérien à un soutien au sol ; nous en reparlerons demain.

Qu’en est-il en Syrie ? Oui, à Alep, il y a des morts, mais c’est malheureusement le lot de toute guerre de faire des morts, voire des morts innocents ! En tout cas, ces morts se retrouvent aussi bien à l’est qu’à l’ouest ! Il faut en finir avec la désinformation selon laquelle seules les forces légitimes de Syrie et leur allié russe bombarderaient. Les rebelles bombardent tout autant et tuent aussi des innocents ! D’ailleurs, la trêve âprement négociée a été rompue par les rebelles prétendument modérés, plutôt qualifiés d’« islamistes » par un certain nombre d’experts.

Je n’ai guère le temps d’évoquer l’accord entre l’Union européenne – ou plutôt l’Allemagne au nom de l’Union européenne – et la Turquie au sujet des migrants, mais il est sûr que les intérêts français sont loin d’avoir été favorisés…

En conclusion, il est plus que temps de mettre en place une politique étrangère qui soit dictée par le seul souci de défendre les intérêts de la France et des Français. Il faut donc se libérer des rênes américano-saoudiennes, des rênes de l’Union européenne et de l’idéologie « droit-de-l’hommiste ».

Bref, la France doit avoir une politique étrangère indépendante. Alors sa voix sera à nouveau entendue ; c’est peut-être ce qui manque pour essayer de trouver une solution à cette crise au Levant !

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue la tenue de ce débat sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés. Il permet en effet à chacun de clarifier ses positions sur ce sujet central.

En ce qui nous concerne, mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même sommes sans ambiguïté en faveur d’un examen attentif de la situation des réfugiés, au nom du droit d’asile, qui est une tradition historique française.

Cela étant, nous pensons que ce problème doit être envisagé au niveau approprié, celui de l’Union européenne.

Je tiens à saluer au passage tous les élus locaux qui se sont pleinement investis pour permettre un accueil apaisé des réfugiés dans leur collectivité. Il s’agit pour nous autant d’un devoir de solidarité et d’accueil que d’une marque d’attachement aux valeurs de la France.

Quant à l’action de la France, elle doit certes se concentrer sur le territoire national, mais aussi s’exercer sur les terrains européen et international. Il s’agit tout à la fois d’accueillir des réfugiés déjà en partance que de travailler à une stabilisation rapide des pays du Levant, où la situation engendre des départs massifs et forcés.

À l’échelon national, le Gouvernement, en concertation avec les collectivités territoriales, doit établir un vaste plan d’accueil digne des réfugiés, et ce sur l’ensemble du territoire. En effet, en appeler aujourd'hui, comme certains le font, à la définition de « zones sans migrants », c’est tourner le dos à toutes les valeurs et à l’histoire de notre République.

Soyons honnêtes : c’est en s’enferrant dans cette logique d’un pays sans immigration que nous avons, avec les Britanniques, participé à la création de la jungle inhumaine de Calais, où je me suis rendue, lundi 10 octobre, avec mes collègues Pierre Laurent, Éliane Assassi et Dominique Watrin.

Au fond, c’est ce que ne veulent pas admettre les défenseurs de la création de « zones sans réfugiés ». En musclant notre politique migratoire, nous ne cessons de nourrir les filières illégales d’immigration.

Cette exigence d’un accueil digne et humain impose un effort partagé de l’État et des collectivités pour la mise en place de dispositifs médico-sociaux, d’insertion professionnelle et scolaires, tels que définis par la convention de l’ONU.

À l’échelon européen, plusieurs questions demeurent. La France devra, à mon sens, participer à l’élaboration de réponses communes suffisamment efficaces pour permettre d’accueillir le million de réfugiés qui ont atteint les côtes européennes, par la Grèce, la Turquie et l’Italie, principalement en 2015.

Dans cet esprit, à l’image de ce que j’ai pu dire sur les « territoires sans réfugiés », j’estime que l’attitude de certains pays, telle la Hongrie, est une honte, tant l’Europe semble se trouver à un tournant historique.

Mes chers collègues, vous connaissez les critiques que nous formulons à l’égard de l’Union européenne telle qu’elle se construit. Néanmoins, une dislocation de l’Union à propos de cette question des réfugiés nous semble devoir conduire à une disparition pure et simple de l’Europe, ce qui serait parfaitement regrettable.

Nous n’oublions pas, en effet, que l’Union européenne s’est construite, pour partie, sur des valeurs de paix. Comment, dès lors, justifier qu’elle tourne le dos aux réfugiés et qu’elle se divise sur une question aussi centrale ?

La fermeture de la route des Balkans, décidée sur l’initiative de la Slovénie, de la Serbie, de la Croatie ou de la Macédoine, n’a fait qu’aggraver une situation déjà précaire. En effet, cette route a vu passer plus de 85 % des personnes entrées en Europe en 2015, les autres arrivant par l’Italie.

De fait, fermer cette route a créé une solution de blocage, que la Turquie et la Grèce doivent affronter seules. Ni l’accord signé le 18 mars dernier ni l’aide humanitaire d’urgence de 300 millions d’euros ne suffiront.

J’en viens au plus important, à la source du désastre humanitaire d’aujourd’hui : la France et l’Europe doivent pleinement revoir leur politique internationale.

Que ce soit en Syrie, en Libye ou en Irak, les opérations militaires n’auront de sens que si elles sont au service d’objectifs et de solutions politiques. À ce titre, l’opération en cours à Mossoul pourrait permettre une avancée significative, à condition de ne pas créer de nouveaux foyers de guérilleros.

Or, si on peut se réjouir du recul de Daech dans les territoires auparavant occupés, celui-ci ne saurait régler tous les problèmes ni permettre aux habitants de ces territoires de vivre correctement.

À ce titre, notre inquiétude est double.

En premier lieu, l’augmentation du budget de l’aide au développement d’environ 18 millions d’euros cette année ne saurait cacher une baisse de près de 500 millions d’euros sur l’ensemble du quinquennat.

En second lieu, nous ne pouvons que nous interroger sur les transitions politiques aujourd’hui possibles dans une Syrie en proie à une lutte interne entre les rebelles et le régime de Bachar al-Assad, dans une Libye déchirée par la lutte qui oppose les gouvernements de Tripoli et de Tobrouk, avec lesquels la France et l’Europe discutent, ou encore dans un Irak où l’unité et l’équilibre de la tête de l’État est contestée par le Kurdistan autonome et les milices paramilitaires.

Cette situation déjà complexe est encore rendue plus difficile par les diverses ingérences, qu’elles soient le fait de la Turquie, par exemple à Rojava contre les Kurdes, de l’Iran, par le biais des milices Hachd al-Chaabi, ou encore de la Russie en Syrie.

Reprenant les mots d’un ancien ministre des affaires étrangères avec qui nous avons pourtant eu de profonds désaccords, je dirai que la France est un vieux pays d’un vieux continent, qui a connu les guerres et la barbarie et qui pourtant n’a cessé de se tenir debout face à l’histoire et devant les hommes, fidèle à ses valeurs.

La France doit aujourd’hui plaider en faveur d’un arrêt, le plus tôt possible, des opérations militaires et de l’apport d’une aide logistique en vue de permettre des transitions politiques apaisées.

La première des priorités est de rétablir le dialogue entre la Russie et l’Europe, ainsi qu’entre Moscou et Washington. Mais la France pourra-t-elle se constituer en arbitre, étant donné sa position au sein de l’OTAN et la crise des Rafale ?

En tout cas, la seule solution semble être de parler avec toutes les puissances régionales et mondiales, pour, à terme, voir se réduire le flux des réfugiés sur les rivages européens. En attendant, je le répète, accueillir tous ceux qui demandent l’asile est, à nos yeux, un devoir moral et d’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie vient tout juste de rendre ses conclusions. Je reviendrai sur cet accord qui, nous le savons, est une conséquence directe de la crise tragique qui se joue au Levant.

Ce débat intervient alors que la bataille de Mossoul vient d’être déclenchée. M. le ministre de la défense a qualifié cette ville d’« émetteur d’idéologie ». Sa reprise pourrait changer la donne, en libérant l’Irak du principal bastion de l’État islamique. Souhaitons en tout cas qu’il en soit ainsi…

Au regard des moyens colossaux engagés dans cette opération par tous les acteurs impliqués aux côtés de l’Irak, la victoire des alliés est probable, mais à quel prix et dans combien de temps interviendra-t-elle ? Si la bataille venait à durer, on devrait s’attendre à un drame humanitaire, un de plus, qui s’ajouterait au martyre que vivent les habitants d’Alep, dans la Syrie voisine.

En outre, lorsque nous aurons délogé l’État islamique de Mossoul, nous n’en aurons pas fini, hélas, avec les djihadistes, qui, même disséminés, savent se réorganiser. Ainsi, le Front Fatah al-Cham profite de l’affaiblissement de l’État islamique pour s’affirmer.

Aussi les discussions politiques doivent-elles s’intensifier, car chaque jour qui passe apporte son lot de victimes et de ressentiments sur le terrain, ce qui nous éloigne toujours un peu plus de l’objectif ultime de réconciliation des populations civiles au Levant.

Quel peut-être le rôle de la France dans tout cela, monsieur le ministre ? Nous le voyons bien, notre diplomatie n’est pas inerte, tant s’en faut, en tout cas pour ce qui est de prendre des initiatives. Je pense à la dernière en date, à savoir la proposition française de cessez-le-feu présentée lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, qui n’a pas abouti. Néanmoins, on a pu mesurer, à cette occasion, combien est difficile le pourtant indispensable dialogue entre Paris et Moscou. Cette situation est regrettable, tout comme l’est notre exclusion des discussions de Lausanne, samedi dernier…

Vous le savez, le groupe du RDSE a toujours considéré que la Russie était un partenaire incontournable, tant dans la gestion du dossier syrien que dans la lutte contre notre ennemi numéro un, l’État islamique. Même les États-Unis se sont rendus à cette évidence et, malgré les accrocs, les contacts s’intensifient entre Washington et Moscou : cela s’appelle la realpolitik ! Il n’est de solutions, au Levant comme ailleurs, comme le rappelait M. Raffarin, que fondamentalement politiques.

En attendant le règlement de ces crises, des réfugiés continuent d’affluer aux frontières de l’Europe. Certes, le mouvement s’est ralenti, en partie grâce à l’accord du 18 mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie. Cet accord a pu susciter des débats quant à sa solidité juridique et aux conditions politiques, en particulier internes à la Turquie, dans lesquelles il a été conclu, mais il a le mérite d’exister et de créer un pont politique avec ce pays, partenaire incontournable, tout comme la Russie, pour la recherche d’une solution.

Il fallait agir, d’autant que – tous les experts sont formels sur ce point – l’Europe doit se préparer à connaître de nouvelles pressions migratoires, notamment en provenance du Sahel. Il est donc urgent que l’Union européenne se dote d’une véritable politique migratoire instaurant, par exemple, des voies légales de migration ou une politique d’asile commune. En effet, acculée en 2015 et en 2016 par un afflux de réfugiés sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Union européenne a, là aussi, montré ses faiblesses tant matérielles que politiques.

En situation d’urgence humanitaire, l’Europe s’est révélée incapable d’apporter des réponses. Pour contenir la situation aux frontières, il a fallu s’en remettre à la Turquie ou réformer FRONTEX et accroître son budget dans la précipitation. Comment se peut-il qu’un ensemble européen de près de 500 millions d’habitants ne soit pas capable d’accueillir 1 million de réfugiés, quand la Turquie en abrite plus de 2,7 millions et le Liban, plus d’1 million ?

Tout cela n’est que le reflet des difficultés que rencontre l’Europe pour présenter un seul visage, ce qui lui donnerait plus de poids, à l’heure où de grands ensembles régionaux s’organisent partout dans le monde. Hélas, dès que la solidarité est mise à l’épreuve, les réflexes souverains finissent par l’emporter, comme l’a montré la remise en cause de l’espace Schengen.

Si nous voulons donner toute sa force à un ensemble théoriquement en mesure de transmettre des valeurs universelles, il nous faut repenser dans ses fondements l’Union européenne. En effet, si les outils techniques pour relever les grands défis finissent toujours par émerger, on voit bien que s’instaure toujours davantage une « Europe à la carte », ce qui nous éloigne du principe de solidarité, laquelle doit pourtant rester, à mon sens, la clef du progrès pour tous. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe CRC. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, le titre de notre débat est non pas « La France face à la crise au Levant », mais bien « La France et l’Europe face à la crise au Levant ». Je voudrais, pour ma part, évoquer l’Europe par le biais du prisme des migrations, au travers de ce que j’appellerai le « jeu des sept erreurs ».

En effet, la gestion de cette crise a constitué une suite d’erreurs qui ont porté un sérieux coup à l’Union européenne ; or celle-ci, par les temps qui courent, n’en avait nullement besoin. L’analyse de ces erreurs vise non pas à accabler les responsables, mais à contribuer à relever le défi qui vient : les migrations vont s’accentuer, la crise actuelle n’en constituant qu’une répétition générale. Identifier ces erreurs est donc nécessaire si nous ne voulons pas les reproduire.

La première erreur a été de recourir à la politique de l’autruche. Le problème des réfugiés et des migrants est ancien. Il s’est aggravé depuis 2011. La guerre civile en Syrie, la chute de Kadhafi, la guerre en Afghanistan, la répression en Érythrée, la guerre civile au Soudan, au Mali et ailleurs imposaient, au-delà des priorités militaires et stratégiques, que l’on se préoccupe d’un exode massif de migrants dont les prémices s’accumulaient. Or rien n’a été fait. C’est donc dans l’urgence, lorsque l’Italie et la Grèce ont été submergées par des arrivées massives, que l’on a dû réagir, dans des conditions d’impréparation totale. Cette première erreur a entraîné les autres.

La deuxième erreur a été le chacun pour soi. L’Europe a fait la preuve de son incapacité à mettre en place une réaction globale et concertée. Il faut le dire franchement, la Grèce et l’Italie ont été abandonnées à leur sort. N’ayant pas les moyens de faire autrement, elles ont réagi en laissant filer les réfugiés. La conséquence a été le blocage des frontières, de proche en proche, chacun se barricadant chez soi. Tout cela s’est passé sous le regard des caméras de télévision ; chaque soir, le journal télévisé donnait l’impression qu’une marée humaine arrivait, ce qui a plongé les populations européennes dans une alternance de pitié culpabilisée et de panique horrifiée.

La troisième erreur a été l’incapacité de l’Union à décider et à agir rapidement. Il était impératif de modifier le processus de Schengen ou, tout au moins, de le suspendre et de trouver des solutions d’urgence. Les deux réunions du Conseil européen de septembre 2015 n’ont même pas abouti à un accord sur l’objectif, pourtant bien modeste, de relocaliser 120 000 réfugiés syriens. Au contraire, elles ont exposé des désaccords majeurs entre Europe de l’Est et Europe de l’Ouest, fragilisant un peu plus l’institution européenne.

Quatrième erreur, le chacun pour soi a mené au « un pour tous ». En août 2015, Angela Merkel a annoncé sans concertation, suscitant la colère de ses partenaires, que l’Allemagne était prête à accueillir un million de réfugiés. Cette décision a eu au moins trois conséquences : l’afflux immédiat de nouveaux réfugiés, le constat de l’effacement tragique de la France, dont le déclin économique entraîne la perte d’influence et qui n’a même pas été consultée, enfin le court-circuitage de la Commission, du Conseil et du Parlement européens, principales institutions de l’Union.

La cinquième erreur, à nouveau conséquence de la précédente, est la négociation, sous le coup de la panique, de l’accord avec la Turquie. Là aussi, il s’agit d’un accord germano-turc, et non européo-turc. La France et d’autres pays européens ont eu beau faire semblant d’avoir participé au processus, c’est l’Allemagne, et elle seule, qui a négocié ; ses partenaires ont découvert les termes de l’accord dans la nuit précédant sa signature…

Quant à ces termes, c’est une aberration d’avoir lié le sujet des réfugiés à celui des visas pour les citoyens turcs, ces deux points étant sans aucun rapport logique. En promettant la libéralisation des visas, l’Europe a émis plusieurs signaux catastrophiques. Le premier a été envoyé à l’opposition turque, qui se bat contre un régime de plus en plus dictatorial. Or, avec cet accord, on accordait un brevet de démocratie au dictateur. Deuxième signal, l’Union est prête à s’asseoir sur ses valeurs pour obtenir un avantage conjoncturel. Le troisième signal est qu’Erdogan tient maintenant l’Union dans sa main et peut exercer sur elle n’importe quel chantage, sous la menace de nouvelles vagues de réfugiés.

Enfin, il est évident que les responsables de la signature d’un tel accord n’ont pas bien compris la situation de la Turquie. Ce pays est au bord de la guerre civile. Ce n’est pas la Syrie et ses 20 millions d’habitants : c’est un pays de 75 millions d’habitants, dont 15 millions de Kurdes, 15 millions d’alévis et des millions de démocrates qui n’acceptent pas l’évolution dictatoriale du régime. La prochaine vague de réfugiés, si les visas sont accordés, sera turque. D’ores et déjà, 500 000 Kurdes, chassés par la guerre civile au Kurdistan, sont réfugiés à l’ouest de la Turquie. Ils seront demain les premiers candidats à l’asile en Europe ; beaucoup d’autres suivront.

La sixième erreur a été commise par la Commission européenne, qui apparaît aujourd’hui non comme une instance sérieuse et indépendante, mais comme l’exécutrice de décisions politiques fâcheuses, subissant de ce fait une incroyable décrédibilisation. En mars 2016, un rapport de la Commission indiquait que, sur les soixante-douze conditions posées à la mise en œuvre de l’accord sur les visas, la Turquie en remplissait dix et était « en bonne voie » pour vingt-six autres. Deux mois plus tard, alors que le régime n’avait fait que se durcir, la Commission indiquait publiquement que soixante-sept conditions étaient remplies… Cet enfumage – il n’y a pas d’autre mot – ravale la Commission européenne au rang de machine à signer, prête à n’importe quel mensonge. C’est un argument de poids donné aux eurosceptiques qui ne cessent de dire, hélas avec raison en l’occurrence, que l’Europe est un processus opaque et non démocratique.

M. David Rachline. Merci de le dire !

M. Claude Malhuret. La septième erreur, enfin, consiste à renouveler toutes les précédentes. Alors que la situation se fait chaque jour plus menaçante, on persiste dans la même politique, consistant à se voiler la face, à ne rien décider et à prier pour que le pire n’arrive pas. Alors qu’il est urgent de profiter de la relative accalmie, due à la fermeture provisoire des frontières turques, pour préparer de nouvelles mesures, aucun plan de crise, aucune coordination n’émergent à ce jour, en dehors d’un renforcement, bien insuffisant, de FRONTEX.

Pourtant, le pire est presque certain. L’évolution du régime turc depuis le coup d’État ne permettra pas à la Commission de prétendre, en octobre ou en novembre, que les conditions sont remplies pour la libéralisation du régime des visas. Erdogan a déjà prévenu que, dès lors, il rouvrirait les vannes. Les départs reprennent depuis l’Afrique du Nord, notamment la Libye. Surtout, comme je le disais en introduction, nous ne sommes confrontés, pour le moment, qu’à une répétition générale. Les migrations économiques, climatiques et politiques ne font que commencer. Dans les années qui viennent, y faire face sera l’un des défis majeurs de l’Europe. Malheureusement, celle-ci fait tout sauf s’y préparer. Après le Brexit, l’explosion de l’espace Schengen et la montée des populismes, ce nouveau défi pourrait bien lui être fatal. Quels responsables politiques auront la force et le courage de le relever avant qu’il ne soit trop tard ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l’UDI-UC. – Mme Leila Aïchi applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je tiens d’abord à remercier M. le rapporteur et son groupe, qui sont à l’initiative de la création de cette mission d’information sur l’accord politique entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés. Nos travaux ont été l’occasion d’auditions extrêmement intéressantes et l’on peut se féliciter, monsieur Billout, que votre rapport ait été adopté à l’unanimité.

Vous l’avez rappelé, la Turquie connaît, depuis le début de 2014, un afflux sans précédent de migrants. Ces enfants, ces femmes et ces hommes fuient l’intensification du conflit en Syrie et la terreur instaurée par l’État islamique dans ce pays et en Irak. Une majorité d’entre eux souhaitent rester en Turquie, dans l’attente d’une éventuelle amélioration de la situation dans leur pays ; les autres veulent faire route vers l’Europe. C’est ainsi que, à la fin de 2015, 3 millions de réfugiés se trouvaient sur le sol turc, tandis que 870 000 personnes débarquaient en Grèce, souhaitant prioritairement rejoindre l’Allemagne, à la suite de la déclaration de bienvenue faite par Mme Merkel à l’été de la même année, ou, à défaut, d’autres pays, comme la Suède.

En décembre 2015, la pression migratoire atteignit un pic, avec 10 000 arrivées par jour de Syriens, d’Irakiens, mais aussi d’Afghans, lesquels représentent un tiers des migrants arrivés sur l’île de Lesbos. Cette île aura vu plus de 500 000 réfugiés fouler son sol.

Cette pression s’est révélée intenable pour la Grèce exsangue. Lorsque la route des Balkans, devenue autoroute vers l’Europe, a été fermée, la situation est devenue hors de contrôle. Devant la crise humanitaire, l’urgence et l’inquiétude de l’opinion publique européenne, l’Allemagne, appuyée par la France et relayée par la Commission européenne, a pris l’initiative d’un dialogue renforcé avec la Turquie, qui avait déjà signé un premier accord de réadmission des migrants irréguliers.

Ce nouvel accord, prévoyant le renvoi vers la Turquie de tous les migrants arrivés en Grèce à compter du 20 mars, a produit les effets escomptés. Les informations sur les difficultés à passer les frontières des Balkans circulant via les réseaux sociaux, ainsi que la vigilance turque à l’égard des passeurs ont fait chuter le nombre d’arrivées, qui s’établit actuellement à moins de 100 par jour. L’objectif de stopper l’afflux de réfugiés est atteint.

Pour autant, cet accord politique est controversé et insatisfaisant.

Il est controversé, parce que l’Europe semble céder à un chantage de la Turquie et que les contreparties politiques ne sont pas toutes en lien direct avec la question des réfugiés.

Il est controversé, parce que le respect des droits fondamentaux en Turquie pose question, en particulier depuis le coup d’État manqué du 15 juillet, à la suite duquel une répression intense s’est abattue sur le pays.

Il est controversé, parce que tous les migrants arrivés après le 20 mars sont susceptibles d’être renvoyés.

Il est insatisfaisant, parce que le dispositif de renvoi est en fait inopérant et que, pour 20 000 migrants arrivés depuis le 20 mars, seulement 633 retours avaient été comptabilisés à la fin de septembre ; encore faut-il noter qu’aucun de ces retours ne faisait suite à une déclaration d’irrecevabilité de la demande d’asile.

Il est insatisfaisant, parce que la situation des migrants en Grèce reste précaire. Les hotspots fonctionnent au double de leur capacité, le provisoire s’éternise, les conditions de vie se dégradent, les camps de transit sont devenus des camps de rétention et les tensions s’accroissent, comme en attestent rébellions et violences. La cinquantaine de camps de Grèce continentale qui accueillent les 50 000 migrants arrivés avant le 20 mars n’offrent pas tous des conditions de vie décentes. Par ailleurs, la situation des 2 200 mineurs isolés identifiés inquiète. Le dispositif grec d’instruction des demandes d’asile est dans un état d’embolie ; tant que cela durera, la situation se dégradera.

Il est urgent de débloquer les moyens nécessaires pour permettre à la Grèce de sortir de cette crise. La participation financière de l’Union européenne doit être augmentée, tout comme les aides bilatérales, à l’image de ce que fait la France. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile doit être renforcé de toute urgence par du personnel compétent. On peut regretter la frilosité de certains États membres pour apporter l’appui nécessaire à l’État grec.

L’accord est insatisfaisant, parce que les frontières restent poreuses. Elles doivent être mieux protégées par FRONTEX, dont les effectifs doivent croître afin que le nombre des entrées puisse encore être réduit.

La situation des réfugiés en Turquie s’améliore grâce à l’accord, mais elle doit encore progresser. Les conditions matérielles de vie, en termes d’accès aux soins, à l’éducation et à l’alimentation, sont en progrès, grâce à une allocation mensuelle. L’accès au marché du travail reste une préoccupation, et des avancées doivent encore être réalisées.

La situation s’améliore, mais il reste que la Turquie n’octroie pas l’asile aux réfugiés autres qu’européens. Elle ne prévoit, pour les Syriens, qu’un statut moins protecteur, imprécis, dont la durée de validité n’est pas connue, ce qui engendre de la précarité. Le dispositif de réinstallation prévu par l’accord, quant à lui, ne fonctionne pas encore : seules 1 614 personnes, sur les 72 000 prévues – chiffre qui était déjà insuffisant –, ont quitté la Turquie pour l’Europe.

Les États membres de l’Union portent une grande part de responsabilité, notamment ceux qui, à l’image de la Hongrie et des membres du groupe de Visegrad, refusent la répartition proposée par la Commission. Mais la Turquie, en distinguant ceux qui peuvent rester et ceux qui peuvent partir, ne facilite pas non plus la mise en œuvre du dispositif.

Le dialogue avec l’Union européenne doit donc se poursuivre. Il doit s’accompagner, pour l’Europe, de la mise en œuvre de tous les engagements liés à la question des réfugiés. Il faut accélérer le versement de l’aide financière, engager les discussions sur un éventuel abondement de cette enveloppe et assouplir ses règles d’utilisation. Mais ce dialogue doit aussi être franc, et l’Europe doit veiller au respect des valeurs fondamentales, tenir un discours sans ambiguïté sur notre attachement au respect de la démocratie, ne pas laisser croire à la Turquie qu’il pourrait y avoir des accommodements, du « donnant-donnant », notamment sur la question des visas.

Les discussions sur une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne doivent être soumises aux mêmes exigences. Être franc, c’est dire que la Turquie n’est pas prête ; vouloir avancer, c’est envisager, peut-être, d’ouvrir de nouveaux chapitres de négociation, par exemple le chapitre 23 « Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux » ou le chapitre 24 « Justice, liberté et sécurité ».

Cet accord a un premier mérite, celui d’avoir mis fin aux naufrages tragiques en mer Égée, qui auront coûté la vie à plus de 800 personnes. Il est imparfait, mais les marges de progrès sont identifiées et des améliorations ont été apportées. Mais cet accord, dont la portée juridique est incertaine, ne résoudra pas à lui seul la crise des réfugiés en Europe. À court terme, il ne peut être pris comme prétexte pour ne pas exercer notre devoir de solidarité. À moyen terme, il ne peut se substituer à la construction d’une politique commune d’immigration et d’asile. On ne peut se contenter d’externaliser le traitement des demandes d’asile : cet accord ne peut donc être un modèle duplicable.

L’Europe doit se ressaisir ! Elle doit muscler son aide au développement, prévenir les flux migratoires à venir, liés aux questions climatiques, démographiques, économiques et politiques. Elle doit protéger ses frontières extérieures, lutter contre les passeurs, faciliter le retour des migrants irréguliers en les aidant. Elle doit faire preuve de solidarité et imposer le respect des règles communes aux pays membres qui s’en exonèrent.

L’Europe doit se ressaisir, pour garantir en son sein la cohésion nécessaire à l’acceptation sociale de l’immigration, en restant fidèle à ses valeurs comme à l’idéal européen, et ouverte sur le monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reprends la parole afin de tirer quelques leçons du travail mené avec mon collègue Gaëtan Gorce, au nom de la commission des affaires étrangères, sur le thème de l’Europe face à la crise des migrants.

Une crise migratoire n’est pas une affaire nouvelle en Europe : on a trop vite oublié les grands déplacements de populations consécutifs à la Seconde Guerre mondiale. Dans les années quatre-vingt-dix, l’Europe s’est dotée de nombreux instruments de coordination politique et opérationnelle dans ce domaine. Cependant, le conflit syrien a révélé toute la faiblesse de ces outils et le niveau d’impréparation réelle des Européens.

Qu’il s’agisse de la maîtrise des frontières extérieures ou des règles de Dublin pour la gestion des demandes d’asile, les outils communautaires ont été conçus pour un temps calme, non pour la tempête. Pourtant, l’exil de millions de réfugiés syriens vers les pays voisins à partir de 2011 aurait dû inciter les Européens à se préparer à cette irruption massive. Il n’en a rien été. L’Europe a fait preuve d’un déficit d’anticipation confinant au déni de réalité. Elle s’est alors condamnée à réagir dans l’urgence, et de manière particulièrement désordonnée, à l’arrivée, en 2015, d’un million de personnes entrées irrégulièrement sur son territoire.

Certes, depuis un an et demi, les initiatives se sont multipliées, mais le bilan s’avère plus que mitigé. Dans le meilleur des cas, les États membres ont acquiescé aux mesures prises, sans toutefois montrer de réelle implication dans leur mise en œuvre ni s’acquitter des engagements financiers auxquels ils avaient souscrit. Au pire, ils ont fait étalage de leurs profondes divisions.

Cette gestion chaotique de la crise migratoire a suscité des tensions telles qu’elle menace d’éclatement l’espace Schengen, c’est-à-dire la concrétisation du principe de libre circulation des personnes, la pierre angulaire même de la construction européenne. Divisée et affaiblie, l’Union européenne a été réduite à s’en remettre à son voisin turc, dont elle ne partage pas tous les objectifs au Levant : cela est dangereux !

L’accord trouvé au mois de mars est difficilement applicable. En outre, il comprend des concessions importantes sur la libéralisation du régime des visas, et ce alors même que la Turquie semble s’enfoncer dans l’autoritarisme.

Qu’il s’agisse ou non de la conséquence directe de cet accord, la conclusion de celui-ci a néanmoins coïncidé avec un répit – certes relatif – sur le front migratoire. Cette accalmie ne saurait pourtant faire oublier que les migrations, bien au-delà du drame syrien, demeureront un enjeu majeur des années, voire des décennies, à venir.

À l’échelle mondiale, en particulier sur notre continent, les conséquences du changement climatique et l’installation durable d’un arc de crise dans l’environnement proche de l’Europe continueront à nourrir des flux migratoires importants.

Surtout, c’est l’évolution du continent africain qui doit aujourd’hui nous interpeller. La population de l’Europe est stationnaire, voire déclinante ; l’Afrique subsaharienne verra la sienne passer de 750 millions de personnes à 2 milliards en 2050. Si les flux observés sur la route de la Méditerranée orientale, privilégiée par les réfugiés syriens, ont connu une spectaculaire décrue, les arrivées reprennent par la route de la Méditerranée centrale, empruntée essentiellement par des migrants économiques en provenance d’Afrique subsaharienne. Il s’agit là d’un mouvement constant, appelé à durer. Ne faisons pas preuve, sur ce sujet, de la même cécité qu’à l’égard du conflit syrien.

Si l’adoption récente des projets de création de corps européens de garde-côtes et de garde-frontières représente une avancée considérable, elle ne saurait suffire, tant nous manquons d’une stratégie globale et d’instruments robustes en matière de gestion des migrations.

Monsieur le ministre, la construction d’une réponse efficace et globale à ce défi doit maintenant devenir l’une des priorités de notre diplomatie et de la diplomatie européenne. La France est apparue relativement effacée sur ces dossiers fondamentaux. Nous attendons d’elle qu’elle prenne des initiatives à l’égard de nos partenaires, comme dans la lutte contre les réseaux de passeurs, contre cette économie de la migration qui tire des revenus énormes d’une forme nouvelle d’esclavage.

Il est temps de comprendre qu’une sécheresse dans le Sahel, un conflit politique mal réglé en Afrique centrale, la persistance d’une dictature brutale quelque part dans la corne de l’Afrique se traduit et se traduira par l’arrivée sur les côtes méditerranéennes d’hommes et de femmes qui n’ont plus rien à perdre et pour qui le mirage européen représente le seul espoir.

La question des migrations n’est plus seulement stratégique pour l’Europe, elle est devenue existentielle pour l’Union européenne, donc pour la France. Il est plus que temps d’en prendre conscience ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC. –Mme Bariza Khiari applaudit également.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plus de cinq ans que la guerre a commencé en Syrie. Plus de 300 000 personnes sont mortes, plus de 5 millions de Syriens ont fui leur pays et Daech n’a cessé de croître territorialement jusqu’au mois de janvier 2015, où la coalition a commencé à lui porter des coups importants.

L’Irak et la Syrie sont en ruine : Alep, ville plusieurs fois millénaire, est détruite, rasée, ses habitants ont été massacrés. Autour, le Liban et la Jordanie, à qui nous devons apporter tout notre soutien, tiennent malgré tout avec beaucoup de courage. Songeons aussi à toutes les conséquences que cela entraîne, partout dans le monde, plus particulièrement en France avec les terribles attentats qui ont meurtri notre territoire.

La crise migratoire en Europe déstabilise nos pays, déstabilise en partie l’Europe. Nous n’avons pas assez souligné que le vote pour le Brexit des Britanniques est aussi un vote de peur devant l’afflux d’immigrés en Europe.

Aussi la question qui me paraît cruciale aujourd’hui n’est-elle plus de savoir qui sont les responsables de cette guerre et de la désagrégation d’une partie du Levant : elle est de savoir ce que nous pouvons faire, sur le plan diplomatique, pour en sortir.

Dans cette perspective, le dialogue avec la Russie est fondamental. Monsieur le ministre, quand arriverons-nous à avoir un dialogue constructif avec ce pays et quand ces menaces permanentes cesseront-elles ? J’ai été abasourdi de voir le Président de la République tergiverser, devant des journalistes, pour savoir s’il devait ou non recevoir le président Poutine à Paris… (M. René-Paul Savary applaudit.)

M. Gérard Longuet. Ah, les états d’âme du président Hollande…

M. Bernard Fournier. Que voulons-nous faire ? Quelle est notre stratégie à long terme ? Croyons-nous toujours qu’il soit possible de mettre fin à la guerre sans les Russes, cinq ans après le début du conflit ? La Russie est-elle notre ennemi ? Voulons-nous vraiment que ce pays, avec qui nous avons tant de liens historiques, se tourne définitivement vers l’Orient, en particulier vers la Chine ? Mesurons-nous réellement les conséquences de cette politique et les risques d’aggravation des conflits dans un monde déjà tellement divisé et incertain ?

Par nos hésitations, nos incohérences, par le manque d’union entre les pays occidentaux, la faiblesse militaire de l’Europe et les déclarations sans suite du président américain, qui fixe des lignes rouges qui ne sont pas respectées, nous avons fait de la Russie l’acteur principal et incontournable de la résolution du conflit syrien.

D’un autre côté, l’Europe ne se porte pas bien. L’écart qui n’a cessé de se creuser ces quinze dernières années entre l’Allemagne et la France, économiquement et industriellement, a de facto laissé la chancelière allemande seule aux commandes de l’Europe. Pour la première fois depuis le début de la construction européenne, on voit l’Allemagne négocier seule au nom de l’Europe ; tout le monde a en tout cas ce sentiment. Il n’y a plus d’équilibre, plus de partage des responsabilités entre nos deux pays. L’accord intenable passé entre Mme Merkel et le président Erdogan sur les migrants en est un parfait exemple.

L’impuissance diplomatique et militaire de l’Europe devient aussi un problème fondamental. Il faut le reconnaître : l’Europe et la France sont aujourd’hui inaudibles.

Lors de mon déplacement au Liban, en Syrie et en Irak avec la Coordination des chrétiens d’Orient en danger, j’ai été frappé par certaines affirmations récurrentes de mes interlocuteurs, qu’ils soient catholiques, orthodoxes ou musulmans : « L’Occident, l’Europe et la France font preuve d’aveuglement. » Selon eux, aujourd’hui, ce n’est pas une guerre civile, c’est « une guerre internationale qui se joue par pions interposés ». Enfin, ils estiment que « l’Occident aurait dû veiller à ne pas avoir une posture irréaliste qui bloque aujourd’hui toute évolution ».

Il me semble plus qu’urgent de les écouter. Il est des circonstances, monsieur le ministre, où la realpolitik peut sauver des vies ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir pris l’initiative de ce débat, que vous m’aviez annoncé lors de ma dernière audition devant votre commission. Je me tiens bien sûr constamment à la disposition du Sénat.

Beaucoup a été dit. Il est vrai que, avec la Méditerranée pour trait d’union, l’Europe et le Levant ont un destin commun. Les crises du Levant nous affectent directement.

Je pense bien sûr d’abord à la Syrie, qui est aujourd’hui l’épicentre d’une crise globale dont l’onde de choc traverse l’ensemble de la région et touche en premier lieu les pays voisins : le Liban, la Jordanie, la Turquie et l’Irak. Cette crise s’étend aussi jusqu’au cœur de l’Europe et nous met face à deux défis majeurs : le défi sécuritaire et le défi migratoire. Cette situation sans précédent, par son ampleur et les enjeux qui la sous-tendent, ne doit pas faire oublier le conflit israélo-palestinien, qui demeure, pour l’équilibre de la région, pour l’Europe et pour la France, tout aussi crucial. (Mme Bariza Khiari applaudit.)

La crise au Levant est d’abord née de la réaction à l’aspiration des peuples à l’émancipation qu’ont révélée les printemps arabes. Cette vague de rejet des régimes autoritaires est venue de l’intérieur, reflétant de profonds bouleversements politiques, économiques et sociologiques accentués par la mondialisation. Elle a déferlé sur l’ensemble du Proche et du Moyen-Orient.

La Syrie de Bachar al-Assad n’y a pas échappé. Après les émeutes de 2011, le régime, dominé par la minorité alaouite, s’est lancé dans une répression sauvage contre sa population. Avec l’appui de la Russie et de l’Iran, le pouvoir a persisté dans cette spirale de violences, qui a abouti, après cinq ans de guerre civile, à la destruction presque totale du pays.

Les effets de la crise syrienne ont été démultipliés par l’affrontement régional entre chiites et sunnites. Cette ligne de fracture ne date pas d’aujourd’hui. L’Iran, qui se perçoit comme chef de file de l’islam chiite, a construit sa politique régionale sur les minorités. Au Liban, en Syrie, au Yémen et ailleurs, il a favorisé l’affaiblissement de l’État central et fait émerger des acteurs puissants, comme le Hezbollah. Leur renforcement a exacerbé les tensions avec la majorité sunnite, soutenue par l’Arabie saoudite.

La Syrie est devenue le réceptacle de toutes ces tensions. Les pays arabes, l’Iran, la Turquie, la Russie se sont progressivement impliqués dans un conflit qui est devenu l’occasion de rebattre les cartes de la puissance à l’échelle de toute la région. La dimension kurde a aggravé les relations déjà difficiles entre les principaux acteurs, les alliances évoluant au gré des modifications de leurs intérêts.

Enfin, la crise syrienne a un impact inédit sur l’Europe, potentiellement dévastateur pour nos sociétés dont elle met à l’épreuve la sécurité et les équilibres.

La menace terroriste est devenue multiforme. C’est avant tout Daech qui, sur fond d’exacerbation du conflit en Syrie, s’est doté d’une assise territoriale, à partir de laquelle ce groupe menace ses voisins et l’Europe. Il est également présent en Libye et il est parvenu à s’étendre par le jeu des franchises et des allégeances : c’est le cas en Afrique, avec Boko Haram.

Se nourrissant du désespoir des populations et de la répression continue en Syrie, Al-Qaeda a également repris des couleurs, à l’image de sa branche syrienne, Jabhat al-Nosra, aujourd’hui rebaptisée Jabhat Fatah al-Cham. Nous condamnons ses activités avec la plus grande fermeté, comme nous appelons, chaque fois que nous le rencontrons, M. Riad Hijab, responsable de l’opposition modérée, à se séparer clairement de ce groupe.

M. Gorce nous dit que 80 % des opposants syriens étaient des djihadistes. Je m’inscris en faux contre cette affirmation. Il importe d’être précis pour ne pas tomber dans les pièges de la propagande. Nos services de renseignement estiment que, à Alep, sur 10 000 combattants, de 200 à 300 appartiennent au groupe Jabhat al-Nosra. Certes, des chiffres un peu plus élevés circulent, mais nous nous accordons avec nos alliés, et même avec les Russes, sur le fait que les djihadistes ne représentent pas plus de 10 % des combattants. (M. Gaëtan Gorce s’exclame.)

Même si les victimes principales du terrorisme islamiste sont les musulmans eux-mêmes, sa folie meurtrière a pris pour cible certaines minorités. Les chrétiens d’Orient et les yézidis incarnent un Levant ouvert et riche de sa diversité. C’est ce Levant-là que Daech abhorre, mais que nous devons contribuer à préserver.

La guerre en Syrie, c’est aussi une crise humanitaire sans précédent et le défi des réfugiés, au nombre de près de 5 millions. On compte aussi plus de 6 millions de personnes déplacées à l’intérieur de la Syrie. Au total, ce sont plus de 13 millions de personnes qui ont besoin d’assistance humanitaire : un chiffre terrible…

Ces réfugiés sont, pour la plupart, pris en charge par les pays voisins, qui sont eux-mêmes fragilisés : le Liban, bien sûr, où ils représentent près de 25 % de la population, mais aussi la Jordanie et la Turquie. Ils sont également pris en charge en Europe, laquelle a un devoir de solidarité. Toutefois, nous le savons bien, dans une période de doutes et de difficultés économiques, cet afflux met à l’épreuve nos sociétés et nos systèmes politiques.

Mesdames, messieurs les sénateurs, devant cette crise multiforme, la France agit.

La France agit d’abord militairement, car Daech nous a déclaré la guerre. Elle s’est engagée pleinement dans la coalition internationale. À la demande des autorités irakiennes, l’opération Chammal a été lancée le 3 septembre 2014 en Irak. Depuis lors, la France n’a cessé d’intensifier ses efforts et les a étendus, le 7 septembre dernier, à la lutte contre Daech en Syrie. Elle participe aux missions aériennes au sein de la coalition et apporte son appui aux forces de sécurité irakiennes et aux peshmergas.

Dans la perspective de la bataille de Mossoul, le Président de la République a annoncé, le 22 juillet dernier, le déploiement de moyens supplémentaires. Le ministre de la défense a évoqué ce sujet devant votre commission.

Nos soldats contribuent à la lutte contre Daech au Levant. Je pense à nos pilotes, à nos instructeurs qui participent à la formation des forces de sécurité irakienne. Je pense aussi au groupement tactique d’artillerie qui soutient les forces irakiennes engagées dans la reprise de Mossoul, ou encore aux marins et pilotes des Rafale du groupe aéronaval déployé autour du porte-avions Charles-de-Gaulle, déjà présent sur zone en 2015 et de retour depuis le 29 septembre dernier.

La libération de Mossoul sera une étape importante de la lutte contre Daech. Cependant, il faut aussi se donner les moyens de gagner la paix, en veillant à ce que la future administration de la ville permette d’éviter une résurgence ultérieure des tensions. C’est pourquoi j’organise après-demain à Paris, avec mon collègue irakien, une réunion ministérielle, qui sera ouverte par le Président de la République et est destinée à préparer cette étape sans attendre la fin de la bataille de Mossoul.

De même, sur le plan humanitaire, la France prendra ses responsabilités et apportera son concours. Mais c’est aussi la question politique que nous devons traiter, éclairés par l’expérience de l’intervention américaine en Irak.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. Il ne faut pas commettre les mêmes erreurs. Nous savons bien que, si l’on ne construit pas un État irakien inclusif, nous irons au-devant de très graves difficultés.

La France est aussi en pointe dans la lutte contre le financement du terrorisme, notamment avec l’adoption de la résolution 2199 du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle appelle tous les États à prendre des mesures supplémentaires pour lutter contre les trafics, notamment de pétrole et d’antiquités, qui nourrissent le terrorisme. Nous avons déjà pris les dispositions nécessaires pour nous-mêmes et notre ambition est aujourd’hui de mobiliser tous nos partenaires.

Cette action porte ses fruits. Daech recule au Levant depuis l’automne 2015. Le groupe a perdu plus de 55 % du territoire qui était sous son contrôle au plus fort de son expansion en Irak et 25 % en Syrie. Nous avons naturellement pour objectif de libérer toutes les zones aujourd’hui occupées par Daech. Je pense, en priorité, à Raqqa, en Syrie.

La France agit également par sa diplomatie, selon une ligne cohérente et constante née de la conviction qu’il ne peut y avoir de solution militaire à la crise en Syrie, pour cette simple raison qu’aucun camp n’est en mesure d’anéantir l’autre. L’intervention russe a sauvé le régime, mais ne lui a pas permis de reconstituer ses forces. Si rien n’est fait, la guerre peut encore durer des années dans les ruines de Syrie. Il faut donc reprendre les négociations en vue d’une transition politique. Les paramètres sont connus. Ils ont été identifiés dès 2012 dans le communiqué de Genève et réaffirmés, en 2015, par la résolution 2254 que le Conseil de sécurité était parvenu à adopter à l’unanimité.

Pour autant, on ne peut pas négocier dans n’importe quelles conditions. On ne peut pas négocier sous les bombes, alors qu’une ville, Alep, est menacée d’être rasée, avec ses habitants, par le régime et ses soutiens. Il y a donc urgence à faire cesser les bombardements sur Alep et à enclencher une dynamique de paix, incluant cessation des hostilités, acheminement de l’aide humanitaire et reprise des négociations politiques.

C’est en ce sens que la France s’est mobilisée, en soumettant au Conseil de sécurité une résolution à laquelle la Russie seule, avec l’appui du Venezuela, a pris la responsabilité d’opposer son veto. On a alors pu constater l’isolement de la Russie : tous les États membres de l’Union européenne, à l’instar de nombreux autres pays, ont soutenu la France.

Malgré ce veto, il faut persévérer, car toute autre approche nous éloigne d’une solution. Toute autre approche participe d’une diversion, dont le régime de Bachar al-Assad tirera parti pour mettre à exécution son projet de reconquête d’une « Syrie utile ». Je regrette de ne pas avoir entendu cette analyse au cours de ce débat, car c’est bien ce qui est en train de se passer.

Comment imaginer qu’une partition de la Syrie, qui irait de pair avec la persistance de zones incontrôlées aux mains des terroristes, pourrait un jour offrir une perspective de paix ? Il faut être clair sur ce point et éviter d’en venir à une telle situation, qui aurait aussi pour conséquence d’empêcher les réfugiés – dont le nombre augmentera si Alep tombe et est reconquise par le régime syrien – présents au Liban, en Turquie ou en Jordanie de retourner dans leur pays, comme ils le veulent. Il n’y a donc pas d’autre voie que la recherche d’une solution politique.

Cette solution politique, la France ne la souhaite pas par idéologie. Le raisonnement est logique et simple : la Syrie ne retrouvera pas la paix avec un leader qui a fait fuir la moitié de sa population et qui continue à massacrer ceux qui ne sont pas d’accord avec lui. J’entends pourtant des responsables politiques, y compris des candidats à l’élection présidentielle, affirmer qu’il faut négocier avec Bachar al-Assad…

Je le répète, la France agit. Elle agit en toute indépendance. Elle le fait d’autant mieux qu’elle a la capacité de parler à tout le monde, y compris bien sûr à la Russie, dans la franchise et la transparence. Pourquoi suis-je allé à Moscou, sinon dans ce but ? Le dialogue avec mon homologue, Sergueï Lavrov, n’a jamais cessé et nous nous retrouverons demain soir à Berlin dans le cadre du format Normandie pour débattre de l’Ukraine. Quelle est donc cette illusion d’optique qui amène certains à prétendre que la France ne parle pas avec la Russie ? Nous exprimons notamment aux Russes notre désaccord lorsqu’ils font fausse route en s’entêtant dans un soutien inconditionnel à Bachar al-Assad qui alimente la radicalisation et le terrorisme. L’honneur et la responsabilité de la France sont de dénoncer la volonté destructrice du régime de Bachar al-Assad et de mobiliser pour ne pas laisser faire, comme nous l’avons fait hier lors du conseil « affaires étrangères » de l’Union européenne. Nous parlons également avec l’Iran.

Nous souhaitions la venue du président Poutine à Paris (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains), mais cette visite devait-elle se réduire à des mondanités, à l’inauguration d’une exposition de tableaux ou d’une église, ou être l’occasion de parler de la Syrie, comme nous le proposions ? (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) C’est le président russe qui a décidé de ne pas venir ! Ce n’est pas la responsabilité de la France !

Un sénateur du groupe Les Républicains. C’est au Président de la République qu’il faut le dire !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, ce que nous souhaitons, c’est que la Russie ne s’enferre pas dans une voie sans issue, c’est qu’elle nous rejoigne pour lutter contre le terrorisme, qu’il s’agisse de Daech ou d’Al-Qaeda ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est cela que nous proposons aux Russes !

Au Levant, la France agit aussi au Liban. Ce pays doit être soutenu, car il est la victime des forces contraires qui déchirent le Proche-Orient. Il traverse une crise institutionnelle, aggravée par le contrecoup du conflit en Syrie, qui a conduit plus d’un million de réfugiés sur son sol. Par ses contacts avec toutes les parties, la France est prête à faciliter l’élection d’un nouveau président, dont dépend l’indispensable déblocage de l’impasse institutionnelle actuelle. Nous sommes d’ailleurs en train de préparer la réunion d’un groupe international de soutien au Liban.

Au-delà du Liban, c’est toute la région qui est confrontée à une crise humanitaire sans précédent. Aussi la France apporte-t-elle son appui aux pays voisins de la Syrie. Elle participe pleinement à l’effort collectif de l’Union européenne, qui a consacré plus de 5 milliards d’euros à une aide humanitaire, économique et de stabilisation. Le 4 février dernier, à l’occasion de la conférence de Londres, l’Europe s’est engagée à débloquer 3 milliards d’euros supplémentaires.

La France travaille également, avec l’Union européenne, pour répondre à l’afflux massif de réfugiés et de migrants qui résulte de cette crise humanitaire. Elle le fait dans l’urgence, en luttant contre les passeurs. Elle le fait aussi de façon plus durable, en dotant l’Union européenne des moyens d’assurer pleinement le contrôle de ses frontières extérieures. C’est l’objectif de la mise en place du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, qui a été décidée rapidement. C’est aussi celui de la modification du code frontières Schengen pour permettre les contrôles systématiques au passage de la frontière extérieure, afin d’assurer la sécurité de tous les Européens et de les protéger.

Mesdames, messieurs les sénateurs, d’aucuns ont affirmé que la France était effacée. Il n’en est rien ! Dans les domaines que je viens d’évoquer, non seulement la France est engagée, mais elle est en permanence à l’initiative. Toutes les réformes que j’ai citées ont été proposées par la France, souvent en concertation avec l’Allemagne : ce sont nos deux pays qui cherchent à faire progresser l’Europe dans l’élaboration de réponses aux questions essentielles que vous avez soulevées.

L’Union européenne agit en responsabilité et avec solidarité, même s’il est vrai que tout le monde ne prend pas sa part à l’effort commun. L’accord conclu avec la Turquie au mois de mars dernier respecte ces principes de responsabilité et de solidarité. Il a permis une baisse significative des flux de migrants. Nous devons veiller à sa bonne application, dans l’intérêt des réfugiés, de la Turquie, qui en accueille plus de 3 millions et dont nous devons à cet égard saluer l’effort, et de l’Union européenne.

Il nous faut donc dialoguer sans relâche avec la Turquie, qui est acteur de la crise en Syrie, où elle se défend, elle aussi, contre le terrorisme. Ainsi, c’est dans un esprit de partenariat que je me rendrai à Ankara la semaine prochaine. Toutefois, ce dialogue doit reposer sur la clarté et la transparence. En tant que membre du Conseil de l’Europe, la Turquie doit respecter des valeurs telles que l’État de droit. De même, la perspective de libéralisation du régime des visas ouverte par l’accord avec l’Union européenne ne pourra se concrétiser que lorsque tous les critères auront été mis en œuvre. Enfin, nous le savons tous, les négociations d’adhésion sont conduites sans préjuger du résultat final.

La coopération avec la Turquie en matière de sécurité a également été évoquée. Elle se déroule de façon satisfaisante, notamment entre services de renseignement et de sécurité. C’est ainsi que nous échangeons des informations qui permettent d’empêcher l’arrivée de djihadistes sur notre territoire ou le départ de candidats au djihad vers la Syrie ou l’Irak.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne saurais conclure sans dire quelques mots du conflit israélo-palestinien,…

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. … d’abord pour en réaffirmer l’importance. Certains estiment que les bouleversements en Syrie ont rebattu les cartes et changé les priorités. Ce n’est pas la position de la France. Au Proche-Orient, la France a décidé d’agir, car la situation est explosive et plusieurs facteurs inquiétants se combinent : l’absence de perspective, faute de négociation, prive la population palestinienne de tout espoir ; la poursuite de la politique de colonisation morcelle chaque jour davantage les territoires et érode la solution des deux États, qui verrait Israël et la Palestine vivre côte à côte dans la paix et la sécurité ; les violences et les attentats continuent ; enfin, l’exaspération des populations croît, de part et d’autre.

Si nous ne faisons rien, il sera bientôt trop tard. Penser que le Levant pourra retrouver la paix sans un règlement de ce conflit est illusoire. (Mme Bariza Khiari applaudit.)

Beaucoup se sont résignés, je le sais. Ce n’est pas le cas de la France. En rassemblant une trentaine de délégations à Paris, le 3 juin dernier, nous avons permis que s’exprime la volonté de la communauté internationale de s’engager de nouveau en faveur de la solution des deux États. Nous avons aussi insufflé une nouvelle dynamique : des groupes de travail se mettent en place pour préparer la conférence que nous souhaitons organiser à la fin de l’année, avec les parties et l’ensemble des partenaires attachés à la paix. Le Quartet, l’Égypte, la Russie se mobilisent et prennent des initiatives qui sont complémentaires des nôtres.

L’ouverture des travaux de l’Assemblée générale des Nations unies, il y a trois semaines, a montré que le conflit israélo-palestinien était revenu à l’ordre du jour. La France n’y est pas pour rien, et elle va persévérer dans son action.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sous le voyez, au Levant, la France s’en tient à trois principes : lucidité, approche collective et détermination. Elle a un objectif de long terme : le retour de la stabilité dans cette région, reposant sur la préservation de l’unité des États et sur la perspective de la création d’un État palestinien.

L’enjeu est essentiel, car la paix dans cette région constitue, pour la France et pour l’Europe, une priorité qui n’a jamais été aussi cruciale. Il y va de notre sécurité. Il y va de l’équilibre de nos sociétés. En conséquence, la seule réponse possible, c’est la mobilisation totale de notre pays et de sa diplomatie. Je souhaite que nous puissions nous rassembler autour de ces objectifs. Je compte sur votre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Christiane Kammermann et M. Robert del Picchia applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la France et l’Europe face à la crise au Levant.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

8

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Je tiens à vous indiquer que, conformément à la préoccupation constante des questeurs, du Bureau et de moi-même à l’égard des personnes ayant une moindre acuité auditive, Public Sénat assurera désormais, à compter d’aujourd'hui, le sous-titrage des questions d’actualité au Gouvernement lors des séances du mardi et du jeudi. (Applaudissements.)

J’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres.

Pour des raisons d’ordre pratique, les auteurs de question ne pourront utiliser leur droit de réplique que s’il leur reste plus de cinq secondes de temps de parole.

aides européennes agricoles

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, pour le groupe de l'UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jean-Jacques Lasserre. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Elle porte sur la révision de la carte des zones défavorisées simples.

La France doit revoir la carte de ces zones d’ici au mois de juin prochain. Le 22 septembre dernier, vous nous avez présenté, monsieur le ministre, une carte provisoire fondée sur les nouvelles règles imposées par la Commission européenne.

L’unité de base pour délimiter ces zones restant la commune, les inquiétudes des agriculteurs et des maires sont très vives depuis la présentation de ce nouveau projet de carte.

Si leur commune ne relève plus des zones défavorisées, les agriculteurs ne pourront plus bénéficier des aides de l’Union européenne dédiées à ces dernières. Les zones défavorisées simples actuelles concernent environ 10 400 communes et plus de 30 % de la surface agricole utile nationale. La réforme de la carte toucherait 42 % des bénéficiaires de l’ICHN, l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’attribution de celle-ci étant en effet directement liée à ce classement.

Après trois années de crise consécutives, les agriculteurs des Pyrénées-Atlantiques, parmi d’autres, ont besoin de soutien. Dans ce département, 121 communes seraient rayées de la carte d’après l’avant-projet, ce qui représenterait une perte de plus de 4 millions d’euros au titre de l’ICHN. Près de 1 000 exploitations seraient concernées.

Pourtant, les communes actuellement comprises dans le zonage ont des spécificités qui justifient amplement ce classement.

Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, quelles sont nos craintes et combien la combativité dont la France peut faire preuve auprès des instances européennes est importante à nos yeux. Nous savons que la version que vous avez proposée est fondée sur des critères européens, notamment sur « l’application de huit critères biophysiques ». Or il nous faut travailler à l’élaboration de critères spécifiques, permettant la prise en compte, par exemple, de la polyculture-élevage, de la surface fourragère, du taux de chargement, du taux de boisement, des zones inondables…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le ministre, comptez-vous revoir le projet que vous avez présenté et proposer une nouvelle carte ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, vous avez pratiquement vous-même donné la réponse à la question que vous avez posée ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

La modification de la délimitation des zones défavorisées simples résulte d’une décision européenne prise en 2003. Il me revient aujourd’hui de la mettre en œuvre.

Cette modification porte sur les critères appliqués pour la définition des zones défavorisées simples, qui datent de 1970. Le Parlement européen, en particulier, l’a approuvée à la quasi-unanimité et son application sera effective en 2018.

Aucune zone de montagne ou de haute montagne ne sera concernée par cette redéfinition des zones défavorisées simples. Quant aux huit critères biophysiques qui ont été retenus, ce sont ceux qui figurent aujourd'hui dans les textes européens.

Vous avez dit, monsieur le sénateur, que des communes allaient être rayées de la carte : il ne faut tout de même pas exagérer ! Il s’agit simplement de mettre en œuvre une décision européenne, avec une marge de 10 % de la surface du territoire national permettant de rajouter des communes selon de nouveaux critères, dont vous avez listé un certain nombre. Cela contrebalance largement la réduction de 5 % des surfaces prévue dans le premier projet de nouvelle carte.

M. le président. Il faut conclure !

M. Stéphane Le Foll, ministre. C’est sur cette base que nous allons travailler ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

avenir de la langue française

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour le groupe Les Républicains.

M. Jacques Legendre. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

En France, la politique de la langue est une politique d’État. Vous vous êtes préoccupé récemment de l’état de l’illettrisme en France et vous avez souhaité, monsieur le Premier ministre, confier un rapport sur ce sujet à l’ex-secrétaire général de la CGT, M. Lepaon, qui pourrait être placé à la tête d’une agence de la langue française (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.), dont la création serait motivée par la volonté d’accentuer la lutte contre l’illettrisme.

Vous avez raison, monsieur le Premier ministre, de vouloir lutter contre l’illettrisme, mais la politique de la langue ne peut se réduire à cette dimension. Quand on touche aux structures qui protègent notre langue en France, il faut envisager les problèmes dans leur globalité.

Monsieur le Premier ministre, pourriez-vous nous donner quelques informations sur la situation et nous indiquer quelles sont vos intentions dans ce domaine ? Une telle réforme de structures ne saurait intervenir qu’après un débat au Parlement et ne peut résulter d’une simple décision administrative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, nous partageons évidemment la préoccupation que vous avez exprimée. Aujourd'hui, 18 % des jeunes Français n’ont pas une bonne maîtrise de la lecture, 8 % sont des lecteurs médiocres et 10 % sont en grande difficulté et proches de l’illettrisme.

C’est la raison pour laquelle, pour ce qui concerne l’éducation nationale, a été adoptée la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, qui place la maîtrise des fondamentaux au cœur des apprentissages.

M. Didier Guillaume. Absolument !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. De même, si nous avons réinstauré une cinquième matinée de classe pour les enfants, c’est afin de leur garantir un bon apprentissage.

Les nouveaux programmes de la scolarité obligatoire qui s’appliquent depuis cette rentrée insistent également sur l’acquisition des fondamentaux, notamment la maîtrise du français, y compris dans les autres disciplines abordées par les élèves, telles que les mathématiques ou l’histoire, l’accent étant mis sur l’expression orale et écrite.

Le retour de la dictée quotidienne va dans le même sens, ainsi que la préscolarisation des enfants avant l’âge de trois ans, le meilleur moyen d’exposer les enfants de manière précoce au langage parlé étant de les accueillir tôt à l’école. Les progrès vont croissant.

Cela étant, vous avez raison, monsieur le sénateur : la lutte contre l’illettrisme ne se mène pas uniquement à l’école, d’où la mission qui a été confiée par le Premier ministre à M. Lepaon. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) L’agence dont vous avez évoqué la création devra œuvrer au recul de l’illettrisme, mais aussi à la promotion de la langue française. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour la réplique.

M. Jacques Legendre. Madame la ministre, vous n’avez pas répondu précisément à ma question !

M. Jacques Legendre. Nous sommes bien sûr tous d’accord pour améliorer les dispositifs de lutte contre l’illettrisme, mais la politique de la langue française ne se résume pas à cela. Il est question de rattacher à la future agence de la langue française le Centre international d’études pédagogiques de Sèvres, qui jusqu’ici dépendait de vous, madame la ministre, ainsi que la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui jusqu’ici relevait du ministère de la culture : cela témoigne de la complexité du problème !

Nous demandons la tenue d’un débat au Parlement sur la meilleure façon de protéger la langue française. Vous ne pouvez pas prendre de décision dans ce domaine sans que la représentation nationale ait eu à en connaître ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l’UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

avenir de la ligne ferroviaire du cévenol

M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand, pour le groupe du RDSE.

M. Alain Bertrand. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

Les trains d’équilibre du territoire, financés par l’État, représentaient par nature une garantie de desserte de nos territoires ruraux et hyper-ruraux. Pour une partie du Massif central, il s’agit des lignes Clermont-Ferrand - Béziers, l’« Aubrac », et Clermont-Ferrand - Nîmes, le « Cévenol ».

On nous dit aujourd’hui que les trains d’équilibre du territoire coûtent trop cher. En juillet, M. Vidalies annonçait le désengagement de l’État pour les deux trains que j’ai cités, les condamnant ainsi à disparaître si les régions ne les prennent pas à leur charge.

Bien sûr, les régions n’en ont pas les moyens. Au surplus, les trains d’équilibre du territoire que vous maintenez sont de fait des trains Intercités, et non des outils de desserte de la ruralité. Dans la ruralité, l’État doit maintenir son engagement, fût-ce en partenariat avec les régions, et rester chef de file.

Je vous propose de mettre en place un train « Transmassif central », qui comporterait un tronçon commun Paris-Clermont-Ferrand, sur lequel vous engagez déjà le renouvellement total du matériel roulant, et deux prolongations vers Nîmes et Béziers respectivement, les lignes étant déjà électrifiées.

Le « Transmassif central » succéderait à l’« Aubrac » et au « Cévenol ». La mise en place de ce train serait un formidable atout et permettrait d’amortir les investissements en cours. Que pensez-vous de cette proposition ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur, les trains d’équilibre du territoire constituent une composante essentielle, vous l’avez dit, de la desserte de nombreux territoires, mais ils ne répondent plus aujourd'hui de manière satisfaisante aux attentes des voyageurs. Comme vous le savez, ces trains ont perdu près de 20 % de voyageurs et sont dans une situation financière de moins en moins soutenable.

Pour lancer le chantier de la renaissance de ces trains, à la suite du travail mené par la commission pluraliste présidée par Philippe Duron, le Gouvernement a engagé une nouvelle dynamique en prenant des décisions fortes que le secrétaire d’État chargé des transports a présentées le 21 juillet dernier.

Je souligne en particulier les investissements tout à fait significatifs que l’État a décidé de consentir pour le renouvellement du matériel roulant, à hauteur de 2,5 milliards d’euros.

La concertation sur la question de la gouvernance de certaines lignes se poursuit avec les régions. Cette concertation qui, je le rappelle, a d’ores et déjà abouti à un accord avec la Normandie, devrait permettre de conclure de nouveaux accords dans les prochaines semaines.

Une articulation optimale avec les TER et avec les autres modes de transport est aussi recherchée afin de mieux répondre aux besoins sur nos territoires. Cette mobilisation conjointe de l’État et des régions en faveur du ferroviaire constitue une belle occasion de proposer des trains ponctuels, confortables et offrant une qualité de service et un cadencement correspondant aux attentes des voyageurs.

Je vous confirme par ailleurs que la ligne dite « du Cévenol » restera bien desservie par le train. De nombreux travaux déjà réalisés, notamment sur la section nord entre Clermont-Ferrand et Saint-Georges d’Aurac, témoignent des efforts consentis pour assurer la pérennité de l’infrastructure. La poursuite de l’effort s’est traduite par l’inscription de crédits pour des travaux de régénération au contrat de plan État-région 2015-2020.

Quant à la ligne de l’Aubrac, 10 millions d’euros sont consacrés chaque année à son infrastructure.

Les discussions avec les régions se poursuivent, monsieur le sénateur. Le Gouvernement est convaincu que l’avenir des trains d’équilibre du territoire passe par cette mobilisation conjointe, dont, je n’en doute pas, vous serez l’un des acteurs ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand, pour la réplique.

M. Alain Bertrand. Je remercie Mme la secrétaire d'État de sa réponse.

Dans la ruralité et l’hyper-ruralité, on paie l’impôt sur le revenu et la TVA comme ailleurs. Avoir des trains est donc un droit pour leur population.

Je souhaite que le Gouvernement, qui, par ailleurs, fait beaucoup pour la ruralité (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) avec le doublement de la DETR, les contrats de ruralité, les maisons de services au public, la nouvelle loi « montagne », revoie sa copie, parce qu’il n’y a pas de République juste sans aménagement du territoire ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

démantèlement de la « jungle » de calais

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe écologiste.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre de l’intérieur, à la fin du mois de septembre, le Président de la République déclarait : « Nous devons démanteler complètement, définitivement le camp » de Calais. Vous avez vous-même affirmé que l’opération devait revêtir un caractère humanitaire et qu’elle serait lancée dès lors que les conditions requises, en termes de « mise à l’abri », seraient réunies.

Nous partageons cette volonté, monsieur le ministre, mais la date du 24 octobre envisagée pour le démantèlement suscite des inquiétudes.

Des réfugiés se verront proposer une place en centre d’accueil et d’orientation, ou CAO, mais y a-t-il suffisamment de places prévues ?

La réussite de cette opération dépendra aussi beaucoup de la préparation en amont de l’accueil des réfugiés par les acteurs locaux, en lien avec la population.

De nombreuses associations, ainsi que le Défenseur des droits, s’interrogent sur la manière dont vous allez garantir la protection des centaines de mineurs qui ne seront pas admis en Angleterre.

En outre, quand tout aura été rasé, que va-t-il advenir de ceux qui ne souhaitent pas demander l’asile en France et qui, nombreux, tenteront de traverser la Manche au péril de leur vie ?

Monsieur le ministre, ces questions appellent des réponses concrètes, pour éviter un nouveau Sangatte et ses suites désastreuses. Ainsi, cette opération doit être minutieusement préparée et, surtout, rester humanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, vous me posez des questions extrêmement précises auxquelles je me dois d’apporter des réponses également précises.

Y a-t-il suffisamment de places en centres d’accueil et d’orientation pour accueillir la totalité des personnes présentes dans la « jungle » de Calais ? Il s’agit d’une opération humanitaire. C’est le contraire de ce qui s’est passé à Sangatte, où les migrants ont été dispersés dans la rue sans aucune protection. Nous avons ouvert, depuis le mois d’octobre 2015, 164 centres d’accueil et d’orientation, dans lesquels ont été accueillies plus de 5 600 personnes, qui, pour 80 % d’entre elles, ont demandé l’asile. Ce n’est donc pas une opération improvisée : cela fait un an que nous organisons ce type de transferts. Nous disposons actuellement de 1 000 places de plus qu’il n’y a de personnes dans la « jungle » de Calais selon les derniers comptages.

Par ailleurs, la question des mineurs isolés est bien entendu essentielle. L’idéal humanitaire ne peut consister – c’est là le fond de l’affaire, je vous le dis comme au Défenseur des droits et à l’ensemble des associations – à laisser des mineurs dans le froid, dans la boue à Calais pendant tout un hiver, sans protection.

Nous négocions avec les Britanniques pour qu’ils accueillent des mineurs isolés, alors que nous aurons mis 13 000 personnes à l’abri. Cette négociation est dure, mais elle avance très positivement depuis quelques heures, et je suis convaincu que nous pourrons aboutir, grâce à un accord intelligent avec les Britanniques, à une excellente solution.

Les autres mineurs présents à Calais seront accueillis dans des centres d’accueil et d’orientation dédiés, dans l’attente que les Britanniques acceptent un plus grand nombre d’entre eux ou qu’ils puissent entrer dans les dispositifs de droit commun. Ils bénéficieront d’un accompagnement – le garde des sceaux et la ministre de la famille y travaillent.

Enfin, les mineurs isolés seront pris en charge intégralement par l’État, de manière que les départements n’aient aucune dépense à supporter.

Tout est prêt pour mettre en œuvre cette opération. Ne pas le faire aujourd'hui, alors que toutes les conditions humanitaires sont réunies pour réaliser ce transfert avec succès, serait une manière de maintenir dans la précarité des populations vulnérables, qui ont déjà beaucoup souffert des persécutions, du froid…

M. le président. Il faut conclure !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. La vie en camp, madame Benbassa – j’ai compris que vous étiez en accord avec moi sur ce point –, ne peut en aucun cas, pour ceux qui sont attachés au droit d’asile, constituer un idéal humanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur de nombreuses travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Pour le moment, seuls seize mineurs ont été acceptés par l’Angleterre. Il en reste donc environ 1 200…

Nous attendons de connaître les suites de ce démantèlement, en espérant que, cette fois, le mot « humanitaire » recouvrera son vrai sens et ne servira pas à obtenir un simple effet d’affichage.

accord commercial entre le canada et l'union européenne

M. le président. La parole est à M. Michel Billout, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

M. Michel Billout. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

Alors que se tient aujourd’hui au Luxembourg le conseil des ministres du commerce de l’Union européenne, le parlement wallon a fait savoir qu’il refusait, à une large majorité, de donner son accord pour la signature par la Belgique du traité global de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, le très contesté CETA.

Cette décision bloque potentiellement la procédure engagée pour une ratification du traité, prévue le 27 octobre prochain, entre le Canada et les États membres de l’Union européenne. Des négociations sont en cours entre la Commission et le parlement wallon pour aboutir tout de même, coûte que coûte, à l’approbation de la signature du traité par la Belgique.

D’autres États ont pourtant émis des réserves sur le CETA, comme la Bulgarie ou la Roumanie. L’opposition citoyenne s’est également mobilisée, en France, en Allemagne et dans d’autres pays européens, tant la procédure de ratification et le contenu de l’accord paraissent confus et risquent de porter atteinte aux normes juridiques, sociales et environnementales européennes, ainsi qu’à l’exercice de la régulation démocratique.

Un groupe de onze universitaires canadiens, tous experts du régime d’arbitrage privé ICS, a d’ailleurs fait connaître son total soutien au parlement wallon, car la mise en œuvre de l’arbitrage privé dans le cadre de l’accord de libre-échange nord-américain, l’ALENA, a entraîné des conséquences déplorables pour l’État canadien.

Monsieur le secrétaire d’État, après avoir reconnu que les négociations entre la Commission européenne et le Canada avaient été conduites dans une totale opacité, vous avez pourtant refusé que les parlements nationaux soient consultés avant toute mise en application anticipée de cet accord. Pouvez-vous nous dire si la signature de ce dernier aura bien lieu le 27 octobre, contre l’avis du parlement wallon, ou si, au contraire, la sagesse l’emportera, permettant l’expression démocratique de tous les parlements nationaux sur le contenu de cet accord et sur ses modalités d’application ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du développement et de la francophonie.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie. Monsieur le sénateur Billout, comme vous l’avez dit, la Belgique n’a pas été en mesure de donner son approbation à la signature de ce traité global de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Les ministres européens n’ont donc pas réussi à s’accorder.

Cette situation ne change rien à la position de la France. Différer plus avant l’entrée en vigueur de ce traité exposerait l’Union européenne à de sérieux problèmes de crédibilité et pénaliserait nos exportateurs.

L’entrée en vigueur provisoire dont il s’agit n’est pas un déni de démocratie ; elle s’inscrit dans le cadre des traités européens, qui font de la politique commerciale une compétence communautaire.

L’application provisoire ne concerne que les compétences de l’Union européenne et n’interviendra que si le Parlement européen, qui se prononcera en toute transparence, donne son accord.

Les dispositions relevant du périmètre national ne pourront, quant à elles, entrer en vigueur qu’après ratification par les parlements nationaux, qui auront à se prononcer sur l’intégralité de l’accord.

Sur ce point, je tiens à rappeler que c’est le Gouvernement français qui a obtenu que les parlements nationaux prennent pleinement part au processus de ratification.

J’en viens au fond de l’accord.

D’abord, il supprime la quasi-totalité des droits de douane. Il ouvre les marchés publics canadiens aux entreprises européennes, et ce aux niveaux tant fédéral que subfédéral. Il reconnaît quarante-deux de nos indications géographiques et sa mise en œuvre va permettre, notamment aux producteurs de fromages français, d’exporter plus facilement vers le Canada.

J’ajoute que le principe de précaution n’est pas remis en cause. Le droit commercial international ne prime pas le droit environnemental et le CETA ne changera rien aux règles : pour vendre en Europe, il faudra respecter les normes sanitaires européennes.

Enfin, l’accord rompt avec le mécanisme d’arbitrage privé entre investisseurs et États, au profit d’un nouveau modèle de cour de justice publique des investissements promu par la France.

Monsieur le sénateur, le renouveau de la politique commerciale française passe non pas par une opposition systématique et quelque peu idéologique à tout nouvel accord commercial (Exclamations sur les travées du groupe CRC.), mais par la mise en œuvre d’une politique crédible et forte permettant d’imposer nos intérêts économiques et nos valeurs dans la mondialisation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

garde nationale

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le ministre de l'intérieur, mercredi dernier, des annonces ont été faites en conseil des ministres en vue de la création d’une garde nationale.

Cette mesure ambitieuse, pragmatique (Exclamations sur certaines travées du groupe Les Républicains.) répond à la volonté d’engagement des Français, en particulier des jeunes, face à la menace terroriste.

Le 28 juillet 2016, je présentais au Président de la République, avec mon collègue Jean-Marie Bockel, un rapport appelant à la constitution d’une réserve militaire forte et territorialisée pour faire face aux crises.

Ce rapport préconisait en particulier, concernant l’effort en direction des viviers de la réserve, de développer l’attractivité du dispositif pour les salariés et les étudiants, d’améliorer la condition sociale et financière des réservistes, de perfectionner la communication, qu’il s’agisse de son contenu ou de la multiplication de ses supports et outils, de diversifier les recrutements, en priorité au bénéfice des jeunes, des demandeurs d’emploi et des travailleurs intérimaires.

L’objectif fixé par le Président de la République est que la garde nationale comprenne 85 000 hommes et femmes à l’horizon 2018, soit, par rapport à la situation actuelle, une augmentation de plus d’un tiers du personnel mobilisé au sein des armées et des forces de l’ordre.

Contribuer à la sécurité, à la protection, à la défense des Français en favorisant la résilience de notre nation, telle est l’ambition de la garde nationale.

Renforcer, soulager les forces de défense et de sécurité de notre pays – armées, gendarmerie, police – est désormais une impérieuse nécessité à laquelle le Gouvernement répond, unissant toutes les volontés, toutes les énergies et tous les parcours.

Pouvez-vous, monsieur le ministre de l’intérieur, nous indiquer quelles mesures incitatives, plus particulièrement à destination des jeunes, seront mises en œuvre concernant cette garde nationale sur l’ensemble du territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, je veux tout d’abord vous remercier pour le travail que vous avez accompli avec le sénateur Bockel. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Didier Guillaume applaudit.) Ce travail a utilement inspiré la politique du Gouvernement quant à la création d’une garde nationale.

Pourquoi créer une garde nationale ? Nous sommes aujourd'hui confrontés à un niveau de menace terroriste extrêmement élevé. Ce matin encore, les services, plus particulièrement la sous-direction antiterroriste, la SDAT, et la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, ont procédé à l’arrestation d’individus qui présentaient des risques pour la sécurité de notre pays. Depuis le début de l’année, plus de 365 individus ont été appréhendés par les services au terme d’enquêtes diligentées par ces derniers, sous l’autorité parfois des procureurs et magistrats antiterroristes, ce qui témoigne du niveau de la menace, d’une part, et de l’intensité du travail des services, d’autre part.

Il faut donc, compte tenu de cette menace, nous armer. Nous aurons créé près de 9 000 emplois dans la police et dans la gendarmerie pendant le quinquennat. Cependant, de grands événements sont organisés, y compris dans les territoires, dont la sécurité doit être assurée. Il faut donc renforcer partout, sur le territoire national, la protection de nos concitoyens.

C'est la raison pour laquelle il a été décidé de créer la garde nationale et de porter son effectif à 85 000 hommes d’ici à la fin de 2018 : 45 000 d’entre eux viendront du ministère de l’intérieur, les autres du ministère de la défense, dans le cadre d’un partage de l’animation de cette garde nationale entre les deux ministères.

Vous m’avez interrogé sur les mesures prises pour renforcer l’attractivité du dispositif. Je citerai le financement du permis de conduire pour les jeunes qui intégreront la garde nationale, la mise en place d’une aide de 100 euros par mois, le versement d’une prime de fidélisation de 250 euros, le bénéfice du dispositif du mécénat pour les entreprises dont les salariés s’engageront dans la garde nationale.

M. le président. Il faut conclure !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. En bref, cet ensemble de mesures destiné à renforcer l’attractivité de la garde nationale permettra que les objectifs fixés par le Président de la République puissent être atteints dans les délais qui nous sont impartis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.)

violence à l'encontre des représentants de l'état

M. le président. La parole est à M. Jackie Pierre, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jackie Pierre. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Monsieur le ministre, la manifestation qui a rassemblé, cette nuit, 500 policiers sur les Champs-Élysées, indépendamment de tout mot d’ordre syndical, est une première qui témoigne, s’il en était besoin, du degré d’exaspération de l’ensemble des forces de police.

Dès minuit, ils étaient plus de 400, venus de Paris et des environs, rassemblés devant l’hôpital où un de leurs collègues, gravement brûlé dans sa voiture à Viry-Châtillon, la semaine dernière, se trouve toujours entre la vie et la mort.

Il y a urgence à répondre au grand malaise qui s’installe dans l’esprit de ceux qui ont la charge de nous protéger. Devant des situations qui se répètent désormais, vos réponses quantitatives deviennent de plus en plus dérisoires.

On renforce les dispositifs, mais on persiste dans les erreurs d’appréciation. Ce qui est en cause, c’est l’absurdité d’une politique menée depuis cinq ans, c’est la culture de l’impunité, qui fait que les délinquants sont trop souvent considérés comme des victimes, c’est la désagrégation de l'autorité de l’État, qui ne sait plus, comme on a pu le voir à Notre-Dame-des-Landes ou sur la place de la République, faire respecter l’ordre républicain et la validité des décisions démocratiques, c’est, enfin, l’attitude d’un gouvernement qui tient pour suspects les policiers. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) En effet, le projet de loi « Égalité et citoyenneté » que nous avons examiné la semaine dernière prévoit que les policiers seront contraints de fournir des vidéos attestant leur bonne foi lorsqu’ils procèdent à des contrôles d’identité…

Monsieur le ministre, avez-vous conscience que la réalité apporte un démenti quotidien aux choix que vous avez faits depuis le début de ce quinquennat ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, à laquelle je veux apporter des réponses très précises.

Nous sommes dans un exercice politique, la primaire, qui ne porte d’ailleurs pas si mal son nom… (Rires sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le sénateur, vous affirmez que les politiques quantitatives ne servent à rien. Je vous invite à vous rendre avec moi dans les commissariats et les brigades de gendarmerie, quand vous le voudrez, pour entendre ce que l’on y pense de la suppression de 13 000 emplois au cours du quinquennat précédent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Accompagnez-moi devant les CRS et les gendarmes mobiles pour mesurer les conséquences de la suppression de quinze unités de forces mobiles durant le quinquennat précédent ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Venez expliquer dans les gendarmeries et les commissariats de police combien la politique que vous avez menée, qui a conduit à une diminution de 15 % des crédits d’investissement, laissant gendarmes et policiers dépourvus de moyens de protection, d’armes, de véhicules, était excellente ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Cinq ans !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la sénatrice, en cinq ans, nous aurons créé 9 000 emplois dans les forces de sécurité ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Nous aurons augmenté de 15 % les crédits d’investissement pour la police et la gendarmerie. Nous aurons acquis, cette année, près de 6 000 véhicules, alors que le gouvernement précédent avait été incapable de remplacer ces matériels ! (C’est faux ! sur les travées du groupe Les Républicains.) J’ai créé, à Rosny, le premier escadron de gendarmerie mobile depuis 1998. Nous aurons créé vingt-deux pelotons supplémentaires dans les escadrons de gendarmerie mobile !

M. le président. Il faut conclure !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Croyez-moi, monsieur le sénateur, ceux qui ont manifesté cette nuit savent parfaitement quelle est la différence entre votre politique et la nôtre. Ils expriment une exaspération que je comprends, même si je leur dis très clairement que l’on ne peut pas, quand on est policier, défiler avec des voitures de service et des gyrophares, parce que cela n’est pas conforme à la déontologie de la police dans la République. (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE. – Huées sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jackie Pierre, pour la réplique.

M. Jackie Pierre. Le patron de la police a jugé inacceptable cette manifestation. Ce qui est inacceptable, monsieur le ministre, c’est la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui notre police ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Vous oubliez trop facilement que vous êtes au pouvoir depuis quatre ans et demi !

M. le président. Il faut conclure !

M. Jackie Pierre. Pour ma part, je tiens à rendre un hommage appuyé aux forces de l’ordre, dont le travail est de plus en plus difficile, et à leur apporter mon soutien le plus total ! (Les huées sur les travées du groupe socialiste et républicain couvrent la voix de l’orateur. – Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

aide humanitaire entre la martinique et haïti

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Maurice Antiste. Madame la ministre des outre-mer, le 4 octobre 2016, le cyclone Matthew passait sur Haïti et détruisait le sud du pays, faisant près d’un millier de morts et des dégâts considérables, entraînant un risque d’épidémie de choléra, entre autres fléaux.

Eu égard aux liens historiques existant entre la France et Haïti, et de surcroît entre la Martinique, la Guadeloupe et ce pays, nous sommes très sensibles à cette nouvelle situation de détresse.

Qu’a prévu l’État en termes d’interventions et d’aides de toutes natures, pour fournir de l’eau, de la nourriture, des vêtements, des médicaments, une assistance sanitaire au million de victimes sinistrées ?

La Martinique et la Guadeloupe se sont fortement mobilisées pour récolter des biens de première nécessité. S’est posée alors la question de l’acheminement de ces aides, des difficultés étant apparues.

Madame la ministre, quelles sont aujourd’hui les dispositions réellement prises par l’État pour venir au secours de ce peuple, une nouvelle fois meurtri ? L’acheminement des dons récoltés en Martinique et en Guadeloupe va-t-il bénéficier d’une aide de l’État ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Antiste, le cyclone Matthew a effectivement frappé durement Haïti, faisant, selon un bilan provisoire, des centaines de morts et d’importants dégâts matériels.

Avant d’en venir à la mobilisation de la Martinique et de la Guadeloupe, je veux évoquer celle du Gouvernement.

Sous l’égide du ministère des affaires étrangères et par le biais de son centre de crise et de soutien, qui travaille en étroite collaboration avec les ministères de la défense et de l’intérieur, le Gouvernement s’est immédiatement mobilisé.

Un Falcon 50 a effectué des missions de reconnaissance. Un premier détachement de trente personnels de la sécurité civile est arrivé sur le terrain. Deux vols spéciaux ont été affrétés pour transporter trente militaires supplémentaires, ainsi que près de soixante-dix tonnes d’équipements humanitaires fournis tant par l’État que par des entreprises et des ONG. Notre programme d’aide humanitaire à Haïti a également été abondé à hauteur de 150 000 euros. Au total, l’engagement de la France s’élève, à ce stade, à 964 000 euros.

Vous l’avez souligné, la Martinique, mais aussi la Guadeloupe et la Guyane, entretiennent des liens forts avec Haïti, et les outre-mer se sentent solidaires de ce pays. Leurs populations se mobilisent pour contribuer à l’effort humanitaire par des collectes de dons.

La question s’est posée de l’acheminement de ces dons jusqu’en Haïti, après vérification par le Gouvernement haïtien qu’ils correspondent bien aux besoins qui ont été identifiés sur le terrain.

Après avoir recherché une solution de transport du produit des collectes menées par l’ONG Urgence Caraïbes et la préfecture, mon ministère a décidé d’agir vite et de contribuer financièrement à cet acheminement, qui sera effectué par un prestataire privé.

J’ai attribué à Urgence Caraïbes une aide financière qui permettra l’envoi d’environ cinq conteneurs. Les dons effectués par les Martiniquais arriveront ainsi à destination, monsieur le sénateur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, pour la réplique.

M. Maurice Antiste. Madame la ministre, sachant que cette situation est récurrente, il vaudrait mieux prévenir que guérir. La France ne pourrait-elle prendre l’initiative d’une conférence caribéenne dont l’objectif serait la mise en place d’un plan de secours international pour faire face aux désastres naturels qui surviennent régulièrement dans la région ? Je pense aux cyclones et aux invasions de sargasses, par exemple. Chacun saurait alors quoi faire avec précision et dans les meilleures conditions de cohérence et d’efficacité.

Selon un dicton bien connu, « il vaut mieux apprendre à quelqu’un à pêcher que de lui donner un poisson en aumône ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

bataille de mossoul

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Colette Mélot. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie.

Monsieur le secrétaire d’État, la coalition internationale vient d’entrer dans une phase décisive de la lutte contre Daech en lançant l’offensive visant à reprendre aux islamistes la ville de Mossoul.

Cette étape est nécessaire pour mener à bien la campagne que la coalition, qui regroupe soixante pays, mène contre le terrorisme islamiste.

Malheureusement, cette victoire espérée et probable ne sera pas sans conséquences. Il y a tout lieu de penser que bon nombre de combattants islamistes, fuyant Mossoul, vont refluer vers l’Europe. Le commissaire européen à la sécurité vient d’exprimer sa plus vive inquiétude à ce sujet.

On estime en effet que bon nombre des 3 000 à 4 500 combattants qui sévissent actuellement dans le bastion de Mossoul, ainsi que d’autres soldats de Daech – et parmi eux des Français –, chercheront à déplacer leurs actions criminelles vers nos territoires en y perpétrant de nouveaux attentats.

Monsieur le secrétaire d’État, que comptez-vous faire pour protéger nos compatriotes ? Quelles actions concertées avec nos partenaires étrangers avez-vous prévues pour faire face à cette nouvelle vague de menaces visant à déstabiliser nos démocraties ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du développement et de la francophonie.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie. Madame la sénatrice, l’offensive sur Mossoul, qui a débuté hier matin, était en préparation depuis de nombreuses semaines. Mossoul, deuxième ville d’Irak, est un bastion de Daech depuis plus de deux ans. Sa reprise, qui prendra du temps, est un enjeu majeur de l’action de la coalition, sur le plan militaire, bien sûr, mais aussi sur les plans psychologique et même symbolique.

La France intervient directement en soutien de cette action, en particulier par le déploiement à Qayyarah Ouest, à une soixantaine de kilomètres au sud de Mossoul, d’un groupement tactique d’artillerie composé d’environ 150 militaires des forces spéciales.

Le président Poutine a appelé la coalition à éviter les pertes civiles dans l’opération de reconquête de Mossoul. Il a raison ; on voudrait qu’il en aille de même à Alep…

Pour en revenir à Mossoul, nous sommes bien conscients du risque de l’apparition d’une situation humanitaire très difficile pour les habitants de la ville. C'est pourquoi un couloir d’évacuation sera aménagé, afin de permettre aux populations civiles de quitter Mossoul. C’est précisément ce que refuse le régime de Bachar al-Assad et ses soutiens dans le cas d’Alep.

Il faut rapidement mettre en place des dispositifs d’assistance humanitaire d’urgence au bénéfice des populations de Mossoul. La France s’y emploie. Les services sont mobilisés, notamment le centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay. Nous nous employons à mettre en place ces dispositifs d’assistance humanitaire à titre bilatéral, bien sûr, mais aussi au sein de l’ONU et avec l’Union européenne.

Au-delà, il s’agit aussi de discuter dès maintenant de la manière dont sera organisée la gouvernance locale de Mossoul et de la région une fois Daech vaincu. Cette gouvernance devra être aussi inclusive que possible, afin de mettre en place les conditions politiques indispensables à une reconstruction durable et de conjurer le risque d’une réémergence du terrorisme. C’est le sens de la réunion qui se tiendra à Paris après-demain, sur l’initiative du Gouvernement français, en présence du Premier ministre irakien et de tous les acteurs régionaux.

Enfin, il y a effectivement un risque de fuite de combattants de Daech de Mossoul vers la Syrie. Nous le prenons en compte.

M. le président. Il faut conclure !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Notre première priorité est de minimiser le nombre des victimes civiles. Nous serons vigilants quant aux flux de combattants qui pourraient se déplacer vers la Syrie après la chute de Mossoul. Je rappelle que l’un des prochains objectifs de la coalition sera Raqqa, en Syrie, d’où les attaques terroristes contre la France ont été planifiées et lancées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.

Mme Colette Mélot. Monsieur le secrétaire d’État, il est certes important de mettre en place des dispositifs humanitaires, mais ma question concernait surtout la sécurité des Français ; notre devoir est de ne pas sous-estimer la menace qui pèse sur eux.

Il faut impérativement prendre la mesure des risques encourus et y apporter des réponses aussi concrètes qu’efficaces. Les Français ne pardonneraient pas une nouvelle erreur d’appréciation… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

parcours professionnels et carrières des fonctionnaires

M. le président. La parole est à Mme Éliane Giraud, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Éliane Giraud. Ma question s'adressait à Mme la ministre de la fonction publique, mais je crois savoir qu’il reviendra à M. Le Guen de me répondre.

Dans notre pays, nous aimons tous l’infirmière qui apporte les soins à l’hôpital public, le professeur d’école, de lycée ou de collège qui instruit nos enfants, voire nos petits-enfants, ou bien encore les personnels qui se chargent d’entretenir les locaux de ces établissements.

Mme Éliane Giraud. Nous aimons le policier, le gendarme ou le soldat qui nous protègent. Nous aimons avoir l’assurance que nos parents sont bien accompagnés.

Nous aimons aussi la personne dévouée qui accompagne tel ou tel projet d’entreprise ou qui aide l’agriculteur au bon montage de son projet pour obtenir des financements européens.

Toutes ces personnes s’appellent des fonctionnaires, des fonctionnaires locaux, territoriaux, hospitaliers ou nationaux. Voilà le mot est lâché : les fonctionnaires ! Ceux à qui les candidats à la primaire de la droite proposent un avenir noir (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), avec notamment une réduction drastique des effectifs.

Tous ces candidats sont d’accord sur ce point, mais ils le sont un peu moins sur le nombre : 300 000, 500 000, 1 million de suppressions de postes. C’est un peu à qui perd gagne ! Mais, bien évidemment, ils ne disent pas quels services seront réduits, rognés ou supprimés.

Toutefois, il ne faut pas avoir la mémoire courte. Rappelons-nous, comme l’a relevé M. le ministre de l’intérieur, la casse opérée par le précédent gouvernement Sarkozy-Fillon (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), avec des suppressions de postes de police et de gendarmerie (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui nous seraient bien utiles aujourd’hui, mettant à plat pendant des années des services entiers.

D’ailleurs, je le dis au passage, cela n’a en rien réduit le déficit public ; au contraire, la dette de la sécurité sociale a augmenté, ainsi que la dette de notre pays.

Les fonctionnaires maintiennent un service public de qualité, et le service public français est le garant d’une véritable lutte contre les inégalités sociales et territoriales. L’engagement de ces fonctionnaires est précieux.

Monsieur le secrétaire d'État, face aux propositions de la droite, qui ne remontent pas le moral aux fonctionnaires (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) – à nous non plus, d’ailleurs ! –, pouvez-vous nous parler un peu de la réalité que vous rencontrez et nous exposer la vision du Gouvernement quant au devenir des fonctionnaires ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – Huées sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, votre question est le témoignage de ce que pensent nombre de nos compatriotes : lorsqu’ils rencontrent des difficultés à titre personnel et demandent à bénéficier de la solidarité de l’État, ils savent qu’ils peuvent se tourner vers les fonctionnaires.

De ce point de vue, vous avez raison, chaque agent est indispensable. Leur statut leur apporte une protection et constitue une garantie pour assurer leur mission d’intérêt général.

Vous l’avez souligné, madame la sénatrice, le Gouvernement a reconnu l’engagement quotidien de nos fonctionnaires en prenant un certain nombre de mesures, des mesures responsables, à savoir, notamment, le dégel de la valeur du point d’indice, la loi récente relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Bref, grâce au dialogue social, ces mesures ont permis, dans le cadre des contraintes budgétaires qui sont les nôtres aujourd'hui et qui existeront encore demain, des avancées réelles.

Nous entendons, il est vrai, un certain nombre de propositions visant à diminuer de 300 000 le nombre de fonctionnaires. Comme beaucoup d’entre vous, j’ai entendu ce matin le président d’un des principaux partis parler de la suppression de 150 000 fonctionnaires d’État, sans qu’il soit évidemment question de toucher à la justice, à la sécurité ou à la défense…

Il serait possible d’en supprimer 50 000 en ne remplaçant pas un fonctionnaire sur deux dans l’éducation nationale. Un enseignant sur deux, vous imaginez bien ce que cela signifie, madame la ministre de l'éducation nationale ?… Mais où sont passés les 100 000 autres ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Louis Carrère. Il ne sait pas compter !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Quid des 100 000 autres quand il en a terminé avec l’éducation nationale et qu’il ne touche à rien d’autre ? (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Grosdidier. Et la question !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Toutefois, comme il propose de supprimer 150 000 postes dans les collectivités territoriales, j’imagine, mesdames, messieurs les sénateurs de la droite, que vous êtes déjà en train, vous qui avez le souci de la crédibilité, de préparer les plans de licenciement ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Bon travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Alain Vasselle. Au revoir !

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le jeudi 27 octobre prochain, à quinze heures, et qu’elles seront retransmises sur France 3, Public Sénat et le site internet du Sénat.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac,

M. Bruno Gilles,

M. Claude Haut.

M. le président. La séance est reprise.

9

Article 71 (nouveau) (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Égalité et citoyenneté

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote solennel par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’égalité et à la citoyenneté (projet n° 773 [2015-2016], texte de la commission n° 828 [2015-2016], rapport n° 827 [2015-2016]).

Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

Explications de vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps de parole attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour le groupe écologiste.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté avait au départ l’ambition à la fois d’encourager l’engagement républicain de tous les citoyens, de mieux répartir l’offre de logement social sur le territoire et de promouvoir l’égalité.

Après une série d’attentats dramatiques, dans un contexte difficile de peur, de repli sur soi, de préjugés, de stigmatisation, où les réseaux terroristes et d’extrême droite soufflent sur les braises pour diviser et mettre en échec le vivre ensemble, un tel projet nous paraît précieux, et même indispensable. Il a suscité beaucoup d’espoir.

Quelques dispositions positives demeurent, après le débat au Sénat, dont nous nous réjouissons. Je pense, par exemple, aux mesures visant à développer le recours au service civique, avec, notamment, l’objectif affiché d’une grande mixité sociale, le critère déterminant de recrutement étant non pas d’abord les compétences ou les diplômes, mais la volonté d’être utile à l’intérêt général.

Néanmoins, force est de constater que, globalement, la version de ce texte, amendé par la majorité sénatoriale, a, selon nous, défiguré ce qui en faisait l’essence. Je citerai brièvement quelques éléments qui illustrent cette perte de sens.

Premièrement, les dispositions à l’égard des jeunes ont été supprimées en grand nombre : suppression de la possibilité pour un jeune mineur de créer ou d’administrer une association, pour un jeune mineur de seize ans de devenir directeur de publication, même s’il n’est plus à l’école ; suppression de la répartition des sièges entre personnes de toutes les classes d’âge dans les CESER, les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, ou les conseils de développement et, surtout, introduction d’un sous-contrat de quinze heures maximum payé au SMIC horaire réservé aux jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans. L’objectif affiché est de faire diminuer les chiffres du chômage, au mépris, nous semble-t-il, d’une augmentation certaine du taux de précarité des jeunes, qui se trouvent déjà bien souvent dans des situations compliquées.

Ainsi, selon l’INSEE, la moitié des 15-24 ans avaient un emploi précaire en 2014 et les trois quarts, j’y insiste, des nouveaux pauvres sont des jeunes adultes ou des mineurs. Clairement, nous sommes bien loin d’envoyer des signaux de confiance à la jeunesse.

Deuxièmement, la déclaration d’irrecevabilité de l’amendement du Gouvernement visant l’interruption volontaire de grossesse est, à nos yeux, incompréhensible.

L’adoption de cet amendement aurait permis de donner une base juridique à la lutte contre tous les sites internet qui avancent masqués, qui se font passer pour des sites d’information sérieux et qui trompent leurs lectrices et lecteurs sur ce sujet particulier. Pourquoi serait-il irrecevable et sans lien avec le texte ? Pourquoi empêcher que le débat ait au moins lieu, quelle qu’en soit l’issue ?

Nous le savons très bien, ce sont les jeunes femmes les plus isolées, les plus fragiles, vivant dans les milieux les plus modestes qui, ne sachant où trouver des interlocuteurs, vont sur internet pour trouver des éléments de réponse à leur désarroi. Il existe donc bien une inégalité, et la mesure proposée répondait à ce problème ou, en tout cas, apportait un début de réponse.

Troisièmement, je veux dire un mot de la suppression de l’interdiction pour les communes de discriminer les enfants pour les accueillir à la cantine, selon la situation professionnelle des parents.

Certaines villes – elles sont certes peu nombreuses, c’est vrai, mais elles existent ! – refusent les enfants de parents au chômage, au motif que ces derniers auraient le temps de s’occuper du déjeuner de leurs enfants. Quelle vision stigmatisante des personnes en recherche d’emploi et des enfants ! Cela signifie que ces personnes passeraient la journée à ne rien faire, à attendre qu’un emploi tombe du ciel ! C’est blessant pour les parents comme pour les enfants. Aussi, nous espérons que l’Assemblée nationale réintroduira l’article 47.

Quatrièmement, les dispositions relatives à nos concitoyens français des gens du voyage ont été modifiées en séance publique. Je pense, notamment, à la mise en place de quotas des gens du voyage – 3 % maximum – sur les listes électorales d’une commune, limitant de fait la possibilité pour ces personnes de s’y inscrire une fois le quota atteint. Cette mesure, qui nous paraît discriminatoire, n’est pas acceptable.

Cinquièmement, parmi les autres coupes majeures dans le projet de loi figure la baisse pure et simple de l’obligation minimale de construction de logement social de 25 % à 15 % pour les villes, les objectifs chiffrés étant remplacés par une prétendue contractualisation entre le maire et le préfet, mais sans certitude, puisque le préfet ne pourra pas s’appuyer sur la loi.

Mme Aline Archimbaud. Je veux aussi mentionner le rejet des mesures visant à répartir le quart des demandeurs de logement social aux revenus les plus faibles dans les quartiers qui ne sont pas politiques de la ville, un moyen de lutter structurellement contre le développement de poches de pauvreté.

Selon nous, on abandonne là le cœur de la loi SRU, qui avait fait l’objet, me semble-t-il, d’un certain consensus et qui, en tout cas, avait été adoptée, alors que presque 2 millions de personnes dans notre pays attendent un logement et que le délai moyen d’attente est proche de six ans ! De plus, une actualité brûlante nous incite de manière urgente à faire reculer les ghettos. Tout cela ne nous paraît vraiment pas raisonnable.

Bien sûr, des aménagements peuvent être demandés par les communes ; des discussions sont possibles, des dérogations, des délais. Oui, tout cela est possible, Mme la ministre l’a confirmé, mais, sans base légale chiffrée, les discussions ne peuvent être construites que sur du sable.

Sixièmement, et enfin, au titre des autres manques fondamentaux de ce projet de loi, je citerai les mesures visant à faciliter l’accès aux droits.

Aucun des amendements que nous avons proposés n’a été accepté, et nous le regrettons. La citoyenneté implique des devoirs, mais aussi des droits. Or une partie de la population de notre pays constate que ses droits, pourtant inscrits dans la loi, ne sont pas assurés. C’est un véritable problème dans la République.

Permettez-moi d’évoquer quelques chiffres. En 2011, quelque 35 % des personnes éligibles au RSA socle n’y avaient pas accès. En 2013, quelque 20 % des personnes éligibles légalement à la CMU-C, la couverture maladie universelle complémentaire, soit presque un million de personnes, n’avaient pas réussi à ouvrir leurs droits !

Nos propositions visant à renforcer l’accompagnement des personnes qui en ont besoin dans leurs démarches administratives, devant la complexité récurrente des dossiers, et à mettre en place des mesures de simplification importantes pour les particuliers, demandées avec force par les professionnels dans les administrations, ont été rejetées. Rien pour aider ceux qui constituent des dossiers pour lutter contre la fracture numérique ; rien sur les refus de guichet ; aucun statut professionnel donné aux médiateurs sociaux. Nous regrettons que toutes ces mesures n’aient pu être adoptées.

Mes chers collègues, cette version sénatoriale du texte n’est vraiment pas bonne. Je crains qu’elle ne préfigure – cela a d’ailleurs été revendiqué ! – certains programmes électoraux des candidats de droite. C’est donc avec tristesse, mais aussi inquiétude que nous voterons contre ce texte, en gardant l’espoir que l'Assemblée nationale restituera son esprit initial. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les attentats de 2015, le Gouvernement a jugé indispensable de réaffirmer les valeurs de la République et de faire en sorte qu’elles s’incarnent dans le quotidien de tous les Français.

Pour cela, soixante mesures ont été déployées, engageant l’expérimentation concrète de la citoyenneté, développant la lutte contre les inégalités et les discriminations, incarnant la promesse républicaine dans le quotidien des Français, notamment de ceux qui vivent dans les territoires les plus fragiles de la République.

Le présent projet de loi prévoyait une mise en œuvre de ces mesures ou une prolongation de certaines d’entre elles par voie législative.

Malheureusement, nous constatons, en le regrettant, que le texte présenté par le Gouvernement a été considérablement dénaturé par la majorité sénatoriale, qui est revenue sur tout ce qui représentait un vrai progrès, pour nous comme pour la jeunesse de ce pays, ainsi que pour la mixité sociale.

En commission spéciale, la majorité sénatoriale a utilisé des artifices de procédure, comme cela vient d’être rappelé, pour empêcher que certains de nos amendements ne soient discutés en séance publique.

M. Philippe Kaltenbach. C’est scandaleux !

M. Jacques-Bernard Magner. Sous couvert d’une prétendue volonté de simplification et de cohérence, les rapporteurs et la majorité sénatoriale ont invoqué, d’une manière arbitraire et injustifiée, l’irrecevabilité, en vertu des articles 41 et 45 de la Constitution, écartant ainsi une vingtaine de nos amendements. Certains d’entre eux visaient à faciliter l’accès de nos concitoyens aux prestations sociales, par exemple. Oui, par ces amendements, le Gouvernement voulait mettre en place la première étape de la réforme des minima sociaux annoncée par le Premier ministre.

Ainsi, pour des raisons strictement politiciennes, la majorité sénatoriale a choisi de pénaliser les Français les plus modestes. De la même manière, un amendement du Gouvernement visant à élargir le délit d’entrave à l’IVG aux sites internet véhiculant des informations biaisées et fausses sur l’avortement a été rejeté. Par cette manœuvre, la droite sénatoriale confirme la fragilité du droit à l’avortement dans notre pays, plus de quarante ans après l’adoption de la loi Veil.

Le titre Ier du projet de loi doit notamment mettre en œuvre le « parcours citoyen généralisé » annoncé par le Président de la République. Certes, la généralisation du service civique et la réserve citoyenne tout au long de la vie ont été adoptées, mais la droite sénatoriale a rejeté tous les nouveaux droits que le Gouvernement voulait offrir à la jeunesse et qui portaient sur l’émancipation des jeunes et la citoyenneté.

Le congé d’engagement – l’un des piliers parmi les mesures en faveur de l’engagement associatif – a été supprimé, alors que cette disposition était très attendue par le secteur associatif et concernait les 16 millions de bénévoles qui s’y investissent.

En contrepartie, la seule proposition que l’on peut qualifier d’innovante et venant de la droite de notre hémicycle réside dans un nouveau type de contrat pour les jeunes âgés de 18 à 25 ans, les fameux « contrats emploi d’appoint jeune », en réalité des sous-contrats précaires, des mini-jobs. Copiant ce qui existe en Allemagne ou en Grande-Bretagne, on revient dix ans en arrière, en tentant de replacer une forme de CPE, un contrat dont on sait ce qu’il advint en 2006…

Au sujet du droit à la parole des jeunes, de leur émancipation et de leur participation à la vie sociale, la majorité sénatoriale s’est systématiquement opposée à toutes les mesures que nous proposions. C’est très clair, à présent : la droite n’a pas confiance dans la jeunesse de notre pays et elle la sanctionne. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Paul Emorine. Caricature !

M. David Assouline. C’est clair, pourtant !

M. Jacques-Bernard Magner. Par ailleurs, le Gouvernement voulait mieux garantir le droit à l’éducation de nos enfants et lutter contre les dérives à caractère sectaire en matière d’instruction.

Le texte initial comportait deux mesures renforçant les capacités de contrôle des pouvoirs publics sur l’instruction à domicile et l’ouverture d’établissements scolaires hors contrat. Face à cela, la majorité sénatoriale a choisi d’agiter le chiffon rouge d’une remise en cause de la liberté d’enseignement et rejeté nos propositions.

Dans le titre II, consacré au logement, le Gouvernement avait l’ambition de mettre en œuvre des outils opérationnels en faveur de la mixité dans les quartiers et à l’échelle des bassins de vie, en recentrant le dispositif de la loi SRU sur les territoires où la pression en matière de demande de logement social est très importante. Mais là encore, la droite sénatoriale a opposé sa frilosité, en rejetant les mesures proposées par le Gouvernement et en vidant les lois SRU et ALUR des dispositions en faveur des plus défavorisés.

M. Hubert Falco. Que n’a-t-elle pas fait, la droite sénatoriale ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques-Bernard Magner. La mesure phare du projet – octroyer au moins 25 % de l’habitat social aux plus modestes dans les quartiers non prioritaires – a d’ailleurs été retoquée.

Et que dire du sketch sur la création de la société foncière solidaire, proposée par le Gouvernement pour alléger le coût du foncier et accélérer la construction de logements sociaux et l’accession à la propriété !

Cette création avait été adoptée par la commission spéciale à la quasi-unanimité et la droite sénatoriale est brusquement revenue sur sa décision, rejetant finalement un projet d’intérêt national.

Dans le titre III, intitulé « Pour l’égalité réelle », là aussi, la droite nous a régalés, puisque, sans s’en rendre compte, nous dit-on, et au détour d’un amendement, la commission spéciale a touché à l’équilibre de la loi de 1881, causant des atteintes majeures au droit de la presse par la modification du délai de prescription, la possibilité de requalifier l’infraction et la porte ouverte à des demandes de réparation civile.

Et vous avez improvisé, madame la rapporteur ! Reconnaissant vous-même que votre rédaction initiale touchait les journalistes, vous avez, en effet, proposé de les en écarter, avec un amendement que votre majorité s’est empressée de voter.

Dans le titre III encore, la majorité sénatoriale a supprimé l’article 47, qui prévoyait que l’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe – j’insiste sur cette condition –, est un droit pour tous les enfants scolarisés, et qu’il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille. Vous avez insinué que cela obligerait les mairies à ouvrir des services de cantine, ce qui n’est pas du tout le cas !

À l’opposé, nous nous félicitons de l’adoption de notre amendement, qui tend à élargir la répression de la négation ou de la banalisation à tous les crimes contre l’humanité, y compris à ceux qui ne sont pas encore reconnus par leurs auteurs. Ces dispositions, issues de l’Assemblée nationale, avaient été supprimées en commission par les sénateurs de droite.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la majorité sénatoriale n’a pas seulement réécrit ou modifié le texte, elle l’a complètement dénaturé !

Votre projet de loi, monsieur le ministre, affichait la volonté de donner de nouveaux droits aux jeunes de notre pays et d’apporter plus d’égalité à tous nos concitoyens. Finalement, cette belle ambition a été empêchée par le rabot idéologique de la majorité sénatoriale et le projet du Gouvernement est devenu une pâle copie du programme de la droite pour 2017. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous comprendrez donc que les sénateurs du groupe socialiste et républicain ne voteront pas ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, restaurer les valeurs de la République et rassembler autour d’elles l’ensemble de notre communauté nationale, en ramenant les personnes qui s’en étaient éloignées, telle était l’ambition de ce projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Dans les faits, c’est un texte qui vise essentiellement à afficher et déclamer des principes et à encadrer la société pour restaurer une réalité et changer les mentalités.

Pour ce qui concerne le logement, le texte sorti du conseil des ministres institue la mixité sociale, de manière étatique et autoritaire et en feignant de croire que toutes les situations rencontrées par les communes de France se ressemblent et que les mêmes règles doivent s’appliquer à tous les élus. Jamais le retour à la centralisation n’aura autant marqué un texte, le comble étant qu’il est organisé par celles et ceux qui se réclament encore aujourd’hui des grandes lois de décentralisation !

Quant à l’égalité réelle, qui est un concept, avouons-le, quelque peu flou,…

M. André Reichardt. Absolument !

M. Jean-Claude Lenoir. … elle a néanmoins pris, durant quelques semaines, le visage d’une jeune secrétaire d’État rapidement propulsée vers d’autres fonctions.

Elle vise essentiellement, dans le chapitre du projet de loi qui la concerne, à énoncer, dit-on, de nouveaux droits. Or, parmi ces droits nouveaux, il y a ceux qui avaient déjà été accordés lors d’un précédent quinquennat… Je pense notamment au permis de conduite à un euro pour les jeunes en contrat d’insertion dans la vie sociale, le CIVIS, ou à la couverture maladie universelle pour les jeunes.

Tout cela conduit, en fait, à défier le bon sens, en construisant une sorte de démocratie rêvée des anges, où inégalités, discriminations et violences auraient disparu par le seul miracle de la promulgation de lois vertueuses par l’État.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir. L’Assemblée nationale s’est employée à faire de ce texte une forme de logorrhée législative et normative, quand on pense que le texte comportait 41 articles à l’issue du conseil des ministres et 217 au sortir du Palais Bourbon !

Certes, la majorité de l’Assemblée nationale s’est retrouvée pour adopter un texte, ignorant que le Gouvernement avait proposé un projet de loi ayant sa cohérence idéologique. Toutefois, elle l’a transformé en une sorte de bric-à-brac, dans lequel on retrouve toutes sortes de dispositions voulues, paraît-il, par ses différentes tendances.

M. Gérard Longuet. Et Dieu sait s’il y en a ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Lenoir. Au total, on comprend bien que, faute de pouvoir rattraper le temps perdu, tenir les engagements, annoncés et réitérés, et changer finalement le cours des choses, la gauche se réfugie, aujourd’hui, dans une sorte de redressement moral, qu’elle voudrait afficher vis-à-vis de la population et des parlementaires. Elle vise ainsi à multiplier, dans différents domaines, les incantations, ainsi que les lois et règlements appelés à régenter la vie sociale dans tous ses aspects.

M. David Assouline. Vous êtes vraiment fatigué !

M. Jean-Claude Lenoir. Voilà pourquoi nous nous trouvons confrontés, dans le projet de loi issu de l’Assemblée nationale, à de longs paragraphes, souvent sentencieux, et à d’interminables phrases paresseuses, écrites par ceux qui n’ont plus rien à dire (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) – ou, pis, qui n’ont plus rien à répondre – et qui lisent, sidérés, ce que le chef de l’État n’aurait jamais dû dire… (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Du prêchi-prêcha, en somme !

M. Jean-Claude Lenoir. La majorité sénatoriale s’est employée à revenir à l’essentiel du texte.

Au sujet de la citoyenneté, nous avons ainsi souhaité confirmer notre attachement à des dispositions déjà inscrites dans des textes adoptés lors d’un précédent quinquennat.

Pour ce qui concerne le logement social, qui constituait l’un des points les plus importants de ce texte, nous avons choisi la contractualisation ; elle permet à un maire de parvenir, si c’est possible, à l’objectif de 25 %, en lui laissant la possibilité de conclure un contrat d’objectifs et de moyens de six ans avec le préfet pour que le taux de logements locatifs sociaux atteigne une fourchette comprise entre 15 % et 25 %.

Nous avons également prévu qu’un certain nombre de logements puissent être comptés dans la liste des logements sociaux, pour permettre à des maires de remplir leurs engagements, mais aussi pour favoriser l’accession sociale à la propriété.

Pour ce qui concerne les articles relatifs à l’égalité, nous avons écarté toutes sortes de dispositions inutiles, qui étaient le reflet des opinions diverses émises du côté de l’Assemblée nationale.

Nous avons ainsi fait en sorte d’offrir au Sénat un texte que le groupe Les Républicains, que j’ai l’honneur de représenter à cette tribune, pourra voter.

Finalement, alors qu’on nous a beaucoup parlé de la République généreuse et du vivre ensemble, je me retrouve dans les mots issus de la plume de l’un de nos illustres prédécesseurs, qui siégeait à l’extrême gauche de cet hémicycle. Dans La Légende des siècles, en effet, Victor Hugo porte un regard confiant sur l’évolution de nos sociétés. Il imagine que les peuples, enfin réconciliés, se retrouvent dans une nef portée dans les airs, qui se promène autour de la terre.

Les vers de ce recueil consolident notre conviction selon laquelle il faut faire confiance à tous les opérateurs, maires ou citoyens :

« Nef magique et suprême !

[…]

Elle a cette divine et chaste fonction

De composer là-haut l’unique nation,

À la fois dernière et première,

De promener l’essor dans le rayonnement,

Et de faire planer, ivre de firmament,

La liberté dans la lumière. » (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Jean Louis Masson. Ce projet de loi relatif à la citoyenneté est une réponse aux récents actes de terrorisme, mais je suis très sceptique quant à l’efficacité réelle des mesures qui nous sont proposées.

Certes, sur le principe, il est utile de réaffirmer les valeurs de la République en créant une réserve citoyenne. Toutefois, il est utopique d’imaginer un seul instant que cette loi va dissuader les terroristes musulmans de passer aux actes. Il est utopique de penser que les personnes réceptives à l’extrémisme musulman vont s’inscrire dans la réserve citoyenne, sauf éventuellement pour y jouer le rôle d’une cinquième colonne…

En fait, si l’on veut lutter contre le terrorisme, il faut avoir le courage de regarder la vérité en face. La vérité, c’est que les attentats ont tous été commis par des musulmans et que le vivier de recrutement de ces extrémistes se trouve dans le communautarisme musulman.

Les pouvoirs publics et les médias ont tort de se voiler la face. La preuve en est que, lors des attentats contre Charlie Hebdo, des milliers de jeunes des quartiers – je dis bien des milliers d’entre eux ! – ont refusé de respecter la minute de silence, ce qui revenait à cautionner les attentats.

La plupart de ces terroristes sont issus soit de l’immigration récente, soit des deuxième ou troisième générations de l’immigration plus ancienne.

Il y a un an, lorsque, à cette tribune, j’avais déjà affirmé cette vérité, les bien-pensants et les tenants de la pensée unique ont vociféré contre moi. J’avais pourtant raison, puisque, quinze jours après ce discours, il y a eu l’attentat du Bataclan. Or deux des terroristes concernés venaient d’entrer en France parmi les flux de migrants ayant transité par la Grèce.

M. David Rachline. Absolument !

M. Jean Louis Masson. Face au terrorisme dont le communautarisme musulman est la base de recrutement, il est donc urgent de réagir avec fermeté et volontarisme. Pour cela, il faut une politique claire et déterminée d’assimilation. Je dis bien d’assimilation, car les partisans du multiculturalisme et les théoriciens de la prétendue « identité heureuse » nous conduisent dans le mur.

Il faut réagir contre tout ce qui favorise ces communautarismes, que ce soient les menus communautaristes dans les cantines scolaires, les horaires de piscine réservés aux femmes ou encore la prière et le port du voile sur le lieu de travail.

Voilà ce qui est nécessaire, à la fois pour conforter l’unité de la Nation et couper les terroristes musulmans de leur vivier de recrutement !

Je regrette très vivement que ce projet de loi n’ait absolument pas abordé ces aspects et qu’il ne relève pas de cette logique d’action. C’est la raison pour laquelle je ne le voterai pas. (MM. David Rachline et Stéphane Ravier applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

M. Christian Favier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, nous achevons la discussion du projet de loi « Égalité et citoyenneté ». À l’image de ce texte, les débats ont été particulièrement denses et fournis. Ils ont porté sur des sujets divers, souvent sans cohérence entre eux, au point même que nous en avons parfois perdu le fil directeur…

Pour autant, il est juste et légitime d’affirmer la notion de citoyenneté comme fondement de la République. C’est le signe d’une démocratie vivante !

La notion de citoyenneté n’est pas une notion figée, elle évolue au regard des aspirations et en fonction des rapports de forces pour définir ce qui nous est commun et ce qui nous rassemble. La construction de la citoyenneté doit donc être interrogée en permanence et, pour cette raison, nous nous sommes investis, en formulant des propositions au travers de nombreux amendements.

Les échanges dans l’hémicycle ont été vifs. Plusieurs visions de notre société et du pacte républicain s’y sont confrontées.

Nous sommes partis d’un projet de loi sorti de l’Assemblée nationale qui manquait de souffle et de volonté transformatrice, pour aboutir à un texte dans une version « droitisée », où les notions mêmes d’égalité et de citoyenneté ont quasiment disparu. Nous le regrettons doublement.

Je prendrai plusieurs exemples.

Premièrement, dans le texte soumis à notre vote, il n’est nulle part question de nouveaux droits pour les personnes étrangères, alors même qu’il s’agissait d’un engagement du Président de la République. Pis, les quelques mesures qui tendaient à une égalité des droits, notamment pour l’accès à la fonction publique ou à la SNCF, ont été supprimées par la majorité sénatoriale.

Nous regrettons ce silence assourdissant, tout particulièrement sur la question du droit de vote, alors même que ces personnes résident et vivent en France depuis de longues années. Ces nouveaux droits auraient permis d’engager une définition moderne de la citoyenneté, accueillante et ouverte sur le monde.

Deuxièmement, il n’est plus question d’une amélioration des droits pour les gens du voyage. On en revient à un dispositif discriminatoire de rattachement aux communes, qui impose une limite de 3 % de la liste électorale. C’est regrettable !

M. Jean Desessard. Lamentable, même !

M. Christian Favier. Le débat sur la jeunesse n’a pas non plus été à la hauteur des enjeux et ne permettra pas de répondre aux angoisses d’une jeunesse qui s’interroge sur son avenir.

Rien ne permet, dans ce projet de loi, de remettre en marche l’ascenseur social ni de renforcer les valeurs de l’engagement. Pis, le Sénat a supprimé le congé associatif et a créé, pour les jeunes, un nouveau contrat, dit « d’appoint », d’une grande précarité, limité à 15 heures de travail par semaine.

Alors que ce projet de loi intervient après les attentats de Charlie Hebdo, la liberté de la presse est malmenée, faisant de ce projet de loi un énième texte liberticide.

J’en viens maintenant à l’un des symboles de notre pacte républicain qui a été enterré, ici, par la droite : la loi SRU, porteuse d’une vision de l’aménagement et de la ville comme levier de progrès et de droits nouveaux pour tous les habitants.

On le sait, cette loi a permis d’imposer une proportion de logements sociaux accessibles pour nos concitoyens, afin de donner les moyens de la garantie du droit constitutionnel au logement. Il ne s’agit pas, comme nous l’avons entendu dans cet hémicycle, de pousser de manière déraisonnée à l’urbanisation et à la construction, mais bien de garantir un équilibre entre les différentes offres de logements pour en permettre l’accès pour tous. Aucune obligation de construction, mais bien une obligation d’équilibre entre logements locatifs publics et logements du secteur privé.

Cette loi a été dénaturée et démantelée avec méthode !

Pour la majorité sénatoriale, qui pense sans doute anticiper un hypothétique changement de gouvernement, le secteur du logement doit être libéralisé et livré à la marchandisation, au bon vouloir des promoteurs, le logement social étant, quant à lui, réservé aux plus nécessiteux, dans une démarche caritative.

Nous refusons cette vision misérabiliste du logement social. C’est en effet oublier que, aujourd’hui, plus de 65 % de la population sont éligibles au logement social, qu’il manque plus de 2 millions de logements et que 3,8 millions de nos concitoyens souffrent du mal-logement. Il y a donc une urgence morale et politique à répondre à ces situations et à créer les outils juridiques nécessaires.

Nos débats ont été particulièrement marqués par la question du logement intermédiaire, et nous nous félicitons d’avoir permis de supprimer, en séance, les nouvelles niches fiscales créées par la commission spéciale. En effet, pour nous, le logement intermédiaire, c’est bien le PLS, le prêt locatif social, déjà destiné aux catégories moyennes. Pour cette raison, nous sommes totalement opposés au principe même du surloyer et de l’exclusion du parc social des catégories moyennes. Nous pensons, tout au contraire, que cette diversité de population est positive, et même indispensable à l’équilibre de nos quartiers.

Sur ce point, nous avons pu noter, malheureusement, une véritable convergence de vue entre la majorité présidentielle et la majorité sénatoriale, comme en témoigne l’adoption conforme de l’article 27.

L’esprit de la loi Boutin, défendant une conception du logement social résiduelle et accélérant sa paupérisation, est accentué, alors que nous défendons l’idée du droit au logement pour tous et partout.

Les contraintes de la loi SRU ont été levées ou, pour le moins, très fortement diminuées. Mais l’enjeu n’est pas là. L’étau qui doit se desserrer sur les collectivités, c’est d’abord l’étau financier. Les dotations doivent être rétablies à des niveaux qui permettent aux collectivités de faire face à leurs obligations en matière d’égalité et de solidarité, ce que ne permet pas le projet de loi de finances pour 2017, puisque, malheureusement, les dotations sont encore en baisse, en particulier en ce qui concerne les aides à la pierre.

Tous les outils doivent être utilisés, notamment la mise à disposition de foncier public avec une forte décote. Les aides à la pierre doivent être rehaussées. Pourtant, elles sont à nouveau annoncées en baisse, à hauteur de 50 millions d’euros. Dans le même temps, les sommes consacrées à la niche fiscale dite « Pinel » sont de plus en plus importantes, de l’ordre de 360 millions d’euros…

L’urgence à nos yeux est donc bien de permettre le retour de l’État, au travers de services publics renforcés et modernisés, en tout point du territoire, en zone rurale comme dans les quartiers de la politique de la ville.

Ce projet de loi, chamboulé par le Sénat, renforce les inégalités sociales et territoriales, en créant des droits à géométrie variable. Il offre une vision étriquée du vivre ensemble et de la solidarité et une perception restrictive de la citoyenneté et des droits de nos concitoyens.

En conséquence, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen ne votera pas un tel recul de l’égalité, de la solidarité et de la citoyenneté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du RDSE.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre – je souhaite également saluer Mme la ministre du logement et de l’habitat durable, qui s’est excusée de son absence –, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, « qui dit inflation, dit dévalorisation : quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ».

Cette phrase extraite du rapport public du Conseil d’État de 1991 portant sur la sécurité juridique est plus que jamais d’actualité, tant ce texte est un fourre-tout législatif, au risque de galvauder et d’abîmer les notions républicaines d’égalité et de citoyenneté.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

Mme Françoise Laborde. Partant de constats partagés, à savoir l’impérieuse nécessité de rétablir les fondements de la cohésion sociale et de lutter contre la ségrégation spatiale et les discriminations, le projet de loi n’a pas su trouver de cohérence, malgré les efforts de rigueur déployés par les rapporteurs de la commission spéciale.

Autre remarque liminaire : nos débats ont parfois été entravés par une application quelque peu inéquitable des articles 40, 41 et 45 de la Constitution, qui vient porter une atteinte à notre droit d’amendement, quand les députés, eux, ont introduit de très nombreux cavaliers législatifs.

Mes chers collègues, il faut que nous ayons une interprétation plus unifiée. L’examen d’un texte au Sénat ne devrait pas servir de contrôle de constitutionnalité a priori des textes adoptés par l’Assemblée nationale.

Après ces quelques remarques de forme, tentons de parler du texte.

Tout d’abord, j’évoquerai le titre Ier, qui concerne la création de la réserve citoyenne et la montée en puissance du service civique, ainsi que leur valorisation dans les parcours professionnels. Nous soutenons ces mesures, comme tout ce qui renforce le service civique, dispositif que le groupe du RDSE a engagé.

En ce qui concerne les dispositions relatives à l’éducation, nous considérons que le législateur n’est pas allé assez loin. Comme Victor Hugo, notre groupe estime que « l’égalité a un organe : l’instruction gratuite et obligatoire ». C’est, pour nous, une fonction régalienne de l’État.

Ainsi, nous regrettons que les amendements que nous avions déposés pour rendre effectif le contrôle de l’État sur l’instruction à domicile et l’enseignement privé hors contrat n’aient pas été accueillis favorablement. Cependant, les contrôles a posteriori seront, semble-t-il, renforcés, et nous serons attentifs au régime d’autorisation d’ouverture des établissements privés, que proposera le Gouvernement.

En ce qui concerne les dispositions relatives au logement, le texte du Sénat est en recul quant aux obligations de mixité sociale, en laissant une grande liberté à la contractualisation entre le préfet et les collectivités, sans aucun encadrement,…

M. Philippe Dallier. C’est faux !

Mme Françoise Laborde. … contrairement à ce qui est prévu pour les obligations de construction de logements sociaux dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

Nous proposions une voie intermédiaire, celle qui consistait à fixer un plancher de 15 % d’attribution de logements sociaux, en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville, aux ménages les plus démunis. La majorité sénatoriale l’a rejetée, préférant une position extrême, donc moins raisonnable et moins sage. Il est donc à craindre qu’il en soit de même pour l’application de la loi SRU et que la contractualisation fondée sur la volonté de s’adapter aux réalités locales, que nous soutenions, ne soit qu’une manière d’exonérer les communes de leurs obligations.

C’est le sentiment donné par le gonflement de la liste des logements entrant dans le décompte des logements sociaux au titre de la loi SRU, qui fait artificiellement baisser le taux de logements à atteindre.

Toujours sur le titre II du projet de loi, j’exprime notre satisfaction quant à l’adoption de notre amendement qui tend à sécuriser la minorité de blocage permettant aux communes de s’opposer au transfert automatique de la compétence relative au plan local d’urbanisme à l’intercommunalité, prévue par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové de 2014, y compris après la période transitoire pendant laquelle coexisteront plusieurs documents d’urbanisme sur le territoire des établissements publics de coopération intercommunale résultant de fusions.

Sur ce point, le texte du Sénat est donc plus respectueux de la volonté du législateur, exprimée lors de l’examen de la loi ALUR.

Au titre III, les mesures proposées en matière de liberté de la presse ont fait l’objet d’âpres débats. L’ouverture de l’action en réparation des préjudices résultant des abus de la liberté de la presse devant les juridictions civiles sur le fondement de la responsabilité pour faute, à l’exception de ceux qui sont commis par les journalistes, mettra fin au sentiment d’impunité de certains auteurs anonymes.

L’allongement des délais de prescription de trois mois à un an pour les infractions commises sur internet est une solution plus judicieuse que le point de départ mobile, car celui-ci rendait de fait l’infraction imprescriptible.

Cependant, nous estimons que l’adaptation de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse mérite que l’on s’y attarde lors d’un débat apaisé et éclairé, pour s’assurer de la constitutionnalité de modifications apportées. S’il est impératif de mieux protéger les victimes des abus de la liberté de la presse commis sur Internet, il est essentiel de garantir le subtil équilibre entre droits de la victime et liberté d’expression.

Cette liberté d’expression, si ardemment défendue à l’article 37, n’a pas empêché qu’une partie de l’hémicycle y porte atteinte à l’article 38 ter en créant un délit de négation, de minoration ou de banalisation des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, de réduction en esclavage ou des crimes de guerre.

Espérons que le Conseil constitutionnel sera constant dans sa jurisprudence et se fera de nouveau le défenseur de la liberté d’expression, d’autant qu’il n’est pas de la compétence du législateur d’écrire ou de dire la vérité historique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE.)

Mes chers collègues, comment se prononcer sur un texte qui rassemble autant de thèmes et de sous-thèmes ? Bien que nous soutenions les grandes orientations du projet de loi, le groupe du RDSE n’en partage pas la totalité des dispositions. C’est la raison pour laquelle une grande majorité de ses membres s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, né de l’effroi suscité par les terribles attentats de 2015 et de la question terrifiante qu’ils ont posée à toute la Nation – « Comment des enfants de France peuvent-ils avoir pour seul dessein la destruction de leur pays ? » –, le projet de loi « Égalité et citoyenneté » vise un objectif ambitieux : renforcer la cohésion de la société française en encourageant l’engagement civique – tout particulièrement celui des jeunes, en les accompagnant vers l’autonomie – et en luttant contre les discriminations.

Personne ici ne conteste ce constat alarmant de la désintégration de notre société, qui n’a cessé d’ériger en valeurs suprêmes la liberté et les droits individuels au détriment de l’engagement, de la responsabilité et de la solidarité.

Comme le disait très justement le Premier ministre en mars 2015, la République est souvent devenue une illusion pour une majorité de nos concitoyens. Le Président du Sénat l’a également réaffirmé à raison : la nation française constitue un héritage à partager, qu’il nous appartient de faire vivre et de transmettre.

Oui, je le dis au nom du groupe UDI-UC, nous souscrivons à l’impérieuse nécessité de refonder une société sur des valeurs de responsabilité et de solidarité, car un pays n’a pas d’avenir sans l’engagement de tous les siens.

Oui, nous soutenons le développement de la réserve civique et le service civique. Nous les approuvons, monsieur le ministre, mais avec l’exigence que ces intentions se transforment en actions, pour ne pas se perdre en illusions.

M. Jean-Louis Carrère. Les illusionnistes, c’est vous !

Mme Françoise Gatel. Passer de 100 000 jeunes en service civique à 350 000 en 2019 ou en 2020 nécessite de mobiliser des moyens humains et financiers importants, pour ne pas reproduire la grande déconvenue de ces milliers de bénévoles qui avaient répondu à l’appel, laissé sans suite, de la réserve de l’éducation nationale créée après les attentats de 2015.

Au nom de la légitime reconnaissance des jeunes, à qui il appartiendra de construire l’avenir de notre pays, le projet de loi issu de l’Assemblée nationale tendait à prévoir toute une série de mesures comme la participation obligatoire des jeunes aux conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, les CESER, la création obligatoire de conseils de jeunes dans les collectivités, le droit d’être directeur de publication ou de solliciter son émancipation à seize ans.

Le Sénat a supprimé nombre de ces dispositifs, car certains sont déjà possibles, comme les conseils de jeunes. Pour les autres, ils s’apparentaient souvent à des hochets, des mirages de droit invisibles pour les 500 000 jeunes sans emploi ni formation et pour tous les jeunes qui décrochent chaque année du système scolaire.

M. Jean Desessard. Cela n’a rien à voir !

Mme Françoise Gatel. Seule une lutte sans merci contre le chômage et les inégalités scolaires pourra permettre de faire face aux injustices sociales et territoriales. L’école et l’instruction sont les ressorts de l’égalité et de l’intégration, et nul ne peut ignorer les risques actuels de dévoiement de la liberté de l’enseignement.

Le Sénat partage ces préoccupations. Aussi a-t-il, dans le respect de la liberté constitutionnelle d’enseignement, très fortement durci et sécurisé le dispositif d’ouverture et de contrôle des écoles privées hors contrat.

Il a ainsi refusé d’être une simple chambre d’enregistrement d’un discours ministériel qui voudrait faire croire qu’une procédure d’autorisation, non définie à ce stade, n’instaurant aucun contrôle systématique après l’ouverture de l’école, mettrait un terme à toute dérive.

Concernant le titre II relatif au logement social, le groupe UDI-UC salue le travail de Dominique Estrosi Sassone. Notre collègue a su construire un dispositif exigeant de contractualisation entre l’État et le bloc local, communes et intercommunalités, qui tienne compte la grande diversité des réalités territoriales.

À ce stade, il convient aussi d’évoquer la tentative de création par le Gouvernement de la Foncière solidaire nationale. Le groupe UDI-UC, par la voix de nos collègues Daniel Dubois et Valérie Létard, a montré que ce nouvel outil, n’ayant fait l’objet d’aucune étude d’impact, risquait de déstabiliser considérablement le marché du logement, mais aussi de fragiliser les équilibres locaux trouvés avec les établissements publics fonciers existants.

Il ressort que, de réforme en réforme, le Gouvernement opère une recentralisation de la politique du logement, en défiance des élus locaux – une recentralisation inefficace au vu des faibles résultats de production de logement. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Le Sénat a travaillé avec rigueur, sans esprit partisan. À titre d’exemple, il a proposé des mesures de respect de la dignité de toute personne, de facilitation de la mobilité des apprentis, d’élargissement à de nouveaux profils de la fonction publique, de protection contre toute discrimination et harcèlement, et même d’inversion de la règle de séniorité en cas d’égalité de suffrage à une élection. Il a en outre proposé l’interdiction de la substitution par autrui du paiement solidaire des amendes, mesure qui a été saluée aujourd’hui à l’Assemblée nationale par le ministre de l’intérieur.

L’objectif de cohésion sociale affiché dans ce texte, monsieur le ministre, méritait mieux que des manœuvres grossières de dénigrement du Sénat. Toutes les critiques péremptoires que nous avons entendues pendant des jours masquent en réalité une impréparation fiévreuse du Gouvernement et une tentative de rassembler une majorité effritée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Quelques jours seulement après l’hommage national aux victimes des attentats de Nice, les Français se souviennent, comme chacun de nous ici, de ces jours où nous avons senti vaciller la démocratie sous les coups de boutoirs des terroristes, ces jours où nous avons alors choisi la dignité et l’exemplarité.

Les Français sont las des polémiques outrancières ; ils attendent de nous rigueur et efficacité. C’est dans cet état d’esprit que le Sénat a travaillé. Toutefois, j’exprime la crainte que l’Assemblée nationale ne veuille restaurer son cabinet de curiosités, véritable bouquet de promesses qui préfigure de futures désillusions.

Monsieur le ministre, je souhaite avec sincérité que les engagements que nous soutenons, notamment sur la réserve civique et le service civique ou encore la diversification de l’accès à la fonction publique, soient tenus, car ils sont justes et nécessaires.

Le groupe UDI-UC votera ce texte, monsieur le ministre, tel que le Sénat l’a construit, mais sans illusion sur sa capacité à donner aux oubliés de la société une envie d’appartenance à notre nation. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Ouverture du scrutin public solennel

M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, dans le texte de la commission, modifié.

Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.

Je remercie nos collègues Frédérique Espagnac, Bruno Gilles et Claude Haut, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je déclare le scrutin ouvert et je suspends la séance jusqu’à dix-neuf heures, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-neuf heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Proclamation du résultat du scrutin public solennel

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 37 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 323
Pour l’adoption 177
Contre 146

Le Sénat a adopté.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, je serai bref, compte tenu de l’ordre du jour chargé de la Haute Assemblée.

Nous avons passé ensemble près de cinquante heures, au cours desquelles vous avez débattu tantôt avec votre serviteur, tantôt avec Emmanuelle Cosse, dont je vous prie de bien vouloir excuser l’absence, car elle est actuellement à Quito dans le cadre des discussions internationales sur la ville durable.

Nous n’avons pas été d’accord sur tout, même si j’ai pu compter – je les en remercie – sur le soutien actif des groupes de l’opposition sénatoriale, qui nous ont très souvent accompagnés, Emmanuelle Cosse et moi-même, dans nos argumentations, au cours d’un débat républicain qui honore la Haute Assemblée.

Nos divergences, si elles ont été réelles, n’ont pas empêché l’adoption de 41 articles conformes, ce dont je me félicite. Pour le reste, la discussion se poursuivra à l’Assemblée nationale, comme vous l’avez pressenti, madame Gatel, sans surprise en la matière.

Je voudrais remercier le Sénat de la qualité de nos débats. La Haute Assemblée sait être à la hauteur de la réputation qui la précède, mais je ne désespère pas de la convaincre de la pertinence d’une idée simple : on ne peut pas arrêter le besoin de justice sociale exprimé par nos concitoyens. En ce sens, et puisque Victor Hugo vient d’être cité, nous faisons écho à une autre belle phrase, celle d’un homme politique célèbre, Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu.

M. Jean-Louis Carrère. Cela va leur plaire ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Patrick Kanner, ministre. « La politique, c’est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire », déclarait-il. Telle est notre ambition au travers de ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures quinze, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)

PRÉSIDENCE DE M. claude bérit-débat

vice-président

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac,

M. Bruno Gilles.

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté
 

10

Dépôt d'un rapport

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport de 2016 sur le financement des établissements de santé.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires sociales.

11

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté » a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.

Cette liste a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.

12

Mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires dans les petites communes

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 14 de Mme Françoise Cartron à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche sur la mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires dans les petites communes.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Françoise Cartron appelle l’attention de Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche sur le fait que, nommée parlementaire en mission par le Premier ministre, elle a pu apprécier “sur le terrain” l’ingéniosité des élus locaux dans la mise en œuvre des rythmes scolaires. Le travail mené visait : à établir un bilan des initiatives prises par les élus locaux pour organiser et développer les activités périscolaires, ce que l’on peut appeler de “bonnes pratiques” ; à identifier des “points de blocage” ; à définir les conditions d’un soutien renforcé par les services de l’État aux communes. Les points d’observation ont porté principalement sur : l’articulation des organisations de temps scolaires et des activités périscolaires ; les initiatives prises par les services territoriaux de l’État ; le recrutement et la qualification des animateurs ; la production de ressources adaptées ; enfin, une réflexion sur les adaptations et simplifications à envisager. Concernant la méthode et afin d’identifier les moyens de mieux accompagner encore les petites communes, notamment rurales, le programme de travail a compris : une centaine d’auditions et plus de vingt visites sur le terrain ; le développement d’outils à destination des élus, tel un questionnaire (près de 1 200 communes répondantes) et un “blog” (près de 10 000 visites). La réforme, par essence, est un changement profond apporté à une institution qui vise à améliorer son fonctionnement. Les nouveaux rythmes scolaires annoncés, promis depuis de nombreuses années par l’ensemble des partis au pouvoir, répondent incontestablement à cette définition. La plupart des élus rencontrés proposent des temps d’aménagement pertinents et un éventail d’activités impressionnant d’un point de vue quantitatif et qualitatif.

« L’utilisation du territoire, l’utilisation des ressources humaines, patrimoniales, matérielles, associatives de proximité est remarquable. Cette réforme a valorisé, de la meilleure manière possible, les richesses locales, qu’elles soient culturelles, sportives, citoyennes ou environnementales.

« Les territoires ruraux portent des projets très réussis et attractifs pour leurs administrés. De nombreux exemples en sont cités dans le rapport.

« Elle lui demande, au vu de ce rapport, quelles lui paraissent les préconisations qui semblent pouvoir être mises en œuvre rapidement. »

La parole est à Mme Françoise Cartron, auteur de la question. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Mme Françoise Cartron, auteur de la question. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, missionnée à la fin de l’année 2015 par M. le Premier ministre, j’ai remis mon rapport relatif aux projets éducatifs territoriaux, les PEDT, à l’occasion du troisième comité interministériel aux ruralités, le 20 mai dernier, à Privas, en Ardèche.

Au total, nous avons mené six mois de travaux à travers la France en visant le but suivant : identifier les « bonnes pratiques » et les moyens de mieux accompagner les communes rurales dans la mise en œuvre des nouveaux rythmes.

À cette fin, plus de cent trente personnes ont été auditionnées, plus de trente déplacements ont été effectués. Nous avons, en quelque sorte, accompli un mini-tour de France,…

Mme Françoise Cartron. … dont la dernière étape en date a été Ajaccio, il y a dix jours.

J’ai été à même de l’observer : en Corse du Sud, le groupe d’appui départemental, ou GAD, manifeste un engagement remarquable. Un tel exemple doit faire école, notamment auprès des territoires où ces structures de pilotage n’ont pas été suffisamment développées. L’une de mes préconisations consiste d’ailleurs à redynamiser les GAD, notamment afin de soutenir la mutualisation des moyens et de permettre la complémentarité des actions.

Mes chers collègues, par l’intermédiaire du questionnaire que j’ai mis en ligne à destination des élus, plus d’un millier de communes, issues de quatre-vingt-six départements, ont apporté leur contribution. Je tiens à remercier toutes celles et tous ceux d’entre vous qui, toutes sensibilités politiques confondues, ont diffusé ce document auprès des maires des départements dont ils sont les élus.

À ce propos, je crois savoir qu’une délégation val-d’oisienne est en ce moment même dans nos tribunes. Je salue les membres qui la composent et les remercie de leur précieuse contribution !

Au total, les communes répondantes représentent une population de 4,3 millions de personnes et plus de 360 000 enfants scolarisés. J’ajoute que 60 % d’entre elles comptent moins de 2 000 habitants, ce qui, vous en conviendrez, est significatif.

Toutefois, derrière ces chiffres, quels enseignements, quelles préconisations peut-on retenir pour accompagner une nouvelle étape qualitative ?

Tout d’abord, au regard des débats parfois caricaturaux auxquels cette réforme a pu donner lieu,…

M. Jean-François Husson. Ce n’est pas vrai !

Mme Françoise Cartron. … et malgré des difficultés initiales qu’il ne s’agit pas de nier, les élus considèrent aujourd’hui cette nouvelle organisation comme « installée ».

De nombreux maires m’ont dit : « S’il vous plaît ! Après tout cet engagement de notre part, il n’est pas possible, demain, de revenir en arrière. » (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme Françoise Cartron. Ces propos rejoignent d’ailleurs ceux qu’a tenus François Baroin – bien connu dans cette assemblée –, le président de l’Association des maires de France, l’AMF, en conclusion du dernier congrès des maires.

Comment revenir en arrière alors que, depuis deux ans seulement, plus de deux millions d’enfants supplémentaires participent à des activités sportives, culturelles et environnementales sur le temps périscolaire ?

Mme Françoise Cartron. Pour la plupart d’entre eux, ces élèves n’avaient jamais accès à de telles activités auparavant.

Comment revenir en arrière, alors que des centaines d’emplois ont été créées ou consolidées grâce à une qualification supplémentaire ? (Mme Françoise Férat s’exclame.)

Comment peut-on imaginer revenir à quatre matinées de classe, alors que cette organisation était rejetée par toutes et tous et qu’elle était préjudiciable, en premier lieu, aux enfants les plus en difficulté ?

Mme Françoise Cartron. Rappelons que le retour à la semaine de quatre jours, opéré en 2008 par M. Darcos, a été unanimement reconnu comme néfaste, et pour cause, car il aggravait encore plus le déséquilibre du temps scolaire.

M. François Bonhomme. Première nouvelle !

Mme Françoise Cartron. Oui, il était nécessaire de réinstaller une matinée de classe plus favorable aux apprentissages, d’alléger les journées et de proposer de nouvelles activités aux enfants sur les créneaux horaires ainsi libérés.

On a également entendu la critique suivante : « Cette réforme des rythmes est inadaptée au monde rural, dépourvu de ressources. »

Mes chers collègues, cette affirmation est tout simplement fausse ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. François Bonhomme. Nous l’apprenons à l’instant même !

Mme Françoise Cartron. Pour reprendre un slogan bien connu, ces communes rurales ont tout des grandes : un éventail d’activités considérable est proposé, et ces dernières sont le plus souvent ancrées dans l’identité locale, qu’elles valorisent.

Permettez-moi de citer quelques exemples pour vous convaincre. En Corse du Sud, département que nous avons visité la semaine dernière, ont été mis en œuvre des ateliers de langue corse, des séances de chants polyphoniques et des ateliers environnementaux. (Mme la ministre opine.)

Dans les Landes, sont proposées des activités « échasses », « course landaise » ou « fanfare »… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. François Bonhomme. C’est vrai que cela s’impose !

Mme Françoise Cartron. Des ateliers autour de la laine sont organisés à Saint-Vaury, dans la Creuse.

Mme Françoise Cartron. Je songe aussi à la découverte du patrimoine en Gironde, aux fouilles archéologiques dans le pays du Vexin, au recours aux géants des Flandres dans le Nord,…

M. François Bonhomme. Pauvres enfants !

Mme Françoise Cartron. … ou encore à l’implication du parc naturel des Baronnies provençales dans la Drôme.

Je cesse ici cette énumération, même si les exemples ne manquent pas. Ce sont là autant d’initiatives remarquables.

Toutefois, une question émerge aujourd’hui : le possible essoufflement des activités.

Mme Catherine Troendlé. Mince, alors ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Cartron. Or beaucoup de ressources restent faiblement mobilisées, faute d’être suffisamment connues. Je pense aux associations d’éducation populaire, au réseau de création et d’accompagnement pédagogique, ou réseau CANOPE, ainsi qu’à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique, l’INRIA. Ces divers acteurs ne demandent qu’à participer à cette nouvelle organisation. Faisons-les connaître !

Je salue également l’initiative de la Réunion des musées nationaux, la RMN, qui, avant la fin de cette année, proposera des mallettes pédagogiques en lien avec des collections et expositions du musée du Louvre ou du Grand Palais.

En résumé, j’ai perçu de la part des maires ruraux la volonté farouche d’investir dans leur école, car il s’agit d’un engagement fort au service des enfants de leur village. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Oui, l’école reste la priorité des politiques municipales. Par exemple, à Fauville-en-Caux, en Seine-Maritime, le choix du samedi matin comme cinquième matinée a permis de redynamiser le centre-bourg. À ce titre, je reprends à mon compte l’expression employée par M. le maire de la commune : « C’est tout le village qui a changé de rythme. » (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. François Bonhomme. Et la lumière fut !

Mme Françoise Cartron. Partout en France, les villages vivent grâce à la vitalité de leur école.

Les territoires d’outre-mer ont eux aussi relevé le défi. À cet égard, l’exemple de Mayotte est très significatif. La mobilisation territoriale autour de cette réforme a permis de s’interroger quant aux conditions d’accueil des enfants pour le déjeuner.

Mme Françoise Cartron. Ont ainsi été créés des restaurants scolaires dans des établissements qui, jusque-là, en avaient toujours été privés.

La diversité de l’offre est importante, mais ces réponses innovantes et variées ne sont pas, comme j’ai pu l’entendre, assimilables à des inégalités.

Mme Françoise Cartron. Certes, des inégalités existent encore entre les territoires, mais la réforme ne les a ni créées ni même accentuées : elle les a simplement révélées. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Cédric Perrin. On ne doit pas vivre dans le même pays !

M. Jean-Louis Carrère. Écoutez un peu, chers collègues !

Mme Françoise Cartron. Ces disparités sont liées à l’antériorité des politiques éducatives et à la volonté politique de faire ou non de l’école une priorité, bien plus qu’à la taille de la commune ou à la proximité des grandes institutions culturelles. Cette réforme, désormais, contribue précisément à les réduire.

Pour ce faire, je le rappelle, il est essentiel de travailler les projets éducatifs territoriaux, ou PEDT, à l’échelon intercommunal. Madame la ministre, pour ce faire, les communes ont également besoin de stabilité dans les règles requises et de pérennité dans les financements. Pouvez-vous nous rassurer à cet égard ?

Force est d’admettre qu’un frein persiste au niveau des subventions de la Caisse d’allocations familiales, la CAF. L’obtention de ces fonds est trop souvent évoquée comme un parcours du combattant. Le choc de simplification doit, partant, s’appliquer à ces dossiers.

En outre, sachant que le Sénat s’empare à nouveau de la question du financement, je tiens à apporter deux précisions.

Premièrement, sachons de quoi nous parlons lorsque nous évoquons le coût des rythmes. Bien souvent – je l’ai constaté –, l’on se réfère au coût global du budget périscolaire, et non du coût des seules heures dévolues aux temps d’activités périscolaires, ou TAP. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme Brigitte Micouleau. Pas du tout !

M. Jean-Louis Carrère. Allons, allons, chers collègues, un peu de calme !

Mme Françoise Cartron. Deuxièmement, les aides de l’État sont attribuées à tous les enfants scolarisés dans la commune, et non aux seuls élèves inscrits aux TAP.

Dès lors, si seulement 50 % des enfants participent aux activités proposées, la commune perçoit en réalité, non pas 50 euros ou 90 euros par enfant, si elle relève des dotations de solidarité urbaine ou rurale, la DSU et la DSR, mais jusqu’à 100 euros, voire 180 euros, soit le double : il faut le dire ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. François Bonhomme. Et quel est le coût moyen ? Par enfant, 260 euros !

Mme Françoise Cartron. Cela étant, revenons à l’essentiel, c’est-à-dire à l’enfant. C’est en effet pour lui que ces ateliers sont conçus.

De quoi un enfant a-t-il besoin pour développer son intelligence et ses connaissances ?

Tout d’abord, il a besoin d’être en contact avec le monde réel. S’il s’en trouve coupé, son intelligence ne peut se développer. Le théâtre, le chant, l’escalade, les jeux collectifs, le bricolage, le jardinage ou encore la musique…

M. François Bonhomme. Le jardinage ! Et l’école dans tout cela ?

Mme Françoise Cartron. … constituent des activités dynamiques sur la base desquelles l’enfant explore, découvre, manipule, et développe ce faisant ses compétences motrices, créatrices et sociales.

Le jeu constitue un autre élément fondamental. Pauline Kergomard disait : « Le jeu, c’est le travail de l’enfant. » Voilà pourquoi il faut dire oui aux jeux de société, oui aux jeux d’adresse et de force, oui aux jeux de mémoire, de stratégie et de hasard, qui ont tous leur importance.

Mme Catherine Troendlé. Certes, mais à la maison !

Mme Françoise Cartron. J’en viens au cas particulier de l’école maternelle et plus précisément des élèves âgés de deux à quatre ans.

Là encore, parlons des besoins particuliers de l’enfant. Le besoin de sommeil est déterminant pour la qualité de l’attention et de la concentration. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme Catherine Troendlé. Mais les enfants sont épuisés !

Mme Françoise Cartron. Par pitié, évitons tout surdosage d’activité ! Nul n’est besoin d’aller chercher des activités extraordinaires. L’ordinaire peut se révéler extraordinaire.

Bref, oui aux TAP sieste, détente, écoute musicale ou lecture de contes, qui eux aussi fonctionnent parfaitement dans de nombreuses communes.

Pour ce qui concerne la fatigue des enfants, ne cédons pas non plus à des approximations ou à des ressentis. (Exclamations sur les mêmes travées.)

M. Cédric Perrin. Ce ne sont pas des « ressentis » !

M. Jean-Louis Carrère. Ma parole, on est à l’école primaire !

M. le président. Chers collègues, je vous invite au calme !

Mme Françoise Cartron. Pour résumer, cette réforme des rythmes scolaires a assuré une réflexion globale autour des temps éducatifs. Que ce soit dans le cadre ou en dehors du temps scolaire, elle a permis à l’enfant de vivre de nouvelles expériences et de se confronter à d’autres réalités.

En conclusion, je vous livre cette phrase de la jeune Malala, prix Nobel de la paix, qui est si attachée au rôle essentiel de l’éducation : « Merci de ne pas m’avoir coupé les ailes et de m’avoir laissé voler. » Telle est l’ambition de cette réforme voulue pour notre école : aider tous les enfants à prendre leur envol ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Mes chers collègues, étant donné la faiblesse de ma voix, je sollicite un peu d’indulgence de votre part. Peut-être pourrez-vous m’écouter comme on le fait à l’école… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Françoise Cartron. Ce serait une bonne chose, en effet !

Mme Maryvonne Blondin. Depuis le début du quinquennat, la politique éducative constitue la priorité du Gouvernement.

M. François Bonhomme. À l’évidence… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Maryvonne Blondin. L’éducation est redevenue le premier budget de l’État. Une augmentation continue des crédits a permis d’entreprendre un travail de grande envergure destiné à redonner à notre système scolaire toute son importance et son rôle d’ascenseur social, mis à mal pendant la précédente décennie. (M. André Trillard s’exclame.)

La réforme des rythmes scolaires compte parmi les nombreuses initiatives prises par le Gouvernement pour édifier une école plus exigeante et plus juste, une école au cœur de la République ! En effet, l’école est bien l’un des piliers de notre société, le centre de son système démocratique et la garante des citoyens de demain.

Engagée à la rentrée de 2013, puis généralisée en 2014, cette nouvelle organisation du temps scolaire dans les écoles primaires et maternelles vise à mieux répartir les heures de classe au cours de la semaine.

Rappelez-vous : par le passé, des études ont déjà été menées, en la matière, au niveau européen. Or la France présentait à la fois le nombre de jours d’école le plus faible et les journées de classe les plus chargées.

Mme Mireille Jouve. C’est vrai !

Mme Maryvonne Blondin. Dans ce cadre, un double objectif avait été fixé : d’une part, alléger et mieux répartir les heures de classe, de l’autre, concentrer les temps d’enseignement sur les moments les plus propices à la concentration des enfants.

Tout en garantissant de meilleures conditions d’apprentissage et de réussite, la réforme entend mieux articuler temps scolaire et temps périscolaire. Son ambition est la suivante : que tous les enfants aient accès à des activités culturelles, artistiques, sportives – Mme Cartron en a donné quelques exemples –, qui contribuent à leur éveil et au plaisir d’apprendre.

Le Gouvernement est conscient de l’envergure de cette réforme refondant le premier degré en appelant l’implication des élus communautaires et de tous les acteurs travaillant autour de l’enfant. C’est bien la première fois que ce débat des rythmes scolaires et périscolaires est abordé au sein de nos intercommunalités.

Aussi, l’État a tenu à soutenir l’élaboration des PEDT via un accompagnement spécifique. Ce suivi est assuré par les directeurs académiques des services de l’éducation nationale, les DASEN, et par les équipes des directions départementales de la cohésion sociale, les DDCS. Les CAF peuvent également, dans certains cas, apporter leur concours.

En outre, le Gouvernement a pérennisé le niveau du fonds de soutien au développement des activités périscolaires par deux décrets parus au mois de mars dernier.

Parallèlement, il a assuré un aménagement du cadre réglementaire, pour prendre en compte les contraintes et les atouts des différents territoires.

J’en veux pour preuve l’exemple du département dont je suis l’élue, celui du Finistère. Ce territoire compte environ 60 % d’écoles publiques et 40 % d’écoles privées. Les écoles privées sous contrat qui ont souhaité mettre en œuvre la réforme bénéficient également de l’ensemble des aides financières déployées.

M. François Bonhomme. Et alors ? Quel est le rapport avec le sujet ?

Mme Maryvonne Blondin. Toutefois, je regrette que toutes les écoles privées n’aient pas appliqué cette réforme ; il ne faut pas le nier, cette situation a pu avoir une influence sur tel ou tel transfert d’élèves du public vers le privé.

M. François Bonhomme. Ce n’est pas la cause principale.

Mme Maryvonne Blondin. Les mouvements en question sont restés d’une ampleur assez faible, mais ce constat a été dressé. Cela étant, il s’agit là d’un autre débat.

Pour justifier ces transferts, la raison invoquée est la fatigue des enfants : mais enfin, mes chers collègues, vous ne pouvez croire que la fatigabilité des enfants relève uniquement du temps scolaire et de l’école.

Mme Françoise Férat. Tout de même !

Mme Maryvonne Blondin. Les familles ont-elles aussi un rôle à jouer en la matière.

Je vous rappelle que, lorsque nous avons commencé à nous pencher sur l’aménagement des rythmes scolaires, le samedi matin avait également été proposé pour l’organisation de ces activités. Néanmoins, les enseignants et les parents ont fait le choix du mercredi matin.

Mme Françoise Férat. Les enseignants, surtout !

M. François Bonhomme. Comme c’est bizarre…

Mme Maryvonne Blondin. Contrairement à l’image négative diffusée et aux critiques exprimées, les municipalités des toutes petites communes ont bel et bien su exploiter tous les atouts de leurs territoires. Elles ont réussi à fédérer les forces en présence, notamment les associations, afin de proposer aux enfants des aménagements des temps scolaires. Ces communes ont mis en œuvre des ateliers originaux et d’une grande qualité, dans la mesure où ils sont adaptés à la réalité du terrain !

En outre, le constat d’un tel dynamisme scolaire a permis aux zones rurales de prendre conscience que les activités périscolaires de qualité étaient devenues, pour elles, un véritable facteur d’attractivité. En effet, lorsqu’elles cherchent un lieu où s’installer, les familles examinent notamment les conditions d’enseignement dont elles pourront bénéficier.

Bien entendu, il ne faut pas nier les difficultés organisationnelles et financières auxquelles cette réforme s’est heurtée. Mais il me semble que les communes sont parvenues à y faire face.

Mes chers collègues, à ce titre, je tiens à porter à votre connaissance l’exemple d’une intéressante initiative menée à bien dans le département du Finistère. Les équipes municipales de deux communes, dont l’une compte 2 000 habitants et l’autre 600, ont su faire preuve d’intelligence collective, de pragmatisme et d’innovation dans leur volonté de servir au mieux leur population. L’une n’avait plus d’école, l’autre avait un grand besoin de restaurer ses locaux scolaires.

En 2014, une réflexion conjointe et ambitieuse a abouti à la réalisation d’une nouvelle école intercommunale adaptée aux exigences de tous et placée à proximité d’espaces polyvalents dévolus aux TAP. Ce chantier a été mené à bien à la grande satisfaction de tous : cette nouvelle école a été inaugurée au mois de septembre dernier. Il s’agit bel et bien d’un exemple à suivre pour nos petites communes.

J’en suis persuadée, en la matière, il n’est plus possible d’opérer un retour en arrière ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. François Bonhomme. Le retour en arrière a déjà eu lieu !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Jean-Louis Carrère. C’est maintenant notre tour d’interrompre l’orateur, chers collègues !

M. Éric Doligé. Vous ne vous en êtes pas privé cet après-midi…

Mme Catherine Troendlé. Cela ne me pose aucun problème, monsieur Carrère !

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, permettez-moi de rendre hommage à cet enseignant qui, hier au soir, a été roué de coups devant ses élèves. Quoiqu’il ait dû être hospitalisé à la suite de cette agression, ce professeur a refusé de baisser les bras et il a eu la force d’être devant ses élèves ce matin même. Cet acte courageux mérite d’être salué. Les enseignants exercent un magnifique métier, et ils doivent être respectés ! (Applaudissements.)

La réforme des rythmes scolaires est un thème récurrent de discussions au sein de cette assemblée. Plusieurs questions au Gouvernement, débats et missions d’information lui ont été consacrés. J’ai personnellement présidé une mission commune d’information dédiée à ce sujet. Les travaux de cette instance se sont soldés par le rejet d’un rapport dont Mme Cartron était déjà l’auteur.

Chargé de complaisance à l’égard du Gouvernement,…

Mme Catherine Troendlé. … ce document éludait complètement la réalité des faits.

M. François Bonhomme. Mais aujourd’hui, où est Vincent Peillon ?...

Mme Catherine Troendlé. Madame Cartron, ce soir, nous sommes de nouveau réunis pour traiter de ce sujet. Or votre nouveau rapport est lui aussi dithyrambique pour le Gouvernement.

Mme Françoise Cartron. Non, pour les enfants !

Mme Catherine Troendlé. Mon devoir est pourtant de vous ramener, ainsi que Mme la ministre, à la réalité des chiffres et des faits. En effet, depuis la mise en place de cette réforme,…

M. Jean-Louis Carrère. Allez, c’est reparti !

Mme Catherine Troendlé. … pas un mois ne s’écoule sans qu’un article souligne la fatigue des élèves ; leur manque de concentration ; le défaut de pertinence des activités proposées ; les problèmes de financement que les nouvelles activités périscolaires, les NAP, posent aux collectivités, en particulier aux petites communes rurales – et j’en passe !

M. Jean-Louis Carrère. Mais non, au contraire, rajoutez-en un peu plus !

Mme Françoise Cartron. Allez sur le terrain !

Mme Catherine Troendlé. Ainsi, en mai dernier, l’Association des maires de France a présenté lors du Congrès des maires son enquête sur les rythmes scolaires.

Dans ce cadre, notre collègue François Baroin, président de l’AMF, a évalué à 640 millions d’euros le reste à charge de la réforme des rythmes scolaires pour les collectivités territoriales. Mes chers collègues, je ne fais là que citer des chiffres ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Françoise Cartron. On ne sait seulement pas d’où ils sortent !

Mme Catherine Troendlé. M. Baroin a demandé que l’État compense totalement le coût de la réforme.

Mme Françoise Cartron. Bien sûr, comme c’est toujours le cas !

M. Jean-Louis Carrère. Ça, c’est le programme des candidats à la primaire de la droite…

Mme Catherine Troendlé. L’aide actuelle versée à ce titre n’est que de l’ordre de 440 millions d’euros. Aussi, le président de l’AMF a précisé à juste titre : « On ne peut pas demander à des petites communes rurales de porter à bout de bras un aménagement de cette nature, sans accepter son prix réel. » (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

En effet, l’enquête menée a confirmé les charges importantes que représente la réforme des rythmes scolaires. Le coût annuel brut moyen par enfant inscrit aux NAP est évalué à 231 euros pour les communes et à 243 euros pour les intercommunalités. Pis, quelque 36 % des communes interrogées estiment cette charge supérieure à 250 euros par enfant et par an.

En tenant compte des aides versées via le fonds de soutien et par la CAF au titre de l’accueil de loisirs sans hébergement, l’ALSH, le reste à charge moyen s’élève à 70 % pour les communes et à 66 % pour les intercommunalités.

En outre, c’est pour les communes rurales que la facture est la plus élevée : le reste à charge moyen que ces dernières doivent assumer est de l’ordre de 73 % du coût annuel par enfant.

Mme Françoise Cartron. C’est faux ! Allez voir les budgets !

M. François Bonhomme. Il faut surtout consulter les maires !

Mme Françoise Cartron. C’est ce que j’ai fait, précisément, monsieur Bonhomme !

Mme Catherine Troendlé. De plus, quelque 70 % des communes font encore part d’obstacles persistants dans la mise en place de la réforme, et 62 % de celles-ci jugent que ces difficultés restent importantes, voire très importantes.

Les principaux problèmes sont liés, tout d’abord au financement des activités, puis au recrutement d’un personnel qualifié et disponible. En particulier, les communes rurales ont du mal à recruter des intervenants extérieurs disponibles et qualifiés pour l’encadrement des NAP.

Mme Élisabeth Doineau. Tout à fait !

Mme Catherine Troendlé. En la matière, la principale difficulté résulte du schéma recommandé par l’éducation nationale, à savoir des activités divisées en quatre séquences de quarante-cinq minutes par semaine. C’est là le dispositif qu’ont choisi la moitié des communes.

Mme Françoise Férat. C’est inadapté !

Mme Catherine Troendlé. Enfin, vient la question des locaux partagés avec les enseignants, qui elle aussi se révèle problématique.

M. Jean-Louis Carrère. Quand on veut tuer son chien…

Mme Catherine Troendlé. Bref, que de problèmes, que de difficultés ! Et, en définitive, à quoi servent ces efforts ?

On nous promettait une meilleure prise en compte des rythmes biologiques des enfants et des rythmes d’apprentissage. Mais les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous.

D’après une enquête réalisée en 2015 par le syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC, le SNIUPP, auprès de 16 764 enseignants – rien de moins ! –,…

Mme Françoise Cartron. Ce sont les seuls enseignants de Paris !

Mme Catherine Troendlé. … quelque 74 % des professeurs estiment que le temps périscolaire a un impact négatif sur le temps scolaire. À leurs yeux, cette réforme nuit à l’organisation et au fonctionnement de l’école. En outre, elle a des effets négatifs sur l’attention des enfants, dont elle accuse la fatigue. (M. Alain Néri lève les bras au ciel.)

J’ajoute que 73 % de ces enseignants ont même noté une baisse de concentration et d’attention chez certains de leurs élèves au cours du temps passé en classe. Au total, 79 % d’entre eux demandent une autre organisation horaire de l’école. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Chers collègues, je constate que vous faites bien peu de cas de cette enquête menée auprès des enseignants. Ces derniers méritent pourtant d’être respectés ! (Exclamations sur les mêmes travées.)

M. Jean-Louis Carrère. C’est cela, continuez, continuez !

M. Alain Néri. Comme le disait Talleyrand, tout ce qui est excessif est insignifiant !

Mme Catherine Troendlé. Du côté des parents, ce n’est pas mieux. D’après un autre sondage datant de 2015, réalisé auprès de 1 000 personnes par le Journal des Femmes, 69 % des parents considèrent que cette nouvelle organisation a un impact négatif ; quelque 80 % d’’entre eux jugent même leur enfant plus fatigué depuis sa mise en œuvre.

C’est là le comble de l’ironie pour une réforme qui se voulait à l’écoute des rythmes d’apprentissage et de repos des enfants. Comme quoi, il n’y a qu’au sommet de l’État que le désormais fameux « Oui, ça va mieux ! », complètement déconnecté de la réalité, parvient à faire des émules !

M. Jean-Louis Carrère. C’est fini ! Plus de temps de parole !

Mme Catherine Troendlé. Madame la ministre, quand disposerons-nous, de la part du ministère de l’éducation nationale, d’une évaluation complète de l’application de la réforme des rythmes scolaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Jean-François Husson. Cette réforme est déjà aux oubliettes !

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, et sans fioritures particulières, je tiens à saluer très sincèrement Mme Cartron : l’élégance l’impose, dans la mesure où je suis le seul homme à m’adresser ce soir, du haut de cette tribune, à notre noble assemblée… (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Jean-François Husson. Vous n’êtes pas le seul ! M. Daniel Laurent parlera ensuite !

M. Patrick Abate. Bon sang, j’ai raté mon effet ! Cela ne fait rien, je poursuis. (Sourires.)

Je tiens, disais-je, à saluer Mme Cartron, qui a accompli un excellent travail. Le rapport qu’elle a rédigé consacre un bilan positif. Souvenons-nous pourtant des difficultés que cette réforme a soulevées, notamment en termes de méthode. Gardons de surcroît à l’esprit l’instrumentalisation politique à laquelle elle a donné lieu, non seulement de la part de certains maires, mais aussi à la droite de cet hémicycle.

Un tel climat n’a pas été propice à une mise en place sereine.

M. Jean-Louis Carrère. En effet, que de polémiques !

M. Patrick Abate. Or ce sujet ne méritait pas une telle approche.

Les enseignants, comme les parents, ont toujours été sensibles à la nécessité de réformer le temps scolaire. Rappelons en outre que l’objectif était la réduction des inégalités. Nous y étions attachés sur le fond, même si l’on peut discuter des moyens mis en œuvre et des méthodes choisies. Il s’agissait également d’articuler des activités scolaires et périscolaires afin d’améliorer l’apprentissage.

Deux ans après, où en sommes-nous ? Je répondrais à cette question en suivant trois axes : l’apprentissage, le problème de l’égalité ou des inégalités, enfin la coopération.

Concernant l’apprentissage, sans remettre en cause l’idée qu’une organisation permettant plus de jours de classe dont chacun est moins chargé constitue un progrès incontestable et une amélioration pour les plus jeunes, la fatigue des élèves est souvent évoquée. Celle-ci s’explique peut-être, effectivement, par ces cinq jours de classe par semaine, mais elle est surtout due – c’est ce que je constate – à la multiplication des activités des enfants : celles qui relèvent du périscolaire et celles que les parents n’ont pas encore – c’est légitime – décidé d’arrêter.

Les associations culturelles et sportives proposent des activités, et les enfants passent en effet beaucoup de temps en dehors de chez eux, plutôt que d’y rester à lire tranquillement ou, malheureusement, à regarder la télévision.

Mme Blondin le disait, se pose un problème de responsabilité familiale, mais également sociale. (Mme Maryvonne Blondin acquiesce.) Nous savons bien, en effet, que cette situation est utilisée comme solution du problème de la garde des enfants.

Sur le terrain, trop souvent, les activités de type périscolaire relèvent encore de la garderie, ce qui pose le problème des moyens, plutôt que de véritables activités de loisirs éducatifs susceptibles de compléter efficacement l’enseignement. À ce sujet, il faut noter les difficultés constatées en matière de recherche de cohérence avec le projet pédagogique, malgré la signature, dans 97 % des communes, de projets éducatifs territoriaux ou PEDT.

Concernant les inégalités, les aides de l’État indispensables en la matière ont été mises en œuvre. Le fonds d’amorçage est important à ce titre. Il n’en reste pas moins que l’offre est plus ou moins séduisante selon la situation des communes, les plus riches parvenant à mettre en œuvre des activités bien plus intéressantes, il faut le dire, que les plus pauvres. C’est un élément perfectible, mais qui ne remet pas en cause la réforme dans son ensemble.

M. Alain Néri. Très bien !

M. Patrick Abate. En outre, ces communes les plus pauvres rassemblent les populations les plus défavorisées et les moins mobiles, lesquelles, très souvent, paient le plus d’impôts sans pouvoir y échapper.

Mme Françoise Cartron. Ce sont elles qui ont le plus besoin de cette réforme !

M. Patrick Abate. Le dernier rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire, le CNESCO, montre que l’école n’est pas suffisamment égalitaire. Les origines de ce constat ne datent pas d’hier : elles doivent beaucoup à la révision générale des politiques publiques, la RGPP, entre autres politiques dont on ne saurait vous faire grief, madame la ministre !

Je m’adresse ici à ceux qui font de la surenchère sur les réductions de la dépense publique et du nombre de fonctionnaires. Qui dit 100 000 ? Qui dit 200 000 ? Qui dit 300 000 ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Alain Néri. Parfait !

Mme Catherine Troendlé. Qu’avez-vous fait en cinq ans ?

M. Alain Néri. Ouvrez vos oreilles, madame !

M. Patrick Abate. Il faut tout de même être cohérent !

Se pose toutefois le problème de la pérennité de cette aide. Je suis très inquiet à ce sujet lorsque j’entends ces discours, alors que nous savons que les difficultés que connaissent les communes ne sont pas près de s’arranger.

Sur le plan de la coopération, enfin, il est vrai qu’il était sympathique pour les parents de rencontrer tranquillement les enseignants le samedi matin. On nous le dit souvent.

Les relations entre enseignants, parents, acteurs du périscolaire, mouvements d’éducation populaire et autres associations fonctionnent pourtant. Les PEDT en sont les moyens. Toutefois, les enseignants doivent pouvoir dégager du temps et les directeurs être plus facilement déchargés de leurs classes.

Pour conclure, à la suite du travail engagé par notre collègue Françoise Cartron, il me semble absolument nécessaire, madame la ministre, de se saisir de ce rapport de ce comité de suivi de la réforme, deux ans après, pour améliorer le dispositif, mettre en commun les bonnes pratiques et garantir la pérennité des aides.

Le bilan est donc positif, même si le problème des moyens alloués à l’école se pose toujours. Pour nous, l’école est non pas une dépense, mais un investissement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)

M. Patrick Abate. D'ailleurs, ceux qui nous donnent des leçons d’économie devraient plutôt revoir la manière dont ils prennent en compte ce sujet dans les grands indicateurs macro-économiques. Si l’on sortait les crédits engagés pour l’école et pour l’université des dépenses de fonctionnement pour les considérer, au même titre qu’une machine à faire du bois, comme de véritables investissements, nous pourrions peut-être faire évoluer les perspectives à l’échelle européenne.

En matière d’apprentissage, d’égalité comme de coopération, l’amélioration nécessite des moyens mis en œuvre par les collectivités, bien sûr, mais aussi par l’État, ainsi qu’une meilleure répartition des richesses sur l’ensemble du territoire national. Ce dernier point dépasse toutefois le cadre de la question des rythmes de scolaires et ne doit donc pas nous conduire à jeter le bébé avec l’eau du bain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier Françoise Cartron de son très bon rapport. Il permet à la maire de petite commune que je suis de constater que certains collègues, partout en France, ont également rencontré des difficultés dans la mise en place du projet éducatif territorial, le PEDT. Il permet également de puiser dans un éventail très riche d’exemples d’activités ou d’idées d’aménagement du temps à proposer aux enfants. Ce n’est pas la moindre de ses qualités.

L’objectif de cette réforme des temps de l’enfant à l’école était d’améliorer la réussite de tous les élèves tout en se rapprochant de certains standards internationaux : des journées allégées, des semaines mieux rythmées, donc des années un peu moins resserrées. N’oublions pas, en effet, que les élèves français connaissaient le nombre de jours d’école le plus faible des pays de l’OCDE, tout en présentant, dans le même temps, un volume horaire annuel très important. Cette anomalie se ressentait dans les apprentissages des élèves, notamment chez les enfants en difficulté. L’allégement de la concentration du temps scolaire à l’école primaire était donc, de l’avis de tous, une nécessité.

Ainsi, le retour de la cinquième matinée de classe, supprimée en 2008, offre davantage de temps pour traiter et approfondir le programme comme pour mener des projets éducatifs. Il permet également d’apporter une aide supplémentaire aux élèves en difficulté.

En complément, les élus ont été appelés à mettre en place, à travers les temps d’activités périscolaires, les TAP, devenues les nouvelles activités périscolaires, ou NAP, des propositions d’accueil des enfants. L’ensemble du dispositif devait concourir à l’amélioration des performances du système éducatif français en partant de son premier niveau, c’est-à-dire de l’école primaire.

Tout le monde s’accorde à considérer que la mise en œuvre de cette réforme a été difficile. Elle a imposé certaines adaptations auxquelles de nombreuses communes n’étaient pas préparées. Le Gouvernement a répondu aux appels à l’aide des collectivités, notamment en matière d’aides techniques et, surtout, financières, pour la mise en place des projets éducatifs territoriaux. Ce faisant, il a également créé, ainsi que vous le faites remarquer dans votre rapport, madame Cartron, des incertitudes quant à la pérennité de ces aides, notamment financières, dans les années à venir.

Ces difficultés initiales dans l’application de la réforme ont donné lieu à une perception tronquée du dispositif. Dans l’esprit de nombreux parents, cette réforme des temps de l’enfant à l’école s’est ainsi très vite résumée à une réforme du périscolaire, ce qui a polarisé les crispations.

Sur cette question, ce sont surtout les petites communes qui ont été en première ligne. Peu d’entre elles, en effet, étaient pourvues de structures d’accueil et d’un réseau suffisamment développé d’animateurs prêts à encadrer des écoliers en dehors des heures d’enseignement. Les aides proposées, 50 euros par enfant et par an, majorés à 90 euros en zone urbaine sensible ou en zone rurale revitalisée, n’étaient pas toujours suffisantes pour des communes qui partaient de zéro – je parle en connaissance de cause.

Plusieurs interrogations sont alors apparues : comment fait-on si aucun bénévole n’est disponible pour assurer l’accueil des enfants ? Faut-il sacrifier la gratuité, comme plusieurs communes ont dû s’y résoudre, incapables sinon d’être en mesure de proposer des activités pour les enfants ?

Pis encore, comment éviter la concurrence entre communes pour essayer d’attirer les rares animateurs disponibles dans certaines zones ? La question des locaux à disposition pour accueillir les enfants, dès lors qu’on souhaite sortir les élèves de leur salle de classe pour justement mieux segmenter, dans leur esprit, les temps à l’école, s’est également révélée un casse-tête.

Concernant la qualité des offres, une métropole ou une grande intercommunalité peut compter sur un tissu associatif dense et des professionnels aguerris lui permettant de proposer des activités variées et originales. Les petites communes ne peuvent pas à tous coups à s’appuyer sur de tels relais, ni sur des animateurs toujours formés.

Enfin, je ne peux éluder la question de l’absentéisme, en particulier lorsque la demi-journée est fixée au samedi matin et non au mercredi, tant elle touche de plein fouet le département des Bouches-du-Rhône, par exemple.

Dans mon département, près de 50 % des effectifs peuvent manquer à l’appel en maternelle et 20 % en élémentaire, selon un rapport de l’Inspection générale. C’est inquiétant, mais cela n’exonère pas les parents de leur responsabilité. Comme l’indique le rapport de l’Inspection générale, c’est le profit même de la réforme qui est en jeu : « Une augmentation de l’absentéisme, si elle se confirmait, serait de nature à remettre en question l’intérêt pédagogique de la réforme ».

Rassurez-vous, madame Cartron, je n’insiste pas à dessein sur ce qui ne fonctionne pas, ou qui fonctionne mal, je profite seulement de la tribune qui m’est offerte pour relayer les difficultés et les inquiétudes des maires des petites communes face à ce qui est, tout de même, une réforme d’ampleur.

Je ne néglige cependant pas la coopération renforcée entre les acteurs locaux de l’éducation – école, associations, parents, élus – engendrée par cette réforme. Je n’oublie pas non plus que, désormais, près de trois enfants sur quatre prennent part à des activités sportives ou culturelles, dont beaucoup d’entre eux étaient exclus jusqu’alors. Cela constitue un réel progrès et contribue à réduire certaines inégalités dans la vie des élèves en dehors de l’école.

Je conclus mon propos par une résolution : je souhaite que cette réforme essentielle et salutaire des temps de l’école ne conduise pas à renforcer certaines inégalités entre les communes qui ont les moyens et celles pour qui tout est toujours un peu plus compliqué. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste. – M. René Danesi applaudit également.)

Mme Françoise Férat. C’est tout le problème !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons de nouveau de la réforme des rythmes scolaires et plus spécifiquement aujourd’hui de sa mise en œuvre dans les petites communes.

Cette réforme connaîtrait-elle donc quelques difficultés de mise en œuvre, pour que nous éprouvions aujourd’hui le besoin d’en débattre ? Que dire sur cette réforme qui ne l’ait déjà été ?

Le premier décret est paru en janvier 2013, sans aucune concertation avec les élus, alors même que pour eux, je tiens à le rappeler ce soir, l’éducation est la priorité des priorités.

Mme Françoise Gatel. C’est vrai. !

Mme Françoise Férat. Je ne veux pas laisser croire que les élus ne se sont pas mobilisés, même s’ils ont été mis devant le fait accompli. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.) En conséquence, ni les professeurs ni les parents d’élèves ni les élus et encore moins les enfants n’ont pu tirer le moindre bénéfice de cette situation.

Finalement, le temps de présence des élèves au sein de l’école est beaucoup plus important, alors que moins de projets pédagogiques intéressants pour eux leur sont proposés. Voilà ce qui suscite l’incompréhension ! En effet, lors des heures consacrées aux nouvelles activités, dans certains ateliers, il leur est proposé, faute d’intervenants – j’ose à peine vous le dire, mes chers collègues ! –, de faire du coloriage. Je vous assure, hélas, que je ne caricature pas !

Pardonnez-moi, mes chers collègues, de ne pas considérer que cette activité puisse bénéficier à leur ouverture d’esprit.

Mme Françoise Cartron. Le coloriage, c’est très bien pour lutter contre le stress. Vous devriez essayer.

Mme Françoise Férat. Ils seraient donc stressés ?

N’oublions pas la fatigue ressentie en fin de semaine, puisque, en effet, en milieu rural, les amplitudes horaires restant liées au transport scolaire, les journées n’ont pas été allégées.

Une annualisation des vacances scolaires dans l’intérêt des enfants avait été évoquée. Où en sommes-nous aujourd’hui, madame la ministre ? À l’heure actuelle, rien n’a été établi. Il s’agissait sans doute d’un effet d’annonce, alors même que cela me semble essentiel.

Mes chers collègues, je vous exonère du couplet sur les congés de la Toussaint qui débutent demain mercredi,…

Mme Françoise Férat. … sur les conséquences de cette situation en matière d’organisation pour les familles et sur les répercussions de tout cela sur les enfants, ce qui est le plus important.

J’en viens plus précisément à l’organisation des rythmes scolaires. J’entends certains affirmer que tout se passe bien. Il est vrai que, dans certaines situations, le bilan est positif. Lorsque ce n’est pas le cas, certains prétendent que cela résulte de mauvaises volontés locales. Je leur réponds : allez-vous réellement sur le terrain ?

Mme Françoise Férat. Je vous ai invitée, madame Cartron !

Mme Françoise Cartron. Je viens demain !

Mme Françoise Férat. Une fois encore, permettez-moi, au nom des élus locaux et des responsables que nous représentons, de tirer la sonnette d’alarme. Connaissant l’inégalité de moyens financiers et humains entre nos collectivités, comment a-t-on pu penser qu’un tel système pourrait être appliqué sur des espaces aussi différents ?

Les disparités entre les agglomérations urbaines, les bourgs centres et les différentes zones rurales sont une réalité, et non une simple vue de l’esprit.

Les écoles ont dû gérer la désorganisation de leur structure, en termes d’horaires, d’encadrement, voire d’enseignement, la réforme se traduisant par un désordre anxiogène pour tous.

Les petites collectivités rurales situées à trente minutes ou plus des centres urbains ne disposent pas toujours, quant à elles, du personnel nécessaire, certains intervenants refusant de se déplacer dans les territoires les plus éloignés.

J’entends que les intercommunalités doivent prendre le relais. C’est leur rôle, en effet. Néanmoins, je citerai l’exemple de mon département, la Marne.

M. René-Paul Savary. Très bien !

Mme Françoise Férat. Que dire aux élus, aux enseignants, aux parents d’élèves et à leurs enfants habitant une intercommunalité rurale de vingt-six communes, celle où je réside, regroupant 5 000 habitants – vous imaginez la densité de la population ! – et où il est impossible de trouver des intervenants ? C’est une réalité !

Mme Françoise Férat. En outre, l’éducation nationale ne valide ni les personnes qui se retrouvent face aux élèves ni les projets. N’est-ce pas un peu risqué ? Si les textes d’application laissent la possibilité de faire intervenir des personnes non qualifiées pour s’occuper de nos enfants, c’est bien parce que les auteurs de ce projet avaient déjà une certaine conscience de ces limites.

Que peut-on alors offrir aux enfants ? Malheureusement, des activités périscolaires au rabais ou, tout simplement, des heures de garderie. Il est aisé de trouver des exemples de réussites dans les collectivités comptant de nombreuses associations, nombre d’intervenants, avec notamment des ateliers photo, de musique, de théâtre, etc. Dans mon groupe scolaire, ces activités existaient déjà, car elles étaient pratiquées par nos enseignants pendant les heures de classe. Aujourd’hui, faute de temps dans l’agenda de l’enfant, il n’est plus possible de les organiser. Quel gâchis !

Que proposez-vous à nos communes n’ayant pas les mêmes possibilités financières ? Je vous rappelle, après Catherine Troendlé, que 70 % de ces dépenses sont financées par les collectivités territoriales. Malgré la participation financière de l’État, certaines de nos collectivités sont dans l’obligation de faire participer les familles, lesquelles sont contraintes de payer afin que leur enfant puisse être gardé au nom des rythmes scolaires. J’utilise le terme « gardé » très justement, puisque, dans ma commune, les NAP ont été regroupées sur une seule après-midi.

La réforme était financée, nous disait-on. J’apprécierais dès lors que l’on m’explique pourquoi, depuis deux ans, le Gouvernement vient ponctionner le budget de l’enseignement agricole, par voie d’amendement, pendant le débat sur le projet de loi de finances, pour financer les rythmes scolaires.

Mme Françoise Férat. On a prélevé deux fois 2,5 millions d’euros, excusez du peu, sur un budget qui ne représente que 2 % de celui de l’éducation nationale. L’impact de cette ponction est considérable dans le fonctionnement de cet enseignement.

Mme Françoise Férat. Lorsque je sollicite vos services, madame la ministre, pour comprendre cette manœuvre consistant à déshabiller Pierre pour habiller Paul, on me répond qu’il s’agit « d’une pratique parfaitement normale au nom de l’effort commun que chacun doit faire en ces temps budgétaires difficiles ».

Mme Catherine Troendlé. Eh bien bravo !

Mme Françoise Férat. Rappelons, s’il en était encore besoin, que les études de l’OCDE prouvent que notre budget consacré à l’éducation est suffisant pour être efficace, mais que son utilisation nous mène à l’échec !

Toutes les études internationales le démontrent, notre système éducatif est en panne, une refondation en profondeur était nécessaire. Trois années se sont écoulées depuis la refondation de l’école, où en sommes-nous ? Toujours au même point ! La dernière publication annuelle de l’OCDE, parue en septembre dernier, est aussi accablante que les précédentes et contient le même bilan : beaucoup a été fait sur le plan quantitatif, mais nous sommes à la traîne au niveau qualitatif.

Nous avons tout à portée de mains pour que nos jeunes réussissent, mais nous gâchons aujourd’hui l’avenir de nombre d’entre eux par notre incapacité à réformer efficacement l’école.

Vous évoquerez sans doute, une fois de plus, ce que j’appelle l’héritage, qui nous est régulièrement opposé pour justifier les manques de vos différentes politiques. Nous en avons eu plusieurs fois la démonstration cet après-midi.

Mme Françoise Férat. Or vous n’avez pas fait mieux.

M. Roland Courteau. C’est vous qui le dites !

Mme Françoise Férat. Croyez-moi, je suis sincèrement triste de faire ce constat !

Fragilisons donc l’enseignement agricole, un enseignement d’excellence qui produit l’un des meilleurs taux d’insertion professionnelle, pour financer un système qui, lui-même, fragilise celui des plus petits.

Continuons à faire des « réformettes », qui déstabilisent notre système éducatif. Continuons d’être sourds à tous les professionnels de l’éducation et de la petite enfance, sociologues et autres experts, qui nous proposent des pistes réalistes et signalent celles qu’il aurait été judicieux de ne pas emprunter !

Que répondre à nos concitoyens qui voient leurs enfants en échec scolaire ? Comment accepter que l’école de la République soit si inégalitaire ? Cette réforme démontre, s’il en était besoin, qu’il s’agit d’une école non plus même à deux vitesses, mais à plusieurs vitesses.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Françoise Férat. De quoi avons-nous peur ? Que la situation empire ? C’est déjà le cas ! Nous n’avons rien à perdre. Au contraire, sachons dire que nous nous sommes trompés pour avancer ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, réformer les rythmes scolaires était une nécessité, la semaine de quatre jours ayant fait le consensus contre elle. Il ne fut toutefois pas aisé d’instaurer la semaine des neuf demi-journées, devenue ensuite la semaine des cinq matinées.

Ce ne fut pas facile, en raison du grave non-dit issu de la situation des parents qui travaillent – le temps scolaire joue aussi un rôle de garderie –, mais aussi parce que cette réforme fut décrétée indépendamment du débat parlementaire sur la refondation de l’école, pour n’évoquer que ce contexte, alors qu’elle avait pour ambition de mettre en mouvement tous les acteurs de l’éducation au service de rythmes de l’enfant propices aux apprentissages.

Réformer le temps scolaire nécessite de rechercher ensemble une meilleure articulation des temps de l’enfant. Cette réforme va dans le sens d’une ouverture de l’école sur son territoire et c’est précieux. Elle ne diminue pas le temps scolaire ! Des millions d’enfants jadis livrés aux écrans pratiquent maintenant des activités collectives.

Les municipalités ont, certes, vu croître leurs responsabilités, donc leurs charges, en matière éducative. Le débat, qui n’était pas simple, a pâti en outre du tempo politique des élections municipales, propice à l’exacerbation des positions.

Mme Marie-Christine Blandin. Qu’il était difficile de débattre sereinement ! Nous avons senti la même difficulté pendant l’intervention initiale de Françoise Cartron.

Pourtant, il était pertinent de faire confiance à la faculté de coopération des acteurs locaux pour la recherche de la cohérence éducative et de miser sur leur capacité à tirer parti de la diversité des ressources des territoires.

Sur le terrain, en effet, la qualité de la mise en œuvre de la réforme doit beaucoup à l’implication des acteurs, à la finesse avec laquelle ils ont su tisser un projet cohérent, enrichissant, en s’appuyant sur les ressources locales.

J’aime beaucoup cette expression d’une institutrice rurale, selon laquelle la réforme a exigé de ses acteurs qu’ils soient « humbles et ambitieux ». Humbles, car il ne s’agit pas d’imaginer des ateliers extraordinaires ni d’attendre le grand soir, mais ambitieux, pour savoir utiliser l’aspect précieux et utile de chaque situation.

Des communautés éducatives autour des écoles en milieu rural ont su rechercher ce trésor. Le boulanger, le forgeron avaient des choses à dire à nos enfants !

Mme Françoise Cartron. C’est vrai !

Mme Marie-Christine Blandin. Il faut mobiliser les compétences des parents et les mutualiser. Les chambres des métiers et des artisans pourraient aussi constituer un vivier intéressant d’intervenants. Nombre d’opportunités sont entre les mains des acteurs locaux, des municipalités, des associations ou des parents.

Toutefois, nous sommes ici pour débattre avec la ministre, dont les responsabilités sont au moins aussi importantes.

Je ne vais pas évoquer l’ensemble des préconisations du rapport de Françoise Cartron : j’y souscris dans l’ensemble, notamment en matière de simplification.

Je souhaite évoquer une réalité désolante du travail du Gouvernement : le fonctionnement en silo. Si les ministères avaient su au départ sortir de leurs cloisonnements pour coconstruire cette réforme, si le ministère de l’éducation nationale s’était adjoint le regard et les compétences du ministère de la jeunesse et des sports, une autre impulsion aurait été donnée, avec davantage de cohérence, des bugs auraient été évités et les acteurs de l’éducation populaire n’auraient pas tant peiné à se faire entendre.

Mme Catherine Troendlé. C’est vrai !

Mme Marie-Christine Blandin. Une meilleure coopération entre les enseignants et les animateurs exige également une meilleure connaissance mutuelle.

Mme Françoise Cartron recommande, à juste titre, de prévoir des modules spécifiques interprofessionnels au sein des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, dans le but d’établir très tôt une culture commune. C’est une proposition concrète et pertinente pour nos futurs enseignants. La loi pour la refondation de l’école de la République est pleine de ce genre de propositions pour les ESPE, mais celles-ci peinent pourtant à être mises en œuvre.

Madame la ministre, quelle est la part des ESPE qui intègrent dans leurs équipes pédagogiques des acteurs de l’éducation populaire au côté des universitaires et des acteurs de l’éducation culturelle et artistique ? Pour quelle place dans les cursus de formation ?

Enfin, permettez-moi de revenir sur l’éducation à l’environnement et au développement durable, dans, et autour, des temps scolaires.

Je me réjouis que votre collègue Ségolène Royal ait mobilisé des fonds pour subventionner la mise en place d’un espace de nature dans 10 000 écoles ou collèges, soit un peu moins d’un cinquième des établissements.

Il s’agit d’un pas encourageant, après d’autres, mais il reste urgent de lever les freins réglementaires à des approches concrètes de cette éducation à l’environnement et au développement durable, lesquelles pâtissent trop souvent de tracas administratifs, dans l’organisation des sorties, du zèle sanitaire concernant le jardinage, de la peur irraisonnée des élevages, de la crainte de manipuler quoi que ce soit au cours des ateliers de cuisine, sans parler – quelle horreur ! – de toucher au compost ! (Sourires.)

Comment comptez-vous faciliter ces expériences, madame la ministre, afin de rentabiliser l’investissement de votre collègue ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Michel.

Mme Danielle Michel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a fixé une priorité, l’école maternelle, et un objectif, réduire l’impact des déterminismes et des inégalités sociales ou territoriales sur la réussite scolaire. C’est dans ce cadre que s’inscrit la réforme des rythmes.

Rappelons d’emblée quelques éléments importants au sujet du retour aux cinq matinées de classe. La loi de refondation, qui est un texte-cadre du quinquennat, a été adoptée conforme par les deux chambres du Parlement. Il n’a pas été nécessaire de convoquer une commission mixte paritaire. C’est dire si la priorité accordée à l’école primaire, au plus jeune âge, était une évidence largement partagée. Je crois comprendre qu’elle l’est unanimement aujourd’hui, au moins dans le discours. Tant mieux !

Que n’aura-t-on pas entendu sur cet allégement des rythmes, et ce, malgré des années de concertation qui ont mené à la même conclusion, à savoir la nécessité d’abandonner la semaine de quatre jours ?

Il faut le rappeler, entre la rentrée de 2008 et la rentrée de 2012, nous avions le plus grand nombre d’heures de cours sur le plus petit nombre de journées. Cette extrême concentration du temps d’apprentissage, pour qui était-elle préjudiciable ? Pour les enfants les plus en difficulté, évidemment ! Ce n’est pas un débat, c’est un constat !

Alors que, aujourd’hui plus de 90 % des communes ont signé des projets éducatifs territoriaux, et dans un souci de clarté, il serait bon que l’opposition exprime sa position quant à l’avenir de cette réforme.

François Baroin expliquait au congrès des maires que non, il n’y aurait pas de retour en arrière. Toutefois, Nicolas Sarkozy défendait l’inverse quelques semaines plus tôt… Il parlait, lui, d’abrogation ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Alain Juppé, de son côté, parle de liberté laissée aux maires.

Mme Françoise Cartron. C’est de la polyphonie ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. René-Paul Savary. Manifestement, les primaires vous intéressent !

Mme Danielle Michel. Toutefois, de quelle liberté parle-t-il ? De celle de choisir le nombre de matinées ? Cela n’est pas légalement possible. De celle de choisir d’organiser ou non des activités ? C’est déjà le cas. Bruno le Maire, quant à lui, pourrait « intervenir » sur la réforme. Quel suspense ! De la part de ceux qui prétendent aux plus hautes fonctions, nous en conviendrons tous, un engagement clair est nécessaire.

Dès le début, les débats ont largement tourné autour de la qualité de l’offre, jugée très inégale entre l’urbain et le rural. Ce rapport le dit, et je le vois également sur mon territoire.

Cette dichotomie n’est pas juste. Les différences d’offre périscolaire s’expliquent principalement soit par l’antériorité des politiques éducatives, soit par une volonté politique et l’impulsion collective donnée. Or, je le rappelle, pour un maire, notamment à la tête d’une petite commune, au travers de l’école, c’est toute l’attractivité du territoire qui est en jeu, ainsi que son dynamisme. Je le vois dans mon département, où les projets éducatifs proposés dans la ruralité sont de qualité, tant dans la diversité des contenus que dans la réflexion sur l’organisation choisie.

Bien entendu, cette réforme a été parfois difficile à mettre en œuvre. Qui dit le contraire ? Mais cette réforme n’a pas créé d’inégalités, il est faux de l’affirmer. Elle en a sûrement révélé, et doit contribuer à les réduire.

À ce propos, le chiffre significatif de l’accroissement du nombre de places périscolaires ouvertes depuis trois ans, autrement dit du nombre d’enfants supplémentaire participant à ces activités, a été rappelé tout à l’heure : deux millions. Un chiffre considérable ! Dans mon département, le nombre de places est passé de 10 000 à 30 000. Rendons-nous compte !

Dans le cadre de sa mission, j’ai d’ailleurs souhaité inviter Mme Cartron à se déplacer dans les Landes, à Morcenx et à Rion-des-Landes, à la rencontre des acteurs départementaux. Alors que trois communes landaises sur quatre ont adopté les nouveaux rythmes dès la rentrée 2013, il me semblait légitime de valoriser cet engagement, mais aussi de faire état de certaines interrogations persistantes.

Tout d’abord, le groupe d’appui départemental est, je le crois, un modèle en termes de conduite du projet. Il a permis un accompagnement très concret et très efficace des communes qui le souhaitaient, une mutualisation de la gestion des ressources humaines et un accompagnement des élus en difficulté en proposant des partages de contenus et des formations spécifiques.

Toujours en termes de collectif, la politique à l’échelle intercommunale observée à Rion-des-Landes doit faire école ! En effet, la communauté de communes du Pays tarusate met en place des ateliers pour quinze écoles publiques. Cette mutualisation permet de mobiliser chaque jour quatre-vingt-dix intervenants, dont certains agents intercommunaux. L’objectif était de « lutter contre les inégalités qui pouvaient exister en œuvrant pour que chacune commue, quelle que soit sa taille, bénéficie d’ateliers menés par des professionnels. » Il est atteint !

Alors que l’on parle beaucoup aujourd'hui d’identité, souvent de façon négative, cette réforme a par ailleurs interrogé cette notion de la façon la plus positive qui soit. Le maire de Morcenx, qui a mis en place un projet de grande qualité, le souligne : « Nous avons aussi de nouveaux habitants et des familles venues de la ville qui ne connaissent pas les traditions. En les faisant découvrir et apprécier des enfants, ils les partagent, c’est un vecteur d’inclusion. »

Mme Danielle Michel. Ces exemples d’ateliers divers, qui valorisent le patrimoine territorial et le tissu associatif local, sont nombreux. À nous, parlementaires, de les valoriser également.

Enfin, si la souplesse laissée aux élus a pu dans un premier temps être ressentie comme de l’incertitude quant à la pérennité de la réforme, il se révèle que, aujourd’hui, des engagements à destination des élus ont été pris sur le financement et sur les taux d’encadrement.

Certes, des améliorations peuvent encore être apportées. Aussi je souhaite vous interroger, madame la ministre : alors que les PEDT arrivent à leur terme et que la question de leur renouvellement se pose, sur quel accompagnement pourront compter les élus à l’avenir dans la réflexion autour de nouveaux contenus d’activités et dans l’articulation des temps scolaire et périscolaire ?

Qu’en est-il à ce propos de l’intégration de la « sensibilisation aux rythmes éducatifs » dans les parcours de formation des enseignants et des animateurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Micouleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Brigitte Micouleau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de commencer cette intervention en citant un extrait de la motion sur l’école rurale adoptée par l’Association des maires ruraux de France lors de son dernier congrès national, qui s’est tenu au début du mois : « L’école est davantage qu’un service public. Elle est un marqueur de la République et de la communauté nationale sur l’ensemble du territoire. L’école républicaine impose que tous les élèves, ruraux ou urbains, aient accès à la même qualité de l’école. »

C’est dire si ce débat, qui nous réunit aujourd’hui sur la mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires dans les petites communes, est d’actualité.

Présentée comme une mesure emblématique du Gouvernement, cette réforme a fait couler beaucoup d’encre et donné lieu à de nombreux rapports. Force est de constater que tous ces rapports ne sont pas aussi enthousiastes que le vôtre, madame Cartron, tant s’en faut.

D’une manière générale, à la lecture des travaux et enquêtes de l’Inspection générale de l’éducation nationale, de l’Association des maires de France ou encore de certains syndicats d’enseignants, nous avons plutôt l’impression d’être face à un bilan pour le moins mitigé. Cette impression est largement confirmée par les témoignages d’élus locaux, de parents et d’enseignants que nous rencontrons dans nos territoires.

Je prendrai l’exemple de l’impact financier de cette réforme pour les communes, notamment les plus petites d’entre elles. Selon l’enquête de 2016 de l’AMF réalisée auprès des 23 000 communes disposant d’une école publique, le coût annuel brut par enfant des nouvelles activités périscolaires a été, pour l’année 2015-2016, de 225 euros en moyenne pour les communes de moins de 2 000 habitants ; quelque 73 % de ces 225 euros ont dû être assumés directement et intégralement par ces petites communes, les aides du fonds de soutien de l’État aux communes, voire de la Caisse nationale d’allocations familiales, ne couvrant que 27 % de cette nouvelle charge.

À titre de comparaison, pour toutes les autres communes comptant plus de 2 000 habitants, ce reste à charge était au maximum de 65 %.

À ce propos, il est bon de rappeler, comme vous le faites, d’ailleurs, dans votre rapport, madame Cartron, que la complexité des dossiers de la Caisse nationale d’allocations familiales a dissuadé bon nombre de maires de petites communes de demander l’aide de 54 euros par enfant à laquelle ils pouvaient légitiment prétendre.

Mme Françoise Cartron. Pourtant, cette aide existe…

Mme Brigitte Micouleau. En ce domaine, comme dans d’autres, une simplification des procédures s’impose, madame la ministre.

Au-delà du financement, principale difficulté pointée par les élus locaux, la question du recrutement et de la qualification des animateurs est, elle aussi, prégnante. Élus, enseignants et parents d’élèves, en particulier dans le monde rural, sont unanimes pour reconnaître qu’il existe aujourd’hui un déficit de formation des intervenants.

Néanmoins, comment aurait-il pu en être autrement quand on sait que, faute de temps et de moyens, les petites communes ont souvent eu recours au « système D », certaines étant finalement bien contentes de pouvoir compter sur des bénévoles disponibles en pleine journée pour assurer les activités périscolaires ?

Enfin, comment ne pas évoquer une problématique centrale et, pour le coup, commune aux petites communes et aux grandes, au monde rural comme au monde urbain, celle de la fatigue des enfants ?

Madame la ministre, je sais que vous estimez que ces nouveaux rythmes n’ont pas entraîné plus de fatigue chez nos enfants. Je sais également que le Premier ministre, quelques jours avant que vous ne lui présentiez votre rapport, madame Carton, assurait de son côté que nos écoliers étaient « moins fatigués et plus disponibles pour les enseignements »…

Pourtant, le ressenti des enseignants et des parents vient souvent contredire ces affirmations. Ce week-end encore, une élue en charge des affaires scolaires dans une petite commune du Comminges, en Haute-Garonne, m’a confié qu’une majorité de parents travaillant, et travaillant bien souvent à près d’une heure de transport de la commune, amenaient leurs enfants dès sept heures trente à l’école et les récupéraient entre dix-huit heures et dix-huit heures trente.

Et cette élue de poursuivre, « au moins, avant la réforme, le mercredi, les enfants, qui étaient gardés souvent chez nous par les grands-parents, pouvaient se reposer ». « D’ailleurs, a-t-elle insisté, il n’y a qu’à voir la faible fréquentation des écoles maternelles dans nos campagnes le mercredi pour comprendre que les parents plébiscitent encore l’ancien système. »

Mme Catherine Troendlé. C’est vrai !

Mme Brigitte Micouleau. Vous le voyez, concernant la fatigue de nos enfants – question primordiale, puisque, je le rappelle, l’objectif premier de cette réforme était l’allégement des journées des écoliers –, il y a assurément une véritable réflexion à mener.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Brigitte Micouleau. Cette réflexion devra s’appuyer sur des enquêtes et des études d’ampleur, tenant compte notamment de la spécificité et de la diversité de nos territoires, mais aussi des modes de vie de nos concitoyens, bien différents selon que ceux-ci résident au sein d’une métropole ou au cœur de nos campagnes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.

M. Daniel Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réforme des rythmes scolaires dans les petites communes est un vrai sujet ! Le 24 juin 2015, je posais une question orale sur cette thématique, et j’ai le sentiment que je pourrais la reposer à l’identique, tant je ne suis pas convaincu des résultats positifs que plusieurs orateurs ont mis en exergue.

En préambule et sans dogmatisme, si je ne remets nullement en cause l’intérêt de l’aménagement du temps scolaire, je déplore l’absence de prise en compte des particularismes locaux, des avis des maires, des parents et du monde éducatif qui a présidé à la mise en œuvre de la réforme.

Dès la parution du décret, les préoccupations légitimes des élus se sont très largement manifestées, et la mise en œuvre de la réforme en 2013 fut un échec patent, non pas en raison d’une prétendue mauvaise volonté des édiles, mais parce que ces derniers avaient immédiatement identifié les difficultés pour son application. Il faut bien le reconnaître, les élus ont dû faire face à un véritable isolement sur le terrain, les services déconcentrés de l’État étant tout autant démunis sur les moyens et l’accompagnement de la réforme.

Tous ont entendu : « Faites appel au vivier associatif, aux bénévoles, aux retraités », ce que, avec une certaine trivialité, je traduirai ainsi : « Débrouillez-vous tous seuls !» Sur le terrain, les élus ont vite compris que ce temps non obligatoire a priori le devenait dans les faits, et qu’il leur incomberait d’en organiser l’exécution effective. Ils l’ont fait.

Mme Cartron dans la première phrase de sa question ne dit pas autre chose, lorsqu’elle écrit qu’elle « a pu apprécier sur le terrain l’ingéniosité des élus locaux dans la mise en œuvre des rythmes scolaires ». Effectivement, on peut parler d’ingéniosité, chaque territoire faisant au mieux pour répondre aux besoins des familles, travailler en bonne intelligence avec les équipes pédagogiques et trouver les ressources d’animation. (Mme Élisabeth Doineau applaudit.)

La synthèse du rapport de notre collègue indique que la réforme a transformé les contraintes en opportunités, mais l’objectif final, le seul qui vaille et pour lequel les élus ruraux sont prêts à se mobiliser, n’était-il pas ainsi présenté : « Mieux apprendre et favoriser la réussite scolaire de tous » ?

Pourquoi la réforme des rythmes scolaires fait-elle écho à la seule réforme des temps périscolaires ? Je vous pose la question, madame la ministre, car ce glissement sémantique semble indiquer implicitement que le dispositif mis en place pour améliorer les performances du système éducatif n’aurait pas atteint les objectifs qui lui ont été fixés.

L’importance de l’école primaire dans l’apprentissage des savoirs fondamentaux n’est plus à démontrer. N’aurait-il pas fallu se concentrer en priorité sur ces derniers, le temps périscolaire n’étant qu’un outil d’accompagnement en périphérie précisément du temps scolaire, sachant que lire, écrire et compter doivent être les priorités ?

Plutôt que de renforcer ce socle fondamental dans l’organisation du temps scolaire, vous avez fait le choix de transformer les écoles en centres de loisirs plusieurs heures par semaine. Si les choses continuent ainsi, le temps de la distraction prendra le pas sur celui de l’instruction.

M. Daniel Laurent. Le Gouvernement avançait qu’avec la semaine de quatre jours, l’extrême concentration du temps scolaire était inadaptée et préjudiciable aux apprentissages. Les difficultés scolaires sont-elles réglées ? Les élèves apprennent-ils mieux qu’avant ?

La réforme devait conduire à alléger la journée de classe et à programmer des séquences d’enseignement aux moments où la faculté de concentration des élèves est la plus grande. Or, pour ce faire, les enseignants n’ont pas attendu la réforme. En revanche, elle n’a pas allégé celle des porteurs de projets, qui travaillent sans compter.

Je partage le constat du rapport sur le recalibrage du nombre d’ateliers proposés, revu à la baisse, non seulement pour tenir compte de la fatigue des enfants, mais également en raison des difficultés de recrutement, de l’épuisement du vivier associatif bénévole et du renchérissement des prestations, qui sont parfois prohibitives.

Madame la ministre, vous vous réjouissez que, depuis la rentrée de 2015, près de 92 % des communes disposant d’une école soient couvertes par un projet éducatif territorial, un PEDT, préalable obligatoire au versement du fonds de soutien de l’État aux communes. Il y a sans aucun doute un lien de cause à effet.

L’élaboration des PEDT s’est par ailleurs souvent appuyée sur les projets éducatifs locaux existants, sans nécessiter pour autant de transfert de compétences scolaires ou périscolaires – transfert de compétences qui ne fait pas l’unanimité chez les élus ruraux, particulièrement attachés à leurs écoles.

Madame la ministre, la politique gouvernementale en matière d’organisation scolaire en milieu rural inquiète les élus, qui ont le sentiment que les réformes ne sont pensées qu’à l’aune des seuls objectifs du ministère de l’éducation nationale, sans tenir compte des coûts supplémentaires que les communes doivent supporter dans un cadre de baisse drastique des dotations, et de l’obligation d’assurer la mise en œuvre des contraintes normatives et de sécurité. Cette amertume est d’autant plus mal vécue que les élus s’investissent pour appliquer les réformes qu’on leur a imposées.

En conclusion, madame la ministre, il faut tendre vers plus de simplification, d’assouplissement, de liberté et d’adaptation au plus près des territoires. Pour l’heure, vous êtes la ministre de l’éducation nationale, et nous attendons votre réponse : quel bilan peut-on faire aujourd’hui de cette réforme ? Les objectifs sont-ils atteints ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de saluer chaleureusement la qualité du travail que Mme Françoise Cartron a conduit pendant plusieurs mois, en allant au-devant des élus des petites communes pour comprendre leurs difficultés et leurs attentes, en échangeant avec les enseignants et les animateurs, en écoutant les parents et les enfants eux-mêmes sur cette question des nouveaux rythmes scolaires.

Le rapport que vous avez remis est d’une grande richesse, et il a été salué comme tel par nombre d’observateurs. Il illustre, par-delà la diversité des situations rencontrées sur le terrain, un état de fait que l’on ne peut plus guère contester : cette réforme, qui entre dans sa troisième année de mise en œuvre dans toutes les communes de notre pays, a désormais trouvé son rythme.

Après deux années certes intenses dans le travail d’organisation, il nous faut aujourd'hui en effet concentrer nos efforts pour repérer mieux et plus vite les bonnes pratiques et les rendre accessibles à tous.

Entendons-nous bien. Je ne viens pas devant la Haute Assemblée dans une posture provocatrice, qui nierait qu’il y ait encore ici ou là quelques difficultés. Ces difficultés, je les connais, je les ai entendues.

J’ai à de nombreuses reprises pris le temps d’aller sur le terrain, à la rencontre des élus, pour que nous réfléchissions ensemble aux solutions et pour les voir se dessiner. J’ai pris le temps d’écouter les familles, les enseignants, les animateurs, les associations. Chacun joue un rôle essentiel dans cette réforme, dont je tiens à rappeler qu’elle a été voulue et pensée pour les enfants, pour améliorer leurs apprentissages, pour permettre aussi à beaucoup plus d’enfants d’avoir des activités collectives épanouissantes.

M. Jean-François Husson. Une réforme imposée !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. J’ai agi, depuis plus de deux ans maintenant, avec l’appui de mes collègues chargés des familles et de la jeunesse, pour accompagner cette réforme, ainsi que pour en stabiliser le cadre et le financement.

J’ai également agi pour apporter des réponses concrètes et pour favoriser le dialogue entre des acteurs qui trop souvent œuvraient chacun de leur côté, alors qu’ils ont en partage l’immense responsabilité de participer à l’éducation des enfants, avant, pendant et après la classe.

Vous l’avez dit, madame la sénatrice, cette réforme a été difficile à mettre en œuvre, parce qu’elle a opéré des changements profonds dans notre organisation, parce qu’elle a mobilisé les énergies et les financements des communes, parce qu’elle a demandé un changement de pratiques des enseignants, des animateurs, parce qu’elle a conduit aussi les familles à adapter leurs comportements.

Oui, clairement, cette réforme a demandé beaucoup.

Oui, clairement, cette réforme a provoqué de nombreux débats dans toutes les communes de France. On peut le déplorer, mais on peut aussi relever, et vous n’êtes pas la seule à le faire, madame la sénatrice Françoise Cartron, que cette réforme a redonné à l’école une place essentielle dans les politiques locales,…

M. Jean-François Husson. Ce n’est pas lié à la réforme !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. … tout comme l’école tient une place essentielle dans la politique de la Nation.

J’ai entendu parfois des élus qui me disaient : « Cette réforme, nous ne l’avons pas voulue, les maires ne l’ont pas demandée ». À vrai dire, ce refrain, je ne l’entends plus, mesdames, messieurs les sénateurs. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Laurent. Sortez un peu !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je ne l’entends plus, car les maires, que je sais si attachés à leur école, notamment dans les petites communes rurales, ont beaucoup travaillé pour trouver des solutions concrètes, et ils ont souvent fait de cette réforme un levier pour donner une nouvelle ampleur à la politique éducative locale, et même pour l’attractivité de leur commune.

Au moment d’engager ce débat avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais rappeler que la réforme des rythmes scolaires est d’abord une réforme pédagogique inscrite au cœur de la priorité donnée par le Gouvernement à l’école primaire.

J’admets que cette réforme a été difficile à mettre en œuvre par les élus. Mais personne ne peut contester qu’elle devait être faite, pour réparer les gravissimes erreurs qui ont été commises par le passé et qui pèsent encore aujourd’hui sur la réussite de nos enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Laurent. C’est reparti !

Mme Catherine Troendlé. Quelles erreurs ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je le répéterai autant que de besoin, cette réforme, nous l’avons engagée dès le début du quinquennat, parce que, en 2008, l’instauration de la semaine de quatre jours avait placé notre pays dans une situation ubuesque : les écoliers français avaient le nombre de jours d’école le plus faible de tous les pays de l’OCDE, soit 144 jours, contre 187 jours en moyenne pour les États appartenant à cette organisation.

Cette réforme des rythmes scolaires, nous l’avons faite parce que les écoliers français subissaient des journées plus longues et plus chargées que celles de la plupart des pays qui nous entourent. Les scientifiques spécialistes des rythmes de l’enfant l’avaient dit déjà à M. Chatel : l’extrême concentration du temps imposée par la réforme de 2008 était inadaptée et préjudiciable aux apprentissages ; elle était source de fatigue et de difficultés scolaires.

Que ne vous a-t-on entendu alors nous parler de la fatigue des enfants ! Cela eût été justifié. Ce constat très largement partagé, je voudrais simplement que nous ne l’oubliions pas, par honnêteté.

M. René-Paul Savary. Vous êtes malhonnête ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Pourtant, aujourd’hui, certains voudraient revenir en arrière.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette réforme, nous l’avons installée pour améliorer les apprentissages des élèves, en répartissant mieux les heures de classe sur la semaine et en permettant aux enseignants de programmer les séquences d’enseignement des savoirs fondamentaux – lire, écrire, compter –, à des moments, le matin, où la faculté de concentration des élèves est la plus grande.

Cette réforme, nous l’avons pensée comme un élément solidaire de la priorité au premier degré engagée par la refondation de l’école. Faut-il en rappeler certaines de ses dimensions qui n’ont pas pu vous échapper ? On peut ainsi évoquer la création massive d’emplois – quelque 19 328 créations d’emplois d’enseignants pour le premier degré depuis le début de ce quinquennat.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Nous avons clarifié, défini et inscrit dans la loi le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, rénové les programmes de maternelle et de l’école élémentaire, multiplié le nombre d’enfants de moins de trois ans scolarisés, déployé dans plus d’un millier d’écoles le dispositif « plus de maîtres que de classes ».

C’est dans ce cadre cohérent de la priorité redonnée à l’école primaire que la réforme des rythmes scolaires prend tout son sens et conduit, je vous le confirme, à une nouvelle organisation des apprentissages, mieux adaptée aux besoins de chaque élève.

Évidemment, j’ai demandé au Comité national de suivi de la réforme, installé en 2013, ainsi qu’à l’Inspection générale de l’éducation nationale, de nous accompagner pour que nous puissions tirer les meilleurs bénéfices possible de cette cinquième matinée retrouvée. Monsieur Abate, le comité national de suivi, que préside la rectrice de Lyon, et qui réunit tous les acteurs de la réforme, me remet chaque année son rapport à l’automne. Il s’est encore réuni il y a une semaine à peine et devrait très prochainement émettre ses recommandations au terme de son travail sur l’année scolaire 2015–2016.

Le rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale consacré aux bénéfices pédagogiques de la réforme, que j’ai rendu public en juin dernier, a pour sa part mis en lumière qu’il était trop tôt pour mesurer les effets des nouveaux rythmes, tout en établissant des recommandations et mises en garde précises.

Je puis vous assurer que j’ai pris en compte ces mises en garde et recommandations pour renforcer l’accompagnement pédagogique des enseignants.

Avec la mise en place des nouveaux programmes de maternelle l’an passé, de l’école élémentaire cette année, nous avons produit de très nombreuses ressources pédagogiques concrètes pour accompagner les enseignants dans l’utilisation de la cinquième matinée, laquelle est très appréciée par ces derniers – les retours que nous avons vont tous dans le même sens –, précisément pour les possibilités qu’elle offre sur le plan pédagogique.

Nous avons bâti des parcours de formation permettant de soutenir la réflexion des enseignants sur la construction de nouveaux emplois du temps propices aux apprentissages et la façon de mieux prendre en compte les besoins des enfants.

Aujourd’hui même se sont conclus des regroupements interacadémiques consacrés aux cycles 2 et 3, au cours desquels la question des rythmes et du temps d’apprentissage a été largement abordée.

Enfin, sachez que nous expérimentons avec les enseignants de plusieurs académies des parcours de formation en ligne consacrés aux emplois du temps et aux rythmes d’apprentissage.

Cet accompagnement nous donne aussi l’occasion de renforcer la complémentarité entre les acteurs : j’ai ainsi conclu en 2015 un partenariat avec le Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, pour favoriser des formations croisées entre enseignants et animateurs périscolaires ; je rappelle aussi qu’il existe une convention entre les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, et le Collectif des associations partenaires de la République depuis 2014, laquelle permet à ce dernier de venir alimenter le vivier de formateurs et d’intervenir en appui pour la formation continue des enseignants, ce qui signifie, en bref, davantage de modules de formation, davantage de possibilités pour les enseignants de connaître le champ du périscolaire et davantage de formation à la complémentarité des acteurs au sein des ESPE.

M. Jean-François Husson. Excellent ! Que demande le peuple !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je sais que c’est notamment une préoccupation de Mme Blandin, et c’est pourquoi je voulais revenir sur cette question.

Nous rendrons aussi disponible dès la fin du mois de novembre, pour les directeurs d’école, un module en autoformation consacré aux complémentarités entre projets d’école et activités périscolaires.

Voilà l’esprit de notre démarche : accompagner les enseignants, favoriser les synergies pour que la complémentarité, qui est au cœur de l’esprit des PEDT – projets éducatifs territoriaux –, vive réellement sur le terrain.

Madame Cartron, vous avez constaté que cela fonctionnait à Liomer, dans la Somme ; je l’ai vu moi aussi à Arras, à Feyzin, dans le réseau rural d’éducation constitué par des petites communes de l’Allier, ou encore à Vernoux-en-Vivarais, en Ardèche.

Et nous devons faire en sorte de le voir partout ailleurs,…

M. Jean-François Husson. Ce serait bien ! On n’y est pas !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. … car cette complémentarité sur le terrain est vraiment dans l’intérêt des enfants.

Ce travail d’accompagnement est bien sûr l’occasion de tirer parti des meilleures pratiques de terrain, car les pratiques de terrain évoluent très vite.

Les communes peuvent d’ailleurs s’entraider, comme le préconise l’Association des maires ruraux de France, très attachée à ces échanges entre grandes et petites communes.

Oui, il y a de nombreuses ressources que nous devons mieux faire connaître, celles des associations en particulier. Nous avons engagé ce travail d’inventaire sur quelques thématiques, comme l’accessibilité des activités périscolaires aux enfants en situation de handicap, ou encore les activités physiques et sportives. Nous allons encore amplifier cette action au cours de cette année.

Je voudrais illustrer mon propos en partant de l’exemple de la maternelle, sur lequel plusieurs d’entre vous ont insisté.

Je le dis d’emblée, je ne crois pas dans un retour en arrière qui isolerait la maternelle de l’école élémentaire. Ce n’est pas une question idéologique, c’est une question d’efficacité :…

M. Jean-François Husson. Vous persistez dans l’erreur !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. … les enseignants nous le disent, la cinquième matinée a permis, avec les nouveaux programmes, de mettre en place une nouvelle et réelle continuité des apprentissages : ces cinq matinées d’enseignement sont consacrées à des apprentissages exigeants en termes d’attention et de concentration.

Ce travail scolaire doit évidemment aller de pair avec la prise en compte des besoins et des rythmes des enfants de maternelle pour éviter la fatigue. C’est pourquoi j’ai donné très tôt, à peine arrivée à la tête de ce ministère, des instructions pour faire respecter une alternance équilibrée entre les temps d’activité et les temps calmes, et adapter les activités aux besoins des enfants les plus jeunes.

Comme vous le soulignez, madame Cartron, les conditions d’organisation de la sieste sont absolument essentielles. Ainsi, pour les enfants qui déjeunent à l’école, j’ai recommandé de les coucher dès la fin du repas, sans attendre la fin de la pause méridienne, de manière à préserver les temps d’apprentissage.

Accompagner cette réforme, cela veut dire aussi se doter d’indicateurs pour l’évaluation des effets de la réforme – nous serons tous d’accord sur ce point, me semble-t-il.

C’est pourquoi j’ai mis en place des outils d’évaluation scientifique : plusieurs enquêtes sont en cours de réalisation et portent, en relation avec les organisations de temps scolaires les plus significatives, aussi bien sur la progression des apprentissages des élèves, la mesure de l’absentéisme potentiellement engendré par certaines organisations et les rythmes chronobiologiques et chronopsychologiques des enfants que sur les pratiques enseignantes et la perception des familles. Ces enquêtes couvrent un champ très vaste, aucun sujet ne nous échappera. Les résultats seront publiés en 2017 et nous reproduirons ce type d’études à échéance régulière.

Ces résultats, nous les partagerons avec les élus, bien entendu, pour leur donner des outils de nature à les aider dans leurs choix d’organisation, qui peuvent évoluer, et surtout pour renforcer la cohérence et la complémentarité des temps de l’enfant.

Ces études scientifiques me paraissent essentielles si l’on veut sortir des débats sans fin, comme celui qui porte sur la fatigue, où l’on a vite fait d’accuser l’école, sans se soucier des heures de coucher des enfants, des usages des médias et de leur influence sur l’attention des élèves, sujet tout aussi essentiel, me semble-t-il.

M. Jean-François Husson. On ne dit pas le contraire !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. J’ai lancé des études scientifiques sur le sujet de la fatigue dans deux académies, celle d’Orléans-Tours et celle de Guadeloupe. Mais d’ores et déjà, l’étude scientifique commandée par le maire d’Arras montre clairement que les nouveaux rythmes n’ont pas créé de troubles du sommeil. Mieux encore, elle donne à voir que l’aménagement du temps scolaire et périscolaire a des effets positifs sur la vigilance en classe. Ce progrès mérite d’être souligné, d’autant qu’il semble encore plus fort pour les enfants scolarisés en réseaux d’éducation prioritaire, les REP, qui bénéficient encore plus de la participation aux ateliers.

Enfin, croyez-le, nous ne sommes pas les seuls à observer les effets de cette réforme. En effet, l’équipe du centre de pédagogie et de sociologie de l’université de Shigakukan mène actuellement, à la demande du gouvernement japonais, une mission d’analyse des rythmes scolaires en France. Elle a eu l’occasion de prendre connaissance du rapport de Mme Cartron et des activités organisées par la commune de Liomer, et nous nous en réjouissons.

Cette réforme, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous disais qu’elle était bien installée et bien suivie, mais je veux aussi rappeler qu’elle produit déjà des résultats positifs concrets.

Vous avez rappelé, dans votre propos liminaire, madame la sénatrice, des chiffres qui témoignent de l’ancrage de ces nouveaux rythmes sur l’ensemble du territoire : oui, 93 % des communes ont mis en place des activités périscolaires inscrites dans le cadre d’un PEDT. L’objectif de généralisation que j’avais soutenu devant vous à l’automne 2014 a donc été tenu, même dans les plus petites communes.

De plus en plus, les communes font le choix de créer des centres d’accueil de loisirs collectifs, ce qui est la garantie d’un meilleur niveau d’accueil des enfants. Et, cela a été rappelé, le nombre de places offertes aux enfants dans ces centres d’accueil de loisirs a augmenté de 2 millions en seulement deux ans, rien de moins !

Aujourd’hui, quelle que soit la source, le sentiment est partagé : les activités périscolaires ont trouvé leur public et satisfont les enfants.

Ainsi, selon les statistiques rapportées par l’Association des maires de France lors de son dernier congrès, 80 % des communes soutiennent que les nouvelles activités périscolaires contribuent à l’enrichissement culturel, à l’épanouissement et au sentiment de vivre ensemble chez les enfants ; 97 % des élus estiment avoir mis en place des ateliers dans lesquels les enfants sont heureux.

Autre enjeu, évidemment essentiel et qui a été évoqué par plusieurs d’entre vous, celui de l’égalité. Je veux tordre ici le cou à cette idée selon laquelle les nouveaux rythmes scolaires auraient accru les inégalités. Soyons sérieux !

Mme Françoise Férat. En effet, soyons sérieux !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. On estimait, avant la réforme, à 20 % la fréquentation des activités périscolaires – je pouvais le constater en tant qu’élue locale (Mme Françoise Férat se montre dubitative.) – ; aujourd’hui, selon les propres estimations de l’AMF, ce sont près de 70 % des enfants de l’école élémentaire qui participent aux activités périscolaires. Comment peut-on parler d’un creusement des inégalités ?

Évidemment, toutes les communes n’ont pas choisi la gratuité.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Oui, il s’agit de choix locaux, de choix politiques et financiers faits par les maires, mais je note que deux tiers des communes ont fait le choix de la gratuité, même si d’autres ont préféré adopter une tarification sociale.

Voilà l’esprit de la réforme : ouvrir l’accès aux activités périscolaires à tous les enfants, parce que cela est bon pour leur développement, bon aussi pour le vivre ensemble, si précieux dans notre société. (M. Jean-François Husson s’exclame.) J’ai vraiment été particulièrement sensible aux propos qui ont été tenus sur l’identité française, considérée positivement grâce aux activités périscolaires relatives au patrimoine des communes.

Oui, ces nouveaux rythmes scolaires servent à corriger les inégalités, et ce qui fait clairement la différence, ce n’est pas la taille de la commune, mais la taille de la volonté politique, comme le montre clairement votre rapport ! (Sourires.)

L’étude des effets des rythmes dans la commune d’Arras, qui s’est beaucoup engagée, montre à quel point on note une amélioration du climat dans les établissements scolaires. Les enseignants, notamment ceux qui exercent en REP, ont témoigné quant à eux de l’amélioration chez les élèves de l’autonomie, de la prise de responsabilité et du sentiment d’estime de soi. Ce ne sont pas de petits sujets ! (M. Jean-François Husson s’exclame.)

Ces progrès que j’évoquais, je le reconnais, nous les devons beaucoup à l’implication des élus locaux. Pour consolider ces progrès, j’ai fait depuis deux ans de l’accompagnement de l’État aux communes une priorité.

Accompagner les élus locaux, cela veut dire d’abord leur assurer un cadre financier et juridique stable.

Je n’ai jamais contesté que cette réforme ait un coût, et c’est précisément pour cela que j’ai fait de la pérennisation de l’accompagnement financier de l’État une priorité. C’est le premier dossier sur lequel je me suis battu en arrivant à la tête de ce ministère, et en obtenant gain de cause.

De fait, depuis 2015, l’accompagnement financier de l’État est pérennisé ; il est annuel, régulier et n’a pas de raison d’être remis en cause, sauf bien sûr si une autre politique devait être conduite à l’avenir. (M. Jean-François Husson s’exclame de nouveau.)

Il a bénéficié à plus de 20 000 communes en 2015–2016, un tiers d’entre elles ayant touché l’aide majorée de 90 euros par élève. Au total, depuis 2013, ce sont près de 830 millions d’euros qui ont été versés à ce titre par l’État.

À ces aides s’ajoutent bien sûr celles de la branche Famille, qui a fait, elle aussi, un effort considérable : depuis 2013, elle a consacré près de 1,2 milliard d’euros, à travers les prestations de service ordinaire, l’aide à la réforme des rythmes éducatifs et les financements au titre des contrats « enfance jeunesse ». En 2016, leurs engagements représenteront près de 539 millions d’euros.

J’ai entendu les demandes de simplification qui ont été exprimées localement. C’est un axe de travail, et soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que les moyens ont été prévus sur la durée de la convention d’objectifs et de gestion de la CNAF pour accompagner la montée en charge des accueils de loisirs déclarés et pouvoir faire face à un taux de fréquentation des activités périscolaires de 100 %.

Plusieurs d’entre vous ont rappelé la demande de l’AMF d’une compensation intégrale des dépenses. Mais la Haute Assemblée le sait bien, ce n’est pas la règle lorsqu’il s’agit d’un service public facultatif mis en place par les communes et les intercommunalités.

Mme Catherine Troendlé. C’est un transfert de charge !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Françoise Cartron dit aussi très bien dans son rapport que les situations sont hétérogènes ; de nombreux élus ont su mettre en place des activités de qualité à moindre coût ; d’autres communes se sont réorganisées, en faisant notamment appel à l’intercommunalité pour mutualiser les dépenses. (M. Jean-François Husson s’exclame.) Il ne faut pas avoir peur de dire que ces organisations intercommunales sont un levier d’efficacité qui ne met nullement en cause l’identité de chaque commune.

Nous ne sommes pas restés sourds non plus aux demandes des élus de leur offrir un cadre souple et adaptable aux situations locales. J’ai ainsi répondu favorablement à toutes les demandes des communes qui n’avaient pas réussi à établir leur PEDT en 2015. Nous attendions ces demandes de la part de petites communes, mais nous avons constaté qu’elles émanaient également de grandes villes qui avaient a priori les moyens d’agir, comme Toulouse. Mais nous les avons aidées !

J’ai décidé l’an dernier, pour les communes les plus fragiles, de neutraliser les effets d’une sortie de l’inscription sur la liste des communes classées en DSU-cible ou en DSR-cible. Comme le dit souvent l’un de mes conseillers, bouchée avalée n’a plus de saveur, mais n’oublions pas que ce sont tout de même des décisions fortes et importantes ! Ces communes peuvent ainsi continuer à bénéficier de l’aide majorée de 90 euros pendant toute la durée de leur PEDT.

Enfin, cet été, j’ai, avec mon collègue ministre de la jeunesse, pérennisé les souplesses permises en matière d’organisation des temps scolaires et de taux d’encadrement des activités, comme je m’y étais engagé auprès des associations d’élus.

Voilà des actes concrets qui disent simplement notre confiance dans le travail des élus et notre volonté de collaborer avec eux de la manière la plus fructueuse possible.

Accompagner les élus locaux, cela veut dire aussi leur apporter le soutien et l’expertise qu’ils sollicitent de l’État. En effet, madame Danielle Michel, nous devons apporter un soutien plus présent aux élus, en nous inspirant de ce qui se fait de bien. Vous avez cité le département des Landes ; je pense aussi au travail réalisé dans la Manche, en Corse-du-Sud (Mme Françoise Cartron opine.) ou encore en Meurthe-et-Moselle.

Avec mon collègue Patrick Kanner, nous avons donné des instructions à nos services pour passer à une deuxième étape de la mobilisation de groupes d’appui départementaux – GAD – pour qu’ils accompagnent les collectivités qui le souhaitent dans l’évaluation de leur PEDT et la préparation de leur renouvellement.

Ce temps de bilan est important et nous devons aider les élus, en leur apportant nos conseils et notre expertise.

Nous avons aussi demandé aux GAD de porter une attention renforcée aux actions visant à favoriser la mutualisation de ressources dans les territoires et la mise en place de formations communes aux personnels d’animation et enseignants, particulièrement utiles pour favoriser une approche transversale de l’organisation des temps scolaires et périscolaires.

Cette instruction a été discutée avec l’Association des maires de France et sera publiée ce jeudi au Bulletin officiel de mon ministère.

Je veux enfin amplifier la production de ressources pour enrichir encore l’offre d’activités périscolaires et leur connaissance. Nous publierons cette année deux nouveaux guides aux élus portant sur les activités artistiques et culturelles et sur l’association des parents à l’élaboration, au suivi et à l’évaluation des PEDT.

Tous les acteurs ont été associés à l’élaboration de ces guides et c’est, je crois, une pratique qui peut inspirer bien d’autres politiques publiques partagées.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, les nouveaux rythmes scolaires sont désormais installés et nous devons, dans la concertation et avec beaucoup de pragmatisme, accompagner ceux qui en sont les acteurs.

Nous n’avons pas besoin de polémique inutile. Nous avons besoin de prolonger la dynamique qui est à l’œuvre sur le terrain et qui a changé la vie de l’école, pour nous permettre de donner encore plus de chances de réussite à tous les enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde et M. Michel Le Scouarnec applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec la question orale avec débat sur la mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires dans les petites communes.

13

Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, il va être procédé à la nomination des membres de cette commission mixte paritaire.

La liste des candidats a été publiée ; je n’ai reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 12 du règlement.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire :

Titulaires : M. Jean-Claude Lenoir, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Gatel, MM. Philippe Dallier, Jacques-Bernard Magner, Yves Rome et Christian Favier ;

Suppléants : MM. Jean-Claude Carle, Daniel Dubois, Mmes Françoise Laborde, Sophie Primas, MM. Alain Richard, Jean-Pierre Sueur et Michel Vaspart.

Cette nomination prendra effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de cette commission mixte paritaire et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt et une heures cinq, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

14

Orientation scolaire

Débat sur les conclusions d’une mission d’information de la commission de la culture

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission d’information de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur l’orientation scolaire, organisé à la demande de cette même commission. (rapport d’information n° 737, 2015–2016).

Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 140 000 jeunes quittent chaque année le système de formation initiale sans qualification suffisante et le nombre de ceux qui sont en dehors de tout dispositif de formation atteint 620 000. Ce terrible constat, dressé en novembre 2014, doit nous interpeller tous. Face à ces générations sacrifiées et à des résultats qui ne cessent de s’aggraver depuis une trentaine d’années, nous ne pouvons pas rester les bras croisés. Il y va de l’avenir de nos jeunes, d’abord, mais aussi de notre pays.

D’aucuns mettent en avant des causes économiques, sociales et culturelles du processus d’orientation, qui conduisent à l’échec scolaire. Soit, mais cela ne résout rien. C’est pourquoi j’ai souhaité que notre commission se penche de manière plus approfondie et plus précise, sans tabou, sur la question de l’orientation scolaire, qui me semble être une préoccupation partagée.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le collège : le collège unique n’est-il pas devenu le collège uniforme, le collège qui, du coup, oriente par l’échec ou par défaut ?

Par ailleurs, des dispositifs existent pour tenter de faire revenir les jeunes dans le système scolaire, à l’instar du droit au retour en formation, mais sont-ils véritablement à la hauteur de l’enjeu ? C’est une vraie question.

Tout le monde n’a pas la chance de choisir son métier, comme en témoigne l’écrivain Jean Teulé : orienté en fin de troisième en mécanique automobile, il a vu son destin basculer grâce à un professeur de dessin, qui lui a donné des cours du soir pour lui permettre d’intégrer une école d’art. Mais pour une belle histoire comme celle-ci, combien d’orientations ratées, de jeunes destinés prématurément et irrémédiablement à un métier qu’ils n’ont pas choisi, à l’acquisition d’une compétence qu’ils ne souhaitent ou ne peuvent pas maîtriser, et d’autres dont on n’a pas su détecter les talents et le potentiel propres pour leur offrir leur parcours de réussite ? Ce constat, hélas, est valable à tous les niveaux de notre système éducatif.

Dans ces conditions, mes chers collègues, les conclusions de la mission d’information sur l’orientation scolaire, dont j’ai souhaité qu’elles soient débattues en séance publique, revêtent une importance particulière. Je remercie le président de la mission d’information d’avoir veillé à la qualité des travaux. Je remercie également M. le rapporteur, qui vous présentera dans quelques instants le fruit de cette réflexion collective sur un enjeu d’importance, un enjeu d’avenir qui, je crois, nous concerne tous. Puisse le travail de la mission d’information inspirer le gouvernement actuel et les gouvernements à venir ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le président de la mission d’information.

M. Jacques-Bernard Magner, président de la mission d’information sur l’orientation scolaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission d’information sur l’orientation scolaire, que j’ai eu l’honneur de présider et dont Guy-Dominique Kennel a été l’excellent rapporteur, a travaillé dans un climat tout aussi excellent et dans de bonnes conditions pendant plusieurs mois.

M. Jacques Grosperrin. C’est vrai !

M. Jacques-Bernard Magner, président de la mission d’information. Au cours de nombreuses auditions et de plusieurs tables rondes, nous avons rencontré les acteurs du monde de la formation et de l’orientation. Nos déplacements dans l’académie de Strasbourg, chez notre collègue Guy-Dominique Kennel, et dans celle de Clermont-Ferrand, dans mon département, nous ont permis d’entendre les points de vue les plus divers et de nourrir notre réflexion des expériences menées au plan local.

De ces travaux fructueux, je laisse à notre rapporteur le soin de synthétiser les conclusions. Pour ma part, je parlerai plus longuement tout à l’heure, au nom du groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la mission d’information sur l’orientation scolaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rendre compte d’une année de travail en six minutes n’est pas une tâche aisée, mais je vais m’y efforcer.

Le 29 juin dernier, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, présidée par notre collègue Catherine Morin-Desailly, a autorisé la publication du rapport de la mission d’information sur l’orientation scolaire, dont notre collègue Jacques-Bernard Magner a assuré la présidence et dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur.

Je me réjouis que nous ayons aussi rapidement l’occasion de débattre en séance publique des conclusions de la mission d’information. Il est vrai que la question de l’orientation est cruciale pour l’avenir de nos enfants.

Nous débattrons aussi, la semaine prochaine, de l’entrée en master, qui est l’un des aspects de la vaste question de l’orientation. L’instauration d’une sélection juste à l’université par l’édiction de prérequis avait d’ailleurs été l’une de mes préconisations. J’avais également plaidé en faveur du développement de l’offre de formation continue des universités en direction des hommes et des femmes en activité, pour permettre à ceux-ci de poursuivre leur diplomation après quelques années d’expérience professionnelle. C’est d’ailleurs, madame la ministre, l’une des réponses que l’on peut apporter aux jeunes qui réclament aujourd’hui un droit à la poursuite d’études. Si ce droit existe, il ne peut pas s’agir uniquement d’un droit à la poursuite d’études immédiate, mais bien d’un droit à la poursuite d’études tout au long de la vie.

Ce soir, je souhaite interroger Mme la ministre et débattre avec les quelques courageux collègues présents dans notre hémicycle des autres propositions phares de notre rapport d’information, qui toutes visent à remédier au phénomène d’orientation par l’échec que, malheureusement, nous constatons encore trop souvent.

Le constat n’est pas nouveau, et plusieurs rapports avant le nôtre l’ont déjà mis en lumière. En voici les principaux éléments.

Loin d’être un continuum, l’orientation agit comme un couperet : le sort des élèves se joue en quelques mois, lors de classes « paliers » – troisième, seconde et, dans une certaine mesure, terminale –, sur le fondement principal, voire exclusif, des notes qu’ils ont obtenues.

Dans un système scolaire strictement hiérarchisé où la voie générale – et, en son sein, la filière S – matérialise la réussite scolaire, l’orientation se fait véritablement par l’échec : sont progressivement écartés ceux qui n’ont pas les résultats pour aller en seconde générale et technologique, puis ceux qui ne peuvent pas aller dans la voie générale.

L’élève est encore trop souvent passif dans ce processus et le travail d’orientation d’un élève de troisième demeure ponctuel et sans vraie cohérence d’ensemble ; bien souvent, il se limite à la distribution de la brochure de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, une séquence d’observation en milieu professionnel de cinq jours, un entretien avec le conseiller d’orientation-psychologue, le COP, et un autre avec le professeur principal.

La répartition des élèves entre les différentes formations selon les capacités d’accueil de celles-ci contredit souvent les décisions d’orientation en voie professionnelle, menant ainsi à des orientations subies très préjudiciables aux jeunes concernés.

La répartition des élèves entre les filières dépend aussi, malheureusement, de leur origine sociale, de leur lieu d’habitation et de leur sexe.

Enfin, la complexité du système scolaire, le foisonnement d’une information de qualité variable et l’opacité des procédures d’affectation font de l’orientation un sujet d’anxiété pour de nombreuses familles et pénalisent particulièrement les plus éloignées de la culture scolaire.

Face à ce constat, notre première proposition consiste à faire de l’insertion professionnelle un objectif central du système éducatif, au même titre que les objectifs de qualification académique.

Sur le plan de l’organisation des acteurs de l’orientation, nous proposons de simplifier un paysage complexe, notamment en transférant le réseau Information Jeunesse et les centres d’information et d’orientation, les CIO, aux régions ou, à tout le moins, en regroupant physiquement les différents acteurs de l’orientation sur des sites uniques.

En ce qui concerne les enseignants, qui sont souvent les premiers interlocuteurs des élèves sur les questions d’orientation, nous proposons d’intégrer la formation au conseil en orientation dans leurs formations initiale et continue, de rendre obligatoire un stage en milieu professionnel pour tout enseignant – je dis bien « tout enseignant » – et de mieux valoriser la fonction de professeur principal.

S’agissant des différentes phases du processus d’orientation de l’élève, nous estimons que la mise en œuvre du parcours Avenir nécessite de prévoir un horaire spécifique, qui donne à ce dispositif une réelle effectivité, de repenser les modalités des séquences d’observation en milieu professionnel en classe de troisième et, surtout, d’introduire enfin un stage au lycée où, étrangement, rien n’est prévu, alors que les lycéens ont acquis une plus grande maturité et commencent à construire un projet professionnel.

Nous avons consacré tout un pan de nos travaux à l’enseignement professionnel et à l’apprentissage : il nous a semblé indispensable d’en valoriser les réussites, car il y a souvent un grand décalage entre le discours, qui glorifie l’égale dignité des voies, et la réalité d’un enseignement professionnel qui reste mal considéré. Les préconisations de notre mission d’information dans le domaine de l’enseignement professionnel étant nombreuses, je ne mentionnerai que ma proposition phare : faire du lycée polyvalent la norme et créer au niveau de chaque bassin de formation un réseau de lycées au sein duquel les changements de parcours seront simplifiés et facilités.

L’instauration, dès la classe de sixième, de rendez-vous réguliers entre l’élève, ses parents et l’équipe éducative nous a paru de nature à favoriser une orientation choisie, pensée et acceptée. D’une façon générale, mieux associer les parents d’élèves à l’éducation, à l’orientation et à la découverte des métiers nous semble une évidence.

Je ne reviendrai pas, madame la ministre, sur notre demande d’une transparence accrue des barèmes et des critères des procédures Affelnet et APB. Beaucoup d’encre a déjà coulé à ce sujet, et tout récemment. Mais permettez-moi de m’insurger une nouvelle fois contre la sélection par tirage au sort que nous imposons à nos futurs étudiants qui postulent dans des filières universitaires en tension : c’est une méthode indigne d’une grande méritocratie comme la France !

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre rapport d’information, particulièrement riche, comprend des recommandations – j’insiste sur ce mot – réalistes et de bon sens. Je remercie l’ensemble des membres de la mission d’information pour le très bon climat dans lequel nous avons travaillé et pour la participation de chacun à notre réflexion commune. Je forme le vœu, madame la ministre, que nos préconisations ne restent pas lettre morte et qu’elles contribuent prochainement à l’amélioration de l’avenir de nos enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail particulièrement sérieux et, je crois, sincèrement engagé de Guy-Dominique Kennel ; de toute évidence, notre collègue enrichit un débat qui est, de l’avis général, fondamental.

De puissants déterminismes et stéréotypes sont à l’œuvre dans l’orientation scolaire. D’ailleurs, celle-ci est souvent trop réduite à une procédure de tri social des élèves via les trois voies de formation du lycée. Monsieur le rapporteur, ce constat a été bien identifié par la mission d’information, et vous l’avez évoqué avec clairvoyance.

Cependant, malgré l’intérêt de certaines d’entre elles, l’essentiel de vos recommandations visent davantage, selon moi, à réguler les flux d’élèves qu’à s’attaquer à l’origine de l’échec : le poids des déterminismes qui placent nombre d’élèves en difficulté, bien souvent dès le primaire.

Depuis 2005, les politiques publiques, telles qu’orientées par la stratégie de Lisbonne, tendent à promouvoir une conception de l’éducation tournée principalement vers un objectif d’employabilité, s’appuyant sur les difficultés objectives de notre système. Ainsi, malgré les précautions oratoires que vous avez prises dans votre exposé, monsieur Kennel, votre rapport d’information fait de l’insertion professionnelle non pas l’un des objectifs du système éducatif, mais un objectif au cœur de ce système ; c’est en tout cas ce que nous ressentons.

De fait, vous proposez des outils destinés surtout à gérer et à calibrer les flux d’élèves, comme une sélection à l’entrée à l’université, selon des prérequis, pour les formations à effectifs limités ; nous en débattrons la semaine prochaine lorsque nous traiterons de la réforme des masters.

Vous avancez aussi l’idée d’une carte des formations plus « réactive » aux besoins locaux et en plus forte adéquation avec les entreprises. Très bien, mais je ne suis pas sûr que ce soit la préoccupation la plus importante à prendre en compte, d’autant que les entreprises sont bien souvent dans l’incapacité d’anticiper leurs besoins à une échéance en rapport avec le temps nécessaire pour former un jeune. Sans compter que, comme l’on sait, un tiers des emplois qui existeront dans dix ans ne sont même pas connus aujourd’hui. (Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, opine.)

Certes, l’insertion professionnelle est une question fondamentale posée au système éducatif ; mais ce n’est pas le seul défi que celui-ci doit relever. La complexification des savoirs, du travail et de l’organisation de celui-ci implique une élévation du niveau des connaissances, pour permettre à tous les élèves d’être en mesure de s’adapter. Ne pas le prendre en compte, c’est accepter que certains élèves, les moins en connivence avec l’institution scolaire, demeurent cantonnés à une orientation par l’échec, tandis que d’autres seraient destinés, a priori, à la poursuite d’études : ceux que certains nomment « les plus méritants ». Quid, alors, madame la ministre, du « tous capables » inscrit dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ?

C’est pourquoi mon groupe s’interroge et interroge sur le principe d’un allongement de la scolarité obligatoire à dix-huit ans,…

M. Jacques Grosperrin. Pourquoi pas vingt-cinq ans ?

M. Patrick Abate. … avec une orientation plus tardive, afin de penser et d’agir au sein de l’école pour offrir la remédiation nécessaire aux élèves qui en ont le plus besoin.

La mission d’information préconise de confier le pilotage de l’orientation scolaire à la région via la régionalisation des CIO, en contradiction avec la loi du 5 mars 2014, qui a réaffirmé le rôle de l’État en la matière. Que deviendrait, dès lors, le principe fondamental qui sous-tend le service public de l’éducation nationale : une réponse égalitaire dans le droit et l’accès à l’éducation sur tout le territoire ? De fait, on ne peut ignorer le risque d’un creusement des inégalités, alors que les collectivités territoriales voient leurs moyens réduits et que la répartition des richesses sur le territoire n’est – c’est le moins que l’on puisse dire – pas tout à fait égale.

Par ailleurs, le rapport d’information minore, à mon sens, l’importance des processus psychologiques et sociaux dans l’orientation. En effet, l’élaboration d’un projet d’avenir chez un adolescent ne se résume pas à une simple question d’information sur la réalité des métiers et sur les formations offertes. Ce projet doit aussi être en lien étroit avec le développement de la personnalité du jeune et la construction de son identité – je n’ai pas dit un gros mot. S’agissant d’élèves du secondaire, singulièrement de collégiens et de collégiennes, qui commencent leur construction d’adulte et de citoyen, la question devrait être posée davantage en termes de développement individuel, de reconnaissance, d’estimation de soi et d’émancipation.

Parce que cette approche implique que les élèves bénéficient de l’accompagnement d’une pluralité de professionnels, nous refusons la mise en berne du corps actuel des conseillers d’orientation-psychologues ; il faut certes qu’ils travaillent en collaboration avec les enseignants, mais ceux-ci ne sont pas formés pour assurer les missions de ceux-là. Du reste, je m’interroge vraiment sur l’utilité, en tout cas sur l’efficacité, d’un stage obligatoire en entreprise censé permettre aux enseignants de maîtriser les enjeux du monde du travail.

Pour ce qui nous concerne, nous soutenons la démarche engagée au niveau du ministère pour créer un corps unique de psychologues de la maternelle à l’enseignement supérieur. Nous considérons, madame la ministre, qu’elle devra s’accompagner de recrutements, pour que cesse la situation inacceptable de conseillers d’orientation-psychologues responsables de 1 400 à 1 600 élèves sur deux ou trois établissements.

Enfin, la réforme du bac professionnel en trois ans, dont les écueils sont pourtant reconnus, n’est pas réinterrogée dans le rapport d’information, ce qui est dommage. Il est proposé de favoriser la mixité des publics et des parcours : très bien, mais son efficacité sur la réussite des élèves n’est pas questionnée, non plus que ne sont prises en compte les difficultés pédagogiques et organisationnelles qu’elle entraîne.

Au total, monsieur Kennel, même si votre rapport d’information est intéressant, je ne partage pas l’essentiel de ses conclusions. Certaines des propositions qu’il comprend ont déjà été portées sous le précédent quinquennat et, à notre sens, il ne soulève pas suffisamment le problème des moyens, tant humains que financiers. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Maryvonne Blondin et Dominique Gillot ainsi que M. Jacques-Bernard Magner applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission d’information du Sénat sur l’orientation scolaire, dont notre collègue Guy-Dominique Kennel est le rapporteur, a publié ses conclusions en juin dernier, au terme d’un travail approfondi.

Je ne voudrais pas être redondante en rappelant les raisons pour lesquelles cette mission d’information a été mise en place. Ces raisons, nous les connaissons : notre système d’orientation aboutit, pour un nombre encore trop élevé d’enfants, à une orientation par l’échec plutôt qu’à une orientation choisie ; de surcroît, l’orientation est difficilement réversible, les filières étant peu perméables, et, loin de permettre le dépassement des inégalités sociales, elle les entretient. Cette situation conduit à des effets pervers très concrets, en particulier l’autocensure des bons et moyens élèves d’origine modeste et l’évitement de la voie professionnelle par les milieux plus favorisés.

Du fait du mode de sélection et d’accès aux différentes filières, les élèves en difficulté sont orientés par défaut vers la filière professionnelle, alors qu’elle ne leur est pas forcément adaptée. Résultat : non seulement ces élèves se trouvent en situation d’échec, mais, de plus, la voie professionnelle subit une relégation dans l’inconscient collectif.

Plutôt que de revenir sur ce triste constat et sur ses implications, je préfère, parce que je refuse la fatalité, évoquer les moyens à notre disposition pour pallier les difficultés. Un grand nombre de ces moyens figurent d’ailleurs dans les recommandations du rapport de la mission d’information. Mais d’autres solutions relèvent aussi et surtout du bon sens et d’une nouvelle organisation, à moyens financiers et humains constants.

Le rapport d’information appelle à une ambition nouvelle pour l’orientation scolaire en insistant sur le secondaire. Pour ma part, j’irai plus loin : la clef de la réussite étant l’anticipation – j’y insiste –, c’est seulement en commençant un travail pédagogique autour de l’orientation en primaire que nous réussirons à changer les mentalités. C’est aussi le moyen de se projeter vers l’avenir dans une logique positive, sans préjugés et en dédramatisant le mot « orientation » qui, aujourd’hui encore, malheureusement, tombe comme un couperet.

Nous devons commencer ce travail dès l’école primaire, non pas pour former des salariés préfabriqués et uniquement destinés à se conformer aux attentes du monde de l’entreprise – ne tombons pas dans la caricature ! –, mais pour former au contraire les citoyens de demain, des citoyens qui ont conscience de leurs compétences, de leurs performances et de l’éventail des possibles qui s’ouvre à eux au travers de leur apprentissage puis tout au long de leur carrière professionnelle.

Pour cela, l’école doit s’ouvrir davantage à son environnement. Elle pourrait par exemple organiser des rencontres au cours desquelles la parole serait donnée non seulement aux parents pour présenter leur métier, mais aussi aux professionnels que les enfants côtoient dans leur quartier au quotidien.

Ces initiatives ne représentent aucun coût supplémentaire. Elles réclament plutôt un effort de coordination, d’organisation et de mobilisation. Elles peuvent et doivent être mises en place tout au long de la scolarité. C’est à ce prix que l’on pourra détruire les préjugés, notamment ceux envers l’enseignement professionnel, et créer de véritables vocations positives en direction des métiers de la filière.

C’est pourquoi la recommandation de faire s’asseoir côte à côte, dans un lycée polyvalent, les élèves de la filière générale et ceux qui sont en apprentissage est une idée concrète et qui va dans le bon sens pour mettre à bas les préjugés. Il faut bien commencer par quelque chose !

Même si j’ai bien conscience qu’elle est importante, la question du transfert des compétences des centres d'information et d'orientation, les CIO, aux régions – à condition que les finances suivent ! – me semble secondaire par rapport à celle de l’anticipation et de la mise en œuvre d’une nouvelle organisation, pour ne pas dire d’un nouveau contenu, de l’orientation de nature pluridisciplinaire.

Je soutiens l’idée selon laquelle il faudrait transformer l’orientation en discipline scolaire et l’intégrer au concept plus large de passeport d’orientation, qui commencerait dès le premier cycle et s’intégrerait ensuite à un passeport formation tout au long de la vie.

Rares sont les jeunes collégiens qui ont une vocation suffisamment ancrée pour s’orienter par choix dans une filière professionnelle. Cela a sans doute un peu changé, me direz-vous, pour les métiers de la restauration depuis que des émissions télévisées sont consacrées aux meilleurs chefs et aux pâtissiers. (Sourires.) Il n’est évidemment pas possible de lancer des séries télévisées pour chaque filière, mais il revient à l’éducation nationale de créer des clips variés pour les faire connaître. (Nouveaux sourires.)

Redevenons sérieux : demander aux élèves de s’orienter dès le collège est prématuré, sauf pour ceux qui ont une véritable vocation, ce qui est rare. Je dirai par facilité que je suis contre une orientation précoce et en faveur d’une entrée précoce de l’orientation dès l’école primaire. Si nous faisions ces choix dès maintenant, je suis certaine que nous aurions gagné une bataille, à moyens constants, dans la guerre contre les inégalités et surtout contre les préjugés qui existent à propos de certaines filières professionnelles.

Les recommandations visant à mieux associer les écoles supérieures du professorat et de l'éducation, les ESPE, au monde de l’entreprise me semblent importantes pour accompagner cette mutation et accroître la connaissance mutuelle entre enseignants et entreprises.

Cette mixité doit encore être valorisée. Je crois notamment à l’efficacité des actions concrètes, comme les ateliers de découverte des métiers dans les établissements scolaires, en relation avec les familles, les communes et le tissu économique local, comme je l’évoquais il y a quelques instants.

En conclusion, les membres du groupe du RDSE et moi-même nous sentons très concernés par ces questions et veillerons à ce que les recommandations présentées dans ce rapport ne restent pas lettre morte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme la présidente de la commission de la culture et M. Claude Kern applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’orientation constitue un paradoxe.

Elle est en effet au centre du cursus des élèves. Les parents l’abordent avec gravité, voire angoisse. Le Parlement et le ministère en connaissent l’importance. Les constats partagés à son sujet, comme ses effets en matière de tri social, sont inacceptables aux yeux de tous.

Et pourtant, les enseignants ne sont pas formés à l’orientation des élèves. Les emplois du temps ne lui consacrent pas de plage horaire spécifique. Il n’existe enfin aucun mécanisme suffisamment puissant pour empêcher que les stages et les découvertes ne reproduisent le tri social.

Les atouts dont disposent les initiés sont évidents, tandis que le poids des notes – je parle bien des notes et non de l’évaluation – ne diminue pas.

Il est urgent d’interroger le rôle des algorithmes pour mieux les reprendre en main, car la technique informatique, avec ses apparences trompeuses de neutralité, peut entraîner la mise en œuvre du contraire de ce que nous appelons de nos vœux. Une procédure d’affectation comme Affelnet, qui était censée empêcher toute opacité et tout arbitraire, a représenté pour beaucoup d’élèves la forme numérique du labyrinthe, dans lequel la pondération des critères a constitué un piège méconnu.

Monsieur le rapporteur, vous préconisez la prise en compte d’autres critères que les seuls résultats académiques, comme la motivation, les aptitudes ou les compétences. Sachez que la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République va dans ce sens et que le Conseil supérieur des programmes en a fait l’esprit du socle commun de connaissances et de compétences.

Hélas, l’évaluation ne lui a pas été confiée et, dans l’attente du livret scolaire unique, ce sont les logiciels que l’on a achetés comme « Pronote » que les parents reçoivent ! Les algorithmes utilisés livrent la seule chose qu’ils n’aient jamais su faire : quantifier, visualiser et classer, aboutissant ainsi à l’opposé de ce que devrait être un résultat nuancé et de ce qui résulterait de l’utilisation de critères élargis.

Un simple exemple : alors que le socle commun de connaissances et de compétences dans son volet « coopération et réalisation de projets » préconise que l’élève sache « que la classe, l’école, l’établissement sont des lieux de collaboration, d’entraide et de mutualisation des savoirs », le logiciel Pronote a inventé l’item « savoir que l’école est un lieu des savoirs » – c’est zéro ou moins. (Sourires.)

Cette situation présente plusieurs dangers : tout d’abord, des effets en amont sur la pédagogie et donc sur l’orientation, car la forme des résultats façonne ce sur quoi on met l’accent ; ensuite, la perte de sens du socle ; enfin, un éventuel futur mésusage pour l’orientation. Rêvons comme Orwell : si l’on connectait Pronote et Affelnet, on n’aurait plus qu’à appuyer sur un bouton pour une orientation automatique ! (Mme la ministre et Mme Françoise Laborde sourient.)

Chaque piste figurant dans ce rapport que je salue a des résonances sur l’ensemble du système.

Prenons la mixité des publics apprentis et scolaires. C’est une piste empreinte de bon sens et que je soutiens. Mais que deviendra cette piste face à une forêt de conservatismes et d’objections plus ou moins justifiées ?

Mme Françoise Cartron. Très juste !

Mme Marie-Christine Blandin. Consultés dans le cadre de l’élaboration des programmes, les acteurs dits « autorisés » nous ont surpris en raison de leurs réticences à faire entrer le travail manuel, la réalisation d’objets, la prise en compte du talent et de l’habilité dans les cycles, comme si ces compétences ne relevaient que de l’employabilité ou n’étaient judicieuses que pour certaines sections. Nous sommes loin de la prise en compte des « intelligences multiples » décrites par Howard Gardner.

Le plus gros handicap de l’orientation est lié au poids des non-dits : l’utilisation des terminales scientifiques comme sas du cursus idéal, même si l’on vise les professions de la magistrature ou des archives, contribue paradoxalement à tarir le vivier des vrais mathématiciens en les tenant à distance. Malheur à celui ou celle qui ne dispose que de la virtuosité des équations et de la géométrie, sans avoir pour lui les codes et l’aisance des classes privilégiées dans son bagage culturel !

Une autre de vos propositions existe déjà dans certains pays : l’année de césure après le bac, le temps de réfléchir et d’aller voir ailleurs. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’était rendue à Umeå au nord de la Suède en 2013 pour découvrir tous les acquis de l’année de césure post-bac de la bouche des jeunes étudiants. C’est donc possible !

Encore faudrait-il veiller à cultiver chaque élève autrement que par l’exacerbation de la compétition, depuis les classements scolaires jusqu’aux jeux télévisés, et en venir enfin à la coopération. En effet, dans cette période de tension sur le marché de l’emploi, « se caser » relève de l’injonction sociale. De plus, les filières sélectives qui repèrent les élèves en avance pour entretenir leur excellence ne contribuent pas à produire de l’intelligence collective.

La formation tout au long de la vie et le droit de revenir dans un cycle après une période sans scolarité ne sont pas encore effectifs. Exercer une profession non choisie, « décrocher », chacun a le droit d’avoir plusieurs chances.

Pour avoir installé un « lycée de toutes les chances » à Roubaix dans les années 1990, afin de prendre à bras-le-corps les problèmes du décrochage et de la déscolarisation, de l’exclusion et de l’anomie, des inégalités et de la stigmatisation, je mesure combien le fait de ne pas se résoudre à l’orientation punitive est un défi collectif. Il a fallu rénover les méthodes et les outils pédagogiques en appliquant le principe du « cousu main » et prendre en compte une conception plus globale de la dimension éducative. Il a également été nécessaire d’élaborer un travail commun entre les différents acteurs au sein d’un établissement et entre les établissements. Il a enfin été indispensable de développer l’interaction entre les lycées et leur environnement, c’est-à-dire les familles, la cité et le monde professionnel.

C’est uniquement dans ces conditions que l’orientation ne se fait pas par défaut. Toutefois, cela exige des temps de dialogue, de vrais temps identifiables dans les emplois du temps, un dialogue avec les parents, un autre dialogue avec des professionnels, et même une attention spécifique aux nominations qui favoriseraient une telle qualité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde et M. Claude Kern applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission et chère Catherine, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui invités à débattre de l’avenir professionnel de nos enfants et plus précisément de leur orientation scolaire. L’enjeu est de taille !

L’excellent rapport de notre collègue Guy-Dominique Kennel apporte un éclairage nouveau sur le sujet.

La France est le cinquième pays le plus riche du monde mais connaît un échec scolaire massif, puisque près de 20 % des jeunes sortent chaque année du système éducatif sans qualification. Chaque année, on comptabilise donc 140 000 jeunes « décrocheurs ». En parallèle, les métiers évoluent. Nous sommes donc face un vrai défi : insérer des jeunes dans une société en pleine mutation.

Or nous connaissons tous des exemples concrets d’orientations ratées. C’est le cas des huit jeunes issus du Bois de Bléville, au Havre, quartier politique de la ville, que j’ai rencontrés dernièrement et qui ont tous décroché en raison de leur orientation contre leur souhait en comptabilité. Ces nombreuses situations justifient notre débat de ce soir et impliquent une vraie réflexion sur la réforme de l’orientation des jeunes.

Toutefois, on ne peut pas aborder la question de l’orientation scolaire sans appréhender celle de l’insertion professionnelle des jeunes.

Ainsi, il apparaît essentiel de renforcer les liens entre les acteurs du monde éducatif et ceux de l’emploi. En effet, l’école doit préparer l’insertion professionnelle des jeunes. Le décloisonnement entre corps professoral, milieu entrepreneurial et acteurs de l’emploi est une urgente nécessité. De manière assez évidente, il est fondamental de permettre à chaque jeune de découvrir le monde de l’entreprise et les métiers, pour qu’il puisse choisir la voie qui lui correspond. En effet, de trop nombreux jeunes sont orientés par défaut dans des filières non choisies, ce qui entraîne inévitablement leur décrochage.

L’orientation doit être positive et être élaborée avec le jeune et sa famille. Ainsi, au cours de sa scolarité, un véritable parcours d’orientation doit être proposé à chaque jeune. Il doit lui permettre d’identifier ses appétences et ses capacités, lui faire découvrir les métiers, l’accompagner dans ses choix de formation et l’éclairer sur les embûches du parcours choisi. Cette opportunité doit être offerte à tous les élèves, quel que soit leur environnement social. Le parcours de l’élève se déclinerait en tests de compétences, bilans d’orientation, stages de découverte en entreprise et rencontres avec les professionnels. L’entreprise crée l’emploi et l’école forme le salarié de demain.

Les formations proposées aux jeunes doivent en outre être en adéquation avec les besoins prévisionnels des territoires économiques. Par exemple, l'Union des industries et des métiers de la métallurgie, l'UIMM, a développé en Seine-Maritime des centres de formation qui préparent aux métiers dont ont besoin les entreprises du secteur. Les jeunes orientés en apprentissage vers le pôle de formation de l’industrie acquièrent un savoir-faire d’excellence et développent les compétences nécessaires pour leur future embauche. Dernièrement, l'UIMM est allée plus loin encore en créant une seconde dite « structurante ». Celle-ci accueille des jeunes « décrocheurs » pour leur redonner les bases scolaires nécessaires, les compétences professionnelles qui leur seront utiles et surtout la confiance en eux, indispensable à leur réussite.

L’orientation professionnelle se fait donc en contact direct avec le monde du travail. Elle satisfait un besoin local de main-d’œuvre et offre des opportunités de réussite pour les jeunes. Malheureusement, faute d’orientation positive, trop de jeunes restent actuellement au bord du chemin de l’insertion professionnelle, nous obligeant à déployer des moyens considérables pour leur remobilisation vers l’emploi, comme la garantie jeunes aujourd’hui pilotée par les missions locales. Ces situations d’extrême fragilité pourraient être limitées si les relations entre les établissements scolaires et les missions locales étaient plus étroites, ce qui permettrait d’élaborer les projets professionnels des « pré-décrocheurs ». La prévention du « décrochage » doit prendre le dessus sur des actions plus curatives.

Enfin, la politique en matière de formation et d’orientation doit être déclinée à l’échelle des régions, lesquelles doivent pouvoir coordonner leurs plans de formation avec les perspectives locales en matière d’emploi. Elles doivent également développer une vision stratégique pour renforcer l’attractivité et la vitalité de leurs territoires et adapter constamment l’offre de formation aux évolutions des métiers. C’est en créant des mécanismes d’orientation et de formation fondés sur la souplesse, la connaissance réciproque et l’adaptation aux besoins que nous pourrons relever les défis de l’orientation positive, l’orientation réussie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission de la culture ainsi que Mmes Françoise Gatel et Françoise Férat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme Colette Mélot et M. Gérard Bailly applaudissent également.)

M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est sans surprise que je tiens moi aussi à féliciter notre rapporteur, Guy-Dominique Kennel, et le président, Jacques-Bernard Magner, pour la qualité des travaux conduits au sein de la mission d’information à laquelle j’ai pu participer. Je tiens également à remercier la présidente de la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly, de nous avoir permis d’entreprendre cette démarche.

Notre assemblée a toujours fait de la réussite de nos enfants une ambition prioritaire et je mesure l’apport des travaux de cette mission dans la réflexion globale sur notre système scolaire et sur l’orientation. Nous comptons donc sur vous, madame la ministre, pour examiner ces propositions avec attention.

En effet, il y a urgence ! Outre l’indignité du rang occupé par la France dans le classement PISA, l’idée même que notre système entretient et crée des « décrocheurs » est insupportable. Notre incapacité à assurer une insertion suffisante des diplômés des formations professionnelles est incompréhensible. Enfin, l’échec massif à l’université pour les bacheliers généraux et encore plus pour les bacheliers techniques puis professionnels est tout simplement révoltant !

Notre système crée des inégalités. Comment l’entendre et, surtout, comment améliorer des dispositifs d’orientation qui prennent malheureusement une part active dans cet état des lieux ?

C’est tout le sens des travaux menés par la mission d’information dont nous examinons les conclusions ce soir. Les douze recommandations formulées visent à « insuffler une nouvelle ambition à l’orientation scolaire, celle d’une orientation réussie pour tous les élèves ».

Sans revenir sur chacune des recommandations que je partage pleinement et que je soutiens avec force, je tiens à évoquer plus particulièrement le rapport de notre système éducatif à l’enseignement professionnel et à l’apprentissage.

Soyons clairs, madame la ministre, les filières technologiques et professionnelles font l’objet d’une dévalorisation – pour ne pas dire d’un dédain – généralisée. Si les discours politiques ont quelque peu évolué, les pratiques les contredisent largement.

Pourtant, la réalité, c’est que l’apprentissage est la voie de la réussite ! Il faut en finir avec cette vision archaïque et dépassée de la professionnalisation, systématiquement dénigrée. Ces filières ne sont en aucune façon des « voies de garage » qui seraient réservées aux cancres. Cependant, cette représentation véhiculée par notre société, qui est à l’origine de la désaffection à l’égard des activités manuelles, a gangrené le système lui-même.

Aujourd’hui, l’orientation toujours plus tardive des élèves les maintient dans la voie générale et implique une spécialisation elle-même plus tardive au détriment de l’élève et de l’entreprise. Une véritable absurdité !

En tant que frontalier, je connais bien le système de formation professionnelle de nos voisins allemands. Outre-Rhin, la formation professionnelle initiale est principalement organisée sous la forme d’un apprentissage appelé « système dual », puisqu’elle se déroule sur deux lieux de formation : l’entreprise et l’école professionnelle. Dans ce système qui a fait ses preuves en termes de qualification et d’insertion des jeunes, le contenu de la formation relève des Länder et des partenaires économiques et sociaux.

Par ailleurs, pour avoir moi-même exercé une activité en parallèle dans un lycée technique et en entreprise, je sais que les acteurs économiques désirent prendre une vraie place dans les dispositifs d’orientation et de développement des formations professionnelles. Nombreux sont les chefs d’entreprise dont la maison mère est allemande qui m’interpellent sur le sujet et qui me rappellent tout le bien qu’ils pensent de nos formations techniques antérieures à la dernière réforme du lycée.

Ces mêmes chefs d’entreprise sont aussi de plus en plus nombreux à adhérer aux démarches en faveur de la mobilité des jeunes en formation professionnalisante. Outre les mobilités locale et régionale, la mobilité internationale dans le cadre d’un apprentissage est une formidable expérience pour le jeune et pour l’entreprise.

À ce titre, je tiens à saluer l’initiative du député européen Jean Arthuis en faveur d’un « Erasmus des apprentis ». Grâce à sa mobilisation auprès de la Commission européenne et au sein du Parlement européen, 145 apprentis européens dont 75 Français préparent en ce moment leur départ à l’étranger pour une année, alors qu’ils ne pouvaient jusqu’à présent prétendre qu’à de courts séjours. Or les statistiques démontrent que ce type d’expérience représente un atout majeur sur le marché de l’emploi.

Madame la ministre, pourquoi vouloir éloigner nos élèves du monde de l’entreprise ? Qu’attendez-vous pour ouvrir davantage notre école à l’entreprise ?

Il est urgent de faire bouger les lignes sur le sujet. Nous devons créer des pôles d’excellence qui regrouperaient des filières entières dans des lycées technologiques ou professionnels jusqu’au brevet de technicien supérieur, voire jusqu’au niveau bac+3. Ayons de l’ambition pour nos enfants ! Créons de vrais lycées des métiers !

À la suite des travaux conduits dans le cadre de la mission pendant plus d’un an, nous proposons les fondements d’une politique d’orientation ambitieuse pour nos élèves.

Donner au système éducatif des objectifs en termes d’insertion professionnelle, valoriser les réussites de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage, généraliser la spécialisation dans la voie professionnelle, développer la mixité des parcours et des publics, développer les parcours montants, les stages passerelles pour faciliter les transitions entre filières, associer pleinement les parents d’élèves à l’éducation, à l’orientation et à la découverte des métiers, renforcer la présence des représentants du monde professionnel dans la gouvernance des lycées, sont autant de propositions fortes de notre mission d’information. Elles permettraient, j’en suis convaincu, d’apporter des réponses efficaces aux difficultés liées à l’orientation des élèves, à leur réussite scolaire et à l’accès à l’emploi.

Je souhaiterais répondre aux propos de M. Abate. Des expériences prouvent que le stage en entreprise est très enrichissant pour les enseignants. Toutefois, et sans entrer dans le détail, il existe également une autre solution, comme l’échange permettant aux uns de vivre pendant une journée le métier de l’autre. Ce type d’initiative permet aux enseignants d’être immergés dans l’industrie et à l’entrepreneur de découvrir également le métier de l’enseignant.

Vous l’avez remarqué, je n’ai pas totalement utilisé le temps de parole qui m’était imparti, tellement le rapport de la mission d’information est excellent. Je souhaite, madame la ministre, que ce rapport devienne votre livre de chevet (Sourires.) et que nous puissions partager demain à la fois une ambition pour nos enfants et les solutions pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.

M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si le Sénat a décidé, au printemps 2015, de constituer une mission d’information sur l’orientation scolaire au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, c’est parce que chacun d’entre nous est attaché à la réussite de tous les élèves au sein de notre système scolaire.

Dresser l’inventaire des dispositifs d’orientation dans la formation initiale, en mesurer l’efficacité au regard des objectifs qui lui sont assignés, notamment en fonction du rapport entre réussites et échecs, formuler des propositions d’amélioration, tel était l’objet de cette mission d’information, dont le champ d’étude était essentiellement centré sur l’orientation dans l’enseignement secondaire en vue de l’enseignement supérieur.

L’orientation est un sujet d’intérêt qui concerne, à des degrés divers, les parents d’élèves, les personnels enseignants, les responsables publics et les divers acteurs de terrain, les chercheurs des instituts et laboratoires de recherche spécialisés et, surtout, les collégiens, les lycéens et les étudiants.

En effet, l’orientation scolaire et professionnelle est l’un des piliers de toute politique éducative. Chaque élève y est confronté au moins une fois durant sa scolarité. Les choix qu’il fait sont déterminants pour lui, et tout gouvernement soucieux de l’avenir de sa jeunesse se doit d’être informé de l’efficacité de sa politique dans ce domaine.

Dans la période que nous traversons, le chômage des jeunes reste malheureusement encore trop important. Cependant, on sait aussi qu’il touche dans une proportion plus élevée les jeunes sortis du système scolaire sans qualification. Aussi, réduire le nombre de ceux qui arrêtent leurs études sans qualification ni diplôme est un impératif. Les jeunes doivent être diplômés au bon niveau et dans des secteurs susceptibles de leur offrir des débouchés. Il s’agit d’une exigence pour la Nation et pour son école !

Une orientation réussie doit permettre à chacun d’exploiter tout son potentiel et de s’insérer professionnellement. L’idéal serait que chaque élève ait le sentiment qu’il a lui-même choisi son orientation, et non qu’elle lui a été imposée car, le plus souvent, une orientation subie provoque un profond sentiment de frustration et d’injustice.

Vous le savez, des réformes d’envergure ont été engagées ces cinq dernières années en faveur de l’école. Je pense à la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République ou au recrutement et à la formation de personnels enseignants. Même si de grandes améliorations ont déjà été observées, il faudra cependant plusieurs années avant que ces réformes portent réellement leurs fruits.

Les constats déjà formulés en 2008 par le Haut Conseil de l’éducation dans son rapport sur l’orientation scolaire sont encore d’actualité.

Je les rappelle ici : l’orientation au collège et au lycée dépend étroitement du niveau initial des élèves à l’école primaire ; l’orientation consiste à trier les élèves en fonction de leurs seuls résultats scolaires dans les savoirs abstraits ; on ne cherche pas à détecter chez les élèves en difficulté leurs aptitudes à réussir dans d’autres apprentissages, en particulier dans ceux qui sont propres à la voie professionnelle et à ses spécialités, des apprentissages qui partent du concret et privilégient une approche plus expérimentale ; la décision d’orientation s’appuie sur des notes et des moyennes de notes, méthode dont les insuffisances ont été démontrées depuis longtemps ; l’origine sociale et les diplômes des parents sont des facteurs déterminants ; dans un système très hiérarchisé, l’orientation est trop souvent le produit d’exclusions successives ; enfin, une mauvaise orientation est difficile à rattraper.

Il convient de remarquer que l’informatisation de l’affectation des jeunes pèse beaucoup sur le système d’orientation scolaire. Cette informatisation était certes nécessaire, puisqu’elle permet de réduire les inégalités de traitement et d’attribuer une place à chaque élève. Cependant, elle ne peut pas corriger la rigidité de l’offre et encore moins éviter un engouement pour telle ou telle spécialité. En définitive, cette procédure informatique revient à gérer le mieux possible une situation au cadre extrêmement contraint : c’est tout de même un progrès !

Je me dois de préciser que toute orientation dans une voie ou une autre engage fortement l’élève et qu’il n’est pas facile de se réorienter. En effet, les parcours qui le permettent ne sont ni assez développés ni adaptés. Sur ce point, il paraît opportun de redéfinir les moments de la scolarité au cours desquels il faut proposer des dispositifs de réorientation ou des classes passerelles, et d’encourager toutes les expérimentations relatives aux changements de cursus, comme les réorientations effectuées après quelques semaines de classe seulement, sur le fondement d’un bilan de rentrée, avant que le premier trimestre soit trop engagé et quand le nombre de places vacantes est stabilisé.

Nous devons également veiller à ce que l’orientation scolaire ne soit pas chargée de tous les maux quand un élève est en situation d’échec scolaire, car un défaut d’orientation est loin d’être la seule cause de l’échec scolaire.

Par ailleurs, il est souvent reproché au système de l’orientation scolaire et à la hiérarchie des filières qu’elle perpétue de rester éloignées des réalités de la vie professionnelle et des besoins économiques de la Nation. On reproche également à l’offre de formation professionnelle de s’adapter difficilement aux nécessités économiques. Et c’est là la plus grande difficulté à surmonter : trouver la meilleure adéquation possible entre les formations proposées et les besoins du marché, d’autant qu’un certain nombre d’années sont nécessaires pour qu’une formation professionnelle arrive à son terme.

En fait, il est regrettable que ce soit bien souvent l’offre de formation qui régisse les politiques d’orientation dans les académies.

Le fait que chaque élève obtienne une place à la rentrée scolaire, quels qu’aient été ses vœux, et que chaque professeur soit devant une classe, est a priori satisfaisant pour l’administration de l’éducation nationale. Cependant, le nombre des places disponibles par filière constitue une contrainte qui pèse sur l’orientation des élèves. Cela entraîne une certaine rigidité qui conduit à des orientations que l’on pourrait qualifier de « forcées » et qui aboutissent malheureusement à trop d’abandons en cours de scolarité.

Il faut également tenir compte des inégalités engendrées par les disparités territoriales puisque, selon la région où il habite, un élève n’aura pas les mêmes opportunités d’orientation et de formation.

En conséquence, l’orientation scolaire a trop tendance à fonctionner en circuit fermé.

L’orientation des élèves et leur niveau de qualification final sont trop conditionnés par la structure de l’offre éducative, et, alors même que l’offre de formation est abondante, le choix pour chaque élève reste limité.

À cet instant du débat, il me semble important d’évoquer la proposition de loi, déposée par notre collègue Jean-Léonce Dupont, portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat, très en rapport avec l’orientation des étudiants.

À l’occasion de l’examen en commission de cette proposition de loi, les sénateurs du groupe socialiste et républicain, par la voix de Dominique Gillot, ont présenté un amendement tendant à instaurer un droit à la poursuite d’études.

Il s’agirait là non pas d’un droit inconditionnel ou d’un droit offert à des étudiants qui atteindraient le master en six ou huit ans et revendiqueraient ensuite le droit à la poursuite de leurs études, mais d’un droit garantissant à la fois l’excellence des parcours, utiles au développement économique de notre pays, l’épanouissement des compétences de nos meilleurs étudiants et un accompagnement de tous ceux qui seraient insuffisamment informés sur les divers masters auxquels leurs aptitudes conduisent.

Certaines inquiétudes ont été exprimées, notamment au sujet des difficultés rencontrées par certains territoires, de l’accord obligatoire entre le recteur et le chef d’établissement ou des conditions de mobilité des étudiants. Sur ces différents points, le Gouvernement apportera des réponses, à la suite d’une concertation de très grande qualité sur le sujet, ayant abouti à un accord unanime de l’ensemble des partenaires.

M. Jacques Grosperrin. Accord historique ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques-Bernard Magner. Il fallait prendre une initiative pour sortir des difficultés, achever la réforme licence-master-doctorat de 2002 (M. Jacques Grosperrin s’exclame.), dont les résultats sont variables selon les territoires.

Nous souhaitons adopter ce texte pour garantir un meilleur accompagnement de tous les étudiants et assurer la réussite de chacun, conformément aux principes édictés dans la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.

L’accompagnement à l’insertion professionnelle était un des engagements contenus dans cette loi. Dans ce domaine, nous allons franchir une nouvelle étape, qui permettra d’assurer cette finalité dans la transparence.

M. Jean-Léonce Dupont a proposé l’évaluation du dispositif par un organisme indépendant, ce qui est de nature à rassurer tout le monde et permettra d’apporter des correctifs le moment venu.

On évoque une notion de « sélection ». Ce qui est ajouté, c’est l’accompagnement des étudiants titulaires de licence dans un deuxième cycle qui corresponde à leurs aptitudes et à leur projet professionnel. La capacité d’accueil est fixée par les chefs d’établissement, en vertu de l’autonomie des universités, et validée par le recteur, chancelier des universités, garant du dialogue avec l’État et, donc, du respect du droit à la poursuite des études.

Ainsi, pourra être réparée l’injustice créée par la sélection clandestine pratiquée entre les deux premiers et les deux derniers semestres du master. Nous allons supprimer cette barrière et intégrer un dialogue d’orientation et de recrutement dès l’entrée en master.

Comme l’a montré M. Jean-Léonce Dupont, nous ne rencontrons pas de véritable problème en termes de places ; il existe juste des filières et des établissements en tension.

Madame la ministre, mes chers collègues, je conclurai sur les travaux de la mission d’information sur l’orientation scolaire.

Au terme de leurs travaux, les membres de cette mission d’information ont souhaité présenter douze recommandations principales pour insuffler une nouvelle ambition à l’orientation scolaire, celle d’une orientation réussie pour tous les élèves.

Je ne vous rappelle pas ces recommandations, que M. le rapporteur a présentées voilà quelques instants. Mais tout comme lui, j’exprime le souhait, très vif, au regard de la qualité et du sérieux de nos travaux, mais aussi de l’esprit constructif dans lequel ceux-ci ont été menés, de voir le meilleur accueil réservé à ces propositions, qui ne resteront pas de vains mots. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Françoise Laborde et Françoise Férat ainsi que M. Claude Kern applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.

M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, le rapport sur l’orientation scolaire présenté par notre cher collègue Guy-Dominique Kennel porte sur un sujet important s’il en est : l’orientation scolaire.

La France, pourtant dotée d’un système scolaire exemplaire, peine aujourd’hui à s’enorgueillir des résultats de ses enfants. Le classement PISA pointe en effet régulièrement les insuffisances de notre école. L’idée se répand dès lors, insidieusement, que notre système est décadent, que nos enfants n’apprennent plus rien dans nos établissements scolaires.

Une telle affirmation, fréquente dans l’opinion publique, doit être combattue avec la dernière des déterminations, pour l’injure qu’elle fait aux enseignants et personnels du système éducatif français. La situation est en fait contrastée et complexe.

Il demeure toutefois que les mauvais résultats ne peuvent être passés sous silence – étant précisé que l’actuel gouvernement ne peut être tenu responsable de tout et que le précédent porte également une part de responsabilité : la France se classe au vingt-cinquième rang en mathématiques, au vingt et unième rang en lecture et au vingt-sixième rang en sciences.

Quels sont les remèdes ? La création de quelques écoles expérimentales, plus d’expérimentation dans les écoles, le refus de l’uniformisation par l’égalitarisme sont peut-être des pistes à envisager. Mais il faut probablement, aussi, en passer par une redéfinition des missions de l’école, par un recentrage autour de quelques axes forts.

À cet égard, la multiplicité des missions, telle qu’elles ont été posées par le ministre Vincent Peillon, s’inscrit dans l’exact contresens historique qui caractérise, malheureusement, et sur de nombreux sujets, l’action de l’actuel gouvernement.

Recentrer l’école de la République sur ses missions essentielles de transmission du savoir et d’accompagnement des élèves est donc une première piste.

Au titre des missions essentielles que doit assumer l’école figure notamment, en plus de la transmission des connaissances, l’insertion professionnelle et, plus largement, sociale. L’école doit permettre à chacun, non pas seulement de trouver sa place dans la société, mais, mieux encore, de la construire.

Voilà l’ambition fièrement portée par l’école des « hussards noirs de la République », chers à Jules Ferry : l’école doit être un ascenseur social !

Or, comme chacun le sait, cet ascenseur est aujourd’hui en panne en France. L’école ne permet plus aux enfants de s’élever au-dessus de la condition de leurs parents. Elle renforce – c’est un comble – les inégalités sociales !

C’est dire l’enjeu qui s’attache à une meilleure politique d’orientation scolaire. C’est dire combien le rapport que nous a présenté Guy-Dominique Kennel doit susciter l’intérêt.

On peut s’interroger sur le choix de certaines filières, de certains bacs technologiques pour certains enfants, qui peuvent ensuite intégrer des écoles d’ingénieurs, parce que, justement, ils connaissent ces parcours.

Parmi les solutions présentées dans le rapport, il me semble nécessaire d’insister sur le lien puissant qui doit unir la professionnalisation des études et le renforcement de l’orientation. Aider l’élève à identifier les voies dans lesquelles il dispose des aptitudes pour réussir, l’accompagner dans le renforcement de ses potentiels, choisir les bonnes options et filières pour lui permettre, à sa sortie du système éducatif, de s’insérer parfaitement dans le métier qu’il a choisi et pour lequel il s’est préparé : voilà ce que l’école doit permettre !

Mais l’école ne peut pas tout. Il faut absolument impliquer les parents, construire un contrat entre la famille, l’école et l’État.

Je m’interroge également sur la suppression du redoublement en fin de troisième, celui-ci étant mis en œuvre en fonction de l’avis des parents, ainsi que sur l’école obligatoire jusqu’à 18 ans car, on le sait, lorsqu’il n’y a pas d’appétence scolaire, il ne sert à rien d’obliger l’élève à continuer d’aller à l’école. Dans de tels cas, un cursus de professionnalisation est peut-être préférable.

La tâche est toutefois immense et suppose des enseignants formés pour l’assumer. Le rapport de notre collègue préconise donc de renforcer la formation de ces derniers et de faire en sorte qu’au cours de leur cursus, ils puissent découvrir l’entreprise pour resserrer le lien entre école et entreprise. Il est également préconisé de renforcer le lien entre le lycée et l’enseignement supérieur.

Toutes ces idées me semblent excellentes.

Des interrogations demeurent néanmoins sur la procédure d’affectation Affelnet. L’affectation des élèves en collège et en lycée ne permet pas d’envisager la mixité sociale dès lors qu’elle passe par un algorithme. Un ordinateur ne comprend qu’une chose : les notes ; il n’accorde aucune place à l’évaluation, qui peut pourtant être une source d’orientation.

Les enseignants vivent une situation difficile. Je ne reviendrai pas sur les exactions commises au cours des derniers jours, mais, au-delà de cette situation tragique, que nous espérons ne pas entendre qualifiée par M. le ministre de l’intérieur d’œuvre de « sauvageons » ou de « galopins », il faut admettre que les conditions d’exercice professionnel sont devenues, dans de très nombreux endroits, quasi invivables. Ce n’est pas un hasard si la profession d’enseignant suscite aujourd’hui des vocations en nombre plus mesuré qu’il ne serait souhaitable.

J’ai écouté votre intervention de ce matin, madame la ministre. Il faut condamner ceux qui ont commis ces actes, avez-vous dit. J’aurais aimé entendre autre chose de la part d’un ministre de la République, ministre de tutelle. Vous auriez pu employer la même formule qu’Émile Zola et son « J’accuse… ! », et dire clairement : « Je condamne ces actes ». C’est ce que les enseignants attendaient.

Dans ce contexte, pourront-ils réellement assumer de nouvelles missions ? C’est une question qu’il faut se poser.

Le rapport envisage, enfin, la situation de l’enseignement supérieur.

Les questions qui y sont abordées me semblent refléter une réalité terrible. La massification de l’enseignement supérieur a conduit à un doublement des effectifs étudiants depuis les années quatre-vingt. Les moyens n’ont pas suivi – hélas, trois fois hélas !

La loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, l’excellente réforme LRU, portée par Valérie Pécresse, avait fait un premier pas pour redonner aux universités l’autonomie dont elles ont besoin. Il faudra aller plus loin, c’est l’évidence, et permettre aux établissements de développer une véritable politique d’attractivité des meilleurs bacheliers, de recrutement des meilleurs professeurs, de recherche de sources de financement qui ne peuvent plus être uniquement celles de l’État.

L’université française du XXIe siècle sera autonome ou ne sera pas !

Il faut donc oser remettre sur la table la question de la sélection à l’entrée de l’université. Ce ne doit pas être un gros mot, madame la ministre.

C’est pourquoi je félicite mon collègue Guy-Dominique Kennel de proposer, pour les filières en tension que sont le droit, la médecine, la psychologie ou encore les cursus dédiés aux sciences et techniques des activités physiques et sportives, les STAPS, de remplacer le système actuel de tirage au sort absurde, injuste et illégal par un ensemble de règles fondées sur les prérequis.

C’est l’unique voie pour permettre la meilleure orientation et accroître les chances d’une meilleure insertion professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut une certaine dose de courage pour se retrouver à cette heure avancée, plutôt en nombre, pour évoquer ce sujet – je vous remercie donc de votre présence.

Il faut aussi un certain sens de l’humour, monsieur Grosperrin. Ainsi, je préfère prendre avec beaucoup de légèreté vos derniers propos et concentrerai plutôt mon intervention sur cette question de l’orientation, sujet particulièrement important, qui met en jeu rien de moins que l’avenir de nos élèves et, à travers eux, celui de notre pays.

Je voudrais tout d’abord, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs ayant contribué à l’élaboration de ces conclusions, saluer très sincèrement la qualité de votre travail. Je vous en remercie.

Comme tous les orateurs l’ont souligné, la scolarité convoque, pour chaque élève, un horizon qui ne peut jamais être occulté : l’horizon de l’insertion professionnelle et citoyenne. Certes, il n’est pas le seul de la scolarité, mais nous connaissons tous son importance et l’attente qui est celle des familles et des élèves sur cette question.

Bien évidemment, la meilleure garantie d’une insertion professionnelle réussie, c’est effectivement, en amont, une orientation réussie.

Il y a là un enjeu que l’on doit aborder à la fois avec un sentiment de responsabilité – vous l’avez tous fait ici – et avec une grande humilité.

Un sentiment de responsabilité, car l’école et ses professionnels jouent un rôle majeur, dont j’ai pleinement conscience, dans l’orientation des jeunes.

Une grande humilité, car l’école, clairement, ne peut pas tout, toute seule. Elle n’est pas le seul facteur ; la trajectoire de l’élève, nous le savons bien, ne dépend pas uniquement de l’institution scolaire.

C’est d’ailleurs à cette logique que répondent les dispositifs que nous appelons « parcours d’excellence » et que nous développons en cette rentrée scolaire. Ces parcours – je n’en dirai qu’un mot car il n’en a pas été question ce soir – permettent, dans les réseaux d’éducation prioritaire, un accompagnement des élèves, depuis la classe de troisième jusqu’à la classe de terminale, par des tuteurs étudiants ou salariés d’entreprises volontaires. Leur mission consiste à ouvrir les horizons, lutter contre l’autocensure, apprendre aux élèves à mieux s’informer et s’orienter.

La trajectoire de l’élève, je le disais, ne dépend pas que de l’institution scolaire et il est important de mobiliser l’ensemble des acteurs, sans, bien sûr, priver l’école du rôle qui est le sien.

Mon action, en tant que ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, s’appuie d’abord sur une certaine vision de l’orientation.

Il s’agit de respecter un équilibre, décrit dans le premier article du code de l’éducation. Celui-ci rappelle que le droit à l’éducation passe par l’opportunité, pour chaque élève, « de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation […], de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. »

L’orientation est donc, bien entendu, tournée vers l’insertion professionnelle des jeunes, construite pour tous les élèves, et mobilise l’ensemble des équipes pédagogiques.

Une fois ce cadre posé, quelles sont les conséquences ?

Cela implique d’abord que l’orientation ne soit pas, en effet, monsieur Abate, une étape de tri, à la fin de la troisième, entre ceux qui s’orienteront vers des formations en alternance et ceux qui emprunteront la voie de l’enseignement général.

Vous le soulignez aussi dans votre rapport, monsieur Kennel : nous ne devons pas penser l’orientation au regard de nos impératifs d’affectation des élèves dans les différents établissements scolaires en fonction du nombre de places. Je suis mille fois d’accord avec vous sur ce point.

Enfin, il faut sortir de l’opposition quelque peu stérile entre une école qui serait « adéquationniste », c'est-à-dire gouvernée par les seuls besoins du marché du travail, et une école qui transmettrait des savoirs et des connaissances éthérés sans tenir aucun compte de ce marché du travail.

Sans se résumer à la préparation des élèves au monde du travail, l’école doit penser son offre de formation en lien avec les évolutions à long terme de l’univers professionnel.

À cet égard, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’ouvrir à nouveau une parenthèse.

C’est bien parce que j’ai totalement conscience de cet enjeu que j’ai entamé, en collaboration avec les différents présidents de région, la construction de 500 nouvelles formations, qui seront effectives à la rentrée prochaine.

Leur particularité est de concerner des filières professionnelles qui, sur le fondement des travaux de France Stratégie, ont été identifiées comme comprenant des métiers susceptibles de manquer de main-d’œuvre à l’horizon de dix ans. Ce sont aussi bien les filières de l’aéronautique, de la sécurité, des services à la personne ou, bien sûr, du numérique.

En nous appuyant sur les conclusions de l’institution, nous avons donc commencé à définir ces 500 filières de formation, qui mobiliseront, dès la rentrée de 2017, 1 000 enseignants en lycée professionnel.

Donc, oui, l’école doit penser son offre de formation en lien avec les évolutions du monde professionnel. De ce fait, et vous constaterez que nous convergeons très nettement sur la question, l’orientation ne peut être un choix imposé à un carrefour : elle doit être un parcours progressif, pour tous les élèves, indépendamment de leur filière.

Le fait de penser l’orientation comme un parcours représente un véritable changement de paradigme par rapport aux pratiques qui avaient cours, voilà encore peu, au sein de l’éducation nationale.

Cela a une influence sur l’ensemble de la scolarité des élèves. Ainsi, si nous voulons avoir une appréhension cohérente et sur le long terme de l’orientation, alors la scolarité elle-même doit être cohérente.

C’est cette mise en cohérence que nous avons réalisée depuis 2013.

Nous avons tout d’abord refondé le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, en définissant ce que tout élève doit pouvoir maîtriser à la fin de sa scolarité obligatoire.

Nous avons également révisé les programmes scolaires, pour les neuf années de scolarité obligatoire, en liaison avec le socle repensé – si l’on veut atteindre les objectifs, encore faut-il disposer de programmes cohérents avec ces objectifs !

À ce titre, je vous rappelle qu’avant que nous ne réalisions ce travail, qui n’était en rien mince – tout le monde l’aura constaté –, nous disposions, depuis la loi Fillon sur le socle commun de connaissances et de compétences, de programmes scolaires n’ayant rien à voir avec le socle adopté par les parlementaires.

C’est donc – pardonnez-moi d’entrer à ce point dans les sujets techniques – un travail considérable qui a été réalisé, depuis 2013, pour donner une cohérence à la scolarité, lui assurer une certaine progressivité et faire en sorte que les élèves, concrètement, acquièrent bien les connaissances dont ils auront besoin, y compris pour s’insérer dans le monde professionnel.

Enfin, il ne vous aura pas échappé – le sujet n’a pas été évoqué en soi – qu’une réforme du collège est entrée en vigueur à l’occasion de cette rentrée scolaire.

Cette réforme du collège comprend un lien évident avec l’insertion professionnelle.

Les compétences nouvelles acquises, au travers, notamment, du travail en interdisciplinarité, de l’accent mis sur la collaboration dans le cadre de projets créatifs ou autres, d’une plus grande place accordée à l’oral, de l’apprentissage plus précoce des langues vivantes, offriront aux élèves autant de plus-values qui leur serviront dans le monde professionnel.

La réforme du brevet, qui, elle aussi, entre en vigueur cette année, leur en offrira d’autres.

Ainsi, l’examen prévoit désormais une épreuve orale. Nous savons très bien, en effet, qu’à l’heure actuelle on vous jugera non pas sur la beauté de votre curriculum vitae ou de votre lettre de motivation, mais bien sur votre entretien d’embauche.

Donc, nous avons déjà remis de la cohérence dans la scolarité, et c’est une première réponse à ce besoin d’un parcours menant vers l’insertion professionnelle.

À cela, s’ajoute la construction de l’orientation.

Jusqu’à présent, les élèves – pour résumer – devaient attendre la classe de troisième, donc la fin du collège, pour acquérir leur première expérience professionnelle. Ils le faisaient à travers un stage, et quel stage ! Tous ne parvenaient pas à trouver un lieu d’accueil avec la même facilité et, là encore, il y avait, selon les cas, le stage choisi et le stage subi, voire pas de stage.

Qu’avons-nous changé depuis notre arrivée aux responsabilités ? Quel dispositif avons-nous mis en place, qu’il faut sans doute encore améliorer ? Le parcours Avenir !

Ce parcours, qui commence désormais non pas en troisième, mais en sixième, consiste à offrir régulièrement aux collégiens, pendant toute leur scolarité, des expériences du monde professionnel sous formes très diverses : visites d’entreprise, réception d’entrepreneurs et de chefs d’entreprise dans la classe, création de mini-entreprises permettant d’expérimenter le développement de projet ou la réalisation d’études de marché, etc. Ce type d’activités, grâce au parcours Avenir, fera partie du quotidien des élèves, et ce dès la classe de sixième.

Dans votre rapport, vous estimez qu’il faut prévoir un horaire dédié à l’orientation. Notre préférence va pourtant clairement à ce parcours Avenir, parce qu’il est conçu comme une ouverture culturelle, en articulation avec des contenus disciplinaires. Par exemple, on peut recevoir un chercheur à l’occasion d’un cours de sciences pour qu’il explique à quoi ressemble le monde de la recherche quand on aime les sciences et que l’on veut atteindre l’excellence ; ou bien, pendant le cours d’anglais, on peut faire une expérience de pratique de la langue anglaise en lien avec le monde professionnel.

Nous défendons ainsi l’idée que l’insertion professionnelle vienne « mailler » l’ensemble des enseignements disciplinaires et enrichir les représentations des métiers et des formations pour tous les élèves.

Dans ce parcours Avenir, les conseillers d’orientation-psychologues, que vous avez évoqués, jouent aussi un rôle important. Il faut, à ce sujet, cesser d’opposer le conseiller d’orientation tourné vers l’insertion professionnelle des jeunes et le conseiller d’orientation-psychologue. En effet, il existe bien une psychologie de l’orientation, qui consiste à aider le jeune à faire le lien entre ce qu’il est et ce qu’il veut devenir dans le monde tel qu’il est. Cette dimension doit être reconnue et la création d’un corps unique de psychologues de l’éducation nationale – PsyEN–, de la maternelle au lycée, va clairement dans ce sens ; je vous confirme qu’elle entrera en vigueur cette année. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, participeront à cette nouvelle formation, afin que ces personnels intègrent pleinement les équipes éducatives.

Vous le voyez, avec le parcours Avenir et la réforme de l’ensemble de la scolarité obligatoire, nous aurons en réalité inscrit l’orientation dans un processus progressif, cohérent, continu, qui ne se résume plus à un choix réalisé lors de la troisième, ou à une découverte trop sommaire du monde professionnel.

Notre action en faveur d’une orientation progressive et choisie se déploie aussi par des mesures concrètes concernant certains moments charnières que vous avez relevés dans votre rapport : le passage de la troisième à la seconde, ou celui du lycée à l’enseignement supérieur.

Parlons du premier de ces passages. Chaque orateur s’est exprimé sur l’orientation subie, qui est insupportable et explique bien des décrochages. Je ne m’attarderai pas sur ce sujet : nous avons tous rencontré des jeunes qui nous ont expliqué leur frustration, dix ans après, d’avoir dû arrêter leurs études parce qu’ils avaient été mal orientés…

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. … et n’avaient pas trouvé de passerelles à leur disposition.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. On remarque malgré tout que ces jeunes sont souvent passés par l’enseignement professionnel.

Disons donc les choses clairement : trop souvent, l’enseignement professionnel est considéré, y compris par ceux qui orientent, comme une voie de relégation de jeunes qui rencontrent des difficultés scolaires. Ce n’est pas normal, ce n’est pas pour cela que l’enseignement professionnel a été conçu il y a trente ans, ce n’est pas comme cela que nous le voyons et que nous voulons le valoriser !

Pour remédier à cette situation, qui peut encore exister, parce que les représentations culturelles ont la vie dure, nous avons, à l’occasion de cette rentrée scolaire, pris une décision importante qui est passée inaperçue des médias, comme c’est souvent le cas des décisions qui comptent véritablement. Je vais donc prendre le temps de vous l’exposer.

Pour la première fois, les élèves de seconde professionnelle, qu’ils aient choisi cette orientation ou qu’ils y aient été incités à la choisir, ont la possibilité de changer d’orientation jusqu’aux vacances de la Toussaint. S’ils considèrent, après quelques jours ou quelques semaines, que cet environnement n’est pas fait pour eux et ne leur convient pas, ils peuvent demander à changer d’orientation, soit pour rejoindre une autre filière de l’enseignement professionnel, soit pour aller dans l’enseignement général ou technologique. (Mme Vivette Lopez s’exclame.)

C’est une véritable nouveauté qui se concrétise, puisque vous vous êtes intéressés au sujet, par l’ouverture d’un « troisième tour » sur l’application Affelnet aux vacances de la Toussaint. Ce changement d’orientation s’effectue bien évidemment en concertation avec l’équipe pédagogique. Il s’agit d’une innovation très importante, car elle devrait permettre d’éviter que ces élèves n’aient le sentiment d’avoir subi leur orientation.

L’autre moment charnière est le passage de l’enseignement scolaire à l’enseignement supérieur. Parler d’orientation à ce moment conduit trop souvent à parler beaucoup de la plateforme d’admission post-bac, ou APB, même si, je le répète, APB n’est pas et ne doit pas être un outil d’orientation. Il s’agit d’un outil dédié à l’expression des vœux, qui est la dernière étape de l’orientation.

L’orientation, le projet d’entrée dans l’enseignement supérieur doit se construire bien en amont, et non pas au moment où le lycéen saisit ses vœux, au deuxième ou au troisième trimestre de l’année de terminale.

Il doit être élaboré, d’une part, grâce à la découverte des métiers et à l’élaboration de son projet professionnel par l’élève et, d’autre part, avec la découverte de l’offre de l’enseignement supérieur. Concrètement, c’est désormais dès la classe de première que le conseil en orientation doit trouver sa place, comme nous le faisons de plus en plus.

Bien sûr, APB est un outil souvent perçu comme complexe,…

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. … beaucoup plus par les parents, d’ailleurs, que par les jeunes eux-mêmes, qui se déclarent très satisfaits lorsqu’ils sont interrogés.

Il est donc nécessaire que l’apprentissage de la maîtrise de cet outil soit également anticipé et son fonctionnement bien présenté au sein du lycée. Ce dernier point vaut autant pour les élèves, dès la classe de première, que pour les équipes pédagogiques, afin que les enseignants puissent aider leurs élèves au quotidien.

Pendant l’année scolaire 2015–2016, à ma demande, une expérimentation portant sur l’accompagnement rapproché des lycéens a été menée dans cinq académies. Les équipes pédagogiques des lycées devaient se concentrer sur les lycéens repérés comme ayant formulé des choix d’orientation problématiques par rapport à leur profil ou à leurs chances de réussite dans la filière visée. Ces jeunes ont bénéficié d’un accompagnement beaucoup plus personnalisé : ils ont pu notamment être reçus par les enseignants pour pallier leur connaissance défaillante des réalités des filières du supérieur.

Cette expérimentation a donné des résultats assez extraordinaires, c’est pourquoi nous la généralisons cette année. C’est l’occasion pour moi de préciser – je suis sans doute un peu brouillonne, mais tous les sujets se tiennent – que nous sommes tous contre le tirage au sort dans l’enseignement supérieur, c’est une évidence, car cette pratique nous heurte tous.

Entre la rentrée universitaire de l’an dernier et celle de cette année, nous avons réussi à réduire de 60 % le nombre de filières qui recourent au tirage au sort. Nous l’avons fait notamment grâce à l’information en amont dispensée auprès des élèves de terminale, avant la saisie de leurs vœux dans APB, sur leurs chances de succès, les capacités d’insertion professionnelle offertes par les filières, etc. Il faudra poursuivre dans cette voie.

En même temps, nous agissons aussi pour favoriser un parcours cohérent entre le lycée et l’enseignement supérieur. Je reprendrai l’exemple des bacheliers professionnels, parce qu’ils constituent un sujet à part entière, dans la mesure où personne ne peut se satisfaire que leur taux de réussite en licence soit seulement de 3 %, même si l’on ne peut que se réjouir de leur aspiration à poursuivre des études supérieures. Ici encore, agir pour l’orientation, c’est tenir compte de la singularité des voies et des filières.

Les lycéens professionnels sont les seuls bacheliers à être formés en alternance. Il est donc logique qu’ils puissent aussi poursuivre leurs études supérieures en alternance, puisque cette modalité constitue leur plus-value, qu’ils y sont habitués et qu’elle leur convient. Autrement dit, il est très important que les bacheliers professionnels trouvent des places en BTS, puisque c’est dans cette filière que leur taux de réussite est le plus élevé, de huit à dix fois supérieur à celui qui est observé en première année de licence.

Nous avons donc décidé, premièrement, d’instaurer des quotas de places réservées aux bacheliers professionnels en BTS et, deuxièmement, de créer 10 000 places nouvelles en BTS sur les cinq ans qui viennent, à raison de 2 000 places par an à partir de 2017. Ainsi, les bacheliers professionnels pourront poursuivre leurs études de manière cohérente et y connaître eux aussi le succès.

Nous agissons donc, vous le voyez, sur l’orientation scolaire en recourant à des leviers qui lui sont spécifiques, mais nous agissons aussi à une échelle plus large, en impliquant l’ensemble des acteurs jouant un rôle dans l’orientation.

Concernant les acteurs institutionnels, vous évoquez dans votre rapport un objectif de clarification et de rationalisation de leur organisation. L’idée est très juste et nous avons commencé à l’appliquer.

Aujourd’hui, l’État définit et met en œuvre au niveau national la politique d’information et d’orientation des jeunes dans les établissements scolaires et d’enseignement supérieur. Les centres d’information et d’orientation, les CIO, l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, et les services communs universitaires d’information et d’orientation, les SCUIO, viennent appuyer l’État dans la mise en œuvre de cette politique.

De son côté, la région organise le service public régional de l’orientation tout au long de la vie, le SPRO, et coordonne sur son territoire les actions des autres organismes qui y concourent en direction des publics jeunes et adultes.

Vouloir ouvrir à nouveau, comme vous le suggérez, le débat sur le transfert des CIO aux régions me paraît contre-productif. Nous sortons à peine d’une période difficile : les départements se sont désengagés des CIO et l’État a fait ce qu’il a pu pour remédier à cette situation. On entretiendrait ainsi des inquiétudes qui ont pu légitimement s’exprimer et qui se sont apaisées maintenant. Il me semble donc préférable d’en rester à la situation actuelle. Les conseillers d’orientation-psychologues sont et restent des personnels de l’État comme la loi du 5 mars 2014 le réaffirme. Par ailleurs, cette situation est d’ailleurs favorable à l’élaboration de partenariats et complémentarités entre l’État et les collectivités.

Cela étant dit, je suis d’accord avec l’idée que le SPRO, tel qu’il a été construit par la loi, n’est pas pris en main de la même façon par toutes les régions. Beaucoup de travail reste à faire sur ce sujet.

Nous associons aussi davantage les parents, autres acteurs importants, au processus d’orientation, et nous le faisons avec plus de transparence. Votre rapport le précise à juste titre, la confusion entre le processus d’orientation et l’affectation est fréquente chez les parents. C’est pourquoi il est très important d’expliquer ces procédures d’orientation et d’affectation aux familles et de les accompagner dans la formulation des vœux de leurs enfants. C’est un enjeu dont nous nous sommes emparés.

À ce sujet, je comprends la demande de transparence des procédures d’affectation qui s’incarnent dans des outils APB et Affelnet : comme vous le savez, nous avons publié l’algorithme qui, dans APB, propose des affectations au recteur lorsque le nombre de candidats dépasse la capacité d’une filière non sélective. Concernant Affelnet, dans le cadre du nouveau système d’évaluation des acquis des élèves à l’école et au collège, sachez que nous travaillons à un cadrage national qui harmonise les pratiques et les critères entre les académies, ce qui permettra de répondre à un certain nombre d’interrogations légitimes.

Enfin, je veux souligner que le principe de coéducation parents-enseignants, qui était au cœur de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, nous a conduits à mener une expérimentation consistant à donner à la famille le dernier mot sur le choix de la voie d’orientation de son enfant. À ce jour, 445 établissements répartis dans 20 académies sont impliqués dans l’expérimentation de ce choix ouvert aux familles, qui sont de plus en plus nombreuses à souhaiter pouvoir y accéder.

Les premières observations des résultats de cette expérimentation ont montré que l’orientation était davantage préparée, que l’association de la famille contribuait à nourrir un dialogue centré sur le projet de l’élève et que les choix d’orientation des élèves étaient pris en compte bien avant la fin de la troisième. Nous incitons donc d’autres établissements et d’autres académies à mettre en œuvre cette méthode.

Enfin, je veux parler d’un autre partenaire essentiel pour la réussite de l’orientation, à savoir le monde professionnel. Vous me donnez l’occasion ce soir, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous dire à quel point je suis attachée aux relations entre l’école et les entreprises.

Peut-être l’ignorez-vous, j’ai créé des pôles de stage dans chaque bassin d’emploi. Ils visent précisément à répondre aux difficultés rencontrées par les jeunes qui n’arrivent pas à trouver de stage, lorsqu’ils sont en troisième ou en lycée professionnel. Dans chaque bassin d’emploi, nous avons donc créé une structure, appelée « pôle de stage » – il en existe aujourd’hui 330 –, qui a vocation à trouver un stage pour chaque jeune dont la recherche est restée infructueuse. Pour y parvenir, chaque pôle recourt à un réseau d’entreprises de son bassin d’emploi avec lesquelles il a l’habitude de travailler et de communiquer.

Autre exemple – cela devrait vous plaire –, j’ai décidé d’inscrire un stage obligatoire en entreprise dans la formation statutaire des chefs d’établissement.

Enfin, nous avons aussi généralisé l’accès au stage en entreprise pour tous les professionnels de l’éducation nationale, ce qui demande un important travail de mobilisation de nos partenaires.

Dernière idée qu’il faut avoir à l’esprit lorsque l’on envisage le lien entre l’école et l’entreprise, de plus en plus de candidats aux concours de l’enseignement effectuent une reconversion professionnelle. Ainsi, pour de plus en plus de nouveaux enseignants, la réussite au concours ne prélude pas à leur première expérience professionnelle, parce qu’ils ont déjà une vie active derrière eux.

J’insiste sur ce phénomène assez nouveau qui est évidemment lié au retour de la formation initiale et à la création des ESPE. Bien entendu, lorsque la formation initiale a été supprimée, rares étaient ceux qui acceptaient d’affronter une classe sans formation préalable, comme des frites jetées dans l’huile bouillante.

M. Jacques-Bernard Magner. Effectivement !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Maintenant que cette formation a été rétablie, les candidats sont de plus en plus nombreux et le fait qu’ils aient déjà une expérience professionnelle contribue à améliorer les relations entre le monde de l’entreprise et le monde éducatif.

M. Guy-Dominique Kennel. « Ça va mieux ! »

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Après vous avoir dit tout le bien que je pense du resserrement des relations entre l’école et l’entreprise, j’ajoute qu’il faut que la sensibilisation soit mutuelle. Les entreprises ont aussi un rôle social à jouer et, si elles souhaitent que les élèves les connaissent mieux, elles doivent aussi accepter de se mobiliser pour les accueillir en stage, en troisième ou au lycée professionnel, ou encore en contrat d’apprentissage.

Sur un sujet aussi important, il y aurait encore, vous vous en doutez, bien des choses à dire. J’aborderai cependant deux points avant de conclure.

Tout d’abord, je suis très heureuse de vous avoir tous entendus évoquer la réforme du master qui me tient tant à cœur. Certains d’entre vous se sont légèrement moqués de moi en scandant les mots « accord historique », mais il s’agit bien d’un accord historique, monsieur Grosperrin !

M. Jacques Grosperrin. On l’attendait depuis treize ans !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Quatorze ans, même ! Je sais que vous allez en discuter dans une semaine, je ne m’attarderai donc pas plus longtemps. Quoi qu’il en soit, il serait formidable que ce texte soit adopté, car il organise de façon beaucoup plus claire et sécurisante pour chaque acteur les études dans l’enseignement supérieur.

Certes, l’étudiant n’aura pas l’assurance d’être toujours accepté dans le master de son choix, mais quand il aura été admis en M1, il pourra continuer en M2, ce qui, de manière incompréhensible, n’était pas garanti jusqu’à présent. Cette clarification, le droit à la poursuite des études que vous avez évoqué à juste titre, représente une solution équilibrée et je vous remercie donc par avance de voter ce texte.

Ensuite, je souhaite aborder un sujet qui me chiffonne : les chiffres du décrochage. Ce phénomène est évoqué comme une fatalité depuis si longtemps que l’on finit par négliger les bonnes nouvelles, et je vous invite à les marteler autour de vous.

Le chiffre des jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans qualification est passé de 140 000 à 110 000 – encore s’agit-il des chiffres de novembre 2015, j’en annoncerai de nouveaux le mois prochain.

Mme Vivette Lopez. Ça, c’est sûr !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Ces chiffres concernent le flux. Quant au stock, c’est-à-dire le nombre de jeunes de moins de vingt-cinq ans sortis du système scolaire sans aucune solution, il est passé de 620 000 – chiffre cité précédemment – à 492 000. Ce résultat n’est pas encore idéal, mais il est source d’espoir.

M. Jacques-Bernard Magner. Encore cinq ans ! (Sourires.)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je suis très heureuse, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, qu’un travail aussi considérable ait pu être mené dans votre Haute Assemblée. En effet, comme je l’ai dit dans mon propos introductif, la question de l’orientation et de l’insertion professionnelle des jeunes ne relève pas uniquement de la responsabilité de l’école, elle relève de toute la société et c’est bien le message que vous avez fait passer ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde et M. Claude Kern applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la mission d’information de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur l’orientation scolaire.

15

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 19 octobre 2016 :

À quatorze heures : débat sur les conclusions de la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France.

À seize heures quinze : déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur les opérations extérieures de la France, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

À dix-huit heures trente : débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016.

Le soir : débat sur les conclusions du rapport d’information Eau : urgence déclarée et sur les conclusions du rapport d’information sur le bilan de l’application de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (nos 616 et 807, 2015-2016).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 19 octobre 2016, à zéro heure dix.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD