Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. On ne peut pas à la fois vouloir un État fort, la restauration de la capacité de l’État à manœuvrer et demander, sur tous les décrets que l’État prend sur des sujets importants – et Dieu sait qu’il est des matières importantes qui relèvent du domaine du décret –, un vote de l’Assemblée nationale et du Sénat. Si telle est votre demande, je suis désolé d’assumer avec la représentation nationale un désaccord.

Le contrôle du Gouvernement par le Parlement est fondamental, comme la prise en compte par l’exécutif des avis des autorités administratives indépendantes. Le Gouvernement doit, sur les sujets les plus difficiles, être capable de modifier sa copie en écoutant tous ceux qui peuvent lui prodiguer des conseils. Cependant, j’estime que le Gouvernement ne doit pas se dépouiller de toutes ses prérogatives réglementaires en soumettant tout le pouvoir réglementaire au vote, sans même que ces éléments soient inscrits dans la loi, car dans ce cas, la configuration institutionnelle serait différente. Je ne crois pas que l’efficacité de l’État s’en trouverait grandie.

Il est un autre point sur lequel je voudrais insister.

J’entends dire qu’aucun pays, hormis la France, n’aurait une base centralisée. Ce n’est pas vrai. J’ai ici une liste de pays qui ont des bases centralisées pour les passeports. On pense qu’ils n’ont pas de bases centralisées parce qu’ils ont des documents à puce. Or ce n’est pas vrai : ils ont des bases centralisées et des puces ! En effet, monsieur Malhuret, lorsque le document à puce est perdu, si l’on veut pouvoir en assurer le renouvellement dans des conditions de sécurité et de simplification pour l’usager, il faut aussi une base. Les Pays-Bas, l’Espagne, le Portugal, la Finlande, les pays baltes – très modernes sur le plan numérique – et le Danemark ont tous des documents d’identité à puce et une base pour les passeports. Et cette liste n’est pas exhaustive.

Ces pays ont exactement le même dispositif que celui de la France, arrêté en 2008, et compte tenu des discussions sur la biométrie en Europe, je n’exclus pas du tout que, pour la sécurisation de leurs documents d’identité, hors passeport – tous n’ont pas de cartes d’identité –, ils soient obligés d’évoluer dans la direction que nous nous sommes fixée. Par conséquent, je le répète, s’imaginer que la puce exclut la base n’est absolument pas vrai. En cas de perte du document, il est bien difficile de le reconstituer sans base numérique.

M. Claude Malhuret. Ce n’est pas la même base !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est une base centralisée. Si le problème philosophique est celui de la centralisation de données biométriques dans une base, je vous indique que notre pays n’est pas le seul en Europe à avoir mis en œuvre ce dispositif pour les passeports. Affirmer le contraire n’est pas vrai.

Je voudrais évoquer un dernier point qui me paraît très important.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez bien compris l’état d’esprit qui est le mien. Nous avons engagé une réforme destinée à sécuriser des titres et à simplifier des procédures. Il y a des interrogations : notre disponibilité est totale pour y répondre. Mais soyons vigilants : le contexte actuel – ce qui s’est passé à l’occasion d’élections récentes le montre – de remise en cause et de suspicion constante à l’égard de l’État et de ceux qui en exercent la responsabilité finit par créer un climat épouvantable où la réalité devient secondaire dans les débats dont on parle et aussi dans les faits. J’ai été très heureux de constater que, lors de notre débat, nous ne nous sommes pas déconnectés de la réalité : c’est bien sur les sujets dont il est question que nous avons débattu, dans un climat où on demande des comptes à l’État sans avoir systématique à son encontre une suspicion.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’État n’est pas le seul à détenir des données. (Effectivement ! sur plusieurs travées.) De nombreux acteurs détiennent des données très importantes, avec des traces multiples, et sur lesquels ne s’exerce aucun contrôle ; ce sont généralement ceux qui sont les plus enclins à demander que l’on contrôle l’activité de l’État, comme par hasard… (M. Bruno Retailleau s’exclame.) Cela n’exonère de rien, et je ne dis pas cela pour m’exonérer de la responsabilité qui est la mienne en matière de comptes rendus au Parlement et aux institutions multiples lorsqu’il s’agit de sujets aussi sérieux. Mais j’aimerais que ceux qui contribuent à agiter tous les lobbies lorsqu’il s’agit de ces questions s’interrogent au sujet de la traçabilité et des éléments de contrôle que nous détenons sur d’autres acteurs non étatiques auxquels on ne demande aucun compte.

M. François Bonhomme. Et les droits de l’homme !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est tout ce que je dis. Cette question n’est ni limitée ni résiduelle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je renouvelle mes remerciements pour la qualité de ce débat, et je redis la totale disponibilité du Gouvernement pour approfondir les questions que nous avons évoquées ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe ainsi que MM. Pierre-Yves Collombat et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat portant sur le décret du 28 octobre 2016 autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d’identité.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

6

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le 15 novembre 2016, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés, de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Le texte de la saisine est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

7

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour un rappel au règlement.

M. Didier Guillaume. Je tiens à vous faire part de notre grand étonnement et de notre consternation. Oui, nous sommes consternés par ce qui s’est passé ce matin en commission des finances, après que la majorité sénatoriale a souhaité déposer une motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi de finances.

Dans le contexte politique actuel, alors que la politique est parfois balayée, les élus critiqués (Mme Françoise Férat s’exclame.), nous devons assumer notre devoir de débattre du budget. Que le budget soit rejeté par la majorité sénatoriale, c’est une chose. Mais qui comprendra que nous n’abordions pas une seule ligne de ce budget, alors que 80 à 90 sénateurs et sénatrices ont rédigé des rapports dont certains ont été votés par la commission des finances ou par d’autres commissions ?

J’entends bien nos divergences et la position de la majorité sénatoriale estimant que, ce budget n’étant pas sincère, étant électoral, nous ne pouvons pas l’aborder. Mais la majorité sénatoriale aurait dû nous dire dans le cadre de ce débat : sur tel sujet, je ne suis pas favorable, je veux plus de ceci, moins de cela, augmenter tel budget, réduire tel autre. Cela aurait été, me semble-t-il, de la clarté politique.

Mais démissionner ainsi sans rien faire, abandonner, refuser d’aborder dans l’hémicycle le débat, ne serait-ce que les recettes, comme vous l’aviez fait en 2013 – vous aviez rejeté la première partie et nous n’avions donc pas abordé la seconde partie –, en renvoyant les sénateurs, à partir du 24 novembre, à des discussions et des échanges au cours desquels nous n’aborderons jamais au fond le budget de la nation alors que c’est un acte essentiel,…

M. Roland Courteau. Tout à fait !

Un sénateur du groupe socialiste et républicain. C’est grave !

M. Didier Guillaume. … nous semble vraiment une faute politique.

M. Didier Guillaume. Notre groupe tenait à le souligner !

Nous sommes consternés de voir que, à sept mois de l’élection présidentielle, le Sénat de la République n’abordera pas le budget. J’espère qu’en agissant ainsi le Sénat ne se tire pas une balle dans le pied (Oh ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), car cela pourrait être interprété par les observateurs et ceux qui veulent supprimer notre assemblée comme un signe négatif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Hermeline Malherbe et Corinne Bouchoux applaudissent également.)

M. le président. Monsieur Guillaume, acte vous est donné de votre rappel au règlement.

Mes chers collègues, je vous indique que tous les groupes pourront intervenir lors de la conférence des présidents, qui se tiendra ce soir, à dix-huit heures.

M. Éric Doligé. Je demande la parole.

M. le président. Monsieur Doligé, je vous la donne à titre exceptionnel, car nous n’allons pas multiplier les rappels au règlement sur ce point.

M. Éric Doligé. Je souhaite faire un bref rappel au règlement. La commission des finances est réunie en ce moment et, de ses membres, seuls sont en séance le président du groupe socialiste et moi-même.

Monsieur Guillaume, je regrette que vous ayez fait votre rappel au règlement en l’absence de la plupart des membres de la commission des finances et de son rapporteur général. Vous avez choisi un moment où ils ne peuvent vous répondre.

M. Alain Néri. C’est vous qui êtes responsables de cette situation : les commissions ne devraient pas se réunir en même temps que la séance publique !

M. Éric Doligé. Ce matin, en commission des finances, nous avons expliqué toutes les raisons pour lesquelles nous souhaitions déposer cette motion tendant à opposer la question préalable. Vous aurez la réponse demain lorsque la conférence des présidents se sera réunie et aura fixé un nouvel ordre du jour pour l’organisation de nos débats. Je regrette que vous ayez anticipé ce moment. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Alain Néri. On a tort d’avoir raison trop tôt !

M. le président. Acte vous est également donné de votre rappel au règlement, monsieur Doligé.

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Article additionnel après l’article 9 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017
Troisième partie

Financement de la sécurité sociale pour 2017

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017
Article 10

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2017 (projet n° 106, rapport n° 114 [tomes I à VIII], avis n° 108).

Nous en sommes parvenus, au sein du chapitre Ier du titre Ier de la troisième partie, à l’article 10.

TROISIÈME PARTIE (suite)

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RECETTES ET À L’ÉQUILIBRE FINANCIER DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR L’EXERCICE 2017

Titre Ier (suite)

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RECETTES, AU RECOUVREMENT ET À LA TRÉSORERIE

Chapitre Ier (suite)

Mesures de simplification et de modernisation des prélèvements sociaux

Troisième partie
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017
Article additionnel après l’article 10 (début)

Article 10

I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° L’article L. 613-1 est ainsi modifié :

a) Le 8° est ainsi rédigé :

« 8° Les personnes, autres que celles mentionnées au 7° du présent article, dont les recettes tirées de la location directe ou indirecte de locaux d’habitation meublés sont supérieures au seuil mentionné au 2° du 2 du IV de l’article 155 du code général des impôts, lorsque ces locaux sont loués à une clientèle y effectuant un séjour à la journée, à la semaine ou au mois et n’y élisant pas domicile ou lorsque ces personnes remplissent les conditions mentionnées au 1° du même IV ; »

b) Il est ajouté un 9° ainsi rédigé :

« 9° Les personnes exerçant une activité de location directe ou indirecte de biens meubles mentionnée au 4° de l’article L. 110-1 du code de commerce et dont les recettes annuelles tirées de cette activité sont supérieures à 20 % du montant annuel du plafond mentionné à l’article L. 241-3 du présent code. » ;

2° La section 2 bis du chapitre III bis du titre III du livre Ier est complétée par un article L. 133-6-7-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 133-6-7-3. – Les travailleurs indépendants exerçant leur activité par l’intermédiaire d’une personne dont l’activité consiste à mettre en relation par voie électronique plusieurs parties en vue de la vente d’un bien ou de la fourniture d’un service peuvent autoriser par mandat cette personne à réaliser par voie dématérialisée les démarches déclaratives de début d’activité auprès du centre de formalités des entreprises compétent conformément aux dispositions du code de commerce.

« Lorsqu’ils relèvent de l’article L. 133-6-8, les travailleurs indépendants peuvent autoriser par mandat la personne mentionnée au premier alinéa du présent article à procéder à la déclaration du chiffre d’affaires ou de recettes réalisés au titre de cette activité par son intermédiaire ainsi qu’au paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale dues à compter de leur affiliation, au titre des périodes correspondant à l’exercice de cette activité, auprès des organismes de recouvrement concernés.

« Dans ce cas, les cotisations et contributions de sécurité sociale dues sont prélevées par la personne mentionnée au même premier alinéa sur le montant des transactions effectuées par son intermédiaire. Ce paiement vaut acquit des cotisations et contributions de sécurité sociale par ces travailleurs indépendants. »

II. – Le 2° du I du présent article entre en vigueur le 1er janvier 2018.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tout d’abord, je voudrais insister sur le fait que le développement des plateformes de location de biens meubles ou immeubles est souvent la conséquence de salaires et de retraites insuffisants qui imposent à nos concitoyens de rechercher des revenus complémentaires.

Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez vous-même rappelé devant nos collègues députés, le revenu moyen généré par Airbnb en France s’élève à 300 euros par mois, soit 3 600 euros par an, tandis que celui d’un chauffeur UberPop, avant la suspension du service le 3 juillet 2015, était de 8 200 euros par an.

Les revenus complémentaires tirés des plateformes collaboratives doivent être soumis à l’imposition. Mais exiger l’affiliation au régime social des travailleurs indépendants et la soumission à cotisations de ces particuliers pose question.

L’Assemblée nationale a retenu un critère unique d’affiliation, qui est le dépassement d’un seuil de recettes établi à 23 000 euros annuels pour les locations immobilières et 7 723 euros par an pour les locations mobilières.

Pour notre part, nous aurions tendance à penser que 2 000 euros par mois sur un meublé, c’est une activité commerciale, tandis que 600 euros par mois reste un revenu de complément.

Les différents amendements qui ont pour objet soit d’unifier le seuil, soit de diminuer le seuil, à partir duquel l’affiliation au régime sociale des indépendants, le RSI, deviendrait obligatoire démontrent que, derrière la difficulté de la définition des règles d’affiliation, nous sommes d’accord pour soumettre ces revenus à contribution sociale ; nous nous en félicitons.

Cependant, nous pensons que la priorité devrait être de soumettre à contribution les plateformes dites « collaboratives » avant de concerner les particuliers qui, selon nous, sont plus des salariés de ces plateformes.

Mme Laurence Cohen. Pour l’ensemble de ces raisons, nous nous abstiendrons sur ces amendements et sur cet article, même si, sur le fond, vous l’avez compris, nous sommes d’accord pour aller dans le sens de ce qui est préconisé.

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaiterais formuler quelques considérations très simples.

L’économie collaborative se développe, c’est une évolution de la société, c’est dans l’air du temps. Il s’agit d’un phénomène nouveau qui se présente à nous, et comme tout phénomène nouveau qui n’est pas encadré ou pas encore encadré, il est ou peut être sujet à dérives.

Certaines activités, par les revenus générés, relèvent plus du caractère professionnel que de pratiques occasionnelles. Une concurrence déloyale peut s’établir ou s’établit – je pense particulièrement à la location de meublés de tourisme – avec des professionnels, qui, eux, sont soumis aux règles habituelles et à des charges sociales.

Mettre un début d’ordre dans toutes ces activités, ce n’est pas combattre le dispositif. Un début d’encadrement, de régulation, avant que la machine s’emballe, qu’elle soit préjudiciable à des pans entiers de l’économie existante et à l’économie touristique en particulier, est indispensable.

Ces risques existent aujourd’hui. Voilà pourquoi le Gouvernement a souhaité légiférer. C’est une juste décision que nous approuvons. Par conséquent, nous ne voterons pas les amendements de suppression de cet article. Nous proposerons en revanche, un amendement de modification de seuil concernant les biens meubles.

M. le président. L'amendement n° 397 rectifié bis, présenté par MM. Lemoyne, Bouvard, Charon et Danesi, Mme Deromedi, MM. Frassa et Gremillet, Mme Gruny, MM. Houpert, Husson, Kennel, Lefèvre et de Legge, Mmes Lopez et Morhet-Richaud, MM. Mouiller et Panunzi, Mme Procaccia et MM. de Raincourt et Vasselle, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Comme l’ont exposé à juste titre mes collègues, avec cet article ayant trait aux nouvelles formes de l’économie collaborative, il semble que l’on prenne des dispositions très rapidement, avant même d’en connaître l’impact réel. S’il convient de lutter contre les abus, nous allons trop vite en besogne, en voulant assujettir un certain nombre de personnes au RSI, qui, quoi qu’on en dise, n’est pas un modèle en termes de facilité.

En effet, les dispositions de cet article 10 risquent de conduire à une taxation systématique de ces activités. Les particuliers louant leurs biens deviendront, avec les seuils prévus dans cet article, des travailleurs assujettis à des cotisations sociales. Ceux de mes collègues qui vivent en milieu rural insistent sur les incidences également importantes que pourraient entraîner ces règles dans ce secteur.

En outre, du point de vue de la concurrence déloyale des hôtels, je ne crois pas que les clients potentiels de ces plateformes désireux de retenir des appartements répondant à certains critères précis puissent trouver ceux-ci dans l’hôtellerie. Les hôteliers devraient proposer des services plus personnalisés et plus pratiques.

Pour toutes ces raisons, nous proposons de supprimer l’article 10.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je voudrais rappeler à Mme Procaccia qu’il s’agit non pas de soumettre à cotisations sociales des activités qui auraient jusqu’à présent été exonérées, mais de clarifier la frontière entre revenus du patrimoine et activités professionnelles. On ne peut pas laisser cette économie se développer en dehors de toute règle,ou en dehors des règles qui s’appliquent déjà à ces mêmes activités sur d’autres supports.

Cet amendement étant contraire à celui qui a été présenté par la commission, celle-ci émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Je remercie tout d’abord les différents orateurs, car j’ai constaté au Sénat une volonté partagée, voire un consensus en la matière. En effet, à côté du développement très rapide d’un pan de l’économie, puisque des études montrent que les chiffres d’affaires dans les cinq à dix prochaines années vont exploser pour ces formes d’économie, chacun reconnaît qu’il faut examiner et considérer attentivement ces nouvelles activités. Celles-ci ne doivent pas constituer une sorte de ligne de fuite et de concurrence déloyale (Mme Nicole Bricq s’exclame.), le mot est sans doute un peu fort.

Madame la sénatrice, vous avez entendu comme moi les déclarations de l’UMIH ou de la FNAIM, vous avez entendu les représentants d’un certain nombre de professions. Ils rappellent qu’ils sont installés, qu’ils payent des contributions sous forme d’impôts – ce n’est pas notre sujet aujourd’hui – et sous forme de cotisations sociales et qu’ils subissent cette concurrence. Certes, vous avez raison, madame Procaccia, les services proposés diffèrent parfois, mais il s’agit assez souvent d’une forme de concurrence. Cela concerne les chambres d’hôtes, les gîtes ruraux, les hôtels, les loueurs professionnels de véhicules et beaucoup d’autres activités.

Monsieur le rapporteur général, vous avez raison, le Gouvernement entend préciser les choses de façon à faire appliquer des règles qui, il faut bien le dire, ne sont presque pas appliquées aujourd’hui.

Vous suggérez que nous nous intéressions également aux plateformes. C’est le cas, madame Cohen. Le Parlement a autorisé l’administration fiscale à demander des communications non nominatives. Nous sommes donc en mesure de demander à certaines plateformes quels sont leurs utilisateurs qui dépassent un certain niveau de revenu. Nous le faisons. Je n’en parlerai pas plus, mais, pour le dire pudiquement, des vérifications sont en cours.

Nous avons clarifié un point du texte en particulier concernant les locations immobilières : la distinction entre location occasionnelle et location régulière. Sur ce sujet, la doctrine et la jurisprudence étaient floues. Une mise en location deux mois par an tous les ans était ainsi considérée comme régulière, ce qui pose question. À l’inverse, une offre ponctuelle dans l’année était considérée comme occasionnelle.

Nous avons fait le choix de définir des seuils. La qualification d’activité professionnelle, donc assujettie à cotisations sociales, dépend ainsi de seuils, dont on peut débattre. Nous avons discuté avec des plateformes pour établir des moyennes. Il est vrai que dégager un revenu de 600 euros n’entraîne pas une obligation de s’affilier et de cotiser, c’est en dessous du seuil.

Par ailleurs, je me permets de le rappeler, la cotisation n’est pas seulement une charge, elle ouvre en effet des droits, notamment à retraite.

Nous entendons bien que certaines activités sont accessoires et nous considérons qu’elles le sont lorsque les revenus qu’elles engendrent restent inférieurs à certains seuils. Au-delà, elles prennent un caractère professionnel.

L’Assemblée nationale a proposé de les modifier, je me présente donc devant vous avec ces nouveaux seuils. Il me semble nécessaire que nous mettions en œuvre ces mesures alors que ces activités échappent aujourd’hui à toute régulation, ce qui pose un certain nombre de questions.

Nos états d’esprit sont proches, avec peut-être quelques différences. Le Gouvernement, vous l’avez compris, est évidemment défavorable à cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.

M. Philippe Mouiller. J’ai cosigné cet amendement. Au-delà du débat sur les seuils et la nécessité de préciser s’il s’agit de revenus du patrimoine ou non, je saisis cette occasion pour relever le drôle d’état d’esprit qui règne en France au sujet des nouvelles économies.

Nous sommes face à une économie nouvelle, une économie numérique, une économie collaborative. Comme dans tous les autres pays européens, nous devrions plutôt l’accompagner en nous posant des questions en matière de création d’emplois et d’investissements. Or notre seule préoccupation est d’imposer des normes, des contraintes, des taxes, de la fiscalité, des contributions. Le message est assez étonnant !

Certes, on nous parlera de justice sociale et de beaucoup de choses de ce genre, mais, d’une façon générale, nous aurions intérêt à regarder ce qui se passe ailleurs. Nous devrions modifier notre approche générale si nous voulons, à l’avenir, avoir un autre regard sur l’économie nouvelle. Il faut un peu de modernité dans tout cela. (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Kern applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Je m’associe aux propos de mes collègues Philippe Mouiller et Catherine Procaccia. L’amendement qu’ils proposent vise également à protéger l’investissement, notamment dans les gîtes ruraux.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le secrétaire d’État, cet article est pour le moins controversé. À l’Assemblée nationale, vous avez dû faire procéder à une deuxième délibération et trouver un accord avec le groupe majoritaire sur le seuil et sur les effets de bord possibles. Ceux-ci viennent d’être signalés par ma collègue concernant les gîtes ruraux, qui sont aujourd’hui très inquiets alors qu’ils se satisfaisaient de l’équilibre trouvé en 2012.

Vous nous avez dit en commission, mais également publiquement, qu’il ne s’agissait pas d’une mesure de rendement, mais d’une mesure de régulation. Le président Obama a une formule très imagée : quand on a un marteau dans la main, on tape forcément sur le clou ! Aujourd’hui, nous tapons sur un secteur qui est en train de se développer. Or je fais partie de ceux qui considèrent qu’il peut trouver sa place dans l’économie sociale et solidaire.

Au nom d’intérêts que je ne distingue pas bien, nous lui coupons les ailes. Il est vrai que le secteur est en croissance, il est possible qu’il donne lieu à des abus, certains sont avérés. Toutefois, on ne légifère pas pour l’exceptionnel, mais pour le général.

En outre, je crains qu’on ne légifère à l’envers. Mme Cohen a évoqué un vrai sujet : comment qualifier ces loueurs qui passent par des plateformes ? Sont-ils des salariés ou des indépendants ? Nous nous sommes posé la question lors de l’examen de la loi Travail. Nous avions alors essayé d’avancer, mais la majorité sénatoriale s’y était refusée.

Je crains que ces opérateurs ne soient pénalisés. En effet, en observant les dix dernières années, on comprend pourquoi cette économie collaborative correspond à un besoin à la fois en matière d’offre et de demande : depuis dix ans, le pouvoir d’achat a baissé en poids relatif et les acteurs cherchent à compenser.

Vous l’avez dit précédemment, et M. Vanlerenberghe l’a écrit dans son rapport : lorsque l’on paye une cotisation sociale, à la différence de l’impôt sur le revenu, on doit obtenir une contrepartie. Mais laquelle, s’agissant de loueurs qui exercent une autre activité, qui peuvent être salariés ou indépendants par ailleurs ? Vont-ils payer une cotisation sociale sans bénéficier de la contrepartie ? Quelque chose ne va pas ! Je considère qu’on légifère à la légère et je suis opposé à cette mesure.