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Dossier législatif : proposition de loi organique relative à l'élection des sénateurs
Discussion générale (suite)

Élection des sénateurs

Rejet d’une proposition de loi organique

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi organique relative à l’élection des sénateurs, présentée par M. André Gattolin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 744 [2017-2018], résultat des travaux de la commission n° 128, rapport n° 127).

Dans la discussion générale, la parole est à M. André Gattolin, auteur de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique relative à l'élection des sénateurs
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 7 rectifié

M. André Gattolin, auteur de la proposition de loi organique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en déposant cette proposition de loi organique, il y a quelques semaines, je n’imaginais pas un instant qu’elle susciterait autant de réactions, voire autant de passions.

J’entends bien la conviction profonde qui habite nombre d’entre vous et qui consiste à penser que, pour prétendre devenir sénateur, il conviendrait au préalable d’avoir exercé un mandat d’élu local.

M. François Bonhomme. Quelle horreur ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. André Gattolin. Notre Constitution qualifie en effet notre assemblée de « chambre des territoires », et tout au long de son histoire celle-ci s’est toujours posée en défenseur des collectivités locales. Sachez, mes chers collègues, que je respecte cette conviction et que je ne vise pas à la contester par ce texte.

Il ne s’agit ici que d’une proposition de loi visant à assurer la cohérence de notre droit interne au regard du droit désormais commun dans notre pays à toutes les élections.

Dans toutes les démocraties consolidées comme la nôtre, l’heure est en effet à l’universalité de plus en plus étendue de l’éligibilité concernant les fonctions sujettes à mandat électoral. C’est dans cet esprit, d’ailleurs, qu’en 2011 nous avons abaissé à dix-huit ans l’âge d’éligibilité à l’élection présidentielle, de même que celui de nos députés.

Cependant, nous nous doutons bien, au regard des attentes de nos concitoyens et de leurs pratiques de vote, que l’élection d’un Président de la République de moins de vingt-cinq ans a très peu de chance de se produire un jour.

Aussi, dans ce débat sur l’âge d’éligibilité, la logique et la raison doivent absolument l’emporter sur la conviction et sur l’émotion. Il faut donc bien veiller à ne pas confondre accès à un droit et effet produit par ce droit dans les faits. Être éligible et être élu représentent deux choses bien distinctes, même si, naturellement, pour être élu, il faut être éligible.

M. Stéphane Piednoir. Alors ce texte ne sert à rien !

M. André Gattolin. C’est le droit qui définit l’éligibilité, mais ce sont les électeurs qui choisissent les élus.

Mes chers collègues, c’est précisément votre esprit de logique et de cohérence – propre à votre fonction de législateur – que je sollicite en tentant de vous démontrer que le seuil de vingt-quatre ans, aujourd’hui en vigueur, est à la fois inéquitable, incohérent et in fine inutile.

Inéquitable, tout d’abord, car la règle actuellement en vigueur exclut de facto plus de 4 millions de jeunes âgés de dix-huit à vingt-quatre ans, dont certains sont des élus locaux ou des grands électeurs lors des élections sénatoriales. Dans mon bon département des Hauts-de-Seine, ils n’étaient pas moins de trente-huit dans cette situation lors du renouvellement sénatorial de l’an passé, grands électeurs, obligés de voter sous peine d’amende en cas de manquement, mais interdits de figurer sur une liste sénatoriale, même en position de suppléant.

L’existence d’un âge minimal d’éligibilité supérieur à l’âge de la majorité est injuste, voire dangereuse, car elle ouvre la voie par parallélisme à une possible fixation d’un âge maximal d’éligibilité. Ce n’est pas le cas en France, mais cela se pratique déjà dans certains pays, et non des moindres, comme le Canada, qui fixe un âge maximal d’exercice de la fonction de sénateur à soixante-quinze ans.

Ce seuil à vingt-quatre ans au Sénat est, par ailleurs, incohérent.

D’abord, il est incohérent au regard des règles générales d’éligibilité en vigueur lors de toutes les autres élections ouvrant droit à mandat public dans notre pays, et même pour la plupart des grandes fonctions de l’État : ministre, membre du Conseil constitutionnel ou encore, et dans un autre registre, membre du Conseil économique, social et environnemental.

Ensuite, il est incohérent au regard du corps électoral particulier amené à élire les sénateurs dans notre pays, puisque nous avions abaissé en 2004 à dix-huit ans l’âge d’éligibilité aux mandats municipaux, départementaux et régionaux.

À ce stade de notre réflexion, il serait intéressant, je crois, de nous pencher sur l’exemple de la Belgique et sur les conditions d’éligibilité en vigueur dans ce pays en matière d’élections sénatoriales.

Alors qu’en 1993 le Parlement belge avait déjà abaissé de quarante à vingt et un ans l’âge d’éligibilité au Sénat, une chambre désignée au suffrage universel indirect par les représentants des territoires qui composent la fédération, nos collègues belges ont en 2014 procédé à un nouvel abaissement de ce seuil à dix-huit ans.

Quelles sont les raisons invoquées pour justifier cette nouvelle réforme ? Dans leurs attendus, nos collègues belges ont procédé à cet abaissement, car ils jugeaient « raisonnable et objectivement justifié de prendre cette mesure dès lors que l’âge de dix-huit ans est demandé pour toute élection en Belgique ». Ils ont également invoqué « une rupture du principe d’égalité en cas de non-alignement de l’âge d’éligibilité des parlementaires sur celui concernant les autres mandats électifs ». Monsieur le président de la commission des lois, vérité outre-Quiévrain, erreur en deçà ?

Enfin, concernant toujours les principes d’égalité et de cohérence de notre droit électoral, je rappelle que, conjointement avec l’Assemblée nationale, la Haute Assemblée constitue le parlement de la France. Dans ce cadre, nous pouvons être appelés à nous réunir en Congrès pour prendre des décisions majeures pour notre pays.

Aussi, si rien n’oblige à avoir le même mode de scrutin et le même corps électoral dans les deux chambres, il est en revanche très discutable, en termes de droit d’accès à l’élection, de ne pas disposer des mêmes règles d’éligibilité. Il serait sans doute intéressant de consulter le Conseil constitutionnel à ce sujet, ce que je ferai peut-être…

De surcroît, ce seuil d’éligibilité est, je crois, inutile. La nature spécifique de notre chambre ne repose pas sur des compétences législatives spécifiques, voire exclusives. Nous disposons heureusement du même champ de compétences que l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas le cas pour tous les sénats dans le monde.

Notre spécificité de « chambre des territoires » repose, d’un point de vue juridique et législatif, exclusivement sur la nature du corps électoral appelé à nous élire. Le choix d’un sénateur obéit donc à des critères fixés par les grands électeurs, souverains en la matière. Adjoindre à ce processus un critère d’âge spécifique, c’est exprimer une forme de défiance à l’endroit du jugement de nos grands électeurs.

Bref, cette condition d’âge, ajoutée à la nature spécifique du corps électoral du Sénat et de ses modalités de scrutin, fait un peu, mes chers collègues, passez-moi l’expression, « ceinture et bretelles » !

À ceux qui disent qu’un abaissement du seuil d’âge d’éligibilité reviendrait à dénaturer notre Sénat, je veux leur dire sans emphase : « n’ayez pas peur ! » (M. François Bonhomme sesclaffe.)

La meilleure des preuves, c’est celle qui relève des faits observés. L’abaissement en 2011 de l’âge d’éligibilité de trente à vingt-quatre ans n’a pas provoqué de bouleversement sociologique et démographique au sein du Sénat. Lors des trois renouvellements qui ont eu lieu depuis cette réforme, un seul sénateur de moins de trente ans a été élu.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Cela n’a donc servi à rien !

M. André Gattolin. Par ailleurs, quelqu’un dans cet hémicycle peut-il dire que le niveau de compétences des sénateurs a baissé depuis 2011…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Au contraire, il n’a cessé d’augmenter !

M. André Gattolin. … et que le Sénat actuel défend moins bien qu’hier nos collectivités locales ? Je ne vois pas de mains se lever, preuve que nous sommes tous d’accord sur ce point !

Dernier argument souvent avancé pour ne pas abaisser davantage l’âge d’éligibilité au Sénat : nombre d’autres hautes chambres en Europe, et ailleurs, fixent elles aussi un âge d’éligibilité de leurs représentants supérieur à l’âge légal de la majorité. C’est vrai, mais elles sont de moins en moins nombreuses. De plus, ce seuil, quand il existe, répond souvent à des considérations très particulières liées aux spécificités des modes de scrutin ou de désignation desdites chambres.

L’Union européenne compte actuellement quarante et une chambres nationales et déjà vingt et une d’entre elles ont adopté un seuil d’éligibilité à dix-huit ans, et sept autres à vingt et un ans.

M. François Bonhomme. Ce n’est pas pareil !

M. André Gattolin. Si l’on se penche uniquement sur le cas des treize États disposant d’un Parlement bicaméral, six d’entre eux, et non des moindres – l’Allemagne, l’Espagne – disposent d’un seuil d’éligibilité à dix-huit ans pour leur sénat et deux autres établissent celui-ci à vingt et un ans.

Sur les cinq pays restants, dont la France, quatre – l’Italie, la Pologne, la Roumanie et la République tchèque –disposent d’un sénat élu au suffrage universel direct (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), le plus souvent le même jour que la tenue des élections législatives.

Clairement, dans ces pays, la fixation d’un seuil d’éligibilité plus élevé est le seul critère permettant de différencier la composition de la Haute Assemblée de celle de la chambre basse.

Alors, oui, la France fait bien figure d’exception dans le concert des parlements nationaux au sein de l’Union européenne, puisque c’est le seul pays bicaméral où un Sénat élu au suffrage universel indirect, suivant un mode de scrutin très différent de celui de l’Assemblée nationale et à des dates bien distinctes de celle-ci, s’autorise, de surcroît, à fixer un seuil d’éligibilité de six ans supérieur à celui de la chambre basse.

Vous le voyez, mes chers collègues, tout dans cette proposition de loi organique n’est qu’affaire d’équité, de cohérence et aussi de reconnaissance de la légitimité de chacun à espérer concourir à la représentation de la Nation.

À l’heure où la représentation nationale et le Sénat en particulier sont trop injustement vilipendés dans l’opinion, l’abaissement de l’âge de l’éligibilité à dix-huit ans serait un signal fort adressé à plus de 4 millions de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Pierre Sueur. La convergence est en marche !

Mme Éliane Assassi. Oui, mais dans quel sens ? (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 2011, l’âge d’éligibilité des sénateurs est fixé à vingt-quatre ans, alors que celui du Président de la République, des députés et des autres élus a été abaissé à dix-huit ans. Ce seuil de vingt-quatre ans a été défini pour donner l’opportunité aux sénateurs, représentants des collectivités territoriales au sens de l’article 24 de la Constitution, d’exercer un mandat local avant d’entrer au Palais du Luxembourg.

La proposition de loi organique n° 744 relative à l’élection des sénateurs, présentée par notre collègue André Gattolin, a pour objet de réduire l’âge d’éligibilité des sénateurs de vingt-quatre à dix-huit ans pour plusieurs raisons.

Premièrement, il s’agit de faire concorder l’âge d’éligibilité avec la citoyenneté.

Deuxièmement, il s’agit de simplifier les règles pour que l’âge d’éligibilité soit à dix-huit ans pour toutes les élections.

Troisièmement, parce qu’un mandat d’élu local n’est pas indispensable pour faire un bon sénateur.

Quatrièmement, parce qu’il est illogique qu’un grand électeur de moins de vingt-quatre ans ne puisse se présenter.

Cinquièmement, il s’agit de faciliter le renouvellement politique de la Haute Assemblée.

Dans le rapport, nous avons souhaité rappeler le rôle du Sénat, ses spécificités et les objectifs à atteindre. Le Sénat est une haute assemblée qui a trois missions : voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques. Mais le Sénat assure aussi la représentation des collectivités territoriales et des Français établis hors de France.

Conformément à la Constitution, l’équilibre de la VRépublique repose sur un bicamérisme différencié, mais équilibré. Il est primordial d’avoir et de conserver deux chambres différentes et complémentaires. Pour ce faire, deux modes de scrutin différents ont été instaurés pour le Sénat et l’Assemblée nationale. Les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect, l’âge d’éligibilité est fixé à vingt-quatre ans et diffère de celui des députés. Le scrutin est majoritaire, dans les circonscriptions comportant jusqu’à deux sénateurs, ou de liste dans les autres. Enfin, le mandat dure six ans avec un renouvellement partiel tous les trois ans.

Comme l’a récemment déclaré notre collègue Philippe Bas et comme le démontre l’actualité récente, « le Sénat constitue ainsi un pouvoir non aligné, libre et indépendant ». En effet, « le mode d’élection des sénateurs, leur enracinement dans nos collectivités sont pour la démocratie une garantie de liberté et de pragmatisme ».

Faisons un rappel historique. Nous constatons que le choix de la différenciation des âges entre les deux assemblées date de 1795, après la Terreur. À l’époque, déjà, la chambre haute devait concilier l’évolution du régime tout en maintenant la paix sociale. L’âge était perçu comme un facteur de modération et de valorisation des expériences locales.

Le général de Gaulle a d’ailleurs déclaré lors du discours de Bayeux que « le premier mouvement – de l’Assemblée nationale – ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième assemblée élue et composée d’une autre manière la fonction d’examiner publiquement ce que la première a pris en considération ».

M. Jean-Pierre Sueur. Cela n’a rien à voir avec l’âge !

M. Vincent Segouin, rapporteur. De même, l’âge des sénateurs est perçu comme un facteur de modération (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. André Gattolin. Il y a des vieux fous !

M. Vincent Segouin, rapporteur. … pour la « chambre de la réflexion » louée par Georges Clemenceau. En outre, nous sommes les représentants des collectivités territoriales. Comment est-il possible de représenter sans connaître le fonctionnement de ces collectivités ?

M. Vincent Segouin, rapporteur. Certes, certains sénateurs n’ont pas exercé de mandats locaux, mais ils sont rares. Ces mêmes sénateurs peuvent exercer leur mandat en excellant dans des sujets autres de sociétés. Mais si tous les sénateurs sont dans le même cas, alors les collectivités territoriales perdront leur confiance dans le Sénat, considérant que ce dernier est loin de leurs préoccupations comme la revitalisation de l’échelon communal, la GEMAPI ou les conséquences de la suppression de la taxe d’habitation.

Il est donc indispensable de maintenir l’âge d’éligibilité de vingt-quatre ans pour s’assurer que les sénateurs seront choisis par les grands électeurs, parce qu’ils ont accompli un mandat local et parce qu’ils ont l’expérience suffisante et nécessaire pour garder le statut de représentant des collectivités. Les débats de 2011 démontrent d’ailleurs que l’âge de vingt-quatre ans a été défini en additionnant l’âge de la citoyenneté et la durée d’un mandat local complet.

Faut-il diminuer l’âge d’éligibilité à dix-huit ans pour rajeunir l’âge moyen des sénateurs ?

Depuis le début de la Ve République, l’âge moyen des députés oscillait entre cinquante et cinquante-six ans et celui des sénateurs entre cinquante-cinq et soixante et un ans. En 2011, la diminution de l’âge de l’éligibilité des sénateurs de trente à vingt-quatre ans et de celui des députés de vingt-trois à dix-huit ans n’a pas eu d’effet. Les âges moyens entre les deux assemblées étaient assez proches.

Je parle à l’imparfait, car il y a eu les dernières élections législatives ! L’écart s’est creusé, puisque la moyenne d’âge des députés est passée à quarante-neuf ans et celle des sénateurs est restée à soixante et un ans. Toutefois, cette diminution est due à une entrée massive de députés âgés de trente à cinquante ans, mais n’est nullement liée à la diminution d’éligibilité de 2011 puisque, sur les vingt-sept députés élus de moins de trente ans, aucun n’avait moins de vingt-trois ans.

Notre collègue André Gattolin reconnaît d’ailleurs qu’il est peu vraisemblable que des sénateurs âgés de dix-huit à vingt-quatre ans soient élus, sauf sur des scrutins de liste. Leur nombre étant limité, cela n’influencera pas la moyenne d’âge.

On s’est alors interrogé sur le but recherché au travers du rajeunissement de la Haute Assemblée. Serait-ce utile pour aborder des sujets concernant la jeunesse dont on ne traiterait pas aujourd’hui ? Les décisions sont-elles adaptées à toutes les générations ?

Pour répondre à ces questions, nous avons auditionné nos plus jeunes députés sur leur fonction et la représentativité de leur génération. Ils nous ont démontré qu’ils n’étaient nullement spécialisés dans ces sujets et que leurs opinions ne différaient pas, ou peu, de celles de leurs collègues sur l’ensemble des textes.

La jeunesse était un sujet abordé, suivi et pris en considération par des élus qui étaient en contact avec ces générations et qui avaient de l’intérêt pour ces questions. À titre d’exemple, le Sénat est intervenu sur l’obligation de transparence des algorithmes utilisés dans Parcoursup pour classer les étudiants…

Enfin, sommes-nous différents des autres pays ? Non ! Seules l’Allemagne et l’Espagne ont fait le choix d’avoir des âges identiques dans les deux chambres. Mais il est difficile de se comparer à l’Allemagne, puisque les membres du Bundesrat sont désignés par le gouvernement de leur Land.

Il est clair que tous les autres pays ont fait le choix de maintenir la différence des âges, notamment les États-Unis, l’Italie et le Royaume-Uni.

Peut-on aborder cette proposition de loi organique sans prendre en considération les projets du Gouvernement concernant la réforme de nos institutions ?

Ces projets pourraient d’ailleurs remettre en question les spécificités du Sénat, en multipliant par quatre le nombre de départements ne comptant qu’un seul sénateur et en supprimant, pour les prochaines élections sénatoriales, le principe du renouvellement partiel au bénéfice d’un renouvellement intégral du Sénat en 2021.

Comme l’a déclaré notre collègue Jérôme Bignon lorsqu’il était député en 2003 : « La différence d’âge [entre les deux chambres] est une richesse. N’uniformisons pas les mandats, les modes d’élection et les périodes de renouvellement, car nous risquerions de sombrer dans un bicamérisme affadi. »

En conclusion, j’émets un avis défavorable sur la proposition de loi organique qui tend à réduire l’âge d’éligibilité des sénateurs de vingt-quatre à dix-huit ans. En effet, il me semble préférable de maintenir une différence d’âge entre les deux assemblées, avec un mode d’élection différent, pour que la chambre haute fasse toujours preuve de sagesse pour relire, instruire, négocier et débattre des propositions de lois votées en première lecture.

Par ailleurs, le Sénat est le représentant des collectivités. Les sénateurs perdront toute crédibilité s’ils n’ont pas exercé de mandat dans ces collectivités et s’ils n’ont pas l’expérience nécessaire. Il peut y avoir une proportion de sénateurs sans mandat qui exercent brillamment, mais celle-ci doit être limitée.

Enfin, nous sommes unanimes pour dire que la révision de la condition d’âge à dix-huit ans n’aura pas d’effets réels sur la moyenne d’âge et que les sujets relatifs à la jeunesse ne seront pas mieux traités.

Plus globalement, nous ne pouvons pas faire abstraction du débat en cours sur la réforme des institutions. L’âge est un élément essentiel, qui doit être abordé avec l’ensemble des réformes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Gattolin, mesdames, messieurs les sénateurs, la présente proposition de loi organique vise à réduire à dix-huit ans l’âge d’éligibilité au mandat de sénateur. Elle s’inscrit dans la continuité de deux lois organiques précédemment adoptées, en 2003 et en 2011, qui ont eu elles aussi pour effet d’abaisser l’âge d’éligibilité au Sénat, à trente ans puis à vingt-quatre ans, la première ayant été adoptée à la suite d’une initiative de votre assemblée.

Je concentrerai mon propos sur trois éléments qui fondent la position du Gouvernement sur cette proposition de loi organique.

Premièrement, aucun obstacle juridique et aucun principe constitutionnel ne s’opposent à l’abaissement à dix-huit ans du seuil d’éligibilité au mandat sénatorial. Autrement dit, il s’agit là d’une question d’opportunité. L’engagement présidentiel en la matière est celui du renouvellement de la classe politique et d’une plus grande place faite à la jeunesse. C’est pour cette raison que le Gouvernement ne peut être que favorable à cette proposition de loi.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur Segouin, dans votre rapport fait au nom de la commission des lois, les régimes d’éligibilité ont été progressivement harmonisés au fil des années, de sorte que si l’on excepte les cas particuliers du Congrès de la Nouvelle-Calédonie et de l’élection sénatoriale, tous les scrutins français sont désormais accessibles dès l’âge de dix-huit ans.

Le seuil d’éligibilité au mandat de conseiller municipal a été abaissé à dix-huit ans dès 1982. Celui pour les élections départementales et régionales l’a été en 2000. Enfin, la loi organique du 14 avril 2011 a abaissé à dix-huit ans le seuil d’éligibilité aux mandats présidentiel, de député et de député européen.

L’abaissement à dix-huit ans de l’âge d’éligibilité au Sénat va donc dans le sens de l’harmonisation et de la simplification du droit. Cette évolution permettra d’aligner, pour tous les scrutins, l’âge d’éligibilité avec l’âge d’exercice du droit de vote, un des premiers droits fondamentaux de chaque citoyen, qui est aussi un devoir, celui de participer à la vie de la cité.

Actuellement, nous demandons à des citoyens – grands électeurs en l’occurrence – de participer à la désignation de leurs représentants, mais une partie d’entre eux n’auraient pas le droit de candidater, étant trop jeunes. Je crois que vous avez raison, monsieur le sénateur Gattolin, en soulignant que cette situation, qui est certes un héritage de l’histoire, pourrait être amenée à évoluer.

Deuxièmement, le Sénat assure la représentation des collectivités locales. C’est effectivement l’une des missions que lui confie la Constitution, et elle est essentielle. Nous en avons tous conscience, car dans notre République, dont l’organisation est décentralisée, les collectivités territoriales ont leur mot à dire. Mais je ne suis pas convaincu qu’il soit absolument nécessaire d’avoir exercé un ou plusieurs mandats locaux pour représenter avec fidélité les collectivités. Ce qui fait l’ancrage local des sénateurs, c’est aussi le mode de scrutin, autrement dit l’élection au suffrage universel indirect et la composition du collège électoral et la circonscription d’élection. Il n’est nullement question de remettre en cause ces spécificités qui sont pleinement justifiées.

Ce texte, qui est très épuré, puisqu’il ne compte que deux articles, n’aura pas pour effet de transformer le Sénat en « clone » de l’Assemblée nationale, comme j’ai pu le lire et l’entendre.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement est attaché au bicaméralisme. Les réformes institutionnelles que nous entendons mener ne le remettent pas en cause.

Par ailleurs, sur ce point, je pense que nous sommes tous d’accord ici pour convenir que cette évolution ne va pas conduire à un bouleversement sociodémographique du Sénat. Les précédents abaissements du seuil d’éligibilité n’ont pas été sans effet, mais cet effet est resté limité, il faut le reconnaître.

La moyenne d’âge des sénateurs est relativement stable dans le temps, et je doute que l’élection d’un ou deux sénateurs de moins de vingt-quatre ans modifie « l’ADN » du Sénat. Dès lors, pourquoi refuser l’entrée à quelques personnalités qui ont probablement beaucoup à apporter aux travaux du Sénat si le collège électoral, composé de grands électeurs, responsables, estime qu’elles méritent ce mandat ?

Cela m’amène à mon troisième et dernier point : le besoin de renouvellement. Le gouvernement auquel j’appartiens est attaché à ce principe, non pas par dogmatisme, mais parce qu’il est essentiel à notre démocratie et à la confiance de nos concitoyens dans le système politique. C’est pour cela que nous portons et que nous défendons l’interdiction du cumul des mandats dans le temps, dispositions intégrées aux projets de loi organique et ordinaire que vous aurez à examiner prochainement. C’est aussi pour cela que nous sommes favorables à toutes les initiatives parlementaires visant à favoriser l’engagement des jeunes et leur accès aux responsabilités politiques.

La proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui s’inscrit, bien sûr, dans cette logique. Si, comme je l’ai rappelé, ses effets seront limités, ils ne seront pas nuls. Jusqu’en 2003, l’âge minimum pour devenir sénateur était fixé à trente-cinq ans. Quatre sénateurs représentant diverses sensibilités ne seraient pas parmi vous aujourd’hui si ces dispositions étaient encore applicables.

Je suis enfin assez réservé quant à l’affirmation selon laquelle l’âge est synonyme de modération. Si le Gouvernement est tout à fait conscient des spécificités du Sénat sur ce point, il est beaucoup moins convaincu par l’idée selon laquelle cette hauteur de vue serait liée au maintien d’une barrière d’accès à vingt-quatre ans.