Sommaire

Présidence de M. David Assouline

Secrétaires :

MM. Daniel Dubois, Guy-Dominique Kennel.

1. Procès-verbal

2. Candidature à une délégation sénatoriale

3. Rappel au règlement

M. Loïc Hervé ; M. le président.

4. Maintien de l’ordre public lors des manifestations. – Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur

Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois

Exception d’irrecevabilité

Motion n° 1 de M. Patrick Kanner. – M. Jérôme Durain ; M. Christophe Priou ; Mme Catherine Troendlé, rapporteur ; M. Christophe Castaner, ministre ; Mme Éliane Assassi ; Mme Marie-Pierre de la Gontrie ; M. François Grosdidier. – Rejet par scrutin public n° 63.

Question préalable

Motion n° 2 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi ; M. Roger Karoutchi ; Mme Catherine Troendlé, rapporteur ; M. Christophe Castaner, ministre ; M. Jérôme Durain ; M. François-Noël Buffet ; M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Discussion générale (suite)

M. Loïc Hervé

M. Dany Wattebled

M. Alain Richard

Mme Esther Benbassa

M. Patrick Kanner

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

5. Questions d’actualité au Gouvernement

situation en algérie

M. Jean-Claude Requier ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Jean-Claude Requier.

privatisation d’aéroports de paris

Mme Cathy Apourceau-Poly ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.

mobilisation des lycéens

M. Christian Manable ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

mesures d’accompagnement des entreprises en difficulté

M. Alain Fouché ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

politique agricole commune

Mme Pascale Gruny ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Pascale Gruny.

difficultés financières des organismes de formation professionnelle dans le secteur de l’artisanat

Mme Nadia Sollogoub ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; Mme Nadia Sollogoub.

revenu universel d’activité

Mme Patricia Schillinger ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Patricia Schillinger.

assurance chômage et paritarisme

Mme Frédérique Puissat ; M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement ; Mme Frédérique Puissat.

endométriose

M. Julien Bargeton ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

cotisations des artisans

Mme Marie Mercier ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; Mme Marie Mercier.

lanceurs d’alerte

M. Michel Dagbert ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Michel Dagbert.

nécessaire décentralisation dans le cadre de la prochaine révision constitutionnelle

M. Jean-Marie Janssens ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

6. Souhaits de bienvenue à deux nouvelles sénatrices

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. David Assouline

7. Maintien de l’ordre public lors des manifestations. – Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)

Mme Maryse Carrère

M. Bruno Retailleau

M. Pierre Charon

M. Henri Leroy

Clôture de la discussion générale.

Article 1er A

Amendement n° 3 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 10 de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.

Amendement n° 11 de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 1er

M. François Bonhomme

Mme Marie-Pierre de la Gontrie

M. François Grosdidier

Amendement n° 19 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Amendement n° 12 de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 2

M. Guillaume Gontard

Mme Esther Benbassa

M. François Grosdidier

M. Yves Daudigny

Mme Éliane Assassi

M. Loïc Hervé

M. Jean-Yves Leconte

M. Pierre Ouzoulias

M. Philippe Bonnecarrère

M. Jérôme Durain

M. Marc Laménie

Mme Marie-Pierre de la Gontrie

M. Jacques Bigot

Amendements identiques nos 13 de M. Jérôme Durain et 20 de Mme Éliane Assassi. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 16 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 6 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 4 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 5 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 7 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 8 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 9 rectifié de M. Franck Menonville. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 3

M. Jean-Yves Leconte

Amendement n° 22 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.

Adoption de l’article.

Organisation des travaux

M. le président ; M. Bruno Retailleau ; Mme Éliane Assassi ; M. le président.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty

Article 3 bis

Amendement n° 23 de Mme Éliane Assassi. – Rejet par scrutin public n° 64.

Adoption de l’article.

Article 4

Amendements identiques nos 14 de M. Jérôme Durain, 17 rectifié de Mme Maryse Carrère et 24 de Mme Éliane Assassi. – Rejet des trois amendements.

Adoption de l’article.

Article 5 (suppression maintenue)

Article 6

M. Jean Bizet

Mme Esther Benbassa

M. David Assouline

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Amendement n° 26 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Amendement n° 18 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 6 bis

Amendements identiques nos 15 de M. Jérôme Durain et 27 de Mme Éliane Assassi. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 28 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 7

M. François Grosdidier

M. David Assouline

Amendement n° 30 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Adoption de l’article.

Vote sur l’ensemble

M. Jérôme Durain

Mme Éliane Assassi

M. François Bonhomme

Mme Laure Darcos

Mme Maryse Carrère

M. Alain Richard

Mme Marie-Noëlle Lienemann

M. David Assouline

Mme Françoise Gatel

Adoption définitive, par scrutin public n° 65, de la proposition de loi dans le texte de la commission.

8. Ordre du jour

Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale

compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

M. Daniel Dubois,

M. Guy-Dominique Kennel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 7 mars 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Candidature à une délégation sénatoriale

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

3

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’étonne de ce que le porte-parole du Gouvernement nous a appris hier : le Président de la République compte employer l’article 61 de la Constitution pour saisir le Conseil constitutionnel de la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, avant même que le Sénat ait débuté son examen en deuxième lecture.

Certes, le Président de la République est tout à fait dans ses prérogatives ; pour notre part, nous sommes tout à fait dans les nôtres. Mais, à l’heure où l’on parle beaucoup de la séparation des pouvoirs, je souhaitais revenir sur cette déclaration. Culturellement, historiquement, le Sénat défend les libertés publiques ; peut-être le Président de la République souhaite-t-il apparaître comme celui qui les défend davantage… Je tenais à en faire part à toutes celles et tous ceux qui vont intervenir au cours de la discussion générale, puis lors de l’examen des articles !

Mme Annick Billon. Très bien !

M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Discussion générale (suite)

Maintien de l’ordre public lors des manifestations

Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Exception d'irrecevabilité

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations (proposition n° 286, texte de la commission n° 364, rapport n° 363).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte part d’un constat désolant, mais lucide ; d’un constat qui prend ses racines dans des années où le maintien de l’ordre a changé. Il a changé en profondeur, et il changera encore.

Vous aviez déposé cette proposition de loi en juin dernier, et vous aviez eu raison. Depuis les sommets internationaux jusqu’aux manifestations du 1er mai, depuis la loi El Khomri jusqu’aux événements les plus récents, la doctrine de maintien de l’ordre est en profonde mutation. Désormais, à chaque occasion, des brutes s’infiltrent dans les cortèges. Elles pillent les commerces, détruisent le mobilier urbain, attaquent les forces de l’ordre. Elles s’en prennent aux institutions et défient la République.

Ces individus changent les manifestations en émeutes. Ils blessent policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers, manifestants. Au fond, ils sont la plus grande menace pour le droit de manifester.

C’est bien de cela que nous parlons,…

M. Christophe Castaner, ministre. … de cette petite minorité de casseurs, qui n’ont strictement rien à voir avec les manifestants.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Tout à fait !

M. Christophe Castaner, ministre. Notre pays connaît et sait gérer les manifestations, et personne ici ne peut se résoudre à voir confisqué ce droit fondamental par des bandes de vandales. Or le ministère de l’intérieur a le devoir de protéger le droit à manifester en sécurité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette question, vous la connaissez bien. Vous l’avez étudiée, comprise. Vous avez choisi de réagir dès juin dernier en offrant de nouveaux outils aux forces de l’ordre, à la justice et aux préfets. Vous avez pris les devants et, avant même les manifestations des « gilets jaunes » – il est important de le préciser –, vous avez proposé d’agir afin que les forces de l’ordre aient toutes les cartes en main pour protéger nos concitoyens.

Je tenais donc à saluer l’initiative du président Retailleau. C’est grâce à elle que nous pouvons examiner ce texte et nous donner les moyens d’agir contre les individus violents, de protéger les Français et de garantir le droit de manifester.

En cet instant, c’est évidemment le ministre de l’intérieur qui vous parle ; le ministre de l’intérieur, qui souhaite que les violences cessent ; le ministre de l’intérieur, qui veut donner aux préfets et aux forces de sécurité le cadre administratif et juridique adapté pour protéger ; le ministre de la sécurité et des libertés, qui veut rappeler que toutes nos procédures, toutes nos actions, toutes nos décisions sont guidées par deux principes : nécessité et proportionnalité. Mais c’est aussi le citoyen, le militant, l’élu local, l’ancien député, et même l’ancien manifestant,…

M. Jean Bizet. Tout ça !

M. Christophe Castaner, ministre. … qui se présente devant vous pour vous demander, non pas de gêner, mais de sauvegarder le droit de manifester.

En effet, la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations obéit à un principe simple : protéger.

C’est un texte de protections, et j’insiste sur le pluriel : de protection pour les manifestants, qui sont pris en otage par les casseurs, par ceux qui cherchent le chaos, – les manifestants sont bel et bien leurs premières victimes ; …

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Oui !

M. Christophe Castaner, ministre. … de protection pour les journalistes, garants de notre liberté de savoir et de commenter, et qui ont été bien trop souvent lâchement attaqués ; …

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Tout à fait !

M. Christophe Castaner, ministre. … de protection pour les commerçants, pour tous les Français, car les violences pèsent sur eux, détruisent leur travail et ruinent parfois les efforts d’une vie ; de protection pour les forces de l’ordre, aussi, qui accomplissent leur devoir et devraient pouvoir le faire en toute sécurité ; de protection pour la République, pour les élus, pour les institutions, que des petits groupes, de tout petits groupes d’ultra-violents croient pouvoir renverser.

Enfin, et peut-être plus que tout, c’est un texte de libertés : liberté de manifester sans crainte ; liberté de descendre dans la rue, d’exprimer des revendications, de faire entendre sa voix. Cette proposition de loi l’affirme haut et fort : il n’y a pas de place pour la peur dans les manifestations.

Les événements des dernières semaines nous en ont rappelé l’urgence. Depuis le 27 novembre 2018, les brutes ont un bilan clair : environ 1 500 blessés parmi les policiers, les gendarmes et les sapeurs-pompiers. Ce bilan de la violence de quelques-uns, nous ne pouvons pas le laisser s’alourdir. Vous l’avez bien compris : il fallait à la fois concevoir des outils efficaces et agir vite.

La commission a décidé de voter ce texte conforme, en retenant la rédaction venue de l’Assemblée nationale. C’est un choix de responsabilité.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Oui !

M. Christophe Castaner, ministre. Par cette décision, vous avez fait passer le sens de l’État, l’intérêt général, la protection des manifestants comme celle des forces de l’ordre avant toute position partisane. Vous avez montré que, face à des phénomènes graves, face à des violences durables, majorité et opposition étaient capables de travailler de concert.

Lors de la première lecture, en octobre dernier, Laurent Nunez avait donné un avis de sagesse, approuvant les objectifs de cette proposition de loi, mais appelant à retravailler les dispositifs proposés. Je tiens à vous remercier de ce travail, accompli par-delà les clivages. Je souhaite également rendre hommage au travail mené à l’Assemblée nationale pour adapter ce texte, lui donner plus de portée, de précision, et s’assurer qu’il dispose de tous les garde-fous nécessaires pour les libertés publiques.

L’article 1er du texte permet, sur les lieux d’une manifestation ou à ses abords immédiats, et exclusivement sur réquisitions écrites du procureur de la République, de procéder à des fouilles de sacs et de confisquer toutes les armes ou les armes par destination.

Personne, ici, n’est naïf : quand un individu vient dans une manifestation avec des boules de pétanque, ce n’est pas pour disputer une partie de pétanque, mais c’est bien pour blesser nos forces de l’ordre ou des manifestants. L’article 1er, dans la rédaction que vous avez retenue en commission, permet d’intercepter de telles personnes avant qu’elles ne passent à l’acte.

L’article 2 a fait couler beaucoup d’encre. Comme vous le savez, il permet de prononcer l’interdiction administrative de paraître dans une manifestation contre les personnes les plus violentes, contre celles dont nous savons pertinemment qu’elles se moquent des revendications, qu’elles cherchent simplement le chaos.

Ce texte ne comporte pas une once d’arbitraire. Au contraire, il prévoit toutes les précautions pour éviter le fait du prince. Chaque décision d’interdire de manifester doit être argumentée, motivée, proportionnée. Elle doit être directement liée à des comportements violents lors des manifestations. Ces dispositions ciblent précisément un petit nombre d’individus ultra-violents et ne peuvent, en aucun cas, dériver ou être généralisées.

Non, il ne s’agit pas d’une proposition de loi liberticide. Au contraire, nous avons veillé, ensemble, à ce que la rédaction du texte protège les libertés. Le juge des référés peut être saisi des décisions du préfet. Le cas échéant, il a le pouvoir de les annuler : la justice reste bien l’ultime garant des libertés.

Ce texte n’empêche aucune liberté : c’est tout l’inverse ! Plutôt que de tout interdire – c’est, aujourd’hui, une possibilité dont dispose le préfet –, il cible ceux qui cassent et qui attaquent. Plutôt que de laisser faire, nous proposons d’empêcher quelques ultra-violents de manifester. Ainsi, nous permettons à tous de continuer à faire entendre leur voix.

En outre, ce texte offre des mesures utiles aux forces de l’ordre et nécessaires à la sécurité collective.

Dans la version adoptée par le Sénat en première lecture, l’article 2 imposait que la personne ait été reconnue coupable au préalable. Je comprends votre intention. Toutefois, cet article doit nous permettre d’agir rapidement : c’est son but. Or nous savons qu’une condamnation définitive peut prendre du temps.

L’article 3 donne aux forces de l’ordre tous les outils pour contrôler les personnes interdites de manifester en les inscrivant, uniquement le temps de l’interdiction, sur le fichier des personnes recherchées. L’article 4 aggrave les sanctions en cas de dissimulation de son visage au cours ou à la fin d’une manifestation marquée par des troubles.

Parmi les autres mesures de ce texte, les peines contre ceux qui détruisent sont renforcées, et une mesure juste, nécessaire, attendue est introduite : le principe du casseur-payeur. En effet, il est temps de mettre les vandales face à leurs responsabilités.

M. Jean-Pierre Grand. Ça, c’est sûr !

M. Christophe Castaner, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est un texte de bon sens. La brutalisation au sein des manifestations n’est pas un phénomène nouveau, mais c’est un phénomène qui s’installe ; un phénomène qui, chaque samedi, depuis fin novembre, connaît sous nos yeux de nouvelles illustrations. Forces de l’ordre, sapeurs-pompiers ou « gilets jaunes », près de 4 000 personnes ont été blessées depuis le 17 novembre dernier. Rien qu’à Paris près de 2 000 magasins ont été attaqués.

C’est un bilan humain et matériel auquel nous ne pouvons pas nous habituer ; et c’est un bilan qui s’alourdit au fil des années de violences.

Toutefois, en prononçant ces mots, je ne suis pas sourd aux appréhensions, aux craintes.

M. Jean Bizet. Ah, « en même temps » ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe Castaner, ministre. Je les entends. Je suis convaincu par ce texte, mais j’estime qu’en matière de libertés publiques toutes les garanties doivent être prises. Cette conviction, je l’ai défendue, et je suis heureux que le Président de la République ait fait part de sa volonté, sans présumer de l’intention du Sénat,…

M. Loïc Hervé. Voilà qui est rassurant !

M. Christophe Castaner, ministre. … de soumettre ce texte au Conseil constitutionnel, une fois qu’il sera adopté définitivement. Cette saisine permettra de lever les doutes.

Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas sûr !

M. Christophe Castaner, ministre. Elle permettra de lever tous les soupçons.

Détourner le regard, c’est donner un laisser-détruire à quelques brutes. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Qualifiez-les autrement !

M. Christophe Castaner, ministre. Ne rien faire, c’est permettre à quelques ultra-violents de menacer nos vies, nos institutions et même notre liberté.

J’étais avec nos CRS à Vélizy. J’ai entendu une nouvelle fois leur témoignage. J’ai entendu leurs récits. J’ai entendu leurs face-à-face avec la haine déchaînée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est l’occasion d’agir ; d’agir pour eux ; d’agir pour tous les Français ; une occasion à saisir pour tout responsable politique, pour tout républicain, pour tout protecteur des libertés. C’est pourquoi je vous remercie de nouveau du choix de responsabilité que vous avez défendu en première lecture et que vous avez fait en commission ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, depuis maintenant plusieurs mois, nous déplorons, semaine après semaine, en marge des manifestations organisées par le mouvement des « gilets jaunes », des dégradations dans nos centres-villes, des agressions contre des policiers ou des gendarmes, des magasins pillés, des voitures incendiées, du mobilier urbain détruit.

Ces images choquent nos concitoyens, y compris ceux, nombreux, qui comprennent, voire approuvent les revendications défendues par ce mouvement social.

Cela fait, à vrai dire, plusieurs années que les manifestations ont pris une tournure violente dans notre pays : on se souvient des violences commises à Nantes ou à Rennes dans le sillage du mouvement d’occupation de Notre-Dame-des-Landes ; de celles qui ont émaillé les mobilisations contre le projet de loi Travail en 2016 ; ou encore, l’an dernier, des violences des Black Blocs qui ont perturbé le traditionnel défilé syndical du 1er mai.

Face à cette évolution de fond, nous voulons doter nos autorités administratives et judiciaires d’outils juridiques nouveaux pour les aider à garantir la tranquillité et la sécurité publiques, à laquelle aspirent nos concitoyens.

C’est le but visé par la proposition de loi que nous examinons en deuxième lecture cette après-midi. Déposée par notre excellent collègue, le président Bruno Retailleau (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.),…

M. Roger Karoutchi. Très bien !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. … et par plusieurs de nos collègues, elle a été adoptée par la Haute Assemblée le 23 octobre 2018, puis par l’Assemblée nationale le 5 février dernier.

Je me réjouis que le Gouvernement, qui avait au départ exprimé des réserves sur ce texte, ait finalement décidé de le soutenir. Je ne peux que regretter cependant que tant de temps ait été perdu. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En effet, les dispositions de ce texte auraient été très utiles à nos forces de l’ordre au cours des derniers mois.

Nous sommes tous, moi la première, profondément attachés au droit de manifester. Ce texte n’a pas et n’a jamais eu pour objectif d’entraver le droit de manifester ; il s’agit au contraire d’en garantir le libre exercice…

M. Charles Revet. Tout à fait !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. … en ciblant un petit nombre de délinquants qui, par leurs actes violents, prennent en otage ceux de nos concitoyens qui défendent des revendications légitimes de justice sociale.

Cette proposition de loi comporte un volet préventif, destiné à doter l’autorité administrative et nos forces de l’ordre de nouveaux outils pour prévenir les actes de violence et de dégradations commis dans le cadre des manifestations, et un volet répressif, pour permettre à l’autorité judiciaire d’apporter une réponse plus rapide et plus ferme aux auteurs de ces actes.

Sur ces deux volets, l’Assemblée nationale a apporté des modifications destinées à rendre la proposition de loi plus opérationnelle, sans toutefois remettre en cause les objectifs visés par le Sénat.

S’agissant du volet préventif, l’Assemblée nationale a approuvé, dans leur principe, la plupart des dispositions que nous avions votées.

L’article 1er adopté par le Sénat prévoyait de confier au préfet la possibilité d’instaurer des périmètres de contrôle aux abords des manifestations. Plutôt que de créer cette nouvelle mesure de police administrative, l’Assemblée nationale a préféré autoriser, sur réquisitions du procureur de la République, des fouilles de sacs et de véhicules, afin d’éviter l’introduction d’armes dans les manifestations. Les représentants des forces de l’ordre que j’ai reçus en audition ont estimé que cette mesure répondrait efficacement à leurs besoins sur le terrain.

Malgré quelques réticences initiales, l’Assemblée nationale a également souscrit à l’article 2, qui prévoit la création d’une mesure d’interdiction administrative de participer à une manifestation. Le Sénat avait été très attentif à entourer cette mesure de suffisamment de garanties. Je me félicite de ce que les députés les aient conservées, en particulier pour ce qui concerne le droit au recours effectif.

Afin de répondre aux besoins du terrain, l’Assemblée nationale a élargi le périmètre de la mesure : l’interdiction de manifester pourra concerner non seulement des personnes ayant commis un ou plusieurs actes violents à l’occasion de précédentes manifestations, y compris lorsqu’elles n’ont pas encore été condamnées, mais aussi des personnes qui constituent une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public en raison de leurs « agissements » à l’occasion de précédentes manifestations.

En outre, les députés ont prévu la possibilité, pour le préfet, de prononcer des interdictions de manifester valables sur l’ensemble du territoire, pour une durée pouvant aller jusqu’à un mois, lorsque la personne concernée est susceptible de participer à plusieurs manifestations concomitantes sur le territoire ou successives dans le temps.

La commission s’est demandée si, avec cet élargissement, la mesure conservait un caractère suffisamment proportionné, au regard de ses effets potentiels sur l’exercice du droit de manifester et de la liberté d’aller et venir.

Mes chers collègues, il nous a été assuré que son application serait très ciblée. Seules les personnes les plus dangereuses seraient concernées, quelques dizaines à Paris, tout au plus quelques centaines sur l’ensemble du territoire. Il s’agit bien de tenir à l’écart de la manifestation les « casseurs », qui ont pour seul objectif de causer des dégâts. En tout état de cause, les arrêtés d’interdiction seront soumis au contrôle du juge administratif, qui s’assurera, comme pour toute mesure de police administrative, de leur caractère nécessaire et proportionné.

S’agissant de l’article 3, l’Assemblée nationale a estimé préférable d’inscrire les mesures d’interdiction de manifester dans le fichier des personnes recherchées, document aisément consultable par les forces de police et de gendarmerie, plutôt que de créer un nouveau fichier. Il s’agit, à nos yeux, d’une mesure de simplification bienvenue.

Enfin, les députés ont complété ce volet préventif par deux articles additionnels, qui ne soulèvent vraiment pas de difficulté : le premier vise à assouplir les modalités de déclaration des manifestations auprès de l’autorité administrative ; le second prévoit un contrôle parlementaire renforcé, notamment avec la remise d’un rapport annuel au Parlement.

S’agissant, à présent, du volet répressif, je m’attarderai surtout sur l’article 4, relatif à la création d’un nouveau délit de dissimulation du visage au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation.

En octobre dernier, nous avions soutenu la création de ce délit, qui présente de réels avantages sur le plan opérationnel : elle permettra l’interpellation et le placement en garde à vue de personnes qui dissimulent leur visage.

En première lecture, notre commission avait veillé à bien caractériser l’élément intentionnel du délit, en précisant que la dissimulation du visage devait avoir pour objectif de ne pas être identifié dans des circonstances faisant craindre des troubles à l’ordre public. Redoutant que cet élément ne soit difficile à établir devant les tribunaux, l’Assemblée nationale a retenu une rédaction plus concise. Elle met l’accent sur l’existence ou non d’un motif légitime de se couvrir le visage.

Je l’avoue, nous nous sommes demandé si cette définition était satisfaisante au regard du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, qui impose de définir avec précision tous les éléments constitutifs d’une infraction pénale.

Toutefois, les représentants du ministère de l’intérieur comme de la Chancellerie que nous avons entendus ont estimé que cette rédaction était acceptable, étant précisé qu’il appartiendra au parquet d’établir devant le tribunal correctionnel que la personne mise en cause n’avait pas de raison légitime de se couvrir le visage. En matière pénale – je vous le rappelle –, la charge de la preuve ne saurait reposer sur la personne mise en cause.

Compte tenu de ces assurances, notre commission a décidé de s’en tenir au texte adopté par l’Assemblée nationale, afin de doter rapidement nos forces de l’ordre d’un outil qui leur sera très utile pour extraire d’une manifestation des éléments perturbateurs.

La commission des lois a ensuite confirmé la suppression de l’article 5, relatif au port d’arme et au jet de projectile, considérant que ses dispositions étaient satisfaites par les textes et par la jurisprudence en vigueur. Enfin, elle a approuvé les modifications introduites à l’article 6, relatif à la peine complémentaire d’interdiction de manifester, ainsi qu’à l’article 7, relatif à la mise en cause de la responsabilité civile des auteurs de dommages lors d’une manifestation.

Au total, en dépit des interrogations que j’ai mentionnées, notre commission a choisi d’adopter la proposition de loi sans modification.

Des garanties importantes m’ont été apportées, tant par le ministère de l’intérieur que par la Chancellerie, quant au travail mené par leurs services pour garantir un juste équilibre entre efficacité des mesures et respect des droits et libertés. Le Président de la République a annoncé qu’il saisirait le Conseil constitutionnel : ce dernier aura donc l’occasion de se prononcer sur le texte.

Dans le contexte actuel, les interrogations sur la proportionnalité de certaines dispositions ne doivent pas nous faire oublier les nombreuses garanties apportées au texte. Je crois surtout qu’il nous revient, en tant que législateur, de faire preuve de responsabilité, en dotant nos forces de l’ordre des moyens nécessaires à la prévention des violences. Il s’agit non seulement d’assurer la sécurité de nos concitoyens, mais de garantir le libre exercice du droit de manifester ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Nous passons à la discussion des deux motions déposées sur ce texte.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Question préalable

M. le président. Je suis saisi par MM. Kanner, Durain, Sueur, J. Bigot et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture, et adoptée sans modification par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale en deuxième lecture, visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations (n° 364, 2018-2019).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jérôme Durain, pour la motion. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, le 23 octobre dernier, nous avions examiné en première lecture cette proposition de loi présentée par le groupe Les Républicains.

Inspiré de la loi anti-casseurs de 1970, ce texte a très vite provoqué des réactions mitigées. Partiellement épurée en commission, sa rédaction restait, de l’avis général, perfectible. Elle a beaucoup évolué à l’Assemblée nationale. Pourtant, cette proposition de loi a de nouveau fait l’objet d’un accueil assez tiède devant notre commission des lois.

Comme jeudi dernier, lors du débat relatif aux lanceurs de balles de défense, j’exprime aujourd’hui, très solennellement, le soutien inconditionnel de notre groupe aux forces de l’ordre,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Prouvez-le !

M. Jérôme Durain. … durement mises à l’épreuve depuis de longues années dans un contexte sécuritaire et social tendu.

M. François Grosdidier. Il faudrait voter en cohérence !

M. Jérôme Durain. J’ajoute que les élus de notre groupe n’ont aucune espèce de sympathie pour les casseurs, pour le désordre ou pour les violences commises lors des manifestations.

M. Bruno Sido. Eh bien, alors ?

M. Jérôme Durain. Toutefois, avec cette motion, nous voulons conserver à la chambre haute son rôle de vigie dans la défense des libertés publiques.

Disons-le clairement : oui, ce texte présente un risque d’arbitraire.

M. Bruno Sido. Mais non !

M. Jérôme Durain. En définitive, il peut permettre au préfet, donc au Gouvernement, de choisir ses manifestants. Pour des raisons de fond et de forme que je vais vous détailler, je ne vois pas d’autre solution pour notre assemblée que d’interrompre, ici, le cheminement législatif de cette proposition de loi.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il ne manquerait plus que cela !

M. Jérôme Durain. Commençons par la forme. Alors qu’il s’agissait d’un texte relatif aux libertés publiques, la majorité sénatoriale avait fait le choix d’une proposition de loi. En évitant ainsi toute étude d’impact et toute consultation de grande envergure, les élus du groupe Les Républicains voulaient aller vite. Nous avions souligné ce manque de concertation en première lecture.

Depuis cet automne, la concertation a en quelque sorte eu lieu : on ne compte plus les prises de position hostiles à ce texte, que ce soit dans les rangs des syndicats, des ONG, des organisations internationales ou des autorités administratives indépendantes. C’est M. Berger, de la CFDT, qui juge cette loi « à certains points dangereuse ».

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. « À certains points » ?

M. Jérôme Durain. C’est M. Martinez, de la CGT,…

M. Bruno Sido. Tous des gauchistes !

M. Jérôme Durain. … qui trouve que cette loi « vise à restreindre le droit de manifester ». Ce sont les avocats, qui ne sont pas des « gauchistes », et les magistrats, qui ne sont pas des « gauchistes » non plus, qui expriment leur mécontentement ! Ce sont le Conseil de l’Europe et l’ONU, qui expriment des réserves… (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Alors, dans ce cas ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. François Grosdidier. M. Erdogan et M. Poutine sont réservés, eux aussi !

Mme Éliane Assassi. Vous vous répétez, monsieur Grosdidier !

M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de laisser l’orateur s’exprimer.

M. Jérôme Durain. Ce sont MM. Sureau et Mignard, soutiens d’Emmanuel Macron, qui prennent bruyamment leurs distances.

L’absence de consultation initiale était compréhensible, s’agissant d’une initiative portée par un groupe politique. Mais cette méthode est devenue beaucoup plus problématique dès lors que le Gouvernement a décidé de reprendre à son compte cette proposition de loi.

Avec le lifting des amendements gouvernementaux, ce texte a changé de nature, mais la mue n’a pas été complètement opérée. Faisons-nous face à un texte porté par la droite ? Par les macronistes ? Par les deux ? La République En Marche n’a pas souhaité l’assumer jusqu’au bout, et cela s’est senti dans les hésitations observées à l’Assemblée nationale et au Gouvernement.

Le Gouvernement et la majorité des députés sont-ils satisfaits par ce texte qu’ils ont réécrit ? On ne sait plus ! Des députés voulaient voter contre, mais ils se sont abstenus, parce que le texte qu’ils venaient de réécrire allait de nouveau être réécrit.

Du côté de la majorité sénatoriale, ce n’est guère plus clair. Chers collègues, vous avez d’abord dénoncé la réécriture du texte, en laissant entendre que vous alliez le corriger. Finalement, vous ne corrigez rien, préférant faire un pari de Pascal revisité. Si le Conseil constitutionnel existe et censure ce texte, vous aurez beau jeu de dénoncer le mauvais travail des députés. En revanche, si le Conseil constitutionnel se fait oublier, vous revendiquerez la paternité de cette loi…

La situation était déjà compliquée. Or, notre collègue Loïc Hervé l’a rappelé, nous avons appris hier que le Président de la République, que l’on sait amateur de philosophie, faisait le même pari de Pascal !

M. Loïc Hervé. Eh oui ! C’est invraisemblable !

M. Jérôme Durain. Ainsi l’Élysée va-t-il saisir les Sages à propos des articles 2, 3 et 6…

On a connu mieux comme reconnaissance de paternité ! (M. Loïc Hervé sesclaffe.) Cette proposition de loi Retailleau-Castaner-Macron se retrouve de facto orpheline. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Et pourtant, elle prend le chemin d’une adoption conforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Sur le fond, les arguments en défaveur du texte qui nous est proposé aujourd’hui ne manquent pas. Notons, d’abord, que celui-ci puise son inspiration dans l’arsenal anti-hooligans. Cet arsenal est-il toutefois si parfait qu’il puisse être généralisé ? On ne le sait pas, parce qu’il n’a jamais été évalué. À vrai dire, on a bien une petite idée de la pertinence de ce dispositif et des interdictions administratives de stade, les IAS.

Il faut écouter l’Association nationale des supporters, qui dénonce les actes de violence, mais prend la défense des supporters victimes des mailles d’un filet mal pensé. On découvre ainsi des histoires absurdes de supporters blanchis par la justice pénale, mais qui doivent continuer à batailler devant la justice administrative pour faire lever une IAS prononcée contre la mauvaise personne. On découvre que l’IAS est, dans certains cas, couplée à une obligation de pointage au commissariat, lequel est parfois à proximité du stade, la personne visée par l’IAS devant alors se rendre dans un autre établissement. On imagine ce que pourrait donner une interdiction administrative de manifester : des files d’attente de non-manifestants devant des commissariats, qui auront pourtant bien autre chose à faire.

Monsieur le ministre, pourriez-vous informer la représentation nationale des évaluations qui doivent être faites des interdictions administratives de stade ?

Proposition de loi orpheline, mal inspirée, cette loi anti-manifestants est aussi, si ce n’est surtout, dangereuse pour les libertés publiques. Elle contient un grand nombre de dispositions qui se révéleraient extrêmement risquées si elles se retrouvaient entre les mains d’un parti non républicain. Pire, elle pourrait même donner de mauvaises idées à un parti républicain. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ainsi, l’article 2 crée une interdiction administrative de manifester dans une version plus répressive que la version sénatoriale. Selon nous, cet article porte atteinte à la liberté d’expression collective des opinions et à la liberté d’aller et venir, en raison du pointage en commissariat, déjà évoqué.

Bien qu’elle soit contextualisée, la mesure de police administrative reposerait sur la seule constatation, par le représentant de l’État dans le département ou par le préfet de police, d’agissements doublés d’un risque supposé de « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » et, a fortiori, pourrait s’appliquer à des manifestations non déclarées « dont [le représentant de l’État] a connaissance ».

Faute d’énoncer des critères suffisamment précis et restrictifs, la décision d’interdiction préventive de manifester sera laissée à la seule appréciation du préfet.

Les garde-fous prévus dans le texte à l’article 2 présentent un caractère formel : dans certains cas, l’arrêté du préfet serait « exécutoire d’office et notifié à la personne concernée par tout moyen, y compris au cours de la manifestation ». En d’autres termes, le droit à un recours effectif devant le juge sera rendu impossible dans les faits.

L’article 4 de la proposition de loi crée un délit passible d’une sanction d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende pour dissimulation du visage dans une manifestation. À la suite des travaux du Sénat visant à caractériser l’intentionnalité du délit, Mme Alice Thourot, rapporteure de la commission des lois de l’Assemblée nationale, avait souhaité apporter encore plus de précisions, dans le but de garantir la proportionnalité de la mesure. En séance publique, toutefois, l’adoption d’un amendement inversant la charge de la preuve a simplifié à l’excès et a fortement déséquilibré le dispositif.

L’article 4 de la proposition de loi viserait ainsi, outre des personnes qui se trouveraient « au sein » de la manifestation, des personnes qui seraient à ses « abords immédiats », alors que des troubles à l’ordre public ne sont pas en train d’être commis, mais « risquent d’être commis », sans qu’un lien caractérisé soit établi entre le trouble et la personne qui dissimulerait seulement une « partie de son visage ».

Pour que la loi qui impose une restriction à ses droits garantis soit accessible au citoyen, celle-ci doit être précise et prévisible, de sorte que celui-ci soit en mesure de connaître la règle qui lui est appliquée. Cette exigence de précision est le corollaire du principe de sécurité juridique. Elle est inhérente à l’objectif d’intelligibilité de la loi.

J’ai, pour ma part, du mal à imaginer ce que recouvriraient en pratique, sur le terrain, les « abords immédiats » d’un parcours Bastille-République.

L’article 6 bis a été inséré dans la proposition de loi par l’Assemblée nationale à la faveur d’un amendement de sa rapporteure adopté au stade de l’examen du texte en commission des lois. Il complète la liste des obligations et des interdictions auxquelles une personne peut être astreinte dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il y ajoute notamment l’interdiction de manifester sur la voie publique dans certains lieux déterminés par le juge d’instruction ou par le juge des libertés et de la détention. Or, dans le droit en vigueur, le contrôle judiciaire peut d’ores et déjà comporter l’interdiction, pour le mis en cause, de se rendre dans certains lieux. L’article 6 bis est donc superflu.

Par cette motion, notre groupe souhaite attirer l’attention du plus grand nombre de sénateurs sur les risques que ce texte comporte.

En première lecture, de nombreux collègues de la majorité présidentielle avaient assumé leur choix et marqué leur opposition à ce texte. Nous leur donnons aujourd’hui l’occasion de réitérer cette affirmation de leurs convictions. Le nombre de personnes interpellées au cours des manifestations récentes comme la lourdeur des peines prononcées en comparution immédiate indiquent que des réponses juridiques existent déjà.

Je vous demande très solennellement, mes chers collègues, que nous assumions, que le Sénat assume son rôle de gardien des libertés publiques. Épargnons-nous ce texte inutile, imprécis et dangereux.

Même contre les brutes, monsieur le ministre, même contre les vandales, même contre les ultra-violents, suivant en cela l’avis défavorable exprimé au nom du Gouvernement par M. Laurent Nunez en première lecture, le groupe socialiste et républicain affirme que, jamais, le préfet ne pourra remplacer le juge ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe Priou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite évoquer devant vous l’origine de ce texte.

Je fus témoin de violence politique pendant des années, bien avant novembre 2018, notamment lors des manifestations contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Les centres-villes de Nantes et de Rennes furent régulièrement dévastés et vandalisés par des groupes de casseurs ultra-violents et très organisés. Ces faits s’étalèrent sur de nombreuses années.

Antérieurement à ces années-là, je fus également victime de cette violence politique, poussée à son paroxysme. Je vous précise d’ailleurs que, le 15 novembre dernier, j’ai été amené à faire un signalement auprès du procureur de la République pour de nouvelles menaces de mort.

Je vais vous narrer un événement qui remonte au 24 novembre 2000. À La Baule, un colis piégé explosait au siège du syndicat intercommunal de la Côte d’Amour et de la presqu’île guérandaise, dont j’étais alors président, tuant sur le coup un employé intercommunal qui l’avait manipulé. J’étais, à l’époque, maire et conseiller général du Croisic : ce colis m’était adressé.

Après plusieurs mois d’une enquête rigoureuse menée par la police judiciaire de Nantes, que je remercie encore de son professionnalisme et de son abnégation, trois personnes furent arrêtées. Un quatrième complice avait disparu, éliminé physiquement par les trois autres. Ce groupe de militants d’extrême droite avait des relents néonazis.

Il y eut trois procès d’assises, le premier à Nantes, le procès en appel à Rennes et un troisième à Versailles, l’assassinat de leur complice ayant été dissocié de l’attentat au colis piégé. Lors de chaque procès, l’audience, si nécessaire pour établir la vérité, a duré cinq longues journées. J’ai assisté, en ces instants, chez les policiers, chez les magistrats, chez les jurés populaires à la recherche de la vérité, parfois au confluent de la présomption d’innocence et de l’intime conviction.

La phrase qui m’a le plus marqué, lors de ces longues semaines d’audience, a été prononcée par le principal accusé, reconnu coupable, qui avouera être le commanditaire du colis piégé durant le procès de Versailles et qui fut condamné à chaque fois à vingt-sept ans de réclusion criminelle : « Je suis contre la violence gratuite, mais la violence politique peut se comprendre. »

M. Christophe Priou. En l’occurrence, l’ambition de ce personnage était d’être élu à ma place en 2001, lors des élections du printemps, et seules des conditions particulières – et encore ! – auraient pu rendre cela possible.

Ce scénario vous paraît peut-être simpliste, il est pourtant le reflet de la philosophie et de la stratégie des extrêmes. Non, on ne peut pas cautionner la violence politique, on ne peut pas l’excuser, on doit la juger et la conjurer. Elle est trop souvent fomentée par des idéologies d’extrême droite et d’extrême gauche qui savent que, pour renverser la démocratie fragile, des conditions exceptionnelles sont nécessaires, qu’il faut créer par la violence.

Regardons l’histoire du XXe siècle, du fascisme au nazisme, des Brigades rouges à la bande à Baader, en passant par Action directe, pour nous en instruire.

M. Bruno Sido. Beaucoup de communistes !

M. Christophe Priou. Les enquêtes menées à bien, les décisions de justice rendues ne résolvent pas tout. Après de tels faits, rien n’est comme avant. Vous vivez avec le remords de la chance coupable, avec à la fois la satisfaction du triomphe de la vérité et le cours des choses irréversibles, car on ne fait pas revenir à la vie les morts d’aujourd’hui et d’hier.

De même, si l’on peut réparer les vivants, ce n’est souvent que partiellement. Les mutilations taraudent traditionnellement et quotidiennement, tant physiquement que psychologiquement, ceux qui en sont victimes.

C’est pour cela que nous devons être préventifs ; ce texte l’est. « Tout ce qui ne tue pas rend plus fort », dit-on ; cela renforce au moins les convictions. Je n’ai jamais ressenti un sentiment de vengeance ni invoqué la loi du talion.

Opposant de toujours à la peine de mort, j’ai voté des deux mains en Congrès à Versailles, le 19 février 2007, l’inscription de son interdiction dans la Constitution, comme sont inscrits dans la Constitution ou dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le droit de grève et le droit de manifester.

Après ce vote, comme l’immense majorité des parlementaires ce jour-là – une majorité qui tutoyait l’unanimité –, je me suis levé pour faire une ovation debout au meilleur des orateurs de cette journée historique, celui qui fut garde des sceaux, notre collègue au Sénat, qui était, ce jour-là, le porte-parole du groupe du parti socialiste : M. Robert Badinter.

Mes chers collègues, cette proposition de loi n’est en rien liberticide. Nous nous opposons à cette motion, car l’âme de ce texte, c’est l’esprit de la République, cette République une et indivisible, la République des droits et devoirs, cette République au triptyque que le monde entier nous a emprunté à chaque fois que l’on voulait faire émerger et faire vivre la démocratie, ces trois mots sculptés sur le fronton de nos bâtiments républicains et qui résonnent plus encore aujourd’hui, dans cet hémicycle : la liberté, l’égalité, la fraternité.

Vive la République, vive la France ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marc Boyer et M. Vincent Segouin se lèvent pour applaudir. – Applaudissements prolongés sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme le rapporteur, M le président de la commission des lois et M. le ministre applaudissent également.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable à l’adoption de cette motion tendant à opposer l’irrecevabilité.

Les interrogations soulevées par les auteurs de la motion sont légitimes, mais ne doivent pas nous conduire à remettre en cause le bien-fondé et l’utilité des dispositions de ce texte.

Nous avons aujourd’hui besoin de nouveaux outils pour prévenir l’infiltration dans les manifestations de personnes dont l’unique objectif est de commettre des violences à l’encontre de nos institutions, de nos symboles et de nos forces de l’ordre.

Ce texte n’a pas, et n’a jamais eu, pour objet de porter atteinte au droit de manifester. Ne nous méprenons pas : ceux qui, depuis plusieurs semaines, nuisent à l’exercice du droit de manifester, ce ne sont ni les autorités ni les forces de l’ordre, mais bien les casseurs ! Cette proposition de loi vise uniquement à empêcher que ces individus, je dirais même ces délinquants, infiltrent les manifestations et prennent en otage des citoyens qui souhaitent exprimer pacifiquement leurs revendications.

Les mesures qu’elle contient ne sont pas soumises à l’arbitraire. Comme toute mesure de police administrative, elles devront être mises en œuvre dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité. Chacune d’entre elles sera soumise au contrôle du juge administratif, qui, je le rappelle, a démontré, au cours des dernières années, son rôle de protecteur des libertés.

Je le répète, il s’agit non pas d’une loi anti-manifestants, mais d’une loi anti-casseurs !

L’avis est donc défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Mon groupe votera sans hésitation cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Mes chers collègues, l’équilibre entre respect de la liberté de manifester et respect de l’ordre public imposé par l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est manifestement rompu, et la jurisprudence du Conseil constitutionnel à ce sujet contredite.

Faut-il rappeler au Gouvernement et aux adeptes du « nouveau monde » de La République En Marche que cette Déclaration a une valeur pleinement constitutionnelle, faisant partie intégrante du bloc de constitutionnalité ?

Cette proposition de loi, par chacun de ses articles, mais également dans sa globalité, offense l’article X du texte fondateur de 1789.

L’addition des articles, à l’exception du modeste article 1er A, porte gravement atteinte à la liberté d’expression et d’opinion, dont le véhicule est, justement, le droit de manifester.

L’article 2, en transférant à l’autorité politique le pouvoir d’interdire à une personne de manifester, de surcroît, sur l’ensemble du territoire et pour une durée maximum d’un mois, ne pourra qu’être jugé non conforme à la Constitution. C’est inéluctable !

L’article 4, qui sanctionne lourdement la dissimulation du visage, même partielle et sans élément intentionnel, ne respecte pas non plus les libertés fondamentales.

L’article 6, sur les peines complémentaires, pose également de lourdes questions.

Les modifications apportées par la majorité de l’Assemblée nationale au texte sénatorial ont provoqué un dérapage incontrôlé et la décision d’Emmanuel Macron de saisir lui-même le Conseil constitutionnel se rapproche de la sortie de route.

Le Président de la République est piégé par un texte de circonstance, qui visait à diaboliser le mouvement des « gilets jaunes » pour tenter de reprendre la main à tout prix, et il a accouché d’un monstre juridique.

M. François Grosdidier. La proposition de loi est antérieure au mouvement des « gilets jaunes » !

Mme Éliane Assassi. Nous appelons solennellement le Sénat à prendre ses responsabilités en votant l’irrecevabilité.

J’indique, enfin, que mon groupe souhaite s’associer à la saisine du Conseil constitutionnel qui est en cours de préparation, en rappelant que soixante sénatrices et sénateurs peuvent exercer ce droit. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Dans cet hémicycle où le respect de la Constitution et de la séparation des pouvoirs est un principe important, que nous avons dû défendre encore récemment, je ne peux m’empêcher de revenir sur deux points.

Je ne pensais pas devoir aborder le premier : j’ai eu la surprise de voir le ministre applaudir notre collègue qui s’exprimait contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Lorsque l’on entend respecter la séparation des pouvoirs, c’est étrange. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’ose espérer, mes chers collègues, que, lorsque cela se produira dans d’autres circonstances, vous saurez rappeler aux membres du Gouvernement l’attitude qu’ils doivent adopter !

Je ne désespère jamais de convaincre. Notre rapporteure, Mme Catherine Troendlé, et le ministre ont indiqué que ces dispositions n’étaient pas attentatoires aux libertés. Je souhaite rappeler tout de même – c’est important, car le Conseil constitutionnel va être saisi et nos débats seront lus à la loupe – que trois principes sont violés : la liberté d’aller et venir, la liberté de manifester…

M. Bruno Sido. Mais pas la liberté de casser !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. … et le droit au recours et à l’accès à un juge.

Si je reviens sur ce dernier point, c’est qu’il se dit des choses inexactes. On prétend que ce texte permet l’accès au juge, car, dans le cadre du référé-liberté, le juge administratif peut être saisi. Ceux qui, ici, connaissent l’aspect judiciaire du droit administratif savent que le juge a quarante-huit heures pour se prononcer.

Voici comment cela va donc se passer : les préfets vont prendre des arrêtés d’interdiction, certains des concernés saisiront peut-être le juge administratif, mais celui-ci aura quarante-huit heures pour se prononcer. Entre-temps, la manifestation aura eu lieu. J’insiste, car, je vous le dis, c’est sur ce point que le Conseil constitutionnel va être amené à se prononcer et que la loi sera censurée.

Mes chers collègues de la majorité du Sénat, ne soyez pas dupes de la manœuvre du Président de la République. Relisons vos déclarations et celles de vos collègues de l’Assemblée nationale : vous êtes en désaccord avec la majorité des dispositions de ce texte, mais vous pensez faire une mauvaise manière au Gouvernement, alors que vous lui servez sur un plateau un texte inconstitutionnel.

Encore une fois, soyez vigilants et rejoignez-nous dans le vote en faveur de cette exception d’irrecevabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.

M. François Grosdidier. Ce qui est surprenant, dans les positions des groupes de gauche, c’est qu’ils s’opposent, sans rien proposer !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous proposons de respecter la Constitution !

Mme Éliane Assassi. Attendez que le débat ait lieu, vous y entendrez nos propositions !

M. François Grosdidier. La situation actuelle fait plus que confirmer le constat que nous avions établi lorsque le président Retailleau, avec notre groupe, avait rédigé cette proposition de loi, qui n’est pas de circonstance, car elle a largement précédé le mouvement des « gilets jaunes ».

Ce mouvement l’a, en revanche, confirmée. En effet, qu’y voyons-nous ? Des groupes d’extrémistes, de droite ou de gauche, ainsi, notamment à Paris, que des voyous de droit commun, qui s’intègrent dans les cortèges pour les dévoyer, qui menacent le droit de manifestation, qui pratiquent systématiquement les violences contre nos forces de l’ordre et se livrent, autant qu’ils le peuvent, à des actions de vandalisme.

Ce phénomène, nous savons qu’il existe. Allons-nous le prévenir, ou non ? Nous avons été témoins des difficultés rencontrées ces derniers mois par le Gouvernement et les forces de l’ordre pour le juguler, alors que les Français ne peuvent l’accepter, s’agissant des forces de l’ordre, mais aussi des commerçants victimes, voire des manifestants qui souhaitent continuer à manifester pacifiquement.

Jusqu’à présent, qu’ont proposé les groupes de gauche dans cette assemblée ? La semaine dernière, ils souhaitaient retirer aux forces de l’ordre les armes non létales !

Mme Éliane Assassi. Nous ne sommes pas les seuls à le demander !

M. François Grosdidier. C’est votre seule proposition !

Nous pensons qu’il faut prévenir, en interdisant les manifestants dont on sait qu’ils ont des comportements violents. Nous entendons les empêcher de se cagouler en les rendant passibles d’une peine supérieure à 35 euros, parce que, aujourd’hui, il est plus risqué de mal garer sa voiture que de porter une cagoule. Nous entendons les sanctionner et, ensuite, engager leur responsabilité afin d’appliquer le principe du casseur-payeur.

C’est le moins que nous puissions faire aujourd’hui. Ce texte n’est pas une proposition de loi de circonstance, il vise à adapter notre droit à des situations nouvelles qui, hélas ! sont durables et pérennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 63 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 332
Pour l’adoption 90
Contre 242

Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Discussion générale (début)

M. le président. Je suis saisi, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 2. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Mes chers collègues, j’aimerais pouvoir parler sans ce brouhaha général ! (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne vois pas comment vous pouvez protester devant cette demande ! (Mme Esther Benbassa applaudit.)

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération de la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations (n° 364, 2018-2019).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des lois, « avec cette loi, on transfère aux préfets des pouvoirs que détiennent les juges. […] Nous touchons donc à l’État de droit, et c’est proprement inacceptable ! ». Ces mots, mes chers collègues, n’émanent pas d’un dangereux agitateur, mais sont ceux de Charles Amédée de Courson, député centriste de la Marne, connu pour ses convictions libérales sur le plan économique.

Nous nous retrouvons aujourd’hui, avec des hommes et des femmes d’horizon très divers, pour combattre une proposition de loi qui porte gravement atteinte à plusieurs libertés constitutionnelles, à commencer par le droit de manifester.

C’est le 7 janvier 2019 qu’Édouard Philippe, très martial, a annoncé sa volonté de reprendre pour le compte du Gouvernement la proposition de loi adoptée par le Sénat le 23 octobre 2018, trois semaines avant la première manifestation des « gilets jaunes », le 17 novembre.

Le changement d’attitude du Gouvernement par rapport à ce texte est manifeste : M. Nunez citait en octobre l’article de la Déclaration des droits de l’homme fondant le droit de manifester et recommandait d’attendre et de bien réfléchir avant de légiférer ; M. Soilihi annonçait que le groupe La République En Marche voterait contre le texte.

C’est donc sous la pression de l’événement, dans le cadre d’une stratégie de communication, qu’Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité ont tenté d’étouffer les revendications du mouvement des « gilets jaunes » par la mise en exergue d’actes violents, spectaculaires, qui sont le fait d’une infime minorité de manifestants.

Monsieur le ministre, je l’ai dit et répété le 7 mars dernier, lors de l’examen de notre proposition de loi visant à interdire les LBD 40 : les fonctionnaires de police ne sont pas responsables collectivement de la situation actuelle. Vous les envoyez en première ligne, avec des ordres et une doctrine qui ne permettent pas l’apaisement.

Notre opposition à ce texte, à la stratégie de la tension mise en œuvre, vise à protéger autant les policiers que les manifestants !

Comment ne pas faire le lien entre les mesures envisagées, sur lesquelles je reviendrai avant que mon amie Esther Benbassa ne les détaille dans la discussion générale, et ces propos dangereux, d’une responsabilité mal assurée, d’Emmanuel Macron : « il faut maintenant dire que, lorsqu’on va dans des manifestations violentes, on est complice du pire » ?

Avec ces propos, M. Macron ne calme pas le jeu ; il souffle sur les braises, espérant, comme nombre de ses prédécesseurs, que la provocation à la violence permettra un pourrissement du mouvement.

Face à la persistance du soutien de l’opinion et des manifestations, malgré les difficultés d’exercer ce droit constitutionnel, le Président de la République devrait plutôt regarder la vérité en face : seule une réponse politique aux aspirations populaires portées par ce mouvement et profondément ancrées dans les villes et les campagnes, seule une réponse politique à cette formidable exigence de dignité et de démocratie, seule une réponse politique aux salariés et aux retraités qui demandent tout simplement à vivre, qui attendent une nouvelle répartition des richesses assurant l’égalité, seule cette réponse politique permettra de résoudre cette crise !

Monsieur le ministre, par le passé, seule une réponse politique a permis de dénouer des crises qui, elles aussi, comportaient, comme tout soulèvement populaire, leur part de violence.

Depuis sa présentation, puis son adoption à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi suscite un véritable tollé. Comment ne pas rappeler les propos de M. Toubon ? Il l’estime « déséquilibrée, attentatoire aux libertés et susceptible d’exposer les forces de l’ordre à davantage de risques et de dégrader leur relation avec la population ». En cela, M. Toubon est fidèle aux valeurs d’une droite républicaine qui sait que l’usage disproportionné de la force met en danger l’équilibre de la société.

Le 7 mars dernier, j’ai évoqué la lettre dans laquelle le préfet Grimaud, en 1968, dans un contexte de grave crise, rappelait la doctrine française du maintien de l’ordre, une doctrine qui, malheureusement, appartient aujourd’hui au passé. Cet après-midi, mes chers collègues, je citerai cette lettre, car elle peut éclairer votre vote.

« Frapper un manifestant à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. […] Il est encore plus grave de frapper des manifestants après leur arrestation. […] Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de camarades qui souhaitent se venger. Cette escalade n’a pas de limites. » Voilà les propos du préfet Grimaud !

Mme Éliane Assassi. Oui, monsieur le ministre, votre choix de l’escalade constitue un danger démocratique.

Cinquante-deux associations et syndicats l’affirment : « Cette loi de circonstance porte un lourd risque d’arbitraire des gouvernements d’aujourd’hui comme de demain. » Et de préciser : « Les violences contre les personnes, les biens, les institutions qui ont eu lieu ne peuvent justifier qu’un exécutif s’arroge des pouvoirs exorbitants et décrète qui peut ou ne peut pas manifester. »

M. Bruno Sido. Il ne s’agit pas de cela !

Mme Éliane Assassi. Oui, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi met en péril la liberté de manifester !

Je présenterai quelques remarques sur les points essentiels de ce texte.

L’article 2, qui, dès l’origine sénatoriale, transférait le pouvoir d’interdire à une personne de manifester du juge au préfet, c’est-à-dire au représentant du pouvoir politique, courait le risque d’inconstitutionnalité au point, comme le reconnaît le président Bas, de devoir être strictement encadré. D’ailleurs, le Président de la République lui-même s’interroge, puisqu’il a annoncé, hier, vouloir saisir le Conseil constitutionnel.

En vérité, on marche sur la tête : pourquoi le Président de la République annonce-t-il, la veille du débat sénatorial, la saisine du Conseil constitutionnel, alors que le Sénat s’apprête à voter conforme ce texte, si la majorité Les Républicains le vote ainsi ?

À l’Assemblée nationale, plus de faux-semblants ni de préventions : l’article 2 a été musclé au point de prévoir que l’interdiction puisse être assortie d’une peine complémentaire d’interdiction de manifester sur tout le territoire, pour une durée pouvant atteindre un mois. De plus, les députés ont décidé que les personnes interdites pourraient ne pas avoir été condamnées préalablement et pourraient n’avoir commis que des « agissements » durant un rassemblement précédent – terme vague, inspiré de la loi anti-hooligans. Mais, monsieur le ministre, mes chers collègues, supporter une équipe, ce n’est pas exercer un droit constitutionnel !

Cet élargissement important du champ de l’article 2 expose celui-ci à une censure, comme il a été souligné lors des interventions sur la motion d’irrecevabilité. D’ailleurs, Mme la rapporteure a rappelé ce danger, tout comme le président de la commission des lois, devant la presse et en commission.

Hier, donc, c’est M. Macron qui a annoncé sa volonté de saisir le Conseil constitutionnel, sans doute pour faire bonne figure. Pourquoi le législateur ne prend-il pas ses responsabilités ? Pourquoi renvoyer cette mission au Conseil constitutionnel, dont, je le rappelle, la légitimité n’est pas la même que celle des assemblées républicaines ?

L’article 3, qui concerne le fichage – un de plus… – des personnes interdites de manifestation, porte également atteinte aux libertés individuelles, d’autant que l’Assemblée nationale entend mêler dans un même fichier délinquants, terroristes et manifestants.

Quant à l’article 4, relatif à la pénalisation de la dissimulation du visage, même partielle, laquelle serait passible, selon vos souhaits, d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, il s’expose aussi, selon Mme la rapporteure, à l’inconstitutionnalité, l’Assemblée nationale ayant supprimé, sur l’initiative d’un député En Marche, Mme Laurence Vichnievsky, l’élément intentionnel.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons constaté l’utilisation massive de gaz lacrymogènes durant les manifestations, déclarées ou non. Lors de certains rassemblements, des milliers de grenades ont été utilisées. Comment oser empêcher un manifestant de se protéger ? Si l’élément intentionnel est supprimé, même les personnes tentant de protéger leur respiration seront visées et ne pourront exercer le droit constitutionnel de manifester !

Pour vous dire le fond de ma pensée, ce texte me paraît particulièrement inopportun. À l’heure où je vous parle, si une trace doit rester dans l’histoire de ce mouvement, outre son originalité, sa force, sa persistance et, ne vous en déplaise, sa popularité, c’est la répression systématique et violente qui s’abat sur lui.

Après le Défenseur des droits, le Conseil de l’Europe, l’ONU même, ce sont trente-cinq ophtalmologistes, professeurs de renommée internationale, qui ont écrit à Emmanuel Macron pour demander un moratoire…

M. François Grosdidier. Sur les manifestations ?

Mme Éliane Assassi. … sur l’utilisation des LBD 40. Il faut aujourd’hui interdire cette arme !

Mes chers collègues, ce nouveau monde est étonnant : il reprend à son compte une vieille loi adoptée en 1970, la loi anti-casseurs. Faire du vieux avec du vieux pourrait être leur doctrine, votre doctrine, monsieur le ministre… Vous répétez à l’envi que vous ne changez pas de cap, mais, pour tenter désespérément de le maintenir, vous vous appuyez sur la répression !

Le vote conforme proposé au Sénat, qui vole au secours d’Emmanuel Macron en la matière, vise à contrer l’impopularité croissante de la politique répressive, y compris au sein de la majorité. Cette précipitation est un aveu de faiblesse.

Les valeurs profondes de notre République, qui ont marqué l’histoire de notre pays, malgré les tragédies et les souffrances, s’imposeront, j’en suis certaine. Le Sénat, qui s’affirme comme le gardien des libertés, n’a qu’une chose à faire pour ne pas trahir sa parole : rejeter d’emblée ce texte, dire « stop » à une incontestable dérive autoritaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, cet après-midi, en réalité, que nous demande-t-on ?

Mme Éliane Assassi. De ne pas voter ce texte !

M. Roger Karoutchi. On nous demande de dire ce qu’est l’ordre républicain.

M. Roger Karoutchi. L’ordre républicain, c’est un partage entre la liberté, la démocratie, la sécurité, la République.

La liberté, la « liberté chérie », selon la sixième strophe de La Marseillaise, selon Pierre Mendès France aussi, qui donna ce titre à un ouvrage remarquable, est aussi la valeur de référence de Léon Blum dans son magnifique livre À léchelle humaine. Il y reconnaît avoir dû, en 1936, dissoudre les ligues et prendre des mesures difficiles, dures, pour que cessent les manifestations, pour que cessent les remises en cause de la République dans la rue.

Non, ce texte ne se réfère pas à celui de 1970. La République s’est régulièrement défendue, et la République doit se défendre.

La liberté est un droit ; manifester est un droit ; l’équilibre est un droit. Mais de quoi, de qui, parle-t-on ? Aujourd’hui, monsieur le ministre, l’armée de la République, la gendarmerie de la République, la police de la République ne sont pas, comme on le pensait encore voilà quatre-vingts ans, des forces liées à des mouvements extrêmes.

Or cette police, cette gendarmerie, cette armée font face à des ultras, à des gens qui ne respectent pas la démocratie, qui ne veulent pas de la République et qui, non seulement en France mais partout en Europe, remettent en cause les systèmes démocratiques.

Sur tel ou tel article, nous nous demandons : est-ce possible, est-ce équilibré ? Mais que faisons-nous face à cette remise en cause, dans toute l’Europe, de la République et de la démocratie, à part des contestations et des colloques ? Que faisons-nous, en réalité, devant cette évolution, inéluctable (Lorateur martèle son pupitre.), de la violence, de la remise en cause des droits et des libertés ?

Alors oui, la République doit se défendre. Oui, naturellement, la démocratie n’existe que si elle se défend.

Je ne suis pas – je l’ai toujours dit – un adepte des comparaisons avec les années trente, parce que les conditions politiques, économiques, militaires, internationales de l’époque n’avaient rien à voir avec celles d’aujourd’hui. Mais, tout de même, lorsque la démocratie, la République étaient en jeu dans ces années-là, ceux qui ont hésité l’ont payé cher !

Je ne dis pas que nous sommes dans la même situation, mais je dis très tranquillement : donnez aux forces de l’ordre, aux forces de l’ordre de la République, aux autorités légitimes de la République, les moyens de faire en sorte qu’il y ait moins de violences, moins de casseurs, moins de difficultés, moins de remises en cause des libertés – et d’abord, madame la présidente Assassi, de la liberté de manifester.

Moi qui fais partie de l’ancien monde, monsieur le ministre, je me souviens des immenses manifestations de la CGT, où il n’y avait pas une casse, pas une remise en cause et où le service d’ordre du syndicat permettait à 200 000 personnes de défiler sans difficulté.

M. François Grosdidier. C’était le bon temps !

M. Roger Karoutchi. On n’en est plus là ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Grosdidier. Krasucki, reviens !

M. Roger Karoutchi. On a dit que les syndicats et des associations protestaient contre ce texte. C’est vrai, mais j’ai aussi entendu Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, dire, voilà trois mois : on hésite à appeler à manifester, parce que les gens connaissent et craignent les violences.

La liberté de manifester pour défendre ses convictions, que l’on soit de gauche ou de droite, ne doit pas être un risque pour sa personne. Manifester est un droit, mais un droit aujourd’hui contesté par une petite minorité, qui profite de toutes les manifestations, d’où qu’elles viennent, pour remettre en cause la République et la démocratie.

Alors oui, il est difficile de trouver un équilibre, difficile de donner plus de libertés tout en défendant la démocratie et la République, de garantir le droit de manifester en faisant en sorte que ces casseurs, ces ultras n’aient pas le pouvoir dans la République, ni dans la rue ni dans les urnes.

Mais que faire ? Faut-il ne toucher à rien, laisser faire et, au soir de chaque manifestation, se demander : mon Dieu, qu’avons-nous encore eu aujourd’hui ?

Mme Éliane Assassi. Il faut écouter les vrais manifestants !

M. Roger Karoutchi. Oui, madame la présidente Assassi, il faut un équilibre. Le pouvoir dont nous parlons, limité par rapport à l’intensité de la capacité à manifester, nous le donnons, je le répète, à ceux qui représentent la République, à la police, à la gendarmerie, à l’armée, aux autorités légitimes de la République.

M. Roger Karoutchi. À l’armée, oui. Qui s’occupe de Vigipirate ? Et de Sentinelle ? Qui assure la sécurité dans ce cadre ? L’armée. Quoi ! Le mot vous choque ? L’armée, ce n’est pas le coup d’État militaire : c’est l’armée de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Je préférais la situation d’il y a quelques années, quand, quelle que soit l’expression politique de chacun, elle passait par les urnes ou des manifestations calmes, où chacun s’exprimait et défendait ses convictions.

M. Jean Bizet. C’était l’ancien monde !

M. Roger Karoutchi. Je le regrette, mais ce n’est plus la situation d’aujourd’hui, et pas seulement en France.

M. Roger Karoutchi. Voyez ce qui se passe partout en Europe, et même dans le monde : partout, les minorités violentes ont décidé de profiter des grandes manifestations, des manifestations de masse, pour déstabiliser la démocratie et la République.

Mme Éliane Assassi. Demandez-vous pourquoi !

M. Roger Karoutchi. En vérité, je n’aurai donc pas d’états d’âme pour voter cette proposition de loi.

Je ne comprends pas, monsieur le ministre, que le Président de la République n’ait pas attendu le vote du Sénat avant de la déférer éventuellement au Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)

Le message n’est pas clair. Je ne doute pas un seul instant que le Président de la République veuille maintenir l’ordre républicain, mais il y a des moments où les forces de sécurité, les autorités légitimes de la République, le Parlement ont besoin que chacun soit dans son rôle, assume et incarne. En l’espèce, le Président de la République eût mieux fait d’attendre demain. Je ne suis pas de ceux qui s’opposent à lui pour s’opposer, mais, là, un peu d’attente n’aurait pas nui.

M. Roger Karoutchi. Mes chers collègues, le Parlement vote parfois des textes dont l’opportunité – comment dire ? – vaut pour les mois qui viennent, en attendant le prochain… Mais il est des moments, au-delà du texte d’aujourd’hui, où il est confronté à une réalité simple : voulons-nous, oui ou non, avec ce que cela veut dire, défendre la République, la démocratie dans notre pays ? Il faut les défendre ! (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste, ainsi quau banc de la commission. – Mme Brigitte Lherbier se lève pour applaudir.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Pour les raisons que j’ai exposées précédemment, la commission a émis un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi.

Face aux violences, aux dégradations, notre responsabilité de législateur est de doter rapidement nos forces de l’ordre de tous les moyens nécessaires pour garantir tant la liberté de manifester que la sécurité de nos concitoyens.

Pouvons-nous encore tolérer que, chaque samedi, nos centres urbains soient saccagés par les pilleurs ? (Non ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Pouvons-nous accepter que nos forces de l’ordre continuent, chaque semaine, d’être la cible de jets de pavés, de boules de pétanque et de bouteilles d’acide ? (Non ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Il est évident que non !

C’est pourquoi, mes chers collègues, la commission a décidé de se prononcer en faveur d’une adoption conforme du texte voté par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis.

Mme Éliane Assassi. Il n’a rien à dire…

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

M. Jérôme Durain. Nous avons bien entendu l’argumentation de M. Karoutchi, servie par un talent dont je suis toujours admiratif. Reste, mon cher collègue, que je ne reconnais pas dans la période que nous vivons les années trente auxquelles vous avez fait référence. Les « gilets jaunes », ce n’est pas le 6 février 1934 ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Raison. Ce n’est pas ce qu’il a dit !

M. François Grosdidier. Les nuances du propos vous ont échappé !

M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser l’orateur poursuivre.

M. Jérôme Durain. Le désordre dans la rue, non, mais dans l’hémicycle, oui ?

Comparaison n’est pas raison. Monsieur Karoutchi, vous convoquez les magnifiques manifestations d’antan – peut-être un souvenir de votre jeunesse… –, l’idée d’une splendide période de concorde. La réalité, c’est qu’on n’a pas attendu les « gilets jaunes » pour assister à des manifestations violentes.

Mme Éliane Assassi. Souvenez-vous de la loi El Khomri !

M. Jérôme Durain. Des chercheurs du CNRS ont bien montré que le niveau de violence était bien supérieur en 1968, par exemple, à celui que nous connaissons aujourd’hui, alors même que les forces de l’ordre étaient à l’époque bien plus démunies qu’aujourd’hui.

On parle d’équilibre, mais tâchons donc d’être équilibré dans les propositions et dans l’analyse.

Monsieur Karoutchi, vous avez raison : les questions se posent de la démocratie, de la liberté et de la sécurité. Personne sur les travées de mon groupe ne se refusera à applaudir les forces de l’ordre ou l’armée. Seulement, il ne suffit pas de convoquer la République et ses forces de l’ordre légitimes pour avoir raison sur le fond !

Ce texte est déséquilibré ; nous l’avons démontré. En particulier, il n’y a pas de recours possible devant le juge administratif. Nombre de mesures proposées ne permettent pas un traitement correct de tous, manifestants et forces de l’ordre. Nous avons la conviction que ce texte sera source de déséquilibres, de crispations et qu’il se retournera contre les forces de l’ordre !

M. François Grosdidier. Et laisser les policiers se faire tabasser, c’est équilibré ?

M. Jérôme Durain. Nous voterons donc la motion défendue par Mme Assassi.

À la vérité, derrière un peu d’idéologie et beaucoup d’idéalisation des rapports sociaux passés, il y a de nombreuses arrière-pensées politiques. On ne peut pas dire que ce texte a une constitutionnalité douteuse et, dans le même temps, vouloir l’adopter conforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.

M. François-Noël Buffet. Au nom du groupe Les Républicains, j’appuie les propos à la fois déterminés et mesurés de Roger Karoutchi.

Notre groupe soutient ardemment ce texte, d’abord parce qu’il en est en partie à l’origine, ensuite parce qu’il entend s’adapter à la situation actuelle, dans laquelle nos forces de l’ordre subissent des violences et des attaques absolument inacceptables dans notre République.

Dans ce contexte, il est impératif que nous disposions des outils juridiques permettant à nos forces de l’ordre d’agir, dans un cadre légal équilibré comme celui qui nous est présenté.

En conséquence, nous voterons contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Je voterai ce texte.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Quel texte ?

M. Pierre-Yves Collombat. Je suis contre la proposition de loi et voterai donc la motion… Vous aviez bien compris ! (Exclamations et rires sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. Franchement, mes chers collègues, un débat sur le maintien de l’ordre mérite plus d’ordre dans notre hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas là du désordre, monsieur le président !

Je disais donc que je suis contre ce texte, mais que je ne l’aurais pas été s’il était accompagné ou s’il avait été précédé de mesures de fond pour essayer de répondre au malaise social qui monte depuis des années, non seulement en France, mais, comme l’a souligné Roger Karoutchi, dans l’Europe entière.

On nous bassine avec la menace de l’extrême droite, mais vous fabriquez des électeurs d’extrême droite tous les jours, avec cette politique ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Grosdidier. Vous légitimez l’extrême droite !

M. Pierre-Yves Collombat. Enfin quoi ? Ils sont méchants, bien sûr, pas beaux, et casseurs, mais ils ne sont pas le produit d’une génération spontanée ! (Mêmes mouvements.)

Ne nous contentons pas de mesures de police, qui n’ont de sens que si, en même temps, on essaie autre chose. Croyez-vous que c’est votre grand débat qui changera quoi que ce soit ? Que se passera-t-il à la fin de celui-ci ?

Mes chers collègues, essayez de réaliser où est l’urgence.

M. François Grosdidier. Arrêter les casseurs !

M. Pierre-Yves Collombat. Je veux bien qu’on prenne toutes les mesures répressives que l’on veut, mais ce n’est pas ainsi qu’on réglera le problème ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, « il est des questions qu’on ne peut aborder sans un profond découragement et sans une amère tristesse ». Ainsi Benjamin Constant commençait-il son discours à la Chambre des députés, le 7 mars 1820.

Découragement oui, tristesse aussi, surprise assurément. Car, à l’évidence, personne n’imaginait, le 23 octobre dernier, lors de l’examen de cette proposition de loi en première lecture, ici, au Sénat, ce qu’il pourrait advenir de ce texte. Pour notre groupe, en tout cas, ce qu’il advint était totalement inattendu.

À l’époque, nous envisagions cette proposition de loi comme un texte d’appel. La crise des « gilets jaunes », ultérieure, a conduit le Gouvernement à se saisir de ce texte d’origine sénatoriale, ce qu’il n’aurait sûrement pas fait en d’autres circonstances.

Dès lors, je considère, comme une partie des membres de mon groupe, que ce texte a changé de nature : il a basculé dans la catégorie des lois dites de circonstance, réaction politique à une crise qui envahit le débat public depuis plusieurs mois. Or nous devons être précautionneux, nous sénateurs plus que les autres, face au diktat de l’actualité ou face à une quelconque pression.

Les circonstances politiques de notre vote d’aujourd’hui sont d’ailleurs différentes de celles du dépôt du texte. C’est pour moi une évidence.

Le débat à l’Assemblée nationale a été enflammé : il a pu donner lieu à certains excès, tant chez les opposants à ce texte que chez ses partisans. Il a, par certains aspects, permis de mettre en lumière des questions qui restent devant nous.

Une chose est sûre : le texte qui revient du Palais Bourbon n’est pas le même que celui qui a été adopté par le Sénat en octobre dernier. Je veux l’affirmer avec force et clarté, notamment à l’égard de notre collègue auteur de la proposition de loi, le président Bruno Retailleau.

Politiquement, il n’a plus la même portée, comme je viens de l’expliquer ; juridiquement, il a connu de profondes évolutions, évoquées par notre rapporteure, Catherine Troendlé, et dont je reviendrai brièvement sur les plus importantes.

L’article 4 prévoit la création d’un délit de dissimulation du visage au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation. Cette pratique est réprimée depuis 2009, mais par une simple contravention. En la faisant basculer du domaine contraventionnel au domaine délictuel, le texte a une conséquence pratique immédiate : il rend possibles l’interpellation et le placement en garde à vue des auteurs de l’infraction, aujourd’hui impossibles.

L’intérêt est donc évident, et les modifications introduites par l’Assemblée nationale paraissent pertinentes, puisque nos collègues députés ont précisé l’élément intentionnel de cette infraction, afin de se conformer au principe de légalité des délits et des peines.

De même, la modification introduite à l’article 3 nous semble pertinente, puisqu’elle évite la création d’un fichier ad hoc en prévoyant une insertion dans le fichier des personnes recherchées.

Voilà, mes chers collègues, pour les points positifs…

Reste l’article 2, qui prévoit l’interdiction administrative de manifester. Nous étions déjà réservés sur ce point en première lecture. Les modifications introduites par la majorité à l’Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement, nous inquiètent au regard de l’idée que nous nous faisons des libertés publiques dans notre pays. Elles nous inquiètent aussi par les imprécisions de rédaction qu’elles introduisent dans cet article 2.

Je vous invite, mes chers collègues, à bien considérer le premier alinéa de cet article. Sa rédaction manque de clarté – c’est un euphémisme –, mais, surtout, il prévoit la possibilité pour l’autorité administrative d’interdire à une personne de manifester, cette interdiction pouvant aller jusqu’à un mois sur tout le territoire national.

M. Ladislas Poniatowski. C’est très bien !

M. Loïc Hervé. La question la plus sensible porte sur le fait de savoir sur quelle base les préfets vont pouvoir justifier une telle interdiction. En raison d’une condamnation pénale, pour des atteintes aux biens ou personnes ? Mais non ! Ils pourront interdire une personne de manifester pendant un mois pour des « agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ».

M. Ladislas Poniatowski. C’est très bien !

M. Loïc Hervé. Pouvait-on trouver formulation plus vague ou plus difficile à définir ? Et, surtout, les agissements en question auront-ils été soumis à l’appréciation d’un magistrat judiciaire ? Évidemment non !

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre de l’intérieur, je suis profondément hostile, comme certains collègues de mon groupe, à cette disposition telle qu’elle a été rédigée et votée par l’Assemblée nationale.

Le texte adopté par le Sénat était profondément différent puisqu’il faisait, lui, référence à une condamnation pénale préalable.

M. Loïc Hervé. La qualité du travail de notre rapporteure, Catherine Troendlé, que je tiens à saluer, a malgré tout permis de convaincre une majorité de membres de mon groupe. Ceux-ci sont parvenus à surmonter les craintes suscitées par cet article 2, étant convaincus que l’urgence de la situation impose au Sénat d’adopter définitivement ce texte aujourd’hui, mais ce n’est pas mon cas. Comme plusieurs de mes collègues, je ne peux pas voter cette proposition de loi en l’état.

Notre rapporteure exprimait en première lecture sa volonté d’assurer, pour l’ensemble du texte, une conciliation équilibrée entre la prévention des atteintes à l’ordre public et la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.

Pour ma part, je déplore que cet équilibre ne soit malheureusement plus atteint par cette proposition de loi, dans la rédaction qui nous est aujourd’hui proposée. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, le droit de manifester, garanti par l’article VII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, semble aujourd’hui menacé.

Dégradations de bâtiments institutionnels, de mobilier urbain, de bâtiments commerciaux ; destructions d’équipements publicitaires ; incendies de voitures ; jets de projectiles contre les forces de l’ordre ; CRS pris au milieu des flammes ; policiers blessés, frappés à terre… Les actes de violence et de dégradation dans les manifestations deviennent récurrents. Ceux-ci ont pris une ampleur sans précédent : depuis le printemps 2016 et, plus récemment, depuis novembre dernier, chaque samedi, des groupes de « casseurs » sèment le trouble et s’en prennent, avec une violence inédite, à nos forces de l’ordre.

Je fais ici référence aux récents événements qui ont fait la « une » de l’actualité, comme le saccage du musée de l’Arc de Triomphe, le pillage de commerces ou encore l’incendie de la préfecture du Puy-en-Velay.

Ces actes violents et inadmissibles, que l’on constate aussi bien dans les grandes agglomérations que dans les villes moyennes, témoignent de l’urgence à équiper nos forces de l’ordre d’outils leur permettant de mieux les prévenir et de doter l’autorité judiciaire de dispositions, afin de les sanctionner plus sévèrement.

La proposition de loi que nous examinons cet après-midi avait déjà été adoptée, en première lecture, par le Sénat en octobre dernier, apportant une réponse aux débordements déjà constatés à l’occasion des manifestations du 1er mai 2018.

Le contexte inédit de ces dernières semaines confirme que cette proposition de loi comporte des dispositifs pertinents et utiles. Celle-ci contient en effet un volet préventif, qui tend à doter l’autorité administrative de nouvelles prérogatives pour mieux prévenir les débordements, ainsi qu’un volet répressif, qui vise à donner à l’autorité judiciaire les moyens de réprimer plus efficacement les violences et les actes de dégradation.

Concernant le premier volet, l’Assemblée nationale n’a pas remis en cause les objectifs visés par le Sénat, tout en apportant des modifications.

Elle a notamment confirmé la possibilité donnée à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge des référés, d’interdire, par arrêté, à un individu de participer à une manifestation, si celui-ci constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.

Allant plus loin que ce que le Sénat avait prévu en première lecture, elle a, de plus, autorisé l’autorité administrative à interdire à un individu de prendre part à toute manifestation sur le territoire national pour une durée pouvant aller jusqu’à un mois.

Par ailleurs, elle a préféré, dans un souci de simplification, l’inscription de l’ensemble des mesures d’interdiction de manifester au sein d’un fichier existant : le fichier des personnes recherchées.

Quant au second volet – le volet répressif –, l’Assemblée nationale a retenu une nouvelle définition du délit de dissimulation du visage au sein ou aux abords d’une manifestation publique, qu’elle a jugée plus opérationnelle que la rédaction adoptée par le Sénat.

En outre, elle a supprimé l’article relatif aux délits de port d’arme et de jets de projectiles, considérant que ces dispositions étaient satisfaites par le droit en vigueur.

Elle a également complété les mesures approuvées par le Sénat concernant la peine complémentaire d’interdiction de manifester, en prévoyant la possibilité de recourir aux procédures rapides pour les délits liés à un attroupement, ainsi que la possibilité d’interdire à un individu de manifester en des lieux déterminés dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

Enfin, l’Assemblée nationale a souhaité alléger le régime de déclaration des manifestations dans un nouvel article et a confirmé, sous réserve de quelques ajustements, le dispositif proposé par le Sénat concernant la responsabilité civile des auteurs de dommages.

La plupart de ces modifications permettront de faciliter la mise en œuvre par nos forces de sécurité et par l’autorité judiciaire des mesures nouvelles prévues par le texte.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions figurant dans cette proposition de loi visent bien à assurer le libre exercice du droit de manifester. Elles ne restreignent en rien les droits et libertés des manifestants, mais, au contraire, elles ciblent ceux qui, par leurs actes violents, prennent en otage les manifestations et les rassemblements.

L’évolution des phénomènes de violences lors des manifestations nécessite des réponses juridiques innovantes à mettre en œuvre dans les meilleurs délais.

Aussi, dans un souci de pragmatisme et dans le but de répondre aux attentes légitimes de nos forces de l’ordre, le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte adopté sans modification par notre commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Arnaud de Belenet et Franck Menonville applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un point au moins nous rassemble, à savoir la volonté de consolider le droit de manifester en démocratie.

La proposition de loi en discussion, après son évolution à la suite des travaux de l’Assemblée nationale, est une option sur la manière d’assurer la consolidation de ce droit.

Par quoi le droit de manifester, que ce pays pratique depuis deux siècles, est-il fragilisé ? Simplement, mais durablement depuis plusieurs années, par l’intervention de groupes organisés de combat urbain, qui entreprennent, à l’occasion de manifestations où ils s’engagent et contre l’avis de leurs organisateurs, des destructions systématiques et des agressions contre les policiers et les gendarmes. Ces groupes, nous le savons, assurent leur dissimulation et leur anonymat, ce qui rend particulièrement difficile la répression pénale de leurs délits ; ils peuvent ainsi reproduire aussi souvent que possible ces méfaits.

Le résultat qu’ils obtiennent fait déjà partie de nos habitudes de pensée et de débat. À l’issue d’une manifestation, le débat public porte massivement depuis plusieurs années sur le nombre de blessés et l’importance des dégâts, alors que l’appel à l’opinion démocratique que visait la manifestation se trouve détourné ou détruit.

À cet égard, il faudrait analyser de façon un peu plus fine ce que sont ces groupes, ce qu’ils cherchent, ce qu’ils propagent comme pensées. Jusqu’à présent, ce point a plutôt été absent de nos débats. Peut-être aurons-nous la possibilité d’y revenir dans le cadre de l’évaluation parlementaire prévue dans ce texte.

Mais, mes chers collègues, quelle que soit notre position sur cette proposition de loi, personne ici ne pense que ces groupes organisés sont là pour défendre les droits de la personne et les principes de la République ; ils sont en action pour les combattre et les affaiblir.

Il nous semble donc, conformément à la position d’une majorité au Sénat, puis d’une majorité à l’Assemblée nationale, qu’il convient d’ajouter des outils, des outils préventifs, à la protection du droit de manifester. Pourquoi ?

L’idéal dans un monde pacifique et tolérant serait que les actes individuels pour des infractions caractérisées dont on puisse apporter la preuve finissent devant la justice et qu’une sanction complémentaire d’interdiction de manifester soit prise par le juge.

Je suggère à mes collègues qui seraient intéressés de parcourir une sorte de reportage réalisé il y a à peu près un mois dans Le Parisien, lequel décrivait le parcours délinquant extrêmement organisé d’un individu, qui a fini par être interpellé après cinq heures d’exploits.

M. Bruno Retailleau. Absolument !

M. Alain Richard. Les rapports de police tout à fait circonstanciés expliquent que, si l’on avait voulu l’intercepter en pleine action, on aurait provoqué des scènes d’émeutes avec des dizaines de blessés. C’est là le descriptif exact de la façon d’agir de ces groupes, qui se sont méthodiquement préparés.

Aussi, je crois vraiment que la sanction individuelle au travers de l’acte judiciaire est, hélas ! assez peu adaptée à ces situations. En tout cas, il est très difficile de judiciariser, comme disent les policiers, ces actes en pleine manifestation.

La mesure que nous proposons d’ajouter et qui a été travaillée par le Sénat en première lecture et, plus récemment, par l’Assemblée nationale vise d’abord à vérifier que ne s’approchent pas du lieu de manifestation des personnes équipées d’armes par destination. Est-ce favorable ou défavorable au droit de manifester ?

M. Pierre Ouzoulias. C’est déjà le cas !

M. Alain Richard. Il me semble que cette possibilité ouverte sous l’autorité du procureur de la République constitue une amélioration du dispositif existant.

M. Alain Richard. De même, le texte prévoit la mise à l’écart limitée et temporaire de personnes identifiées comme s’étant déjà engagées délibérément – toutes les preuves vidéo notamment pourront être présentées devant la justice administrative – dans des phases violentes de manifestation. C’est là une réponse à notre collègue Loïc Hervé, qui connaît bien la manière de travailler de la justice administrative.

M. Loïc Hervé. Absolument !

M. Alain Richard. Nous le savons bien, un juge administratif offre un recours effectif au travers de l’article L. 521-2 du code de justice administrative relatif au référé-liberté en quarante-huit heures. (M. Loïc Hervé acquiesce.) L’interdiction individuelle de manifester qui sera prononcée par l’autorité administrative sur des données objectives pourra être contrôlée quasi instantanément par un juge. Cet outil de prévention à l’égard des personnes qui se sont organisées pour venir perturber de façon violente des manifestations est donc adapté. La mesure d’application de l’inscription dans le fichier des personnes recherchées est évidemment appropriée.

Nous ajoutons, il est vrai, une sanction pénale supplémentaire, qui, elle, sera prononcée par le juge dans le cas de dissimulation volontaire du visage sur un lieu de manifestation.

Ce texte, je l’ai souligné, donnera lieu à une évaluation par le Parlement. Il fera aussi l’objet d’une vérification de la conformité à la Constitution, mesure demandée par le Président de la République. À cet égard, qu’il me soit permis de rappeler que c’est une novation de la Ve République que d’avoir prévu un contrôle volontaire de constitutionnalité actionné par le président du Sénat, le président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre et le Président de la République. Si ces quatre autorités de l’État ont reçu, depuis 1958, le pouvoir de saisir le Conseil constitutionnel, ce n’est pas prioritairement pour entraver l’application de la loi nouvelle ; c’est pour obtenir, avant son entrée en application, la vérification de la conformité d’un texte touchant aux droits et libertés protégés par la Constitution.

C’est pourquoi il me semble que – tous les commentaires sont naturellement les bienvenus, et leur pertinence sera d’autant plus aisée à apprécier d’ici à un mois environ, lorsque nous aurons la réponse finale – nous faisons là une application parfaitement orthodoxe des principes de nos institutions.

Nous allons approuver ce texte, avec, cependant, je veux le mentionner, la réserve de certains membres de notre groupe, qui souhaitent s’abstenir.

M. Alain Richard. Mais je veux surtout dire…

M. le président. Il faut conclure !

M. Alain Richard. … que ce texte ne vient pas de nulle part : il est simplement l’expression d’une demande des forces de l’ordre, qui sont nos défenseurs des libertés au quotidien, et ce dans les situations les plus difficiles. C’est un acte de confiance, me semble-t-il, que nous leur devons. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, il y a quelques mois, le président Macron arguait : « La démocratie, ce n’est pas la rue. » Au contraire, c’est aussi cela la démocratie.

En quoi cette proposition de loi répond-elle aux violences commises par certains individus dans les manifestations ?

Les casseurs qu’elle prétend viser ne sont pas inquiétés outre mesure ces derniers temps, me semble-t-il, alors même que les forces de l’ordre ont les moyens de les arrêter en amont, avant qu’ils ne perpètrent leurs actes de violence et leurs dégradations.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Non, justement !

M. François Grosdidier. Comment le pourraient-elles ?

Mme Esther Benbassa. Épuisée par des mois de conflits sociaux, notre société est aujourd’hui scindée, morcelée. Par son refus de répondre aux revendications de nombre de Françaises et Français, l’exécutif a brisé la paix sociale. Là est le problème que vous ne voulez pas voir.

Quelle ironie que ce texte du sénateur Retailleau, pour lequel le Gouvernement avait demandé un avis de sagesse au Sénat, se soit tout à coup transformé, à son arrivée à l’Assemblée nationale, à la faveur du mouvement des « gilets jaunes », en un texte essentiel pour vous, monsieur le ministre !

Main dans la main, droite sénatoriale et majorité présidentielle à l’Assemblée nationale vont adopter un texte conforme, faisant ainsi fi des grandes institutions internationales, qui ont récemment dénoncé l’escalade des violences anti-manifestants dans notre pays. Toutefois, cela ne se fera pas sans la grogne d’une cinquantaine de députés LaREM.

Les articles 2 et 4 sont particulièrement préoccupants et ne respectent pas les obligations internationales de la France en matière de droits humains.

L’article 2 instaure la possibilité pour les préfets de prononcer des interdictions de manifester à des personnes, sans aucun contrôle de l’autorité judiciaire, avec une possible obligation de pointage et d’interdiction de se rendre à certains endroits. Dès lors, c’est à l’autorité préfectorale de justifier quelles « personnes constitueraient des menaces à l’ordre public ».

Permettez-moi de douter du caractère objectif des éléments risquant de motiver la décision du préfet. Quels seront réellement les critères utilisés pour cibler tel individu et quels seront les signes distinctifs qui viendront fonder les suspicions de l’administration ? J’ai bien peur que des éléments simplistes tels que l’appartenance ethnique ou politique ne soient retenus et n’ouvrent pleinement la voie à l’arbitraire.

L’article 4 instaure l’interdiction de se voiler le visage lors des rassemblements, sur la base de présomptions de troubles à l’ordre public.

M. Ladislas Poniatowski. C’est très bien !

Mme Esther Benbassa. Doit-on rappeler ici que les gaz lacrymogènes se répandent dans l’air et ne touchent pas seulement leurs cibles désignées ? (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) Doit-on condamner les passants et manifestants non violents qui auraient eu l’audace de se protéger les voies respiratoires par un masque ou un tissu, afin de ne pas inhaler de substances toxiques ?

On le sait, l’exécutif considère que les manifestants sont a priori, pour reprendre les termes du Président de la République, « complices du pire ».

Se donnant en apparence pour ambition de lutter contre la présence des casseurs dans les cortèges, cette proposition de loi cible finalement plutôt des personnes non violentes, à l’instar de ces nombreux « gilets jaunes » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Non !

Mme Esther Benbassa. … blessés et mutilés, mais aussi de notre collègue député membre de la France insoumise Loïc Prud’homme, récemment victime de cette surenchère répressive.

M. Jean Bizet. Erreur de compréhension !

M. Ladislas Poniatowski. Il l’avait cherché !

Mme Esther Benbassa. La vérité est que notre arsenal juridique est déjà suffisamment répressif et que ce texte ne viendra en rien l’améliorer. Ce sont nos méthodes qu’il faudrait adapter aux réalités du terrain.

De plus, il ne faut jamais oublier que des textes de ce genre pourront être utilisés plus tard par des exécutifs totalement antidémocratiques et se transformer en simple interdiction de manifester.

En préférant vous en remettre aux décisions administratives plutôt qu’aux instances judiciaires, c’est l’État de droit que vous mettez en péril. En décrétant des interdictions de manifester sur la base de « présomptions » particulièrement floues, c’est l’égalité des citoyens devant la loi que vous bafouez. Par l’instauration de responsabilité pénale et civile collective pour la dégradation de biens publics, c’est le principe d’individualité des peines qui est mis à mal.

Souvenons-nous que nos acquis sociaux et nos libertés fondamentales sont nés dans la rue. Et c’est dans la rue qu’ils continueront à être défendus !

Au nom de l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui garantit symboliquement le droit de manifester, et au nom de la défense de l’État de droit, le groupe CRCE s’opposera résolument et en toute conscience à l’adoption de cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui ne peut pas, ne doit pas être escamoté. Certains souhaiteraient que nous ne parlions de cette proposition de loi que sous l’angle de la nécessaire sécurité des biens et des personnes. Pour ma part, je me refuse, au nom de mon groupe, à aborder ce texte uniquement sous ce prisme sécuritaire.

Ce débat est plus important encore, car il s’agit d’un débat de valeurs et de principes républicains, et non pas seulement d’un débat pénal et juridique.

Le contexte, d’abord.

Notre pays a connu ces derniers mois une série de manifestations d’un nouveau type, chacun le reconnaît : non déclarées, souvent spontanées, souvent alimentées par le bouche à oreille moderne que sont les réseaux sociaux. Face à cela, non seulement la question de la sécurité de ces manifestations a été posée à juste titre, mais aussi celle de la sécurité qui entoure ces manifestations.

De nombreux et inacceptables débordements ont eu lieu malgré le dévouement dans l’action des forces de l’ordre, que je veux, à mon tour, saluer. Voilà le constat. Mais quelles conséquences politiques devons-nous en tirer face aux dégradations et aux blessés si nombreux dans ces manifestations, dans les deux camps d’ailleurs ?

Faut-il conclure, comme nous le suggère la proposition de loi Retailleau-Macron (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est trop facile !

M. Patrick Kanner. … que la cause de ces violences se situerait d’abord dans l’exercice de ces manifestations ? Ou pouvons-nous avoir un peu plus de recul, en remarquant que la doctrine du maintien de l’ordre en France n’est peut-être plus adaptée à ce type de manifestations ?

Cette proposition de loi, modifiée, comme nous le savons, par l’Assemblée nationale, est un texte de circonstance, qui n’apporte pas de solutions réfléchies, conformément à ce que devrait être l’objectif de toute loi.

Par ailleurs, le recours prévu du Président de la République devant le Conseil constitutionnel constitue, selon moi, mais aussi, me semble-t-il, pour beaucoup d’entre nous, une intrusion anormale, j’y insiste, dans le débat parlementaire.

Aussi, M. Retailleau et ses collègues peuvent légitimement s’interroger sur l’opportunité de cette GLPA, gestation législative pour autrui. (Mme Gisèle Jourda et M. Jérôme Durain applaudissent.)

M. Bruno Retailleau. Vous êtes taquin !

M. Patrick Kanner. La liberté de manifester découle de la Constitution et aussi de l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui garantit la libre communication des pensées et des opinions. Cet article suppose que ceux qui entendent exercer le droit de manifester…

M. François Grosdidier. Et pas le droit de casser !

M. Patrick Kanner. … peuvent naturellement le faire dans des conditions de sécurité optimales. Il suppose aussi que ceux qui ne l’utilisent que comme prétexte pour commettre des troubles et des violences soient poursuivis, sans faille.

Nous sommes évidemment favorables à ce que les violences ayant lieu au cours des manifestations soient évitées et que, lorsqu’elles ont lieu, leurs auteurs soient poursuivis et condamnés, car ce n’est qu’ainsi que la liberté de manifester peut être pleinement garantie. Toutefois, cela ne peut se faire que dans le respect des règles et principes constitutionnels, des droits et libertés que la Constitution garantit. Et c’est bien une remise en cause du droit de manifester qui nous est proposée dans l’article 2 de cette proposition de loi.

Avec votre texte, monsieur Retailleau, monsieur Castaner, et sans revenir davantage sur les autres articles que nous contestons, comme l’a rappelé très justement notre collègue Jérôme Durain, vous créez un nouveau pouvoir administratif, extensif, dont nous pouvons redouter l’arbitraire, puisqu’il vise à interdire à certaines personnes de manifester, et donc de s’exprimer.

Cette loi d’arbitraire suspecte de fait le manifestant d’être manifestant pour casser. Cette loi d’arbitraire assimile les notions de manifestants et de délinquants menaçant l’ordre public. Mais au nom de quoi, mes chers collègues ? Au nom de la sécurité ?

M. Patrick Kanner. Il existe aujourd’hui tout ce qu’il faut dans notre arsenal pénal…

M. Patrick Kanner. … pour punir le vandalisme en bande organisée.

M. François Grosdidier. Pas pour le prévenir !

M. Patrick Kanner. Il existe aussi tout ce qui est nécessaire pour réprimer les actes séditieux. Il existe enfin tout ce qui est utile pour organiser des manifestations dans de bonnes conditions, lorsque l’on ne méprise pas et ne rabaisse pas sans cesse, bien sûr, les corps intermédiaires.

Nous voulons réaffirmer ici que le droit de manifester s’inscrit dans le prolongement de la liberté d’expression, si fondamentale à notre République.

Prenons un exemple. Pourrions-nous accepter, mes chers collègues, qu’une personne, bien qu’elle ait pu abuser de sa liberté d’expression par des propos diffamants ou d’autres délits, soit interdite par seule décision du préfet – donc de l’État –…

M. François Grosdidier. Ce n’est pas l’objet !

M. Patrick Kanner. … à ne plus pouvoir s’exprimer dans tel ou tel journal parce qu’elle aurait commis ces délits ?

M. François Grosdidier. On parle de violences ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Patrick Kanner. Nous condamnerions sans hésiter une telle disposition, qui ne serait qu’un pouvoir arbitraire, monsieur Grosdidier, supprimant ainsi la liberté d’expression de certaines personnes.

Votre proposition de loi fragilise le droit de manifester, que vous le vouliez ou non. Dans l’histoire de notre pays, ce droit a été complexe à obtenir, chaotique, difficile à s’écrire totalement. Ce droit de manifester a longtemps été inachevé, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel reconnaisse enfin cette liberté.

Remettre aujourd’hui en cause cette liberté, mes chers collègues, c’est revenir au temps de la République inaboutie, celle qui ne reconnaissait pas le droit de manifester comme un prolongement du droit d’expression.

Remettre en cause le droit de manifester, comme vous le faites de facto aujourd’hui, c’est affaiblir encore un peu plus le discours de la France sur les droits de l’homme, déjà mis à mal, puisque nous subissons, comme l’a indiqué Mme Benbassa, des enquêtes du Conseil de l’Europe et de l’ONU sur la gestion des manifestations qui émaillent notre pays.

Mes chers collègues, il ne faut pas attendre qu’il y ait des morts dans des manifestations, comme c’est le cas dans certains États autoritaires, pour s’inquiéter de la privation des libertés et du danger pour la démocratie que représentent les interdictions générales.

C’est pour défendre la liberté que, dès l’origine, nous avons combattu ce texte. Nous l’avons combattu, dans sa version initiale, à l’automne, ici même au sein de la Haute Assemblée. Nous le combattons dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, alors que la majorité des députés et le Gouvernement ont joué avec le feu et sont en train de se brûler. Nous le combattrons, à sa sortie du Sénat, si nous n’arrivons malheureusement pas à vous convaincre. Nous le combattrons jusqu’au bout, tant qu’il en existera un morceau dans notre droit, si jamais ce texte devait être promulgué en l’état.

M. Jérôme Durain. Très bien !

M. Patrick Kanner. Il existe des principes républicains dans notre pays, nous l’espérons encore du moins. Que la justice, celle qui est rendue au nom du peuple, soit la seule à pouvoir décider d’entraves durables aux libertés est, pour nous, un principe essentiel, un principe intangible !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Patrick Kanner. Et toujours – toujours ! –, mes chers collègues, vous nous trouverez pour nous élever contre des lois d’arbitraire qui entravent les citoyens. Un citoyen ne peut être pleinement citoyen que s’il peut jouir pleinement de ses droits et libertés. L’État ne peut pas décider seul de qui serait ou non pleinement citoyen.

Aussi, et j’en viens à ma conclusion, je vous invite, avant d’émettre votre vote sur ce texte, à écouter et entendre cette phrase qui résonne comme une alerte : « Le droit et la loi, telles sont les deux forces : de leur accord naît l’ordre, de leur antagonisme naissent les catastrophes. » Je la répète, car le temps qui m’est imparti n’est pas encore épuisé : « Le droit et la loi, telles sont les deux forces : de leur accord naît l’ordre, de leur antagonisme naissent les catastrophes. » Mes chers collègues, merci à Victor Hugo de nous tracer encore une fois le chemin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mmes Michèle Vullien et Nassimah Dindar ainsi que M. Jean-Pierre Corbisez applaudissent également.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Discussion générale (suite)

5

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

J’invite chacun d’entre vous à être attentif au respect des uns et des autres, ainsi qu’à celui du temps de parole.

situation en algérie

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le Premier ministre, depuis le 22 février dernier, une grande partie du peuple algérien est descendue dans la rue pour s’opposer à un cinquième mandat du Président Bouteflika – dans un esprit pacifique, il faut le souligner. Cette mobilisation, inédite sous cette forme depuis très longtemps, a évidemment contribué à faire évoluer les positions du pouvoir, d’abord lorsque le Président Bouteflika a annoncé qu’il ne terminerait pas son cinquième mandat s’il venait à être réélu, puis, hier soir, lorsqu’il a annoncé renoncer à une nouvelle candidature, invoquant cette fois son âge et sa santé.

Si cette annonce satisfait à court terme les revendications des manifestants pour une modernisation du système politique, elle ne répond pas aux attentes fondamentales du peuple algérien, ne soyons pas naïfs ! Aujourd’hui, la contestation pourrait évoluer vers une volonté de changement plus large.

Le scrutin présidentiel devrait avoir lieu après une conférence nationale « inclusive et indépendante », représentative de toutes les composantes de la société, avec, pour mission, d’élaborer avant la fin de l’année un projet de Constitution à soumettre au référendum. Cela revient à reporter l’élection présidentielle à une date non fixée.

Le Président Emmanuel Macron a accueilli avec satisfaction ces annonces, appelant au passage à « une transition d’une durée raisonnable ». Or, on le sait, nos deux pays entretiennent depuis longtemps des relations complexes, passionnelles, mais étroites. Pourriez-vous, monsieur le Premier ministre, nous préciser la position de votre gouvernement après ces dernières évolutions ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Requier, complexes, passionnées, anciennes, c’est effectivement ainsi que l’on peut qualifier les relations entre la France et l’Algérie, parce que notre histoire est, à bien des égards, une histoire commune, parce qu’elle a connu des moments de lumière et des moments d’ombre, parce que l’Algérie, située juste de l’autre côté de la Méditerranée, est notre voisine, qu’elle est un État ami, souverain et clé pour la région. Pour toutes ces raisons, nous suivons avec beaucoup d’attention les événements qui s’y déroulent actuellement.

Je veux le dire, même si personne n’a de doute sur le sujet, l’Algérie est un État souverain, et nous respectons totalement cette souveraineté. Les évolutions récentes de la situation nous recommandent, nous imposent de rappeler sans cesse, avec force et clarté, cette évidence.

Où en sommes-nous au lendemain des annonces du Président Bouteflika ?

Le Président Bouteflika a fait savoir hier, dans son message à la nation, qu’il renonçait à se présenter à l’élection présidentielle initialement prévue le 18 avril. Il a proposé les jalons d’une rénovation du système politique algérien, avec un remaniement ministériel, qui s’est traduit par la nomination d’un nouveau Premier ministre et d’un vice-Premier ministre, l’organisation d’une conférence nationale, dont les travaux doivent se conclure d’ici à la fin de l’année et devraient déboucher sur l’adoption, par référendum, d’une nouvelle Constitution, et enfin – après tout cela – la tenue de l’élection présidentielle à laquelle lui-même ne serait pas candidat.

Nous avons salué ces derniers développements.

Ces annonces interviennent à l’issue de plusieurs semaines de manifestations à travers tout le pays, qui ont vu des millions d’Algériens et d’Algériennes exprimer, dans le calme, dans la dignité, leurs aspirations. Nous notons aussi que ce civisme des manifestants s’est accompagné d’une grande retenue des forces de l’ordre, lesquelles ont été exemplaires. Nous souhaitons que cet esprit de responsabilité, relevé par l’ensemble de la communauté internationale, puisse perdurer afin que se mettent en place les conditions d’une solution démocratique.

Ce qui doit maintenant s’engager, c’est une dynamique à même de répondre aux aspirations profondes du peuple algérien, avec, surtout, l’élaboration d’un calendrier politique de transition raisonnable, l’affichage et le respect de ce calendrier étant une condition essentielle à la crédibilité de l’ensemble du processus. Tel est le vœu que nous formons, nous qui souhaitons une Algérie stable, prospère et unie. Mais cela relève avant tout de la responsabilité des Algériens eux-mêmes, nous le disons en toute amitié et avec toute l’attention que nous portons à la situation actuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.

M. Jean-Claude Requier. Vis-à-vis de l’Algérie, monsieur le Premier ministre, vous êtes sur le fil du rasoir, entre accusation d’ingérence et accusation d’indifférence.

Quant au peuple algérien, je ne souhaite pas que s’illustre pour lui cette réflexion de Giuseppe Tomasi di Lampedusa dans Le Guépard : « Il faut que tout bouge pour que rien ne change » ! (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

privatisation d’aéroports de paris

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Le Sénat a rejeté massivement la privatisation d’Aéroports de Paris, mais votre gouvernement s’entête à l’Assemblée nationale à brader ce bien public. Cet entêtement éveille bien des soupçons, tant vos arguments peinent à convaincre !

Le privé serait, selon vous, meilleur gestionnaire que le public. Faux ! ADP est le deuxième groupe aéroportuaire d’Europe, en passe de devenir le premier, selon de nombreuses études.

L’État n’aurait pas vocation à entrer dans le jeu concurrentiel. Pourtant, vous proposez de privatiser un service public national, doublé d’un monopole naturel.

Il faut 250 millions d’euros pour financer le Fonds pour l’innovation. Or les sociétés ADP, Engie et la Française des jeux, toutes privatisées par la loi Pacte, représentent plus de 700 millions d’euros de dividendes. Et que dire des recettes qui pourraient être attendues d’un rétablissement de l’ISF !

L’État gardera-t-il une part du capital d’ADP ? À la veille de la privatisation, rien n’est encore décidé !

Enfin, vous ne tirez pas la leçon de l’avis du rapporteur public de la cour administrative d’appel de Paris, qui préconise, après les critiques acerbes de la Cour des comptes, l’annulation de la privatisation, ô combien douteuse, de l’aéroport de Toulouse.

Dès lors, loin de la théorie du complot, il s’agit de donner des réponses claires à la représentation nationale et à nos concitoyens, qui ne comprennent pas qu’on puisse les spolier, dans la durée, d’un bien d’intérêt national stratégique, financé par l’argent du peuple. La vérité doit être dite !

Vinci n’a pas eu Notre-Dame-des-Landes, mais recevra une part de la somme de 1 milliard d’euros qui sera versée aux actuels actionnaires minoritaires. Oui ou non, Vinci utilisera-t-il l’argent public pour acheter les biens du peuple ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire dÉtat auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, en cédant les participations publiques de l’État dans certaines grandes entreprises, le Gouvernement fait le choix – responsable – d’investir dans l’avenir. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Martial Bourquin. On vend les bijoux de famille !

M. Benjamin Griveaux, secrétaire dÉtat. Les recettes attendues de ces différentes cessions, pour un montant total de 10 milliards d’euros, iront effectivement abonder le fonds pour l’innovation de rupture, destiné à financer les investissements dans la recherche, l’innovation, l’intelligence artificielle, afin que les Google, Facebook, Amazon et Tesla des années 2030 soient français et européens plutôt qu’américains. (Nouvelles exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Benjamin Griveaux, secrétaire dÉtat. Vous le savez – c’est inscrit dans la loi –, cette cession de participations se fera non sans de nombreuses garanties. Je citerai tout d’abord les garanties financières.

L’État réalisera cette vente aux meilleures conditions de marché. Le produit de cession devra être très supérieur à la somme des dividendes actualisés nets futurs, sans quoi ladite cession n’aura pas lieu. Enfin, les acheteurs devront remplir des conditions strictes concernant les fonds propres et, également, se prévaloir d’une certaine expérience dans le secteur aérien.

M. Fabien Gay. Et la question de Vinci ?

M. Benjamin Griveaux, secrétaire dÉtat. Il y aura également des garanties en matière de contrôle et des sanctions renforcées, pour l’État, en ce qui concerne les investissements, les tarifs et la qualité du service.

M. Fabien Gay. Qu’en est-il de Vinci ?

M. Benjamin Griveaux, secrétaire dÉtat. S’y ajouteront des garanties sur la sécurité. Les fonctions régaliennes de l’État, qu’elles aient trait à la sécurité des biens ou à la sécurité des personnes, seront bien évidemment assurées par ce dernier.

Les garanties seront aussi d’ordre patrimonial. En effet, et vous le savez aussi puisque c’est inscrit dans le texte de loi, l’État récupérera l’ensemble des infrastructures des aéroports de Paris à l’issue d’une concession de soixante-dix ans. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Enfin, madame la sénatrice, puisque le Sénat est la chambre des territoires, sachez qu’il y aura aussi des garanties territoriales, pour les habitants des communes concernées ou des communes avoisinantes, en termes de qualité de la desserte ferroviaire de ce territoire, important pour l’Île-de-France et pour notre pays. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

Mme Éliane Assassi. Et Vinci dans tout ça ?

mobilisation des lycéens

M. le président. La parole est à M. Christian Manable, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Christian Manable. La lutte contre le réchauffement climatique est la grande cause de notre époque et du futur. Elle structure de plus en plus les débats politiques, en pour ou en contre ; elle structure aussi les relations internationales – notre pays a donné l’exemple, je le rappelle, avec la signature de l’accord de Paris, voilà plus de trois ans. Mais force est de constater que nous sommes impuissants quand les États-Unis décident de se retirer de cet accord de Paris. Nous sommes aussi confrontés, chez nous, en France, à une relative inaction, celle qui a conduit l’ex-ministre Nicolas Hulot à faire part de son désarroi en septembre dernier.

Face à cela, nous voyons des jeunes, qui ont bien compris l’urgence, appeler partout dans le monde à un profond changement de braquet, pour que notre société gagne ce combat. En février, déjà, de nombreux lycéens et étudiants de notre pays ont rejoint ce mouvement de grève en faveur du climat. Ce vendredi, selon toute vraisemblance, le mouvement devrait s’amplifier, avant de nouvelles marches pour le climat prévues le week-end prochain.

Ce mouvement de la jeunesse, spontané et international, doit faire réagir les pouvoirs publics. Il est temps de comprendre, non seulement l’inquiétude de ces jeunes, mais aussi leur aspiration à un changement global clair. Il faut un engagement fort de notre société face à cet élan de la jeunesse, aussi généreux que lucide.

Nous avons bien noté, monsieur le Premier ministre, que l’éducation nationale organiserait des débats dans les lycées pour faire remonter les idées des lycéens sur le sujet. Mais, je le précise au passage, vous repoussez dans le même temps le projet de loi sur l’énergie. C’est un véritable paradoxe !

Mes questions sont donc les suivantes : quelles idées et propositions avancez-vous pour inverser ou, du moins, contenir le réchauffement climatique, qui, loin d’un fantasme de professeur Cosinus, est bien une réalité ? Quelles mesures allez-vous prendre pour que la France respecte ses engagements de 2015 ? Enfin, quelles actions envisagez-vous en Europe pour que notre société avance enfin et ne reste pas silencieuse en attendant que survienne la catastrophe ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Votre question, monsieur le sénateur Manable, est évidemment très importante et elle doit nous unir dans tout le pays. Le sujet du changement climatique et celui, plus général, de la biodiversité et de l’environnement sont effectivement des sujets clés. Il est normal que la jeunesse se sente tout particulièrement concernée par ces questions, puisque, par définition, elles concernent leur futur.

Le mouvement que nous voyons naître au niveau mondial doit être encouragé, car nous avons besoin d’une mobilisation mondiale, et de tous – notamment des jeunes –, pour ne pas en rester à la sensibilisation et trouver des solutions. Vous m’interrogez sur ce que peuvent être ces solutions : compter sur la jeunesse est l’une des voies, même si ce n’est pas la seule.

J’étais ce matin à Tours, pour discuter, dans le cadre du grand débat, avec des jeunes d’une école de la deuxième chance. Lorsque l’on assiste pendant un temps long à de tels échanges, on voit bien que chacun a des idées pour le quotidien, idées qu’il faut structurer pour le futur.

Nous ne partons pas de zéro : beaucoup a été fait depuis une quinzaine d’années pour accorder au développement durable une place centrale dans les programmes de l’école. Nous devons maintenant mettre en action l’ensemble des citoyens et la jeunesse.

Il existe, dans nos établissements, un label dénommé « E3D », qui permet aux élèves de se mobiliser eux-mêmes pour trouver des solutions. Récemment, je me suis rendu à Conflans-Sainte-Honorine, où certains d’entre eux ont divisé de moitié la facture énergétique de leur établissement. La vision qui est la leur de l’utilisation de la lumière, du chauffage ou des enjeux quotidiens liés à l’environnement est en train d’influencer leur famille, leur commune et tout leur environnement.

Les jeunes peuvent donc être les vecteurs de changements concrets au quotidien, mais ils ont aussi des idées pour les échelons nationaux ou internationaux. La dimension européenne, notamment, est très importante : des directives ont permis de mettre fin, à la fin de l’année 2018, à l’utilisation de trois pesticides tueurs d’abeilles. Des progrès sont donc accomplis, et ils sont rendus possibles grâce à la mobilisation des citoyens et du Gouvernement.

Ce qui va se passer vendredi aura beaucoup d’importance. Sachez que, le 5 avril prochain, nous réunirons l’ensemble des représentants lycéens de France pour, précisément, structurer les propositions émanant de la jeunesse. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

mesures d’accompagnement des entreprises en difficulté

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Alain Fouché. Ma question porte sur l’accompagnement des entreprises qui subissent la crise du diesel.

En sept ans, la part du diesel est passée en France de 73 % à 35 %. Les sous-traitants souffrent, notamment ceux de Renault. Ce sont 15 000 emplois, sur les 38 000 de la filière, qui sont menacés.

En juillet 2018, j’ai interrogé M. Le Maire. Il s’est engagé à accompagner les industries pour défendre les emplois, dont les Fonderies du Poitou, implantées à Châtellerault. Le ministre a annoncé que le fonds d’aide industrielle, doté de 10 milliards d’euros, financerait la diversification de ces entreprises. Le 16 octobre à l’Assemblée nationale, il s’est une nouvelle fois engagé à accompagner la transformation des Fonderies du Poitou. « Nous y arriverons », a-t-il dit, et il a proposé qu’on l’invite à se rendre sur place, en précisant qu’il viendrait.

Qu’en est-il six mois après ? M. Bruno Le Maire n’est jamais venu, malgré les invitations répétées, dont celle de Jean-Pierre Abelin, président de la communauté d’agglomération Grand Châtellerault. Vous seule, madame la secrétaire d’État, avez eu le courage de venir sur place récemment, et je vous en remercie.

Cela étant, aucune stratégie industrielle n’est annoncée. Renault financera ces deux entreprises pendant le redressement judiciaire. L’État est actionnaire, est-ce le seul engagement obtenu ?

L’offre de reprise, qui a votre soutien, prévoit de ne conserver qu’un emploi sur deux, tout en faisant appel à des intérimaires pour honorer les commandes. Ce n’est pas sérieux !

Hier, vous avez réuni les constructeurs, équipementiers, syndicats, et des présidents de région. Belle initiative ! Mais il faut que cela débouche sur des mesures concrètes.

Après un an de crise, pouvez-vous rassurer les 850 salariés ? L’État continuera-t-il à faire pression sur Renault ? Allez-vous utiliser les fonds d’aide industrielle pour consolider les offres de reprise de ces deux sites ? Allez-vous réhabiliter le diesel « propre », moins polluant aujourd’hui que l’essence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Comme vous l’avez signalé, monsieur le sénateur Fouché, je me suis rendue vendredi dernier à Ingrandes, pour visiter la fonderie Saint-Jean Industries et la Fonderie du Poitou Fonte. Ensemble, nous avons revu les conditions dans lesquelles ce dossier est travaillé et j’ai pu rappeler quelle a été l’action du Gouvernement, qui a permis que ces deux sites continuent aujourd’hui de tourner, que leurs 800 salariés – un peu moins – continuent d’avoir du travail et que trois repreneurs soient en lice pour reprendre ces deux entreprises et, afin de régler un point qui nuisait à leur compétitivité, les réunir en un seul site.

Je rappelle également que, sans l’intervention de l’État, il n’y aurait pas eu un peu plus de 6 millions d’euros de soutien de passif social au cours de l’été ni 6 millions d’euros de soutien de la part de Renault.

Nous discutons aujourd’hui avec les possibles repreneurs, et ces discussions sont serrées. Il s’agit de consolider le plan, avec deux rendez-vous importants, les 19 et 21 mars, pour pouvoir obtenir un avis des deux tribunaux de commerce concernés. C’est une véritable course contre la montre à laquelle nous nous livrons, puisqu’il nous faut réunir les deux dossiers. Mais je pense que, grâce à l’action gouvernementale, nous sortirons avec une solution solide, effectivement en imposant un certain nombre de choses au constructeur Renault.

Enfin, monsieur le sénateur, puisque vous citez la réunion d’hier, je précise que nous avons pris une décision à la suite de votre questionnement sur le diesel propre. Nous estimons que l’État doit être neutre technologiquement – cette vision est partagée par tout le Gouvernement –, ce qui signifie qu’il n’a pas à en rajouter sur les exigences à l’égard des motorisations. Celles-ci doivent être les plus propres possible, certes, mais, dès lors que deux moteurs ont les mêmes performances, mesurées en conditions réelles et par des tiers – pas par les constructeurs –, qui sommes-nous pour leur imposer des règles du jeu différentes ? Voilà une réponse précise, apportée, le lundi, à une question posée le vendredi précédent.

Je suis confiante sur le fait que nous puissions trouver une solution pour ces deux sites et que nous parvenions, avec Renault, à maintenir 500 emplois a minima. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

politique agricole commune

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

L’annonce d’une baisse drastique du budget de la politique agricole commune, la PAC, a suscité une onde de choc. Elle se traduira par une perte d’environ 8 milliards d’euros pour l’agriculture française, et pas seulement à cause du Brexit. Quels revenus pour nos agriculteurs demain ?

Plus grave encore, dans le nouveau modèle imaginé par la Commission européenne, ce sont désormais les États qui définiront en grande partie les conditions à respecter pour bénéficier des aides agricoles. C’est donc le risque d’une renationalisation de la PAC, c’est-à-dire d’un retour à vingt-sept politiques agricoles nationales différentes. Un tel scénario signifierait toujours plus de concurrence avec nos voisins, toujours plus de contrôles de la Commission européenne, toujours plus de complexité !

Le 14 février dernier, les commissions des affaires européennes et économiques du Sénat ont adopté, à l’unanimité, une nouvelle proposition de résolution européenne sur la PAC.

Monsieur le ministre, allez-vous saisir cette ultime opportunité pour remettre à plat cette réforme de la PAC, mal engagée ? Aucun Président de la République, aucun des ministres qui vous ont précédé n’ont cédé sur le sujet. Alors que l’Inde, la Chine ou les États-Unis n’hésitent pas à mettre un « pognon de dingue » dans leur agriculture, ne laissez pas l’histoire se souvenir de vous comme le ministre qui aura fait renoncer la France et l’Europe à leur ambition agricole ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Avant toute chose, permettez-moi de féliciter, en mon nom personnel, mon ami le sénateur Jean-Yves Roux, qui vient d’être papa aujourd’hui. Cela mérite d’être salué ! (Sourires et applaudissements sur diverses travées.)

Le Gouvernement partage votre vision, votre ambition, madame la sénatrice Gruny, mais, si je puis me permettre, vous ne décrivez pas la situation réelle. Ne cédez pas aux sirènes ultralibérales de la Commission européenne. La France, comme vingt autres États membres, ne veut pas du projet qu’elle a présenté, qui prévoit une baisse de 4,9 % sur le premier pilier et de 15 % sur le second. C’est absolument inacceptable ! Le Président de la République l’a confirmé lors de l’inauguration du salon de l’agriculture, le Premier ministre ne cesse de le rappeler : la France n’accepte pas une telle diminution !

Reste que le budget de la PAC baissera à due concurrence des conséquences du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Prétendre qu’il ne diminuera pas serait un affreux mensonge. Pour autant, il n’est pas question d’accepter que la réduction aille au-delà du montant du retrait des Britanniques : ce serait faire peser sur la première politique intégrée européenne le poids d’autres politiques.

Par ailleurs, il a bien été précisé dans l’appel de Madrid, appel des vingt pays rejetant la baisse proposée du budget de la politique agricole commune, qu’il était hors de question que la PAC soit renationalisée. Il s’agit de la première politique intégrée européenne et elle doit rester inscrite dans ce cadre. Cependant, je pense que ce n’est pas un sujet. La Commission européenne comme le Parlement et l’ensemble des États membres de l’Union européenne sont favorables au maintien de la situation actuelle.

Enfin, de nouvelles discussions seront engagées après le départ du Royaume-Uni, afin de préciser le contenu de la politique agricole commune. Nous pourrons reparler du sujet lors d’une prochaine séance de questions d’actualité. (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Je suis contente d’entendre vos propos, monsieur le ministre, mais ce sont des actes que nous attendons. Nos inquiétudes sont effectivement fondées. Le 24 mai dernier, nous avons reçu le commissaire européen Oettinger, selon qui la France tient ici un discours, mais en tient un autre ailleurs, dans lequel elle accepterait la baisse du budget. (Eh oui ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Nous sommes habitués au double langage…

Nous avons assisté, au salon de l’agriculture, à un magnifique discours du Président de la République, mais nous attendons autre chose, et les agriculteurs aussi : des actes, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

difficultés financières des organismes de formation professionnelle dans le secteur de l’artisanat

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Nadia Sollogoub. À compter du 15 mars 2019, c’est-à-dire dans trois jours, toutes les prises en charge des formations des chefs d’entreprise artisanale seront suspendues. Aucune nouvelle demande ne pourra être honorée. Seuls les dossiers agréés avant cette date bénéficieront d’un financement. Cela, à cause de plusieurs erreurs qui auraient pu être évitées avec un minimum de préparation !

La refonte du système de recouvrement de la contribution à la formation professionnelle a entraîné un assèchement de la collecte, qui est passé de 72 millions d’euros l’an passé à 40 millions d’euros cette année. Cette situation s’impose, de façon brutale, à tous les organismes de formation professionnelle concernés, qui se trouvent dans une position critique, étranglés.

Nous sommes nombreux à avoir été saisis de ce scandale par les chambres de métiers et de l’artisanat, les syndicats professionnels, les organismes de formation… Autant d’organisations professionnelles qui expriment une très grande inquiétude.

La formation professionnelle est essentielle à nos entreprises artisanales. On ne peut imaginer qu’elle soit suspendue jusqu’à une date indéterminée, mettant par la même occasion de nombreux emplois en péril.

Face à cette urgence, je souhaite savoir, madame la secrétaire d’État, quelle mesure vous comptez prendre afin de pallier la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Vous m’interrogez, madame la sénatrice, sur la situation de la collecte de la contribution à la formation professionnelle des artisans. Comme vous le savez, depuis 2018, cette collecte est assurée par les Urssaf, et non plus par la direction générale des finances publiques, en application de la loi Travail.

Cette modification des modalités techniques de collecte a entraîné des difficultés de trésorerie pour le Fonds d’assurance formation des chefs d’entreprise artisanale, ainsi que pour les conseils en formation. En effet, l’ordre national des experts-comptables a eu une interprétation de cette modification qui a conduit les artisans à ne pas payer l’intégralité de la cotisation dont ils étaient redevables. Cette confusion a induit la situation mentionnée par vos soins, à savoir que, là où on attendait 42 millions d’euros, on n’a eu que 9 millions d’euros.

L’État n’est pas resté les bras croisés : l’Agence France Trésor a avancé 15 millions d’euros et l’Acoss 18 millions d’euros. En outre, nous discutons avec l’U2P et avec les CMA pour trouver une solution.

Pardonnez-moi, madame la sénatrice, mais, dans la loi, les chefs d’entreprise en question sont bien redevables de ces cotisations. Après, on peut essayer de trouver une solution politique visant à pondérer ces cotisations, qui sont effectivement importantes, avec la question de la formation. Mais ce sujet doit être réglé avec les représentants de ces professions – l’U2P et les CMA –, et c’est ce à quoi nous nous employons. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.

Mme Nadia Sollogoub. À vrai dire, madame la secrétaire d’État, nous ne nous préoccupons pas ici du problème de la collecte et du recouvrement – vous avez signalé une difficulté au niveau de la trésorerie ; si j’ai bien compris, les fonds que vous avez collectés ne font pas encore la maille.

On ne peut pas laisser les artisans dans cette situation ! Ce ne sont pas eux qui collectent les fonds, ni les organismes de formation, ni le FAFCEA. Ils ne sont pas responsables des difficultés rencontrées, sachant que, pendant des mois, l’État a été régulièrement interpellé sur le sujet. Maintenant que les choses en sont arrivées là, c’est à lui de trouver une solution : à chacun son rôle, à chacun ses responsabilités ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

revenu universel d’activité

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

Mme Patricia Schillinger. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

C’est un fait : la question de la pauvreté en France est très préoccupante, et ce depuis de très nombreuses années. On compte près de 9 millions de personnes vivant en situation de pauvreté, dont 3 millions d’enfants. Ce sont autant de situations d’exclusion et de difficultés d’insertion.

La délégation interministérielle à laquelle j’ai participé a rendu ses conclusions : il est temps de traduire dans les faits le plan Pauvreté, qui allie « prévention » et « accompagnement ». C’est dans ce cadre, madame la secrétaire d’État, que vous lancez les travaux sur le revenu universel d’activité. L’objectif est d’améliorer la protection sociale, de lutter contre les non-recours, notamment en simplifiant les démarches et en proposant une refonte de certains minima sociaux, tels que le RSA, la prime d’activité, voire les aides au logement.

Il faudra s’interroger sur l’ensemble des personnes précaires, les étudiants, les retraités, et je n’oublie pas le monde agricole. Ces travaux s’appuieront, à n’en pas douter, sur les points de vue des acteurs concernés, tels que les CAF, les collectivités territoriales, les associations de solidarité, comme les associations de chômeurs et précaires.

Si les contours restent bien sûr à dessiner, pourriez-vous néanmoins nous apporter des précisions sur le calendrier, les grands axes et l’organisation générale de la future réforme ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, le Président de la République a en effet annoncé en septembre dernier la création du revenu universel d’activité, en fusionnant le plus grand nombre possible de prestations. Comme vous venez de l’expliquer, ce projet nécessite une expertise très importante. C’est pourquoi je réunirai ce jeudi, aux côtés de Fabrice Lenglart nommé rapporteur général, le comité interadministratif destiné à lancer les travaux techniques.

La réforme que je porte est essentielle. Elle doit permettre de mieux répondre à cinq impératifs : l’impératif de dignité pour permettre à ceux qui n’ont pas ou peu de revenus professionnels d’être protégés de manière adéquate ; l’impératif de simplicité d’accès au droit pour lutter, comme vous l’avez dit, contre le non-recours aux droits ; l’impératif de transparence pour permettre aux allocataires de prévoir l’évolution de leurs revenus et les inciter à reprendre une activité ; l’impératif d’équité pour garantir une égalité de traitement aux personnes se trouvant dans des situations équivalentes ; enfin, l’impératif de responsabilité autour d’un contrat d’engagement réciproque rénové entre l’État et les bénéficiaires pour que chacun soit accompagné vers une activité.

Cette réforme sera d’une grande ampleur. Il est donc indispensable de mener un travail collectif de concertation et d’analyse pour définir précisément les contours et les paramètres de cette future prestation. Je souhaite que nous examinions tous les différents scénarios, de façon à ce qu’aucun choix ne soit préempté.

De nombreuses prestations sont potentiellement concernées : le RSA, l’APL, la prime d’activité, mais aussi le minimum vieillesse, l’AAH ou l’ASS. Nous devrons aussi nous poser la question des jeunes et de l’intégration des 18-25 ans dans ce dispositif.

Au-delà de ces travaux techniques, une concertation institutionnelle et citoyenne sera lancée à partir du printemps, et pour toute l’année 2019. J’ai demandé à ce que cette concertation associe toutes les parties prenantes – vous en avez cité quelques-unes – : les collectivités, les CAF, les MSA, les associations, mais aussi nos concitoyens. Aussi, j’invite toutes celles et tous ceux qui le souhaitent à participer à cette concertation pour élaborer un texte qui sera présenté en 2020. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.

Mme Patricia Schillinger. Je tiens à remercier le Gouvernement (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) et à féliciter Mme la secrétaire d’État. Le Gouvernement a entendu l’un des messages du grand débat national et y apporte une réponse, en particulier sur le pouvoir d’achat. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. Martin Lévrier. Bravo !

assurance chômage et paritarisme

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat. Ma question s’adressait à Mme la ministre du travail, mais j’ai cru comprendre que c’est le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement, qui me répondra.

Monsieur le secrétaire d’État, l’échec de la négociation sur la réforme de l’assurance chômage était annoncé.

Née de la volonté du chef de l’État, supplantant celle du Gouvernement, annoncée devant le Congrès de Versailles, concrétisée par le dépôt d’un amendement tardif lors de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel par le Sénat, la renégociation anticipée de la convention d’assurance chômage, alors que la précédente ne datait que du mois de juillet 2018, n’était pas placée sous les meilleurs auspices.

Déjà, le sentiment que le Gouvernement ne respectait pas le débat démocratique, non seulement vis-à-vis de nous, parlementaires, mais aussi des partenaires sociaux, laissait planer un doute sur sa volonté de recentraliser l’assurance chômage.

C’était une provocation que de demander 3 milliards à 4 milliards d’euros d’économies aux partenaires sociaux dans votre lettre de cadrage que vous n’auriez pas pu assumer politiquement, alors que vous avez fait le choix délibéré d’aggraver le déficit annuel de l’Unedic de 500 millions d’euros avec les décisions que vous avez vous-même prises au mois de juillet. C’était une provocation que de leur demander de négocier sur un bonus-malus d’ores et déjà acté par le Président de la République.

Ma question est la suivante : en supprimant les cotisations chômage des salariés pour les remplacer par de la CSG, en évoluant d’une logique d’assurance à une logique de solidarité, n’avez-vous pas implicitement prémédité la déresponsabilisation des syndicats et tronqué une négociation à laquelle vous n’avez vous-même peut-être jamais cru, signant ainsi la quasi-fin du paritarisme dans notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire dÉtat auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, conformément à l’engagement du Président de la République, engagement qu’il a pris dans le cadre de sa campagne présidentielle, le Gouvernement a fait le choix de placer le travail au cœur du projet politique que nous défendons.

M. Benjamin Griveaux, secrétaire dÉtat. Vous l’avez rappelé, nous avons demandé aux partenaires sociaux d’ouvrir des négociations sur l’assurance chômage, qui n’ont malheureusement pas abouti. Nous le regrettons d’autant plus que le Gouvernement avait donné un délai supplémentaire aux partenaires sociaux, à leur demande.

Les questions que nous avions alors posées restent entières. Il appartient désormais au Gouvernement de reprendre la main sur le dossier de l’assurance chômage. Nous le faisons en poursuivant deux objectifs : lutter contre la précarité et inciter au retour à l’emploi. L’enjeu est d’ailleurs double : d’abord, inciter les entreprises à proposer des contrats de travail plus longs et privilégier les embauches en CDI pour « déprécariser » ; ensuite, toujours s’assurer que la reprise d’emploi est plus intéressante que le fait de rester au chômage.

Muriel Pénicaud a engagé de très larges consultations avec les partenaires sociaux, les associations de chômeurs, les mouvements d’employeurs, les parlementaires, les organisations de salariés, y compris celles qui ne sont pas représentatives. À l’issue de ces consultations, au printemps prochain, plusieurs mesures seront présentées. Elles feront l’objet d’un décret publié durant l’été.

Vous le voyez, madame la sénatrice, il n’y a nulle volonté de remettre en question le paritarisme dans l’action engagée par le Gouvernement, mais le souhait réel d’assumer pleinement ses responsabilités lorsqu’un enjeu aussi crucial que l’emploi, la lutte contre le chômage, en particulier le chômage de longue durée, est en cause. C’est à cette question que nous allons nous atteler, et je suis sûr que nous pouvons nous en réjouir collectivement. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.

Mme Frédérique Puissat. Que l’on puisse s’en réjouir, monsieur le secrétaire d’État, c’est une certitude, mais, dans un gouvernement, il y a ce que l’on veut bien nous laisser croire et il y a ce que l’on voit et ce que l’on vit !

Ce que l’on veut bien nous laisser croire matin, midi et soir, c’est à un gouvernement qui écouterait les Français, à un gouvernement qui écouterait les partenaires sociaux, à un gouvernement qui écouterait les élus, le Parlement, mais ce que nous vivons est bien différent !

En fixant un tel cadre aux partenaires sociaux, c’était immanquablement la chronique d’une mort annoncée de la nouvelle négociation de l’assurance chômage…

Mme Frédérique Puissat. … et, je le crains, la chronique d’une mort annoncée de cinquante ans de paritarisme dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

endométriose

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. Julien Bargeton. Ma question s’adresse à Mme Christelle Dubos.

L’endométriose concerne une Française sur dix, de tous âges. Il s’agit d’une maladie chronique qui touche uniquement les femmes et qui se manifeste par des douleurs gynécologiques récurrentes et souvent handicapantes.

Cette maladie reste encore trop méconnue aujourd’hui. Le diagnostic est réalisé avec un retard moyen de cinq ans, ce qui laisse la maladie gagner du terrain. Elle est encore trop souvent révélée après un bilan de fertilité, donc à un stade bien avancé, car c’est une maladie qui ne se guérit pas : 40 % des femmes atteintes sont infertiles. Les causes de la maladie ne sont pas réellement identifiées et les traitements disponibles ne sont pas pleinement satisfaisants.

On peut facilement mesurer les souffrances physiques et morales de l’endométriose pour les femmes concernées et leur entourage. Certains témoignages de femmes font état de situations d’isolement et de détresse, allant même jusqu’à compromettre leur vie professionnelle.

Nous avons beaucoup à faire pour améliorer la qualité de la prévention de cette maladie ces prochaines années. Ce chantier est devant nous.

Il faut ici saluer l’engagement décisif des associations, notamment EndoFrance, qui ont voulu briser le silence et médiatiser cette maladie de l’ombre, par définition, si intime, et donc, si sensible. La semaine dernière, ces associations se sont mobilisées lors de la semaine européenne de l’endométriose, via des campagnes de sensibilisation, notamment sur les réseaux sociaux.

Le Gouvernement a présenté une feuille de route ambitieuse le vendredi 8 mars pour faire de l’endométriose une priorité de notre politique de santé publique, davantage qu’un simple drame privé. Pourriez-vous indiquer quelles en sont les principales avancées, nous communiquer, si cela est possible, des éléments de calendrier et la manière dont les élus y seront associés ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, vous l’avez rappelé, l’endométriose touche plus d’une femme sur dix. Il s’agit d’une maladie complexe, douloureuse, mais surtout invisible et trop silencieuse. Elle est encore trop méconnue des femmes, mais aussi des professionnels, ce qui engendre souvent des retards de diagnostic, des errances médicales, dont les femmes sont les premières victimes.

À l’occasion de la journée internationale des femmes et pour clore la semaine européenne de prévention et d’information consacrée à cette maladie, Agnès Buzyn a visité vendredi dernier le centre de l’endométriose de l’hôpital Saint-Joseph et y a annoncé le lancement d’un plan d’action s’articulant autour de trois axes.

Notre premier objectif est de détecter précocement cette maladie, en intégrant la recherche de signes d’endométriose lors de consultations dédiées à la santé sexuelle des jeunes femmes entre quinze et dix-huit ans et en renforçant la formation sur les signes d’alerte, le diagnostic et la prise en charge dans le cadre de la formation initiale et continue des professionnels de santé concernés.

Le deuxième axe vise à mieux accompagner les femmes et à rendre simples et cohérents les parcours de soins. Aujourd’hui, comme vous l’avez expliqué, les parcours de soins sont trop erratiques. La prise en charge de la douleur et des troubles de la fertilité devront aussi faire l’objet d’une vigilance particulière, afin de mieux répondre aux légitimes inquiétudes.

Enfin, nous voulons mieux informer sur cette maladie encore trop méconnue. En complément des campagnes de communication et des associations, il nous faut mieux faire connaître la maladie et sa prise en charge, en mobilisant notamment le service sanitaire des étudiants en santé, pour informer les élèves dans les collèges et les lycées sur la maladie et sensibiliser les futurs professionnels de santé.

L’ensemble des parties prenantes sera associé aux travaux de mise en place de ce plan d’action. Notre objectif est donc simple : apporter des réponses concrètes aux femmes touchées par cette maladie complexe et douloureuse, qui la vivent aujourd’hui souvent en silence, faute de diagnostic ou de prise en charge adaptée. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – Mme Laurence Rossignol applaudit également.)

cotisations des artisans

M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier. Je me permets de revenir sur une question qui a déjà été évoquée, car elle est importante.

La France compte 1,4 million d’entreprises artisanales. Nous sommes tous fiers de nos artisans, de leurs compétences, de leur savoir-faire et de leur professionnalisme. Ce sont eux qui créent les richesses, qui créent l’emploi, qui accompagnent les jeunes, qui assurent la formation des entreprises.

Madame la secrétaire d’État, votre précédente réponse ne m’a pas vraiment satisfaite. Comme l’a dit notre collègue, un problème reste à résoudre depuis des mois, celui de la formation des artisans. La formation professionnelle est une nécessité. D’ailleurs, les artisans paient pour cela !

Quand leurs cotisations étaient recouvrées par les services fiscaux, cela ne fonctionnait pas trop mal ; maintenant que les Urssaf assurent le recouvrement, cela ne fonctionne pas bien du tout ! Aujourd’hui, les comptes présentent un déficit de plus de 30 millions d’euros, parce que 177 000 adresses d’entreprises ont mystérieusement disparu des fichiers. Cela n’est pas tolérable ! Nos artisans valent mieux que cela !

Qu’allez-vous faire concrètement ? J’aimerais une réponse qui soit plus satisfaisante pour eux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Madame la sénatrice, je vais revenir à ce que j’ai dit précédemment.

M. Jean-François Husson. Si c’est pour dire la même chose, ce n’est pas la peine !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. Peut-être que mes mathématiques n’étaient pas suffisamment précises…

Nous parlons de 42 millions d’euros de cotisations à recouvrer. Aujourd’hui, les artisans n’ont versé que 9 millions d’euros. Cela leur fait donc 33 millions d’euros de trésorerie, ce qui est probablement une bonne nouvelle pour eux. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Sur ces 33 millions d’euros, 15 millions d’euros ont été pris en charge par l’Agence France Trésor et 18 millions d’euros par l’Acoss. Le prêt de l’Agence France Trésor a été remboursé ; en revanche, les 18 millions d’euros avancés par l’Acoss sont toujours à régler. Dans ces conditions, 15+18=33+9=42, le compte est bon !

La question est de savoir si nous demandons aux artisans de payer les cotisations dont ils sont légalement redevables. Ce n’est pas une simple question d’adresses perdues, madame la sénatrice, vous l’aurez compris ! Le problème soulevé par l’ordre des experts-comptables est celui de l’acceptation par les artisans, en tant que chefs d’entreprise et en tant que salariés, du paiement de leurs cotisations.

Plusieurs pistes complémentaires sont actuellement à l’étude pour remédier à ces difficultés.

Il y a tout d’abord l’éventualité d’un gel du remboursement des 18 millions d’euros d’avances de trésorerie consenties par l’Acoss – en l’occurrence, c’est l’État qui supporterait cette charge –, alors même que la loi ne le prévoit pas. Il y a ensuite la possibilité d’une contribution exceptionnelle en 2019 de l’Agefice au Fonds d’assurance formation des chefs d’entreprise artisanale, ou FAFCEA. Nous envisageons enfin le rappel des règles de contribution au fonds en vigueur pour les artisans.

Madame la sénatrice, vous avez raison de rappeler combien les artisans sont importants dans ce pays et combien ils contribuent à la fois à la vie économique et au lien social dans les territoires. C’est pourquoi le Gouvernement s’est très vite mobilisé, en prenant des mesures d’urgence dès le mois de novembre, dans le cadre de la crise des « gilets jaunes ». (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est également la raison pour laquelle il a prévu, dans le cadre de la loi Pacte, un certain nombre de mesures qui me semblent très structurantes. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. Fabien Gay. Ce n’est pas le mot juste !

M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.

Mme Marie Mercier. Je ne prétends pas être une spécialiste des mathématiques. Mon métier consiste à soigner les gens. Et je soigne des artisans ! Je peux donc vous dire que cette profession, comme celle d’agriculteur, souffre.

Vous avez parlé d’investir dans l’avenir. L’occasion vous en est donnée, ne nous décevez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

lanceurs d’alerte

M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Michel Dagbert. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Madame la garde des sceaux, au terme du grand débat voulu par M. le Président de la République pour répondre à la crise des « gilets jaunes », il ne vous aura pas échappé que, pour une grande majorité d’entre eux, nos concitoyens doutent de la capacité des seules institutions à apporter des réponses aux grandes questions du moment. Au-delà du doute, nous pouvons considérer qu’il y a même, dans leur expression, une forme de défiance à l’égard de la communication des institutions publiques comme de celle des grandes entreprises privées, faisant leur la phrase devenue célèbre d’une humoriste : « On ne nous dit pas tout ! » (Sourires.)

C’est pour répondre à ce besoin d’une information objective que des femmes et des hommes se sont exposés pour rendre publics des faits répréhensibles par notre droit. Les plus connus, Alain Robert, Hervé Falciani, Stéphanie Gibaud ou encore Irène Frachon, peuvent être considérés comme les précurseurs de ceux qu’on appelle communément les « lanceurs d’alerte ». Dans ces conditions, l’accord trilogue – Parlement européen-Conseil-Commission européenne – intervenu hier, 11 mars, sur la directive relative aux lanceurs d’alerte, sur le fondement de la proposition de notre collègue eurodéputée Virginie Rozière, doit être salué.

Madame la garde des sceaux, pouvez-vous nous exposer la position que défendra la France dans trois jours, c’est-à-dire le 15 mars prochain, sur cette question ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Dagbert, je vais tout vous dire ! (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

Vendredi dernier, lors du conseil Justice et affaires intérieures à Bruxelles, j’ai répété que la France souhaitait clairement l’adoption rapide de ce projet de directive avant les prochaines élections.

M. David Assouline. Vous avez la même position que les Autrichiens et les Hongrois !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce texte, qui est inspiré de la loi Sapin II, protégera plus efficacement les lanceurs d’alerte dans l’ensemble des pays de l’Union européenne.

La France a toujours soutenu le principe d’un texte unique, au champ d’application large, couvrant de très nombreux domaines d’action de l’Union, y compris, d’ailleurs, la fiscalité. Aujourd’hui, l’essentiel de la directive fait donc l’objet d’un accord avec le Parlement européen.

Il restait un point de divergence sur la hiérarchie des canaux de signalement.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Conseil, au sein duquel la position de la France n’était d’ailleurs pas isolée, souhaitait conserver comme principe – c’est du reste l’état du droit en France – l’obligation pour le lanceur d’alerte d’en référer d’abord en interne,…

M. David Assouline. En somme, de se dénoncer !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … non pas nécessairement auprès de son employeur, mais auprès d’un interlocuteur impartial tenu à une obligation de stricte confidentialité. Nous pensons en effet que c’est ainsi que l’on peut mettre un terme le plus rapidement possible à une violation dénoncée. C’est d’ailleurs le cas dans la majorité des situations. Ce principe était assorti d’exceptions extrêmement larges, permettant au lanceur d’alerte de signaler directement les faits auprès d’interlocuteurs externes, comme un syndicat ou un défenseur des droits, lorsque le signalement en interne risquait de l’exposer à des représailles, par exemple, ou bien de provoquer la disparition de preuves.

Contrairement à ce que les médias ont expliqué ces derniers jours, la France ne souhaite pas retarder l’adoption de ce texte. C’est pourquoi nous avons accepté de supprimer cette hiérarchie des canaux de signalement. Nous allons ainsi parvenir à un texte assurant une protection maximale des lanceurs d’alerte, tout en instituant un mécanisme solide juridiquement et proportionné aux différents niveaux de gravité des signalements effectués.

Nous touchons au but avec un accord en vue d’ici à vendredi prochain.

M. David Assouline. Accord conclu avec Orban et consorts !

M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, pour la réplique.

M. Michel Dagbert. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse. Nous voici rassurés parce que, comme vous venez de le dire, un article du journal Le Monde du 9 mars n’avait pas manqué de nous étonner, puisqu’il laissait entendre que la France partageait les mêmes réticences que l’Autriche et la Hongrie sur ce texte.

Les travées depuis lesquelles je m’exprime et nombre de parlementaires se reconnaissent difficilement dans les arguments que vous aviez alors avancés pour justifier votre timidité sur le sujet. Nous nous reconnaissons davantage dans cette citation de Jean Jaurès : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Laurent applaudit également.)

nécessaire décentralisation dans le cadre de la prochaine révision constitutionnelle

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Janssens, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Marie Janssens. Notre pays traverse depuis plusieurs semaines une grave crise sociale, qui traduit l’inquiétude profonde de beaucoup de nos concitoyens. Difficultés économiques et sociales, disparition progressive des services publics dans les communes, poids de la fiscalité, sentiment d’injustice devant les inégalités sociales : les motifs de préoccupation sont nombreux et alimentent parfois la colère des Français.

Comme vous, mes chers collègues, je sens depuis longtemps monter le souffle de la contestation dans mon département de Loir-et-Cher, et ce aussi bien au sein de la population que chez les élus locaux. L’une des origines de ce malaise se trouve dans la fracture territoriale, qui ne cesse de se creuser entre la France des grandes villes et celle des campagnes et des petites villes. Ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est une réalité du quotidien.

Dans les petites communes rurales, les habitants voient leurs services publics disparaître et les distances de trajet s’allonger. Le sentiment d’isolement, et même d’abandon, gagne nos campagnes. Ce sentiment est partagé par nos élus locaux, extrêmement sollicités, mais qui manquent cruellement de moyens et de soutien.

En ces temps difficiles où les principes fondateurs de notre République sont remis en question, c’est précisément le moment de nous appuyer sur le formidable tissu d’élus locaux pour rétablir l’équilibre territorial. Pour ce faire, il est primordial de réaffirmer et de renforcer le principe de décentralisation inscrit à l’article premier de notre Constitution. Oui, l’enjeu premier de la révision constitutionnelle dont nous débattrons prochainement…

M. Philippe Dallier. Prochainement, prochainement…

M. Jean-Marie Janssens. … est bien la décentralisation ! Cette dernière est la clé d’une confiance renouée entre les territoires de la République. Elle est le point de départ d’un nouveau contrat républicain.

Aussi, ma question est simple : ferez-vous de la décentralisation la clé de voûte de la révision constitutionnelle à venir ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Janssens, nous avons en partage, entre autres choses, la connaissance du Loir-et-Cher.

Je vais essayer de vous répondre en deux temps.

Tout d’abord, puisque vous avez parlé de décentralisation, il faut partir de ce que l’on peut déjà percevoir dans le cadre du grand débat – même s’il faut le laisser se dérouler jusqu’au bout – des attentes des citoyens. C’est de ces attentes qu’il faut partir, car c’est de là que vient la crise.

Premièrement, les citoyens veulent davantage de proximité. Ils veulent bénéficier d’un lien de proximité avec leurs interlocuteurs, que ce soit dans les collectivités locales ou au niveau de l’État ; ils réclament aussi une proximité des réponses, c’est-à-dire qu’ils veulent savoir où poser leurs questions à chaque fois qu’ils en ont une. Les nouvelles technologies constituent un outil, mais ce n’est pas le seul : il faudra regarder à humaniser le service. Enfin, nos concitoyens demandent une proximité en termes de services publics.

Deuxièmement, et reconnaissons que l’œuvre collective mise en œuvre depuis quelques années n’a pas tout à fait abouti, ils souhaitent davantage de lisibilité. L’enchevêtrement d’un certain nombre de compétences, la succession d’un certain nombre de réformes n’ont pas clarifié les choses. Les citoyens ont besoin de lisibilité, parce qu’ils ont besoin de pouvoir identifier les responsabilités. Il n’y a pas de lisibilité possible sans identification des responsables, lesquels doivent pouvoir rendre des comptes et répondre aux demandes des citoyens.

Troisièmement, les citoyens ont besoin de confiance : confiance dans les institutions locales et les acteurs locaux, dans la façon dont tout cela fonctionne ; confiance entre les acteurs locaux et l’État. Enfin, dernière forme de confiance, le besoin de simplification : il faut savoir faire confiance à ceux qui prennent des initiatives sans systématiquement tout normer.

Ensuite, pour répondre à ces enjeux et répondre à votre question, nous avons trois instruments à notre disposition.

Le premier, c’est la décentralisation, qui permet de réfléchir au meilleur échelon pour exercer une compétence.

Le deuxième, c’est la différenciation. On a trop centralisé la décentralisation, si je puis dire : il faut désormais pouvoir adapter la répartition des compétences et la façon dont elles s’exercent selon les territoires.

Le troisième, c’est la déconcentration, parce que je perçois, et nous le percevons tous, un grand besoin d’État dans les territoires. En effet, c’est la présence et l’action territoriale de l’État lui-même qui sont questionnées sur un certain nombre de sujets aujourd’hui. D’ailleurs, les collectivités elles-mêmes réclament souvent davantage d’État.

C’est en s’appuyant sur ces trois piliers qu’il faudra répondre aux attentes dans les semaines et les mois qui viennent. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu jeudi 21 mars 2019, à quinze heures.

6

Souhaits de bienvenue à deux nouvelles sénatrices

M. le président. Mes chers collègues, avant de suspendre nos travaux, je voudrais saluer la présence dans notre hémicycle, pour sa première séance de questions au gouvernement, de Mme Marie-Pierre Richer, devenue sénatrice du Cher en remplacement de M. François Pillet, nommé membre du Conseil constitutionnel. En votre nom à tous, je lui souhaite la bienvenue parmi nous. (Applaudissements.)

Je voudrais également saluer le retour parmi nous de Mme Josiane Costes, redevenue sénatrice du Cantal en remplacement de M. Jacques Mézard, également nommé membre du Conseil constitutionnel. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq, sous la présidence de M. David Assouline.)

PRÉSIDENCE DE M. David Assouline

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Discussion générale (suite)

Maintien de l’ordre public lors des manifestations

Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Article 1er A (Texte non modifié par la commission)

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Maryse Carrère. (Mme Josiane Costes et M. André Gattolin applaudissent.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le contexte a considérablement évolué entre les deux lectures de la présente proposition de loi par notre assemblée. Soit dit sans vouloir prêter d’intentions cachées à ses auteurs, il est vraisemblable que le mouvement des « gilets jaunes » a empêché cette proposition de loi de disparaître dans les limbes de la navette parlementaire.

Ce n’est pas que son objet ne relève pas d’une préoccupation partagée par le groupe du RDSE : l’attachement de notre groupe au respect de l’ordre républicain n’a d’égal que celui qu’il a pour les libertés individuelles et publiques.

Nous considérons comme vous, mes chers collègues, que le maintien de l’ordre garantit l’exercice pacifique du droit de manifester. Que les violences qui agitent certains cortèges jettent le discrédit sur l’ensemble des manifestants, tandis que d’autres foules, de l’autre côté de la Méditerranée font preuve d’un calme digne, souverain, nous incite à réfléchir.

Maintenant que cette proposition de loi est devenue un des véhicules législatifs visant à apporter une réponse à la crise des « gilets jaunes », il nous faut composer avec cette ruse de l’histoire qui transforme parfois les textes de circonstance en lettres de loi.

Sur l’encadrement des manifestations, les questions sont pourtant nombreuses et mériteraient que l’on y consacre plus de temps. Faut-il, par exemple, revoir la procédure de déclaration en préfecture, dès lors qu’elle n’est pas toujours respectée, ou la définition de l’attroupement ? Une zone grise de la manifestation non déclarée, située entre la manifestation déclarée et l’attroupement, s’est développée dans la pratique, faute d’une base légale suffisante pour s’y opposer. Voilà un problème auquel il faudrait aussi s’attaquer !

Si l’on s’en tient aux seules dispositions que comporte ce texte, d’importantes questions de constitutionnalité et d’applicabilité restent encore en suspens, comme vous l’avez courageusement souligné, madame la rapporteure.

Je ne reviendrai pas sur l’inutilité de certains dispositifs, que j’ai évoquée dès la première lecture, mais pourquoi vouloir mettre fin à l’examen de cette proposition de loi de façon précipitée en adoptant conforme le texte voté par l’Assemblée nationale ? Et pourquoi charger le Conseil constitutionnel d’une mission qui excède son champ d’intervention et nous incombe en réalité ?

Je le répète, nous sommes nombreux ici à vouloir apporter des réponses utiles aux problèmes de violence que vous pointez, mais pas de cette façon, et pas maintenant.

Mes chers collègues, je crois important de redire que chaque fois que le Parlement se dessaisit de sa compétence, il porte atteinte à son utilité, au moment où certains voudraient la mettre en question. Le Sénat, en particulier, s’est toujours honoré à se poser en « gardien des libertés », comme le disait notre ancien collègue François Pillet avant de rejoindre le Conseil constitutionnel. Aujourd’hui, rassemblons-nous autour de ce dessein, pour faire honneur à notre fonction de législateur de plein exercice. Montrons, par notre débat, que le bicamérisme est essentiel à notre démocratie parlementaire, plutôt que de nous en remettre fébrilement à l’examen du juge constitutionnel.

En effet, comme le Conseil constitutionnel l’expose lui-même dans un considérant de principe qu’il a posé depuis longtemps, il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur. Autrement dit, il nous faut revenir à l’« acte de légiférer », comme le disait notre collègue Philippe Bonnecarrère en commission des lois, la semaine dernière.

À l’Assemblée nationale, certains de nos collègues députés ont d’ailleurs exprimé leur volonté de parvenir à une rédaction plus proche de celle que nous avions adoptée en première lecture. Monsieur le ministre, le Gouvernement lui-même avait également alors reconnu le caractère inachevé de ce texte. Comme l’indique l’objet du sous-amendement n° 248, « compte tenu de la date de dépôt de cet amendement, des améliorations pourront être apportées à la rédaction de ces dispositions dans le cadre de la navette parlementaire ».

Il revient à présent à chacun d’entre nous de voter en conscience, plutôt que de vouloir chercher à prémunir l’autre assemblée contre ses états d’âme. La majorité des membres de notre groupe votera tout amendement dont l’adoption permettra de poursuivre de façon constructive la navette parlementaire, conformément à ce que prévoit notre Constitution. Nous espérons que cela permettra de répondre à nos principales préoccupations, qui portent sur l’effectivité du recours contre les interdictions administratives de manifester, et que des modifications permettront de se prémunir contre d’éventuels dévoiements de ces nouveaux dispositifs. Nous avons d’ailleurs déposé plusieurs amendements en ce sens.

Les Français demandent légitimement à retrouver la paix civile. Si ce texte devait être adopté en l’état, nous laisserions certes notre trace dans l’histoire, mais nous manquerions à notre premier devoir de législateur : s’extraire des contingences. On écrit la loi pour l’avenir, pas pour la postérité. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. Philippe Bonnecarrère et Jérôme Durain applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, autant le dire franchement : en ce qui concerne ce texte, parfois, le Gouvernement – pas vous, monsieur le ministre de l’intérieur – a pu nous dérouter.

En octobre, vous étiez plutôt contre ; en janvier, vous étiez franchement pour, comme en témoignait une intervention du Premier ministre à la télévision ; depuis quelques heures, depuis l’annonce de la saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République, nous ne savons pas si vous êtes désormais pour ou contre, ou bien au contraire… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Depuis 1958, il est arrivé seulement à deux reprises que le Président de la République saisisse, comme l’y autorise l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel. Cela signifie qu’Emmanuel Macron en appelle à cette haute instance pour trancher un différend sur un texte que son propre Premier ministre a appelé de ses vœux, un texte qui a fait l’objet d’amendements confortant un certain nombre d’articles, amendements déposés sur votre initiative, monsieur le ministre de l’intérieur, et que votre majorité a votés à l’Assemblée nationale.

Cette pensée complexe a pu parfois nous dérouter, et sans doute est-elle, pour nous sénateurs, un peu inaccessible… (Nouveaux sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je voudrais pour ma part rétablir de la clarté et répondre à deux questions, en essayant de revenir à l’esprit originel de la proposition de loi : pourquoi avons-nous déposé ce texte ? Pourquoi souhaitons-nous aujourd’hui qu’il soit voté conforme ?

Si nous avons déposé cette proposition de loi, ce n’est certainement pas pour que nos deux noms soient apposés côte à côte sur un texte, monsieur le ministre de l’intérieur. Je ne veux pas vous compromettre, comme a tenté de le faire Jérôme Durain, parce que, franchement, vous ne le méritez pas ! (Sourires.)

Nous sommes finalement partis du même constat : en France, depuis des années désormais, on ne parvient plus à manifester pacifiquement. Je l’avais observé, comme Christophe Priou l’a très bien dit, à Nantes avec les zadistes. Chaque grande manifestation donne lieu à de l’ultraviolence. Ce n’est pas tolérable ! Vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, le nombre de policiers, de gendarmes, de sapeurs-pompiers qui ont été blessés. Nous législateurs resterons-nous insensibles à cet état de fait ?

Nous avons déposé ce texte au mois de juin, tout de suite après l’épisode des Black Blocs du mois de mai, bien avant donc le mouvement des « gilets jaunes ». Je veux dire par là que ce texte ne vise pas ces derniers ; il vise les « cagoules noires », cette nébuleuse extrémiste qui profite d’un angle mort de notre droit pénal. En effet, pour qu’un juge puisse condamner l’auteur d’un délit, il faut bien sûr établir un lien direct entre l’identité de celui-ci et la commission de l’acte. Mais comment le faire si l’intéressé dissimule son visage ?

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Bruno Retailleau. Voilà pourquoi il y a tant de gardés à vue et pourquoi les suites judiciaires sont aussi décevantes. Mes chers collègues, nous devons prendre nos responsabilités, et c’est pourquoi le délit de dissimulation du visage est au cœur du texte, dont la portée est d’abord préventive.

J’ai entendu dire que le port d’une cagoule avait pour finalité de se protéger des gaz lacrymogènes. Et pourquoi pas des UV et des coups de soleil ? (Mme Esther Benbassa sexclame.)

Pourquoi souhaitons-nous que ce texte soit voté conforme ?

Certes, il a évolué, il a parfois été enrichi, parfois durci sur un certain nombre de points, mais nous pensons qu’il faut que nous saisissions cette occasion, par souci d’efficacité, par esprit de responsabilité, pour donner à nos forces de l’ordre, à la République, à la démocratie, les moyens de se protéger.

J’ai entendu Patrick Kanner, président du groupe socialiste et républicain, faire appel à la grande figure tutélaire de Victor Hugo ; il me permettra d’y faire référence moi aussi. Hugo disait : « La République affirme le droit, mais elle exige le devoir. »

De quel droit s’agit-il en l’occurrence ? Du droit de manifester librement, pacifiquement ; mais ce droit, mes chers collègues, vous ne pouvez pas le laisser détourner par des minorités, par cette nébuleuse extrémiste dont je parlais. Ce n’est pas possible, parce que, sinon, à un moment ou à un autre, vous vous trouverez placés devant un dilemme : interdire les manifestations ou éradiquer ceux qui sont très violents et qui dévoient ce droit pour casser, pour piller, pour blesser, pour propager une haine « anti-flics » qui n’est autre que la haine de la République, de la démocratie.

De quel devoir s’agit-il ? Il s’agit, mes chers collègues, de notre devoir, du devoir du législateur. Ce devoir exige de nous que nous réagissions, que nous prenions les mesures législatives nécessaires. Encore une fois, on ne peut pas laisser ces minorités détourner ce qui est un droit d’expression pour le retourner contre l’État de droit. Ce grand retournement, ce retournement délétère, nous ne pouvons l’admettre, nous devons absolument l’empêcher. Le devoir du législateur, ce sera toujours, en tout lieu et en toute circonstance, d’opposer à la loi du plus fort la force de la loi.

Oui, monsieur le ministre, oui, mes chers collègues, nous souhaitons que ce texte soit voté conforme, parce que nous ne voulons pas céder un seul pouce de terrain à l’ultraviolence.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Très clairement, la question qui est posée aujourd’hui, c’est celle de la possibilité, en France, de manifester pacifiquement, tranquillement. Il y en a assez que l’État régalien doive s’excuser de nous protéger : l’État démocratique n’est pas l’État de l’impuissance !

Telles sont, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles nous voterons ce texte avec beaucoup de conviction. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. –M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Charon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Charon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, il y a quelques mois, lorsque le Sénat examinait cette proposition de loi, nous étions loin de nous douter que l’actualité allait lui donner de l’importance.

Nous n’étions guidés par un simple impératif : mettre fin à l’impunité chronique des casseurs. Le Sénat n’avait pas fait que réagir à chaud : il avait anticipé les problèmes qui gangrènent notre société en proposant des solutions pratiques. Je veux saluer ici l’initiative de Bruno Retailleau : si ce texte avait été adopté à temps, dès après sa transmission à l’Assemblée nationale, certains problèmes auraient pu être évités.

M. François Bonhomme. C’est sûr !

M. Pierre Charon. Au regard du débat sur les institutions, nous avons là un exemple de l’utilité du Sénat. À bon entendeur…

Sous l’effet des circonstances, il y a eu une conversion salutaire du Gouvernement : « Nous avons besoin de cette proposition de loi, » a clairement dit le ministre de l’intérieur, que je salue. En effet, il a fallu plusieurs samedis marqués par des violences pour que l’exécutif reconnaisse la nécessité d’un dispositif approprié, au point même de parler de « loi anti-casseurs » – je cite de nouveau le ministre.

Oui, au-delà de la victoire du bon sens, c’est bien celle des mots que je voudrais saluer. Une sémantique trop prudente anesthésie les consciences et empêche toute action.

Lutter contre des délinquants et des criminels, ce n’est pas empêcher les manifestations. Ce qui est en jeu, c’est la sécurité des personnes et des biens : elle est la raison d’être des pouvoirs publics et de la politique.

Ne risquons pas la vie des policiers, des manifestants, des commerçants, au nom de fausses pudeurs. Il est anormal de voir, à chaque manifestation, les casseurs échapper aux poursuites et aux sanctions. Il y a, hélas ! une impunité chronique des brutes et des voyous, qui ne comprennent qu’un seul langage : celui de la force.

Mais que diable faut-il faire pour aller en prison dans ce pays ? Le jet de boules de pétanque et de cocktails Molotov est déjà un acte insurrectionnel. Les auteurs de tels gestes sont non plus des délinquants, mais des criminels. Osons les qualifier ainsi !

À Paris, nous ne pouvons plus supporter ces fins de manifestations où des commerçants ont été attaqués, leurs commerces saccagés et pillés, des monuments profanés. Des immeubles ont même été incendiés ! Les conséquences auraient pu être encore plus dramatiques. Je veux saluer tous mes collègues maires d’arrondissement, de tous bords, qui se sont heurtés à une gestion parfois inefficace de l’ordre public. Faut-il attendre le pire pour agir ? L’impunité des casseurs peut se transformer en permis de tuer si l’on persévère dans cette lâcheté !

L’article 2 permet aux préfets de prononcer des interdictions de manifester et, en cela, il ne fait qu’étendre une solution déjà appliquée dans les stades et qui a prouvé son efficacité. L’interdiction administrative remédie à la lenteur de la justice. Alors que les décisions judiciaires peuvent se faire attendre des années, le temps d’une réponse adaptée se mesure en jours.

Les personnes interdites de manifestation doivent être recensées dans un fichier. L’Assemblée nationale a même proposé que ce traitement relève du fichier des personnes recherchées, le FPR.

La création d’un délit de dissimulation du visage dans une manifestation est aussi une nécessité incontournable : il s’agit de lutter contre tous ceux qui veulent participer sans pouvoir être identifiés à des manifestations susceptibles de dégénérer.

Je voterai ce texte tel que la commission des lois l’a accepté, et j’appelle mes collègues à faire de même nonobstant la curieuse décision prise par le Président de la République de saisir le Conseil constitutionnel, pour la deuxième fois seulement sous la Ve République, et ce avant même le vote du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Henri Leroy. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Henri Leroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a vingt-huit ans, je rendais mon uniforme de la gendarmerie après avoir servi militairement notre pays pendant un quart de siècle. Aussi est-ce avec gravité et émotion que je prends la parole aujourd’hui.

Depuis de nombreux mois, nos forces de sécurité sont victimes d’une nouvelle forme de violence. Des individus armés et parfaitement organisés s’infiltrent dans des manifestations pour en découdre. Ces délinquants sont là pour blesser, mutiler nos policiers et nos gendarmes. Ils s’en prennent à nos institutions et n’hésitent pas non plus à piller et à dégrader les biens privés ou publics.

Les chiffres sont alarmants : depuis le début du mois de novembre 2018, 430 gendarmes et plus de 1 000 policiers ont été blessés, certains gravement, voire très gravement.

Notre arsenal juridique n’est plus adapté à ce nouveau contexte de violence, et l’occasion nous est enfin donnée d’y remédier. Permettez-moi de saluer le travail du président Bruno Retailleau, qui est à l’initiative de cette loi dite « anti-casseurs ».

À l’occasion d’une première lecture à l’Assemblée nationale, ce texte a été amendé. Nos collègues députés ont d’ailleurs conservé l’esprit du dispositif et n’ont pas totalement dénaturé les principales mesures de la proposition de loi.

Monsieur le ministre, c’est bien là la preuve de l’utilité de notre institution, ainsi que de la nécessité d’un dialogue entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Le message, je l’espère, sera entendu en haut lieu.

Toutefois, le Président de la République a fait savoir qu’il saisirait le Conseil constitutionnel, alors que cette loi n’a même pas encore été votée. C’est un message négatif transmis à nos forces de l’ordre confrontées aux agresseurs, à la violence des casseurs. Le Président doit clarifier sa position. Une loi de plus grande fermeté est en voie d’être votée, et nous attendons du Gouvernement, du Président de la République, un soutien sans ambiguïté à nos policiers, à nos gendarmes. Défendre et protéger nos forces de l’ordre ne peut être inconstitutionnel ; l’envisager, c’est déjà les affaiblir !

Le temps de la réflexion et de ce qui a été qualifié de « grand débat » est maintenant derrière nous. Il faut désormais agir, et agir vite. Combien de blessés supplémentaires faudra-t-il avant que ne soit prise la pleine mesure de la situation ? Monsieur le ministre de l’intérieur, voulez-vous continuer à être spectateur des agressions de nos forces de sécurité intérieure, vous qui êtes leur chef ?

La proposition de loi du président Retailleau est un texte d’équilibre, doté à la fois d’un volet préventif et d’un volet répressif. Il répond à une attente forte, à une sorte d’appel au secours du terrain pour quiconque écoute et côtoie nos policiers et nos gendarmes.

Interdire de manifester à une personne qui a commis des actes violents lors d’une précédente manifestation ou qui présenterait une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public relève tout simplement du bon sens.

Il s’agit là d’un moyen concret d’écarter les individus les plus à même de commettre des agressions à l’encontre des forces de l’ordre. Lors des précédents mouvements sociaux, la principale difficulté rencontrée par les préfectures et les forces de l’ordre résidait dans l’impossibilité qui leur était opposée de prendre des mesures en amont d’une manifestation. Désormais, il sera possible d’anticiper et de prévenir des atteintes aux personnes et aux biens.

Une deuxième mesure consiste à donner davantage de moyens juridiques aux policiers et aux gendarmes. Lorsque cette loi aura été promulguée, le recours aux fouilles de sacs ou de véhicules se trouvera élargi afin d’éviter l’introduction d’armes au sein d’une manifestation.

De même, les mesures personnelles d’interdiction de manifester seront inscrites dans le fichier des personnes recherchées. Ce type de fichage sera immédiatement opérationnel, car la police, la gendarmerie et les douanes disposent de tablettes permettant un accès direct au fichier des personnes recherchées.

Je souhaiterais revenir sur une dernière mesure, relative à la dissimulation du visage au sein ou aux abords d’une manifestation. Si, dans notre droit positif, la dissimulation du visage est aujourd’hui répréhensible, la difficulté porte sur l’établissement du lien entre personnes au visage dissimulé et dégâts causés, puisque ces personnes sont difficilement identifiables hors flagrance.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les maîtres mots de la proposition de loi de notre collègue Bruno Retailleau sont bon sens et efficacité. C’est la raison pour laquelle je voterai ce texte sans l’ombre d’une hésitation.

Nos policiers et nos gendarmes sont des personnes dévouées,…

M. le président. Mon cher collègue, il vous faut conclure !

M. Henri Leroy. … qui assurent notre protection parfois au péril de leur vie. À notre tour, soutenons-les et protégeons-les ! C’est un devoir pour nous, parlementaires. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations

Chapitre Ier

Mesures de police administrative

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

Article 1er A

(Non modifié)

Au deuxième alinéa de l’article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure, les mots : « trois d’entre eux faisant élection de domicile dans le département » sont remplacés par les mots : « au moins l’un d’entre eux ».

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, N. Delattre et Costes, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :

Au début,

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

…. – À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq ».

La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. La recrudescence des violences dans les cortèges nous contraint à réfléchir à toutes les évolutions possibles du cadre légal des manifestations.

Il ressort de nos recherches qu’un certain nombre de manifestations se tiennent sur la voie publique sans que les formalités nécessaires aient été accomplies en préfecture. On se trouve alors dans une zone grise, se situant entre la manifestation légale et l’attroupement, comme l’a dit ma collègue Maryse Carrère lors de la discussion générale, définie par le code pénal en l’absence d’un risque pour l’ordre public.

En outre, la marginalisation du fait syndical et l’essor des mobilisations citoyennes annoncées sur les réseaux sociaux rendent ce cadre légal en partie obsolète. Les forces de l’ordre ont déjà adapté leurs pratiques et les renforcent grâce au renseignement en ligne, afin de prévenir les mouvements qui pourraient éventuellement dégénérer.

Ces constatations doivent nous inciter à réfléchir à des évolutions législatives plus ambitieuses que celles présentées au travers de cette proposition de loi, qui se concentre uniquement sur les comportements individuels.

Nous pourrions évidemment envisager d’autres modalités de déclarer en préfecture la volonté de manifester –non pas de façon individuelle, car ce serait sans doute très lourd à gérer pour les préfectures. À l’Assemblée nationale, les députés ont adopté un amendement visant à réduire à deux le nombre minimal de déclarants en préfecture. Sachant que nous sommes partis du principe que l’interdiction administrative de manifester sera maintenue, et compte tenu du temps d’examen particulièrement restreint, le présent amendement consiste simplement, pour l’heure, en une adaptation du délai incompressible de déclaration avant la tenue de la manifestation, afin de rendre le droit au recours des personnes visées par ces interdictions plus effectif, et l’ensemble du dispositif plus opérationnel.

Nous sommes conscients que cela pourrait créer, en pratique, une certaine rigidité pour les organisateurs de manifestations, mais il s’agit de souligner l’importance des modifications législatives nécessaires pour garantir un exercice effectif du droit de recours en référé dans l’hypothèse d’un maintien de l’interdiction administrative de manifester et d’envisager des alternatives plus respectueuses du droit de recours. (M. Yvon Collin applaudit.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. La commission partage l’objectif de nos collègues. Je le rappelle, nous nous étions d’ailleurs attachés, en première lecture, à garantir un droit au recours effectif.

Néanmoins, le nouveau délai de cinq jours qu’il est proposé d’instituer serait beaucoup plus contraignant pour les organisateurs des manifestations. Il risquerait même de dissuader, encore plus qu’aujourd’hui, de déclarer les manifestations, alors que l’objet de l’article 1er A est d’inciter les organisateurs à le faire.

Par ailleurs, l’objectif affiché n’est en réalité pas vraiment atteint au travers de cet amendement, car l’article 2 du texte prévoit qu’une interdiction de manifester devra être prononcée 48 heures avant le début de la manifestation, et non 48 heures après la déclaration.

Enfin, la commission des lois a fait le choix d’une entrée en vigueur rapide de ce texte et n’a, en conséquence, pas souhaité l’amender.

L’avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Madame la sénatrice Laborde, l’article auquel vous faites référence a été ajouté par l’Assemblée nationale en vue de simplifier la procédure de déclaration de manifestation. Votre proposition, au contraire, la compliquerait quelque peu. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement y est plutôt défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement soulève de nouveau la question, que j’ai évoquée précédemment, de la possibilité d’exercer un recours effectif contre la décision d’interdiction de manifester. Le délai est si court et le code de justice administrative est rédigé de telle manière que le juge administratif a quarante-huit heures pour statuer ; de fait, le requérant se trouve privé de son droit à exercer un recours effectif.

La solution proposée, au travers de cet amendement, est d’allonger le délai de déclaration avant la tenue de la manifestation. Pour autant, je crains qu’elle ne présente finalement l’inconvénient d’imposer de déclarer une manifestation cinq jours avant sa tenue et d’être, de ce fait, en quelque sorte contre-productive.

Peut-être eût-il fallu prévoir – mais, pour cela, il eût fallu aussi pouvoir discuter et déposer des amendements – que le juge administratif ne dispose que de vingt-quatre heures pour statuer. Le droit au recours effectif étant un droit constitutionnel, il faut imposer au juge administratif de statuer rapidement. J’ai bien entendu la rapporteure admettre, de manière assez sincère (M. Bruno Sido rit.), que le texte ne serait pas amélioré parce qu’il fallait le voter conforme… Mais, tout de même, ayons le sens des responsabilités ! Il vaudrait mieux, encore une fois, réduire de quarante-huit à vingt-quatre heures le délai accordé au juge administratif pour statuer. En l’état, cet amendement ne le permet pas. Par conséquent, et même si nous partageons l’objectif de ses auteurs, nous ne pourrons pas le voter.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 10, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :

… – Le deuxième alinéa du même article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle indique également les moyens mis en œuvre pour informer les manifestants sur les règles de dispersion des attroupements définies à l’article L. 211-9. »

La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. Si vous me le permettez, monsieur le président, je présenterai en même temps les amendements nos 10 et 11, qui sont tous deux des amendements d’appel.

M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 11, présenté par M. Grand et ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – Le premier alinéa de l’article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il peut également obliger les organisateurs à informer par tout moyen les manifestants sur les règles de dispersion des attroupements définies à l’article L. 211-9. »

Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Grand. Fort judicieusement, le Sénat a rejeté, jeudi dernier, la proposition de loi de nos collègues du groupe CRCE qui visait à interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l’ordre. À cette occasion, je n’ai pu évoquer la problématique sous-jacente des sommations. La discussion du présent texte me permet de le faire aujourd’hui.

Lors de manifestations, les attroupements peuvent être dissipés par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet. Il est procédé à ces sommations suivant des modalités propres à informer les personnes participant à l’attroupement de l’obligation de se disperser sans délai.

Dans les faits, l’autorité annonce sa présence par haut-parleur dans les termes suivants : « obéissance à la loi, dispersez-vous », puis : « première sommation, on va faire usage de la force », et enfin : « dernière sommation, on va faire usage de la force ». Si l’utilisation du haut-parleur est impossible ou manifestement inopérante, chaque annonce ou sommation peut-être remplacée ou complétée par le lancement d’une fusée rouge. Or, en plus d’être totalement désuètes, ces modalités de sommation sont très largement inconnues du grand public. S’agissant de mesures réglementaires, je souhaitais interpeller le Gouvernement sur cette procédure, en vue de la rendre plus efficace et plus audible.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. L’amendement n° 10 vise à obliger les organisateurs de manifestations à indiquer, lorsqu’ils déclarent une manifestation, les moyens qu’ils entendent mettre en œuvre pour informer les manifestants sur les règles relatives aux sommations.

Le constat dressé par notre collègue est tout à fait juste : tout le monde s’accorde aujourd’hui sur le caractère désuet de la procédure de sommations et sur sa méconnaissance par de nombreux citoyens.

En revanche, la solution proposée ne me semble pas vraiment appropriée : il appartient aux autorités publiques, plus qu’aux organisateurs, d’améliorer la communication sur les règles de dispersion. Sa mise en œuvre alourdirait d’ailleurs la procédure de déclaration, alors que l’article 1er A de la proposition de loi vise justement à l’alléger.

Je crois savoir que le ministère de l’intérieur a engagé une réflexion en vue de revoir la procédure des sommations, ce qui devrait donner satisfaction à notre collègue. Peut-être le ministre pourra-t-il nous en dire davantage à ce sujet ?

Pour ces raisons, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

L’amendement n° 11 a un objet similaire, mais son dispositif est quelque peu différent. Il s’agit de permettre aux préfets, lorsqu’il existe un risque de trouble à l’ordre public, d’obliger les organisateurs de manifestations à informer les manifestants par tout moyen des règles de dispersion des attroupements.

Comme je viens de l’indiquer, la commission partage le constat de M. Grand, mais a estimé que le dispositif proposé n’était pas vraiment adapté.

Enfin, sur le plan opérationnel, comment les organisateurs pourraient-ils de manière efficace informer l’ensemble des participants à une manifestation ?

La commission demande donc également le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Monsieur le sénateur Grand, je comprends parfaitement la logique de vos deux amendements, qui visent à améliorer l’information des manifestants sur les modalités de dispersion des attroupements.

Le système actuel, on le voit bien, est quelque peu archaïque. Le commissaire de police doit-il nécessairement être ceint d’une écharpe bleu-blanc-rouge ?

Mme la rapporteure l’a indiqué, j’ai demandé à la préfecture de police, à la direction générale de la gendarmerie nationale et à la direction générale de la police nationale de travailler à une révision de notre doctrine globale de maintien de l’ordre public. Je compte d’ailleurs constituer un groupe d’experts appelé à se prononcer sur les propositions qui nous seront faites. Je souhaiterais, monsieur le président de la commission des lois, qu’un sénateur participe aux travaux de ce groupe composé notamment de préfets et de représentants du ministère de la justice expérimentés. J’adresserai la même proposition à Mme la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale.

La question des modalités d’information sur les règles relatives à la dispersion d’un attroupement sera étudiée dans ce cadre. Dans cette perspective, le retrait de ces amendements me semblerait opportun.

M. le président. Monsieur Grand, les amendements nos 10 et 11 sont-ils maintenus ?

M. Jean-Pierre Grand. Non, je les retire, monsieur le président.

M. le président. Les amendements nos 10 et 11 sont retirés.

Je mets aux voix l’article 1er A.

(Larticle 1er A est adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous indique à toutes fins utiles que, si nous n’avons pas achevé l’examen de ce texte à vingt heures, je suspendrai alors la séance, qui reprendra à vingt et une heures trente.

Article 1er A (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Article 2 (Texte non modifié par la commission)

Article 1er

(Non modifié)

Après l’article 78-2-4 du code de procédure pénale, il est inséré un article 78-2-5 ainsi rédigé :

« Art. 78-2-5. – Aux fins de recherche et de poursuite de l’infraction prévue à l’article 431-10 du code pénal, les officiers de police judiciaire mentionnés aux 2° à 4° de l’article 16 du présent code et, sous la responsabilité de ces derniers, les agents mentionnés à l’article 20 et aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 peuvent, sur réquisitions écrites du procureur de la République, procéder sur les lieux d’une manifestation sur la voie publique et à ses abords immédiats à :

« 1° L’inspection visuelle des bagages des personnes et leur fouille, dans les conditions prévues au III de l’article 78-2-2 ;

« 2° La visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public, dans les conditions prévues au II du même article 78-2-2.

« Le fait que les opérations prévues aux 1° et 2° du présent article révèlent d’autres infractions ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. »

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.

M. François Bonhomme. Cette proposition de loi comporte un volet préventif et un volet répressif.

Je souhaiterais d’abord souligner l’importance du volet préventif pour la mise en œuvre d’une politique de maintien de l’ordre efficace et adaptée.

L’article 1er permet de renforcer les actions de prévention des forces de l’ordre, ce qui est une nécessité absolue. Chacun sait que nous sommes confrontés régulièrement – cela ne date pas de quelques mois ou de quelques semaines – à des formes graves de violence, auxquelles le droit, en son état actuel, ne permet pas de répondre, dès lors qu’il rend impossible l’interpellation au plus tôt de ceux qu’on appelle les casseurs.

Ces casseurs professionnels ou « cagoules noires » affaiblissent notre République. Ils instrumentalisent le droit de manifester pour agresser, pour saccager, pour piller tout ce qui peut ressembler, à leurs yeux, à un symbole de l’État « capitaliste et policier ».

Combien de nos concitoyens, y compris et d’ailleurs surtout ceux qui veulent manifester pacifiquement, ont été effarés devant le déferlement de violence des Black Blocs, ces groupes organisés, anonymisés, armés de tout ce qui permet de casser ? Le problème ne date pas de quelques mois : ce n’est donc pas ici un texte de pure circonstance, contrairement à ce qui a pu être dit précédemment, sauf à ne pas vouloir considérer que ces groupes anarcho-libertaires, qui déploient leur violence ici et là depuis une vingtaine d’années, ne cherchent qu’une chose : détruire, indépendamment de l’objet de la contestation.

C’est faire preuve non seulement de naïveté ou d’une vision irénique que de croire qu’il n’en est pas ainsi, mais aussi d’un aveuglement idéologique. Tout législateur responsable se doit de pallier les lacunes et les manquements du cadre juridique actuel, en dotant nos forces de l’ordre de nouveaux moyens de droit pour prévenir les violences dans les manifestations.

Cet article comporte des mesures de police administrative fortes qui permettront de conférer à l’autorité administrative de nouveaux instruments destinés à prévenir, le plus en amont possible, l’infiltration des manifestations pacifiques par des groupuscules ultraviolents.

Il s’agit là de mesures de bon sens, qui permettront d’éviter l’introduction, dans les manifestations, de tout objet susceptible de constituer une arme par destination, dans un objectif de protection des citoyens.

Je veux saluer ici nos policiers et nos gendarmes, qui doivent exercer leurs missions dans des conditions de plus en plus difficiles et harassantes. Les mesures introduites par cet article sont attendues tant par nos forces de l’ordre que par nos concitoyens, qui attendent du législateur une action rapide, ciblée et déterminée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, sur l’article.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Avec cet article, nous sommes vraiment dans ce qu’un expert du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale a décrit comme étant du « bricolage législatif ». Cet expert – en législation, pas en bricolage ! (Sourires.) –, c’est M. Éric Ciotti.

La position du groupe Les Républicains du Sénat me plonge dans des abîmes de perplexité.

Vous aviez imaginé, mes chers collègues, compléter le dispositif actuel du code de procédure pénale par des dispositions de droit administratif, en ouvrant aux préfets la possibilité de faire procéder à des fouilles, etc. Nous étions contre, mais votre proposition avait sa cohérence.

À l’Assemblée nationale, il a finalement été décidé de passer sur le terrain judiciaire. Cela n’apporte rien au droit positif, le code de procédure pénale prévoyant déjà des modes de réquisitions judiciaires permettant toute une série d’interventions, comme l’a notamment expliqué Éric Ciotti. Ici, il s’agit des fouilles : le Président de la République lui-même a considéré que l’affaire était quelque peu délicate et qu’il y avait matière à saisir le Conseil constitutionnel. Cependant, aujourd’hui, vous jugez que le dispositif adopté par l’Assemblée nationale est en définitive formidable, parce que vous êtes entièrement mus par la volonté de faire un mauvais coup, avec la complicité du Gouvernement, en faisant voter cette loi, même si le texte ne correspond absolument pas à ce que vous vouliez au départ…

Le groupe socialiste et républicain renvoie le groupe Les Républicains à ses contradictions, à ses changements de pied entre première et deuxième lectures. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Étant opposés au texte issu de l’Assemblée nationale comme nous étions opposés à celui qui avait été adopté par le Sénat en première lecture, nous voterons contre cet article.

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.

M. François Grosdidier. Au cours de la discussion générale, on a entendu beaucoup d’exercices rhétoriques sur la liberté de manifester, qui serait menacée, alors que ce texte vise d’abord, en réalité, à protéger le droit effectif de manifester pacifiquement.

Il faut empêcher les casseurs, les extrémistes, les violents de s’introduire systématiquement dans les manifestations pour les détourner. Nous nous sommes inspirés des dispositions qui avaient été prises pour lutter contre le hooliganisme dans les stades.

M. François Bonhomme. Ça a fonctionné !

M. François Grosdidier. Elles ont très bien fonctionné, en effet, puisque ce phénomène paraît aujourd’hui relever plutôt du passé.

Notre idée initiale était de faire définir un périmètre par le préfet, comme pour les périmètres de contrôle en vue de la prévention des attentats. L’Assemblée nationale a imaginé introduire une référence plus souple aux « abords immédiats » de la manifestation. Cela présente des avantages pratiques, une manifestation étant le plus souvent mobile : le dispositif que nous avions défini aurait pu se révéler trop rigide.

L’Assemblée nationale a en outre décidé de remplacer l’arrêté préfectoral par une réquisition du procureur. Dès lors, ma chère collègue, c’est vous qui êtes en contradiction avec vos propres positions,…

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Non, nous voterons contre !

M. François Grosdidier. … puisque vous nous avez expliqué à longueur de discours qu’il était scandaleux de donner le pouvoir aux préfets et qu’il fallait plutôt le donner aux magistrats ! Or, c’est précisément ce que prévoit désormais le texte ! Vous êtes en totale contradiction avec vous-mêmes !

M. François Grosdidier. La bonne foi est de notre côté. C’est avec conviction que nous voterons cet article conforme.

M. Marc Daunis. En toute cohérence…

M. le président. L’amendement n° 19, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Nous proposons la suppression de cet article, ses dispositions n’apportant aucune plus-value au droit existant.

Aujourd’hui, les officiers de police judiciaire ont toute latitude pour procéder, sous contrôle du procureur de la République, bien évidemment, à des fouilles de bagages et de véhicules en vue d’identifier les auteurs d’atteintes à la sécurité des biens ou des personnes ou pour prévenir lesdites atteintes. De fait, la recherche d’armes est déjà couverte par l’article 78-2-4 du code de procédure pénale et l’article L. 315-1 du code de la sécurité intérieure, ces dispositions satisfaisant à tous les impératifs de sécurité.

L’article 1er vise en fait à criminaliser la liberté de manifester en mettant sur le même plan manifestation et acte de terrorisme, car ses dispositions sont calquées sur la législation antiterroriste.

Un autre problème posé par cet article tient à son application à la détention d’armes par destination. De fait, il faut rappeler que la caractérisation d’arme par destination n’implique pas une faculté et une présomption de détournement d’un objet, mais résulte de la constatation du fait ou d’une preuve tangible d’une intention de détournement. Autrement, je ne vois pas quel objet du quotidien ne pourrait pas constituer une arme par destination…

Nous sommes ici loin de la rhétorique : de manière très concrète, une hampe de drapeau ou de banderole ne devient éventuellement une arme par destination que si l’on s’en sert pour porter des coups à une personne ou détruire une vitrine ou si l’on peut démontrer l’existence d’une telle intention. Or, de par son esprit même, l’article 1er pourrait modifier ce paradigme et faire d’un tel objet une arme par destination à tout moment, en tout lieu et en toute occasion.

On le voit bien, il s’agit là d’une tentative de vider de son sens la notion même d’arme par destination, au point de la rendre totalement inopérante, tout en créant une suspicion généralisée à l’encontre de manifestants mis sur le même plan que des délinquants ou des criminels.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. La création d’un nouveau régime de contrôles de police judiciaire spécifique aux manifestations présente un intérêt opérationnel majeur pour les forces de l’ordre, dans la mesure où il offrira beaucoup plus de souplesse pour l’organisation des dispositifs de contrôle.

La commission des lois a, en conséquence, décidé de souscrire à la rédaction de l’article 1er dans sa rédaction issue de l’Assemblée nationale. Elle émet un avis défavorable sur cet amendement de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, c’est à vous que je m’adresse, puisque la présente proposition de loi a été soutenue par le Gouvernement ; il faut l’assumer.

Vous nous avez dit avoir participé autrefois à des manifestations. D’évidence, c’est pour vous une expérience un peu ancienne et oubliée. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie sesclaffe.) En effet, si, comme moi, vous aviez participé, sous la précédente mandature, aux manifestations contre un gouvernement que vous défendiez et contre une loi que vous avez votée, vous sauriez que les personnes qui souhaitaient rejoindre les cortèges ont été systématiquement fouillées.

Je suis au grand regret de devoir vous apprendre que ce que vous nous présentez aujourd’hui comme une mesure qui réglera absolument tous les problèmes correspond à une pratique fréquente depuis trois ou quatre ans. Ainsi, à l’occasion de certaines des manifestations que j’évoquais, je me suis vu confisquer les lunettes de piscine et le liquide physiologique que j’avais emportés pour protéger mes yeux fragiles, au motif qu’il pouvait s’agir d’armes par destination…

C’est là non pas un exercice rhétorique, monsieur Grosdidier, mais le récit de l’expérience concrète de quelqu’un qui s’est vu appliquer des mesures censées résoudre tous les problèmes.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Notre collègue Pierre Ouzoulias vient de nous indiquer qu’il est déjà possible de contrôler ce que transportent des personnes souhaitant rejoindre une manifestation. Sur ce point, l’article 1er est donc inutile, mais il donne aussi de nouveaux pouvoirs au procureur de la République pour restreindre l’exercice de la liberté d’aller et venir.

M. François Grosdidier. C’est un magistrat !

M. Jean-Yves Leconte. Nous le savons, depuis déjà longtemps, notre parquet est dans le collimateur de la Cour européenne des droits de l’homme, en raison de son lien organique avec la Chancellerie. C’est d’ailleurs pourquoi il y a eu, en 2013, un projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Cependant, jusqu’à présent, rien n’a été fait sur ce plan.

Il n’est donc pas possible aujourd’hui de considérer que le parquet est suffisamment indépendant pour garantir la liberté d’aller et venir dans des conditions correctes. C’est la raison pour laquelle il n’est pas envisageable, en l’absence d’une réforme du parquet, de continuer à donner de nouvelles prérogatives au procureur en matière de garantie des libertés individuelles. Ne pouvant souscrire aux dispositions de l’article 1er, nous voterons cet amendement de suppression. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie applaudit.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 19.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 12, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Remplacer les mots :

et 1° ter

par les mots :

, 1° ter et 2

La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. L’article 1er rend possibles l’inspection visuelle des bagages et la visite de véhicules aux fins de recherche et de poursuite de l’infraction de participer à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme. Sur réquisitions écrites du procureur de la République et sous le contrôle d’un officier de police judiciaire, il autorise les agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints de la police et de la gendarmerie nationales à les assister pour ces contrôles.

À l’origine, la proposition de loi sénatoriale prévoyait également la possibilité que des agents de sécurité privée ou des agents de police municipale puissent également les assister. Cette possibilité a été supprimée en première lecture par notre commission des lois.

Si le maintien de l’ordre ne figure pas dans les missions des policiers municipaux, ceux-ci sont régulièrement appelés en renfort sur des opérations de sécurisation, notamment lors de manifestations des « gilets jaunes » en province, en particulier sur les ronds-points.

Troisième force de sécurité, les policiers municipaux voient la mutation de leur profession avancer très lentement, par étapes successives : équipement en caméras-piétons, en munitions, accès aux fichiers, etc.

Conscient de la nécessité d’un vote conforme, je retirerai cet amendement, mais je souhaitais évoquer la situation de ces personnels. J’espère que l’examen du projet de loi de transformation de la fonction publique sera l’occasion de renforcer leur formation, pour leur permettre ensuite d’assister la police et la gendarmerie, toujours avec l’accord du maire.

Enfin, vous ne pouvez ignorer, monsieur le ministre, que les manifestations du samedi et les troubles qu’elles occasionnent ont pour conséquence une hausse du nombre des cambriolages, qui a par exemple augmenté de plus de 45 % dans les communes à l’est de Montpellier. Il est donc temps que tout cela s’arrête !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. M. Grand souhaiterait rétablir la possibilité, pour les agents de police municipale, d’effectuer des contrôles de bagages ou de véhicules dans le cadre de manifestations.

Cela ne nous semble pas souhaitable, pour des raisons opérationnelles : compte tenu de l’évolution rapide des événements lors des manifestations, ces agents pourraient en effet se trouver impliqués dans des opérations de maintien de l’ordre. Or il s’agit de missions pour lesquelles ils ne sont ni formés ni autorisés à intervenir.

Nous ne pouvons donc pas accepter un tel amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Je partage l’avis de Mme la rapporteure. Au demeurant, il y a également un problème d’ordre constitutionnel. La modification du texte intervenue à l’Assemblée nationale a placé le processus sous l’autorité d’un procureur, donc du ministère de la justice. Or, aux termes d’une décision du Conseil constitutionnel du 10 mars 2011, il n’est pas possible de solliciter des polices municipales ou des sociétés privées pour l’exécution d’une mission de police judiciaire.

M. Jean-Pierre Grand. Je retire l’amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 12 est retiré.

Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Article 3 (Texte non modifié par la commission)

Article 2

(Non modifié)

La section 1 du chapitre Ier du titre Ier du livre II du code de la sécurité intérieure est complétée par un article L. 211-4-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 211-4-1. – Lorsque, par ses agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations, une personne constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté motivé, lui interdire de participer à une manifestation sur la voie publique ayant fait l’objet d’une déclaration ou dont il a connaissance.

« L’arrêté précise la manifestation concernée ainsi que l’étendue géographique de l’interdiction, qui doit être proportionnée aux circonstances et qui ne peut excéder les lieux de la manifestation et leurs abords immédiats ni inclure le domicile ou le lieu de travail de la personne intéressée.

« Le représentant de l’État dans le département de résidence de la personne concernée ou, lorsqu’elle réside à Paris, le préfet de police peut également imposer à la personne faisant l’objet d’une interdiction de participer à une manifestation de répondre, au moment de la manifestation, aux convocations de toute autorité qu’il désigne. Cette obligation est proportionnée à la menace mentionnée au premier alinéa.

« Lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que la personne mentionnée au même premier alinéa est susceptible de participer à toute autre manifestation concomitante sur le territoire national ou à une succession de manifestations, le représentant de l’État dans le département de résidence de la personne concernée ou, lorsqu’elle réside à Paris, le préfet de police peut, par arrêté motivé, lui interdire de prendre part à toute manifestation sur l’ensemble du territoire national pour une durée qui ne peut excéder un mois.

« Lorsque la manifestation a fait l’objet d’une déclaration, l’arrêté pris sur le fondement des premier ou quatrième alinéas est notifié à la personne concernée au plus tard quarante-huit heures avant son entrée en vigueur. Lorsque le défaut de déclaration ou son caractère tardif a empêché l’autorité administrative de respecter ce délai, l’arrêté est exécutoire d’office et notifié à la personne concernée par tout moyen, y compris au cours de la manifestation.

« Lorsque l’arrêté pris sur le fondement des mêmes premier ou quatrième alinéas fait l’objet du recours prévu à l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la condition d’urgence n’est pas requise.

« Le fait pour une personne de participer à une manifestation en méconnaissance de l’interdiction prévue aux premier ou quatrième alinéas du présent article est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende.

« Le fait pour une personne de méconnaître l’obligation mentionnée au troisième alinéa est puni de trois mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende. »

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.

M. Guillaume Gontard. Les épisodes violents que connaissent certains mouvements sociaux ne justifient pas tout. En tant que législateurs, nous avons le devoir de ne pas céder à l’urgence du moment ou aux passions de l’instant. Légiférer, c’est faire la part des choses ; c’est mettre de la distance entre l’actualité et la loi, au nom de l’intérêt général. Les « unes » de la presse et les journaux télévisés passent et s’enchaînent, le droit reste.

Je me permets de vous alerter, car ces lois de circonstance s’accumulent, se superposent et affaiblissent peu à peu notre État de droit. Répondre à la violence par la violence, à la révolte par des lois autoritaires, c’est entrer dans le jeu de ceux qui défient l’État, qui accusent notre démocratie d’hypocrisie et de posture lorsqu’elle affirme être le rempart des droits humains. Une démocratie qui a recours à des lois liberticides pour se défendre prend le risque de perdre son fondement.

La manifestation est indissociable de notre histoire. Elle a permis l’avènement de la République en 1789 et celui de la démocratie en 1848. Elle est le terreau des conquêtes sociales, notamment celles de 1936 ou de 1968. Elle a accompagné la libération de Paris, les victoires de la France en Coupe du Monde ou le profond soutien à la liberté de la presse et à la République exprimé en 2015. Le droit de manifester est consacré par l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui en fixe d’ailleurs la limite, encadré par la loi de 1935.

Le dispositif de l’article 2 du présent texte relève d’une interprétation beaucoup trop zélée de la notion de « trouble à l’ordre public », mentionnée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et ne respecte vraisemblablement pas nos droits constitutionnels. En permettant de sanctionner a priori des manifestants sur la base de simples soupçons, il ouvre le règne de l’arbitraire et piétine les libertés publiques. En confiant à une autorité administrative plutôt qu’à une autorité judiciaire la charge de déterminer une sanction, il contrevient à la séparation des pouvoirs et aux garanties apportées par l’ordre judiciaire. En désignant subjectivement qui a le droit de manifester et qui ne l’a pas, cet article est un redoutable outil pour réduire les oppositions politiques au silence. Un tel outil n’a pas sa place dans un régime démocratique.

Chers collègues, dans les Lettres persanes, Montesquieu disait ironiquement qu’il ne fallait toucher à la loi « que d’une main tremblante ». Il est parfois bon de prendre cette recommandation au pied de la lettre. D’ailleurs, même la main de Jupiter tremble, puisque ce dernier, inquiet, envisage de saisir le Conseil constitutionnel pour « nettoyer » cette future loi de ses scories autoritaires. Le Parlement se grandirait à éviter le ridicule d’un tel scénario. Alors, oui, défendons la démocratie et la République ! (M. Pascal Savoldelli applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. Par la loi du 8 juin 1970, le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas appelait à réprimer les participants et organisateurs de rassemblements. Ce texte avait été jugé liberticide et abrogé sous la présidence de François Mitterrand. Force est de constater que l’histoire bégaie…

L’article 2 tend à autoriser les préfets à prononcer des interdictions de manifester, pouvant être assorties d’obligations de « pointage » à l’encontre de toute personne susceptible de représenter une menace pour l’ordre public. La mesure permettrait donc d’empêcher certains individus de se rendre aux manifestations à titre préventif et sans qu’aucune condamnation pénale ait été prononcée à leur encontre.

Un tel article porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines. Comment, en effet, les autorités préfectorales pourraient-elles juger de la culpabilité d’un individu et prononcer des mesures attentatoires à la liberté d’aller et venir au regard de prétendues menaces ? Cette mesure illustre la frénésie sécuritaire qui atteint l’exécutif ; elle n’est qu’un instrument dangereux, qui ouvre la voie à l’arbitraire.

L’Assemblée nationale a ensuite complété le dispositif par une énième disposition liberticide : l’extension de la mesure d’interdiction de manifestation pour la personne à l’ensemble du territoire national, pour une durée pouvant aller jusqu’à un mois. Cet ajout apparaît totalement disproportionné et non justifié par la nécessité de sauvegarder l’ordre public. La nouvelle rédaction de l’article 2 a été décriée par l’opposition, et le président Macron semble lui-même pris de doutes, puisqu’il a préféré saisir le conseil des Sages pour qu’il vérifie la constitutionnalité du dispositif.

Mes chers collègues, une telle mesure, particulièrement attentatoire aux libertés fondamentales, n’ayant pas sa place dans notre État de droit, nous espérons sa censure par le Conseil constitutionnel. Nous voterons contre cet article.

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.

M. François Grosdidier. Légiférer, c’est, certes, mettre de la distance avec l’actualité, mais sûrement pas une distance stratosphérique, en se situant dans un autre monde.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ça, il y a peu de risques !

M. François Grosdidier. Contrairement à ce que semblent considérer ceux qui parlent d’un texte de circonstance, les casseurs ne sont pas un épiphénomène.

Mme Esther Benbassa. Ils sont 300 !

M. François Grosdidier. Il s’agit d’un phénomène profond, qui devient récurrent, et même permanent. Le propre de la loi est de s’adapter à une société qui change, faute de quoi elle devient lettre morte.

On entend tout et n’importe quoi : non, avec ce texte, nous n’attentons pas à la liberté de manifester ! Ce droit fondamental est garanti par la Constitution et par les traités européens et internationaux.

Qui est visé au travers de cet article ? Tous les citoyens ? Non !

Mme Éliane Assassi. Si ! Tous les citoyens, puisqu’ils n’auront plus le droit de manifester !

M. François Grosdidier. Tous les opposants ? Non ! Seulement les personnes constituant « une menace à l’ordre public d’une particulière gravité » par leurs « agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent ».

En outre, le texte précise bien que la mesure doit être proportionnée, le juge administratif opérant un contrôle très strict de cette proportionnalité.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est pas possible !

M. François Grosdidier. Il faut être dans le déni de réalité, dans l’aveuglement idéologique ou dans la mauvaise foi la plus totale pour prétendre qu’une telle interdiction pourrait toucher des militants pacifiques en raison de leurs convictions ! (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.) Il faut aussi mépriser le juge administratif pour penser que de tels abus de droit ne seraient pas sanctionnés !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Vous n’avez pas écouté ce que nous disions !

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.

M. Yves Daudigny. Je condamne sans ambiguïté toutes les formes de violence. Comme vous, mes chers collègues, j’ai été choqué par les images de policiers agressés, de symboles attaqués, de commerces vandalisés. J’ai vu des gens animés d’un pur désir de destruction, qui doivent être réprimés.

Mais on ne peut juger du droit de manifester à la seule aune des débordements qu’il peut entraîner. Les délits et les crimes doivent être punis, mais il n’y a plus de démocratie si le préfet les présume pour interdire l’exercice d’une liberté.

Ce texte, en particulier son article 2, vise les « gilets jaunes », sous couvert de juguler l’action des casseurs, que le droit pénal ordinaire permet déjà de réprimer. Il limite l’exercice du droit de manifester, pas les actes violents. Il intimide le citoyen, et non le délinquant.

Le progressisme affiché n’est sûrement pas tourné vers les libertés publiques. Il est alimenté par un courant hostile aux libertés qui s’appuie sur chaque débordement particulier pour demander la suppression d’une liberté générale.

Hélas ! la mode est aujourd’hui d’accueillir la liberté avec des sarcasmes, de la regarder comme un fossile. La contradiction politique entre la lutte contre le populisme revendiquée par le Gouvernement et cette proposition de loi est stupéfiante ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.

Mme Éliane Assassi. Je dois avouer mon étonnement : nous discutons, qui plus est en toute connaissance de cause, d’un article dont l’inconstitutionnalité est certaine…

Certes, le rapport du Sénat se montre assez prudent sur ce point, et les représentants du ministère de l’intérieur auditionnés ont écarté tout risque d’inconstitutionnalité, réduisant les modifications apportées à l’Assemblée nationale à de simples mesures opérationnelles.

Pourtant, les difficultés constitutionnelles posées par l’article 2 sont remontées jusqu’au Président de la République, qui a choisi de saisir le Conseil constitutionnel pour lever les doutes qui s’expriment, bien au-delà de cet hémicycle.

Un premier doute porte sur la proportionnalité de la mesure, notamment sur l’extension possible de son application à l’ensemble du territoire national pour un mois. On voit très bien l’enjeu pour le ministère : éviter, d’une part, la surcharge des services préfectoraux, qui pourraient se retrouver dépassés, et, d’autre part, les stratégies de contournement, consistant à « délocaliser » sa participation à une manifestation. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante en la matière : la limitation de l’exercice d’une liberté fondamentale constitutionnellement garantie doit être « justifiée par la nécessité de sauvegarder l’ordre public » et « proportionnée à cet objectif ». Cet impératif n’est ici pas respecté, eu égard à la très large extension du dispositif.

Un deuxième doute concerne le champ d’application. Cela rejoint la question de la proportionnalité. On laisse au préfet le soin de déterminer librement les « agissements » ayant justifié l’interdiction administrative et les manifestations interdites. Cet article a, finalement, une vertu : pour la première fois, le Conseil constitutionnel devrait statuer sur la valeur juridique du terme « agissements » et sur son caractère suffisamment précis ou non. Mais, en attendant, on se retrouve avec un préfet tout-puissant, qui pourrait très bien – il le fait déjà dans le cadre des interdictions administratives de stade, dont s’inspire l’interdiction administrative de manifester – interdire la participation à toutes les manifestations publiques à des personnes coupables, par exemple, d’avoir dessiné des tags !

Oui, les représentants du ministère ont tenté de nous rassurer, mais il ne faut jamais oublier que si les majorités et les décideurs politiques passent, les mentions juridiques, elles, restent !

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, sur l’article.

M. Loïc Hervé. L’intérêt des travaux parlementaires est de permettre au juge administratif ayant à se prononcer sur un cas d’appréhender dans quel esprit la loi a été rédigée. Si, par hasard ou par miracle, l’article 2 devait passer sans encombre sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel, le juge administratif sera peut-être amené à se pencher sur les travaux du Sénat.

Le texte issu de l’Assemblée nationale pour l’alinéa 2 de l’article 2, dont certains collègues souhaitent l’adoption conforme, est ainsi rédigé : « Lorsque, par ses agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations, une personne constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté motivé, lui interdire de participer à une manifestation sur la voie publique ayant fait l’objet d’une déclaration ou dont il a connaissance. »

Monsieur le ministre, j’ai des interrogations, et vos réponses permettront peut-être d’éclairer, demain, le juge administratif. Que veut dire le terme « agissements » ? Dans le code pénal – le droit pénal a la réputation d’être un droit précis –, il apparaît sept fois, en référence à des incriminations pénales circonscrites et extrêmement précises. D’après le Larousse, le mot « agissement » signifie « manière d’agir », voire « manœuvre » ou « intrigue ». Je ne sache pas que le droit administratif ou le droit pénal doivent sanctionner des manœuvres ou des intrigues…

Enfin, les agissements visés sont-ils en lien avec une personne ou avec les circonstances d’une manifestation ?

Mme Éliane Assassi. Très bonne question !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.

M. Jean-Yves Leconte. Au-delà de la remarque pertinente de notre collègue Loïc Hervé quant à la portée du terme « agissements », on attendrait, puisque vous prétendez viser les casseurs, la mention d’une peine, d’une condamnation. Or il n’y a pas, dans le texte, une ligne pour les réprimer. La seule peine prévue concerne les personnes qui ne se soumettraient pas à une interdiction de manifester ; il n’y a rien pour réprimer les actes que vous dénoncez ou pour fonder l’interdiction à une personne de manifester sur une condamnation judiciaire.

Le texte prévoit en revanche, avec les réserves qui viennent d’être exprimées, la possibilité pour le préfet d’interdire une personne de manifester sur la base d’actes qui mériteraient, le cas échéant, d’être traduits en justice. Mais manifester pour exprimer son opinion est tout de même un droit constitutionnel, auquel nous sommes tous attachés !

En 2015, notre pays a été confronté à de très graves attentats terroristes. Le gouvernement d’alors a puisé dans l’arsenal juridique, sur la base de l’état d’urgence, pour renforcer un certain nombre de mesures administratives, afin de prévenir la commission d’actes terroristes. En 2017, le gouvernement d’Emmanuel Macron a considéré qu’il fallait sortir de l’état d’urgence tout en en maintenant les mesures visant à prévenir de tels actes.

Aujourd’hui, nous parlons de prévenir non pas des actes terroristes, mais des manifestations ; c’est très différent ! À cette fin, il est prévu de donner des pouvoirs de police administrative aux préfets. En quatre ans, nous sommes passés de la lutte contre le terrorisme à la limitation de l’exercice d’une liberté constitutionnelle : c’est tout de même un glissement incroyable !

De belles âmes nous expliquent que certaines démocraties sont « illibérales ». Lorsque je considère certaines évolutions que connaît notre pays, je m’interroge… En tout état de cause, madame la rapporteure, chers collègues de la majorité sénatoriale, il n’est pas sérieux d’affirmer que ce texte vise à réprimer les actes des casseurs : ce n’est pas vrai !

M. le président. Monsieur Leconte, il faut conclure ! Votre temps de parole est largement dépassé.

M. Jean-Yves Leconte. En revanche, quelle évolution de notre conception des libertés et du pouvoir administratif en quatre ans !

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Raisonnons sur un cas concret. L’incendie de la préfecture de la Haute-Loire, au Puy-en-Velay, aurait pu être extrêmement dramatique : des fonctionnaires auraient pu périr dans les flammes du bâtiment public qu’ils défendaient ! Trois suspects ont été arrêtés. La police judiciaire les connaissait. Elle a tout de suite écarté la circonstance aggravante d’agissements commis en bande organisée. Ces trois personnes ont été mises en examen. Elles n’appartenaient pas du tout à la nébuleuse extrémiste et n’étaient pas des anarcho-libertaires voulant venir aux mains avec le capitalisme : il s’agissait de trois voyous issus d’une petite délinquance parfaitement connue des services de police. Ils sont malheureusement le symptôme d’une déstructuration sociale de notre pays, dont nous devrions aujourd’hui gérer les causes, et pas seulement les effets de façon répressive. S’il y a de plus en plus de petits délinquants parmi les casseurs, allez-vous demain exiger la production d’un extrait de casier judiciaire vierge pour autoriser la participation à une manifestation ?

M. Alain Fouché. Il exagère !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, sur l’article.

M. Philippe Bonnecarrère. Nous sommes confrontés à un problème de violences dans les manifestations, pas à un manque de lois contre les violences dans les manifestations.

Défendre la République, l’ordre public et la démocratie est une responsabilité que chacun de nous assume. Je vous renvoie, par exemple, à l’ensemble des mesures qui ont été prises pour lutter contre le terrorisme.

La question est de savoir si nous avons aujourd’hui les moyens de lutter contre les violences dans les manifestations. À mon sens, notre police et notre justice ont les moyens d’agir et de maintenir l’ordre républicain. Elles le font. Les interpellations ont lieu. Ainsi, quelque 2 000 manifestants – ce n’est pas rien – ont fait l’objet d’une judiciarisation lors des épisodes successifs du mouvement des « gilets jaunes ». Le juge pénal a la possibilité de sanctionner les auteurs de violences d’une interdiction de manifestation ou de déplacement dans le cadre des peines dites « complémentaires », au titre de l’article 131-10 du code pénal.

Je doute que le texte proposé puisse apporter en pratique l’efficacité que vous lui prêtez. Nous sommes devant un texte de circonstance. Le sujet n’est pas comparable à la lutte contre le hooliganisme, et il est difficile de soutenir la constitutionnalité d’un tel dispositif.

Une loi se doit d’être intemporelle. Demain, il pourrait être fait un mauvais usage de l’interdiction préventive de manifester.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Philippe Bonnecarrère. Plus fondamentalement, monsieur le ministre, si j’attends de nos institutions de la fermeté sur les sujets régaliens, je crois également que l’idée, de plus en plus en faveur aujourd’hui en Europe, selon laquelle nous serions mieux protégés si nous acceptions de renoncer à une partie de nos libertés est néfaste pour la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Marc Daunis. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, sur l’article.

M. Jérôme Durain. Avec cet article 2, nous sommes au cœur du texte. Ce débat est marqué par un savant mélange d’idéologie et de calcul politique ; je pense notamment à la nécessité d’un vote conforme que l’on ne cesse d’invoquer.

Un orateur a parlé de « lâcheté ». Nous aurions pu faire un rappel au règlement, car un tel mot est tout à fait déplacé. Sur nos travées, nous n’employons pas le vocabulaire martial ; nous n’avons pas parlé de « hordes barbares », de « vandales », de « brutes », d’« ultra-violents ». En revanche, il ne manquera personne, dans nos rangs, pour condamner toutes les violences, exiger la plus grande sévérité et soutenir les forces de l’ordre.

Ce matin, le Défenseur des droits s’est inquiété du nombre inédit d’interpellations et de gardes à vue intervenues de manière préventive lors de certaines manifestations ; au demeurant, cela prouve que le droit actuel suffit, comme le soulignait notre collègue Philippe Bonnecarrère. Il s’interroge sur le fait que des directives des autorités semblent s’inscrire dans la continuité des mesures de l’état d’urgence, comme le relevait M. Leconte à l’instant, que, finalement, le régime d’exception empoisonne progressivement le droit commun et que ce qui se passe en ce moment contribue à poser les bases d’un nouvel ordre juridique fondé sur la suspicion, au sein duquel les droits et libertés fondamentaux connaissent une certaine forme d’affaissement.

Il y a déjà tout ce qu’il faut dans notre arsenal juridique pour lutter contre les violences et les casseurs. Arrêtons de nous embarrasser avec des sujets périphériques et dangereux ! On invoque l’interdiction administrative de stade comme si c’était un précédent magnifique. Or ce dispositif n’a pas été évalué, et les cas que l’on nous rapporte sont inquiétants. Les dispositions administratives sont parfois un peu rapides et aléatoires, et les personnes concernées subissent des contraintes extrêmement lourdes dans leur vie quotidienne.

Enfin, les juristes se délectent sans doute à l’avance des circulaires qui seront prises pour la mise en application de tels articles. Il y a en effet énormément de flou, notamment sur la signification du terme « agissements », comme l’a bien souligné notre collègue Loïc Hervé. Tout cela nous paraît bien aléatoire et bien trop dangereux. (M. Yves Daudigny applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.

M. Marc Laménie. Le sujet est extrêmement important. Des amendements de suppression ont été déposés, mais il convient à mon sens de maintenir cet article. Je salue le travail accompli par nos collègues de la commission des lois sur une question particulièrement sensible.

Faisons confiance à notre administration, aux préfets, à leur capacité d’appréciation des situations et à leur bon sens. Cet article a le mérite de poser des problèmes essentiels en termes de sécurité intérieure. Nos forces de sécurité tant intérieure que civile, nos gendarmes, nos policiers, nos sapeurs-pompiers, nos militaires doivent être respectés. Ils méritent pleinement notre soutien.

Par ailleurs, s’il importe de respecter le droit de manifester, celui-ci doit s’exercer dans la paix et la sauvegarde de la sécurité des personnes comme des biens. Il est essentiel à cet égard de lutter contre les casseurs. Je soutiens la position de la commission des lois.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, sur l’article.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je souhaite aborder un point qui n’a pas encore été évoqué concernant cet article 2, lequel pose décidément beaucoup de problèmes ! Je souhaite bien du plaisir aux services du ministère de l’intérieur pour rédiger la circulaire d’application à l’intention des fonctionnaires de police…

Si la liberté de manifester peut être limitée en raison des principes de protection de l’ordre public, cela doit être de manière proportionnée. Or quid de son application dans le temps ? Personne n’en a parlé jusqu’à présent. Rien dans la rédaction de cet article, que d’aucuns souhaitent voter conforme, n’impose que les « agissements » aient été commis récemment. Une personne pourra donc se retrouver ad vitam soumise à une interdiction administrative de manifester, prise pour une durée d’un mois, mais régulièrement reconduite. J’attire votre attention sur ce point qui vous aura peut-être échappé, mes chers collègues, du fait de la rédaction complexe et touffue de cet article. (MM. Roland Courteau et Jean-Luc Fichet applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, sur l’article.

M. Jacques Bigot. Monsieur le ministre, la rédaction proposée pour l’article L. 211-4-1 du code de la sécurité intérieure m’interpelle. Il est précisé que le préfet peut interdire à une personne de participer à une manifestation lorsque, par ses agissements à l’occasion de manifestations ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations, elle constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. Cela signifie que le préfet, qui doit motiver son arrêté, devra apporter la preuve de tels agissements. Il devra pouvoir en justifier devant le juge administratif. Dès lors, s’il existe des preuves, pourquoi cette personne ne ferait-elle pas plutôt l’objet de poursuites judiciaires, pouvant déboucher sur une condamnation à une peine d’amende ou de prison, en plus d’une peine d’interdiction de manifester ?

En réalité, ce texte n’offre pas les moyens d’agir ; il ne donnera même pas au préfet les outils lui permettant de justifier ses décisions devant le tribunal administratif. Tout ce que le Gouvernement espère, c’est que les personnes auxquelles auront été notifiés des arrêtés d’interdiction de manifester ne saisiront pas le juge administratif et se contenteront de rester chez elles… C’est un peu simple !

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 13 est présenté par MM. Durain, Kanner, Sueur, J. Bigot et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 20 est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 13.

M. Jérôme Durain. Je n’y reviens pas, le pouvoir accordé au préfet de prononcer une décision d’interdiction préventive de manifester est par trop discrétionnaire. On le voit bien, les éléments objectifs sur lesquels le préfet peut s’appuyer sont trop larges et aléatoires, ce qui pourra conduire à des interdictions arbitraires.

Par ailleurs, les conséquences de la mesure administrative d’interdiction – obligation de pointage, interdiction de prendre part à toute manifestation sur l’ensemble du territoire national pour une durée d’un mois – sont elles-mêmes disproportionnées et manifestement excessives.

Enfin, les garde-fous sont très putatifs, puisque l’exercice du droit au recours effectif devant le juge sera impossible dans les faits.

Pour toutes ces raisons, la suppression de cet article scélérat nous paraît souhaitable.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 20.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce n’est pas la première fois que le législateur tente de contraindre les libertés constitutionnelles par la voie administrative. On connaît les interdictions administratives de stade, les IAS, fortement contestées plus de dix ans après leur instauration, y compris sur le plan du droit. On se rappelle aussi que certaines et certains ont voulu étendre une mesure analogue aux fraudeurs dans les transports en commun…

Il me semble essentiel de revenir sur deux points précis : le dévoiement, déjà prévisible, du dispositif et l’atteinte portée aux droits de la défense.

L’Assemblée nationale a supprimé la condition préalable d’une condamnation pénale pour que le préfet puisse prononcer une interdiction de manifester. Les députés du groupe En Marche ont soutenu qu’il s’agissait d’une mesure préventive et transitoire, visant à rendre le dispositif opérationnel et efficace, au vu des délais de jugement. Globalement, l’interdiction administrative de manifester n’était censée servir qu’à « faire tampon » entre la constatation des faits et le jugement, tout comme les IAS. On se retrouve donc dans un régime de primauté de la police administrative sur la police judiciaire : on peut rappeler à cet égard le passif des IAS, qui bien souvent font office de jugement, voire sont maintenues malgré une relaxe judiciaire, au mépris de l’article 66 de la Constitution.

Par ailleurs, cela exige de borner au plus près le dispositif pour permettre l’effectivité du droit au recours. Le rapport du Sénat proclame que notre chambre a prévu un droit au recours, mais il omet de rappeler que le référé-suspension peut être jugé dans un délai allant jusqu’à un mois, le caractère d’urgence de ce dernier étant déterminé par le juge. L’Assemblée nationale a cru résoudre le problème en instaurant une présomption d’urgence, mais nous doutons clairement de son applicabilité. Les journées ne font que vingt-quatre heures : avec toute la meilleure volonté du monde, on ne pourra pas changer cela et instruire dans de bonnes conditions les dossiers.

Reste donc la solution d’une procédure contradictoire préalable à l’intervention de la justice, avec un droit de recours devant le préfet lui-même. Une nouvelle fois, l’exemple des IAS – je vous renvoie au rapport du Sénat de 2007 – montre que cette solution n’est pas satisfaisante.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. J’ai fait part, dans mon propos liminaire, des interrogations de la commission quant à certaines rédactions adoptées par l’Assemblée nationale à cet article 2.

Ces interrogations ne remettent toutefois pas en cause le bien-fondé de la mesure d’interdiction de manifester. Je rappelle que cette dernière n’aura en aucun cas vocation à concerner des manifestants pacifiques : il s’agit de viser uniquement les personnes les plus dangereuses, qui constituent une menace caractérisée pour l’ordre public. Le préfet de police de Paris m’a par exemple indiqué que de 80 à 100 personnes pourraient être concernées en Île-de-France : nous sommes loin de l’atteinte massive à la liberté de manifester !

Je voudrais apporter quelques précisions concernant l’emploi du terme « agissements ». Il s’agit ici de cibler des comportements très précis, qui ne sont pas couverts par l’acte violent. Seraient visées les personnes qui incitent à des actes violents, en les suscitant ou en les encourageant de façon récurrente.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est écrit nulle part !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. C’est exactement ce qui nous a été dit lors des auditions.

Ces agissements répétés pourront être détectés par les caméras de surveillance : on vise précisément les meneurs.

Mes propos seront consignés au Journal officiel et pourront être utilisés par le juge administratif pour interpréter le droit en cas de recours.

M. Jean-Yves Leconte. C’est la loi qui compte !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Je précise également que la personne devra présenter une menace d’une particulière gravité à l’ordre public. Par conséquent, madame Assassi, les auteurs de tags ne sont pas concernés !

Enfin, comme pour toutes les mesures de police administrative, la décision du préfet ne sera pas subjective : son arrêté devra être motivé. Des éléments probants permettant d’établir la menace à l’ordre public devront être apportés. À défaut, la mesure pourra être annulée par le juge administratif.

La commission est défavorable à ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. En ce qui concerne le terme « agissements », le critère pour prononcer l’interdiction de prendre part à une ou à plusieurs manifestations ne réside pas dans les agissements commis par un individu. Le fondement essentiel de l’interdiction administrative de manifester prévue par ce texte est « la menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». C’est cette menace d’une particulière gravité pour l’ordre public que constituerait la présence d’une certaine personne à une manifestation qui amène le préfet à prononcer l’interdiction de manifester à son encontre.

Les menaces d’une particulière gravité représentent le degré le plus haut dans la gradation des menaces à l’ordre public, qui comporte également les menaces et les menaces aggravées : il est essentiel, me semble-t-il, de garder cet élément en tête.

Par ailleurs, la menace pour l’ordre public est caractérisée par des agissements antérieurs de l’individu commis à l’occasion de manifestations ayant donné lieu à de graves atteintes aux biens et aux personnes. Là encore, il ne s’agit pas de pénaliser quelqu’un qui aurait simplement participé à une manifestation.

Le préfet, comme l’a souligné Mme la rapporteure, devra caractériser de manière précise et objective la menace d’une particulière gravité, notamment en s’appuyant sur des notes de renseignement, pour interdire à une personne de participer à une manifestation. Cette menace se caractérise, là encore, par des actes violents, par des comportements violents, voire par la référence à la commission d’une infraction pénale, sans que celle-ci ait forcément déjà donné lieu à poursuites par l’autorité judiciaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne faut pas avoir peur des préfets. Dès lors qu’ils devront notifier l’interdiction dans les trois jours précédant la manifestation, leur décision risquera, le cas échéant, d’être annulée par le juge administratif. Les préfets n’aimant guère cela, soyez assurés qu’ils veilleront à ce que leur décision soit bien fondée comme je l’ai indiqué.

Il convient de garder à l’esprit que l’autorité administrative agit dans le cadre de la prévention de troubles à l’ordre public, en aucun cas selon une logique répressive. Elle devra fonder l’interdiction de manifester sur des éléments de fait attestant précisément de la dangerosité particulière du comportement de l’intéressé pour l’ordre public. Il n’est question que de cela !

Il y a tout de même une forme de paradoxe à ne pas trouver choquant qu’un préfet puisse interdire une manifestation, mais à juger scandaleux qu’un préfet puisse interdire de manifestation une personne qui présente une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 et 20.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 16 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les mots :

Lorsque, par ses agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations, une personne constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public

par les mots :

Lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que la présence d’une personne dans une manifestation constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public et en raison, dans les six derniers mois, de sa participation à un attroupement tel que défini à l’article 431-3 du code pénal ou de ses agissements lors de manifestations ayant fait l’objet de poursuites ou d’une condamnation pénale

La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. L’ensemble des amendements déposés par notre groupe à l’article 2 visent à souligner des difficultés d’ordre juridique ou opérationnel qui justifient, à notre sens, la poursuite de la navette parlementaire.

À l’alinéa 2, plusieurs points devraient ainsi être débattus plus longuement.

Tout d’abord, les critères actuellement retenus pour fonder la décision du préfet de prononcer une interdiction de manifester sont en réalité des infractions définies dans le code pénal. Cela donne à entendre que l’action administrative pourrait devenir concurrente de l’action judiciaire contre des casseurs, ce qui ne nous paraît pas pertinent au regard de la gravité des faits concernés.

Se pose en conséquence l’épineuse question de l’articulation entre les sanctions administrative et pénale. L’interdiction de manifester peut s’apparenter à une sanction administrative. Or la jurisprudence du Conseil constitutionnel est claire, notamment depuis sa décision du 18 mars 2015 : le cumul de sanctions peut exister à condition qu’il n’y ait pas d’automaticité.

Enfin, la rédaction actuelle de l’article 2 ne prévoit pas de limitation explicite dans le temps du recours à l’interdiction de manifester. De ce fait, en toute logique, un individu s’étant rendu responsable de violences lors de manifestations dans son jeune âge pourrait théoriquement faire l’objet d’interdictions de manifester plusieurs années plus tard. Il convient de contraindre l’autorité administrative à une actualisation de l’évaluation du risque.

Le présent amendement vise donc à la prise en compte de ces préoccupations au travers de l’alinéa 2, en imposant que soient cumulativement réunis des critères « subjectifs », fondés sur des notes de renseignement, et des critères « objectifs », tels que l’ouverture d’une procédure devant le juge judiciaire.

Cette rédaction se fonde sur le contrôle exercé par le juge administratif en matière d’expulsion des étrangers lorsqu’il évalue la menace grave pour l’ordre public que représente un individu.

Enfin, l’amendement vise à établir une sorte de prescription administrative, en prévoyant qu’une personne ne pourra être l’objet d’une interdiction de manifester prononcée sur le fondement d’infractions pénales constatées il y a plus de six mois.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, la commission s’est interrogée, comme notre collègue, sur la définition du champ d’application de la mesure d’interdiction de manifester adoptée par les députés.

Je rappelle que nous avons néanmoins décidé de souscrire à la rédaction retenue par l’Assemblée nationale au regard des assurances apportées par le Gouvernement et de ne pas modifier l’article 2.

La définition proposée par les auteurs de l’amendement n’apparaît, en outre, pas exempte de difficultés.

En premier lieu, elle ne semble pas plus restrictive que celle qui a été adoptée par l’Assemblée nationale. Le seul fait de participer à un attroupement sur la voie publique constitue certes un délit, mais ne paraît pas suffisant pour établir l’existence d’une « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Une personne qui ne se disperse pas après sommations est en situation illégale, mais elle n’est pas pour autant à l’origine de troubles à l’ordre public.

En second lieu, retenir la rédaction proposée ne permettrait plus de viser les « meneurs ». Une telle restriction serait fortement dommageable sur le plan opérationnel et limiterait considérablement l’efficacité de la mesure.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Artano, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Roux et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Supprimer les mots :

ou dont il a connaissance

La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Cet amendement vise à souligner les limites de la législation actuelle, qui laisse une zone de flou entre les manifestations légales, régulièrement déclarées en préfecture, et les attroupements. Je rappelle qu’aux termes de l’article 431-3 du code pénal, « constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ».

Si ce flou permet en temps normal une application souple du droit de manifester, il serait en revanche particulièrement problématique qu’une interdiction individuelle de manifester soit prise sur son fondement dès lors qu’il existe une incertitude jusqu’à la tenue effective de la manifestation. Dans ce cas, l’interdiction de manifester constituerait une atteinte non seulement au droit de manifester, mais également une atteinte à la liberté d’aller et venir…

Faute d’étude d’impact, nous ne connaissons ni le nombre de manifestations non déclarées en préfecture ne constituant pas un attroupement ni le ratio entre manifestations anticipées par les préfectures et manifestations effectivement constatées sur la voie publique.

Cette mention introduisant une trop grande insécurité juridique, il est proposé de la supprimer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la possibilité, pour un préfet, de prononcer une interdiction de manifester à l’occasion de manifestations qui ne seraient pas déclarées. Une telle modification réduirait considérablement l’intérêt de la mesure. Dans le cas des manifestations des « gilets jaunes », par exemple, qui n’ont pas, pour la plupart d’entre elles, donné lieu à déclaration, aucune mesure d’interdiction de manifester n’aurait ainsi pu être prononcée à l’encontre des casseurs. L’avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

ni le domicile d’un membre de sa famille

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. La rédaction actuelle de l’article comporte déjà des précautions destinées à offrir quelques garanties aux personnes visées par des interdictions individuelles de manifester. Il est en particulier prévu que le périmètre géographique de l’interdiction de manifester ne pourra comporter ni le lieu de résidence de l’individu ni son lieu de travail.

Le présent amendement vise à souligner les difficultés familiales qui pourraient résulter d’interdictions portant sur un périmètre incluant, par exemple, le domicile de parents de l’individu ayant besoin d’être assistés par lui.

Dans un sens, la définition du périmètre n’est pas respectueuse du droit de mener une vie familiale normale tel que défini par la Convention européenne des droits de l’homme et interprété par la cour de Strasbourg. L’objet de cet amendement est donc d’y remédier.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En première lecture, le Sénat avait exclu du périmètre des interdictions de manifester le domicile ainsi que le lieu de travail de la personne, de manière à se conformer aux exigences constitutionnelles.

Par cet amendement, notre collègue souhaite aller plus loin, en excluant également du périmètre le domicile des membres de la famille de la personne faisant l’objet de l’interdiction.

Je note que cette précision ne constitue pas une exigence posée par le Conseil constitutionnel pour garantir le droit à une vie familiale normale. Dans sa décision du 9 juin 2017 qui a censuré les interdictions de séjour de l’état d’urgence, le Conseil constitutionnel n’a ainsi fait référence qu’au domicile et au lieu de travail de la personne. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Arnell, Artano, Collin, Dantec, Gold et Guérini, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Roux et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Les dispositions de l’alinéa 5 de l’article 2 ont été introduites à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement. Elles visent à permettre à l’autorité administrative de prononcer des interdictions personnelles de manifester applicables à tout le territoire national et pour une durée maximale d’un mois.

Si l’on comprend la motivation pratique qui sous-tend cette extension du champ de l’interdiction de manifester – il serait en effet relativement facile, pour une personne interdite de manifester dans une ville, de se rendre dans une autre ville pour prendre part à un autre cortège –, une telle mesure suscite d’importantes interrogations.

Compte tenu des faibles garanties juridictionnelles prévues dans le texte et de la possibilité, pour le préfet, de prononcer cette interdiction dès lors qu’il « a connaissance » d’une manifestation, même non déclarée, des applications dévoyées pourraient intervenir, qui reviendraient à une forme de déchéance temporaire et partielle de citoyenneté pour certains individus.

Néanmoins, l’évolution la plus problématique est l’extension de l’interdiction de manifester dans le temps, qui ne concernait à l’origine qu’une manifestation. Cela rejoint les inquiétudes que nous avons déjà formulées à propos de l’alinéa 2.

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Artano, A. Bertrand, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Supprimer les mots :

ou à une succession de manifestations

et les mots :

pour une durée qui ne peut excéder un mois

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Cet amendement est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Ces deux amendements reviennent sur l’ajout de l’Assemblée nationale visant à autoriser le préfet à prononcer une mesure d’interdiction de manifester valable sur tout le territoire national, pour une durée pouvant aller jusqu’à un mois.

L’extension à tout le territoire de l’interdiction de manifester apparaît utile sur le plan opérationnel. Lorsque plusieurs manifestations sont organisées de manière concomitante sur le territoire, il s’agit en effet d’empêcher une personne interdite de manifester à Paris de se rendre à Lille pour ce faire, par exemple.

Il est vrai, en revanche, que l’extension jusqu’à un mois de l’interdiction soulève plus de questions.

Néanmoins, des assurances importantes nous ont été apportées sur ce point par les services du ministère de l’intérieur, notamment quant au nombre très réduit de personnes qui pourraient être concernées. C’est pourquoi la commission a décidé d’adopter l’article 2 sans modification. L’avis est donc défavorable sur les deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ces amendements jettent un éclairage tout à fait bienvenu sur les dangers de la rédaction proposée. Ne nous racontons pas d’histoires : on est vraiment là dans l’interdiction générale de manifester ! L’application de cette mesure n’est limitée ni dans le temps ni dans l’espace.

Madame la rapporteure, comment pouvez-vous vous satisfaire de propos qui n’engagent en rien le ministre de l’intérieur ? On nous dit que la mesure ne concernera que très peu de personnes, mais ce n’est pas le sujet ! En tant que parlementaires, nous devons protéger les libertés, en inscrivant dans les textes les dispositions nécessaires. Nous ne saurions nous contenter d’assurances verbales du ministre de l’intérieur. Il faudrait a minima que le ministre s’engage par une déclaration solennelle, sur laquelle nous pourrons nous appuyer, y compris devant le Conseil constitutionnel.

M. Christophe Castaner, ministre. Mais je l’ai déjà fait !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. En tout état de cause, notre rôle est de protéger les libertés, et nous ne pouvons accepter que l’application de la mesure soit maintenant étendue dans l’espace, après l’avoir été dans le temps. Nous voterons donc l’amendement n° 7 rectifié.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Une partie de notre discussion repose, me semble-t-il, sur une conception des mesures d’ordre public, de prévention, qui est calquée par certains d’entre nous sur un raisonnement de sanction pénale. Cette notion est au cœur des libertés publiques, qui ne sont issues que de la jurisprudence administrative – la notion de libertés publiques procède, en France, presque uniquement de la jurisprudence, construite dans la durée, du Conseil d’État. Cette notion a d’ailleurs été fortement confirmée par une décision de 2015 du Conseil constitutionnel, qui a clarifié ce qui relève de la police administrative, qui ne peut consister qu’en des mesures limitatives de la liberté, et ce qui relève de la seule décision du juge judiciaire, à savoir les mesures privatives de liberté.

Or, pour ce qui concerne les mesures limitatives de liberté, qui sont dans le champ de la police administrative, les principes de nécessité et de proportionnalité s’appliquent, même sans texte.

Par conséquent, à la question posée à plusieurs reprises – une interdiction valable sur toute la France sera-t-elle possible ? –, la réponse est : oui, sans doute, si le degré de dangerosité démontré de la personne le justifie. En revanche, pourra-t-on rappeler un comportement dangereux identifié dix ou vingt ans plus tard ? La réponse, fondée sur la nécessité, est clairement non.

Pardonnez-moi de le dire, mais nous pouvons faire, dans ce débat, l’économie d’un certain nombre d’interrogations, qui sont tranchées depuis des décennies par les principes de base de la police administrative.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’était pas la réponse de la rapporteure !

M. Alain Richard. Mon intervention la complète !

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Madame de la Gontrie, je ne me satisfais pas uniquement des explications que j’ai pu obtenir lors des auditions des services du ministère de l’intérieur. Ils m’ont assuré que la mesure ne concernerait qu’un nombre très réduit de personnes, mais ce dont je suis convaincue depuis le départ, indépendamment des quelques garanties que j’ai obtenues du ministère de l’intérieur et de la Chancellerie, c’est du bien-fondé, de l’efficacité et de l’utilité de cette mesure. En effet, celle-ci n’atteindra que les personnes qui présentent une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.

C’est donc par conviction, en tant que parlementaire, que je me positionne, tout en tenant compte, bien entendu, des explications qui m’ont été données au cours des auditions.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 6, seconde phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Le présent amendement vise à supprimer la possibilité de déroger à l’obligation de notifier les interdictions individuelles de manifester prononcées par le préfet.

Contrairement à ce qui vaut pour les actes réglementaires ou de portée collective, il est constant, en droit français, que, pour être revêtue de la force exécutoire, une décision administrative individuelle défavorable doit être notifiée à la personne concernée. En effet, aux termes de l’article L. 221-8 du code des relations entre le public et l’administration, « sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d’autres formalités préalables, une décision individuelle expresse est opposable à la personne qui en fait l’objet au moment où elle est notifiée ».

Dans sa jurisprudence, le juge administratif a toutefois fait preuve de souplesse à ce sujet, en considérant que, dans certains cas, une information verbale valait notification.

S’agissant de la notification d’une décision pouvant entraîner des conséquences pénales, en cas de manquement à l’interdiction de manifester, pour la personne concernée, il est probable qu’une notification verbale ou tardive ne soit pas suffisante et puisse donner lieu à d’importantes complications judiciaires.

Cette remarque est a fortiori valable dans le cas précis des interdictions de manifester, dès lors qu’il s’agit d’une liberté fondamentale et d’un droit politique, dont l’affaiblissement pourrait s’avérer particulièrement sensible, selon le contexte politique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la possibilité de notifier une interdiction de manifester moins de quarante-huit heures avant son entrée en vigueur, mais cette possibilité ajoutée par l’Assemblée nationale répond à un impératif opérationnel. Lorsqu’une manifestation n’a pas été déclarée, il est possible que l’autorité préfectorale ne prenne que tardivement connaissance de son déroulement. Dans cette hypothèse, l’obligation de notifier les mesures d’interdiction de manifester au plus tard quarante-huit heures avant leur entrée en vigueur ne pourrait pas être respectée. Il s’agit donc d’assurer l’effectivité, dans la pratique, de la mesure d’interdiction de manifester.

Pour cette raison, la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Je ne pourrais dire mieux, monsieur le président ! Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par MM. Menonville, Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, M. Collin, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty et Gold, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque l’arrêté concerne un mineur, un avis préalable du procureur de la République de Paris ou du procureur de la République territorialement compétent est requis. »

La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Il s’agit d’instituer, au travers de cet amendement, un régime plus protecteur pour les mineurs, qui ne peuvent en effet être soumis au même dispositif que les majeurs.

Cet amendement vise ainsi à prévoir qu’une interdiction de manifester ne puisse être prise à l’encontre d’un mineur qu’après un avis préalable du procureur de la République. Une telle protection renforcée du public mineur permettrait de lever certaines inquiétudes que ce texte peut susciter ; cela rejoint d’ailleurs les propos tenus par Mme Costes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Cet amendement tend à prévoir un avis préalable du procureur de la République lorsqu’une mesure d’interdiction de manifester est prononcée à l’encontre d’une personne mineure.

L’intention des auteurs de cet amendement est bien évidemment louable, mais le dispositif proposé présente quelques difficultés.

On peut tout d’abord noter que la portée de l’avis du procureur n’est pas précisée : s’agirait-il d’un avis simple ou d’un avis conforme ?

M. Alain Richard. Si on ne le précise pas, c’est un avis simple.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Ensuite, il paraît difficile de concilier une procédure d’avis préalable avec les délais très contraints qui s’imposent pour le prononcé de la mesure.

Enfin, l’intervention d’une autorité judiciaire dans le prononcé d’une mesure administrative soulève de nombreuses interrogations quant à sa compatibilité avec le principe de séparation des pouvoirs. On peut en effet se demander dans quelle mesure une autorité judiciaire pourrait intervenir dans un processus de nature administrative, dont le contrôle relève d’un autre ordre de juridiction.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Organisation des travaux

Article 3

(Non modifié)

L’article 230-19 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au 2°, après la référence : « 3°, », est insérée la référence : « 3° bis, » ;

2° Il est ajouté un 17° ainsi rédigé :

« 17° L’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique prononcée en application de l’article 131-32-1 du code pénal. »

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.

M. Jean-Yves Leconte. Mon intervention n’aurait probablement pas changé l’issue, mais j’avais demandé la parole pour explication de vote sur l’article 2, monsieur le président.

M. le président. Le vote avait déjà commencé, mon cher collègue, il n’était pas possible de l’interrompre.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, je voudrais revenir sur votre pirouette rhétorique, selon laquelle le préfet pouvant déjà interdire une manifestation, il peut aussi interdire à une personne de manifester.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce n’est pas une pirouette !

M. Christophe Castaner, ministre. Pas du tout !

M. Jean-Yves Leconte. Ce n’est pas tout à fait la même chose !

M. Christophe Castaner, ministre. Si, c’est la même chose !

M. Jean-Yves Leconte. Les voies de recours ne sont pas les mêmes : il est par exemple possible de contester cette décision par voie judiciaire. Bref, les situations sont absolument différentes ! Sinon, il faudrait prévoir des recours spécifiques contre un arrêté d’interdiction, ce qui n’est pas le cas. En outre, l’article 2 prévoit un certain nombre de peines pour le cas où une personne participerait à une manifestation en méconnaissance de l’interdiction qui lui a été notifiée.

Par ailleurs, il est quelque peu audacieux de dire, monsieur Richard, que, puisqu’un principe de proportionnalité existe, il n’est pas nécessaire d’être précis dans la loi. Il relève tout de même de la responsabilité du législateur de définir, le cas échéant, les peines qu’il souhaite voir appliquer pour sanctionner le non-respect des interdictions qu’il institue. Ici, on nous propose de ne prévoir aucune limitation dans le temps et dans l’espace, et l’on s’en remet au principe général de proportionnalité ; c’est très audacieux !

M. Alain Richard. Le pouvoir d’appréciation sous le contrôle du juge existe depuis un siècle et demi ! Je préfère vous en informer…

M. le président. Monsieur Leconte, vous avez demandé la parole sur l’article 3, et vous vous exprimez sur l’article 2… Reprenons le cours normal de la discussion !

M. Jean-Yves Leconte. J’en termine, monsieur le président. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Il me semble qu’il est de notre responsabilité de ne pas nous reposer sur l’application du principe de proportionnalité et de préciser les choses dans la loi.

M. le président. L’amendement n° 22, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Dans sa version initiale, le présent article prévoyait l’instauration d’un fichier de personnes interdites de manifester. En première lecture, nous avions rappelé la dangerosité de tels fichiers, en appuyant notre démonstration sur plusieurs précédents historiques de sinistre mémoire. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

La rédaction de cet article a certes été modifiée en profondeur par l’Assemblée nationale, mais elle n’en reste pas moins problématique, principalement pour deux raisons.

Tout d’abord, elle prévoit l’inscription des personnes administrativement interdites de manifester dans un fichier existant, celui des personnes recherchées. Ce fichier est une sorte de fourre-tout, incluant tant les prisonniers évadés que les adolescents fugueurs. Il ne nous semble absolument pas pertinent d’alourdir encore un tel fichier, déjà illisible et peu cohérent.

Ensuite – ce point est parfaitement assumé par la majorité gouvernementale –, avec le dispositif proposé, il serait désormais possible d’ajouter les personnes interdites de manifester au fichier en recourant à un décret, en évitant ainsi le contrôle préalable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. Pour la constitution d’un fichier aussi sensible, il semble plutôt curieux que la droite sénatoriale et l’exécutif jugent bon de se passer de l’avis de l’autorité chargée de veiller au respect de la vie privée de nos concitoyens…

Cet article étant, dans sa rédaction actuelle, particulièrement attentatoire aux libertés fondamentales, nous en demandons évidemment la suppression.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. L’article 3 du texte est essentiel, du point de vue opérationnel, car il vise à donner aux forces de l’ordre les moyens de s’assurer que les mesures d’interdiction de manifester prononcées par un juge sont bien suivies d’effet.

J’observe que les magistrats sont eux-mêmes favorables à ce dispositif, madame Benbassa, car les peines complémentaires d’interdiction de manifester ne figurent actuellement pas au fichier des personnes recherchées.

Je précise, enfin, que les modifications opérées par l’Assemblée nationale ne contournent pas l’avis de la CNIL, dès lors qu’il s’agit simplement de compléter un fichier existant.

M. Alain Richard. Bien sûr !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Le futur décret modifiant ce fichier pourra d’ailleurs être soumis à la CNIL, préalablement à son entrée en vigueur.

M. Loïc Hervé. Espérons-le !

Mme Esther Benbassa. Comment vérifiera-t-on l’inscription des personnes concernées dans ce fichier ? C’est incroyable !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 22.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 est adopté.)

Organisation des travaux

Article 3 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Article 3 bis (Texte non modifié par la commission)

M. le président. Mes chers collègues, si chacun accepte de faire preuve de concision, nous pouvons avoir achevé l’examen du texte dans à peu près une demi-heure. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.) Sinon, je suspendrai la séance à 20 heures, et nous reprendrons nos travaux après le dîner, à 21 heures 30.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous voulons pouvoir nous exprimer !

M. le président. Je me borne à vous soumettre ces éléments, mes chers collègues. Pour ma part, je n’ai pas de préférence.

La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, une prolongation de la séance ne nous pose pas de problème, mais c’est plutôt vers les présidents des groupes qui siègent de l’autre côté de l’hémicycle qu’il faut se tourner…

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Je comprends que beaucoup, ici, souhaitent précipiter quelque peu l’issue de ce débat… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mon intervention vaut rappel au règlement. Je rappelle que la conférence des présidents a inscrit l’examen de ce texte à l’ordre du jour de cet après-midi, de ce soir, de demain après-midi et, éventuellement, de demain soir. Elle a ainsi créé les conditions d’un débat approfondi sur cette proposition de loi. (Mme Françoise Laborde approuve.)

Par conséquent, si j’entends bien que certains veuillent précipiter le débat, puisqu’il y a eu un accord pour voter le texte conforme, souffrez tout de même que nous puissions exprimer nos désaccords ! Nous essaierons d’aller vite, mais on ne nous empêchera pas de dire ce que nous avons à dire sur les articles qu’il reste à examiner !

M. Alain Richard. Très bien !

M. le président. La réponse est claire : mieux vaut suspendre maintenant la séance, pour la reprendre après le dîner.

Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations.

Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus à l’article 3 bis.

Organisation des travaux
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Article 4 (Texte non modifié par la commission)

Article 3 bis

(Non modifié)

Le présent chapitre est soumis à évaluation annuelle de ses résultats par le Parlement.

L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures.

Le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport détaillé sur l’application des dispositions.

M. le président. L’amendement n° 23, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. La majorité, à l’Assemblée nationale, a décidé d’introduire par voie d’amendement cet article qui prévoit un bilan d’application annuel des dispositions des quatre premiers articles de cette proposition de loi. Je passerai rapidement sur le caractère superflu d’un tel dispositif, le Parlement contrôlant l’action du Gouvernement…

Notre amendement de suppression se justifie par notre volonté de voir supprimées les dispositions des articles 1er, 2 et 3.

Quant à l’article 1er A, il ne me semble pas possible de mesurer l’efficacité de son dispositif, car le nombre de manifestations déclarées en préfecture dépend avant tout du contexte national.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. La commission a décidé de conserver les articles 1er, 2 et 3 de la proposition de loi, qu’elle estime nécessaires au renforcement de la prévention des violences dans les manifestations. Par cohérence, elle émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission, même s’il comprend la logique de cet amendement.

L’utilisation du fichier des personnes recherchées, le FPR, qui est consulté au quotidien par l’ensemble de nos forces de sécurité intérieure, est vraiment encadrée. Seules les personnes agréées y ont accès, et le début et la fin du fichage sont enregistrés dans les meilleures conditions. C’est indispensable pour garantir que la décision, dès lors qu’elle n’a pas été contestée ou qu’elle a été validée par un juge, puisse être exécutée dans de bonnes conditions. Il est essentiel que les policiers ou les gendarmes chargés du maintien de l’ordre public puissent accéder, via des tablettes comme Neogend, par exemple, à ce fichier dont la sécurisation et l’efficacité sont démontrées.

Madame la sénatrice, vous proposez de supprimer l’article 3 bis par cohérence avec les prises de position de votre groupe sur les articles déjà examinés. Par cohérence également, le Gouvernement ne peut qu’être défavorable à votre amendement. Si l’article 3 bis était supprimé, il nous faudrait alors créer un fichier spécifique, qui n’offrirait pas forcément la souplesse et l’efficacité du FPR.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 23.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 64 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l’adoption 104
Contre 220

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’article 3 bis.

(Larticle 3 bis est adopté.)

Chapitre II

Dispositions pénales

Article 3 bis (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Article 5

Article 4

(Non modifié)

Après l’article 431-9 du code pénal, il est inséré un article 431-9-1 ainsi rédigé :

« Art. 431-9-1. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime. »

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 14 est présenté par MM. Durain, Kanner, Sueur, J. Bigot et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 17 rectifié est présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Collin, Arnell, Artano, Dantec, Gold et Guérini, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Roux et Vall.

L’amendement n° 24 est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 14.

M. Jérôme Durain. L’article 4 crée un délit passible d’une sanction d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende pour dissimulation du visage dans une manifestation.

Une première difficulté tient à la caractérisation de l’intentionnalité du délit.

En outre, la proportionnalité entre les atteintes portées au droit de manifester – droit constitutionnellement garanti – et les objectifs visés n’est pas respectée au regard de la peine envisagée.

Toutefois, le quantum de la peine n’est pas seul en cause. Cet article vise, outre des personnes qui seraient « au sein » de la manifestation, des personnes qui se trouveraient « aux abords immédiats », alors que des troubles à l’ordre public ne sont pas en train d’être commis, mais seulement « risquent d’être commis », et sans qu’un lien caractérisé soit établi entre le trouble et la personne qui dissimule juste « une partie de son visage ».

Pour qu’une loi qui pose une restriction aux droits garantis soit compréhensible par le citoyen, elle doit être précise et prévisible, de sorte que ce dernier connaisse la règle qui lui est appliquée. Cette exigence de précision de la loi est le corollaire du principe de sécurité juridique et est inhérente à l’objectif d’intelligibilité de la loi.

Les articles VII et VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen imposent le respect d’un principe de modération dans l’utilisation de l’arme pénale, qui doit aussi répondre à un impératif de prévisibilité pour le justiciable.

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour présenter l’amendement n° 17 rectifié.

Mme Maryse Carrère. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 24.

M. Pascal Savoldelli. Cet article pose deux problèmes majeurs : d’une part, il instaure une présomption de culpabilité pour toute personne se couvrant le visage dès lors que des troubles se produisent lors d’une manifestation ; d’autre part, la notion de « motif légitime » est trop floue et sujette à interprétation aux yeux de notre groupe.

Nous sommes constructifs : si l’on répond de manière satisfaisante à nos interrogations, nous pourrions retirer notre amendement.

Premièrement, qu’entend-on par « dissimuler volontairement tout ou partie de son visage » ? Cela mérite quand même d’être explicité.

M. Jean Bizet. C’est avancer masqué ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Savoldelli. Le champ d’application retenu pour le dispositif est insatisfaisant, chers collègues.

Deuxièmement, qu’est-ce qu’un « motif légitime » de dissimuler tout ou partie de son visage ? Une personne portant des lunettes de soleil sera-t-elle susceptible de tomber sous le coup du nouvel article 431-9-1 du code pénal ?

Troisièmement, dans l’attente d’une réponse précise à ces questions, valable en tout temps et en tout lieu, reste à savoir qui déterminera quand s’appliquera cet article ? Il appartiendra aux forces de l’ordre d’apprécier le contexte, le degré de dissimulation du visage, avant que le juge n’infirme ou ne confirme cette appréciation préalable. Franchement, il me semble que nous pouvons tous admettre le caractère instable et insatisfaisant de ce dispositif !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il faudra apporter des preuves !

M. Pascal Savoldelli. Quatrièmement, cet article crée une présomption de culpabilité pour toutes les personnes se couvrant le visage alors que des troubles à l’ordre public ont été constatés.

Je pense que beaucoup d’entre nous ont déjà participé à des manifestations, même si ce n’est pas forcément pour défendre les mêmes causes… (M. Philippe Pemezec rit.) Tous ceux qui ont manifesté le savent : quand il y a des gaz lacrymogènes, on se protège ! (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.)

Comme l’a souligné M. Bonnecarrère, dont je partage totalement l’opinion, nous ne manquons pas de lois pour lutter contre les violences. L’article 4 est délibérément très flou, et son application sera très instable.

Je le dis avec un peu d’humour, mais si vous adoptez cet article, l’acquiescement éclairera peut-être votre visage, chers collègues de la majorité, mais le refus nous donnera la beauté. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Larticle 4, relatif à la création d’un nouveau délit de dissimulation du visage au sein ou aux abords d’une manifestation, est particulièrement attendu par nos forces de l’ordre. Il leur permettra d’interpeller et de placer en garde à vue les fauteurs de troubles qui viennent dans les manifestations, cagoulés ou casqués, non pas pour exprimer leurs revendications, mais pour casser.

Notre commission, qui est particulièrement attachée à cette disposition, a émis un avis défavorable sur ces amendements de suppression. Elle a choisi d’adopter l’article 4 sans modification, plutôt que de chercher à en affiner encore la rédaction.

J’ajoute que le souci de précision dans la définition de l’infraction auquel font référence les auteurs de l’amendement n° 17 rectifié doit être mis en balance avec la nécessité de conserver un dispositif opérationnel, les différents éléments de l’infraction devant pouvoir être établis devant le tribunal.

Enfin, monsieur Savoldelli, contrairement à ce que vous pouvez affirmer, le texte n’instaure pas une « présomption de culpabilité ». Il appartiendra au parquet de démontrer que la personne qui se couvrait le visage le faisait sans motif légitime. Le tribunal appréciera, en fonction des faits de l’espèce, l’existence ou non de ce motif légitime, et ce à l’issue d’un débat contradictoire, qui permettra à la personne mise en cause de donner, pendant l’audience, toutes explications de nature à prouver son innocence.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Madame la rapporteure, je vous ai écoutée avec beaucoup d’attention. Vous parlez d’individus « casqués ou cagoulés », mais où ces termes figurent-ils dans le texte ? C’est une question sérieuse, car ensuite, les actes vont devoir s’accorder aux mots et à leur définition ! Les termes « casqués ou cagoulés » ne figurent nulle part dans le texte dont nous débattons. Il y est seulement fait mention d’une personne qui « dissimule volontairement tout ou partie de son visage ». Quel rapport avec la cagoule et le casque ? Nous en sommes arrivés là, au Parlement ? Tout cela ne tient pas la route ! Je ne suis pas en train de porter une appréciation sur le port de la cagoule ou du casque lors d’une manifestation, je demande ce que signifient exactement les termes du texte !

Par ailleurs, vous évoquez le rôle du parquet, madame la rapporteure, mais où se trouve-t-il pendant la manifestation ?

M. Alain Joyandet. En bas ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Savoldelli. Il n’y a pas vraiment de quoi rire, mes chers collègues !

Les forces de l’ordre devront fonder une présomption de culpabilité sur le fait que le visage d’une personne est totalement ou en partie dissimulé, apprécier la situation en fonction de ce que nous allons voter. Ce n’est qu’ensuite que le parquet interviendra.

Ce sont les libertés individuelles qui sont ici en jeu ! Une responsabilité terrible pèsera sur nos policiers, qui devront déterminer si la dissimulation d’une certaine partie du visage est susceptible de révéler l’intention de commettre un acte délictueux. Franchement, j’attends une autre réponse ! Nous pouvons changer d’avis, mais en fonction d’autres arguments que cette histoire de cagoules et de casques.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Je ne prenais qu’un exemple !

M. Pascal Savoldelli. Soit, mais un exemple ne saurait faire loi !

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Je voudrais livrer un point de vue plus global.

Certains, M. Retailleau en tête, estiment nécessaire de passer à une nouvelle phase, de changer d’arsenal juridique et législatif pour faire face à un phénomène inédit, appelé à durer, de violences dans les manifestations. Or personne n’a apporté la moindre preuve quant à la réalité d’une telle augmentation des violences. Je me souviens avoir connu, dans le passé, des violences inouïes et beaucoup plus organisées lors de certaines manifestations, notamment celles des sidérurgistes, venus par milliers à Paris affronter les forces de l’ordre face à face, à coups de boulons. Auparavant, il y avait eu mai 68. Dans les années quatre-vingt-dix, on hésitait à appeler à des manifestations lycéennes, parce que, régulièrement, des centaines de jeunes, constitués en bandes organisées que personne ne parvenait à contenir, en profitaient pour dévaster et piller les magasins à Montparnasse, par exemple. C’était une catastrophe ! Il y a aussi eu, plus récemment, les « bonnets rouges », l’incendie du Parlement de Bretagne, à Rennes. Les situations de violence auxquelles ont été confrontées les forces de l’ordre lors de manifestations de toutes sortes, notamment paysannes, ont parfois été inouïes.

Quant à l’usage de cagoules ou de casques par les casseurs pour dissimuler leur visage, il est le lot commun des manifestations de ces quarante dernières années ! Aujourd’hui, on semble découvrir l’eau chaude, et on décide qu’il faut un nouvel arsenal juridique pour lutter contre les violences… Vos prédécesseurs étaient-ils donc si bêtes qu’ils n’y aient pas pensé ? Il faut veiller à protéger les libertés. Dans une Europe où la démocratie est aujourd’hui en danger, c’est l’arsenal législatif qui défend les libertés qui nous protégera le mieux !

M. François Bonhomme. C’est absurde !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 14, 17 rectifié et 24.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 est adopté.)

Article 4 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Article 6 (Texte non modifié par la commission)

Article 5

(Suppression maintenue)

Article 5
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Article 6 bis (Texte non modifié par la commission)

Article 6

(Non modifié)

I. – Le code pénal est ainsi modifié :

1° Après l’article 131-32, il est inséré un article 131-32-1 ainsi rédigé :

« Art. 131-32-1. – La peine d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, qui ne peut excéder une durée de trois ans, emporte défense de manifester sur la voie publique dans certains lieux déterminés par la juridiction.

« Si la peine d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique accompagne une peine privative de liberté sans sursis, elle s’applique à compter du jour où la privation de liberté a pris fin. » ;

2° Après le premier alinéa de l’article 222-47, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Dans les cas prévus aux articles 222-7 à 222-13 et 222-14-2, lorsque les faits sont commis lors du déroulement de manifestations sur la voie publique, peut être prononcée la peine complémentaire d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, dans les conditions prévues à l’article 131-32-1. » ;

3° Le I de l’article 322-15 est complété par un 7° ainsi rédigé :

« 7° L’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, dans les conditions prévues à l’article 131-32-1, lorsque les faits punis par le premier alinéa de l’article 322-1 et les articles 322-2, 322-3 et 322-6 à 322-10 sont commis lors du déroulement de manifestations sur la voie publique. » ;

3° bis La section 2 du chapitre Ier du titre III du livre IV est complétée par un article 431-8-1 ainsi rédigé :

« Art. 431-8-1. – Les articles 393 à 397-7 et 495-7 à 495-15-1 du code de procédure pénale sont applicables aux délits prévus à la présente section. » ;

4° Le I de l’article 431-11 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « de l’infraction prévue par l’article 431-10 » sont remplacés par les mots : « des infractions prévues à la présente section » ;

b) Le 2° est ainsi rétabli :

« 2° L’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, dans les conditions prévues à l’article 131-32-1 ; »

4° bis Au premier alinéa du II du même article 431-11, les mots : « l’infraction prévue par l’article 431-10 » sont remplacés par les mots : « les infractions prévues à la présente section » ;

5° Après l’article 434-38, il est inséré un article 434-38-1 ainsi rédigé :

« Art. 434-38-1. – Le fait, pour une personne condamnée à une peine d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, de participer à une manifestation en méconnaissance de cette interdiction est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. »

II. – (Non modifié)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, sur l’article.

M. Jean Bizet. En commission des lois, j’avais déposé un amendement que je n’ai pas redéposé en séance, eu égard à la volonté de voter ce texte conforme.

Par cet amendement, je posais la question de la déchéance des droits aux minima sociaux pour celles et ceux qui détruisent les biens publics ou privés. Certains pourront considérer qu’un tel amendement était quelque peu brutal, mais une majorité de Français ne comprennent plus que notre pays, qui a le triste privilège d’avoir la pression fiscale la plus importante au sein de l’OCDE, ne redistribue pas à meilleur escient. Accorder des prestations sociales à des casseurs, à des gens qui ne respectent pas le droit, est devenu totalement inacceptable. Plus qu’un amendement d’appel, il s’agissait d’un amendement moralisateur.

Monsieur le ministre, je vous invite à consulter les conclusions du sommet de Göteborg de novembre 2017, qui jetait les bases d’un code de convergence sociale européen. Si nous ne corrigeons pas les dérives actuelles en matière d’accompagnement social dans notre pays, nous resterons à des années-lumière de cette nécessaire convergence que chacun appelle de ses vœux. Évitons d’attribuer des minima sociaux à celles et ceux qui veulent casser notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. Je souhaite tout d’abord déplorer la déclaration de l’irrecevabilité de notre amendement qui visait à introduire un article additionnel après l’article 6. Il tendait à garantir davantage de protection aux journalistes, qui sont, depuis quelques mois, la cible de violences tant de la part des manifestants que des forces de police. La liberté des médias est précieuse à notre démocratie et sa défense aurait mérité d’être renforcée.

Le présent article 6 ajoute à la liste des peines complémentaires l’interdiction de participation à des manifestations publiques. Une fois de plus, les dispositions proposées viennent inutilement renforcer un arsenal juridique déjà fort répressif en la matière.

Le phénomène des Blacks Blocs n’est pas nouveau, mais se développe toujours davantage dans nos cortèges. La réponse à apporter n’est assurément pas d’ordre législatif, dans la mesure où les dispositifs envisagés ne dissuaderont pas des groupes déterminés et organisés.

L’efficacité recherchée contre les casseurs ne pourra passer que par un changement de doctrine et une adaptation de nos méthodes aux réalités du terrain. Si nous souhaitons qu’un travail de renseignement et de démantèlement soit mené en amont, il serait avant tout nécessaire de doter nos forces de l’ordre de véritables moyens humains et matériels. C’est ainsi que nous pourrons réduire au maximum la capacité de nuisance des « agités » dans les cortèges, dont le nombre ne dépasserait pas 300 en moyenne, selon les services de renseignement français, lors des manifestations des « gilets jaunes ». Il est possible de juguler les violences commises par un nombre si restreint de personnes, à condition d’avoir la volonté de le faire !

Afin de réunir les conditions de la paix sociale, il faut qu’un équilibre soit trouvé entre le nécessaire maintien de l’ordre public et la garantie des libertés fondamentales et constitutionnelles.

En l’état, nous sommes au regret de constater que le texte proposé n’assure pas une telle pondération et mise plutôt sur une répression disproportionnée.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.

M. David Assouline. J’avancerai un autre argument. Nous sommes entrés dans une époque où les extrémismes sont à l’offensive au niveau européen, voire mondial. Il convient donc de nous adapter.

De quels extrémismes parlons-nous ? Des nationalismes, des populismes, de Viktor Orban, de la coalition de droite et d’extrême droite au pouvoir en Autriche, de la montée des extrêmes, non seulement dans la rue, mais aussi dans les urnes. Nous redoutons que cela n’arrive en France, dans la mesure où un courant de ce type, qu’il faut combattre impitoyablement, y est fortement présent, y compris dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes ».

Pourquoi tremblons-nous ? Parce que la possibilité de leur arrivée au pouvoir n’est plus une perspective lointaine. Ils ont en effet pris le pouvoir dans un certain nombre de pays, y compris en Italie. S’ils arrivent au pouvoir en France, que feront-ils de nos lois et des moyens que l’État leur donne ?

C’est la raison pour laquelle la défense de notre état de droit et des libertés, que nous avons acquises, de manifester, de contester, de critiquer, de nous organiser sont fondamentales. En effet, ce seront nos armes pour nous défendre si des antirépublicains prenaient le pouvoir.

J’inverse donc votre raisonnement, chez collègues : c’est parce que nous sommes dans cette situation que nous devons faire beaucoup plus attention qu’avant à la garantie de nos libertés.

L’histoire nous le montre, les extrémistes mettent le désordre dans le pays, avant de prétendre incarner l’ordre. Aujourd’hui, ils font pression sur les démocrates pour augmenter l’arsenal répressif qu’ils utiliseront demain contre les démocrates. Je vous le prédis, telle est la situation qui nous attend si nous ne défendons pas nos libertés fondamentales, lesquelles sont notre arme contre les extrémistes, les violents, les racistes et les antisémites. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Chers collègues, vous nous préparez une petite France !

En effet, la France est grande quand elle est ferme sur ses principes. Ce que vient de dire M. Assouline est particulièrement important. On doit toujours avoir, s’agissant des droits et des libertés, la mémoire de l’histoire. Le pire n’est jamais totalement conjuré. Des courants totalitaires peuvent prendre le pouvoir et détourner les lois votées de l’esprit républicain de préservation des droits individuels et collectifs.

Vous le savez bien, les fichages, les privations de liberté, l’affaiblissement du juge par rapport à l’administration sont des mesures qu’il faut prendre avec les plus grandes précautions. En l’occurrence, il s’agit de simples manifestations et non pas de terrorisme.

Mme Benbassa l’a dit, il y a des casseurs, mais le phénomène n’est pas récent. Regardez les documents de l’INA ! Que les manifestations aient été paysannes, provinciales, parisiennes ou estudiantines, elles ont toujours donné lieu à des débordements. De tout temps, certaines minorités ont profité de ces occasions pour déstabiliser la situation.

Aujourd’hui, quel aveu de notre impuissance ! Nos amis européens, notamment allemands, n’ont-ils pas trouvé d’autres méthodes pour lutter contre les Black Blocs ? La France des droits de l’homme, incapable de trouver une réponse technique policière, serait contrainte de remettre en cause les droits des citoyens ? Quelle belle image donnez-vous de la France ! N’êtes-vous pas frappés par le fait que l’on met en cause notre pays à l’ONU ?

M. Christophe Castaner, ministre. Ce n’est pas vrai !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’êtes-vous pas frappés par le fait que les instances européennes mettent en cause notre pays, non pas parce qu’il ne transposerait pas une directive, mais parce qu’il ne respecte pas les droits de l’homme ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Pemezec. Cela suffit !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous affaiblissez la France, en donnant une mauvaise image de notre pays au monde et à notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. L’amendement n° 26, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud. Il y aurait donc une seule manière de rendre effective l’interdiction de manifester : l’instauration d’un pointage au commissariat tout au long des manifestations visées. À cet égard, on peut s’interroger sur le respect des libertés individuelles fondamentales garanties par notre constitution, notamment celle de circuler librement.

C’est d’autant plus vrai que, en parlant de manifestations sur la voie publique, vous englobez un ensemble de rassemblements, allant des manifestations revendicatives aux festivals, en passant par les rencontres sportives.

Par ailleurs, nous continuons de nous interroger sur la vocation d’un tel article, notamment sur son caractère d’affichage. Ce sentiment est d’ailleurs renforcé par l’existence de l’article 6 bis, qui se juxtapose peu ou prou à l’article 6.

Tant que l’on s’enferme dans ces dispositions plus ou moins techniques, l’on évite de parler de certains sujets, notamment de celui des forces de l’ordre. Au gré des troubles dans les manifestations, la majorité gouvernementale et la majorité sénatoriale ont tenté de rendre responsables les structures organisatrices des missions de police et de maintien de l’ordre.

On voudrait donc que les syndicats et les structures organisatrices maintiennent l’ordre ou se substituent à l’État pour ce qui concerne l’une de ses missions régaliennes, même aux yeux des libéraux… Enfin, l’équilibre entre ordre public et garantie des libertés constitutionnelles n’est pas assuré. Le champ d’application extrêmement large de cette disposition n’est pas pour nous rassurer, vous l’aurez compris.

Comment expliquerez-vous qu’une sanction identique soit prévue pour des faits aussi différents que se couvrir le visage, avec, comme l’a dit mon camarade et collègue Pierre Ouzoulias, des lunettes de piscine et un peu de sérum physiologique, et détruire des biens publics ?

Nous pensons que le droit existant suffit largement. Je pense notamment à la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, que je soutiens et qui fait référence au port de cagoules, de masques et du voile intégral.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Christine Prunaud. Tout ce qu’il nous faut existe déjà !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. La commission souhaite conserver l’article 6 de la proposition de loi, qui donnera à l’autorité judiciaire de nouveaux moyens d’action pour lutter contre le phénomène des « casseurs », d’abord avec l’extension du champ d’application de la peine complémentaire d’interdiction de manifester, ensuite avec la possibilité d’avoir recours aux procédures rapides – je pense notamment à la comparution immédiate – pour les délits liés aux attroupements.

C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Je souhaite répondre très brièvement à M. Bizet.

La plus grosse manifestation depuis 1968 a eu lieu à Rennes, en 1994. Ce fut un moment terrible, quand 5 000 marins pêcheurs ont dévasté le centre-ville de Rennes. Les documents de l’époque évoquent une véritable guerre civile. Les victimes se comptaient par dizaines. La manifestation a fini, vous le savez, par l’incendie du Parlement de Bretagne. Au même moment, 1 000 pêcheurs saccageaient, à Rungis, le pavillon de la marée.

Par ailleurs, ce soir, le Parlement britannique n’a pas voté en faveur du traité que l’Europe lui propose. Or, malheureusement, s’il n’y a pas de traité, les premières victimes du no deal seront les marins pêcheurs de la flotte française. Je souhaite très sincèrement que vous n’ayez pas à leur opposer l’article 6 de ce texte, lorsqu’ils seront en désespérance et nous demanderont de les sauver. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 26.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Collin, Gold et Gabouty, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

de trois ans

par les mots :

d’un an

La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. Le présent amendement vise à réduire à un an la durée de l’interdiction de manifester susceptible d’être prononcée par un juge comme peine complémentaire, celle-ci étant fixée à trois ans dans la rédaction actuelle.

Il s’agit de s’assurer que, à l’avenir, cette disposition ne puisse être dévoyée, pour fragiliser des mouvements sociaux ou d’opposition.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Cet amendement vise à ramener de trois ans à un an la durée maximale de la peine d’interdiction de manifester, laquelle, je le rappelle, est une peine complémentaire qui peut être prononcée par un tribunal.

Notre objectif, par ce texte, est de donner aux autorités administratives et judiciaires, de nouveaux moyens d’action, et non pas d’affaiblir les outils à leur disposition.

La peine d’interdiction de manifester vient sanctionner des comportements délictueux, des violences ou des destructions sur la voie publique. Elle ne saurait donc en aucun cas être utilisée pour réprimer un mouvement social.

C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 18 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 6.

(Larticle 6 est adopté.)

Article 6 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Article 7 (Texte non modifié par la commission)

Article 6 bis

(Non modifié)

Après le 3° de l’article 138 du code de procédure pénale, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :

« 3° bis Ne pas participer à des manifestations sur la voie publique dans des lieux déterminés par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention ; ».

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 15 est présenté par MM. Durain, Kanner, Sueur, J. Bigot et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 27 est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 15.

M. Jérôme Durain. L’article 6 bis vise à compléter la liste des obligations et interdictions auxquelles une personne peut être astreinte dans le cadre d’un contrôle judiciaire, en ajoutant l’interdiction de manifester sur la voie publique dans certains lieux déterminés par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention.

Or, dans le droit en vigueur, le contrôle judiciaire peut d’ores et déjà comporter l’interdiction, pour la personne mise en cause, de se rendre dans certains lieux. Cette disposition est donc, selon nous, superflue.

En outre, l’article 6 bis de la proposition de loi permet au juge d’interdire de manifestation une personne mise en examen et placée sous contrôle judiciaire, sans préciser que la mise en examen est due à des violences, notamment commises au cours d’une manifestation.

Enfin, l’Assemblée nationale n’ayant pas ajouté à l’article 141-4 du code de procédure pénale la nouvelle interdiction de manifester dans des lieux déterminés, une interpellation pour sa violation ne pourra donc pas intervenir. Or c’est sur le fondement de cet article que les services de police ou de gendarmerie peuvent placer en rétention judiciaire une personne soupçonnée d’avoir violé ses obligations, pour une durée maximale de vingt-quatre heures, afin de l’entendre sur le non-respect de ses obligations.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous estimons que cette disposition est inutile et imprécise sur la forme et inaboutie sur le plan opérationnel.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 27.

Mme Éliane Assassi. Vous le savez, nous nous opposons à une peine complémentaire d’interdiction de manifester.

Par ailleurs, nous ne pouvons que constater que l’article 6 bis est largement satisfait par l’article 6. En effet, à partir du moment où une peine complémentaire d’interdiction de manifester est prononcée, il n’y a pas grand sens à inscrire cette mesure dans le cadre du contrôle judiciaire.

Enfin, la définition extrêmement large des manifestations sur la voie publique laisse à penser que cette mesure contrevient au principe de proportionnalité de la peine et aux libertés fondamentales.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons la suppression de cet article.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. L’amendement n° 15 tend à supprimer l’article 6 bis introduit par l’Assemblée nationale, qui tend à autoriser le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention à prévoir une interdiction de manifester dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

Sur le fond, cette mesure nous paraît opportune, car elle permettra de réduire rapidement le risque de réitération lorsqu’un individu est mis en cause pour des violences ou des dégradations dans une manifestation. Pour la personne placée sous contrôle judiciaire, cette interdiction sera moins contraignante que l’actuelle interdiction de se rendre dans certains lieux, puisqu’elle visera seulement le fait de manifester. La mesure adoptée par l’Assemblée nationale ne nous paraît donc pas redondante avec le droit en vigueur.

Sur la forme, on peut regretter effectivement qu’une coordination n’ait pas été faite pour autoriser l’interpellation de la personne qui violerait cette interdiction de manifester. Cependant, nous ne pensons pas que cette imperfection, sur un point assez secondaire du texte, justifie de prolonger la navette parlementaire.

La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

S’agissant de l’amendement n° 27, contrairement à ce que vous laissez entendre, madame Assassi, l’article 6 bis n’est pas satisfait par les dispositions de l’article 6. En effet, ce dernier porte sur la peine complémentaire d’interdiction de manifester, qui peut être prononcée par le tribunal. En revanche, la mesure visée à l’article 6 bis intervient au stade du contrôle judiciaire : il s’agit d’une mesure de sûreté prononcée avant jugement.

La commission est donc également défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Même avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Je voudrais savoir, monsieur le ministre, si vous vous adresserez au Sénat d’ici à la fin de la soirée.

Prendrez-vous part au débat ou vous contenterez-vous de déléguer votre avis à Mme la rapporteure ? À un moment donné, il faut assumer sa politique ! Allez-vous défendre votre point de vue ? Allez-vous déléguer ou assumer votre politique ?

M. Christophe Castaner, ministre. Vous nous avez manqué tout à l’heure !

M. Pascal Savoldelli. Je sais bien que votre parcours politique est quelque peu « caméléon »…

M. François Grosdidier. C’est le poisson rouge ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Savoldelli. Toutefois, avez-vous l’intention d’assumer vos positions ?

M. Christophe Castaner, ministre. C’est une attaque personnelle !

M. Pascal Savoldelli. Je le répète, allez-vous vous exprimer ce soir ?

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Ah ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. Christophe Castaner, ministre. Si M. Savoldelli avait participé à la totalité de nos travaux et était venu cette après-midi, peut-être aurait-il eu le plaisir de m’entendre. Il a fait un choix différent, que je respecte parfaitement.

Monsieur le sénateur, je vous invite a minima, au-delà des désaccords qui peuvent nous opposer, à respecter la personne que je suis.

M. Pascal Savoldelli. En quoi ne l’ai-je pas respectée ?

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Mon intervention relèvera non pas d’une mise en cause personnelle, mais d’une appréciation du débat.

Il est assez surprenant que, sur un texte issu de la droite sénatoriale – il faut rendre à César ce qui appartient à César –, alors que M. Nunez a remarqué à plusieurs reprises que des dispositions de cette loi remettaient en cause les libertés fondamentales – allez vérifier dans le compte rendu intégral des débats ! –, le Gouvernement n’ait rien à dire, sinon son accord avec la droite sénatoriale, sans justifier ni corriger sa position, sans expliquer le cheminement intellectuel lui ayant permis de transformer ce qui était injuste hier en ce qui est juste aujourd’hui.

Je me permettrai d’avancer une explication. Vous avez conscience de la fragilité du dispositif. Dans la mesure où le chef de l’État a saisi le Conseil constitutionnel, nous marchons sur des œufs. Ainsi, tout propos non millimétré du ministre de l’intérieur pourrait fragiliser la position du Gouvernement qui sera examinée par le Conseil constitutionnel.

Vous avez donc décidé de ne rien dire, si ce n’est dans votre intervention liminaire, de peur de déstabiliser la situation. Je me trompe peut-être, mais je m’efforce d’interpréter votre silence.

Quoi qu’il en soit, c’est le signe que, depuis le début, vous avez chevauché ce texte pour des raisons de circonstance. Lors de la première manifestation des « gilets jaunes » en novembre, il y a eu un dérapage, vous n’avez pas maîtrisé la situation. Nous avons tous eu peur, car les manifestants n’étaient pas loin de l’Élysée. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Grosdidier. C’est n’importe quoi !

M. David Assouline. Vous réagissez de façon non maîtrisée à une situation qui vous a échappé. Ce texte relève de cette absence de maîtrise.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre. Monsieur Assouline, vous présidiez la séance lorsque je me suis expliqué longuement, et pas seulement dans le cadre de mon intervention liminaire.

À la reprise de la séance à vingt et une heures trente, je me suis exprimé sur l’article 2, qu’il me semblait nécessaire de caractériser pour répondre à l’ensemble des éléments avancés.

Je veux préciser la position du Gouvernement, qui avait été portée par M. Nunez ici présent. C’était un avis de sagesse sur le vote et un rendez-vous. Cela se passait, monsieur le sénateur, bien avant le mouvement des « gilets jaunes ». Nous étions dans un autre contexte.

M. Nunez avait fixé un rendez-vous à la représentation nationale le 15 janvier suivant. Il avait indiqué que, sur un certain nombre de sujets, un groupe de travail interne aux deux ministères, celui de la justice et celui de l’intérieur, devait avancer. Nous avons été au rendez-vous le 15 janvier 2019. Nous avions suffisamment œuvré pour pouvoir nous prononcer sur le sujet. Nous avons éclairé les travaux, en prenant position, notamment devant la commission.

Ensuite, monsieur le sénateur, vous avez indiqué que je m’alignais sur la droite sénatoriale. Pardonnez-moi, mais je pensais m’aligner sur la commission des lois qui a travaillé sur ce sujet. D’ailleurs, cela ne me gêne pas, non seulement de m’aligner sur le travail de la commission, mais aussi de penser qu’un texte, parce qu’il est porté par quelqu’un qui ne partage pas ma couleur politique, n’est pas, par nature, mauvais.

Comme vous, j’ai vécu suffisamment longtemps au parti socialiste pour avoir, très souvent, le sentiment d’être l’otage d’un certain nombre de conditions. Ainsi ne nous posions-nous qu’une seule question face à un interlocuteur : est-il de droite ou de gauche ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

La réponse a systématiquement conditionné de très nombreux votes auxquels j’ai participé.

M. Michel Raison. Quel aveu ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe Castaner, ministre. Aujourd’hui, monsieur le sénateur, j’ai la liberté de me poser une seule question : le texte présenté par M. Retailleau, adopté en première lecture par le Sénat, permet-il d’améliorer la situation, grâce à une meilleure gestion des crises et des comportements de grande violence ? J’ai le sentiment, que l’on peut ne pas partager, que la réponse est oui. C’est la raison pour laquelle je suis venu en début d’après-midi vous présenter la position du Gouvernement. C’est également la raison pour laquelle je suis intervenu plusieurs fois pour la préciser.

Si vous le souhaitez, je peux parfaitement répéter mes propos, comme je l’ai fait à la reprise de la séance, à un moment où, certes, il y avait un peu moins de monde dans l’hémicycle, me semble-t-il. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Je vous remercie, monsieur le ministre, de sortir de votre mutisme. Permettez-moi de vous rappeler les propos de M. Retailleau,…

M. Jackie Pierre. De beaux propos !

M. Pierre Ouzoulias. … qui achevait son intervention liminaire en affirmant que le Gouvernement avait une pensée complexe. Elle est d’ailleurs tellement complexe que je suis perdu et ne sais plus qui est l’auteur de la proposition de loi que nous examinons ce soir…

Je regarde fidèlement Public Sénat, qui est une excellente chaîne, parfaitement rigoureuse, et sur laquelle, monsieur Retailleau, vous êtes intervenu juste après le vote de votre proposition de loi à l’Assemblée nationale. Je vous cite : « L’Assemblée nationale a totalement dénaturé, dévitalisé le texte de la loi. Autant ne pas en faire que de faire une loi qui ne servirait à rien du tout ! » Donc, si je comprends bien, monsieur le ministre, vous défendez ici une loi qui ne servira à rien du tout.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Je ne résiste pas au plaisir de répondre !

Monsieur Ouzoulias, j’ai effectivement tenu de tels propos au moment où la commission des lois de l’Assemblée nationale avait totalement détricoté et profondément dénaturé le texte. J’avais alors exprimé un constat objectif. De la même manière, lorsque j’ai eu connaissance du vote intervenu à l’Assemblée nationale en séance publique, j’ai acté le fait qu’un certain nombre d’éléments que je désignais comme étant le cœur du sujet, notamment le délit de dissimulation et d’autres mécanismes de prévention, avaient été, heureusement, sauvegardés.

Chacun ici connaît mes convictions. Parmi vous, mes chers collègues, je ne suis pas le dernier à dénoncer, lorsque je ne suis pas d’accord, la politique du Gouvernement. Chacun peut s’en rendre compte, chacun peut m’en donner acte.

Cependant, je rejoins le ministre de l’intérieur pour dire que, lorsque nous sommes confrontés à des violences, lorsqu’il s’agit de quelque chose d’essentiel comme la République, les républicains doivent se serrer les coudes.

Mme Éliane Assassi. La République ne vous appartient pas !

M. Bruno Retailleau. En effet, les Black Blocs, ces minorités violentes, avaient, au mois de décembre dernier, des visées insurrectionnelles. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Parfois, la République peut être mise en danger, et c’est l’honneur des républicains et des élus de la République que de la défendre. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 15 et 27.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 28, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – L’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° Après le mot : « public », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « elle saisit le juge des libertés qui peut prononcer son interdiction. Cette saisine s’effectue soit au maximum trois jours francs avant le début de la manifestation concernée lorsque celle-ci a été déclarée plus de quatre jours francs avant sa date de tenue, soit au maximum deux jours francs lorsque celle-ci a été déclarée trois jours francs avant sa date de tenue. En cas d’urgence absolue et d’élément nouveau établissant un risque réel et sérieux de troubles graves à l’ordre public, l’autorité investie du pouvoir de police peut toutefois saisir le juge des libertés et de la détention qui a obligation de statuer avant le début de la manifestation concernée. » ;

2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

a) À la première phrase, les mots : «, dans les vingt-quatre heures, » sont remplacés par le mot : « immédiatement » ;

b) À la seconde phrase, après le mot : « échéant, », sont insérés les mots : « dans les vingt-quatre heures suivant la réception de la déclaration de manifestation concernée, ».

II. – Le premier alinéa de l’article L. 332-16-1 du code du sport est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’arrêté est prononcé au plus tard cinq jours francs avant la date prévue du déplacement individuel ou collectif et est notifié immédiatement aux personnes physiques mentionnées aux articles L. 224-1 et L. 224-3. »

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Cet amendement vise à la fois à renforcer la liberté de manifestation, qui est l’objet de ce texte, si j’ai bien compris, et de consolider les impératifs de sécurité publique, ce qui est l’autre objet de ce texte, si j’ai toujours bien compris.

Aujourd’hui, deux problèmes se posent. Le premier, vous l’avez signalé, monsieur le ministre, concerne la liberté de manifestation, qui est une valeur constitutionnelle. Nous regrettons que l’interdiction de manifester puisse être décidée par une seule personne, à savoir le préfet. Il nous semble important que la justice puisse aussi donner son avis et s’exprimer sur les éventuels recours qui seraient opposés à la décision du préfet.

Le second problème est lié aux recours, dans la mesure où il n’est prévu aucune restriction temporelle à la déclaration d’interdiction. De ce fait, malgré la possibilité d’un référé-suspension, les organisateurs des manifestations ou des déplacements collectifs, quand il s’agit de manifestations sportives, sont rarement en mesure d’exercer leurs droits.

Par ailleurs, nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises au cours de cette soirée, il convient d’engager une véritable réflexion sur les interdictions administratives de déplacements dans le cadre de manifestations sportives.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Cet amendement vise à confier au JLD, le juge des libertés et de la détention, le pouvoir d’interdire une manifestation. Ce pouvoir appartient aujourd’hui à l’autorité administrative, c’est-à-dire au préfet, sous le contrôle du juge administratif.

Une manifestation ne peut être interdite que si le maintien de l’ordre est absolument impossible. Il s’agit donc d’une mesure prise en dernier ressort et, dans les faits, très rarement décidée. Confier cette compétence au JLD porterait atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et entraînerait une regrettable confusion. Un juge des libertés et de la détention est mal placé pour apprécier si les moyens dont dispose la préfecture sont suffisants pour garantir, ou non, le maintien de l’ordre.

Il nous paraît donc préférable de conserver l’organisation actuelle, ce qui a conduit notre commission à émettre un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Je suis du même avis.

Le Sénat est très attaché à la responsabilité des maires, et j’ai moi-même été maire pendant seize ans. Aussi, j’ajoute que l’adoption de cet amendement priverait les maires d’une compétence, en supprimant le pouvoir dont ils disposent, au titre de l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, d’interdire des manifestations.

Il eût été malvenu que, devant cette assemblée, je ne m’exprime pas pour défendre le pouvoir des maires…

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 28.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 6 bis.

(Larticle 6 bis est adopté.)

Chapitre III

Responsabilité civile

Article 6 bis (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 7

(Non modifié)

Après le premier alinéa de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’État peut également exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable, dans les conditions prévues au chapitre Ier du sous-titre II du titre III du livre III du code civil. »

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.

M. François Grosdidier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me suis brièvement absenté, pendant l’interruption de séance, pour me rendre au Trocadéro, aux côtés des policiers en colère, qui organisaient une manifestation quatre mois jour pour jour après le décès de Maggy Biskupski. Cette dernière fut présidente de l’association « Mobilisation des policiers en colère ».

Ils regrettent que leur cause ait peu avancé depuis qu’ils la défendent et que les propositions de la commission d’enquête sénatoriale sur l’état des forces de sécurité intérieure aient été si peu suivies.

Ils s’interrogent d’ailleurs sur la commission d’enquête similaire créée à l’Assemblée nationale, se demandant si sa vocation ne serait pas plutôt d’éviter d’enquêter – une commission d’enquête de ce genre a été inventée sur un autre dossier… – ou si elle n’est qu’un prétexte pour gagner six mois ou un an avant de mettre en œuvre les mesures que les policiers appellent de leurs vœux.

Ils sont évidemment de tout cœur avec nous ; ils m’ont répété combien il était important que la République se dote d’un arsenal juridique nouveau et adapté, pour faire face à ces menaces récurrentes et à ces actes de violence dont ils font systématiquement l’objet, à chaque manifestation.

Nous avons adopté des mesures pour une meilleure prévention, pour empêcher les casseurs récurrents de participer aux manifestations et pour mieux les sanctionner. Il s’agit maintenant de traiter la question de la responsabilité.

En cette matière comme en d’autres, frapper au portefeuille est très souvent le moyen le plus efficace d’endiguer la délinquance. On a bien vu que, dans ces manifestations, l’irresponsabilité régnait : l’irresponsabilité, en particulier, de ceux qui, sans être organisateurs à proprement parler, lançaient les mots d’ordre de mobilisation. Et, très souvent, les dégradations commises – les montants en jeu étaient pourtant considérables – l’ont été sans que personne ne voie sa responsabilité civile engagée.

C’est là justement un point très important de la proposition de loi déposée par Bruno Retailleau : la possibilité d’engager la responsabilité civile des casseurs.

Même si cela choque certains à gauche, droite et gauche se retrouvent souvent sur les idées de liberté, d’égalité et de responsabilité. Parmi ces notions, néanmoins, l’une est en quelque sorte la marque de fabrique de la droite : la responsabilité. Nous pensons en effet que les individus sont responsables de leurs actes – les individus en général, et pas seulement les délinquants : je rappelle que c’est sur l’initiative du président Retailleau que nous avons inscrit dans le code civil la responsabilité écologique et le principe du pollueur-payeur.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. François Grosdidier. Il est donc temps d’instituer le principe de la responsabilité du casseur-payeur ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.

M. David Assouline. Quelque chose a été dit que l’on ne peut laisser sans réponse : M. Retailleau, et aussi, d’une certaine façon, M. le ministre, nous a dit que ce débat avait lieu entre les républicains et les autres.

M. Christophe Castaner, ministre. Je n’ai pas dit ça, moi !

M. David Assouline. Si, c’est à peu près ce que vous avez dit.

Il est normal, monsieur le ministre, que vous puissiez soutenir une proposition républicaine émanant de la droite. Et M. Retailleau a usé des mêmes arguments que vous pour défendre la République.

Je veux dire d’emblée qu’il n’y a sur ce point aucun débat entre nous dans cet hémicycle. Certains, dehors, sont contre la République. Il s’en trouve même ici, dans notre assemblée, mais ils ne siègent que rarement, en tout cas jamais tard dans la nuit… Mais nous, ici, sommes tous républicains. Et notre débat porte sur les meilleurs moyens de défendre la République.

M. François Grosdidier. Certains la défendent plus que d’autres !

M. David Assouline. J’ai dit quel était mon point de vue : le meilleur moyen pour défendre la République et la démocratie, dans cette situation, est de renforcer notre arsenal de libertés publiques et de libertés individuelles, plutôt que de l’affaiblir. C’est cet arsenal, en effet, que les casseurs testent, comme le font les terroristes : ils cherchent à alimenter le cycle provocation-répression et à provoquer les dérapages. Leur but est que nous abandonnions nos principes et nos lois démocratiques.

C’est là mon point de vue ; je ne conteste pas que des républicains puissent en avoir un autre. Voilà pour le débat qui a lieu dans cet hémicycle.

Monsieur le ministre, sur ADP et la privatisation des aéroports, je n’ai aucun problème à être du même avis que la droite républicaine contre votre projet de loi. Je ne saurais donc vous reprocher, sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui, de rejoindre ladite droite.

Je dis simplement que, de fait, vous avez commencé par contester cette proposition de loi venue de la droite.

M. Christophe Castaner, ministre. Non !

M. David Assouline. Et je n’ai pas compris le cheminement intellectuel qui vous a conduit à la reprendre, si ce n’est que la conjoncture vous y enjoignait. Loi de circonstance, donc : c’est cette critique que j’ai développée. Tel est mon point de vue, mon analyse, sur ce qui s’est passé. Et je vous demandais de dire davantage, à titre d’explication, qu’un simple « d’accord avec la commission », afin que nous comprenions votre cheminement intellectuel et les raisons de votre revirement.

Je souhaitais simplement remettre les idées en ordre s’agissant du débat qui opposerait les défenseurs de la République à ses contempteurs. Il est légitime d’évoquer ce débat. Mais, me semble-t-il, le chemin que vous empruntez aujourd’hui n’est pas le bon pour défendre la République et la démocratie. Nous en reparlerons demain : ce combat n’est pas derrière nous ; il est devant nous !

M. le président. L’amendement n° 30, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. C’est une citoyenne responsable qui propose en cet instant la suppression de cet article 7.

Si la jurisprudence a reconnu dès 1975 le principe de la responsabilité in solidum en dehors de la responsabilité collective conventionnelle ou contractuelle, ce principe doit être manié avec une extrême prudence. En effet, l’exigence de « faute collective » et de participation à cette dernière est difficilement lisible et contrevient dans de nombreux cas aux articles 1240 et 1241 du code civil. Le principe de la faute collective constitue une exception à la règle de responsabilité individuelle instituée par ces deux articles.

Or le présent article prévoit de renvoyer la prise de décision en matière d’action récursoire à l’État, et non à la justice. Il supprime en effet l’un des garde-fous aujourd’hui applicables, celui d’une responsabilité collective déterminée par le juge, qui procède à une mise en responsabilité via une condamnation pénale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Madame Assassi, votre amendement vise à supprimer l’article 7, au motif que celui-ci établirait une présomption de responsabilité civile collective.

J’aimerais attirer votre attention, et celle de l’ensemble de nos collègues, sur le fait que les travaux de notre commission ont fait disparaître du texte toute référence à une notion de responsabilité collective,…

M. Alain Richard. Absolument !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. … afin de garantir sa conformité avec nos règles constitutionnelles et avec les grands principes de la responsabilité civile.

Ainsi, une action récursoire ne pourra être engagée contre les manifestants à l’origine des dommages qu’en présence d’un fait générateur de responsabilité, d’un préjudice réparable et d’un lien de causalité entre le fait et ce préjudice.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, ministre. Nous pourrions être parfaitement d’accord, madame Assassi, si ce que vous indiquez correspondait à la réalité du texte ; or tel n’est pas le cas.

Il ne faut pas confondre faute collective et responsabilité solidaire. Cette proposition de loi ne caractérise aucune faute collective, ni même n’engage cette notion. Elle fait en revanche référence au principe de la responsabilité solidaire.

Il ne s’agit donc nullement ici, comme vous le dites, de la mise en œuvre d’un principe de faute collective, mais plutôt de la traduction d’un principe en vertu duquel tout fait dommageable engage la responsabilité de celui qui en est l’auteur et, en cas de pluralité d’auteurs, leur responsabilité solidaire.

L’article 7 ne porte que sur ce volet-là. Il est important de préciser que cela impliquera, dans tous les cas, que la responsabilité de l’auteur ou des auteurs soit identifiée par une condamnation pénale préalable et par d’autres moyens de preuve permettant de démontrer leur implication personnelle dans ces dommages. Il n’existe, en la matière, aucun risque d’arbitraire, les intéressés pouvant toujours contester leur mise en cause.

Voilà ce que dit le texte : il s’agit du principe du casseur-payeur, et seulement de celui-ci. La dimension collective ne porte en réalité que sur cette définition de responsabilité solidaire dans l’hypothèse où il existe une pluralité de responsables et où il est établi que chacun d’entre eux a contribué au fait sur lequel sa responsabilité est engagée.

A contrario, évidemment, j’aurais rejoint votre position, madame la sénatrice, si la notion de faute collective avait été en jeu dans ce texte.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 30.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 7.

(Larticle 7 est adopté.)

Chapitre IV

Application outre-mer

˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙˙

M. le président. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.

Vote sur l’ensemble

Article 7 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.

M. Jérôme Durain. Voici venue l’heure où l’on se répète, monsieur le président, mais je pense que ce n’est pas inutile sur un texte de cette importance. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je veux redire – nous avons eu l’occasion de le répéter tout au long du débat – qu’il n’y a dans notre position sur ce texte aucun angélisme. Nous n’avons aucune complaisance à l’égard des casseurs et des violences.

M. François Grosdidier. Mais vous ne proposez rien !

M. Jérôme Durain. Nous avons la ferme conviction qu’il faut soutenir nos forces de l’ordre. Nous ne sommes pas indifférents aux dégâts qui ont été causés. Mais nous ne sommes pas d’accord sur le résultat de ce travail législatif.

M. Jean-François Husson. En somme, vous êtes pour et en même temps vous êtes contre !

M. Jérôme Durain. Nous persistons à penser que ce texte est inutile, imprécis et dangereux.

M. François Grosdidier. Ce n’est pas ce que disent les policiers !

M. Jérôme Durain. Je pense d’ailleurs que dramatiser la situation ne rend service à personne. Dire que nous sommes arrivés à un point, dans l’histoire de ce pays, d’insurrection maximale, et qu’il n’y a jamais eu auparavant de violences de ce niveau-là, c’est dire quelque chose d’inexact – de nombreux exemples ont été donnés tout au long du débat. Dire, en revanche, que la violence que nous connaissons est insupportable et qu’elle doit être condamnée avec la plus grande sévérité, c’est dire quelque chose de juste.

Vous entendre dire, monsieur le ministre – c’est ce que vous avez affirmé quand vous êtes sorti de votre mutisme –, que tous ceux qui sont pour ce texte agissent dans la pureté de leurs convictions, loin des calculs politiques et dans le refus du sectarisme,…

M. François Grosdidier. Et dans le réalisme !

M. Jérôme Durain. … nous laisse quelque peu pantois.

Ce qui nous détermine, moi et mes collègues du groupe socialiste et républicain, ce sont par exemple les propos tenus ce matin par Jacques Toubon, qui parle d’un affaissement des libertés individuelles dans ce pays. Et, puisque vous prétendez que nous ne sommes mus que par des calculs politiciens, je citerai également MM. Mignard et Sureau, qui sont plutôt des soutiens du Gouvernement, M. Charles de Courson, ou encore l’ensemble des collègues des groupes de notre assemblée qui, dans ce débat, sur ce texte, sont partagés. Il n’y a donc pas la vérité et la République, d’un côté, et ceux qui sont dans l’erreur, de l’autre.

Nous pensons – je le répète – que ce texte est une entrave aux libertés de manifestation, d’expression, d’aller et venir, qu’il contient trop d’imprécisions, d’approximations, d’éléments flous, et qu’il n’exclut pas le risque d’arbitraire.

C’est pourquoi notre groupe déposera dès demain matin un recours devant le Conseil constitutionnel. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. Embouteillage de recours en perspective !

M. Jérôme Durain. Nous nous en remettons aux Sages et nous espérons qu’ils trancheront. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Nous avons bien compris que la majorité sénatoriale voulait voter ce texte conforme.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous n’avions rien caché de nos intentions !

Mme Éliane Assassi. Certes, monsieur le président de la commission, mais vous appuyez tout de même sur l’accélérateur.

Quant à vous, monsieur le ministre, permettez-moi de regretter que vous n’ayez pas eu la courtoisie de répondre aux intervenants des groupes à l’issue de la discussion générale, et je ne parle même pas de vos interventions au fil de la discussion des articles et du débat d’amendements.

Bien sûr, il n’y a là aucune obligation.

M. Christophe Castaner, ministre. Ce n’est pas dans l’usage !

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas dans notre règlement, et encore moins dans la loi. C’est une question de courtoisie, monsieur le ministre, tout simplement.

M. Christophe Castaner, ministre. Ce n’est pas dans vos usages. Sinon, je l’aurais fait volontiers.

Mme Éliane Assassi. Je ne pense pas que l’on puisse me faire l’offense de dire que je ne siège pas suffisamment sur ces travées. Je suis présente, y compris pour des textes qui ne relèvent pas forcément de la compétence de la commission des lois ou de celle de l’aménagement du territoire.

Il est très rare qu’un ministre ne réponde pas aux intervenants des groupes à l’issue d’une discussion générale ; c’est pourquoi je le note. (Marques de lassitude sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Dominique de Legge. On a compris !

Mme Éliane Assassi. Il n’y a aucune volonté de polémique dans cette remarque : c’est un fait. Chers collègues, que vous soyez d’accord ou non n’y change rien.

Sur le fond, loin de la rhétorique, les opposants à ce texte, au nombre desquels figurent les membres de mon groupe, ont porté non seulement leurs convictions, mais aussi la voix de celles et ceux, nombreux aujourd’hui dans le pays, qui pensent que ce texte ne répond en rien aux violences commises par des individus dans les manifestations.

En revanche, monsieur le ministre, ce texte va dissuader d’éventuels manifestants pacifiques de répondre à un appel à manifester.

M. Christophe Castaner, ministre. Ce n’est pas ce que je pense.

Mme Éliane Assassi. Ces dernières semaines vous donnent tort.

M. Christophe Castaner, ministre. C’est la violence qui dissuade les manifestants, pas ce texte !

Mme Éliane Assassi. Que vous le vouliez ou non, avec ce texte, vous portez un nouvel uppercut au droit de manifester dans notre pays.

M. Christophe Castaner, ministre. C’est faux !

Mme Éliane Assassi. Si, c’est vrai ! Quand vous aurez l’expérience des manifestations dont nous pouvons nous prévaloir, mes camarades et moi, nous en reparlerons.

M. Jérôme Durain. Et la Manif pour tous ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. En effet, je ne vous ai pas souvent vu, monsieur le ministre, dans les manifestations !

Je dirai un mot sur la saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République. Pour ma part, je ne considère pas qu’il y a là un manque de correction à l’égard du Parlement et en particulier du Sénat : c’est un acte politique fort.

Toutefois, comme le précise aujourd’hui Olivier Duhamel dans un quotidien du soir, comme on dit, le Président de la République retire de cette saisine un avantage politique et surtout juridique. En effet, quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel, la loi s’appliquera sans avoir à affronter le risque d’une QPC, une question prioritaire de constitutionnalité. Voilà où nous en sommes.

M. le président. Je vous remercie de bien vouloir conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. Je conclus en répondant à M. Retailleau. Cher collègue, avec toute l’estime que j’ai pour vous (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains),…

M. Jean-François Rapin. Quelle révélation !

Mme Éliane Assassi. … la République n’est pas la propriété de quelques-uns ! Nous sommes toutes et tous, ici, des républicains. Par-delà nos désaccords, créons les conditions de la préservation et de la protection de cette République. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole, madame Assassi…

La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.

M. François Bonhomme. Ce texte, qui arrive au terme de son parcours législatif, me paraît une réponse graduée et ciblée à un mode d’action violente qui n’est pas tout à fait nouveau – il a une quinzaine d’années –, réponse analogue à celle par laquelle nous avions su, il y a quelques années, endiguer le mouvement des hooligans. Il ne s’agit donc pas d’une loi de circonstance, à moins de considérer qu’une circonstance peut durer.

Au contraire, cette proposition de loi protège et garantit le droit de manifestation. Elle donne les moyens juridiques de distinguer objectivement le manifestant du casseur et de traiter cette dérive fâcheuse que constituent les casseurs professionnels, dont la raison d’être – je le rappelle – est de détruire tout ce qui s’apparente aux symboles du pouvoir et de l’État et de s’en prendre aux forces de l’ordre comme une cible en soi, avec, parfois, la volonté de tuer.

La responsabilité du Sénat, après qu’il s’est assuré que les principes fondamentaux inhérents au droit de manifester sont bien garantis, est de défendre nos concitoyens contre ceux qui prônent et usent d’une violence froide contre l’État, dévoyant ainsi ledit droit, élémentaire, de manifester.

J’ai eu plaisir à entendre l’acte de contrition de M. Castaner sur sa trajectoire politique personnelle et à constater que, finalement, on peut toujours changer. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe Castaner, ministre. Vous êtes le bienvenu, monsieur le sénateur !

M. François Bonhomme. Néanmoins, l’examen de ce texte fut surtout l’occasion pour moi de mesurer combien le réel peut se fracasser contre le mur de l’idéologie.

Notre pays, même et surtout après la discussion de cette proposition de loi, demeure l’un des États de droit les plus aboutis s’agissant du respect des droits de manifester et de contester : le pays où les forces de l’ordre sont les plus professionnalisées, où la doctrine d’emploi de la force légitime est la plus soucieuse de préserver l’intégrité humaine et les droits individuels.

Or, malgré toutes les précautions que nous avons prises en donnant différentes garanties, je n’ai entendu de l’autre côté de l’hémicycle – c’est ce qui m’a le plus surpris ce soir – que des fantasmagories, des lubies, qui sont sans doute le produit d’une gauche des années 1970 ou 1980 un peu nostalgique, la logomachie habituelle d’une gauche perdue s’accrochant aux images d’Épinal. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Patrick Kanner. C’est l’ancien monde !

M. François Bonhomme. Voilà le sentiment qui est le mien, ce soir, mes chers amis, à vous entendre parler de « frénésie sécuritaire » ou de « loi liberticide » et confondre des modes d’action catégoriels comme ceux des marins pêcheurs avec ceux auxquels nous devons faire face depuis une quinzaine d’années.

Mme Éliane Assassi. Les marins pêcheurs ont beaucoup cassé, eux aussi !

M. François Bonhomme. Quant au thème de la criminalisation des manifestants, j’y ai vu une simple déclinaison de la même rhétorique.

Je pense au contraire que c’est l’esprit de responsabilité qui a prévalu. Il y va, mes chers collègues, de notre honneur et de notre responsabilité de législateurs que de voter tout ce qui peut contribuer à la défense du droit de manifester et à celle de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.

Mme Laure Darcos. J’ai beaucoup de respect pour mes collègues communistes et socialistes ; je reconnais d’ailleurs, chez certains, l’accent de ceux qui ont vécu des manifestations et été sur des barricades. J’en conçois de l’estime pour eux.

Mme Éliane Assassi. N’exagérons rien !

Mme Esther Benbassa. Cela suffit, les sarcasmes !

Mme Laure Darcos. Je ne le dis pas du tout par ironie !

Mme Esther Benbassa. Ben voyons !

Mme Laure Darcos. Je suis historienne, et certains de vos collègues savent que j’ai même pétitionné pour que LHumanité continue à exister. Vraiment, vous le voyez, je n’ironise nullement.

Toutefois, je ne comprends absolument pas votre obstruction et votre démagogie depuis le début de l’après-midi.

M. David Assouline. Obstruction ?…

Mme Laure Darcos. Roger Karoutchi l’a dit : nous sommes nostalgiques de l’époque où vos manifestations se passaient de façon pacifique ; elles sont désormais obstruées par les casseurs.

Il faut rappeler, tout de même, que Bruno Retailleau a déposé cette proposition de loi après le 1er mai, jour de la fête du travail ! Pour vous, ça veut dire quelque chose : c’est la fête du salarié. Mais les Black Blocs ont tout détérioré. Nous avons été la risée du monde entier ; mon fils et ses amis ont été terrorisés de voir l’image que nous pouvions montrer de nous-mêmes.

Mme Éliane Assassi. La faute à qui ?

Mme Laure Darcos. Je ne comprends donc pas pourquoi vous n’êtes pas de notre côté pour faire la part des Black Blocs, ces casseurs qui sont là pour semer le chaos, et de ceux qui veulent réellement exprimer quelque chose en manifestant. C’est un point pour moi très important !

Vous dites que les violences existaient auparavant. Mais, à l’ère du tout-image et des réseaux sociaux, la violence est décuplée ; elle devient un engrenage. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

Mme Éliane Assassi. Ce sont les images qui vous ennuient !

M. David Assouline. Interdisez donc les réseaux sociaux !

Mme Laure Darcos. Vous affirmez que notre proposition de loi risque d’aggraver les exactions. Mais celles-ci sont perpétrées par des gens que l’on pourrait arrêter en amont, avant qu’ils ne gâchent les manifestations.

Mme Éliane Assassi. Pourquoi ne le fait-on pas ?

Mme Laure Darcos. Une autre chose me gêne : vous avez à peine eu un mot pour tous nos commerçants et artisans qui, pendant des mois, ont subi cette situation. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Jérôme Durain. Ce n’est pas vrai !

Mme Éliane Assassi. Vous m’avez mal écoutée !

M. David Assouline. Je suis élu de Paris : comment les aurais-je ignorés ?

Mme Laure Darcos. Lors de la discussion du projet de loi de finances, un vendredi soir, je me souviens avoir vu tout le quartier se barricader, comme en état de siège. Les gens en ont assez !

M. Jean Bizet. C’est vrai !

Mme Laure Darcos. Quand une manifestation est pacifique, les choses se passent très bien. Par ailleurs, toucher à un policier, à un pompier ou à un gendarme était considéré comme gravissime il y a encore quelques années ; aujourd’hui, c’est anodin.

Mme Éliane Assassi. Vous ne vous demandez pas pourquoi ?

Mme Laure Darcos. Les policiers seraient bien plus sereins s’ils faisaient face non pas à des casseurs, mais à des manifestants pacifiques, exprimant simplement leurs revendications.

N’inversez pas les choses, mes chers collègues ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. Avec tout mon respect, vous n’avez rien compris. Venez avec nous dans des manifestations pacifiques !

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour explication de vote.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, vous vous en doutez : les arguments que nous avons entendus ce soir n’ont pas fait évoluer, au sein de notre groupe, les positions des uns et des autres. Certains d’entre nous restent déterminés à voter pour ce texte ou à s’abstenir. La majorité du groupe votera contre.

Aucun amendement n’a été adopté, ce qui coupe court à la navette. Il s’agit, à nos yeux, du fait le plus dommageable, et la rédaction retenue ne permet pas de rassurer la majorité d’entre nous quant à l’applicabilité du texte, quant à sa conformité à notre cadre constitutionnel.

Nos inquiétudes se concentrent toujours sur les articles 2 et 4, pour toutes les raisons que nous avons mentionnées. Nous nous en remettons donc aujourd’hui au Conseil constitutionnel : nous espérons qu’il purgera ce texte de toutes les inconstitutionnalités identifiées, notamment, par notre rapporteur, faute d’avoir pu parvenir à le faire nous-mêmes.

Pour ma part, je n’ai pas le sentiment que les sénateurs du RDSE sont moins républicains que les autres… À mon sens, ils l’ont démontré de manière indéniable : ils ont, chevillée au corps, la défense de la République et des libertés individuelles !

Mme Françoise Gatel. Tout à fait !

Mme Maryse Carrère. Pour ces raisons, je le répète, une grande majorité d’entre nous voteront contre cette proposition de loi. Nous restons intimement persuadés qu’elle n’aura aucun effet face aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés actuellement ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – MM. Philippe Bonnecarrère et Loïc Hervé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Mes chers collègues, le débat qui s’achève a été pluraliste, complet et détaillé ; et, bien que nous n’ayons pas adopté d’amendement, il a permis de clarifier un certain nombre de concepts.

Nous nous accordons tous sur ce point : le droit de manifester est, aujourd’hui, réellement menacé. La récurrence des violences organisées en est la preuve concrète, et elle impose de réagir.

Notre désaccord vient du fait que, pour bon nombre d’entre nous, la justice seule peut mettre fin à ces actes. Or l’expérience nous l’a démontré, en de multiples circonstances : parmi les auteurs de ces violences et de ces destructions, nombreux sont ceux qui parviennent à échapper à une enquête judiciaire complète et, partant, aux condamnations.

D’une part, nous avons légèrement élargi l’arsenal pénal : les dispositions adoptées sont tout à fait proportionnées et limitées. D’autre part, nous avons introduit des mesures de contrôle administratif. À cet égard, j’adresse un rappel à ceux d’entre nous qui s’intéressent à la jurisprudence du Conseil constitutionnel : l’ordre public est un impératif de valeur constitutionnelle. Ce principe est rappelé dans des dizaines de décisions du Conseil constitutionnel.

Dès lors, nous devons veiller à maintenir un équilibre, qui est le fruit de la tradition juridique française : l’ordre public et la sécurité sont assurés par des décisions discrétionnaires de l’autorité publique, sous le contrôle vigilant d’un juge. C’est ce principe que nous avons appliqué à un phénomène que nous voulons entraver, parce qu’il menace la vie démocratique de ce pays.

Avec une nette majorité des membres du groupe que je représente, j’estime donc qu’il faut approuver cette proposition de loi. Non seulement ses dispositions seront appliquées dès que le juge constitutionnel les aura appréciées, mais – tous ceux qui ont l’expérience de quelques alternances le savent –, ce texte sera là pour longtemps ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe de lUnion Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. En entendant Mme Darcos, on avait l’impression que, si l’on s’opposait à ce texte, l’on trouvait nécessairement normal qu’il y ait des casseurs, qu’il y ait des Black Blocs, qu’il y ait de la violence…

M. Jean-Paul Émorine. Ce n’est pas ce que l’on a dit !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Par fatalisme, l’on estimerait qu’il n’y a rien à faire : non ! Absolument pas ! Nous sommes totalement hostiles à de telles violences, qui, la plupart du temps, disqualifient les causes de manifestations auxquelles, parfois, nous participons.

Nous posons simplement les questions suivantes : comment faire, concrètement, pour éviter de tels actes ? Quel prix sommes-nous prêts à faire payer à la société française, au titre des droits fondamentaux et des libertés publiques, pour contrecarrer l’action d’une très petite minorité, fût-elle très dangereuse ? Voilà l’enjeu ; c’est une question d’équilibre.

M. Richard vient de dire : pour ceux qui sont comptables de l’ordre public, la sécurité ouvre le champ des décisions discrétionnaires. Mais la loi doit l’encadrer ! Or qu’observe-t-on ? Que, de plus en plus, le champ discrétionnaire s’accroît ; que l’on n’est pas plus efficace pour combattre la violence ; et que, petit à petit, s’érodent les principes sur lesquels se fonde la confiance en la République. Les droits et libertés individuels, ces biens qu’il faut à tout prix préserver, sont menacés dans le monde d’aujourd’hui.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous dites : « Vous êtes la vieille gauche des années soixante-dix. » Moi, je n’ai pas honte de représenter la vieille gauche, celle des principes de Jaurès !

Jaurès, déjà, s’opposait à la droite. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Grosdidier. Jaurès, ce n’est pas les années soixante-dix ! Vous confondez avec Jean-Paul Sartre.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il s’indignait quand, sous prétexte de lutter contre les violences, l’on enfermait les meneurs des mouvements ouvriers !

Nous poursuivons un vieux combat, face au parti de l’ordre,…

M. Guy-Dominique Kennel. Bonjour la caricature !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. … qui a toujours peur de celui qui revendique ses droits !

De votre côté, vous représentez bien la droite d’aujourd’hui ; celle qui fait de complaisantes courbettes en direction du Front national… (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Oh !

M. François Bonhomme. Voilà ! Vous confirmez ce que nous disions !

M. Alain Joyandet. C’est vous, la gauche, qui avez fait monter le Front national pour tenter de gagner les élections !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je préfère la droite de M. de Courson, je préfère la droite qui s’en tient aux principes fondamentaux de notre République, à celle qui cède à la facilité et qui, finalement, sombre dans l’impuissance, que ce soit devant les thèses de l’extrême droite ou devant les casseurs !

M. François Grosdidier. Quelle caricature !

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. David Assouline. Je connais Mme Darcos et je sais qu’elle est profondément républicaine. Mais, parfois, on veut faire un peu de zèle dans l’hémicycle et l’on dérape.

M. Guy-Dominique Kennel. Qui a dérapé ?

M. David Assouline. Très franchement, on ne peut pas dire des élus parisiens qu’ils n’ont pas eu un mot pour les commerçants : Paris, c’est ma ville, notre ville, et elle a été, jour après jour, la proie des destructions.

M. François Bonhomme. Parmi d’autres villes !

M. David Assouline. Mes chers collègues, chaque samedi après-midi depuis des semaines, j’appelle plusieurs fois mon fils pour savoir où il est, s’il n’est pas pris dans une nasse, s’il n’est pas confronté à tel ou tel acte de violence.

Ce qui est arrivé à un philosophe, personnage public reconnaissable dans la rue, peut nous arriver à nous-mêmes : à ce moment de la semaine, en se promenant dans les rues, on peut être pris à partie par des énergumènes, dont je précise que ce n’étaient pas des Black Blocs.

M. David Assouline. Très souvent, ces individus agissent même à visage découvert ; mais ils se révèlent très dangereux ! Ils s’attaquent aux élus, aux juifs, à tout ce qui peut incarner la démocratie.

C’est une erreur que de croire qu’avec une telle proposition de loi vous allez juguler ce phénomène français, européen et même mondial.

M. François Grosdidier. Alors, on ne fait rien ?

M. David Assouline. Si, cher collègue, mais ne croyez pas que ce texte va changer la situation : c’est une illusion !

Là est notre désaccord. Selon nous, une telle législation risque même de nous affaiblir face à ce phénomène. Notre drapeau, ce qui fera notre force pour résister à ceux qui veulent remettre en cause la démocratie, ce sont nos libertés, ce sont les principes fondamentaux de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ils sont à la base de notre Constitution et, parmi les droits fondamentaux, figure notamment le droit de manifester.

Je le dis et je le répète : c’est avec nos principes que nous résisterons le mieux à ces gens-là !

Ne faisons à personne le procès d’être plus ou moins républicain.

M. François Grosdidier. On ne fait que cela !

M. David Assouline. Monsieur Grosdidier, malheureusement, ce combat est devant nous, et nous verrons, y compris dans cet hémicycle, qui consacrera toute son énergie à la défense de la République, dans les moments les plus dangereux pour nous et pour elle !

Quoi qu’il en soit, il faut briser l’engrenage. Hier, les terroristes ont fait subir des épreuves inouïes à notre démocratie.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. David Assouline. Aujourd’hui, la question se pose d’une autre manière. (Marques dimpatience sur des travées du groupe Les Républicains.) Mais la réponse, c’est toujours la défense de la démocratie et de nos principes fondamentaux !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote. (Mme Esther Benbassa sexclame.)

Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, ici, nous sommes tous des républicains.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Françoise Gatel. Depuis le début de nos débats, chacun, à sa façon, défend les valeurs de la République. Je le salue, en toute sincérité : nos valeurs sont notre honneur, celui de notre République ; elles sont aussi notre force.

Néanmoins, précisément parce qu’elles sont notre honneur, sachons également reconnaître, avec tristesse, avec regret, avec nostalgie, monsieur Assouline, que la société a profondément changé et que nos valeurs sont aujourd’hui attaquées ; quelques malfaisants en viennent à vouloir leur destruction : ce sont des ennemis de la démocratie, et leur seul but est de l’ensevelir.

Défendre nos valeurs, c’est aussi accepter que certains d’entre nous osent agir différemment, avec force, en s’opposant à ces malfaisants, à ces démolisseurs de la démocratie, qui instrumentalisent nos libertés et manipulent ceux qui utilisent leur droit de manifester, droit que nous devons protéger.

Comme d’autres, je citerai le territoire dont je suis l’élue. J’ai en tête le souvenir de samedis tragiques dans la ville de Rennes. J’ai l’image de saccages, de manifestations, d’agressions contre des policiers, dans le sillage des mouvements de Notre-Dame-des-Landes, contre le projet de réforme du droit du travail, ou dans le cadre des manifestations actuelles. Je l’affirme : ces casseurs sont les professionnels d’une guérilla que nous n’osons pas nommer, parce que nous refusons d’admettre que de tels faits puissent se produire.

Aussi, malgré la fragilité constitutionnelle de cette proposition de loi, telle qu’elle est revenue de l’Assemblée nationale et telle que la commission des lois l’a adoptée, nombre de mes collègues centristes et moi-même voterons ce texte.

M. Michel Vaspart. Très bien !

Mme Françoise Gatel. Je suis, moi aussi, une républicaine ; or cette proposition de loi ne s’attaque pas à la liberté de manifester. Au contraire, elle protège la liberté de manifester et s’oppose aux casseurs qui en veulent à notre démocratie ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Didier Rambaud applaudit également.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Très bien !

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 65 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l’adoption 210
Contre 115

Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations
 

8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 13 mars 2019 à quatorze heures trente :

Explications de vote des groupes puis vote sur la deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants (texte de la commission n° 362, 2018-2019).

Explications de vote des groupes puis vote sur la proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit par l’abrogation de lois obsolètes, présentée par M. Vincent Delahaye, Mme Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 366, 2018-2019).

Débat sur « La juste mesure du bénévolat dans la société française ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quinze.)

 

nomination dun membre dune délégation sénatoriale

Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Josiane Costes est membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de M. Jacques Mézard.

 

Direction des comptes rendus

ÉTIENNE BOULENGER