Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Éric Bocquet, Mme Catherine Deroche.

1. Procès-verbal

2. Questions d’actualité au Gouvernement

amélioration des relations entre la police et les citoyens

M. Olivier Léonhardt ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.

situation du groupe renault

M. Éric Bocquet ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Éric Bocquet.

situation financière des collectivités territoriales en outre-mer à la suite de la covid-19

Mme Viviane Artigalas ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer ; Mme Viviane Artigalas.

étiquettes politiques des maires

M. Jean-Pierre Decool ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.

situation dans les banlieues

M. Arnaud Bazin ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.

avenir du groupe renault

M. Jean-François Longeot ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Jean-François Longeot.

cas de covid-19 en guyane

M. Thani Mohamed Soilihi ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.

visites ministérielles

M. Hugues Saury ; Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.

situation de renault

Mme Martine Filleul ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

restriction de produits anesthésiques

Mme Sonia de la Provôté ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Sonia de la Provôté.

relocalisation en france et en europe de l’approvisionnement des médicaments

Mme Christine Herzog ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; Mme Christine Herzog.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

3. Mise au point au sujet d’un vote

4. Communication d’un avis sur un projet de nomination

5. Quelles nouvelles politiques publiques à destination de la jeunesse dans la prise en charge des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire ? – Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain

Mme Annie Guillemot, pour le groupe socialiste et républicain

M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse

Débat interactif

M. André Gattolin ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. André Gattolin.

Mme Céline Brulin ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Céline Brulin.

Mme Colette Mélot ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Colette Mélot.

Mme Jocelyne Guidez ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Mme Dominique Estrosi Sassone ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Claudine Lepage ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Claudine Lepage.

Mme Guylène Pantel ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. Olivier Henno ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Olivier Henno.

M. Stéphane Piednoir ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Stéphane Piednoir.

Mme Corinne Féret ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Corinne Féret.

M. Guillaume Chevrollier ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Guillaume Chevrollier.

Mme Viviane Artigalas ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

M. François Bonhomme ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. François Bonhomme.

Mme Marta de Cidrac ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Marta de Cidrac.

M. Marc Laménie ; M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Marc Laménie.

Conclusion du débat

Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain

M. Gabriel Attal, secrétaire d’État

Suspension et reprise de la séance

6. Imposition de solidarité sur le capital. – Rejet d’une proposition de résolution

Discussion générale :

M. Vincent Éblé, auteur de la proposition de résolution

M. Éric Bocquet

M. Emmanuel Capus

Mme Sylvie Vermeillet

M. Vincent Segouin

M. Patrick Kanner

M. Jean-Claude Requier

M. Julien Bargeton

Mme Sophie Taillé-Polian

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution

Rappel au règlement

M. Patrick Kanner ; Mme la présidente.

Vote sur l’ensemble

Rejet, par scrutin public n° 110, de la proposition de résolution.

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Éric Bocquet,

Mme Catherine Deroche.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement, sous le format adapté que nous avons défini en mars dernier, qui a évolué et qui évoluera encore.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires en vigueur depuis le mois de mars.

J’invite chacun à respecter les gestes barrières. Je rappelle que les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle. Pour les membres du Gouvernement, elles se feront par le devant de l’hémicycle.

Je salue ceux de nos collègues qui ont accepté de participer à cette séance depuis les tribunes qui leur sont réservées. Ils sont naturellement pleinement présents dans l’hémicycle.

Je rappelle également que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

amélioration des relations entre la police et les citoyens

M. le président. La parole est à M. Olivier Léonhardt, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Olivier Léonhardt. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Monsieur le ministre, j’avais prévu depuis plusieurs jours de vous interroger sur les tensions grandissantes dans les relations entre la police et les citoyens. J’avais d’ailleurs signé durant le confinement, avec de très nombreuses personnalités, un appel dont vous avez été destinataire sur les problèmes de racisme qui existent au sein de la police (M. Bruno Retailleau sexclame.) et qu’il me semble urgent d’affronter avec vigueur.

Cela étant, je veux aussi, bien sûr, affirmer avec force qu’il n’est pas possible de laisser toute une institution républicaine – la police nationale et ses agents – salie par les comportements intolérables d’une infime minorité. Nous savons l’importance des missions exercées par nos forces de l’ordre. La sécurité est en effet le premier des droits, notamment pour nos concitoyens les plus fragiles. (M. le Premier ministre acquiesce.) C’est également la garantie de notre liberté.

Nous savons aussi combien la mission de la police est difficile depuis malheureusement de trop nombreuses années, et ce quelle qu’ait été la couleur politique des gouvernements qui se sont succédé. Les conditions de travail de nos policiers se dégradent : manque de moyens, manque d’effectifs, manque de reconnaissance, pression liée au contexte politique mouvementé ou au terrorisme.

Dans ce cadre explosif, la dégradation des relations entre la police républicaine et nos concitoyens, qui n’a cessé de s’aggraver durant les semaines de confinement, a été malheureusement trop souvent reléguée au second plan.

C’est pour cette raison, mais aussi du fait du contexte international, que la manifestation d’hier devant le tribunal de Paris a trouvé un écho important. Je condamne bien entendu fermement les violences qui sont survenues à la fin de ce rassemblement. Il est pourtant impératif, voire urgent, à la fois de répondre aux inquiétudes des policiers et d’agir avec force pour garantir l’exemplarité de leur action.

Monsieur le ministre de l’intérieur, quels moyens sont prévus pour permettre aux forces de l’ordre de travailler sereinement ? Pouvez-vous nous préciser si le stock de plusieurs millions d’heures supplémentaires dues aux agents va enfin être payé ?

M. le président. Il faut conclure !

M. Olivier Léonhardt. Enfin, quelles nouvelles actions sont envisagées pour lutter contre les problèmes de violence et de racisme au sein de la police nationale ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Léonhardt, pour défendre cette institution de la police républicaine, que vous avez saluée dans son quotidien et à laquelle nous rendons tous hommage ici, il convient d’être particulièrement exigeant.

Il faut faire en sorte que chaque faute, et il peut y en avoir, chaque excès, chaque mot, y compris des expressions racistes, fasse l’objet d’une enquête, d’une décision et d’une sanction.

Je suis intransigeant sur le sujet des policiers qui fauteraient, car nous avons l’exigence de garantir la sérénité du travail de l’ensemble de la police et de la gendarmerie. Ce qui est essentiel, c’est d’assurer la défense de cette police républicaine qui, au quotidien, combat le racisme, l’antisémitisme et s’engage pour défendre l’honneur de la République.

M. Bruno Retailleau. Très bien !

M. Christophe Castaner, ministre. Il s’agit non pas de faire des amalgames, mais de dénoncer tout propos ou tout comportement inapproprié. S’il y a faute, elle doit être sanctionnée, comme c’est d’ailleurs systématiquement le cas.

Le Défenseur des droits rendait, il y a quelques jours, un rapport sur des faits qui remontent à plusieurs années ; les policiers incriminés ont fait l’objet d’une peine d’emprisonnement de quatre mois !

Il y a quelques semaines, à Marseille, des policiers ont eu un comportement et ont commis des gestes inacceptables. Sur décision de justice, un d’entre eux a été condamné à quarante mois d’emprisonnement, pour avoir transporté une personne contrôlée de force en dehors de la ville de Marseille. Ces faits sont inacceptables : ils font l’objet de sanctions.

Nous devons être vigilants, mais aussi attentifs, en nous engageant, pour répondre à votre question, auprès de la police et de la gendarmerie.

Depuis 2017, le budget de la police et de la gendarmerie a augmenté de 1 milliard d’euros, ce qui est significatif. Depuis 2017, nous avons lancé un programme de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires pour tous les services, qu’il s’agisse du renseignement, mais aussi de la police de sécurité du quotidien.

Monsieur le sénateur, pour clore mon propos, je vous renvoie non pas aux commentaires, mais à la réalité d’analyses sérieuses.

Récemment, l’université Savoie Mont-Blanc a travaillé sur le rapport entre les citoyens et la police : 48 134 personnes ont été interrogées dans ce cadre, et 85,3 % d’entre elles ont une opinion très positive ou positive de la police nationale et de la gendarmerie. C’est cela la réalité, ce ne sont pas les commentaires médiatiques. La réalité, elle ne se fait pas sur les réseaux sociaux ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. J’appelle chacun à bien respecter son temps de parole.

situation du groupe renault

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Éric Bocquet. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Le groupe automobile Renault vient d’annoncer la suppression de 4 600 emplois dans notre pays. Bien au-delà des effets de la pandémie en cours, nous payons là le choix des délocalisations massives vers les pays à bas coûts pratiquées ces deux dernières décennies. Les menaces pesant sur l’avenir de certains sites suscitent, on l’a constaté, d’énormes inquiétudes dans les territoires concernés : Maubeuge, malgré les annonces récentes, mais sans réelle garantie au-delà de 2023, Choisy-le-Roi, Flins, Caudan ou encore Dieppe.

Le chiffre d’affaires de Renault fut de 55 milliards d’euros en 2019. L’État actionnaire a annoncé l’octroi d’une garantie publique de 5 milliards d’euros. M. Jean-Dominique Senard, président de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, a déclaré sur France Info, lundi soir, que cette garantie ne s’accompagnait pas de « contraintes difficiles ».

Madame la secrétaire d’État, quelles contraintes allez-vous imposer au groupe Renault ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le sénateur Bocquet, je sais votre attachement à Renault : vous êtes un élu du Nord, et ce département compte deux sites extrêmement importants, Maubeuge et Douai. Le premier, qui produit notamment la Kangoo, est aujourd’hui l’un des sites français les plus productifs.

Bruno Le Maire a réuni hier l’ensemble des organisations syndicales et des élus pour faire prendre des engagements à Renault. Je vous rappelle que le prêt garanti par l’État n’était pas encore signé hier. Ce sont ces engagements-là que nous prenons en donnant cette garantie.

Jean-Dominique Senard a été très clair.

Premièrement, Renault est en grande difficulté, je crois que nous pouvons tous nous accorder sur ce point. L’entreprise aborde la crise en difficulté. Nous avions appris au moment de l’annonce des résultats pour 2019 qu’elle perdait beaucoup d’argent ; elle continue à en perdre dans le cadre de la crise du Covid-19.

Deuxièmement, Renault lance un plan mondial de réduction des coûts. Ce plan concerne certes la France, mais aussi d’autres pays. La question est non pas de délocaliser des productions, mais de faire face à une diminution du nombre d’achats de voitures. Renault peut produire 5 millions de voitures ; malheureusement, elle n’en vendra peut-être que 3 millions, 3,2 millions ou 3,4 millions cette année. On voit bien là l’écart de production par rapport aux capacités industrielles.

Troisièmement, Jean-Dominique Senard s’y est engagé, les suppressions d’emplois en France ne s’accompagneront pas de licenciements secs. C’est son engagement, et nous le suivrons de très près, car c’est notre travail. S’agissant du site de Maubeuge, il a pris là encore des engagements fermes visant à donner en 2023 un avenir à ce site et à continuer d’y maintenir des activités.

Dernier point, Renault s’est engagé à relocaliser des productions en France, notamment en ce qui concerne la traction électrique, et à investir dans la batterie électrique, ce projet européen qui est si important pour notre industrie automobile. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.

M. Éric Bocquet. Madame la secrétaire d’État, les sites de production des modèles Twingo, Clio et Dacia sont implantés en Turquie, en Roumanie et en Slovénie. Ces usines tournent sept jours sur sept et sont surchargées.

Il faut décider de relocaliser la production de 300 000 de ces véhicules, afin d’apporter de la commande aux sites de production de notre pays. Il convient dans le même temps de réorienter la production vers des modèles hybrides, électriques et thermiques à prix modique, afin d’accélérer la transition énergétique. Cela pose aussi en creux la question du pouvoir d’achat.

Personne ne comprendrait que l’argent public ne serve qu’à accompagner les suppressions d’emplois. Notre industrie automobile mérite un autre développement, un autre avenir et un engagement fort et déterminé de l’État actionnaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

situation financière des collectivités territoriales en outre-mer à la suite de la covid-19

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Viviane Artigalas. Ma question s’adresse à Mme la ministre des outre-mer.

Membre de la délégation sénatoriale aux outre-mer, je me fais ici la porte-parole de mes collègues de Guadeloupe et de Martinique, qui s’inquiètent pour l’avenir budgétaire des collectivités des outre-mer.

C’est dans un contexte de chute brutale des rentrées fiscales que le Premier ministre a annoncé ce vendredi une garantie des recettes pour les outre-mer : 110 millions d’euros pour les communes ; 40 millions d’euros pour les régions et collectivités uniques. Ce sont des mesures que nous avions très tôt proposées et que nous sommes aujourd’hui satisfaits de voir actées.

Toutefois, vous nous proposez une enveloppe de 150 millions d’euros, alors que notre collègue sénateur Georges Patient, auteur d’un rapport sur le sujet, parle pour sa part de 200 millions d’euros, d’autres experts avançant même la somme de 240 millions d’euros. Nous sommes donc encore manifestement très loin du compte !

Outre ces premières mesures, des experts, mandatés par Bercy, ont également commis un rapport qui vous propose de remplacer l’octroi de mer par des points de TVA supplémentaires.

Madame la ministre, évitons-nous ce débat déstabilisant et anxiogène. Nos collègues vous demandent d’écarter cette option mortifère, qui n’a fait l’objet d’aucune consultation. Au lieu de réformer l’octroi de mer, ils vous proposent de rattraper le niveau des dotations de péréquations : versez, dès cette année, les 85 millions d’euros qui font défaut aux outre-mer.

Ils vous suggèrent également de préfinancer le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) pour toutes les collectivités ultramarines, et pas seulement pour Mayotte.

Ils souhaitent que soient versées de manière anticipée certaines ressources aux collectivités, comme la dotation globale de fonctionnement (DGF), et que soient intégralement compensés les allégements de taxe de séjour et de cotisation foncière, que vous encouragez par ailleurs.

Ils vous demandent enfin d’anticiper la crise sociale à laquelle feront face les départements et de supprimer les contrats du pacte de Cahors.

Madame la ministre, quelle réponse pouvez-vous faire à ces légitimes demandes ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Les mesures annoncées par le Premier ministre vendredi, et que vous avez évoquées, madame la sénatrice, sont des mesures exceptionnelles, historiques. Vous comme moi, nous sommes investies dans la vie politique depuis de nombreuses années. Pour ma part, je suis engagée depuis 2000, et je n’en ai jamais vu de telles, y compris après la crise de 2008. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est exceptionnel, c’est historique !

Pour les territoires ultramarins, l’effort est à la hauteur des besoins. Vous avez évoqué un certain nombre d’évaluations : ce ne sont que des évaluations. Nous nous sommes effectivement mis d’accord avec l’ensemble des collectivités pour les réaliser, mais nous avons aussi décidé que le rendez-vous serait fixé à la fin de l’année.

Qu’est-ce qui a été annoncé par le Premier ministre vendredi ? Il est important de rappeler que les communes des départements d’outre-mer (DROM) obtiendront une compensation des pertes, notamment sur l’octroi de mer et sur le carburant, qui sera totale.

Il en sera exactement de même pour les régions ultramarines, qui bénéficieront de cette garantie spécifique de prise en charge par l’État. Bien sûr, il faut une évaluation ; celle-ci a été chiffrée : le rapport du député Cazeneuve nous a servi de base, mais les débats continuent, et nous aurons l’occasion d’en reparler.

J’y insiste : aucune collectivité n’est oubliée. Je vous rappelle que la Nouvelle-Calédonie, comme la Polynésie française, a fait une demande de prêt garanti par l’État. Nous avons accordé 240 millions d’euros à la Nouvelle-Calédonie dans le PLFR 2. Nous sommes en train de négocier pour inscrire le cas de la Polynésie française dans le PLFR 3.

Par ailleurs, les petites collectivités régies par l’article 74 de la Constitution sont également prises en compte dans leurs spécificités, notamment quand elles ont des ressources qui proviennent d’une forme d’octroi de mer ou de taxes sur les carburants.

Par conséquent, c’est la première fois que l’on embrasse la totalité des territoires ultramarins et que l’on est aux côtés de tous les territoires. Il faut, je crois, s’en féliciter.

Néanmoins, je n’ai pas oublié vos autres demandes, madame la sénatrice. Bien sûr, nous sommes aux côtés des collectivités depuis le début. J’ai d’ailleurs fait en sorte que le fonds exceptionnel d’investissement (FEI) de 110 millions d’euros, soit attribué en totalité aux différentes collectivités dès le mois de février, soit dès le début de la crise, pour que ces dernières puissent agir, dès le déconfinement, afin de relancer les marchés publics et l’économie de leur territoire.

Avec l’Agence française de développement, nous avons annoncé un milliard d’euros de soutien aux collectivités et aux entreprises, somme disponible à partir de cette semaine. Nous avons mis en place d’autres formes d’accompagnement, et le Gouvernement n’a pas terminé l’ensemble de ses annonces en la matière, puisque le Premier ministre reprendra la parole sur ce sujet.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Annick Girardin, ministre. Pour l’outre-mer, notre réflexe est le suivant : nous sommes aux côtés des collectivités, comme cela n’était jamais arrivé dans l’Histoire !

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Je vous remercie de vos réponses, madame la ministre. Nous comptons sur vous pour continuer en ce sens.

Je tiens tout de même à souligner que l’urgence est de prévenir tous les risques d’incapacité budgétaire, en permettant aux collectivités d’outre-mer de sortir de l’ornière et de retrouver des marges de manœuvre.

En effet, vous n’êtes pas sans savoir que l’investissement et l’économie des outre-mer dépendent essentiellement de la commande publique. Nous comptons sur vous pour aller plus loin. Et surtout, ne rouvrez pas le débat sur l’octroi de mer ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

étiquettes politiques des maires

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

M. Jean-Pierre Decool. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

C’est un parlementaire quelque peu décontenancé qui vous interroge, monsieur le ministre, à propos de la reconnaissance des élus locaux sans étiquette. Ces derniers représentent, excusez du peu, près de 85 % des élus locaux dans le département du Nord.

Il y a quelques années, j’avais plaidé avec Alex Türk, mon prédécesseur, ainsi qu’avec la fédération des élus non inscrits du Nord, en faveur de l’instauration officielle de la qualité d’élu « sans étiquette ». C’était en 2003 !

En 2010, le Conseil d’État avait rejeté le recours formulé contre l’impossibilité pour les élus d’être reconnus et classés « sans étiquette ».

Ce combat ancien, nous pensions le partager avec vous, monsieur le ministre. Lorsque mon collègue Dany Wattebled vous a interrogé sur votre volonté d’intégrer cette rubrique dans les documents des élections municipales de 2020, vous sembliez ouvert à la discussion – « à notre écoute », pour reprendre l’expression que vous aviez utilisée !

Votre circulaire tant décriée du 10 décembre 2019 apportait un début de réponse, en supprimant le nuancement politique pour les candidats dans les communes de moins de 9 000 habitants.

La circulaire a été suspendue par le Conseil d’État. Celle du 3 février a rabaissé le seuil aux communes de moins de 3 500 habitants, hors chefs-lieux de canton. Nous n’avons pas crié victoire, mais nous pensions que le concept d’élu « sans étiquette » était acquis.

Or, depuis quelques jours, j’ai un horrible doute. Certains maires m’ont fait part de leurs déceptions et de leurs interrogations en remplissant le document de déclaration des résultats. Dans celui-ci, leur étiquette politique leur est demandée, y compris dans les communes de moins de 3 500 habitants.

Ma question est donc claire : votre circulaire du 3 février 2020 s’adresse-t-elle aux déclarations de candidature et aux documents de résultats des élections ou s’adresse-t-elle uniquement aux seules déclarations de candidature ? Il semble que les interprétations soient différentes selon les endroits.

Plus clairement, dans les communes de moins de 3 500 habitants, hors chefs-lieux d’arrondissement, les élus qui le souhaitent peuvent-ils choisir de ne pas avoir de nuance politique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur, vous l’aviez bien compris, l’objet de la circulaire que j’ai signée était d’éviter que les préfets seuls ne décident du nuançage politique dans les communes de plus de 9 000 habitants (M. Philippe Dallier ironise.), c’est-à-dire dans un très grand nombre de communes.

En effet, la réalité, à laquelle j’ai été confrontée pendant les dix-sept ans où j’ai été maire d’une commune de 5 000 habitants, c’est que l’on peut avoir une étiquette politique personnelle, mais pas dans sa fonction, ni même dans le cadre de la liste que l’on conduit.

Le débat a eu lieu, il a été très médiatisé et très repris. J’ai essuyé quelques reproches…

M. Philippe Dallier. Justifiés !

M. Christophe Castaner, ministre. … et j’ai donc j’ai abaissé le seuil à 3 500 habitants, conformément à la décision du Conseil d’État.

Vous l’avez rappelé, il existe une différence entre l’étiquette politique, qui est déclarative, et le nuançage, qui relève depuis longtemps de l’appréciation des préfets. Effectivement, un certain nombre d’élus ne se retrouvent pas forcément derrière une étiquette politique. On les invite donc à en déclarer une. Ils peuvent effectivement ne pas y parvenir, mais les préfets – c’est l’usage, et je ne voudrais pas rouvrir ce débat – doivent nuancer.

La règle qui s’appliquera dans les jours qui viennent est la même que celle qui a été retenue en 2014 et dans les années précédentes.

Depuis 2014, les 37 165 maires qui ont été en fonctions, y compris en raison d’une démission, d’un décès ou d’un remplacement, ont fait l’objet de cette nuance par les préfets, et 26 689, soit 72 % d’entre eux, ont été classés « divers ».

Certes, il ne s’agit pas de l’appellation « sans étiquette », mais il me semble que vous vous retrouverez dans cette appellation « divers », qui ne permet pas d’identifier politiquement un candidat selon le schéma que nous connaissons au sein de la représentation nationale ou dans les partis politiques, mais qui correspond à l’expression des maires ne voulant pas se reconnaître dans telle ou telle étiquette politique.

L’instruction que je donne au moment où je vous réponds et que je confirmerai si c’est nécessaire est la suivante : les préfets doivent être à l’écoute des maires désignés par le conseil municipal ; la qualification « divers » relève de leur appréciation, et nous devons l’entendre. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

situation dans les banlieues

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour le groupe pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Arnaud Bazin. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Monsieur le ministre, il se développe en France chez certains de nos concitoyens un sentiment d’impunité, qui n’est d’ailleurs pas qu’un sentiment. Il se développe une réelle impunité, la violence et la menace ayant depuis longtemps pris la place de la loi et de forces de l’ordre de plus en plus spectatrices de situations qui leur échappent. L’autorité de l’État, à leurs yeux, n’est plus qu’un mot.

À force de laisser faire, d’excuser et de ne rien faire, l’État a perdu le contrôle. Nous récoltons les fruits amers de nos renoncements.

L’une de nos collègues, Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val-d’Oise, est aujourd’hui victime de cette violence et de ces intimidations, qui touchent tous ceux qui représentent l’État ou les pouvoirs publics. Ceux qui n’acceptent pas une décision prise par la mairie de sa ville ont choisi de s’en prendre à notre collègue.

Vendredi dernier, elle a été copieusement insultée.

Lundi, un groupe d’une quarantaine de personnes a fait le siège de son domicile, l’empêchant de sortir de chez elle, allant jusqu’à la menacer de s’en prendre à sa mère âgée, qui habite un quartier d’HLM de la ville. Avant que ce groupe, qui déambulait dans la ville, n’arrive devant son domicile, la police municipale avait pourtant prévenu la police nationale de ses intentions.

Hier, ce même groupe a recommencé sa bruyante déambulation, bloquant la circulation, s’installant sur plusieurs giratoires, pour finir par revenir devant le domicile de notre collègue et y proférer des menaces.

Aujourd’hui notre collègue ne peut plus circuler librement dans sa ville.

Hier, une manifestation interdite en plein état d’urgence sanitaire, qui a réuni 20 000 personnes devant le palais de justice de Paris, a dégénéré. La justice y était accusée de couvrir la gendarmerie dans un dossier que, hélas, je ne connais trop que bien sur le plan local.

Quelle inversion des valeurs ! Ce sont désormais les voyous qui tiennent la dragée haute aux représentants de l’État, aux forces de l’ordre. L’impunité leur donne toute leur force. Ces voyous savent qu’ils ne risquent rien : la politique de votre gouvernement est de vider les prisons.

Monsieur le ministre, où est l’État ? Qu’est devenue l’autorité de l’État ? (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur, je ne partage pas votre vision.

Certes, les faits que vous évoquez, notamment en ce qui concerne votre collègue sénatrice, sont totalement insupportables, inacceptables ! J’ai d’ailleurs demandé au préfet de prendre langue avec elle, afin que tous les moyens soient évidemment mis en place pour garantir sa liberté d’expression, sa liberté de dire et de combattre, comme elle le souhaite, comme elle le veut, non pas seulement parce qu’elle est sénatrice – ce serait déjà une excellente raison –, mais tout simplement parce que, dans ce pays, nous devons garantir la liberté d’expression de chacun.

Néanmoins, je ne peux pas vous laisser dire que les voyous tiennent aujourd’hui la dragée haute à notre police où à notre gendarmerie. Chaque jour, chaque nuit, chaque fois que la police est appelée, elle vient. Chaque fois, elle intervient.

On a beaucoup évoqué ces derniers jours, comme hélas depuis de longues années, la question des violences urbaines. Comme vous, je les dénonce, mais je fais en sorte que la police soit renforcée.

J’évoquais notre décision de procéder à 10 000 recrutements, qui sont nécessaires pour que nous soyons présents partout, y compris dans les quartiers. Et nous sommes présents partout, y compris dans les quartiers !

N’analysons pas les événements médiatiques comme une ligne ou une tendance en matière de violence urbaine. Par rapport à l’année dernière, nous nous situons sur une constante, y compris d’ailleurs pendant la période du confinement, excepté en Île-de-France, où nous avons connu une augmentation significative des incidents – cela n’a pas été le cas sur l’ensemble du territoire national.

Force est de constater que, chaque fois, la police et la gendarmerie, malgré le risque de guet-apens – quelque 120 guets-apens ont été identifiés pendant la période du confinement –, sont intervenues.

Je ne voudrais pas non plus laisser penser qu’il n’y a eu aucune interpellation. Au contraire, plus de 300 individus ont été interpellés pendant la seule période du confinement, dans le cadre de ces violences urbaines. Des condamnations à la prison ferme ont déjà été prononcées, avec dépôt immédiat et écrou immédiat ; voilà la réalité !

Il n’empêche que c’est un combat que nous devons mener, pas seulement, monsieur le sénateur, par l’interpellation, mais aussi par la prévention et par la présence policière. Je ne souhaite pas opposer la nécessité d’une police de sécurité du quotidien, qui s’appuie sur le travail des élus pour porter une ambition pour les quartiers les plus difficiles de notre pays, et la légitime répression. Les deux doivent aller de pair.

avenir du groupe renault

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Ma question s’adressait à Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, et je tiens à y associer pleinement ma collègue Valérie Létard, sénatrice du Nord, qui est présente dans nos tribunes, ainsi que notre collègue Jacques Le Nay.

M. le ministre Bruno Le Maire a signé hier le prêt garanti par l’État de 5 milliards d’euros pour aider le groupe Renault, qui était déjà en grande difficulté avant la crise du Covid-19.

À cette occasion, il a rappelé les garanties sociales associées audit prêt, telles que le maintien de l’emploi et de l’activité industrielle sur le site de Maubeuge au-delà de 2023. Ces garanties sont rassurantes, et nous veillerons particulièrement à ce que le rendez-vous d’étape fixé dans six mois ne les remette pas en cause, car nous estimons qu’elles sont consubstantielles à un tel soutien public massif.

En effet, ce prêt intervient quatre jours à peine après l’annonce d’un plan de restructuration et la suppression de 4 600 emplois en France, pour un fleuron industriel national.

Ce prêt intervient également sept jours après la présentation d’un plan de soutien massif à l’industrie automobile, qui devait être la rampe de lancement d’une souveraineté économique retrouvée… Ce plan, et plus globalement la stratégie de l’État actionnaire, parviendront-ils, au pire, à empêcher la désindustrialisation hexagonale, au mieux, à permettre la relocalisation dans notre pays d’une partie de la production ? Et si oui, laquelle ?

Enfin, entre un plan de soutien à l’automobile, qui se veut un véritable pacte, et ce nouveau prêt, quelles garanties l’État actionnaire a-t-il obtenues en termes d’emplois, d’aménagement du territoire, de traitement des sous-traitants et de vision stratégique d’avenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Alain Richard applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le sénateur Jean-François Longeot, vous l’avez dit, Renault perd de l’argent. Ses capacités de production en France représentent un peu plus de 1 million de voitures ; cette année, l’entreprise en produira à peu près 600 000. Cela signifie qu’elle est en situation de surcapacité massive, ce qui n’est ni votre faute ni la mienne.

Entre la crise du Covid et la course au volume, Renault possède une infrastructure industrielle beaucoup trop importante par rapport au nombre réel de ses clients.

Renault lutte pour sa survie, mais l’industrie automobile, plus largement, joue également une partie difficile : il s’agit sans doute de la crise la plus grave de toute son histoire. Cette industrie représente 800 000 emplois en France – 400 000 dans l’industrie et 400 000 dans les services –, ce qui justifie de lancer un plan de relance automobile qui soit à la hauteur des enjeux.

Ce plan vise non pas à sauver seulement les meubles en soutenant des entreprises en difficulté, mais à construire l’avenir, c’est-à-dire à positionner Renault et l’industrie automobile française parmi les leaders en matière de véhicules électriques et autonomes, en accompagnant la transition de ces entreprises.

Vous avez évoqué la situation des sous-traitants. Nous demandons à Renault, à Peugeot et aux sous-traitants de premier rang d’accompagner la transformation industrielle des sous-traitants de deuxième et troisième rangs, ces PME et ces ETI (entreprises de taille intermédiaire) implantées dans nos territoires. Voilà une première réponse.

La deuxième réponse concerne les contreparties, lesquelles représentent, au-delà de celles que j’ai mentionnées à propos des sous-traitants, plus de 1 milliard d’euros d’investissements pour relocaliser en France des productions de Renault, Peugeot, Faurecia, Plastic Omnium et Valeo.

Ce sont des mesures concrètes. Nous allons continuer à travailler aux côtés de la filière, car la bataille sera de tous les instants.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. Si nous menons cette tâche à bien, nous parviendrons à maintenir au plus haut niveau notre présence industrielle dans le secteur de l’automobile. (M. Alain Richard applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.

M. Jean-François Longeot. J’ai bien entendu votre réponse, madame la secrétaire d’État, mais préparer l’avenir, cela signifie prendre des mesures concrètes.

Nous devons préparer notre future politique environnementale, par exemple en faisant de notre pays le leader dans le domaine du recyclage des batteries. C’est très important, car nous ne devons pas être à la remorque d’autres pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

cas de covid-19 en guyane

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche.

M. Thani Mohamed Soilihi. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé, et je me fais ici la voix de mon collègue Antoine Karam.

Le 28 mai dernier, M. le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre, avez présenté la carte de la seconde phase du déconfinement. Si presque toute la France est passée au vert, Mayotte et la Guyane sont, avec l’Île-de-France, désormais classées au niveau de vigilance orange.

Mayotte est le territoire d’outre-mer le plus touché par le Covid-19. Plus de 1 993 cas y ont été identifiés et 24 décès sont à déplorer.

En Guyane, le virus s’est considérablement propagé ces dernières semaines, pour atteindre 517 cas positifs, dont 1 décès. Vous le savez, cette progression de l’épidémie n’est pas sans lien avec l’inquiétante situation sanitaire de son voisin brésilien. L’État d’Amapá, à lui seul, compte en effet près de 9 900 cas positifs, 222 décès et un système de santé totalement saturé.

Le virus ne s’embarrassant pas des frontières, les communes de Saint-Georges de l’Oyapock et de Camopi sont rapidement devenues les deux premiers clusters de Guyane.

En réponse, la mobilisation récente de la réserve sanitaire est venue renforcer une campagne massive de tests déployée dans l’Est guyanais, campagne qui reste cependant limitée au sol français.

À Mayotte, ces actions rapidement mises en place commencent à porter leurs fruits, et, hormis le cluster important récemment découvert à la prison de Majicavo, la situation semble se stabiliser. Mais en Guyane, considérant la porosité de la frontière, nous pouvons nous interroger sur l’efficience de mesures qui se limiteraient à la seule rive française de l’Oyapock. Il y va de la protection de la population de l’Est guyanais, bien entendu, mais pas seulement, puisque la circulation du virus s’intensifie dans l’ensemble du territoire.

Pouvez-vous nous dire comment le Gouvernement entend faire évoluer la stratégie sanitaire en Guyane, au regard de la poussée de l’épidémie au Brésil ? Un dispositif de coordination et de mutualisation des moyens ne pourrait-il pas être mis en œuvre, dans le cadre de la coopération transfrontalière ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Thani Mohamed Soilihi, je vous remercie de votre question, qui fait écho à l’inquiétude des habitants et des élus. La situation en Guyane est en effet particulière, du fait de sa frontière avec le Brésil, pays où la situation sanitaire, vous l’avez dit, est inquiétante et évolutive. Il y a désormais plus de 500 cas de Covid-19 en Guyane, même si, vous avez raison, peu sont graves à ce stade, ce qui est heureux.

Vous m’interrogez à juste titre sur les moyens mis en place pour lutter efficacement contre l’épidémie.

Ces moyens sont d’abord humains, grâce à la réserve sanitaire. L’équipe de 12 réservistes en poste à Saint-Georges de l’Oyapock sera relayée la semaine prochaine. À Camopi, une autre équipe de 12 réservistes est en mesure d’intervenir, y compris sur l’ensemble du fleuve Oyapock.

Une équipe d’une vingtaine de réservistes, extrêmement réactive, est actuellement déployée vers Cayenne et se déplacera partout où des cas apparaîtront, notamment le long du fleuve Maroni.

Au-delà des dispositifs humains, des renforts sont apportés à certains établissements, comme celui d’Iracoubo, afin de protéger l’ouest de la Guyane encore épargné par l’épidémie. Le centre hospitalier de Cayenne bénéficie aussi d’un soutien, car l’épidémie de dengue y a touché plusieurs soignants qu’il faut remplacer.

Au niveau des moyens techniques, la politique de tests a pris de l’ampleur, d’abord grâce au fret sanitaire. L’agence régionale de santé (ARS) est très mobilisée, ainsi que la préfecture et Santé publique France. En Guyane, trois laboratoires ont développé des drives, pour faire davantage de tests.

En ce qui concerne les renforts matériels, j’ajoute que 13 respirateurs ont été envoyés au centre hospitalier de Cayenne, afin que celui-ci puisse accueillir davantage de patients sévèrement atteints. Les capacités d’isolement des malades ont également été augmentées. Plus d’une centaine de patients sont désormais hébergés, à leur demande, dans un hôtel.

M. le président. Il faut conclure !

M. Olivier Véran, ministre. Enfin, nous faisons acte de solidarité et de coopération avec nos voisins brésiliens, notamment l’hôpital de l’Oyapock, qui a bénéficié de matériels de protection sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

visites ministérielles

M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hugues Saury. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.

Lorsqu’un ministre se déplace, les moyens de la République, c’est-à-dire ceux qui appartiennent à la Nation tout entière, sont mis à sa disposition. Il devrait, dans ces conditions, se faire un devoir de laisser de côté toute attitude qui conduirait à privilégier les représentants d’une chambre plutôt que ceux d’une autre, ou, pire, à favoriser sa famille politique.

Alors que les déplacements se multiplient, les modalités de leur organisation nous laissent désormais songeurs. Ainsi les préfets précisent-ils par écrit que, dorénavant, compte tenu des conditions sanitaires et du maintien des gestes barrières, le choix a été fait qu’un seul député représenterait l’ensemble des parlementaires, députés et sénateurs, toutes tendances politiques confondues. C’est pour le moins restrictif !

M. Hugues Saury. Le hasard faisant bien les choses, il semblerait que les circonscriptions concernées par ces visites ministérielles soient, très majoritairement, celles qui sont détenues par les députés de La République En Marche ou de votre majorité. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Dallier. C’est un pur hasard !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Quel mauvais esprit !

M. Hugues Saury. Madame la secrétaire d’État, j’ai personnellement vécu cette situation lors de la visite à Orléans de MM. Riester et Lemoyne, venus rencontrer les professionnels du tourisme et de la culture, puis, de nouveau, lors d’une visite ministérielle ce matin même, à la base aérienne d’Orléans-Bricy.

Cette éviction de la représentation nationale n’est pas propre à mon département. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

Mes collègues de Saône-et-Loire, des Yvelines, de la Haute-Garonne, de l’Oise et d’autres départements ont vécu ces derniers jours exactement la même situation. Ils sont devenus personæ non gratæ, leur présence républicaine n’étant pas la bienvenue. Mon collègue du Doubs a même été congédié par le préfet alors qu’il participait à une manifestation patriotique ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

La dérive est donc nationale, et l’initiative ne peut plus venir seulement d’un préfet zélé. S’agit-il alors d’une instruction gouvernementale qui viserait à écarter les sénateurs ? (Mêmes mouvements.) Aucun parti ne peut être la République à lui seul !

Pensez-vous, madame la secrétaire d’État, qu’il soit légitime de privilégier les députés, la plupart du temps de votre majorité, et de décider qu’ils représentent à eux seuls toutes les sensibilités, ainsi que, à la fois, l’Assemblée nationale et le Sénat ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, SOCR et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État, porte-parole du Gouvernement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Grosperrin. C’est le Premier ministre qui devrait répondre !

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire dÉtat auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Hugues Saury, je vous remercie de votre question, qui va me permettre d’éclaircir l’organisation des déplacements des membres du Gouvernement.

M. François Bonhomme. À la bonne heure !

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire dÉtat. Il faut distinguer deux périodes. La première fut celle du confinement (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), durant laquelle les déplacements ministériels ont été évidemment réduits au strict nécessaire,…

M. Jean-François Husson. Et même à leur plus simple expression !

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire dÉtat. … comme vous l’aurez sans doute constaté.

Nous avons alors décidé de consignes nationales permettant de diminuer au maximum les délégations ministérielles, mais également les délégations accueillant les ministres sur place. Une exception a été faite pour les élus dont la présence était rendue obligatoire par leurs fonctions, par exemple parce qu’ils siègent au conseil d’administration d’un établissement. Cela se comprenait aisément, compte tenu de la situation particulière que nous vivions. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Depuis le 11 mai, cette situation particulière perdure malgré tout, même si les conditions sanitaires se sont améliorées au fur et à mesure du temps.

Au fond, depuis le 11 mai, ce qui doit dominer, c’est l’intelligence collective. (Rires et exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

M. Philippe Dallier. En l’occurrence, c’est plutôt l’intelligence sélective !

M. Marc-Philippe Daubresse. Et même l’intelligence restrictive !

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire dÉtat. Nous devons nous soumettre, en tant que ministres, aux conditions sanitaires qui sont imposées à l’ensemble des Français : la distanciation physique et le respect des gestes barrières. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe SOCR.)

Pour chaque déplacement ministériel, on examine donc sa nature et les lieux visités, selon qu’ils sont situés à l’intérieur ou à l’extérieur, et on se demande s’il est nécessaire qu’un grand nombre de personnes accompagne le ministre.

L’application stricte des mesures de distanciation et des gestes barrières doit être notre priorité, pour que ces déplacements ministériels se déroulent dans de bonnes conditions. (Brouhaha croissant sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je conçois aisément, monsieur le sénateur, qu’il soit parfois difficile de comprendre ces situations, qui peuvent créer des frustrations et de l’incompréhension.

M. Bruno Retailleau. Cette réponse mérite un zéro pointé !

M. Jacques Grosperrin. C’est honteux !

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire dÉtat. Néanmoins, il ne faut y voir ni malice politique ni application d’un quelconque privilège ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains se lèvent et quittent lhémicycle.)

Je m’étonne que, dans une enceinte démocratique, d’aucuns quittent ainsi la salle !

Les préfets font œuvre de discernement et se fondent sur le décret du 13 septembre 1989 relatif aux cérémonies publiques, préséances, honneurs civils et militaires,…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire dÉtat. … pour déterminer qui doit être présent lors de ces visites, l’objectif étant de respecter les gestes barrières.

situation de renault

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Martine Filleul. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Je m’exprime au nom du groupe socialiste, plus particulièrement au nom de mes collègues de Seine-Maritime et du Val-de-Marne.

L’État a garanti un prêt de 5 milliards d’euros à Renault, tandis que ce groupe annonçait un plan d’économie prévoyant 4 600 suppressions de postes en France et la restructuration de 6 usines.

Nous nous félicitons que la colère des salariés de Maubeuge et la mobilisation des élus du territoire, parmi lesquels je me trouvais samedi dernier, aient été entendues et que des garanties aient été apportées. Néanmoins, nous restons vigilants, d’autant plus que d’autres sites sont en sursis.

À Dieppe, il n’y a aucune garantie de la pérennité de l’usine Renault Alpine. À Choisy-le-Roi, la fermeture de ce modèle d’économie circulaire est une aberration. Sans compter la cession de la Fonderie de Bretagne, à Caudan, et les craintes pesant sur Cléon et Sandouville…

Nous ne pouvons nous en satisfaire et demandons des contreparties socialement ambitieuses, avec le maintien de tous les emplois et de tous les sites. Les relocalisations devraient le permettre. Il faut en effet rompre avec trente ans de délocalisations !

Nous avons besoin d’un État qui favorise un large investissement et insuffle une stratégie pour la filière automobile et la réindustrialisation du pays, qui accélère la recherche-développement afin de favoriser l’innovation au service de l’écologie.

L’industrie, particulièrement le secteur automobile, doit se verdir pour respecter l’accord de Paris et l’engagement de mettre fin à la vente de véhicules thermiques.

Madame la secrétaire d’État, l’État, actionnaire majoritaire de Renault, va-t-il imposer des exigences écologiques ? Les aides publiques aux entreprises seront-elles enfin conditionnées au respect de critères sociaux et environnementaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Madame la sénatrice Martine Filleul, le plan de relance automobile annoncé par le président de la République répond très directement à vos préoccupations, que je partage. L’avenir de la filière automobile, c’est effectivement le verdissement et l’innovation.

Qu’il s’agisse de ce plan de 8 milliards d’euros, du projet européen pour la production de batteries électriques, auquel Renault participera, ou des aides prévues pour aider tous les Français, et pas seulement les plus modestes, à acheter des véhicules électriques ou hybrides rechargeables, donc moins polluants, qui apportent un bénéfice en termes d’émissions de CO2, toutes ces mesures vont dans le bon sens, celui du verdissement de l’industrie automobile.

Nous avons également mis en place des soutiens importants à l’innovation. Je veux ainsi souligner l’effort d’accompagnement des projets de véhicules à hydrogène.

La voiture de demain, c’est non seulement le véhicule vert, mais aussi le véhicule autonome, et il est important que la France construise sa souveraineté en la matière. On connaît le retard de l’Europe et de notre pays en matière de gestion des données et de grandes plateformes numériques. Ce virage du numérique appliqué à l’industrie, nous ne devons pas le rater !

Enfin, l’un des grands volets du plan concerne les relocalisations et le capital humain. Sur le premier point, nous avons pris des engagements, que j’ai cités : 1 milliard d’euros d’investissements, la relocalisation en France de la production de véhicules électriques ou de chaînes de traction électriques.

Nous allons désormais déployer l’ensemble de ce plan, afin que notre industrie automobile soit au niveau des défis qui l’attendent.

restriction de produits anesthésiques

M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sonia de la Provôté. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé, et j’y associe ma collègue Nadia Sollogoub.

La tempête du Covid-19 à peine passée, hôpitaux et cliniques doivent désormais reprendre leur activité, car nombreux sont les malades qui ont dû attendre. Dans ce contexte est paru, le 23 avril dernier, un décret visant à réquisitionner cinq produits d’anesthésie en pénurie.

Depuis lors, la situation sur le terrain est illisible. Les pharmacies hospitalières ne peuvent plus commander ces produits, puisque l’État en détient désormais le monopole d’achat et de livraison, la gestion en local se faisant via les ARS. Le but était de rendre prioritaires les établissements les plus touchés par l’épidémie.

Les faibles taux d’approvisionnement imposés ont créé de très fortes tensions dans les territoires. Ces dernières semaines, nombreux ont été les établissements de soins insuffisamment approvisionnés. Beaucoup d’interventions ont dû être décalées. Certains hôpitaux sont rationnés, d’autres sont livrés, mais sans que l’on sache comment est faite la répartition…

Des alternatives dégradées de prise en charge sont mises en place ; c’est un réel recul, avec des risques pour les patients. Une nouvelle crise sanitaire se profile.

La situation est urgente dans certains départements. Les pharmaciens hospitaliers, en lien direct avec les besoins, sont dans un carcan, et celui-ci ne permet ni la réactivité ni la souplesse qui sont nécessaires, pour ne pas dire vitales.

Faute de transparence et de dialogue sur la gestion, les disparités se creusent, l’équité face aux soins est mise à mal. Même la perspective d’une éventuelle seconde vague ne saurait justifier cette situation.

Monsieur le ministre, le stock national est-il reconstitué, comme cela semblerait logique ? Quelles sont les clés de répartition actuelles qui créent des disparités délétères ?

Les besoins sur le terrain pour les patients autres que ceux atteints du Covid sont réels. Quand pensez-vous mettre un terme au contingentement actuel et redonner la main aux acteurs de terrain dans les établissements de santé ?

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Sonia de la Provôté, je comprends votre question, car, sur l’ensemble du territoire, de nombreux médecins font part de leur émoi et de leurs questionnements.

De quoi parlons-nous ? Le Premier ministre et moi-même l’avons déjà dit à plusieurs reprises au cours des dernières semaines, la consommation de certains médicaments anesthésiques a augmenté de 2 000 %. Elle demeure très élevée dans certaines régions du monde, notamment le Brésil et les États-Unis, où l’épidémie fait rage. Les consommations de médicaments de réanimation sont priorisées par les grands laboratoires internationaux pour sauver des vies, ce que l’on peut comprendre.

Nous mettons tout en œuvre, semaine après semaine et jour après jour, pour reconstituer un stock national qui nous permette de voir loin, dans l’hypothèse d’une augmentation de l’épidémie, et de faire bénéficier les patients d’opérations chirurgicales réglées et programmées, comme c’est habituellement le cas dans notre pays.

Un médicament pose problème, le propofol, que l’on ne peut pas fabriquer du jour au lendemain, car ses matières premières sont très rares à l’échelle mondiale. Tous les pays font face à cette pénurie, qui complexifie énormément la situation. Je remercie d’ailleurs de leur patience les chirurgiens, qui sont contraints de reporter une partie de leur reprise d’activité.

Je sais qu’il existe des disparités territoriales. La réquisition dont vous parlez correspond plutôt à une gestion nationale du stock et des commandes. Celle-ci vise, premièrement, à sécuriser les commandes à l’international passées auprès de très gros laboratoires qui font face à une demande explosant partout sur la planète. Il s’agit, deuxièmement, de gérer les stocks de façon rigoureuse pour reconstituer notre capacité nationale de réponse, au cas où se produirait de nouveau un afflux de malades en réanimation, et pour permettre à chaque établissement d’assurer tout ou partie de son activité chirurgicale.

Hélas, madame la sénatrice, pour ce qui concerne le propofol, la situation ne reviendra pas à la normale avant plusieurs semaines. Il faudra attendre cet été pour que reprenne une chirurgie programmée à 100 %. Néanmoins, s’agissant de l’anesthésie locorégionale, de la chirurgie d’urgence et de la chirurgie carcinologique, l’activité se poursuit ; elle n’a d’ailleurs jamais été suspendue, y compris pendant la période épidémique.

Je vous prie de croire que nous mettons tout en œuvre pour sécuriser les commandes et importer massivement ces produits.

Votre question touche à des problématiques que nous avons déjà abordées dans cette enceinte : l’autonomie de la France et de l’Europe concernant ces médicaments absolument indispensables et vitaux. Nous ne devons pas reproduire les erreurs du passé ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour la réplique.

Mme Sonia de la Provôté. Monsieur le ministre, il faudrait redonner de l’autonomie sur le terrain, car l’architecture du système est en inadéquation avec la décision nationale en termes de répartition.

Bon nombre des acteurs concernés considèrent qu’il y a une absence de transparence et que la répartition est inégalitaire. Les choses devraient au moins se dérouler de façon claire, pour qu’il n’y ait pas de perte de chance d’un territoire à l’autre.

Enfin, au moment du Ségur de la santé, il conviendrait de s’interroger sur l’administration centrale hospitalière et l’administration régionale de la santé, pour redonner force et pouvoir aux acteurs de terrain dans le domaine de la santé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

relocalisation en france et en europe de l’approvisionnement des médicaments

M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Mme Christine Herzog. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

La crise sanitaire a mis en évidence la pénurie de certains médicaments essentiels, ainsi que les failles de notre système d’approvisionnement. Le problème n’est pas nouveau, puisque la fabrication des molécules de médicaments est aujourd’hui délocalisée à 80 %.

Les stocks de nombreux traitements dépendent de réseaux de distribution internationaux, et certains médicaments, notamment des génériques, sont fabriqués uniquement en Inde ou en Chine. Cette dépendance portant sur des produits stratégiques est d’autant plus inquiétante que notre pays ne dispose pas des chaînes de production nécessaires.

Nous savons que la relocalisation est un processus long et complexe. Toutefois, il serait possible d’envisager un rapatriement progressif sur le territoire français et européen.

La fabrication de molécules majeures, par exemple celles qui sont utilisées dans le traitement du cancer ou de longues maladies, doit faire partie des priorités, tout comme la production de médicaments génériques, aujourd’hui sous-traitée à 100 % et qui devrait, au moins en partie, être relocalisée sur le sol français.

N’oublions pas que cette pénurie a créé de graves tensions lors de la prise en charge des maladies liées au Covid. En mars dernier, les hôpitaux européens, notamment ceux de Paris, ont alerté les pouvoirs publics sur le manque de médicaments essentiels dans les unités de soins intensifs et de réanimation. Ce type d’alerte doit impérativement être pris au sérieux si l’on veut éviter de reproduire les mêmes erreurs.

Je souhaite connaître, madame la secrétaire d’État, vos intentions en la matière, et savoir si le Gouvernement a déjà entrepris les démarches concernant la relocalisation de la production de médicaments sur notre territoire et au niveau européen.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Madame la sénatrice Christine Herzog, je vous remercie de souligner qu’il n’est pas si facile de réimplanter et de relocaliser des industries pharmaceutiques en France et en Europe.

Confrontés à cette situation, nous avons demandé voilà quelques mois – c’était avant la crise du Covid-19 – à M. Jacques Biot de faire un rapport sur les pénuries de médicaments et la stratégie à mettre en place pour réimplanter des sites de production en France et en Europe. Je crois en effet que, sur ce sujet, il faut avoir une approche européenne. La crise du Covid-19 a renforcé notre appréciation en ce sens, ainsi que la conviction de nos homologues européens, lesquels étaient peut-être moins interventionnistes en la matière.

Vous avez raison, il faut relocaliser la production de principes de base en France et en Europe, afin d’éviter que nous ne soyons dépendants à l’égard d’un seul pays et qu’une crise géopolitique, sanitaire ou climatique, entre autres, ne bloque l’approvisionnement.

Quel que soit le domaine, mieux vaut prévoir un approvisionnement double et de proximité. On a pu constater ce qui se passait lorsque la logistique cessait de fonctionner…

Par ailleurs, nous allons réfléchir à l’évolution de la politique du médicament. Olivier Véran partage l’idée selon laquelle l’industrie et la santé doivent travailler main dans la main pour que soient envisageables la réimplantation de sites en France et l’anticipation du coût de production français.

Nous souhaitons également participer au lancement d’un IPCEI, ou projet important d’intérêt européen commun, pour la santé, c’est-à-dire un programme permettant de soutenir massivement un secteur, à l’instar de ceux que nous avons lancés pour les batteries électriques ou la microélectronique.

Mes homologues autrichien et allemand sont parfaitement en phase avec ce projet. Il ne reste plus qu’à le mettre en œuvre rapidement. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog, pour la réplique.

Mme Christine Herzog. Madame la secrétaire d’État, depuis plusieurs années, des médicaments pour le traitement des maladies graves sont en rupture de stock. Ces pénuries font courir des risques importants aux malades, mais également à notre pays.

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 10 juin 2020, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 108 du 28 mai dernier, M. Jean-Noël Guérini souhaitait voter pour.

Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010, adoptées pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable, par 9 voix pour, aucune voix contre et 4 bulletins blancs, sur la nomination de Mme Isabelle Falque-Pierrotin aux fonctions de président du collège de l’Autorité nationale des jeux.

5

Quelles nouvelles politiques publiques à destination de la jeunesse dans la prise en charge des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire ?

Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe socialiste et républicain, sur le thème : « Quelles nouvelles politiques publiques à destination de la jeunesse afin d’aider ces publics particulièrement exposés dans la prise en charge des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme Annie Guillemot, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Annie Guillemot, pour le groupe socialiste et républicain. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quoi de plus important, quoi de plus essentiel que la jeunesse et son avenir ?

Débattre de la jeunesse, ainsi que des nouvelles politiques que nous devons mettre en œuvre à l’endroit de cette dernière, renvoie tant à la nécessaire solidarité intergénérationnelle et sociale qu’à une impérieuse nécessité, qui conditionnera notre futur immédiat et, plus encore, notre avenir à moyen et long termes.

Je partirai d’un postulat, sans lequel il me semble impossible de débattre et de construire de nouvelles politiques pour la jeunesse ; il s’agit d’affirmer et, surtout, d’inscrire dans les faits que, comme Jean Jaurès le disait au sujet de la nature humaine, nous devons faire un large crédit à notre jeunesse.

Faire confiance à la jeunesse et la soutenir, cela relève de l’urgence, car, si les jeunes sont heureusement les moins touchés par la pandémie, ils sont malheureusement en première ligne de la crise économique et sociale dont nous redoutons l’ampleur.

Si nous avons voulu ce débat sur le thème : « Quelles nouvelles politiques publiques à destination de la jeunesse ? », c’est que nous estimons que la situation sociale n’a pas été suffisamment prise en compte par le Gouvernement, alors qu’il faut anticiper et aider les plus fragiles à traverser la crise.

L’augmentation du chômage nécessite des mesures fortes pour empêcher de nombreux jeunes de basculer dans la précarité. La crise sanitaire que nous traversons se double en effet d’une crise économique et sociale, dont nous ne pouvons que redouter les effets dévastateurs. Il faut faire, là aussi, jouer la solidarité nationale.

Le plan de sortie du confinement doit s’accompagner de mesures d’urgence renforcées pour éviter qu’une crise sociale durable ne s’installe ; il faut ainsi compléter la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 d’un titre dédié aux mesures d’urgence sociale pour les jeunes. Cette urgence sociale a été relayée, depuis des semaines, par les acteurs de la solidarité, mais également par les associations d’élus.

Nous estimons que l’État, garant de la solidarité nationale et de la justice sociale, doit intervenir et mettre en œuvre des politiques publiques ancrées dans le quotidien des jeunes.

Quel sens, quelle valeur donner à ces politiques publiques qui se définissent avant tout comme la réduction des écarts, c’est-à-dire l’attention aux plus fragiles, aux plus déshérités pour lutter contre les inégalités sociales et spatiales ? Quelle place accorde-t-on, dans notre politique d’emploi et de logement et dans notre système de protection sociale, à notre jeunesse, qui est particulièrement exposée aux conséquences de la crise sanitaire ?

En effet, les jeunes de 18 à 25 ans, qui constituent 30 % des salariés des entreprises durement touchées par le confinement – restaurants, commerces et centres de loisirs –, ont été privés de revenus, alors que 670 000 étudiants en dépendent pour leurs besoins les plus essentiels – alimentation, logement, habillement – et que 20 % des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté.

Quelque 30 % des 18-22 ans pensent ne pas trouver de job cet été et 15 % d’entre eux ont vu leur stage être annulé, sans solution de rechange. Nombreux seront ceux qui ne pourront pas financer leurs études ou payer leur loyer…

Comment donner confiance à cette jeunesse, alors que le logement leur devient inaccessible et que le Gouvernement annonce une récession de 11 % ? Mes collègues Corinne Féret, Claudine Lepage et Viviane Artigalas reviendront sur plusieurs points, notamment sur la question de l’autonomie financière des jeunes – allocation d’autonomie, revenu de base –, sur le rôle des missions locales, sur le service civique, sur l’aide spécifique aux étudiants, sur la garantie jeunes et sur l’alternance.

Si aucune mesure n’est prise, les diplômés de 2020 et des années à venir constitueront la génération sacrifiée à la crise, comme l’indiquent les conclusions du groupe de travail du Sénat sur les conséquences de l’épidémie de Covid-19 dans le secteur de l’enseignement supérieur, groupe auquel participait notre collègue Sylvie Robert.

Par ailleurs, au cours de cette crise, les inégalités accrues de revenu et l’instabilité économique ont encore compliqué l’accès au logement. Ainsi, non seulement le maintien des aides au logement est indispensable, mais il ne suffira pas ; il faut aller plus loin et prévoir une période temporaire pour de nouvelles mesures d’aide, qui permettront aux plus fragiles de surmonter leurs difficultés.

Bien sûr, il faut aussi revenir, monsieur le ministre, sur la politique actuelle du logement – sous-indexation, après le gel du barème, de l’aide personnalisée au logement, mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS) –, mais il faut surtout renoncer à la réforme, prévue en 2020 et déjà reportée quatre fois, de l’APL, qui fera perdre l’allocation à 600 000 personnes, dont près de 300 000 jeunes.

Est-il raisonnable de continuer dans cette voie, alors que les jeunes sont particulièrement visés par ce dispositif ? Ce sera insupportable. Annulez cette réforme ; vous l’avez déjà reportée quatre fois, encore un petit effort… (Sourires sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

Si cette précarisation frappe durement les jeunes en général, elle frappe encore plus durement les jeunes de nos quartiers. Avant la crise, le taux de chômage s’y élevait à 13 %, soit à 5 points de plus de la moyenne nationale ; pour les moins de 25 ans de ces quartiers, il atteint 40 %.

Si la crise de 2008, qui a affecté la finance et les services, a eu un impact sur la jeunesse, l’effet est, cette fois, plus concentré sur les moins qualifiés, sur les bas salaires et sur les plus jeunes, autant de facteurs qui conditionnent la bascule dans la pauvreté, comme en ont témoigné les files d’attente de la faim.

Face à l’urgence de la situation, il nous faut répondre, tout de suite, avant le mois de septembre. C’est un discours positif et volontaire qu’il faut tenir à la jeunesse. La richesse de la jeunesse, nous devons la reconnaître et la valoriser ; d’ailleurs, nombre de jeunes ont travaillé pour les autres pendant cette crise.

Au regard de la réalité sociale et économique, le pourcentage de jeunes en insertion devrait être quatre, voire cinq fois plus élevé. Mme Muriel Pénicaud nous l’indiquait la semaine dernière, seuls 16 % des jeunes des quartiers ont des emplois aidés. C’est ainsi que nous donnerons corps au principe d’équité, sans lequel nulle justice ne peut être vécue ni même perçue.

J’ai déjà évoqué la réactivation des contrats aidés, qui peut constituer un levier de soutien fort et rapidement mobilisable : des jeunes apportant leur savoir et leurs compétences à nos communes et à nos associations, et trouvant, par ce biais, une première insertion dans l’emploi, encadrés par des adultes.

Je vous renvoie aux préconisations du 20 mai dernier, relatives au secteur associatif et à l’éducation populaire, du groupe de travail piloté par notre collègue Jacques-Bernard Magner sur les conséquences de l’épidémie de Covid-19 sur les politiques publiques en faveur de la jeunesse et de la vie associative.

En 2017, il y avait près de 500 000 contrats aidés ; en 2019, il n’y en avait plus que 130 000. Oui, leur remise en cause drastique et brutale a signifié non seulement le retour à la précarité pour nombre de jeunes, mais encore la fragilisation du monde associatif.

Avant la crise, le taux de chômage dans nos quartiers représentait plus du double de celui de la population globale et pouvait atteindre 45 % pour les jeunes de 16 à 25 ans sans diplôme. Cette crise exacerbe les fractures et les inégalités, et l’insatisfaction de besoins parfois vitaux – alimentation, logement, emploi, numérique – s’est révélée au grand jour. Or des milliers de jeunes pourraient apporter leur savoir et leurs compétences pour lutter contre cette fracture numérique.

Ils pourraient ainsi financer leurs études en ayant un emploi aidé, car ils ne pourront pas payer leurs études en septembre, tout en aidant les décrocheurs : aujourd’hui, dans les quartiers, seul un enfant sur dix est encore scolarisé, donc neuf sur dix ne le sont plus. Nous pourrions également mobiliser les étudiants, et ce serait, là encore, gagnant-gagnant.

Monsieur le secrétaire d’État, au regard des besoins existants dans les écoles et les collèges des quartiers, et considérant la nécessité de donner un avenir aux jeunes de ces quartiers, le Gouvernement compte-t-il réactiver les contrats aidés et revenir sur le jugement péremptoire consistant à estimer qu’ils sont trop coûteux et peu utiles ? Reportons-nous au bilan des emplois d’avenir : 300 000 jeunes en avaient bénéficié, parmi lesquels un sur cinq, soit 60 000, venait d’un quartier populaire.

Je ne vous en demande pas tant, mais lancez un plan de contrats aidés dans les quartiers pour 20 000 jeunes. Cela aiderait la jeunesse, mais aussi nos enfants et les associations. Il s’agit là d’un véritable défi éducatif et démocratique. Il y a une urgence, une urgence économique et sociale pour les jeunes ; de la jeunesse dépend notre avenir collectif.

J’ai été maire pendant dix-sept ans et je me disais souvent qu’il fallait trouver avant tout un logement et un emploi aux gens, deux conditions indispensables pour vivre, pour pourvoir à l’éducation des enfants et pour préserver la santé. J’ai vite compris que non seulement il fallait de l’énergie – c’est très difficile pour les jeunes –, mais aussi que c’était un combat quotidien.

Deux autres choses sont essentielles. D’une part, il faut le respect ; on le voit aujourd’hui, il faut lutter contre les discriminations, d’où qu’elles viennent, sinon on ne peut pas construire ; chacun a droit au respect, des droits et des devoirs de chacun. D’autre part, il faut l’espoir, l’espoir d’un avenir meilleur ou plus serein, qui permettra de s’émanciper grâce à la culture et à l’éducation. Celles-ci – ne l’oubliez pas, monsieur le secrétaire d’État – nous invitent à la tolérance et à la rencontre d’autres imaginaires.

Dans la situation que nous vivons, qui a révélé, si besoin en était encore, la profondeur des inégalités sociales et spatiales et la fragilité des jeunes, la priorité est, pour le groupe socialiste et républicain du Sénat, d’aider les plus fragiles, donc les jeunes, à traverser la crise. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Guillemot, je veux tout d’abord vous remercier, ainsi que le groupe socialiste et républicain, d’avoir mis ce sujet à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, parce que c’est un sujet absolument essentiel, qui va beaucoup nous mobiliser dans les mois à venir.

En effet, vous l’avez dit, chaque fois que survient une crise économique – cela a été vérifié en 2008 et en 1993 –, les premiers touchés et ceux qui le sont les plus durement sont les plus vulnérables et, parmi eux, il y a les jeunes, quel que soit, d’ailleurs, leur niveau de qualification. Les jeunes sont vulnérables parce qu’ils rentrent sur le marché du travail, qu’ils sont dans un moment de transition.

Deux chiffres résument, à eux seuls, l’importance du débat que vous nous proposez aujourd’hui : 550 000 jeunes de moins de 25 ans sont actuellement au chômage et 700 000 jeunes doivent arriver sur le marché du travail à la rentrée prochaine. Pour eux, ainsi que pour ceux qui sont encore en formation – en apprentissage ou dans l’enseignement supérieur –, nous devons trouver des solutions pour lutter contre la précarité, qui pourrait s’accroître si rien n’était fait dans les semaines et les mois à venir.

Fort heureusement, les solutions ne dépendent pas que de nous, et je veux vous également remercier des mots très positifs que vous avez eus, parce qu’on les entend trop peu. Il faut le rappeler, le premier atout de la jeunesse, ce sont les jeunes eux-mêmes. Nous avons, en France, une jeunesse créative, volontaire, qui a envie de s’insérer, de s’autonomiser et de se construire.

Elle est également engagée, et je veux, comme vous, rendre hommage à leur dynamisme, à leur civisme et à leur sens indéniable de l’engagement collectif. Loin des idées reçues, nous pouvons être fiers de cette génération qui, pendant la crise sanitaire, a su mobiliser une formidable énergie.

Parmi les 300 000 personnes qui se sont spontanément portées volontaires au travers de la plateforme de la réserve civique, 40 % avaient moins de 30 ans ; 58 000 jeunes en service civique ont transformé leur mission pour contribuer à l’effort national contre la pandémie, et l’on ne compte pas les jeunes qui se sont engagés bénévolement, dans leur quartier, au pied de leur immeuble, pour subvenir aux besoins vitaux des personnes dans le besoin.

Après cette crise, nous devrons faire prospérer cet élan ; c’est en prenant appui sur l’énergie créatrice des jeunes que nous parviendrons à dominer cette crise sanitaire. Pendant celle-ci, nos réponses à destination des jeunes étaient d’ordre social et constituaient des mesures d’urgence ; nous devons maintenant penser à moyen et long termes, pour compléter l’action sociale par une action économique durable et par un investissement renouvelé dans la formation et dans les compétences.

Permettez-moi maintenant de vous présenter cette stratégie plus en détail et de vous indiquer dans le cap que nous tenons, tout d’abord au travers des mesures que nous avons prises au plus fort de la crise sanitaire et durant le confinement et, ensuite, en évoquant nos pistes de travail pour les mois à venir.

Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a répondu, vous le savez, avec une force sans précédent aux drames économiques et sociaux. Notre action pour tous les Français a directement bénéficié aux jeunes ; quand on prend des mesures de soutien à l’activité économique, à l’emploi et aux entreprises, on prend indirectement des mesures de soutien aux jeunes, et l’ensemble des dispositifs que nous avons pris permet de limiter les dégâts sur le monde économique et donc sur l’emploi des jeunes.

Je veux également mentionner les règles régissant le chômage et l’activité partiels, règles qui ont été assouplies pour protéger les demandeurs d’emploi en fin de droits, les intérimaires et les travailleurs saisonniers en faisant perdurer leurs droits au-delà du confinement.

Je pense aussi aux jeunes parents, obligés de garder leurs enfants, qui ont bénéficié d’un système exceptionnel d’indemnités journalières.

Je veux également citer les mesures de solidarité avec les personnes précaires et l’aide de 150 euros qui a été versée à 4 millions de familles pauvres ou modestes, à laquelle s’est ajouté un montant de 100 euros supplémentaires par enfant. Cela représente un effort global de 900 millions d’euros, largement fléché vers les enfants et vers les jeunes.

Nous avons également agi directement et spécifiquement en direction de la jeunesse. La principale mesure a consisté en une mobilisation de 150 millions d’euros, sous la forme d’une aide exceptionnelle de 200 euros pour 800 000 jeunes, destinée à compenser la perte de revenu liée à l’arrêt temporaire d’un stage, d’un apprentissage ou d’un job étudiant. Cette prime sera versée dans le courant de la semaine aux jeunes étudiants et autour du 15 juin aux autres.

Je pense également à d’autres mesures d’urgence prises pour répondre à des situations de fragilité particulière.

Les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) ont pris la décision de n’exiger aucun préavis des étudiants qui ont décidé de mettre fin à leur bail en résidence étudiante, afin de leur éviter un surcoût inutile. Nous avons prolongé les dispositifs de l’aide sociale à l’enfance (ASE) pour les enfants atteignant leur majorité pendant la période de la crise de la Covid-19, car le contexte incertain risquait de déstabiliser dramatiquement les jeunes sortant de ce dispositif.

Pour éviter que trop de jeunes ne décrochent de leur scolarité, nous avons lancé une opération, soutenue par les associations du collectif Mentorat, d’équipement d’urgence en matériel informatique et en connexion internet, pour un montant de 15 millions d’euros.

Il faut maintenant penser à l’après-crise, vous l’avez dit. À ce titre, quatre grands axes de travail, sur lesquels je reviendrai à l’occasion des questions, nous mobilisent.

Tout d’abord, il faut lutter contre le décrochage scolaire, notamment dans la voie professionnelle, parce qu’aucun jeune ne doit être désœuvré ni se sentir laissé pour compte.

Ensuite, nous devons maintenir la dynamique engagée par notre gouvernement sur la formation et sur l’apprentissage ; forts de de nos réussites, et parce que le contexte nous y incite, nous devons aller plus vite et plus fort.

En outre, il est nécessaire de faciliter l’accès à l’embauche ; le marché du travail risque de se durcir, nous devons aider les entreprises à embaucher des jeunes et aider les jeunes à accéder à l’emploi.

Enfin, il convient d’agir pour lutter contre la précarité des jeunes face au risque de rupture que vous avez évoqué. Notre plan prendra appui sur la politique pour la jeunesse que nous menons depuis 2017. Cette politique donne aux jeunes de meilleures armes pour aborder un marché du travail devenu plus défavorable.

Je veux à cet égard revenir sur le plan d’investissement dans les compétences. Nous avons mobilisé 15 milliards d’euros pour la formation de 1 million de jeunes et de personnes peu qualifiées. Nous avons développé des solutions multiples de la deuxième chance et de lutte contre le décrochage scolaire, notamment pour les jeunes vivant en outre-mer, afin qu’aucun jeune ne soit laissé sans solution.

Tous les jeunes sans emploi de 16 à 18 ans auront désormais une obligation de formation, ce qui implique aussi, pour l’État, l’obligation de leur proposer une solution à partir de la rentrée prochaine ; cela a été adopté au travers de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, promue par Jean-Michel Blanquer.

Grâce à la réforme de la formation professionnelle et de l’alternance, nous avons réussi à provoquer un essor sans précédent de l’apprentissage, avec une augmentation de 16 % en 2019 du nombre d’apprentis, qui a atteint près de 400 000. Cette dynamique doit absolument perdurer, et nous aurons besoin de la mobilisation de toutes les entreprises, au cours des mois qui viennent.

Nous allons déployer un plan spécifique pour aborder la rentrée ; il sera présenté avant l’été. J’ai entendu vos inquiétudes en ce qui concerne l’idée d’attendre le mois de septembre ; vous avez raison, il faut aller vite. Par exemple, pour l’apprentissage, des mesures seront annoncées dès demain, à l’issue d’une rencontre avec les partenaires sociaux. Nous allons évidemment continuer d’avancer sur les autres chantiers et les mesures seront présentées avant l’été.

Voilà pour les grands objectifs, sur lesquels nous reviendrons à l’occasion de cette séance de questions.

Enfin, j’ai entendu votre interrogation principale sur les emplois aidés et les emplois-jeunes.

J’assume les mesures prises sur les emplois aidés. Il y a eu de très belles histoires et de très beaux exemples de jeunes qui ont, grâce à un emploi aidé, réussi à trouver leur voie et à s’insérer, mais ce n’était pas la majorité des cas. Nous devons construire des solutions aidant à la fois le jeune recherchant une insertion durable dans l’emploi et la structure qui le reçoit ; c’est ce que nous avons commencé à faire avec les parcours emploi compétences et c’est ce que nous avons continué de développer avec les emplois francs, en ciblant précisément les quartiers.

Je suis ouvert à toutes les propositions. Je réfléchis en ce moment à des dispositifs de soutien à l’emploi associatif, en lien avec le volet associatif de mes responsabilités, mais cela pourrait tout à fait se croiser avec la préoccupation de l’emploi des jeunes. Il y a là des ponts intéressants à construire dans les semaines à venir ; en tout cas, j’y suis tout à fait disposé.

Je suis sûr que surgiront de nos débats des idées fructueuses pour les mois à venir.

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. M. le secrétaire d’État l’a rappelé, les crises économiques précédentes ont montré combien les jeunes constituent une population fragile, combien ils sont vulnérables face au fléau du chômage, combien ils sont, plus que d’autres, susceptibles de tomber dans le découragement et la crainte de ne pas parvenir à s’insérer dans le monde du travail.

Parmi les dispositifs destinés aux jeunes, le service civique semble particulièrement pertinent pour favoriser l’intégration, pour créer le lien social et pour faire acquérir à nos jeunes des compétences, qu’ils peuvent par la suite valoriser dans le cadre d’une première embauche. Cette année, le service civique a 10 ans et son petit frère, le service national universel, fête, lui, sa première année d’expérimentation.

Ma question est la suivante : peut-on dresser un bilan du service civique depuis son instauration et, surtout, que peut-on dire du service civique et de son rôle au cours de cette période de confinement ? Peut-on envisager un élargissement de ce dispositif, ce qui impliquerait, vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, d’augmenter son budget ? Autrement dit, le service civique peut-il être un élément structurant de l’indispensable accompagnement des jeunes dans l’ère post-Covid-19 ?

Enfin, j’aimerais attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur les jeunes en situation de handicap, qui représentent à peine 3 % des volontaires du service civique. Au regard de la précarité et de la fragilité accrue de ces jeunes, un renforcement de leur accès au service civique paraît plus que jamais nécessaire.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur André Gattolin, je vous remercie de mettre l’accent sur le service civique, qui fête, vous l’avez dit, ses 10 ans cette année. Nous avions prévu un grand moment réunissant 1 000 jeunes du service civique, qui devait se tenir à la fin du mois de mars. Évidemment, nous avons dû le reporter, mais le service civique est un magnifique dispositif, et il faut le dire.

Il a été créé en 2010 et prolongé par la suite, quelles que soient, d’ailleurs, les majorités. Je salue d’ailleurs Patrick Kanner, qui a aussi participé à ce mouvement.

Ce dispositif a été construit pour favoriser l’engagement des jeunes, qui est, on le voit chaque jour, l’une de leurs grandes aspirations. Ce dispositif n’avait pas été conçu comme une brique supplémentaire de l’insertion dans l’emploi, mais il s’est imposé comme un moment permettant aux jeunes de prendre confiance en eux, de découvrir des choses, de développer un certain nombre de compétences, notamment des savoir-être, et d’être valorisés ensuite dans une logique d’insertion dans l’emploi.

En effet, beaucoup d’entreprises et de représentants du patronat estiment aujourd’hui que le service civique est devenu une forme de label sur un CV ; ils considèrent qu’un jeune qui a fait un service civique sait évoluer dans un milieu professionnel et développer des compétences.

Oui, il faut continuer de développer le service civique ; nous y avons investi beaucoup depuis 2017, en renforçant son budget. Cette année, 145 000 à 150 000 jeunes feront une mission de service civique.

Il faut continuer de le faire croître et, pour répondre à votre question, cela peut constituer l’une des réponses à la crise que nous vivons, parce que les jeunes ont envie de s’engager – ils nous l’ont encore montré pendant ce confinement, notamment les jeunes en service civique – et parce que ce moment, même s’il ne constitue pas un emploi rémunéré, est utile et formateur pour l’insertion des jeunes. Nous aurons donc besoin de mobiliser tous les dispositifs pour atteindre l’objectif d’insertion massive dans l’emploi.

Cela dit, je tiens à le préciser, j’accorde une grande importance à la qualité des missions : je l’ai souligné dès ma prise de fonctions, il ne faut pas tomber dans la substitution à l’emploi ni dans des missions qui ne serviraient qu’à occuper les jeunes. Si le service civique a fonctionné, c’est parce que les jeunes sont utiles et se sentent tels. Il faut évidemment poursuivre dans cette voie, et c’est ce à quoi nous travaillons.

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour la réplique.

M. André Gattolin. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.

Je profite du temps qui me reste pour parler de la question du handicap.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat. Oui, j’y reviendrai !

M. André Gattolin. On le voit, le mécanisme du service civique permet d’aller plus loin en matière d’insertion. Il est étonnant de voir le nombre d’associations qui se chargent d’accompagner le handicap et qui bénéficient de ce système, mais aussi de constater combien des gens eux-mêmes en situation de handicap relativement léger parviennent aussi à aider des gens ayant un handicap plus lourd.

J’y insiste donc : le service civique a aussi une vocation d’intégration des plus fragiles.

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Cela a été dit, la crise sanitaire et ses conséquences sociales et économiques mettant en lumière de profondes inégalités et, comme souvent, les jeunes en sont les premiers touchés.

Ils sont souvent dans une situation plus précaire que leurs aînés et ils font face, par exemple, au non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée (CDD) ou d’une mission d’intérim, à l’absence de protection sociale liée à l’ubérisation de l’économie et à la difficulté, pour ne pas dire à l’impossibilité, de trouver en ce moment un job d’été, lequel représente, pour beaucoup d’entre eux, le seul revenu de l’année.

Ils s’inquiètent aussi de la remise en cause des stages ou des contrats de professionnalisation ou de la « valeur » qui sera accordée aux diplômes obtenus cette année.

Par ailleurs, alors qu’aucune date n’est fixée pour la reprise des examens du permis de conduire – chacun connaît l’engorgement habituel de ces épreuves –, ils s’interrogent sur l’échéance à laquelle ils pourront obtenir ce permis, souvent indispensable pour décrocher un emploi dans nombre de nos territoires.

Bref, il y a une multitude de questions très concrètes – pardon de cette liste à la Prévert –, auxquelles il faut, je crois, apporter des réponses, avec, comme boussole, l’accompagnement accru de cette génération du confinement, comme le préconise, par exemple, l’Organisation internationale du travail (OIT).

Le revenu de solidarité active (RSA) pourrait être un filet de sécurité salutaire dans cette période, même s’il est évidemment loin d’être suffisant et qu’il ne peut pas constituer un horizon – je vous rejoins sur ce point, monsieur le secrétaire d’État.

Or, depuis des décennies, la majorité est fixée à 18 ans. À cet âge, les jeunes peuvent voter, être salariés, ils doivent payer des cotisations et des impôts, et j’en passe, mais ils se voient toujours refuser l’accès essentiel à ce volet de la solidarité nationale. Pourquoi ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Je vais vous répondre, madame Brulin, mais je veux, au préalable, répondre très rapidement au volet de la question de M. Gattolin sur les jeunes en situation de handicap dans le service civique, que j’avais oublié d’aborder.

Oui, c’est une grande priorité. Quand j’ai été nommé, quelque 1,5 % des jeunes en service civique était en situation de handicap, me semble-t-il. Pourtant, ils ont autant envie de s’engager et autant à apporter que les autres.

Il y a, dans la région nantaise, un collectif – Cap sur l’engagement –, qui a travaillé pendant un an et qui m’a remis des propositions. Mon objectif est que, en 2022, nous ayons atteint 3 % de jeunes handicapés dans le service civique, pour permettre cet essor. Vous avez raison, c’est très important.

Madame Brulin, vous m’avez interrogé sur la question du RSA.

Tout d’abord, je partage votre constat sur les fragilités et sur les difficultés que risquent de connaître des jeunes si l’on ne fait rien. Selon moi, le débat n’est pas de savoir s’il faut agir davantage et renforcer l’accompagnement, financier ou non, des jeunes. Le débat qui crée des divergences entre nous porte sur le comment.

C’est vrai, j’ai dit que je n’étais pas favorable à l’extension du RSA aux moins de 25 ans, parce que, selon moi, nous avons des outils formidables, notamment la garantie jeunes, développée par la majorité précédente. Ces outils répondent à des situations de grande précarité de jeunes, au travers d’un accompagnement financier et humain vers l’insertion, et conduisent à des sorties positives de ce dispositif qui sont très favorables.

Je suis d’avis de parier sur ce dispositif et de continuer à le soutenir, y compris en cette période de crise. Je crains qu’un RSA pour les moins de 25 ans ne soit démobilisateur, non pas pour les jeunes, mais pour les structures qui les accompagnent. En effet, l’enjeu demeure l’accompagnement humain des jeunes vers la formation et l’insertion. Bien évidemment, il est également important de soutenir financièrement ceux qui en ont besoin.

Je rappelle qu’un grand chantier a été ouvert, celui du revenu universel d’activité (RUA), pour revoir la manière dont on accompagne les plus précaires de notre pays. La question des jeunes en fait pleinement partie.

Les travaux vont se poursuivre, mais on sait que le revenu universel d’activité doit être mis en place à l’horizon de 2023. Il ne pourra donc pas constituer une réponse immédiate à la crise que nous vivons.

Cependant, je pense que la réflexion structurelle que nous menons dans le cadre du chantier du RUA et les réponses urgentes que nous allons apporter nous permettent d’avancer pour répondre aux problématiques que vous évoquez.

Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.

Mme Céline Brulin. Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, le RSA, comme son ancêtre, le RMI, comporte normalement un volet insertion. On ne peut donc pas dire que l’on refuse l’insertion à ceux qui bénéficient des minima sociaux. Au contraire !

Au reste, ce que vous dites à la fois sur l’engagement des structures qui accueillent ces jeunes et sur celui des jeunes eux-mêmes est un peu limite : à vous écouter, les jeunes qui touchent ces revenus de solidarité seraient un peu moins prompts à chercher du travail.

On annonce des plans sociaux tous les jours. Nous sommes encore mobilisés, dans un certain nombre de nos départements, sur la situation de Renault. On annonce, malgré des aides de l’État, 4 600 suppressions d’emploi. Vous imaginez bien que ce sont autant de débouchés en moins pour nos jeunes dans des régions industrielles comme les nôtres, où la situation est déjà très difficile !

Il me paraît essentiel, dans la période que nous vivons, de prévoir un filet de sécurité pour nos jeunes et de leur donner le signe qu’ils ont eux aussi droit à la solidarité nationale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le secrétaire d’État, alors que 750 000 jeunes s’apprêtent à finir leurs études, leur insertion sur le marché du travail s’annonce particulièrement difficile cette année.

Dans son dernier communiqué de presse, l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) observe une chute de 69 % des offres d’emploi destinées aux jeunes diplômés par rapport à l’année dernière. Le plan global en faveur de la jeunesse annoncé par le Gouvernement est, à cet égard, très attendu.

Nous serons particulièrement attentifs au volet apprentissage, qui concerne près de 500 000 apprentis en France. Alors que les centres de formation des apprentis (CFA) rouvrent progressivement depuis le 11 mai, les premières mesures en faveur de l’apprentissage devraient être annoncées cette semaine – vous les avez annoncées pour demain, monsieur le secrétaire d’État.

De nombreux centres de formation sont menacés de fermeture par la crise. En effet, depuis la dernière réforme, le financement de ces centres dépend du nombre de contrats signés. Or peu de PME et de TPE sont prêtes à signer de nouveaux contrats à la rentrée, compte tenu des incertitudes économiques qui pèsent sur de nombreux secteurs, en particulier celui de l’hôtellerie et de la restauration, qui emploie, chaque année, de nombreux apprentis.

Monsieur le secrétaire d’État, dans le contexte actuel, ne serait-il pas souhaitable, d’une part, de revoir transitoirement les règles de financement des centres de formation, en calant les sommes attribuées par les opérateurs de compétences sur les effectifs de 2019, et, d’autre part, de faciliter les entrées et sorties des élèves apprentis dans le dispositif d’apprentissage, afin de laisser davantage de temps aux entreprises de se remettre à flot sans pénaliser les jeunes, qui sont de plus en plus nombreux à souhaiter se former par cette voie ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, vous posez la question de l’apprentissage, qui, comme je l’ai dit dans mon intervention liminaire, est une très grande priorité pour le Gouvernement.

Grâce à la mobilisation absolue de Muriel Pénicaud, nous avons enfin réussi à faire, pour notre pays, ce que beaucoup ont cherché à faire depuis longtemps, à savoir faire décoller la voie de l’apprentissage. Comme je l’ai rappelé, elle concernait 400 000 jeunes l’an dernier, soit une hausse de 16 %, et ce nombre est en augmentation constante depuis le début du quinquennat.

Nous ne voulons pas que la crise actuelle vienne « casser » cette dynamique. Il faut donc que, pour cette année 2020, nous soyons en mesure d’accueillir au moins autant de jeunes en apprentissage que l’an dernier. Je pense que c’est un objectif raisonnable que nous pouvons nous fixer.

Demain aura lieu une réunion très importante entre les partenaires sociaux et le Président de la République, pour aborder un certain nombre d’enjeux qui ont trait au marché du travail et à l’emploi. La question de l’apprentissage sera centrale dans ces discussions.

Il m’est compliqué de faire des annonces : celles-ci interviendront, par définition, après l’échange avec les partenaires sociaux. Je pense que ces derniers vivraient assez mal que les annonces interviennent avant même que la réunion ait lieu…

Quoi qu’il en soit, dans ces annonces et dans ce travail qui va être engagé avec eux demain, un soutien massif sera apporté à la fois aux entreprises, pour qu’elles accueillent des jeunes en apprentissage, aux centres de formation et aux jeunes apprentis eux-mêmes. Ce soutien sera notamment financier. Il répondra, je l’espère, à votre préoccupation, qui est légitime, puisque nous savons que l’apprentissage est une voie d’excellence en France. Nous avons réussi à le faire reconnaître dans la société, parce que nous l’avons beaucoup soutenu.

Bien évidemment, la crise que nous traversons appelle un soutien et une mobilisation encore plus importants. Nous allons nous y atteler dès demain.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.

Mme Colette Mélot. Monsieur le secrétaire d’État, il est vrai que vous avez fait décoller l’apprentissage, mais c’était avant la crise.

Aujourd’hui, les entreprises sont plus réticentes à recruter des apprentis. J’espère donc que, comme vous venez de le dire, vous accorderez un soutien massif à l’apprentissage, mais aussi un soutien aux entreprises – l’un ne va pas sans l’autre.

J’y serai très attentive, car, comme vous l’avez également dit, l’apprentissage est une voie d’excellence. Nous en sommes tous convaincus. Il faut absolument soutenir cette voie pour les jeunes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.

Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le secrétaire d’État, entre inquiétude face au présent et crainte du lendemain, notre jeunesse est loin d’être sereine : interruption des études, suivi plus ou moins aisé des cours à distance, arrêt de jobs qui aidaient financièrement, inégalités numériques et territoriales, menaces pesant sur les futures embauches… ces différents éléments se sont ajoutés à un quotidien qui n’était déjà pas facile avant le Covid-19.

Pour bon nombre de jeunes, la réussite tant vantée dans une société qui prône l’ascension sociale était un parcours du combattant. Désormais, elle est reléguée à l’espoir incertain.

Notre politique publique doit donc être ambitieuse. Mieux, elle doit être la plus optimiste possible, notamment en ce qui concerne la filière d’excellence qu’est l’apprentissage professionnel.

Avant la crise sanitaire, les indicateurs étaient au vert. Ainsi, en Île-de-France, près de 90 000 apprentis et préapprentis étaient inscrits à la rentrée 2018-2019. Sur l’ensemble du territoire national, l’année 2020 devait confirmer cette tendance, même s’il était parfois compliqué, pour les apprentis, de trouver une entreprise.

Cependant, les professionnels du secteur sont actuellement inquiets pour les contrats en alternance lors de la rentrée prochaine. Les effets risquent de se faire sentir, en particulier dans les petites et moyennes entreprises.

J’avais deux questions à vous poser, monsieur le secrétaire d’État. Vous avez déjà répondu à la première, sur l’apprentissage, ce dont je vous remercie.

Parallèlement, ne serait-il pas temps de réinventer les emplois d’avenir basés sur une formation professionnelle aussi bien dans le secteur marchand que dans le secteur non marchand ? C’est une demande formulée par les missions locales. En effet, ce dispositif fonctionnait très bien pour une population dite « précaire », car il apportait une formation professionnelle adaptée aux besoins de l’entreprise. La suppression brutale de cette mesure a créé un déséquilibre.

Le Covid-19 laisse craindre un renforcement de l’exclusion sociale. Il est donc important de remettre en place une mesure comme celle-ci, assortie, par exemple, d’une exonération des charges pour les entreprises, tout en maintenant la formation professionnelle. Ne sacrifions pas nos jeunes. Ils sont l’avenir !

Soyez assuré que certaines communes sont elles aussi prêtes à jouer le jeu d’un vrai contrat accompagné.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, vous êtes revenue sur l’importance de l’apprentissage.

Je veux profiter de mon temps de parole pour indiquer, en complément de ce que j’ai déjà indiqué, que, dans notre mobilisation, outre ce qui sera annoncé demain sur le soutien aux entreprises et aux centres de formation pour continuer à développer l’apprentissage, nous devons aussi aller chercher les jeunes qui étaient en apprentissage au moment du confinement et qui, pour certains, ont décroché. L’enjeu est très important.

Récemment, le haut-commissaire aux compétences, M. Jean-Marie Marx, a estimé à 15 % le taux de jeunes en apprentissage qui ont décroché à l’occasion du confinement. L’ordre de grandeur est d’ailleurs le même dans la voie professionnelle scolaire, ce qui nous a conduits, Jean-Michel Blanquer et moi-même, à annoncer que les lycées professionnels resteraient ouverts cet été pour accueillir des jeunes, y compris pour des activités ludiques, à côté de l’enseignement. Cet enjeu du « raccrochage » est extrêmement important dans l’apprentissage, comme dans l’enseignement scolaire.

Pour ce qui concerne votre seconde question, les travaux vont évidemment se poursuivre. Le Gouvernement présentera, avant l’été, un plan de relance qui insistera sur des secteurs clés pour la relance du pays, dans lesquels nous allons investir ou réinvestir. Je pense évidemment aux secteurs du soin et de la transition énergétique, pour ne citer qu’eux. On pourrait également citer le numérique.

Dans le cadre de cette mobilisation, il faudra évidemment recruter. Il y aura des perspectives d’emploi et des dispositifs permettant à des jeunes de trouver un emploi dans ces secteurs, sur lesquels nous parions. Que ces emplois puissent être couplés à une formation, dans une logique d’alternance, me semble une piste intéressante. C’est en tout cas une piste que nous creusons. Nous aurons, je l’espère, l’occasion d’en reparler.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le secrétaire d’État, je m’exprime, bien sûr, en ma qualité de sénateur, mais aussi en tant que présidente de la mission locale Nice-Côte d’Azur.

Dans les Alpes-Maritimes, le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A a bondi de 41,5 % au cours des trois derniers mois. Ce sont évidemment les jeunes de moins de 25 ans qui paient le plus lourd tribut, avec une hausse de 39,5 % de demandes rien qu’en avril.

À la même période, en 2019, la mission locale Nice-Côte d’Azur recensait 834 recrutements, alors que 112 seulement seront finalisés cette année, soit une baisse d’insertion professionnelle de 84 % en un an.

Du côté de l’apprentissage, la situation n’est pas meilleure : les élèves sont moins nombreux à pouvoir suivre les cours dans les CFA, puisque ces établissements rouvrent à la carte.

Autre problème pour les apprentis, cela a été indiqué : leur diplôme est menacé, puisque leur formation pratique a été stoppée ou annulée. De nombreuses entreprises qui les accueillent en temps normal ont été fermées et rouvrent sous conditions.

Ces conséquences inquiétantes sur les contrats d’apprentissage se remarquent plus particulièrement dans certains secteurs importants dans les Alpes-Maritimes. Je pense à l’hôtellerie et à la restauration, puisque les offres sont moins nombreuses, alors que 80 % des contrats d’apprentissage courent entre avril et octobre.

Monsieur le secrétaire d’État, entendez-vous élargir le fonds d’aide aux jeunes afin de pouvoir apporter un soutien plus durable que l’aide exceptionnelle de 200 euros par jeune qui a été annoncée en mai ?

Comptez-vous renforcer les contrats aidés dans le secteur non marchand, notamment au sein des collectivités territoriales ?

Enfin, l’emploi des jeunes passera forcément par une baisse des charges. Il faut qu’il y ait une incitation financière. À cet égard, seriez-vous favorable à une exonération des charges pour les entreprises qui recruteraient un jeune en CDI ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, vous avez évoqué des chiffres qui sont évidemment très inquiétants et qui appellent notre mobilisation, même s’il est logique que, durant le confinement, l’activité des CFA ait diminué et que des entreprises qui étaient fermées n’aient plus été en mesure d’accueillir de jeunes.

L’essentiel, maintenant, est que tout redémarre très vite. Sauf erreur de ma part, le taux de reprise dans l’apprentissage s’élevait, la semaine dernière, à 30 %, et l’objectif est qu’il atteigne 60 % avant l’été. Muriel Pénicaud le dirait mieux que moi, mais l’enjeu est d’aller vite. Les mesures qui seront annoncées demain sur l’apprentissage vont directement dans ce sens.

J’en profite aussi pour dire, puisque vous avez abordé le sujet du tourisme et de l’hôtellerie-restauration, que de plus en plus d’offres d’emploi sont déposées à Pôle emploi. Cela fait écho à ce qu’a dit Mme Brulin. Beaucoup de jeunes qui ont l’habitude de travailler l’été en tant que saisonniers pour financer leurs études sont très inquiets. Le message doit être clair : certes, la situation est difficile, mais il y a, aujourd’hui, des offres qui ne trouvent pas preneurs. Je pense évidemment au secteur du tourisme, au secteur agricole, où il y a aussi des besoins, et à l’animation, puisque nous aurons besoin d’animateurs formés pour l’accueil important des enfants que nous allons organiser cet été. Je ferme la parenthèse.

J’en viens aux trois questions très concrètes que vous avez posées.

Pour ce qui concerne le fonds d’aide aux jeunes, nous avons créé, pendant le confinement, une aide exceptionnelle, pour répondre à des besoins exceptionnels. Par exemple, il fallait aider les jeunes étudiants qui avaient l’habitude de se nourrir au restaurant universitaire pour un euro par repas et qui se sont retrouvés obligés d’aller au supermarché. Il fallait aider les jeunes d’outre-mer qui étaient en métropole et ne pouvaient pas se reposer sur une solidarité familiale de proximité comme les jeunes de l’Hexagone. Il fallait aider des jeunes non étudiants en situation précaire.

Nous entrons maintenant dans une période trouble sur le marché de l’emploi et pour l’insertion des jeunes. Il faudra un accompagnement plus durable dans ce contexte.

Par conséquent, oui, il faut un accompagnement financier renforcé contre la précarité des jeunes. J’ignore si cela passera de nouveau par le versement d’une prime ou par des budgets à la main des missions locales et des universités. Quoi qu’il en soit, il faudra un accompagnement supplémentaire.

J’ai déjà évoqué les perspectives qui pouvaient être données concernant les contrats aidés.

Enfin, l’incitation financière fait partie des sujets qui sont sur la table et dont nous discutons avec Bruno Le Maire. Des mesures avaient été prises en 2008 en ce sens. Il y en a peut-être d’autres à inventer. Je n’ai pas encore de réponse à vous apporter, puisque ce point n’est pas tranché.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le secrétaire d’État, merci de votre réponse. Nous avons tous une responsabilité éminente à l’égard de la jeunesse. Cette génération ne doit pas être sacrifiée ni même pénalisée par le Covid-19.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Claudine Lepage. Monsieur le secrétaire d’État, face à la crise que nous traversons, notre regard doit être tourné vers la jeunesse. Nous devons aux jeunes un horizon, l’espoir d’un avenir meilleur. Cet espoir passera, c’est certain, par toujours plus d’éducation, mais aussi, j’en suis convaincue, par la rencontre avec d’autres cultures, la découverte de l’autre.

Malheureusement, les conséquences de l’épidémie de Covid-19 ont eu un impact désastreux sur la mobilité internationale des étudiants. Si la majorité de ceux qui étaient en échange à l’étranger cette année a pu rentrer avant la fermeture des frontières, l’incertitude est grande pour ceux qui avaient prévu un échange pour la prochaine rentrée universitaire.

En Europe, les échanges Erasmus pourront vraisemblablement avoir lieu, mais, pour les autres destinations, ce sont souvent des annulations ou des reports à l’année suivante qui sont proposés par les établissements. De nombreuses universités proposeront également des cours en ligne. Les Erasmus+ pourront participer à des mobilités hybrides associant des activités virtuelles avec une mobilité physique à l’étranger dès lors que la situation le permettra. Hélas, il est à craindre que ces cours en ligne ne remplacent jamais les apports résultant de l’immersion dans un autre pays et de la rencontre d’une autre culture.

Par ailleurs, de nombreux jeunes qui avaient obtenu un service civique à l’étranger ou un programme vacances-travail ont vu leur projet d’expatriation s’écrouler subitement et se retrouvent bien souvent sans perspective d’emploi. Or ces programmes sont plébiscités par des jeunes qui éprouvent des difficultés à s’insérer professionnellement en France.

Monsieur le secrétaire d’État, alors que le risque est grand que l’épidémie de Covid-19 entraîne, un peu partout dans le monde, un repli sur soi, comment comptez-vous donner un nouvel élan à la mobilité des jeunes, bien souvent indispensable pour s’insérer dans la vie professionnelle ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, s’il est un point sur lequel nous nous accordons à 100 %, voire à 200 %, c’est bien celui de la mobilité européenne et internationale des jeunes, qui est à la fois, vous l’avez dit, essentielle pour leur formation, les compétences qu’ils développent et leur insertion dans l’emploi, mais aussi pour la destinée de nos nations et l’avenir de l’Europe.

Le Président de la République a fixé un objectif extrêmement ambitieux dans le discours de la Sorbonne : la moitié d’une classe d’âge devra avoir passé au moins six mois dans un autre pays européen à l’horizon de 2024.

Il est clair que la situation que nous vivons rend difficile cette mobilisation, mais nous allons poursuivre nos efforts, parce que nous y croyons. J’ai participé voilà deux semaines à une réunion dématérialisée des ministres européens de la jeunesse. Nous nous sommes tous accordés sur cette grande priorité. Dès que les frontières rouvriront, il faudra immédiatement faire repartir le plus fortement possible le programme Erasmus+, le corps européen de solidarité et tous les dispositifs de mobilité en direction des jeunes. C’est un engagement que je prends ici devant vous. Cela fait partie de nos très grandes priorités.

Je disais que les perspectives en matière d’emploi seraient difficiles pour certains jeunes dans les prochains mois ou dans l’année qui vient. Parmi la palette de solutions que nous devons être en mesure de leur proposer pour que le temps qui s’écoulera avant qu’ils ne trouvent leur premier emploi soit utile et formateur, figurent, selon moi, des mobilités internationales. Je pense au dispositif de volontariat international en entreprise (VIE) ou en administration (VIA), ou encore au service civique à l’étranger, que vous avez évoqué.

Tous ces dispositifs, à mon sens, peuvent faire partie d’une palette que nous allons développer très activement, sur laquelle nous allons investir, une fois que les frontières seront rouvertes, pour permettre à des jeunes d’acquérir des compétences et des expériences qui leur seront utiles lors de leur insertion sur le marché de l’emploi, lorsque les turbulences se seront éloignées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour la réplique.

Mme Claudine Lepage. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État. Nous y croyons, avez-vous dit. Moi aussi, je veux y croire ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Je remercie nos collègues du groupe socialiste et républicain d’avoir organisé ce débat sur les politiques à destination de la jeunesse à mettre en œuvre au regard de la crise sanitaire qui nous touche et de la crise économique et sociale qui s’annonce.

Chaque année, de nombreux jeunes, étudiants ou non, exercent une activité rémunérée leur permettant de vivre de manière autonome. Si le Gouvernement a annoncé une aide de 200 euros aux étudiants précaires et aux jeunes de moins de 25 ans bénéficiant de l’aide personnalisée au logement (APL), force est de constater qu’une partie du public cible ne pourra pas bénéficier de cette aide. Certains jeunes précaires ne sont pas étudiants, certains étudiants précaires ne touchent pas d’APL, étant logés de manière temporaire chez des amis, de la famille ou des connaissances. Il y a des trous dans la raquette.

Avec la crise économique et sociale annoncée, il sera de plus en plus difficile, pour ces jeunes précaires, d’accéder à un travail, temporaire ou non, à temps partiel comme à temps complet. Nos jeunes, dans tous les territoires, vont être frappés de plein fouet par cette crise. Il est nécessaire d’anticiper l’avenir.

Dans un rapport remis au Premier ministre en mars 2017, Mme Célia Verot et M. Antoine Dulin proposaient la mise en place d’un revenu minimum garanti aux jeunes à partir de leur majorité, ouvert sous conditions de ressources. Ce « revenu socle », limité dans le temps, aurait pour principal atout de ne bénéficier qu’à ceux qui en ont besoin, atténuant les effets de seuil, et de permettre aux jeunes âgés de 18 à 30 ans de bénéficier d’un suivi intensif des services sociaux, veillant à la réussite de leur parcours d’acquisition de l’autonomie et à leur intégration sociale et professionnelle.

Monsieur le secrétaire d’État, au regard de la crise qui s’annonce, le Gouvernement compte-t-il travailler sur ce genre de dispositifs d’accompagnement ? Quelles mesures sont envisagées pour permettre aux jeunes les plus précaires, les plus isolés, de ne plus se retrouver en dehors des dispositifs d’aide et, grâce à la solidarité nationale, de remettre le pied à l’étrier ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, vous êtes revenue sur l’aide exceptionnelle que nous avons apportée aux jeunes durant le confinement.

Il est très difficile de toucher tout le monde lorsque l’on met en place une aide en urgence. Vous avez parlé de « trous dans la raquette ». Oui, il y a sans doute des jeunes précaires qui ne reçoivent pas l’aide, car ils « ne cochent pas les bonnes cases ».

Nous avons déployé cette aide très vite. Nous avons fait notre possible pour qu’elle bénéficie au plus grand nombre de jeunes concernés. Ainsi, les étudiants peuvent en faire la demande via les universités ; leur dossier est apprécié très finement. Les jeunes qui ne sont pas étudiants peuvent la percevoir via les APL.

Ce versement automatique est précieux. En effet, on sait que beaucoup de jeunes n’ont pas recours aux droits qui leur sont ouverts, pour des raisons d’informations ou d’éloignement. C’est un vrai problème. Dans cette mesure, l’automaticité du versement de l’aide à tous les non-étudiants bénéficiaires des APL est très efficace.

Pour ce qui concerne votre seconde question, je répète qu’il faut évidemment renforcer notre accompagnement financier pour lutter contre la précarité des jeunes, à un moment où les perspectives en matière d’emploi vont être compliquées.

J’ai parlé de la garantie jeunes, à laquelle je crois beaucoup. Je crois également au parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (Pacea), qui est lui aussi porté par les missions locales.

La crise que nous traversons exige sans doute des adaptations. Il est possible que des publics qui n’étaient pas habituellement accueillis dans les missions locales, qui peuvent être plus formés, plus qualifiés, aient besoin d’une aide financière d’urgence. Il faut alors développer des déclinaisons. Nous sommes véritablement en train d’y travailler.

Je le répète, je suis très preneur de contributions que vous pourriez m’adresser au regard de votre expérience.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Monsieur le secrétaire d’État, ma question concerne le dispositif déjà baptisé « Vacances apprenantes ».

J’ai bien conscience que, en dehors des déclarations, dans la presse, du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, aucun texte officiel n’a, à ce jour, formalisé ce dispositif. Pour rappel, le 15 avril dernier, Jean-Michel Blanquer, en annonçant le lancement de cette opération, a évoqué à la fois les colonies de vacances, des accueils de loisirs et des soutiens scolaires gratuits pour les décrocheurs. Vous avez vous-même indiqué à l’instant, monsieur le secrétaire d’État, que certains lycées professionnels pourraient rester ouverts.

Si nous saluons cette proposition, dont l’objectif est de permettre aux élèves de rattraper les lacunes liées à l’enseignement à distance pendant le confinement, nous souhaiterions en connaître les détails.

Le confinement a renforcé, je le crains, les inégalités sociales. Tous les enfants n’ont pas vécu de façon identique l’école à la maison. Dans le Nord, par exemple, seulement 20 % des collégiens vont retrouver le chemin de leur établissement scolaire. Les élèves les plus en difficulté ont souvent été injoignables durant cette période et les disparités entre les enfants ont pu s’accentuer.

Les collectivités et les professionnels du secteur se tiennent prêts. Ils sont dans l’attente de directives gouvernementales.

Il est urgent de définir le rôle des intervenants dans ces colonies de vacances éducatives et leur fonctionnement. Il faudra capitaliser sur nos acquis et peut-être s’inspirer du dispositif « École ouverte », qui a fait ses preuves depuis son lancement, en 1991.

Monsieur le secrétaire d’État, comment réussir à toucher les familles des décrocheurs, dont bon nombre de parents ne répondent pas ?

Comment imaginer que la capacité d’accueil – actuellement faible – des écoles ou des collèges puisse évoluer pour répondre à ce dispositif ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, Jean-Michel Blanquer et moi-même attachons une importance absolument capitale à ce qui va se passer cet été pour les enfants et pour les jeunes.

Ayant vécu une période très difficile de confinement, les jeunes auront peut-être plus que jamais le besoin de s’aérer, de s’évader, d’aller dans la nature, de sortir de chez eux et de leur quartier, d’aller au contact d’autres enfants. On sait aussi que, pour beaucoup de jeunes, la continuité éducative a été très difficile durant le confinement. Cet été peut donc aussi être l’occasion de procéder à un rattrapage ou de préparer la rentrée suivante.

Vous avez souhaité obtenir des détails sur l’opération « Vacances apprenantes ». Celle-ci reposera sur trois grands dispositifs.

Premièrement, nous allons très fortement développer le dispositif « École ouverte », qui existe depuis maintenant plusieurs années. L’objectif est de multiplier par six le nombre d’enfants qui seront accueillis dans ce cadre. Je rappelle qu’il s’agit de maintenir des établissements scolaires ouverts avec, le matin, des cours de rattrapage et, l’après-midi, des activités artistiques, culturelles et sportives.

Deuxièmement, nous développons un dispositif, que Jean-Michel Blanquer a appelé « parcours buissonnier », qui consiste en de petites excursions, à proximité du domicile des élèves – peut-être à l’échelle du département –, avec, par exemple, la découverte d’un élément du patrimoine culturel ou une expérience de campement sous tente, en forêt par exemple, pour offrir aux jeunes la possibilité de s’évader un peu et de découvrir le patrimoine qui les entoure.

Troisièmement, un label « apprenant » sera créé à destination des colonies de vacances qui s’engageront dans notre objectif de rattrapage scolaire. Très concrètement, l’éducation nationale proposera des modules destinés aux jeunes, y compris en faisant intervenir des enseignants volontaires.

Les objectifs et les budgets qui seront consacrés à l’opération seront précisés d’ici à la fin de cette semaine.

Vous m’avez interrogé sur la manière de raccrocher les décrocheurs et ceux qui sont les plus éloignés de l’école au moment où celle-ci reprend. Je suis persuadé que la réponse réside dans les collectivités locales. Dans les dispositifs que nous mettons en place – avec un soutien financier pour le départ en colonies de vacances –, ce sont les collectivités locales, parce qu’elles connaissent les familles, qui pourront aller chercher les jeunes qui en ont le plus besoin. Le dispositif sera évidemment financé par l’État, mais nous travaillerons de manière très étroite avec les collectivités pour toucher les jeunes concernés.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.

M. Olivier Henno. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.

Le confinement a fait la preuve des fractures sociales, territoriales et scolaires qui traversent notre pays. Et, à l’heure du déconfinement, on ne peut se satisfaire de ce qu’une partie seulement des jeunes souhaite retrouver le chemin de l’école, du collège ou du lycée.

Je pense comme vous que l’école est le lieu de l’égalité des chances, mais que les départements, les régions et les communes ont un rôle majeur à jouer en cette période cruciale pour celle-ci.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. La crise sanitaire liée à la Covid-19 sera bientôt – nous l’espérons tous – derrière nous. Il nous faut sans tarder nous attaquer au colossal chantier de la crise économique qui s’annonce.

Sur ce dernier point, vous en conviendrez sans doute, une attention particulière doit être portée à la situation des jeunes de 16 à 25 ans. Il ne s’agira pas seulement, comme M. Henno vient de l’évoquer, de récupérer les décrocheurs qui ont quitté prématurément l’univers de la formation. Sans sous-estimer les difficultés que vont rencontrer les jeunes non qualifiés, éloignés de l’emploi et de toute formation, je souhaiterais appeler votre attention sur un public qui n’est traditionnellement pas visé par les politiques publiques de soutien à l’embauche, à savoir les jeunes diplômés à bac+4 et à bac+5 qui vont arriver sur un marché du travail très fortement dégradé.

Ces jeunes, qui terminent généralement leur cursus par un stage donnant bien souvent lieu à une embauche, ont été privés de cette chance durant le confinement. À cela s’ajoute bien évidemment la récession importante dans laquelle est entré notre pays. L’absence de visibilité quant à l’avenir a contraint les entreprises à diminuer, sinon à geler complètement leurs embauches.

Pour ces jeunes diplômés, le risque de déclassement est important : ne pouvant rester durablement sans revenus, ils pourraient être contraints de se tourner vers des emplois qui ne correspondent pas à leurs compétences ni à leurs qualifications. L’urgence à trouver un emploi sera d’autant plus grande pour eux qu’ils sont nombreux à devoir rembourser un prêt étudiant.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles mesures prévoit le Gouvernement pour soutenir ce public spécifique et l’accompagner vers l’emploi ? Vous semble-t-il opportun d’envisager un report des premières mensualités des prêts étudiants ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Quand elles surviennent, les crises économiques touchent en particulier les jeunes, quel que soit leur niveau de qualification. Mme Mélot a rappelé les chiffres de l’APEC. De même, les perspectives d’insertion dans l’emploi semblent aussi très difficiles pour les jeunes très diplômés.

Vous avez raison de souligner que les difficultés auxquelles ces jeunes vont être confrontés sont assez nouvelles et qu’il n’existe pas de dispositifs « sur mesure » pour ces publics. Il nous revient donc, dans les prochaines semaines, de les inventer. C’était le sens de ma réponse, voilà quelques instants, à Mme Estrosi Sassone : il existe aujourd’hui des dispositifs d’accompagnement des jeunes vers l’emploi et vers l’insertion que proposent notamment les missions locales, mais qui ne correspondent sans doute pas, dans leurs modalités ou dans la manière dont ils se déclinent, à des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, beaucoup plus âgés que les jeunes généralement concernés.

À côté de ces nouveaux dispositifs, nous discutons aussi avec Bruno Le Maire d’une aide financière potentielle à l’embauche de jeunes. De même, la question des charges a été évoquée. D’autres dispositifs sont encore envisageables.

Ce temps que nous espérons le moins long possible, peut-être quelques mois seulement, voire un an, durant lequel le marché du travail va être particulièrement perturbé, pour les cadres comme pour les jeunes diplômés à bac+4 ou bac+5, nous voulons faire en sorte qu’il soit utile – pour eux et pour les autres – et formateur. J’ai déjà évoqué le service civique et le volontariat international. Nous pouvons développer ces dispositifs pour permettre aux jeunes diplômés d’avoir une activité, d’ajouter une ligne à leur CV et de percevoir une petite indemnisation – et non un salaire, car il ne s’agit pas d’un emploi, tout du moins pour le service civique.

Nous avançons sur deux volets : susciter des offres d’emploi en soutenant les entreprises et permettre aux jeunes d’accéder à des dispositifs utiles pour eux dans l’attente que le marché de l’emploi sorte des turbulences dans lesquelles il est entré.

Le report des premières mensualités des prêts étudiants est une idée très concrète qui peut répondre à une vraie problématique. Je vais l’examiner avec beaucoup d’attention.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.

M. Stéphane Piednoir. Merci de vos réponses, monsieur le secrétaire d’État, en particulier sur la question du report des mensualités des prêts étudiants.

Je vous rejoins sur le constat que nous avons besoin de mesures totalement nouvelles, disruptives. Il faut penser, au-delà du report de charges, à des annulations de cotisations salariales et patronales.

Bien évidemment, la tâche est colossale. Pour ne pas décevoir cette génération, pour éviter qu’elle ne soit sacrifiée, comme le disait Mme Estrosi Sassone, il nous faut mettre en place des dispositifs « sur mesure ». Nous comptons sur vous.

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Corinne Féret. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant la pandémie de Covid-19, les jeunes étaient déjà les premières victimes de la pauvreté : un jeune sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Demain, ils subiront de plein fouet la crise économique et sociale qui s’annonce, en particulier la hausse sans précédent du chômage.

Dans ce contexte, ouvrir le RSA aux moins de 25 ans devient une absolue nécessité. Même Stanislas Guerini s’y est déclaré favorable pour « éviter d’avoir une génération sacrifiée ».

Mme Sylvie Robert. Stanislas Guerini ? Qui est-ce ? (Sourires sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Corinne Féret. Pour faire en sorte que certains ne se retrouvent en situation de grande précarité, sans aucune source de revenus, il faut ouvrir le RSA aux jeunes dès 18 ans. Dans les faits, il s’agirait d’un minimum social, un filet de sécurité en somme, qui ne serait accessible qu’à ceux qui sont sans ressources. Dans le même temps, il serait bien évidemment nécessaire de mener des actions ciblées en matière d’emploi, d’insertion, de lutte contre le décrochage scolaire.

Muscler, comme vous l’avez déclaré récemment, le service civique ou la garantie jeunes ne permettra pas de faire face aux enjeux humains et sociaux, conjoncturels, résultant de la crise.

Monsieur le secrétaire d’État, les grandes associations et collectifs de lutte contre la pauvreté qui œuvrent en direction de la jeunesse vous alertent. Il y a urgence ! Dans une société développée prônant l’égalité des droits, il convient de s’assurer de l’égal accès des jeunes à un niveau de ressources minimum. Il ne s’agit nullement, comme vous l’avez dit, de se placer dans un « esprit de défaite », mais bien d’apporter une aide vitale dans un moment de l’histoire exceptionnel à raison de sa gravité.

Cet hiver, vous aviez admis que le projet de revenu universel d’activité devrait nécessairement être ouvert aux jeunes de 18 à 25 ans. Continuez donc sur la voie du pragmatisme et tenez compte de la situation exceptionnelle. Monsieur le secrétaire d’État, dans le cadre du plan pour la jeunesse que vous souhaitez mettre en œuvre avant l’été, envisagez-vous d’accorder un revenu minimum au moins de 25 ans ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, nous avons déjà parlé de ce sujet en début de séance, notamment avec la question de Mme Brulin, mais vous me donnez l’occasion d’être de nouveau très clair : pour moi, il n’y a pas de débat sur le fait que la situation nous impose d’être davantage au rendez-vous dans l’accompagnement des jeunes. Je parle bien évidemment d’accompagnement humain, mais aussi financier, pour lutter contre la précarité.

Il existe aujourd’hui des dispositifs pour les étudiants comme les fonds sociaux des universités qui doivent sans doute être renforcés. Il en existe d’autres, en direction des jeunes, qui doivent aussi être renforcés.

Le quinquennat précédent, s’il n’a pas connu la crise que nous traversons, a rencontré de très grandes difficultés en termes de chômage et de précarité des jeunes. Pour y faire face, il a inventé la garantie jeunes, qui a très bien fonctionné avec des résultats très positifs. Nous avons fait le choix, dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, de continuer d’investir dans ce dispositif avec l’objectif d’atteindre 100 000 jeunes cette année.

Je crois beaucoup à ce dispositif et au Pacea pour accompagner les jeunes financièrement. Ce dispositif représente une aide qui correspond peu ou prou au RSA, mais avec un accompagnement humain, un accompagnement renforcé – quasiment sur mesure – vers l’emploi qui comprend des périodes de stage en milieu professionnel et des périodes de formation – sur la prise de parole en public, par exemple.

Lors de mes déplacements dans les missions locales, j’ai pu voir tout ce que ce dispositif apporte aux jeunes. Je crois profondément que beaucoup plus de jeunes doivent en bénéficier, et ce d’autant plus qu’ils seront plus nombreux à rencontrer des difficultés à la rentrée prochaine.

C’est donc sur ce dispositif et sur le Pacea que je parie, même s’il faut sans doute les adapter, comme je le soulignais en réponse à certaines questions, pour correspondre aux besoins d’autres jeunes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret, pour la réplique.

Mme Corinne Féret. J’entends votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, et je regrette votre refus répété, même si je ne mésestime pas les dispositifs déjà mis en place. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles !

Il faut une réponse urgente, une réponse concrète, pour ces milliers de jeunes qui se retrouvent sans ressources, sans emploi et en très grande difficulté.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2019, le nombre de jeunes entrés en apprentissage a quasiment atteint le demi-million. L’apprentissage est l’une des meilleures méthodes pédagogiques pour transférer connaissances et savoir-faire et sans doute aussi le meilleur levier d’insertion des jeunes – 75 %.

Les jeunes ont envie de travailler, ils veulent apprendre un métier. Avant la crise sanitaire, la dynamique était réelle. Il faut bien reconnaître que la situation était inédite.

Les jeunes sont les premiers touchés par le ralentissement de l’économie. Ils sont inquiets. Les entreprises vont-elles continuer à accueillir des apprentis à la rentrée ? Selon le Medef, il pourrait y avoir « 300 000 potentiels apprentis sur le carreau » en septembre.

Les centres de formation des apprentis sont également préoccupés dans la mesure où leur financement dépend du nombre de contrats signés.

Monsieur le secrétaire d’État, la crise sanitaire a fait éclater au grand jour la désindustrialisation de la France, ce qui pose des problématiques de pénurie, d’expertise et de qualification.

Aujourd’hui, il est essentiel de déployer des solutions en matière de transfert de compétences, de formation et d’attractivité des métiers. Il faut donc investir massivement dans la jeunesse afin de répondre à ses craintes quant à l’avenir.

La filière de l’apprentissage attend des mesures fortes du Gouvernement. Quel est votre plan pour relancer l’apprentissage et comment encourager les entreprises à embaucher des apprentis ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Chevrollier, nous avons eu l’occasion d’aborder la question de l’apprentissage et je vous remercie d’avoir rappelé que les chiffres que nous avons connus l’an dernier en matière d’entrée en apprentissage étaient absolument inédits. Nous avons réussi à faire décoller cette voie d’excellence.

De même, vous parlez de désindustrialisation, mais les chiffres et données dont nous disposions avant le confinement en matière de créations nettes d’emplois dans le secteur industriel et d’ouverture d’usines sur notre territoire étaient très favorables – les plus favorables depuis une dizaine d’années. Il en allait également de même pour les investissements étrangers.

L’enjeu, pour nous, et cette question sera au cœur de la réunion de demain entre les partenaires sociaux et le Président de la République, est de ne pas casser cette dynamique globale. Nous voulons qu’elle se poursuive.

Des mesures extrêmement fortes et concrètes seront annoncées pour l’apprentissage afin de soutenir à la fois les entreprises qui recrutent des jeunes en apprentissage et les centres de formation dont le modèle économique serait en danger si le nombre de jeunes apprentis chutait brutalement.

Comme je l’ai déjà souligné, je ne peux anticiper les annonces qui seront faites demain à l’issue de la rencontre du Président de la République et de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, avec les partenaires sociaux. Sachez que l’État sera au rendez-vous de l’apprentissage, comme il l’a été depuis trois ans, parce que nous devons maintenir cette dynamique : nous le devons aux entreprises qui ont besoin de compétences et de talents pour l’avenir et pour développer leur marché et nous le devons aussi aux jeunes qui trouvent dans cette voie une manière de construire leur avenir, de se construire et de prendre du plaisir dans ce qu’ils font. Nous serons au rendez-vous de cette exigence.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.

M. Guillaume Chevrollier. Merci de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. Je profite de ce débat pour relayer les attentes de cette jeunesse qui est inquiète pour la formation à la rentrée. Les portes se ferment pour les emplois de demain et même pour ceux de cet été. Nous essayons de transmettre ces préoccupations.

Nous, parlementaires, serons vigilants face aux propositions du Gouvernement, quitte à les amender. Dans une période difficile, je crois qu’ouvrir un chemin pour la jeunesse et pour le pays passe par la formation. Cela permettra de muscler la population active de demain, de valoriser les atouts de notre pays et de le réindustrialiser, ce qui constitue aussi un enjeu majeur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, puisque nous débattons des nouvelles politiques publiques qu’il conviendrait de mettre en place pour aider les jeunes face à cette crise sans précédent, je voudrais aborder la question de la fracture numérique.

On croit à tort que l’illectronisme et l’exclusion numérique ne frappent que nos aînés. Grossière erreur ! Certes, un jeune entre 18 et 24 ans maîtrisera peut-être l’usage des réseaux sociaux sur son téléphone portable, mais cela n’implique pas pour autant qu’il sache naviguer correctement sur un site de l’administration publique ou une plateforme de réservation ni qu’il sache effectuer une recherche efficace sur internet pour s’informer sans être victime de fake news.

La crise du Covid-19 a particulièrement mis en lumière d’importantes inégalités dans l’accès aux outils numériques et dans leur utilisation, singulièrement chez les jeunes. Pour les étudiants, le confinement a entraîné une rupture : les cours ont dû être suivis à distance, les ressources en ligne privilégiées et l’aide des professeurs a pu, le cas échéant, s’avérer plus difficile à obtenir.

Ce sont les élèves issus de milieux défavorisés qui ont fait les frais de cette distanciation pédagogique. Bénéficiant de conditions de vie moins confortables, d’une connexion internet parfois défaillante, ils connaissent les plus grandes difficultés pour étudier ou préparer leurs concours.

D’après une étude sur l’école à la maison durant le confinement, 24,3 % des parents d’origine modeste jugeaient leur équipement et leur accès internet insuffisants contre 17 % des familles plus aisées. Les chiffres sont encore plus marquants en ce qui concerne le sentiment de compétence informatique : 45 % des parents des classes supérieures se sentent tout à fait capables de répondre aux exigences techniques numériques de l’école à la maison contre seulement 31 % des parents appartenant aux classes populaires.

Face à la nécessité d’avoir au quotidien accès aux outils numériques, que ce soit dans sa vie professionnelle, privée ou citoyenne, cette inégalité numérique est un symptôme de toutes les autres inégalités sociales que connaissent certains de nos concitoyens, voire un facteur aggravant particulièrement inquiétant chez les jeunes. Sachant que près de 20 % de ces derniers, par manque de maîtrise, renoncent à faire une démarche administrative sur internet, à envoyer un mail important ou à faire un achat, on comprend que l’illectronisme n’est pas qu’une question de manque d’équipement performant. On observe de la même manière de nombreuses inégalités dans d’autres domaines pour cette tranche d’âge.

Réduire cette fracture est un objectif essentiel des politiques publiques, car les inégalités numériques en engendrent d’autres. Il ne sert à rien de distribuer des tablettes aux étudiants si l’on n’intègre pas la formation à ces outils dans la scolarité obligatoire. Monsieur le secrétaire d’État, quelle est votre réponse face à ce défi de société ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame Artigalas, vous avez raison : quand on décide de confiner le pays, de fermer les établissements scolaires et que les enfants ne sont plus face aux enseignants, la grande priorité doit être de permettre à tous les élèves de bénéficier de la continuité éducative, laquelle ne remplacera jamais, par définition, la relation d’un enfant avec son enseignant, son professeur, dans une salle de classe. Il faut alors être le plus efficace possible et toucher le plus grand nombre possible de jeunes.

En ce qui concerne le premier point, je crois que nous avons été au rendez-vous : quand la fermeture des établissements scolaires de l’Oise a été annoncée, nous avons immédiatement mis en œuvre le dispositif « Ma classe à la maison ». Il en a été de même lorsque la fermeture de tous les établissements de France a été décidée, le 12 mars, avant le confinement généralisé. Nous avons pu proposer cette solution parce que nous avions travaillé avec le CNED depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, pour être capables de réagir immédiatement au cas où surviendrait ce type d’événement. La plupart des autres pays européens ont mis plusieurs semaines, parfois plusieurs mois, avant de proposer une solution numérique aux enfants. Nous avons pu le faire tout de suite.

Notre deuxième défi consistait à atteindre le plus d’enfants possible. Et encore une fois, vous avez raison : il est impossible d’assurer la continuité pédagogique dans les familles modestes qui ne sont pas équipées. C’est la raison pour laquelle nous avons débloqué 15 millions d’euros, en lien avec les cités éducatives et les collectivités locales, pour financer des tablettes et ordinateurs. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons conclu un partenariat avec La Poste pour livrer à domicile à 10 millions d’enfants des outils éducatifs sur papier pour compenser l’absence d’accès au numérique.

Nous devons bien évidemment poursuivre dans cette voie. Cette situation doit nous amener à nous interroger sur ce que nous pouvons faire en amont pour réduire la fracture numérique. Comme vous l’avez souligné, on a tendance à penser que tous les jeunes, ceux que l’on appelle les digital natives, maîtrisent parfaitement le numérique. Ce n’est pas vrai : l’illectronisme touche aussi les jeunes. Nous devons aller plus loin. Des états généraux du numérique dans l’éducation se tiendront à la rentrée. Ce sera l’occasion de travailler ensemble pour trouver des solutions qui s’ajouteront aux nouveaux enseignements – je pense aux sciences informatiques et numériques – développés dans le cadre du nouveau lycée.

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques années, les jeunes connaissent un engouement particulier pour le secteur de l’apprentissage.

Entre 2018 et 2019, le nombre de contrats d’apprentissage signés a ainsi progressé de 16 %, portant à plus de 480 000 le nombre d’apprentis. Cet engouement s’explique notamment par un taux d’insertion sur le marché de l’emploi des apprentis de près de 75 %, ce qui en fait un puissant levier pour l’accès à l’emploi.

La crise sanitaire que traverse notre pays est venue compromettre cette amélioration et fragiliser cette voie d’accès particulièrement importante pour l’emploi des jeunes. Avec l’arrêt brutal de notre économie, de nombreuses entreprises sont contraintes de revoir – et on peut les comprendre – leurs priorités en matière d’embauche. C’est notamment le cas des PME, des TPE et des artisans, principaux viviers de l’apprentissage. L’incertitude comme le manque de visibilité économique sur leur trésorerie empêchent forcément ces petites entreprises d’envisager l’embauche d’un apprenti.

Dans cette optique, l’Association nationale des apprentis de France craint une baisse de 20 % du nombre d’apprentis à la prochaine rentrée, faute d’entreprises susceptibles de les embaucher. Des solutions sont mises en avant pour permettre aux jeunes de rejoindre une formation, notamment l’allongement à un an, au lieu de trois mois, du délai dont ils disposent en s’inscrivant dans les CFA pour trouver un employeur et signer un contrat.

Dans quelle mesure, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous proposer de nouveaux moyens, notamment financiers, pour soutenir ce secteur ? Envisagez-vous véritablement d’assouplir les conditions d’accès à l’apprentissage ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur Bonhomme, je veux vraiment redire que l’apprentissage, qui est notre grande priorité en matière de formation des jeunes depuis 2017, et que nous avons fait décoller l’an dernier avec des chiffres absolument inédits que vous avez rappelés, est encore une grande priorité dans le cadre de la crise que nous traversons. Il en sera question demain, lors de l’échange du Président de la République avec les partenaires sociaux.

Il faut soutenir les entreprises, y compris financièrement, pour le recrutement d’apprentis et les centres de formation dont nous avons besoin pour l’avenir et dont le modèle économique risque d’être déstabilisé.

Il faut continuer à accompagner les apprentis en soutenant cette voie. Nous avons pris des mesures, voilà quelques mois, comme l’aide au permis de conduire. Il faut continuer de valoriser cette voie auprès des jeunes. Tels sont nos objectifs.

Pour ce qui est du détail, je vous demande de bien vouloir patienter jusqu’à demain : des mesures seront annoncées à l’issue de la rencontre avec les partenaires sociaux. Mais vous avez bien compris que l’État sera au rendez-vous et continuera d’investir, même encore davantage, dans l’apprentissage pour être en mesure d’accueillir au moins autant de jeunes cette année que l’an dernier. Il s’agit d’un objectif très ambitieux au regard de la crise que nous traversons, mais c’est aussi un objectif essentiel pour mobiliser l’ensemble du secteur et continuer de bénéficier de cette voie d’excellence au service de nos entreprises et de nos jeunes.

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.

M. François Bonhomme. Monsieur le secrétaire d’État, je partage bien évidemment votre acte de foi, mais nous aimerions en savoir un peu plus, même s’il va vraisemblablement nous falloir attendre demain.

Ce qui s’annonce est tout de même exceptionnel. Je vous donne acte de l’amélioration du nombre de contrats d’apprentissage ces dernières années, mais l’arrêt brutal de l’économie va causer de véritables dégâts chez les jeunes : 700 000 d’entre eux vont arriver sur le marché du travail dans les conditions qu’on imagine. Comme l’a souligné M. Chevrollier, 300 000 apprentis vont sans doute se retrouver sur le carreau.

L’enjeu de la rentrée sera considérable. J’espère que les mesures qui vont être annoncées seront à la hauteur et qu’il ne s’agira pas simplement d’un acte de foi ou de propos par trop incantatoires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le secrétaire d’État, je profite de ce débat pour attirer votre attention sur les missions locales, structures au cœur de la prise en charge de nos jeunes de 16 à 25 ans parfois très éloignés de la formation et de l’emploi.

Malgré le contexte de crise sanitaire, les missions locales sont pleinement engagées dans leur mission à destination des jeunes et je souhaite rappeler qu’elles sont des actrices importantes au plus près du terrain.

Certaines ont fait preuve d’une grande capacité d’adaptation pendant cette période et ont su innover sur certains dispositifs, notamment en digitalisant la garantie jeunes ou en développant des forums virtuels de l’alternance.

À ce jour, elles ont manqué de soutien de leur ministère de tutelle dans le cadre de leur adaptation à l’épidémie de Covid-19 : leurs frais liés à la crise n’ont pas été pris en charge, au seul motif que les missions locales ne sont que délégataires d’une mission de service public. Je souhaitais rappeler cette injustice, monsieur le secrétaire d’État.

En parallèle, un premier bilan a été établi confirmant le maintien du lien avec les jeunes en cette période. En revanche, on constate une baisse significative, de plus de 50 %, des propositions faites aux jeunes en raison de la fermeture des organismes de formation, des CFA et de la diminution des offres d’emploi.

Cette situation doit nous alerter sur les résultats : les indicateurs négociés dans le cadre de la convention pluriannuelle d’objectifs sont, à ce jour, totalement inappropriés. Or le financement est lié à ces mêmes indicateurs de performance qui ne seront évidemment pas atteints en raison de la crise sanitaire. Nous devrons donc considérer des indicateurs plus réalistes sur les évaluations des actions menées.

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement compte-t-il faire évoluer ces indicateurs pour mieux les adapter aux territoires et à leur réalité ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame de Cidrac, je vous remercie de mettre l’accent sur le rôle structurant des missions locales qui accompagnent les jeunes vers l’insertion, y compris durant cette crise.

C’est un sujet que vous connaissez bien, puisqu’il me semble que vous présidez vous-même une mission locale. J’étais la semaine dernière dans l’une d’entre elles, à Sartrouville,…

Mme Marta de Cidrac. C’est mon territoire !

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat. … et j’ai pu échanger avec les personnes qui y travaillent. Durant le confinement, et alors que les missions étaient fermées, l’ensemble des salariés des missions locales a fait preuve d’une mobilisation absolument exceptionnelle pour rester en contact, par téléphone, avec les jeunes.

Je crois que 400 000 jeunes au total ont été appelés en France chaque semaine pour que le fil ne se rompe pas et pour leur permettre, une fois levé le confinement, de revenir dans les missions locales et continuer d’y être accompagnés. Je tiens vraiment à saluer cette mobilisation. J’ai eu l’occasion de le dire à Jean-Patrick Gille, voilà quelques jours, en visioconférence. Cette mobilisation exemplaire a été absolument essentielle pour les jeunes.

Vous m’interrogez sur l’avenir. J’ai déjà beaucoup évoqué la garantie jeunes et dit combien nous souhaitions continuer d’investir dans ce très beau dispositif.

La crise que nous vivons aujourd’hui fait naître des difficultés supplémentaires. Vous avez rappelé que le mode de financement de la garantie jeunes dépend des « sorties positives » des jeunes. Alors que nous rencontrons des difficultés de débouchés en matière de formation et d’emploi, ces « sorties positives » vont être plus difficiles. De même, alors que les débouchés se réduisent, il peut être important pour un jeune, sinon essentiel, de rester plus longtemps en garantie jeunes.

Je ne peux pas faire d’annonce aujourd’hui. Nous sommes en train d’y travailler avec les acteurs concernés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je discutais avec Jean-Patrick Gille. Je peux simplement vous dire que Muriel Pénicaud et moi-même sommes très ouverts quant aux modalités de la garantie jeunes, à la fois en ce qui concerne la durée d’accompagnement des jeunes, y compris financièrement, et sur les différents indicateurs qui permettent de financer les missions locales.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.

Mme Marta de Cidrac. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, mais je souhaiterais vraiment m’assurer que l’on regardera de près tous ces indicateurs qui ne sont pas tout à fait appropriés aujourd’hui. Nous comptons sur vous.

Par ailleurs, la prochaine fois que vous viendrez dans les Yvelines, n’hésitez pas à me faire signe ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ma qualité de dernier intervenant, je tiens à remercier le groupe socialiste et républicain d’avoir organisé ce débat.

Nous avons abordé beaucoup de sujets d’importance. Comme plusieurs de nos collègues, mes interrogations portent sur le service civique et sur le service national universel (SNU).

Monsieur le secrétaire d’État, voilà quelques mois, lors de votre passage dans les Ardennes, vous avez rencontré des enseignants, des lycéens – à Bazeilles – et des représentants du monde associatif, notamment des associations patriotiques et de mémoire, et les départements pilotes.

Voilà quelques années, alors que Michèle André présidait la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes avait publié un rapport sur la Journée défense et citoyenneté (JDC). Or la JDC ne dure qu’une journée, ce qui peut poser problème. J’aimerais savoir comment vous envisagez de susciter des vocations, en concertation avec le ministère de l’éducation nationale, le ministère de la défense et les différents partenaires.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur Laménie, je vous remercie d’avoir parlé du service national universel, lequel avait aussi été évoqué rapidement par André Gattolin.

Le SNU, qui a vocation à permettre à notre jeunesse de comprendre tout ce qu’elle peut apporter à son pays, est plus que jamais d’actualité. Durant le confinement, nous avons vu des jeunes très engagés venir en aide aux autres. Il faut continuer de parier sur cet élan.

Le service national universel aura bien lieu cette année, dans des conditions adaptées : pour des raisons sanitaires évidentes, nous avons reporté à l’automne – en espérant qu’il puisse se tenir à ce moment-là – le séjour de cohésion par lequel devaient commencer les jeunes, regroupés et encadrés par des militaires, par des associatifs et par des personnels de l’éducation nationale, et qui implique une mobilité très importante sur le territoire.

Nous avons choisi d’avancer à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet la mission d’intérêt général. En effet, vous le savez, cette première phase comporte deux temps et, dans le cadre de la mission d’intérêt général, les jeunes doivent aller dans une association ou auprès d’un corps en uniforme pour apporter leur aide. Nous développerons de grandes causes, en lien avec la crise que nous vivons. Bien évidemment, l’intergénérationnel et le lien avec nos aînés, ainsi que le soutien aux plus vulnérables et l’environnement seront visés. Les plus de 10 000 jeunes du service national seront sur le terrain dès le début du mois de juillet pour accomplir leur mission d’intérêt général.

Vous avez également abordé la question de la JDC. Je le rappelle, le service national universel a vocation à remplacer la JDC, laquelle disparaîtra progressivement. D’ailleurs, les jeunes qui ont fait leur service national l’an dernier et ceux qui le feront cette année seront dispensés de cette Journée défense et citoyenneté.

Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour envoyer un message rassurant aux jeunes qui auraient dû faire leur JDC pendant le confinement et qui en ont été empêchés. S’ils se demandent si cela les freinera pour l’obtention de certains diplômes ou de leur permis de conduire, je leur réponds qu’une adaptation sera mise en place, afin de leur éviter tout préjudice, notamment pour ce qui concerne le baccalauréat.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.

M. Marc Laménie. Je souhaite rebondir sur vos différentes interventions, monsieur le secrétaire d’État.

Pendant la période très difficile que nous venons de vivre, de nombreux jeunes ont fait preuve d’engagement et de dévouement, pour aider. Je pense bien sûr aux soignants, qui étaient en première ligne, mais aussi à tous les autres.

Les dispositifs tels que la JDC ou le SNU permettent également de susciter des vocations, notamment dans les forces de sécurité ou les sapeurs-pompiers. On le sait, la tâche reste immense.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il me revient la lourde tâche de conclure. Je veux d’abord vous remercier, mes chers collègues, d’avoir participé à ce débat et d’avoir posé des questions absolument essentielles.

Si notre groupe a souhaité mettre en lumière la question de la jeunesse, c’est parce que nous considérons que c’est un sujet essentiel. Nos échanges l’ont montré, en situation de crise, les jeunes paient toujours un lourd tribut et sont durement frappés. Comme le disait Patrick Boucheron sur une radio de service public – vous l’avez peut-être entendu ce matin –, faisons en sorte que cette génération ne soit pas sacrifiée.

Les jeunes sont fragilisées à plus d’un titre. Tout d’abord, à titre individuel, ils sont le réceptacle indirect et presque mécanique des dommages causés par la crise, singulièrement sur leurs parents. La période de confinement a fragilisé la jeunesse et produit de nombreuses fractures.

Ces fractures sont d’abord éducatives. Le nombre de décrocheurs a augmenté. La mise en œuvre d’un nombre important de mesures sera nécessaire pour les rattraper. La semaine dernière, nous avons évoqué les doctorants qui ont arrêté leur thèse et les étudiants. Les efforts ne devront pas peser sur les établissements, grâce à une véritable solidarité nationale.

Ces fractures sont aussi numériques. Ma collègue Viviane Artigalas en a parlé, il s’agit d’une fracture numérique globale, qui n’est pas limitée au domaine de l’éducation. Nous le savons, derrière ce problème, se cache également la question de l’accès aux droits.

Ces fractures sont aussi économiques et sociales. Je ne reviendrai pas sur les pertes d’emploi des étudiants, des apprentis et des stagiaires, qui ont ainsi vu se tarir une source de revenus substantielle.

Enfin, ces fractures sont civiques et culturelles. Ainsi, de nombreux festivals ont été annulés et leurs bénévoles ne sont plus sollicités. Ces moments d’insertion dans les manifestations et, plus généralement, dans la société disparaissent de fait.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé un plan de relance en faveur de la jeunesse. Dont acte. Vous avez esquissé certaines pistes, soulignant que plusieurs points n’étaient pas encore tranchés, des dispositifs nouveaux devant être proposés avant l’été. Nous les attendons avec beaucoup d’impatience ! Mes collègues ici présents seront très vigilants sur leur portée.

Forcément, ces dispositifs seront généraux, mais aussi spécifiques pour les plus vulnérables. Ils seront nécessairement mis en place dans le cadre d’un accompagnement éducatif. Je pense au « oui si » pour les étudiants en licence, qu’il faudra renforcer, éventuellement par des périodes de remédiation. L’accompagnement devra également être financier et social. Nous avons évoqué les 200 euros. Ne conviendrait-il pas de reconduire rapidement cette mesure, peut-être en élargissant son périmètre ?

Il faudra aussi soutenir les Crous, qui ont beaucoup œuvré. Veillons à ce qu’ils ne soient pas fragilisés à la rentrée. Une prolongation exceptionnelle des bourses sera sans doute nécessaire pour les mois de juillet et d’août, avec une stabilisation de leur montant par échelon.

Il faudra encore renforcer l’accompagnement médico-social et relancer la mobilité des jeunes.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué l’insertion des jeunes par l’emploi. Le rétablissement du dispositif d’aide à la recherche du premier emploi, qui a été supprimé en 2018, fera-t-il partie des mesures que vous prendrez ?

Vous vous êtes également arrêté sur l’apprentissage. Les mesures seront annoncées demain. Attendons donc ! Il faudra aussi prévoir une aide financière à destination des jeunes qui veulent entreprendre, car il sera difficile pour eux de se réinsérer dans le marché du travail.

Expérimentons, en attendant le revenu universel d’activité de 2023, dont Mmes Brulin et Féret ont parlé. Allons-y, il faut aider les 18-25 ans !

Bien sûr, je n’oublie pas l’urgence en matière de logement, question particulièrement importante.

Il faudra aussi développer le service civique, peut-être en déployant les crédits dédiés au service national universel, Jacques-Bernard Magner l’a dit et redit.

Sûrement faudra-t-il aussi relancer, monsieur le secrétaire d’État, les emplois aidés, surtout dans les quartiers prioritaires, comme le disait ma collègue Annie Guillemot. Il y a là un vrai sujet.

En conclusion, pour reprendre les mots de Pierre Bourdieu, « la jeunesse n’est qu’un mot », mais c’est une promesse et nous devons nous montrer à la hauteur, car il s’agit d’une ressource formidable. Nous attendons, monsieur le secrétaire d’État, que vous soyez au rendez-vous, car la jeunesse a déjà montré, par son engagement et sa solidarité, qu’elle est pour nous un atout indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. Exceptionnellement, je donne la parole pour quelques instants à M. le secrétaire d’État.

M. Gabriel Attal, secrétaire dÉtat. Je vous remercie, madame la présidente. Bien qu’il ne soit pas d’usage de reprendre la parole, je veux remercier encore une fois le groupe socialiste d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour. Je remercie également chacun d’entre vous de ce débat utile et particulièrement enrichissant.

J’en retiens que la jeunesse, son avenir, son autonomie sont une grande cause qui nous rassemble par-delà les clivages politiques. Bien évidemment, nous ne serons pas toujours d’accord sur les dispositifs qui seront activés et les leviers que nous choisirons d’actionner. Quoi qu’il en soit, l’objectif d’accompagner encore mieux les jeunes dans un moment de crise extrêmement difficile pour notre pays nous rassemble. Nous aurons besoin de cette concorde et de ce rassemblement dans les mois à venir.

De mon côté, je serai très ouvert à toutes les propositions que vous pourrez faire. La conclusion de Mme Robert a permis d’en évoquer encore de nouvelles et certaines sont très intéressantes. Je ne dirais pas lesquelles, afin de ne rien dévoiler, mais je vous assure que les mesures arriveront très vite. Demain, une première série, massive, de mesures en faveur de l’apprentissage sera annoncée par le Président de la République. D’ici à la fin du mois, je proposerai un plan global.

Mme Guillemot a commencé le débat en citant Jean Jaurès. Je voudrais le terminer en citant Léo Lagrange : « Aux jeunes, ne traçons pas un seul chemin, ouvrons-leur toutes les routes. » Cette crise difficile pour les enfants et les jeunes ne doit pas les conduire à penser qu’il n’y a pour eux qu’une voie de garage, une voie sans perspective.

Nous aurons la responsabilité d’« investir » toute la palette des dispositifs en faveur de l’autonomie des jeunes – formation, insertion, engagement civique –, afin qu’ils aient toujours le choix de construire leur vie comme ils l’entendent.

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelles nouvelles politiques publiques à destination de la jeunesse afin d’aider ces publics particulièrement exposés dans la prise en charge des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19
Discussion générale (suite)

Imposition de solidarité sur le capital

Rejet d’une proposition de résolution

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe socialiste et républicain, d’une proposition de résolution demandant au Gouvernement de mettre en œuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19 présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Patrick Kanner, Vincent Éblé, Claude Raynal, Jacques Bigot et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 457).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Vincent Éblé, auteur de la proposition de résolution.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19
Rappel au règlement (début)

M. Vincent Éblé, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la théorie économique qui fonde depuis 2017 l’action du Gouvernement mérite le nom de fable.

Madame la secrétaire d’État, votre gouvernement a fait du ruissellement son credo, l’alpha et l’oméga de votre politique non seulement économique, mais aussi sociale.

L’idée que, lorsque les pouvoirs publics favorisent l’enrichissement des plus aisés de nos compatriotes, il en découle un effet économique positif indirect pour l’ensemble de la population est une mystification, car personne, jamais, ne l’a observé.

Schématiquement, il s’agit de la croyance magique selon laquelle, lorsque l’une des toutes premières fortunes de France gagne 70 millions d’euros, chaque Français en gagne un.

Je voudrais tout d’abord m’attarder sur le fondement philosophique de cette théorie. Quand bien même ces résultats seraient assurés, ce qui bien sûr n’est pas le cas, vous ne semblez pas voir, plus précisément vous ne voulez pas voir, l’aggravation des inégalités qui découle inéluctablement d’une telle politique économique. C’est d’autant plus regrettable que l’ensemble des études attestent le creusement, aujourd’hui, de l’écart de richesse dans notre pays.

Dans sa Critique de la raison pure, Emmanuel Kant distingue le savoir, l’opinion et la croyance. Il indique que le savoir est objectivement et subjectivement suffisant, quand l’opinion est pour sa part objectivement insuffisante et subjectivement suffisante. Quant à la croyance, elle est objectivement et subjectivement insuffisante. À ce stade de notre analyse, la théorie du ruissellement est donc, au mieux, une opinion.

J’en arrive maintenant au rapport d’information remis voilà seulement huit mois par le binôme politiquement différent constitué du rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, et de votre serviteur sur un premier bilan du remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de la création d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU). Il apporte en près de 400 pages une certitude économique indépassable.

Ce travail a en effet démontré qu’il n’y a pas de ruissellement. Il permet également de mettre en relief une forme d’hypocrisie du Gouvernement en la matière, puisque cet état de fait était déjà révélé à Bercy par le logiciel Mésange et nous avait été communiqué. Ce logiciel ne prévoyait que des résultats très modestes, pour ne pas dire quasi nuls, à long terme, sur vingt ans : hausse de 0,5 point de PIB et création de 50 000 emplois seulement.

Ainsi, la théorie du ruissellement n’est plus, madame la secrétaire d’État, qu’une croyance parfaitement insuffisante pour légitimer la conduite d’une politique publique d’allégement constant et déterminé de la fiscalité des Français les plus riches.

Par la réforme fiscale de la loi de finances pour 2018, vous avez prétendu soutenir notre économie nationale. Mais vous avez sorti du champ de l’impôt sur la fortune de nombreux capitaux et actifs, y compris des biens de consommation de luxe tels que yachts, voitures de course, chevaux yearling, métaux précieux, titres de dette souveraine d’États étrangers, soit des objets et matières purement spéculatifs et parfaitement improductifs pour notre économie nationale, alors que, paradoxalement, d’autres capitaux et biens, productifs et concrètement utiles à l’économie et à l’emploi, sont taxés au titre de l’imposition foncière que vous avez créée : il s’agit des locaux industriels et commerciaux, des immeubles de bureaux ou d’habitation.

En définitive, l’imposition du capital en France est donc aujourd’hui fondée sur une théorie parfaitement fumeuse et se traduit par un dispositif totalement contradictoire avec l’intention exposée initialement de favoriser notre économie.

Aujourd’hui, le Gouvernement nous ayant refusé le bénéfice de l’urgence qu’il s’accorde à lui-même en permanence, c’est finalement une proposition de résolution plutôt qu’une proposition de loi qui nous permet d’échanger sur les principes et les intentions plutôt que sur un dispositif législatif déjà opérationnel. C’est un bien pour un mal, car nous voulons échanger et convaincre à la fois le Gouvernement et la majorité sénatoriale de la nécessité d’une telle réforme.

Nous ne souhaitons pas la reproduction de modalités fiscales anciennes. Nous sommes en effet tout à fait disposés à amender et infléchir une nouvelle loi pour un dispositif entièrement nouveau. L’important est de bien considérer les objectifs fixés, car l’acceptabilité est centrale en matière fiscale.

C’est d’ailleurs dans cette perspective, et parce qu’il ne doit y avoir ni totem ni tabou en la matière, que nous avons volontairement écarté, mes chers collègues, l’appellation d’impôt de solidarité sur la fortune, qui chagrine certains d’entre vous et présente le risque de laisser croire à un retour en arrière sans rapport avec notre intention.

J’évoquerai également la conjoncture économique à deux niveaux. Tout d’abord, l’ensemble des travaux économiques récents – je pense bien évidemment à ceux de Thomas Piketty, que l’on ne peut pas, me semble-t-il, taxer de légèreté – témoignent d’un accroissement des inégalités en France, et plus généralement dans le monde occidental, découlant principalement d’une forte hausse des inégalités patrimoniales.

Pas étonnant que, fort de ces analyses, cet économiste fasse partie, avec Esther Duflo, prix Nobel française d’économie, des personnalités qui appellent de leurs vœux la création d’un impôt sur le capital. J’entends même des voix s’exprimer sur ce thème au sein de votre majorité présidentielle ! Les idées justes ne peuvent pas être écartées d’un revers de la main ou par une simple affirmation idéologique contredite par les faits.

Aujourd’hui mes chers collègues, je vous le dis tel que je le pense, exclure de nos travaux ces questions serait irresponsable. C’est pourquoi, vous le savez, le groupe socialiste et républicain a travaillé ces derniers mois sur des sujets connexes tels que les droits de succession, un ISF 2.0 ou encore les encours d’assurance vie qui découlent ou témoignent, en fonction des points de vue, de la hausse des inégalités.

Se pose ainsi la question de rétablir l’équité contributive à l’impôt, gravement mise à mal. Cette nécessité est fortement ressentie, à raison, par nos concitoyens. La crise des « gilets jaunes » s’en est fait le puissant et profond révélateur. Il existe dans notre société un sentiment très fort selon lequel ce seraient toujours les mêmes qui paieraient l’impôt, les plus fortunés en étant largement exonérés. Or la politique, si elle est l’art du possible, est aussi celui des symboles et des mobilisations construites autour des représentations et des convictions.

Il est difficile – c’est un euphémisme – de contredire ce ressenti quand on constate les exonérations massives dont bénéficie aujourd’hui le premier décile – et a fortiori le premier centile – des contribuables français.

Le groupe socialiste et républicain estime en ce sens que nous avons collectivement, mes chers collègues, le devoir de rétablir une imposition juste et équitable en fonction des ressources réelles de nos compatriotes. Les plus fortunés doivent prendre toute leur part, ni plus ni moins. Cela est particulièrement vrai pour les très, très, très riches, dont la capacité contributive est certaine, ne nous mentons pas à nous-mêmes.

Repenser une imposition de solidarité sur le capital n’est pas une question dogmatique, mais seulement une question de nécessité pour que la solidarité de notre société soit entière, au travers de dispositifs fiscaux plus justes.

Ceux qui disent que le produit sera trop faible au regard des besoins du moment se coupent d’une recette utile, car ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Et nous dire que « le besoin est de plusieurs dizaines de milliards d’euros, donc une petite recette est insuffisante », c’est de l’idéologie pure ! Sous prétexte que la recette ne serait comprise qu’entre 3,5 milliards et 5 milliards d’euros, on devrait l’exclure ?

Je ne comprends pas cet argument, mes chers collègues. Je le comprends d’autant moins que, à la suite du « grand confinement » qu’a connu notre planète, les pouvoirs publics ont un besoin sans précédent de ressources. Or, dans les circonstances actuelles, seul le capital est mobilisable : ni les revenus ni la consommation ne le sont. Rejeter une réflexion sur l’imposition du capital, le stock plutôt que le flux, est un non-sens économique absolu.

Ceux-là négligent au surplus la question pourtant essentielle en matière d’équité contributive des représentations symboliques, desquelles découle l’acceptabilité des dispositifs fiscaux.

Enfin, je dirai quelques mots sur ce que l’on pourrait imaginer. La nouvelle imposition que nous appelons de nos vœux se fonde sur plusieurs principes.

En premier lieu, la progressivité est réaffirmée. Elle permettra de mobiliser le premier centile de manière équilibrée et équitable, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Cela passerait par la suppression du « plafonnement du plafonnement », comme cela fut proposé par le gouvernement Juppé et validé juridiquement par le Conseil constitutionnel, mais aussi par la définition de barèmes distinguant les « petits » riches, et notamment les personnes pouvant se retrouver dans la situation de la veuve de l’île de Ré, pour reprendre un exemple connu de tous.

En second lieu, et je sais toute la vigilance de notre rapporteur général sur ce point, il faut intégrer une distinction entre le capital productif et le capital improductif. Je le dis tel que je le pense : Albéric de Montgolfier a raison sur ce point.

En troisième lieu, il convient de prendre en compte l’enjeu de l’incitation économique, et notamment de l’appréhension du développement durable. Cela existe pour les entreprises, avec la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ce concept nous semble transposable à l’imposition du capital, tout comme les enjeux de la transition écologique. Nous pouvons et nous devons les intégrer à la définition d’une nouvelle imposition sur le capital.

La question des nouvelles recettes à trouver ne doit pas nous affranchir d’une remise à plat significative de notre fiscalité, qui craque déjà depuis beaucoup trop longtemps. Au contraire, la situation exceptionnelle que nous traversons nous oblige à être très ambitieux et à aller au bout d’une refonte totale. C’est notre responsabilité, pour ne pas aggraver une situation déjà tendue et éviter de la léguer aux prochaines générations.

Le groupe socialiste et républicain souhaite conduire cette réflexion majeure. Tel est l’objet de la proposition de résolution que nous vous soumettons. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. On pourrait désigner le débat du jour par l’expression « débat boomerang » ou « débat sparadrap », en référence au fameux sparadrap dont le capitaine Haddock ne parvenait pas à se défaire dans l’album de Tintin LAffaire Tournesol.

En effet, dans l’euphorie des premiers temps du quinquennat, ce gouvernement avait supprimé l’ISF, pensant ainsi, par cette « courageuse » décision, tirer un trait définitif sur l’idée « saugrenue » de taxer les plus fortunés de nos concitoyens. L’ISF était accusé de faire fuir les riches, privant ainsi nos entreprises de leurs capitaux. Pourtant, aucune étude n’a étayé cette thèse.

Entre 2011 et 2017, le nombre de redevables de l’ISF était même passé de 287 000 à 358 000 ménages. Les riches n’ont pas pu revenir, puisqu’ils n’étaient pas partis ! En revanche, alors que l’ISF rapportait 5 milliards d’euros par an à l’État, l’impôt sur la fortune immobilière en a fourni 1,3 milliard en 2019. Comme le Gouvernement a aussi diminué la fiscalité sur les revenus du capital, ce sont 4,5 milliards d’euros qui manquent chaque année dans les caisses de l’État, soit plus de la moitié du budget annuel du ministère de la justice.

Durant le confinement, des millions de personnes auront vu leurs revenus s’effondrer. De nombreuses petites entreprises seront malheureusement confrontées à la faillite, leurs salariés se retrouveront au chômage, leurs ex-dirigeants sans revenus. Dans ces conditions, les plus fortunés d’entre nous, rebaptisés à une époque « premiers de cordée », doivent comprendre qu’il est dans leur intérêt de contribuer beaucoup plus fortement et durablement au financement des services publics et de la solidarité, dont ils bénéficient aussi, comme tout un chacun.

La crise sanitaire a ébranlé le monde et replacé au cœur du débat politique les questions fiscales, et notamment la fiscalité des gros patrimoines et du capital. Nous le constatons quotidiennement, mes chers collègues, le sujet s’impose. De nombreuses voix s’expriment, provenant d’horizons et de sensibilités très divers : syndicalistes, économistes, philosophes, intellectuels, et également, Vincent Éblé le rappelait, responsables politiques de la majorité présidentielle.

Ainsi, M. Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, déclarait il y a quelques jours : « S’interroger sur une contribution des plus aisés, pourquoi pas ? » Mme Fiona Lazaar, députée La République En Marche du Val d’Oise, nous dit que « les plus riches devraient contribuer davantage », et le président du groupe Modem, soutien de la majorité, M. Patrick Mignola, qu’« il faut créer un impôt sur la fortune improductive ».

Évidemment, les contempteurs de l’ISF ne restent pas l’arme au pied dans ce débat ; on sent dans la majorité une espèce de crainte que la digue idéologique finisse par céder. Ils montent au créneau, comme on dit, pour défendre la citadelle coûte que coûte.

M. Darmanin : « L’idéologie fiscale n’a jamais fait une bonne politique », ou encore : « L’ISF est un impôt idiot » – on disait la même chose de la taxe professionnelle ; il est curieux de constater que, dans ce pays, les impôts payés par les salariés seraient les seuls intelligents ! M. Le Maire : « L’ISF, c’est le combat du XXe siècle », ou encore : « Rétablir l’ISF serait de la pure démagogie ». Tout Bercy est mobilisé. Madame la secrétaire d’État, je me permets de vous citer : « Avec le retour à l’ISF, on se trompe de combat. »

Des formules choc, aux mots bien choisis ; mais, au fond, jamais de démonstration étayée !

Ces propos sont doux aux oreilles de nos collègues de la majorité sénatoriale. M. Retailleau déclarait il y a quelque temps : « Je suis contre le rétablissement de l’ISF. » Cela a, au moins, le mérite d’une très grande clarté et d’une grande cohérence.

C’est dans ce contexte que nos collègues du groupe socialiste et républicain avancent l’idée d’une imposition de solidarité sur le capital. Exit l’ISF, voici donc l’ISC. Examinons un instant les termes de cette proposition, dont certains, je veux le dire d’emblée, nous laissent un peu sur notre faim.

Il en est ainsi du relèvement du seuil d’assujettissement, que vous voulez porter à 1,8 million d’euros. Chacun ici se souvient que le seuil d’assujettissement à l’ISF était, avant 2007, fixé à 800 000 euros ; il avait été relevé à 1,3 million d’euros sous la présidence de M. Sarkozy et, malheureusement, maintenu à ce niveau pendant le quinquennat de M. Hollande. Le texte de votre résolution est donc, de ce point de vue, en retrait.

Nous soutenons en revanche l’idée d’une progressivité de l’imposition du capital. Si nous partageons donc vos constats, vos propositions nous paraissent malheureusement manquer d’ambition, vu l’ampleur des difficultés qui sont devant nous, tant sur le plan économique que sur le plan social.

Faire contribuer les hauts revenus serait de nature à conforter la notion de consentement à l’impôt, afin que chacun contribue « en raison de ses facultés ».

Concrètement, il faut que les informations sur les portefeuilles financiers, par exemple, soient transmises automatiquement par les banques françaises et étrangères à l’administration fiscale. Rétablir cet impôt en le rénovant serait aussi un début de réponse à la très forte demande de justice fiscale, et par là même de justice sociale, émanant de nos concitoyens.

Ce débat n’est pas un débat franco-français ; il a lieu partout, chez nos partenaires européens en particulier : en Allemagne, en Espagne, en Italie,…

M. Vincent Segouin. En Grèce !

M. Éric Bocquet. … des idées du même style sont à l’étude et font l’objet de réflexions qui animent le débat politique.

Si la proposition de résolution de nos collègues socialistes avait été une proposition de loi, notre groupe l’aurait évidemment amendée afin de l’orienter vers une meilleure répartition de la richesse et vers davantage de justice fiscale et de lutte contre les inégalités, qui explosent. Cette initiative nécessiterait une réflexion globale sur la fiscalité, et nous ne doutons pas que ces sujets reviendront très vite dans nos débats.

En l’état, nous ne pouvons émettre un vote positif sur cette proposition de résolution ; nous opterons donc pour l’abstention.

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le rétablissement de l’ISF fait figure non pas de sparadrap, mais de révolution. Cette idée, comme un astre sur son orbite, ressurgit depuis 2017 à intervalles réguliers dans le ciel de notre hémicycle. Elle prend tantôt la forme d’une proposition de loi, tantôt celle d’un amendement au projet de loi de finances, et, aujourd’hui, celle d’une proposition de résolution.

Entre « résolution » et « révolution », une seule lettre de différence ; mais la différence tient parfois à une seule lettre. Ainsi, après l’instauration de l’IFI en remplacement de l’ISF, il nous est maintenant proposé de passer à l’ISC. Après tout, si les mots comptent, les lettres aussi ! Hier impôt de solidarité sur la fortune, demain, peut-être, impôt de solidarité sur le capital : fortune ou capital, telle est la question.

Mais derrière ces mots ronflants, qui sonnent comme des titres de magazines d’actualités économiques, un concept fait son retour : la justice sociale. Qu’est-ce que la justice sociale ? Vaste sujet…

On peut commencer par dire ce qu’elle n’est pas. Les auteurs de cette proposition de résolution ont ainsi pris soin de la distinguer de la haine des riches. Dans le climat social qui est le nôtre, c’est une précision heureuse, à tout le moins bienvenue. Néanmoins, précision ne vaut pas définition, car ce concept est souvent brandi en étendard, mais rarement défini au niveau des principes. Or c’est là tout l’enjeu.

La justice sociale ou fiscale ne saurait simplement signifier toujours plus d’impôt pour les riches, et même, parfois, pour les moins riches, comme s’il s’agissait d’une loi analogue à la loi de la gravitation universelle. Les auteurs de cette proposition de résolution en réfèrent à l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Permettez-moi d’en citer la lettre : son article XIII dispose que « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

C’est donc déjà interpréter ce texte que de considérer que l’égale répartition dont il est question justifie la progressivité, a fortiori d’y voir la justification d’un nécessaire impôt sur les hauts patrimoines en temps de pandémie mondialisée. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne justifie nullement le rétablissement de l’ISF. Il ne s’agit là que d’une interprétation particulière, qui se fonde sur un diagnostic émis sur la société et renvoie à des choix politiques. (M. Patrick Kanner sexclame.) Il en va de même lorsque, une crise sanitaire frappant le pays, le Gouvernement et le Parlement décident de confiner tout le pays quoi qu’il en coûte et d’utiliser l’argent public pour éviter l’effondrement : il s’agit de choix politiques collectifs.

En matière de politique fiscale, les choix politiques consistent pour partie à résoudre des équations. Nous venons, au cours de cette crise, pour faire face à l’urgence, de dégrader durablement les comptes publics. Notre taux d’endettement a bondi de 15 points en trois mois – du jamais vu. Nous avons voté l’urgence ; il faut maintenant éviter la dépendance. À cet égard, je me réjouis de trouver dans cette proposition de résolution quelques points de convergence avec les auteurs : l’idée qu’il n’est pas légitime de faire porter le poids financier de cette crise sur nos enfants et nos petits-enfants, notamment, et l’idée qu’une taxation accrue de la consommation ou des revenus serait une erreur.

Mais, en fixant le même objectif et en cherchant à éviter les mêmes écueils, je ne parviens pas à la même conclusion. Compte tenu des masses en jeu, un rendement fiscal d’à peine 3 milliards d’euros peut certes être perçu comme une contribution non négligeable – je l’ai noté, monsieur le président de la commission des finances –, mais certainement pas comme la panacée. Par ailleurs, nous ne rembourserons pas notre dette par des taxes symboliques, qui apaisent peut-être des tensions, mais n’améliorent pas vraiment les comptes.

Les mesures qui ont été votées depuis 2017 ont considérablement amélioré l’attractivité de la France. Il y a quelques mois encore, les capitaux s’investissaient massivement dans notre pays, le chômage reculait et la croissance progressait. Et si le coronavirus a changé la donne sur le plan économique, il ne contredit en rien la pertinence des choix qui ont été faits.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues : mon groupe est hostile à l’augmentation des impôts sur le capital, qu’il s’agisse de l’ISF ou d’un ISC. Pour surmonter la crise dans laquelle nous venons à peine d’entrer, nous aurons besoin d’unité nationale davantage que de division ou de boucs émissaires. Or, vouloir faire payer toujours plus ceux qui paient déjà tant n’y contribue certainement pas.

M. Vincent Éblé. Il ne s’agit pas de cela !

M. Emmanuel Capus. Nous avons fait un choix collectif ; nous l’assumerons collectivement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative de MM. les présidents Kanner et Éblé et de leurs collègues du groupe socialiste, la présente proposition de résolution invite à la création, a minima temporaire, d’un impôt de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et la justice sociale et de répondre au défi du financement de la crise sanitaire actuelle. Ce nouvel impôt relèverait le seuil d’assujettissement des contribuables de 1,3 à 1,8 million d’euros, ce qui exclurait 40 % des anciens contribuables de l’ISF pour une perte de recettes d’environ 500 millions d’euros, mais pourrait être compensé par un relèvement de deux points du prélèvement forfaitaire unique. Il est également prévu de revenir au « plafonnement du plafonnement » mis en place jadis par le gouvernement Juppé.

Le groupe socialiste présente cette proposition de résolution avec l’objectif louable de « sauver le plus de vies possible et préserver notre tissu économique et social, nos emplois et nos entreprises », la question étant alors de trouver le meilleur moyen d’y parvenir, à moins que la situation actuelle ne soit tout simplement la meilleure occasion de rétablir un ISF amélioré. Le symbole est fort ; souvenons-nous qu’il faisait partie des revendications des « gilets jaunes », et qu’à l’issue du grand débat le Président de la République s’était engagé à vérifier en 2020 l’efficacité de l’actuel impôt sur la fortune immobilière : « S’il n’est pas efficace, nous le corrigerons », avait-il dit.

Un préalable nécessaire, tout de même : ni l’éventuelle création d’un impôt de solidarité sur le capital, dont le rendement est estimé à 2,5 milliards d’euros, ni le rétablissement de l’ISF, qui rapporta 4,2 milliards d’euros en 2017, ni l’actuel IFI, dont le rendement doit atteindre 1,9 milliard d’euros en 2020, ne sont de taille à soutenir le financement de la crise du Covid-19, au titre duquel nous avons déjà voté 110 milliards d’euros de crédits tout aussi indispensables qu’insuffisants au regard des difficultés qui nous attendent.

L’ISC est donc plus idéologique que thérapeutique. Il n’empêche qu’il est utile et légitime de s’interroger sur la pertinence de l’impôt sur la fortune immobilière. Succédant à l’ISF, l’IFI a délibérément exclu de sa base taxable les placements bancaires et liquidités, ses concepteurs prétendant ainsi relancer l’investissement dans les entreprises françaises et favoriser la création d’emplois. La commission des finances du Sénat ayant quelques doutes sur l’atteinte de cet objectif, nous attendons avec impatience l’évaluation de l’IFI promise par Emmanuel Macron.

Cela dit, le groupe Union Centriste n’a jamais été favorable à l’imposition des seules fortunes immobilières, car les détenteurs d’un patrimoine immobilier ne sont pas plus rentiers que les détenteurs d’un portefeuille d’obligations. Et les premiers concourent parfois davantage à la vitalité de notre économie que les seconds. Par exemple, l’IFI ne taxe plus les valeurs européennes placées dans un plan d’épargne en actions, mais taxe les sociétés d’investissement immobilier cotées qui construisent les centres commerciaux ou encore les sociétés civiles de placement immobilier qui louent des bureaux et des commerces. Qui, pourtant, contribue le plus à l’activité et à la création d’emplois ? Qui est, de fait, un pilier essentiel de la filière du BTP ? De notre point de vue, il y a matière à correction.

Second point surprenant d’incohérence : l’IFI ne taxe plus le patrimoine polluant. Avions privés, voitures de luxe et yachts ont disparu de la base taxable, alors que le défi écologique est au cœur des préoccupations du Gouvernement. C’est suffisamment incohérent pour être inacceptable.

L’ISF ne marchait pas, selon le Premier ministre ; il contribuait à l’évasion du capital. L’IFI fonctionne-t-il mieux ? Il rapporte certes deux fois plus que prévu, soit 1,9 milliard au lieu de 850 millions d’euros, mais l’argument ne suffira évidemment pas. À l’évidence, il faut le corriger, car il ne cible pas encore les freins de notre économie, ceux qui brident les secteurs qui devraient pourtant être nos moteurs.

Concernant la question cruciale du financement de la crise sanitaire, il faut d’abord examiner globalement le système actuel. Certaines mesures fiscales adoptées sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, notamment l’institution de la flat tax à 30 % sur la partie mobilière des revenus de l’épargne et des plus-values, ou encore la réduction progressive du taux de l’impôt sur les sociétés (IS), sont indéniablement positives, en ce sens qu’elles répondent à des distorsions extrêmement coûteuses pour l’économie française.

Pour rappel, pendant le quinquennat de François Hollande, l’ensemble des revenus du capital et des plus-values avaient été intégrés aux revenus imposables soumis à la très forte progressivité du barème de l’impôt sur le revenu (IR). Compte tenu des prélèvements sociaux, le taux d’imposition de ces revenus et plus-values pouvait avoisiner 60 %. Il est toujours tentant, politiquement, de s’attaquer au capital déjà constitué ; mais face à des épargnants de plus en plus informés, de plus en plus réactifs et de plus en plus mobiles, il est vain de penser que l’on peut prélever sur ce stock sans affecter les niveaux de croissance économique et de recettes fiscales.

Surtout, la taxation de l’épargne est susceptible de dissuader la formation du capital. Moins de capital signifie une productivité du travail et des salaires réels plus faibles, ou un chômage plus élevé si les salaires réels sont rigides. Il ne faut par ailleurs pas négliger le fait que l’épargne et l’investissement ont des retombées positives sur l’économie, de sorte que les baisses d’imposition associées ne profitent pas qu’aux seuls contribuables concernés.

Pour relancer demain l’économie, plusieurs ajustements fiscaux seraient possibles, permettant, à des niveaux de recettes fiscales inchangés, de limiter les distorsions et les dommages infligés à l’économie. La crise du Covid-19 pourrait être l’occasion de « verdir » le système fiscal français en intégrant dans les prix des biens et des services les coûts des dommages causés à l’environnement, le but n’étant pas d’augmenter la pression fiscale globale, ni donc d’utiliser la fiscalité verte comme une fiscalité de rendement budgétaire. Un relèvement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ou de la TVA sur des produits jugés nuisibles à l’environnement pourrait être mis à profit pour diminuer symétriquement la taxation du travail, voire celle de l’épargne, afin de stimuler l’offre productive.

Mes chers collègues, voilà donc quelques contributions à ce débat qui a le mérite de nous faire réfléchir en amont sur les voies possibles d’un financement des réponses à la crise et nous permet de formaliser quelques idées. Notre groupe votera contre cette proposition de résolution, mais soutient cependant l’idée d’une nécessaire révision rapide de l’impôt sur la fortune immobilière. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin.

M. Vincent Segouin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ayant assisté il y a quelques semaines à l’examen du dernier projet de loi de finances rectificative, je garde en mémoire le long amendement du président Éblé relatif à son projet de suppression de l’IFI et de retour à l’ISF. Ce projet n’ayant pas abouti, il n’était pas difficile de penser que le sujet reviendrait assez vite dans l’hémicycle. Nous y sommes donc.

J’aimerais brièvement revenir sur l’objectif du Gouvernement lorsqu’il a remplacé l’ISF par l’IFI. Cette contribution fiscale ainsi transformée avait pour but louable de transférer l’épargne immobilière, épargne souvent dormante, et ce à long terme, vers l’investissement dans les entreprises, et de participer à la réindustrialisation de notre économie. À l’heure actuelle, les économistes s’accordent à dire qu’il est encore trop tôt pour réellement quantifier les effets de cette mesure. Mais il est certain que cette réforme ne portera pas les fruits escomptés tant que tous les dispositifs allant en ce sens ne seront pas réintroduits. Vous avez d’un côté créé l’IFI, mais, de l’autre, vous avez dissuadé les contribuables de l’impôt sur le revenu de déduire leurs investissements dans le capital des PME. J’y vois une forte contradiction, que je n’arrive toujours pas à expliquer.

Aujourd’hui, les nouveaux contributeurs à l’IFI, qui sont généralement des chefs d’entreprise, PME ou entreprises de taille intermédiaire (ETI), sont exaspérés de payer autant d’impôts différents, surtout face au constat d’un État qui consacre certes les moyens nécessaires au financement de ses prérogatives régaliennes, mais qui est globalement mal géré, qui s’occupe de sujets qui ne le regardent pas et qui a besoin de se réformer. Certains contribuables se voient prendre plus de 60 % de leurs gains par l’État et – excusez-les – trouvent cela particulièrement injuste.

Cependant, n’allez pas caricaturer mon propos en m’accusant d’être anti-impôt, anti-système social, ou contre la solidarité. Loin de là ! Au contraire, même : je suis heureux que nous ayons, en France, des dispositifs qui permettent que les plus aisés viennent en aide aux plus démunis, une assurance santé universelle, l’éducation gratuite pour tous, une défense, intérieure et extérieure, qui a les moyens de nous protéger. Le problème est que l’aide est devenue, en proportion, trop importante, et le régime confiscatoire trop massif, alors même que les redistributions – nous l’avons vu avec l’hôpital pendant la crise sanitaire que nous venons de traverser – sont mal réparties ou, tout simplement, ne sont pas à la hauteur des réalités.

La France est le pays le plus taxé de la zone euro, avec un taux de prélèvements obligatoires de 45 % du PIB, pour une dépense publique représentant plus de 56 % du PIB. C’est de la folie ! Pis, seuls 43 % des Français paient de l’impôt, pour une dépense de l’État toujours plus généreuse, le comble de l’irrespect consistant à dire à ces contribuables, comme le font certains, qu’ils ont de la chance d’en payer !

Face à ce constat, le groupe socialiste et républicain souhaite mettre en place un nouvel impôt qui pèsera sur ceux qui sont déjà les plus gros contributeurs.

M. Vincent Éblé. C’est totalement faux !

M. Vincent Segouin. Le seul effet de cet impôt sera de relancer le départ des plus riches, entraînant une baisse des recettes et du nombre des contribuables. Plus les contribuables partiront, plus nous serons obligés d’augmenter les taux d’imposition. C’est suicidaire ! Nous sommes au bout d’un système qui est aujourd’hui obsolète. En 2017, quelque 3 800 foyers dont les revenus excèdent 100 000 euros ont quitté notre pays pour partir s’installer à l’étranger. Devons-nous continuer dans cette voie ? Je ne le pense pas. Pouvons-nous nous payer le luxe de laisser partir ceux qui contribuent massivement à la vitalité de notre économie et de nos entreprises ? Je ne le pense pas non plus.

Rembourser la dette, objectif vital pour notre économie et pour les générations qui nous succéderont, ne se fera pas par un énième impôt. Il s’agit, aujourd’hui, de créer des richesses et de diminuer nos dépenses, pas de prélever davantage. À rebours des effets que pourrait avoir la mise en place d’un dispositif tel que celui que souhaitent nos collègues socialistes, il serait plus judicieux de s’attaquer enfin au chantier de la reconstruction de notre industrie, de nos activités économiques et de l’emploi, qui engendrerait mathématiquement une augmentation des recettes de TVA, d’impôt sur les sociétés, d’impôt sur le revenu et une baisse des dépenses de chômage. Mettre en place, comme vous le souhaitez, un impôt qui pèserait sur le capital anéantirait les investissements dans l’économie et serait contraire à l’objectif de réindustrialisation.

Moins d’impôts, c’est enclencher un cercle vertueux pour notre économie ; plus d’impôts, c’est l’étouffer. Mais accroître les recettes ne sera pas suffisant – je vous l’accorde. L’argent public, l’argent du contribuable, doit être dépensé avec parcimonie et efficience. Le problème est qu’actuellement notre niveau de prélèvements est considérable, mais le résultat peu visible pour les contribuables, et la répartition souvent absurde : toujours plus de subventions, allocations en tous genres ou aides sociales disproportionnées.

Le défi est aujourd’hui de faire en sorte que les charges sociales baissent, mais que les salaires augmentent, afin d’augmenter le pouvoir d’achat. Nous devons également envisager de combattre la suradministration, qui ne favorise pas le développement de la liberté d’entreprendre, de supprimer les normes et, de manière générale, de diminuer la réglementation.

Enfin, il faudrait songer à mettre en place une TVA sur les produits importés qui contribuerait au paiement des charges sociales – c’est ce qu’a fait l’Allemagne, je tiens à le dire. Une telle mesure permettrait de taxer les produits importés tout en déchargeant les produits intérieurs et redonnerait de la compétitivité à nos produits français à faible marge.

Il existe de nombreuses pistes pour diminuer le poids de la dette française sans prélever toujours plus sur les entreprises et les ménages. Je suis défavorable au rétablissement de l’ISF, car nous avons besoin des contribuables qui fournissent de l’emploi et de l’activité. Nous devons les inciter à réorienter leur épargne ou leurs investissements vers la réindustrialisation de la France pour rééquilibrer la balance commerciale. Relance des grands projets industriels comme le téléphone portable européen, les plateformes de distribution, l’industrie pharmaceutique – nous avons beaucoup parlé de ce dernier secteur – : les chantiers ne manquent pas. Arrêtons d’augmenter les taxes ; elles sont néfastes pour la confiance.

Nous avons besoin de tous les Français, et de tous les contribuables, pour engager la réindustrialisation et sortir de la dette. Dorénavant, nous devons cesser de nous diviser et sortir de cette mise en opposition perpétuelle des riches et des pauvres, des retraités et des actifs, etc. C’est tous ensemble que nous avancerons. Tous les responsables politiques devraient s’accorder sur le postulat suivant : les contribuables, et les Français en général, ne seront plus la variable d’ajustement des dépenses non maîtrisées de l’État.

M. Vincent Éblé. N’importe quoi !

M. Vincent Segouin. L’augmentation des prélèvements est une voie sans issue qui exaspère les Français, quels qu’ils soient. Notre groupe est donc hostile à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise que nous traversons est sanitaire, économique et sociale. Le rebond que nous appelons de nos vœux doit être rapide, durable et solidaire.

Le groupe socialiste et républicain a souhaité débattre sans délai de cette résolution, car nous savons que les crises sont rarement fécondes d’un monde plus juste et qu’un tel accouchement est souvent difficile. La procrastination, en matière de justice fiscale, est une source majeure de frustration.

L’idée n’est pas de se bercer d’illusions en imaginant en vase clos un « monde d’après » paradisiaque, mais bien d’agir ici et maintenant. C’est pour cette raison que nous avons inscrit cette disposition à l’ordre du jour de notre assemblée sous la forme d’une proposition de résolution, parce que – le président Éblé l’a rappelé – l’exécutif nous a refusé, madame la secrétaire d’État, la procédure accélérée sur le texte que nous avions initialement déposé, dans une logique de censure politique à l’égard d’une proposition de loi qui lui déplaisait.

Nous en prenons acte, mais espérons que l’idée d’un impôt de solidarité sur le capital fera son chemin et finira par se matérialiser dans la loi, mettant fin à ce nouveau bouclier fiscal instauré par la majorité LR… EM (Sourires sur les travées du groupe SOCR.), bien en phase sur cette question comme sur d’autres, en matière municipale notamment, comme nous le voyons dans l’actualité.

M. Vincent Éblé. Très bien !

M. Patrick Kanner. Nous appelons le Gouvernement à reprendre cette idée à son compte. Madame la secrétaire d’État, n’y voyez pas un acte généreux envers le pouvoir en place, mais plutôt une incitation à mener, pendant cette crise, une politique plus solidaire, à votre corps défendant peut-être, pour vous éviter un nouveau mouvement des « gilets jaunes » à la puissance dix. Cette idée pourrait séduire certains caciques de votre majorité ; je pense notamment à Richard Ferrand – notre collègue Éric Bocquet a rappelé ses propos.

Contrairement à ce que pense Bruno Le Maire lorsqu’il évoque, de manière on ne peut plus élégante, un « combat du XXe siècle », nous avons fait preuve de modernité : en écartant les petites fortunes immobilières, qui bien souvent, d’ailleurs, n’en sont pas, en nous assurant de la progressivité de ce nouvel ISC et en modernisant les modalités de déclaration, nous avons fait preuve de progressisme. Nous écouterez-vous ?

Malheureusement, les déclarations de la majorité sont souvent contradictoires. On sent les tiraillements ! Pour Gérald Darmanin, il y a deux choses à éviter : l’idéologie fiscale et l’augmentation généralisée des salaires, qui tuerait l’emploi. Quand Gérald Darmanin parle d’idéologie fiscale, il parle bien sûr de son opposition épidermique à la réintroduction d’un ISF, rénové ou non.

Sur une échelle qui va du président de l’Assemblée nationale au ministre-conseiller régional-maire de Tourcoing, j’ai hâte de voir ou vous vous situez, madame la secrétaire d’État. Je crains d’avoir déjà la réponse, tant la politique du Gouvernement, sur les questions fiscales, est facilement identifiable depuis 2017 : désengagement de l’État et baisse de l’impôt, quel qu’il soit. De là à parler d’idéologie, il n’y a qu’un pas…

Dans votre « nouveau monde », le recul de l’État est érigé en doctrine au profit d’une cause politique. Nous attendons pourtant que vous puissiez vous réinventer. Vous avez voulu diminuer un niveau de prélèvements obligatoires jugé excessif, y compris, via la disparition de la taxe d’habitation, en fragilisant le niveau communal, dont nous savons aujourd’hui l’utilité.

La réalité qu’occulte le Gouvernement, c’est que ce niveau de prélèvements est lié à un périmètre d’intervention de l’État plus large que chez nos voisins – c’est vrai. C’est une question de choix de société ! Oui, l’État-providence a un coût, celui, peut-être, d’une meilleure assurance pour l’avenir des plus faibles.

Notre tradition d’intervention soutenue de l’État nous a toujours distingués, permettant à la France de contenir une fracture sociale toujours trop importante. Aujourd’hui, cette intervention est plus essentielle que jamais. Elle l’a été durant le confinement, elle l’est durant le déconfinement, elle le sera pour faire face aux conséquences sociales de la crise, qui sont devant nous.

Vous le savez : vous ne pouvez plus fonctionner avec le logiciel libéral du début du quinquennat ; si vous persistez, nous courons à la catastrophe. Vous ne pouvez plus alléger la fiscalité des plus riches en prétextant un niveau de prélèvements obligatoires trop élevé et supprimer des politiques à destination des plus modestes pour équilibrer les comptes publics – je pense à la réforme de l’aide personnalisée au logement ou à celle de l’assurance chômage.

Le groupe socialiste et républicain vous interpelle, madame la secrétaire d’État, pour que vous cessiez toute forme de conservatisme fiscal. La suppression de l’ISF n’a pas atteint le but affiché. Elle n’a pas substantiellement diminué le nombre des exils fiscaux ; elle a ôté à l’État, en revanche, une partie de ses leviers d’action. Il faut revenir sur cette suppression, tout en améliorant, bien sûr, cet impôt.

Avec cet impôt de solidarité sur le capital, nous proposons un dispositif qui n’est pas confiscatoire et qui permet à chacun de contribuer à l’effort national selon ses moyens.

Les temps qui s’annoncent sont durs ; il faut tout faire pour empêcher le creusement des inégalités. Notre contribution est modeste, mais indispensable pour permettre à un grand nombre de Français de ne pas basculer dans la précarité. Si cette main tendue est à nouveau rejetée par l’exécutif, les jours qui nous attendent n’auront rien d’heureux. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le rétablissement d’une imposition plus stricte de la fortune est un objet de débat récurrent, depuis le début du quinquennat, entre le Gouvernement et la gauche de cet hémicycle.

La loi de finances pour 2018, premier budget entièrement préparé, voté et exécuté par la majorité présidentielle, avait restreint, mais non supprimé, l’impôt sur la fortune, conformément à l’annonce faite par Emmanuel Macron pendant sa campagne électorale.

En remplaçant l’ISF par un impôt sur la seule fortune immobilière, l’IFI, et en instituant un taux fixe d’imposition des revenus du capital, le prélèvement forfaitaire unique ou flat tax, fixé à 30 %, le Gouvernement a remis au goût du jour des questions que nous avions dû traiter lors des débats sur le bouclier fiscal, en 2007, et déjà en 1986, lorsque fut supprimé l’impôt sur les grandes fortunes, à l’époque de la première cohabitation…

L’imposition de la fortune fait partie de ces politiques à forte teneur symbolique qui devraient permettre, à première vue, de distinguer la droite et la gauche, selon une ligne en apparence simple. Bien sûr, les choses sont beaucoup plus complexes en réalité. Les controverses sur le bien-fondé économique ou moral de l’ISF ne datent pas de l’élection d’Emmanuel Macron ; elles ont toujours plus ou moins existé.

Vous le savez, le radicalisme dont nous nous réclamons s’articule autour de grands principes qui ont façonné la République, tels que la défense des libertés, l’égalité, l’union nationale, la laïcité, la protection de la propriété individuelle… C’est pourquoi il se reconnaît moins dans les débats souvent teintés de présupposés idéologiques, comme celui de l’imposition de la fortune. Il défend néanmoins le principe de l’impôt, qui doit être acquitté en fonction des capacités contributives de chacun, en accord avec l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il reste attaché à l’idée citoyenne d’un impôt sur le revenu, chère à Joseph Caillaux, alors que notre système fiscal s’est grandement complexifié depuis son instauration voilà un peu plus d’un siècle.

Que dire donc de l’établissement d’une imposition plus forte sur le capital ? L’impôt sur la fortune tel qu’il existait jusqu’en 2017 rapportait un peu plus de 4 milliards d’euros par an. On pourra juger que ce n’est pas un montant seulement symbolique, bien qu’il ne représente qu’une petite fraction des recettes publiques. Sa transformation en impôt sur la seule fortune immobilière a surtout révélé la part prépondérante du patrimoine financier chez les ménages les plus aisés. C’était d’ailleurs la volonté du Président de la République de soutenir ce type de patrimoine, jugé davantage productif.

Depuis, les oppositions de gauche – socialistes, France insoumise, communistes… – n’ont eu de cesse de demander le rétablissement d’un impôt sur le patrimoine plus ou moins comparable à celui qui existait avant 2018. C’est également une demande importante du mouvement des « gilets jaunes », qui a eu pour origine une révolte contre un sentiment plus général d’injustice fiscale et sociale.

Face à ces revendications, le Gouvernement s’est jusqu’à présent toujours refusé à remettre en question cette réforme, parmi les premières mises en œuvre au début du quinquennat et qui reste un jalon important de sa politique, malgré le besoin de trouver de nouvelles recettes publiques pour couvrir les dépenses très importantes décidées pour faire face aux conséquences économiques des mesures de lutte contre l’épidémie de Covid-19.

La commission des finances du Sénat a rendu au mois d’octobre 2019 un intéressant rapport d’évaluation de la transformation de l’ISF en IFI et de l’instauration du PFU, qui a conclu à une certaine précipitation de la réforme et à des effets négatifs insuffisamment pris en compte. Au-delà des a priori idéologiques, c’est effectivement la critique qu’on pourrait formuler : n’aurait-il pas mieux valu préparer une réforme plus nuancée, moins empressée, de la fiscalité du patrimoine et en permettre une évaluation réellement efficace ?

Rappelons qu’une grande partie des Français s’acquittent déjà d’impôts sur la détention de capital : les taxes foncières. Dans cette perspective, l’IFI ne s’apparente qu’à un impôt additionnel à la taxe foncière pour les patrimoines les plus élevés.

Cette réforme semble avoir eu un effet positif sur l’attractivité du pays, comme en témoigne le retour d’un certain nombre de contribuables. En outre, la perte de recettes fiscales n’a pas été aussi forte qu’annoncé. Toutefois, peut-on aller jusqu’à attribuer les bons résultats économiques de la France pendant les trois premières années du quinquennat à cette réforme particulière ? Ne faut-il pas y voir aussi l’effet de réformes antérieures ou intervenues dans des domaines plus structurels, comme la réglementation en matière de droit économique et de droit du travail ? Le doute est permis.

Depuis le 17 mars 2020, le contexte a radicalement changé. Il s’agit non plus de favoriser l’attractivité ou d’améliorer la compétitivité de notre économie, mais de soutenir les entreprises face à une crise majeure et de sauver notre tissu économique des conséquences dramatiques des mesures d’urgence mises en place pour lutter contre l’épidémie de coronavirus.

Hier, le ministre de l’action et des comptes publics a annoncé un chiffre actualisé du déficit public, désormais estimé à 220 milliards d’euros pour 2020 ! Cette dégradation sans précédent des comptes publics va entraîner un endettement record et – hélas ! – probablement le besoin de dégager de nouvelles ressources.

Se pose alors la question de la contribution des différents secteurs de la société au redressement économique du pays, en particulier le rôle des plus aisés, et sur la manière la plus adéquate de contribuer. Du strict point de vue des finances publiques, l’imposition du capital peut dégager quelques milliards d’euros de recettes. C’est une contribution, certes, limitée face à l’ampleur de la dépense, mais, là aussi, symbolique.

Le relèvement du seuil d’assujettissement de 1,3 million d’euros à 1,8 million d’euros, afin de sortir de l’impôt les « petites fortunes » immobilières, comme le proposent nos collègues socialistes, serait une bonne chose. En effet, depuis l’instauration de l’ISF, le patrimoine moyen des Français a très sensiblement augmenté.

La modernisation des modalités déclaratives est aussi une exigence, car c’était un des principaux défauts de l’ISF. Elle reste toutefois à préciser.

Force est de constater que les mesures d’urgence sanitaire n’ont pas affecté tous les ménages et toutes les professions de la même manière. C’est pourquoi une taxation du capital ne serait pas moins légitime qu’une taxation accrue de la consommation ou des revenus.

La situation des finances publiques sera un sujet de préoccupation encore plus majeur dans les prochains mois. C’est pourquoi les propositions dans leur diversité sont bienvenues. Les membres du groupe du RDSE, dans leur majorité, voteront donc en faveur de cette proposition de résolution ; les autres s’abstiendront. (M. Éric Jeansannetas applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour ma part, je qualifierais plutôt la résolution dont nous sommes saisis de résolution « Je vous l’avais bien dit » ou résolution « Midi à sa porte ». Dans cette crise, chacun voit midi à sa porte. Nous voyons ressortir les vieilles martingales, qui deviennent des panacées.

En l’occurrence, c’est, j’en conviens, habilement rhabillé.

M. Julien Bargeton. Et, du coup, cela ne suffit pas pour le Parti communiste. Cette résolution a donc pour premier effet de fracturer la gauche…

Mme Sophie Taillé-Polian. Mais de réunir la droite !

M. Julien Bargeton. Il y a toujours des gens qui sont plus à gauche et qui disent qu’il faudrait aller beaucoup plus loin dans l’imposition du capital. Nous avons ainsi appris que le groupe CRCE ne voterait pas la présente proposition de résolution. (Mme Michelle Gréaume et M. Guillaume Gontard le confirment.)

Les prophéties sont parfois autoréalisatrices. Cela se vérifie de tous côtés. Des conservateurs interprètent cette crise comme celle du progressisme, des libéraux comme l’échec de « l’État-Léviathan » et la preuve qu’il est nécessaire d’avoir moins d’État, tandis que des révolutionnaires y voient une nouvelle justification à la révolution, etc. On peut multiplier les exemples. C’est le retour de vieilles ficelles : alors que nous fêtons les 40 ans de Pac-Man, vous proposez une mesure fiscale qui va dévorer tous les investissements et les emplois du futur !

Mais de tels biais de confirmation sont extrêmement naturels. Il est humain de rechercher dans une crise de quoi justifier les positions que l’on défendait déjà auparavant. Nous pouvons tous y être soumis.

La présente proposition de résolution anticipe, me semble-t-il, la prochaine élection présidentielle. Le débat fiscal reviendra à cette occasion. L’opposition socialiste fourbit ses arguments ? C’est de bonne guerre. Elle pose des jalons.

Pour notre part, nous reparlerons de la suppression de la taxe d’habitation ; ceux qui veulent rétablir cet impôt le diront. Nous évoquerons aussi la baisse de l’impôt sur le revenu de 5 milliards d’euros pour les classes moyennes et la défiscalisation des heures supplémentaires. Nous reviendrons sur les mesures massives, et de loin les plus importantes, que nous avons adoptées en faveur des classes moyennes.

J’invite la gauche à relire Keynes. Après tout, il est plutôt perçu comme un économiste de gauche. À l’époque, cela avait du sens de parler de « gauche » et de « droite ».

M. Patrick Kanner. Cela va revenir !

M. Julien Bargeton. Il est vrai que lui-même ne se serait peut-être pas qualifié ainsi.

Keynes disait qu’en période de dépression, il ne fallait ni augmente les impôts ni baisser la dépense publique. D’ailleurs, en ce moment, la dépense publique ne baisse pas. Au contraire ! En la matière, nous n’y allons pas avec le dos de la cuillère ! (M. Vincent Segouin surenchérit.) Mais ce n’est vraiment pas le moment d’augmenter les impôts, quels qu’ils soient : ce serait aller dans le sens de l’accentuation du cycle et déprimer davantage l’activité et l’économie !

En plus, ce qui nous est proposé n’est même pas à la hauteur de la dette et des dépenses engagées. À partir du moment où c’est tellement loin de l’effort qui sera à fournir, pourquoi venir déprimer davantage l’économie dans une période qui a besoin de tout sauf de cela ? Je pense donc que le moment est vraiment mal choisi.

Par ailleurs, le débat sur les impôts de production commençait à poindre avant la crise. Depuis le déconfinement, quel est le mot qui est fréquemment utilisé ?

M. Bruno Sido. Vacances !

M. Julien Bargeton. C’est le mot « réindustrialisation ». Or les impôts de production, qui s’élèvent environ à 76 milliards d’euros, jouent un rôle très négatif pour la réindustrialisation. Certes, comme ce sont des ressources pour les collectivités locales, il est compliqué de les réformer. Mais n’ajoutons pas un nouvel étage d’imposition au moment où l’on s’interroge sur les effets négatifs des impôts de production au regard de l’objectif de réindustrialisation du pays !

Cela ne signifie pas que le débat fiscal soit fermé. Il ne l’est évidemment pas. Il y a beaucoup à dire, tant sur les impôts de production que sur d’autres sujets.

Ainsi, l’unanimité fiscale au sein de l’Union européenne est une vraie question. Si nous voulons aller plus loin dans la construction de l’Union européenne, que le couple franco-allemand a permis de relancer avec un plan de relance inédit et une mutualisation des dettes, il va falloir y répondre. Avec l’unanimité fiscale, les États membres jouent les uns contre les autres ; certains veulent une fiscalité toujours plus basse et font de l’optimisation fiscale en permanence. D’ailleurs, l’optimisation fiscale au sein de l’Union européenne est aussi un vrai sujet.

Il faudrait également traiter la fraude à la TVA, qui s’élève à 135 milliards d’euros au sein de l’Union européenne et à 15 milliards d’euros en France. À cet égard, le Sénat a permis une belle avancée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.

En outre, Thierry Breton a évoqué une taxe aux frontières de l’Union européenne. C’est important : comme nous parlons de relance, nous allons avoir besoin de recettes. Dans un entretien très intéressant, M. Breton indiquait que, face à des géants comme la Chine ou la Russie, qui ne jouent pas le jeu, l’Europe ne doit plus être un nain géopolitique et fiscal dans ce combat de titans à l’échelle mondiale. La question de la taxation à l’entrée de l’Union européenne est donc posée.

Nous avons déjà beaucoup discuté des Gafam, ces géants du numérique, dont la taxation est inférieure de quatorze points à la moyenne de celle des entreprises.

Enfin, il faudrait aborder la fiscalité écologique. Mais nous avons vu à l’occasion de la crise des « gilets jaunes » à quel point il était compliqué d’utiliser le levier fiscal en faveur de l’écologie tout en ménageant le pouvoir d’achat. Cet enjeu est devant nous.

Par conséquent, si nous voulons, dans la perspective d’échéances politiques futures, réfléchir à des réformes structurelles, le débat est évidemment ouvert, notamment pour faire face aux urgences sociales et écologiques. Mais ce n’est pas le moment, en pleine crise, d’ajouter une strate d’impôts supplémentaire.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur Bargeton, je ne sais pas si la gauche est fracturée par cette proposition de résolution, mais ce que nous voyons bien en revanche, c’est que, dans certaines grandes villes, la droite sait se rassembler, de LaREM à LR !

M. Emmanuel Capus. C’est très bien !

M. Julien Bargeton. Ce n’est pas le cas à Paris !

Mme Sophie Taillé-Polian. « Les milliardaires ne donnent pas assez. » Cette phrase n’est pas issue de notre proposition de résolution ; nous n’aurions même pas osé dire cela. On peut la lire dans une interview accordée par un membre du Gouvernement au magazine Challenges. Quelle fougue ! Quelle ambition pour la France ! Serions-nous d’accord ?

Face à la crise sociale qui vient, la France doit apporter une réponse de justice fiscale, afin de corriger les inégalités, qui se sont creusées au cours des dernières décennies et qui ne cessent de s’aggraver.

Face à une société fracturée, où les services publics ont déserté les territoires, où les salaires stagnent et où la précarité s’intensifie, nous avons un devoir politique et quasiment moral : réintroduire dans notre système fiscal un impôt de solidarité sur le capital ou la fortune, afin de « renforcer la justice fiscale, d’augmenter les recettes de l’État et d’inciter à l’utilisation du capital à des fins conformes à l’intérêt général et à la préservation de l’environnement » ; au demeurant, monsieur Bargeton, la préservation de l’environnement est un léger détail pour lequel la doctrine de Keynes ne suffit plus… Nous proposons d’utiliser les recettes ainsi dégagées pour « financer des politiques publiques de solidarité, notamment en faveur des personnes les plus précaires que la crise sanitaire, économique et sociale actuelle a encore davantage fragilisées ». Alors, serions-nous d’accord ?

Lisons la suite de l’interview : il s’agit d’instaurer un « élan philanthropique » ! Et là, nous ne sommes pas d’accord. Aujourd’hui, on voit émerger deux visions de la participation des plus riches au financement de la société : l’impôt ou l’acte philanthropique. Nous avons aussi des débats sur la manière dont les assurances devaient intervenir dans la crise.

Les promoteurs de la philanthropie interviennent souvent très fermement auprès des entreprises ou des grandes fortunes sur le thème : « S’il vous plaît, ne versez pas de dividendes. S’il vous plaît, participez au fonds de solidarité. S’il vous plaît, investissez dans l’économie productive. Et merci pour Notre-Dame ! » (Sourires sur les travées du groupe SOCR.)

Mais, mes chers collègues, la différence entre l’impôt et la philanthropie, c’est ce petit détail qu’on appelle la démocratie. (Très bien ! sur les travées du groupe SOCR.) Ce sont les élus du peuple qui décident qui est prélevé, de combien et pour quoi faire !

Le Gouvernement nous dit qu’il ne faut pas augmenter les impôts ou en créer de nouveaux alors qu’une crise sociale et budgétaire s’annonce. Mais, face à la hausse de la dette sociale, il décide de prolonger la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), qui est un impôt. Bref, on nous dit qu’il ne faut pas créer d’impôts tout en en prolongeant ; c’est un peu : « Ni vu ni connu, je t’embrouille ! » Qui va payer à la fin ? Les salariés et les assurés sociaux, et certainement pas dans des proportions justes au regard de leur niveau de vie !

M. Vincent Éblé. Touché-coulé !

Mme Sophie Taillé-Polian. Sur les travées de la gauche, nous avons proposé différentes solutions, comme l’impôt sur le capital…

M. Bruno Sido. Vous n’avez que le mot « impôt » à la bouche !

Mme Sophie Taillé-Polian. … ou la mise en place d’une taxation exceptionnelle et solidaire sur les encours d’assurance vie supérieurs à 150 000 euros.

Nous sommes favorables à l’idée de trois économistes français, Gabriel Zucman, Emmanuel Saez et Camille Landais, qui ont proposé la création d’un impôt européen sur le patrimoine. Cet impôt progressif sur la fortune, qui serait limité dans le temps et à l’échelle européenne, s’appliquerait aux patrimoines de plus de 2 millions d’euros.

MM. Vincent Segouin et Bruno Sido. Ben voyons !

Mme Sophie Taillé-Polian. Il présenterait un triple intérêt : sortir de la logique unique de solidarité entre les États ; insister sur la solidarité entre les Européens ; ouvrir le débat sur l’instauration d’une véritable et efficace instance démocratique pour gérer les transferts financiers entre États.

Et puis, il y a l’épargne liée à l’absence de consommation pendant le confinement. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), au 20 avril dernier, pour huit semaines de confinement, les ménages français avaient accumulé une épargne forcée de 55 milliards d’euros. Elle est évidemment très inégalement répartie. Il serait peut-être intéressant de voir comment faire. Mme Pénicaud a récemment demandé aux Français de sortir pour consommer cette épargne. Quelle erreur ! Le monde d’après doit être non pas celui de la relance par la société de consommation, qui mène notre planète à sa perte, mais celui de la résilience par le partage des richesses. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il nous faut comprendre la justice fiscale non comme une règle moralisatrice, mais comme un ciment social. L’avenir de notre pays repose sur le triptyque : justice sociale, démocratie renouvelée et écologie. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Pour fonctionner, ce triptyque doit être assis sur un système fiscal juste. C’est le sens de cette proposition et des nombreuses autres que nous formulons. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, l’épidémie que nous traversons est d’une extrême gravité. C’est pourquoi nous avons réagi avec un dispositif puissant, afin d’aider les Français et les entreprises à passer le cap. Bien évidemment, ces mesures ont un coût pour les finances publiques. Pour le seul plan d’urgence, vous l’avez évoqué, nous avons mobilisé 110 milliards d’euros. Ces sommes étaient nécessaires, mais se pose désormais la question, légitime, de la manière dont nous allons absorber cet impact. Pour ce faire, vous proposez au Gouvernement de mettre en œuvre une imposition de solidarité sur le capital, voire le rétablissement pur et simple d’un succédané d’ISF.

S’il y a bien une leçon que nous devons tirer de cette crise, c’est que les anciennes recettes n’ont pas de raison de fonctionner mieux maintenant qu’avant.

M. Vincent Éblé. Vous avez mal écouté !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. Et gardons-nous de parler d’économie ultralibérale dans un pays où l’impôt représente près de la moitié de la richesse créée chaque année et où, aujourd’hui, en tout cas au mois d’avril, près d’un salarié sur deux devait sa rémunération à l’État. Sans remettre ces choix en cause, je me permets toutefois de rappeler les faits.

Les Français attendent de nous que nous inventions de nouveaux outils et de nouvelles solidarités, et non pas que nous ressassions des dispositifs dont nous savons qu’ils n’ont pas été efficaces et qu’ils seraient contre-productifs dans le cas présent.

M. Vincent Segouin. Très bien !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. Tout le monde s’inquiète sur ces travées des besoins en fonds propres des entreprises. Or que sont les fonds propres, si ce n’est du capital utilement mis au service des salariés et des investissements ? Dans le cadre du plan de relance, il paraît évident que nous aurons besoin de trouver des outils pour relancer l’investissement. Il serait contradictoire, dans le même temps, de revenir en arrière en matière de réformes visant à rediriger le capital vers les entreprises.

Enfin, je veux dire un mot des inégalités. Les études économiques et sociologiques montrent que la France est l’un des pays où les politiques publiques corrigent le plus fortement les inégalités de revenus, en réduisant les écarts par une redistribution importante en direction des plus modestes – je fais référence à l’indice de Gini. Parallèlement, les mêmes études pointent des inégalités de destin. En France, il faut cinq à six générations pour changer de catégorie socioprofessionnelle, alors qu’il en faut deux à trois chez nos voisins, et qu’il en fallait également deux à trois en France il y a une trentaine d’années.

Monsieur Bocquet, en effet, il ne faut pas se tromper de combat.

M. Vincent Segouin. Exactement !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. Le combat, c’est l’école, la santé, l’emploi dans les quartiers populaires et les zones rurales, autant de sujets que nous avons pris à bras-le-corps avec le dédoublement des classes en REP et REP+, le plan Pauvreté, le plan Ma santé 2022 ou, dans un autre registre, les territoires d’industrie ou le plan Action cœur de ville. Nous pouvons certainement faire mieux, plus et plus vite, mais nous sommes attendus sur ces combats, la crise actuelle nous le rappelant avec plus de netteté que jamais.

J’ajoute que nombre de pays ont de meilleurs résultats en matière d’inégalités avec un niveau de prélèvements bien moindre. Cela relève du savoir et non de l’opinion, pour reprendre vos mots, monsieur le sénateur.

J’aimerais revenir sur la réforme de la fiscalité du capital menée par le Gouvernement. Clairement annoncée par le Président de la République, son objectif était d’améliorer la lisibilité, la prévisibilité et la compétitivité de notre fiscalité, trop souvent abordée sous un angle idéologique. On l’entend de nouveau aujourd’hui, alors qu’il faut, plus encore qu’hier, faire preuve de pragmatisme.

M. Vincent Éblé. C’est bien notre intention, et ce n’est pas ce que vous faites !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. Avant la réforme que nous avons engagée, la fiscalité du patrimoine était significativement plus élevée en France que chez nos partenaires européens. Chacun peut comprendre que, pour des populations très mobiles, et un capital qui l’est tout autant, cette situation nuisait à l’attractivité de notre pays, donc à l’activité économique et, par suite, à notre situation sociale, à notre préférence pour le chômage et à l’état de nos finances publiques. Ce constat n’a pas changé. Il est même d’autant plus important que nous traversons la plus grave crise économique que connaît notre pays depuis presque un siècle et que nous allons devoir relancer notre économie.

La réforme que nous avons réalisée est efficace ; elle a permis à la France de renforcer sa compétitivité et son attractivité. Vous l’avez signalé, les expatriations de contribuables ont ralenti. Les départs de contribuables à l’impôt sur la fortune en 2017 ont été divisés par trois. En 2018 et en 2019, la France a été la première destination européenne en termes d’investissements industriels et de recherche et développement. Notre politique fiscale est clairement ressortie comme un élément expliquant ce regain d’intérêt.

Ensuite, cette réforme est équilibrée. Nous n’avons pas touché à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, parce que nous pensons qu’il est légitime que les contribuables les plus aisés contribuent de façon spécifique. L’ISF était un impôt dont le poids baissait relativement quand la richesse augmentait, ce qui est assez paradoxal pour un impôt supposément progressif. L’ISF taxait finalement moins les plus hauts patrimoines que les patrimoines moins élevés, du fait du dispositif de plafonnement de l’ISF en fonction du revenu. C’était la caractéristique d’un mauvais impôt, et ce n’est plus le cas avec l’IFI.

De plus, la suppression de l’ISF n’a eu qu’un faible impact sur le montant des dons, contrairement à ce que certains anticipaient, ces derniers ayant diminué de 0,1 %. Le Gouvernement a en effet choisi de conserver une réduction d’IFI au titre des dons. In fine, les experts du Comité d’évaluation indépendant s’accordent pour dire que le nouveau régime fiscal qui s’applique à l’épargne des ménages avec le PFU et l’IFI est plus simple et plus lisible que le précédent. Ils indiquent également que le nouveau régime dissuade par ailleurs les comportements d’optimisation fiscale, qui étaient en effet induits par le plafonnement, et qui nuisaient non seulement aux recettes publiques, mais aussi à la vie des entreprises, notamment dans les situations de transmission.

De plus, cette réforme a vocation à contribuer à réorienter l’épargne des ménages vers l’investissement productif et le financement des entreprises, chose dont nous avons grand besoin aujourd’hui.

J’entends vos propositions, madame Vermeillet, et je partage les principes que vous mettez en avant : inciter au verdissement de l’économie et s’assurer que l’impôt porte sur les actifs les moins contributifs à l’économie. Vous me permettrez toutefois de ne pas aller plus loin dans l’analyse de vos propositions, qui exigerait bien plus de temps. Des débats de ce type se prêtent parfaitement au contexte d’un projet de loi de finances.

Ensuite, notre politique fiscale s’est concentrée sur les classes populaires et moyennes, largement oubliées ces dernières années. Vous arguez de la nécessité d’une réforme de l’imposition du capital en raison des inégalités et des injustices fiscales subies par les Français, et vous avancez notamment la dimension symbolique de l’ISF. Plutôt que des symboles, je crois que nos concitoyens attendent des faits. Permettez-moi de vous rappeler que les baisses d’impôts engagées sur l’ensemble du quinquennat devraient atteindre 27 milliards d’euros pour les ménages et 13 milliards d’euros pour les entreprises.

Concernant l’impôt sur le revenu, nous avons proposé une baisse de 5 milliards d’euros, qui allégera substantiellement l’effort fiscal des classes moyennes et populaires. Ce sont ainsi 17 millions de foyers fiscaux qui connaîtront une diminution de leur impôt sur le revenu, pour un gain moyen d’environ 300 euros. Le gain sera encore supérieur pour les 13 millions de foyers imposés à la première tranche de l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire les contribuables les plus modestes, les classes moyennes et populaires.

Nous ne renoncerons pas à ces mesures fortes pour nos concitoyens les plus en difficulté. Elles sont encore plus justes et nécessaires après la crise.

Nous avons également décidé de reconduire pour 2020 la prime exceptionnelle exonérée de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu, dans la limite de 1 000 euros. Entre le 11 décembre 2018 et le 31 mars 2019, elle a été versée dans près de 400 000 établissements à environ 5 millions de salariés, ce qui représente 2 milliards d’euros, pour un montant moyen de 400 euros.

Toutes ces dispositions permettent de rééquilibrer la redistribution, et ce ne sont là que certains des nombreux dispositifs mis en place pour aider nos concitoyens des classes populaires et moyennes, avant même que la crise ne les frappe.

Quant à la CRDS, madame Taillé-Polian, je veux rappeler que c’est l’impôt dont l’assiette est la plus large, puisqu’il s’applique aussi à la vente de bijoux ou de yachts. Utiliser ce moyen en décalé – nous parlons d’un moment où, j’ose l’espérer, nous serons collectivement sortis de cette crise – apparaît donc comme une réponse appropriée.

Pour faire face à la crise, nous avons mené une action puissante et sans équivalent dans notre histoire récente. Rien que pour le plan de soutien, nous avons mobilisé 110 milliards d’euros, dont l’essentiel est destiné aux salariés grâce au chômage partiel et aux indépendants, commerçants et artisans qui ont été les plus exposés, notamment avec le fonds de solidarité.

Dans la balance, vous proposez une réforme symbolique qui permettrait de dégager, selon les calculs, 2,5 milliards d’euros. De notre côté, nous mobilisons 18 milliards d’euros pour le tourisme, 8 milliards d’euros pour l’automobile et les milliers d’emplois qu’elle représente. Nous nous battons aussi pour le secteur aéronautique, pour relocaliser des emplois en France, pour protéger des activités et faire en sorte qu’elles continuent.

Nous devrons effectivement nous poser la question du financement de cet effort. Mais, comme l’a dit M. Segouin, certaines questions essentielles doivent être réglées dans l’immédiat. Comment relance-t-on notre économie ? Comment relance-t-on notre industrie ? Comment accélère-t-on les transitions numériques et écologiques ? Comment renforce-t-on notre attractivité et, finalement – le mot est lâché –, notre compétitivité ? Comment limite-t-on in fine la casse sociale et comment crée-t-on des emplois d’avenir ?

Je vous tends la main pour répondre à ces questions, monsieur Kanner. Nous devons collectivement être à la hauteur des enjeux pour recréer la confiance et la croissance nécessaires pour accompagner notre relance. Ce sont là les vraies sources de création de richesses, y compris fiscales.

N’oublions pas non plus les enjeux fiscaux européens, et je vous rejoins sur ce point, monsieur Bargeton : taxation des plateformes numériques, mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union européenne, taxation minimale des entreprises, dans le droit fil des travaux de l’OCDE, ou encore lutte contre la fraude fiscale, notamment en matière de TVA. Ce sont autant de combats que nous avons engagés et que nous poursuivrons activement dans les semaines qui viennent. (M. Julien Bargeton applaudit.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution demandant au gouvernement de mettre en œuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du covid-19

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le rapport d’information du Sénat n° 42 (2019-2020) – 9 octobre 2019 – de MM. Vincent Éblé et Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances sur l’évaluation de la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU),

Vu la proposition de loi n° 438 (2019-2020) – 15 mai 2020 – du groupe socialiste et républicain du Sénat visant à financer les politiques publiques de réponse à la crise sanitaire et économique du Covid-19 par la réintroduction d’un impôt de solidarité sur la fortune,

Considérant que l’ensemble des travaux économiques récents témoignent d’un accroissement des inégalités en France principalement nourri par une augmentation des inégalités de patrimoine et de capital ;

Considérant qu’en conséquence, de nombreux économistes de premier plan ont appelé à la réintroduction d’un impôt de solidarité sur la fortune, tout comme de nombreuses formations politiques et groupes parlementaires, à des fins de justice fiscale et sociale ;

Considérant que la crise des gilets jaunes de la fin de l’année 2019 a témoigné de la forte injustice ressentie par les Françaises et les Français face à la montée de ces inégalités, renforcée par la politique fiscale et sociale conduite par le Gouvernement depuis 2017 ;

Considérant que la crise du « grand confinement » frappera en premier lieu, une nouvelle fois, les plus précaires de nos concitoyens et creusera une nouvelle fois les inégalités ;

Considérant le besoin de recettes que connaît l’État français du fait de l’engagement, parfaitement légitime en soi, de nombreuses dépenses pour faire face à la pandémie ;

Considérant que la réduction des dépenses de l’État n’est pas envisageable dans de telles circonstances à court terme ;

Considérant que du fait de la nature même de la crise économique en ayant découlé, une taxation accrue de la consommation ou des revenus serait une erreur ;

Considérant en conséquence que seul l’accroissement des déficits et de la dette, d’une part, et une taxation du capital, d’autre part, demeurent des options viables sur le plan théorique ;

Considérant qu’il n’est pas légitime de faire porter le poids financier de cette crise à nos enfants et à nos petits-enfants et qu’il convient donc de mettre en œuvre des mécanismes financiers d’accroissement des recettes par une taxation du capital ;

Considérant que même si ces recettes ne couvriront pas l’intégralité des dépenses supplémentaires engagées, elles représentent, d’une part, des fonds utilisables pour la puissance publique et, d’autre part, un symbole de solidarité citoyenne aujourd’hui nécessaire ;

Considérant que l’impôt de solidarité sur la fortune, supprimé en 2017, disposait de certaines vertus mais également de limites de construction qu’il convient d’intégrer à la réflexion ;

Considérant à cet égard que la proposition de loi n° 438 (2019-2020) – 15 mai 2020 – du groupe socialiste et républicain du Sénat visant à financer les politiques publiques de réponse à la crise sanitaire et économique du covid-19 par la réintroduction d’un impôt de solidarité sur la fortune offre des perspectives intéressantes pour corriger ces défauts ;

Considérant qu’il conviendrait également d’introduire dans cette imposition une distinction entre le capital productif et improductif afin d’encourager les comportements économiques vertueux ;

Considérant qu’il est nécessaire de « verdir » l’imposition du capital afin de favoriser les investissements respectueux des trois piliers du développement durable ;

Invite le Gouvernement à :

Introduire un « impôt de solidarité sur le capital » afin de renforcer la justice fiscale, d’augmenter les recettes de l’État et d’inciter à l’utilisation du capital à des fins conformes à l’intérêt général et à la préservation de l’environnement ;

Utiliser les recettes ainsi dégagées pour financer des politiques publiques de solidarité, notamment en faveur des personnes les plus précaires que la crise sanitaire, économique et sociale actuelle a encore davantage fragilisées.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Avant de mettre aux voix la proposition de résolution, je vous informe que j’ai été saisie d’une demande de scrutin public par le groupe Les Républicains.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19
Rappel au règlement (fin)

M. Patrick Kanner. Je regrette que la minorité physique actuellement présente au sein de la Haute Assemblée ait recours au scrutin public pour faire prévaloir sa position politique majoritaire…

La majorité sénatoriale est certes cohérente avec les positions qu’elle défend maintenant depuis quelques dizaines d’années – même si M. Sarkozy n’a jamais supprimé l’ISF –, à l’unisson avec la majorité nationale LaREM.

Sans parler d’artifice, puisque le scrutin public est prévu par le règlement du Sénat,…

M. Vincent Segouin. Donc, c’est notre droit !

M. Patrick Kanner. … sur un sujet aussi important, qui pose la question de la place de l’impôt dans une société de justice sociale et marque le clivage droite-gauche – rappeler son existence me semble nécessaire dans cette période de perte de repères politiques –, on aurait aimé que vous soyez plus nombreux pour faire valoir à main levée votre différence avec cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. Acte est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix la proposition de résolution.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 110 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 312
Pour l’adoption 83
Contre 229

Le Sénat n’a pas adopté.

Rappel au règlement (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19
 

7

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 4 juin 2020 :

De neuf heures à treize heures :

(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)

Proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, présentée par M. Pascal Savoldelli et plusieurs de ses collègues (texte n° 717, 2018-2019) ;

Proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 470, 2019-2020).

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

(Ordre du jour réservé au groupe UC)

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à répondre à la demande des patients par la création de Points d’accueil pour soins immédiats (texte de la commission n° 462, 2019-2020) ;

Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux (texte de la commission n° 464, 2019-2020).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication