compte rendu intégral

Présidence de M. Pierre Laurent

vice-président

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers,

M. Loïc Hervé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré
Discussion générale (suite)

Ticket restaurant étudiant

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant, présentée par M. Pierre-Antoine Levi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 422, texte de la commission n° 657, rapport n° 656).

Mes chers collègues, je vous informe que, en raison d’un incident technique, seules certaines caméras de l’hémicycle filment nos débats.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Encore un coup de l’UNEF ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré
Article 1er

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vous cache pas ma grande satisfaction de me tenir devant vous, aujourd’hui, pour l’examen de ma proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant.

Ma satisfaction est double. Tout d’abord, il s’agit de ma première proposition de loi depuis le début de mon mandat de sénateur. Ensuite, sans préjuger de l’issue du vote de tout à l’heure, cette proposition de loi aura de toute façon le mérite de pointer du doigt les inégalités du système de restauration étudiante dans notre pays, qui pénalisent de très nombreux jeunes.

Permettez-moi de revenir brièvement sur la genèse de cette proposition de loi.

Tout d’abord, comme nombre d’entre vous, depuis un an et demi, j’ai été extrêmement sollicité par des étudiants en détresse, en tant que premier adjoint de la ville de Montauban, dans un premier temps, puis, depuis octobre dernier, en tant que sénateur.

Les témoignages de dizaines d’étudiants dont la situation financière est catastrophique, qui n’arrivent parfois plus à manger à leur faim et qui garnissent les files d’attente des Restos du cœur m’ont particulièrement affecté. Ces images et ces situations de détresse ne sont pas tolérables dans notre pays en 2021.

Nombre de familles, notamment celles de la classe moyenne, éprouvent les plus grandes difficultés pour subvenir aux besoins de leurs enfants dans le cadre de leurs études.

Pourtant, en France, a priori, nous n’avons pas à nous plaindre de notre politique d’aide et d’accompagnement, plutôt efficace et généreuse : les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les Crous, qui offrent bourses, logements étudiants et restauration universitaire apportent une réponse plutôt performante. Peu de pays disposent d’un système aussi développé.

Cependant, souvent, les effets de seuils font qu’un étudiant issu de la classe moyenne s’entendra dire : « Désolé, monsieur, vous ne bénéficiez pas de telle ou telle aide. » Ces étudiants prétendument « trop riches » sont finalement les victimes collatérales des critères d’attributions, mais, pour eux, les fins de mois sont aussi difficiles.

Dans d’autres situations, à ces effets de seuils s’ajoute l’absence de Crous. Que l’on ne voit dans mes propos aucune critique, mais simplement un constat. Les Crous ne peuvent d’ailleurs raisonnablement être présents sur l’ensemble des villes ou des sites où sont dispensées des formations d’enseignement supérieur. Les Crous font le choix de couvrir en priorité – c’est tout à fait compréhensible –, les campus universitaires.

Néanmoins, l’enseignement supérieur dans notre pays ne se résume pas aux seules universités. Bien d’autres acteurs existent : les brevets de technicien supérieur, les BTS, les écoles de commerce, les écoles d’ingénieurs, les écoles d’infirmières, les classes préparatoires et bien d’autres encore.

Mes chers collègues, dans vos départements, vous avez certainement des formations dispensées dans des petites communes ou loin des sites universitaires majeurs. Il y a fort à parier que les Crous ne proposent pas de services de restauration à ces endroits.

Dès lors, doit-on se satisfaire du fait que des centaines de milliers d’étudiants ne bénéficient pas d’un service de restauration, car le Crous n’est pas en mesure de leur proposer ? À ce titre, le passage du repas dans les restaurants du Crous à 1 euro a été une très bonne chose, qui a permis à de très nombreux étudiants de préserver leur pouvoir d’achat. Nous ne pouvons que nous en féliciter, et je salue cette initiative du Gouvernement.

Pour autant, la problématique reste la même lorsqu’il n’y a pas de restaurant universitaire dans la commune où l’on étudie, mais également lorsque ces établissements ne sont pas ouverts le soir ou le week-end. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation, qui exclut tant d’étudiants de cette aide qui leur est pourtant due.

Tel est, mes chers collègues, le sens de cette proposition de loi. Elle n’est en aucun cas une attaque contre les Crous, comme certains ont voulu le faire croire avec mauvaise foi. Ce texte permet tout simplement de combler les trous dans la raquette de l’offre actuelle des Crous et de pallier des inégalités.

En pratique, comment se traduirait ce ticket restaurant étudiant ? Il serait inspiré du modèle du ticket restaurant des entreprises, qui a fait ses preuves depuis des décennies. Qui, aujourd’hui, remettrait en cause ce système, qui apporte un véritable gain de pouvoir d’achat à des millions de salariés ?

Le ticket restaurant étudiant serait acheté 3,30 euros par l’étudiant, soit le même prix qu’un repas de restaurant universitaire avant la période de covid-19. Par l’intermédiaire du Crous, l’État financerait également 3,30 euros, de la même façon qu’il finance la moitié du prix du repas dans les restaurants universitaires.

S’est posée la question de la territorialisation ou non de la mesure. Comme le rapporteur vous l’expliquera tout à l’heure, cela nous a paru être la meilleure chose, afin de limiter l’accès au ticket restaurant étudiant à ceux qui ne bénéficient pas de restauration universitaire à proximité.

Permettez-moi de prendre un exemple simple de territorialisation, ici, sous nos yeux : nos collaborateurs. Ceux qui exercent au Palais du Luxembourg ont accès au restaurant des collaborateurs du 36, rue de Vaugirard à un tarif préférentiel. Leurs collègues en circonscription bénéficient, eux, de tickets restaurants, car ils n’ont pas accès aux restaurants d’entreprise. C’est une question d’équité, et cela fonctionne très bien.

La question du coût a pu se poser, et elle est légitime, mes chers collègues, car nous sommes tous des élus responsables. Néanmoins, avant d’aborder le coût, il est important de parler du devoir moral que nous avons envers les étudiants, qui représentent l’avenir de notre pays. Nombre d’entre eux souffraient de la précarité bien avant la crise sanitaire ; d’autres l’ont découvert depuis un an et demi.

Il est de notre responsabilité, en tant que responsables politiques, de leur apporter des solutions. C’est ce que fait ce texte. Sera-t-il suffisant pour régler la problématique de la précarité étudiante ? Non, mais il apporte déjà une réponse.

S’agissant du coût, pouvons-nous nous satisfaire d’une analyse tronquée en se disant que cela va créer un surcoût pour les Crous ? Assurément non. Car si tous les étudiants n’ayant pas accès à un restaurant universitaire pouvaient s’y rendre, les Crous seraient bien obligés de les accepter. Pensez-vous vraiment que nous pourrions leur répondre : « Désolé, mais cela va coûter cher à l’État » ?

Ne faisons pas une économie sur un droit qui n’est tout simplement pas exercé, alors que de très nombreux étudiants subissent cet état de fait.

Nous avons entendu, ici et là, des estimations fantaisistes du coût de cette mesure : 2, voire 4 milliards d’euros. Toujours plus, pour essayer de discréditer ce projet. Je pose tout simplement la question à ces organisations : qu’avez-vous fait pour régler la situation des étudiants qui ne bénéficient pas des services du Crous ? N’étiez-vous pas majoritaires pendant toutes ces années ? Ou peut-être que les étudiants en écoles de commerce, écoles d’ingénieurs, BTS ou classes préparatoires ne vous intéressent tout simplement pas.

Au-delà de l’estimation du coût de cette mesure, je suis de ceux qui pensent que, sur certains sujets, nous ne pouvons avoir une vision uniquement comptable. Les étudiants ne le comprendraient pas, et je pense qu’ils auraient tout à fait raison.

Je le demande aux responsables des Crous et à vous, madame la ministre : que jugez-vous le plus coûteux ? Ouvrir un restaurant universitaire pour cinquante étudiants en BTS dans une petite ville ou leur permettre de bénéficier d’un ticket restaurant étudiant ?

Il est important de se poser cette question. J’espère, madame la ministre, que ce projet saura vous séduire et retiendra toute votre attention, comme il a retenu l’attention de plus de quatre-vingts sénateurs, en dépassant les clivages politiques.

Les étudiants ont souffert depuis plus d’un an et demi, et, pour beaucoup, ils souffrent malheureusement encore de cette précarité. Nous leur devons cette innovation sociale et cette équité, car il s’agit bien là d’une innovation sociale et non d’un gadget.

Les étudiants s’approprieront rapidement ce ticket restaurant, avec un grand sens des responsabilités. Ils n’iront pas s’acheter des sandwichs ou de la junk food midi et soir, contrairement aux arguments de nos détracteurs, car il sera tout à fait possible de manger équilibré avec un ticket restaurant étudiant, comme il est tout à fait possible de manger déséquilibré dans un restaurant universitaire. Cessons d’infantiliser les étudiants ! Ils valent bien mieux que cela.

Mes chers collègues, pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, pour le devoir moral que nous avons envers les étudiants, qui n’ont vraiment pas été épargnés depuis le début de la crise du covid-19, je vous propose une avancée sociale en votant, à l’issue de nos débats, en faveur de la création d’un ticket restaurant étudiant.

J’espère que ce texte, s’il est voté au Sénat, sera étudié rapidement à l’Assemblée nationale. Je remercie à ce propos la députée Anne-Laure Blin, qui a déposé une proposition de loi similaire à l’Assemblée nationale, et avec qui j’ai beaucoup échangé. Je la remercie d’ailleurs de sa présence ce matin.

Je remercie aussi chaleureusement mes collègues du groupe Union Centriste d’avoir collégialement sélectionné ma proposition de loi dans notre espace réservé.

Ce texte ne doit pas rester dans un tiroir. Il doit permettre au plus vite d’offrir du pouvoir d’achat aux étudiants. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie pour eux ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Hingray, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme Pierre-Antoine Levi vient de le démontrer avec beaucoup de force et de vigueur, cette proposition de loi entend redonner du pouvoir d’achat, sur le plan alimentaire, aux étudiants durement éprouvés par les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire.

Face à l’aggravation de leur précarité, le Gouvernement a abaissé le tarif du ticket de restaurant universitaire à 1 euro, d’abord pour les étudiants boursiers, puis pour tous les étudiants. Cette mesure, que nous saluons, est bien sûr bénéfique, mais constitue-t-elle la panacée ? Assurément non.

Premièrement, elle ne fait qu’amplifier le problème de l’accès aux structures de restauration universitaire, puisqu’en sont de facto exclus les étudiants éloignés des grands campus et des centres-villes. Nombre d’entre nous avons été alertés, dans nos départements, sur cette inégalité d’accès entre étudiants.

Deuxièmement, le ticket à 1 euro ne constitue pas un modèle économique viable sur le long terme, sachant que la préparation d’un repas en restaurant universitaire coûte de sept à huit fois ce tarif.

Troisièmement, cette mesure a été conçue pour répondre à une situation d’urgence. Or, à ce jour, le ministère n’est pas en mesure de nous dire si elle sera prolongée, ni même si le périmètre de ses bénéficiaires est susceptible d’évoluer. Il y a toutes les raisons de penser qu’elle ne constituera pas une solution pérenne pour notre système de restauration.

C’est dans ce contexte pour le moins incertain que s’inscrit cette proposition de loi. Quel en était l’objectif initial ? Il s’agissait de permettre à tous les étudiants, quels que soient leur statut social, leur établissement de rattachement, leur situation géographique ou le moment de la journée ou de l’année, d’acheter un repas ou de faire des courses alimentaires à tarif social.

Cette portée universelle a suscité des inquiétudes, certaines fondées, d’autres moins, ainsi que des prises de position, certaines mesurées, d’autres plus caricaturales.

Je ne puis ainsi laisser dire que le but aurait été de « mettre en concurrence » le réseau des œuvres universitaires avec les acteurs de la restauration privée. Nous savons tous le rôle structurant que jouent les Crous et les efforts d’adaptation qu’ils ont accomplis depuis une dizaine d’années pour mieux répondre aux attentes des étudiants. Le ticket restaurant ne remet pas cela en cause : il entend élargir l’offre de restauration et donner davantage de souplesse aux étudiants, qui pourront choisir d’aller au restaurant universitaire, de prendre leur repas à l’extérieur ou de cuisiner chez eux.

Je ne puis non plus laisser dire que la création d’un ticket restaurant jetterait les étudiants dans les bras des fast-foods. Ne les infantilisons pas. Ils peuvent parfaitement vouloir faire leurs courses dans des supérettes pour consommer des produits que l’on ne trouve pas forcément dans la restauration collective. Qui plus est, le risque de « malbouffe » peut tout à fait être limité par des moyens techniques qui encadreraient l’utilisation d’un ticket restaurant étudiant dématérialisé.

En tant que rapporteur, j’ai souhaité dépasser ces clivages et, après avoir entendu toutes les parties, dressé un bilan bénéfice-risque le plus complet possible. À la lumière de celui-ci, il nous est apparu nécessaire d’ajuster le dispositif initial en le centrant sur la problématique de l’accès à la restauration universitaire, qui, nous le voyons bien dans nos territoires, constitue la principale pierre d’achoppement.

Les 801 points de vente gérés par les Crous ne sont, en effet, pas répartis de manière homogène. L’existence de « zones blanches », comme pour la couverture en réseau de téléphonie mobile, place les étudiants concernés dans une situation d’inégalité d’accès au service public de la restauration universitaire.

Les étudiants de ces territoires sous-dotés en infrastructures sont, d’ailleurs, aujourd’hui, dans l’impossibilité de bénéficier du ticket de restaurant universitaire à 1 euro. C’est pourquoi la commission a proposé de cibler le dispositif du ticket restaurant sur les étudiants éloignés des structures de restauration universitaire.

Ces étudiants pourront ainsi bénéficier d’un ticket à tarif social pour se restaurer ou faire des achats alimentaires auprès d’établissements conventionnés avec les acteurs territoriaux de la vie étudiante, qu’il s’agisse des établissements d’enseignement supérieur, des Crous ou des collectivités.

Ce ciblage de la mesure, qui fait du ticket restaurant une offre complémentaire à celle de la restauration universitaire, permet, en outre, d’écarter tout risque de déstabilisation du réseau des œuvres.

En posant le principe d’un ticket restaurant étudiant territorialisé, la commission exprime ainsi la nécessité d’offrir à nos étudiants un enseignement supérieur de proximité, notamment en premier cycle, qui ne soit pas cantonné aux grands pôles universitaires traditionnels, avec les prestations d’accompagnement qui vont avec.

La création d’un ticket restaurant étudiant réservé à ceux d’entre eux qui sont isolés mettrait fin à cette profonde inégalité territoriale. À l’instar de ce qui existe dans des pays comme l’Angleterre ou la Suède, cette mesure est donc une solution de substitution pertinente, techniquement bien acceptée par les principaux acteurs concernés.

Le Gouvernement est donc désormais prévenu et ne peut plus détourner le regard face à cette jeunesse qui souffre et qui attend des solutions concrètes et immédiates pour aller de l’avant. C’est désormais chose faite avec le ticket restaurant universitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, permettez-moi de saluer l’initiative prise par le groupe Union Centriste de nous permettre de débattre de cette proposition de loi, dont le premier mérite est d’aborder clairement la question de la précarité alimentaire de certains étudiants.

Cet enjeu n’est pas apparu avec la crise sanitaire, mais force est de constater que celle-ci l’a rendu plus prégnant que jamais.

Nous connaissons tous l’engrenage qui a conduit à cette situation. La perte des emplois étudiants, la suspension des stages rémunérés ou le soutien familial parfois bridé par des difficultés économiques ont fortement entamé les moyens de subsistance de certains étudiants.

Ni la communauté universitaire ni le Gouvernement n’ont attendu que les problématiques de vie étudiante soient un sujet d’opinion publique pour agir. Dès le mois de mars 2020, les établissements d’enseignement supérieur ont mobilisé le produit de la contribution vie étudiante et de campus pour apporter de l’aide à leurs étudiants, y compris de l’aide alimentaire.

De nombreuses initiatives solidaires ont été lancées par les associations étudiantes, avec le soutien financier du Gouvernement, telles que la confection de paniers-repas ou la distribution de colis alimentaires. Les liens ont été resserrés entre les acteurs associatifs, les Crous et les établissements d’enseignement supérieur, au bénéfice des étudiants.

Tout en soutenant ces initiatives, le Gouvernement a, dans le même temps, déployé un arsenal de mesures pour faire refluer la précarité : versement d’aides exceptionnelles, doublement des aides d’urgence, revalorisation des bourses sur critères sociaux, prolongation du droit à bourses en fonction des incidences de la crise sur le cursus, réexamen des situations sociales pour adapter en fonction le niveau des bourses, gel des frais d’inscription, gel des loyers des logements des Crous, création de 20 000 emplois étudiants, mise en place de distributeurs de protections périodiques gratuites, entre autres.

L’instauration du ticket de restauration universitaire à 1 euro pour les boursiers à la rentrée, étendue en janvier dernier à tous les étudiants, boursiers, non boursiers ou étudiants internationaux, et pour deux repas par jour, est emblématique de cet engagement gouvernemental pour la jeunesse. Il est tout aussi emblématique de la mobilisation des Crous et de leurs personnels, que je veux ici remercier infiniment de leur engagement sans faille.

Ils ont fait preuve d’une réactivité et d’une adaptation remarquables pour assurer le déploiement effectif de la mesure, pour proposer de nouveaux services, tels que la vente à emporter, la livraison ou le click and collect, et pour rouvrir leurs restaurants aux étudiants en respectant des protocoles sanitaires parfois très exigeants.

Il faut se rendre compte de ce que cela veut dire de mettre en œuvre, en un week-end, le ticket restaurant universitaire à 1 euro pour tous les étudiants, de déplacer les structures mobiles en bas des cités universitaires, de changer en profondeur la chaîne de production pour délivrer des plats à emporter.

C’est tout à l’honneur de ce service public, qui a été au rendez-vous de cette crise. À ce jour, plus de 10 millions de repas à 1 euro ont été servis, ce qui est inédit. Aucun autre pays européen ne s’est à ce point engagé au service de ses étudiants.

Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire. À l’heure où la vie revient partout sur notre territoire, il est plus que jamais nécessaire de tirer collectivement toutes les leçons de l’année écoulée, pour améliorer durablement les conditions de vie étudiante, consubstantielles à la réussite académique et, finalement, à l’émancipation de chacun.

Mon ministère porte ce dossier depuis le début de ce quinquennat, mais cette crise a permis à de nombreux acteurs de considérer l’étudiant dans sa globalité : cette approche globale du jeune et d’un parcours étudiant coordonné est bien le maître mot de la politique d’accompagnement que nous menons. À chaque instant, nous devons considérer l’étudiant comme un jeune adulte.

Les actions de soutien aux étudiants mises en œuvre par le Gouvernement, les établissements d’enseignement supérieur, les Crous, les collectivités territoriales ou le tissu associatif témoignent que la vie étudiante n’est pas un supplément d’âme. Le bien-être étudiant est un objet politique de premier plan, au cœur de l’action de mon ministère.

C’est pourquoi je salue l’initiative du Sénat, qui a su s’emparer, depuis quelques mois, de la question de la précarité étudiante. Il l’a fait au travers de la proposition de loi dont nous débattons ce matin, mais également par la mission d’information sénatoriale sur les conditions de vie étudiante, qui mène ses travaux depuis plus de six mois et qui, j’en suis vaincue, nourrira utilement les réflexions que nous menons sur ce sujet.

C’est bien cette démarche globale, qui envisage la vie étudiante sous l’ensemble de ses facettes, avant, pendant comme après la crise sanitaire, que nous devons mener ensemble.

Par la proposition de loi que nous examinons ce matin, vous avez souhaité, je crois, répondre à un double enjeu.

Le premier est celui de l’adaptation de la restauration à la vie étudiante. Nous partageons tous, ici, la conviction que ce dont nos étudiants ont aujourd’hui besoin, c’est d’une alimentation de qualité, dans un cadre en phase avec leurs habitudes, leurs contraintes et leurs aspirations.

En somme, une offre de restauration qui soit gage de santé, de bien-être et de réussite. Cette approche globale est précisément celle qui est portée par les Crous, lesquels ont fait des efforts considérables, ces dernières années, pour moderniser, adapter et diversifier leur offre. Les étudiants ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils sont 80 % à la plébisciter et que, avant la crise, l’activité des restaurants universitaires augmentait en moyenne de 5 % chaque année.

Aujourd’hui, prendre son repas dans un restaurant universitaire signifie avoir accès à un repas complet et équilibré, confectionné avec des produits de qualité dans une démarche de développement durable.

C’est également avoir le choix entre des menus végétariens et une cuisine plus traditionnelle, entre s’attabler ou se restaurer plus rapidement.

C’est surtout retrouver ce lien social qui a fait si cruellement défaut à nos étudiants cette année. Autrement dit, l’offre des Crous va bien au-delà de la simple restauration, pour se prolonger en un véritable accompagnement social, en un lieu faiseur de lien, qui constitue, à part entière, un facteur de réussite dans le parcours de formation.

Je sais – cela a d’ailleurs été rappelé – que vous reconnaissez pleinement la valeur ajoutée des Crous et que vous êtes soucieux de ne pas déséquilibrer un service public de qualité, qui mobilise des agents très investis.

Le véritable enjeu, et c’est un point qui est revenu lors de l’examen du texte en commission, est bien celui de l’égalité d’accès à une restauration universitaire.

Avec plus de 750 implantations réparties dans 221 villes, les Crous maillent déjà l’essentiel du territoire. Sur les 2,8 millions d’étudiants accueillis dans l’enseignement supérieur, quelque 2,3 millions ont au moins un restaurant universitaire dans leur environnement immédiat.

La restauration universitaire n’est pas le privilège des grands sites universitaires : dans 190 sites supplémentaires, le réseau des œuvres a noué des partenariats avec les collectivités et les associations, pour apporter une offre de restauration dédiée aux étudiants.

C’est considérable et, pourtant, il est nécessaire d’en faire plus, car, comme vous le soulignez, il subsiste encore des zones blanches, notamment dans certains territoires isolés. Ne négligeons pas non plus la pression étudiante dans certaines grandes villes ou certaines régions, qui peut susciter des problèmes.

Je tiens à être tout à fait claire s’agissant de la position du Gouvernement. Cette proposition de loi pose des questions centrales, et je salue le travail réalisé par la commission et le rapporteur. La commission a souhaité mieux cibler le dispositif, mais il nous faut poursuivre le travail pour construire une solution globale aux disparités territoriales très justement pointées par votre proposition de loi, monsieur le sénateur Levi.

Pour gommer ces disparités, sans pour autant renoncer à la garantie d’une restauration de qualité, je crois qu’il nous faut mobiliser tous les leviers disponibles, en fonction des réalités locales, avec pour boussole la nécessité de construire une offre accessible de repas équilibré ouverte à l’ensemble des étudiants, quel que soit leur lieu d’études.

En l’état, je ne suis pas convaincue que le ticket restaurant étudiant constitue, à lui seul, une réponse suffisante, mais il doit pouvoir s’inscrire comme un outil envisageable dans le cadre d’une solution plus globale, lorsqu’il n’est pas possible de construire une offre sociale assumée directement par l’État ou assurée avec le soutien des collectivités et des associations.

En premier lieu, il n’existe pas, à ce jour, d’offre de titre de paiements réglementés permettant d’ajouter au forfait de 6,60 euros le complément indispensable pour s’offrir un repas complet et équilibré. Ce sera peut-être le cas si les entreprises se positionnent clairement, mais il faudra du temps pour cela.

Par ailleurs, bien que le dispositif issu des travaux de la commission permette déjà de mieux cibler la mesure, son coût resterait considérable, sans, pour autant, garantir l’équité sociale entre les étudiants pouvant s’offrir un repas complet au-delà du forfait et ceux qui ne peuvent se le permettre.

Pour moi, la réponse doit s’écrire prioritairement au travers de partenariats construits localement avec les collectivités. Elle se trouve dans des dispositifs qui existent déjà et qui ont fait leurs preuves.

Dans les zones dépourvues de restaurants universitaires, les Crous ont mis en place des politiques d’agrément et de conventionnement, qui permettent aux étudiants de bénéficier des structures de restauration, telles que les cantines administratives, scolaires ou hospitalières, soumises aux mêmes exigences de qualité de service public.

Accompagnons ce développement : Dieppe, Draguignan, Guéret, Mende, Morlaix, Saint-Lô, Vienne sont des villes pour lesquelles le Centre national des œuvres universitaires et scolaires, le Cnous, et l’ensemble des Crous sont prêts à engager les discussions avec les collectivités, en vue de solutions concrètes à l’horizon des prochains mois.

Avant la rentrée de 2022, nous pouvons réussir à répondre aux attentes de l’ensemble des territoires encore trop éloignés de la restauration universitaire, et je suis prête à m’y engager avec vous. En novembre dernier, le Sénat a adopté, sur l’initiative de la sénatrice Laure Darcos, le principe, dans le cadre de la loi de la programmation de la recherche, d’une contractualisation entre les sites universitaires et les collectivités, qui, d’ores et déjà, associe les Crous.

En engageant cette nouvelle vague de contractualisation, nous permettrons aux acteurs territoriaux de répondre à l’exigence d’équité territoriale.

Comme je vous l’ai rappelé, ces partenariats permettent aujourd’hui d’apporter des solutions dans près de 190 sites universitaires isolés. À ce jour, près d’une quinzaine relève encore de ces zones blanches, mais je suis convaincue que nous disposons déjà des leviers permettant de répondre à leurs attentes.

Pour faciliter cette démarche, il pourrait être utile de déverrouiller, au bénéfice des collectivités et des associations, l’accès de ces partenaires à la centrale d’achat nationale du Cnous, qui est la clé de l’offre de produits alimentaires, à la fois qualitative et à tarif attractif, des restaurants universitaires. Nous le ferons bien évidemment, partout où c’est nécessaire.

J’ajoute que ce sujet demande un grand renfort de concertation avec les organisations représentatives des étudiants. Les deux principales, que sont la Fédération des associations générales étudiantes, la FAGE, et l’Union nationale des étudiants de France, l’UNEF, ont pris position clairement, mais je ne doute pas qu’il soit possible de trouver un point d’équilibre à travers la définition d’un objectif de couverture complète de l’ensemble des sites universitaires, en renforçant les outils dont nous disposons déjà à cette fin.

Ce que nous visons, au fond, c’est non pas seulement que nos étudiants mangent à leur faim, mais qu’ils gagnent en autonomie et en pouvoir d’agir. Ce que nous voulons leur offrir n’est pas seulement un quotidien digne, mais bien des conditions de vie favorables à leur réussite et à leur émancipation.

C’est pourquoi cette question de la lutte contre la précarité alimentaire doit être intégrée dans une vision globale de l’accompagnement social des étudiants et articulée à la réforme des bourses sur critères sociaux sur laquelle nous sommes en train de travailler.

La précarité étudiante est l’un des grands défis des mois à venir. Elle est aussi une opportunité pour changer notre regard sur les étudiants et penser enfin la singularité de ce statut. J’ai toute confiance en notre capacité à la saisir ensemble.

Nous aurons l’occasion de prolonger le débat lors de l’examen des amendements. Toujours est-il que le travail reste devant nous, à la fois parce que ce texte est perfectible et parce que nous disposons d’ores et déjà des outils permettant de couvrir les dernières zones blanches de notre territoire à l’horizon des prochains mois. (M. Julien Bargeton et Mme Maryse Carrère applaudissent.)