M. Stéphane Sautarel. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a récemment conduit une étude sur les bons sociaux ou titres fléchés. Son rapport les décrit comme des outils efficaces pour soutenir le déploiement des politiques sociales, en garantissant aux citoyens l’accès local ou national aux biens et services essentiels.

Il souligne que les bons sociaux sont des instruments puissants pour augmenter les recettes fiscales de l’État, stimuler la création d’emplois et augmenter le pouvoir d’achat des salariés, tout en développant l’économie locale.

Le titre-restaurant, par exemple, est un dispositif social performant qui rapporte plus qu’il ne coûte à l’État.

S’appuyant sur ce rapport, il est proposé de mettre en place un forfait télétravail qui permettrait à l’employeur de prendre en charge tout ou partie des frais générés par le télétravail, selon ce même principe de titres fléchés, qui répond également à un besoin lié au développement durable.

Les bénéficiaires seraient les salariés des entreprises du secteur privé et les agents du secteur public ou des groupements d’intérêt public.

Lorsque l’entreprise décide d’accorder cette aide financière, son montant et ses modalités d’attribution seraient déterminés par accord d’entreprise, par accord interentreprises, ou à défaut par accord de branche ou au niveau des comités sociaux et économiques.

La mise en œuvre du forfait télétravail par décision unilatérale de l’employeur serait subordonnée à la consultation du comité social et économique, lorsqu’il existe.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Je remercie notre collègue Stéphane Sautarel pour cet amendement, qui reprend une proposition de loi qu’il a déposée visant à créer un titre-télétravail.

Le présent texte de loi ne traitant pas directement du télétravail, nous n’avons pas abordé ce sujet dans le cadre de nos auditions, même s’il peut présenter un lien avec le pouvoir d’achat.

C’est pourquoi je souhaite solliciter l’avis du Gouvernement sur cette perspective.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, ministre. Il est défavorable.

Les frais engagés lors du télétravail relèvent du régime juridique des frais professionnels et la prise en charge par l’employeur des coûts liés à l’exercice des fonctions est une obligation générale issue de la jurisprudence, dont il ne peut s’exonérer.

Ce principe a été rappelé par l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 : lorsque le salarié est en télétravail et qu’il fait l’avance de frais, il devra être remboursé par l’employeur.

Un régime fiscal et social avantageux peut se justifier pour inciter l’employeur à adhérer à un dispositif facultatif – je pense par exemple à la participation au coût de repas des salariés –, mais il n’y a pas lieu d’inciter l’employeur à prendre en charge les frais dus au télétravail, dans la mesure où cette prise en charge est une obligation.

Il serait par ailleurs assez complexe de créer un titre qui devrait être géré par un tiers et faire l’objet d’un certain nombre de contrôles en matière de lutte contre la fraude.

Je pourrai, si vous le souhaitez, monsieur le sénateur, vous transmettre la totalité des arguments dont je dispose, pour éviter à la Haute Assemblée une longue lecture.

M. le président. Monsieur Sautarel, l’amendement n° 82 rectifié quater est-il maintenu ?

M. Stéphane Sautarel. Non, je le retire, monsieur le président. Je vous remercie pour ces précisions, monsieur le ministre.

L’amendement n° 81 rectifié quater, que je vous présenterai dans quelques instants, permettra d’élargir le débat et de réfléchir au développement de ce titre fléché, que je persiste à considérer comme une piste intéressante à bien des égards.

Article additionnel après l'article 3 ter - Amendement n° 82 rectifié quater
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat
Article additionnel après l'article 3 ter - Amendement n° 81 rectifié quater

M. le président. L’amendement n° 82 rectifié quater est retiré.

Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 248 rectifié bis est présenté par MM. Menonville, Médevielle, Chasseing et Decool, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Guerriau, A. Marc, Malhuret, Wattebled, Verzelen, Moga et Capus et Mme Paoli-Gagin.

L’amendement n° 379 rectifié bis est présenté par Mmes Billon, Dindar, Gacquerre et Létard et MM. Cigolotti, Delcros, S. Demilly, Duffourg, Henno, L. Hervé, Hingray, Kern, Lafon, Le Nay, Levi et Longeot.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 3 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – À la première phrase du 19° de l’article 81 du code général des impôts, le montant : « 5,69 € » est remplacé par le montant : « 7,50 € ».

II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue, pour présenter l’amendement n° 248 rectifié bis.

M. Jean-Louis Lagourgue. Le titre-restaurant est connu et utilisé par des millions de travailleurs. Il permet notamment aux salariés à faibles revenus de diviser par deux le coût de leur pause déjeuner. Il est également fiscalement avantageux pour les entreprises, générateur de chiffre d’affaires pour les commerçants et positif pour les finances publiques.

Toutefois, pour un tiers des bénéficiaires, le compte de titres-restaurant est vide bien avant la fin du mois.

La valeur du titre-restaurant ouvrant droit aujourd’hui à exonération maximale est comprise entre 9,48 euros et 11,38 euros. Pour être exonérée des cotisations de sécurité sociale, la contribution patronale au financement des titres-restaurant doit être comprise entre 50 % et 60 % de la valeur du titre ; par ailleurs, elle ne doit pas excéder un certain montant.

Fixer un montant à 7,50 euros permettrait donc indirectement d’augmenter le ticket journalier à environ 15 euros.

Depuis le 1er janvier 2020, la limite d’exonération n’est plus la limite supérieure de la première tranche de l’impôt sur le revenu, mais la variation de l’indice des prix à la consommation hors tabac entre le 1er octobre de l’avant-dernière année et le 1er octobre de l’année précédant celle de l’acquisition des titres-restaurant. Cette valeur maximum s’élève à 5,69 euros pour 2022.

Il suffirait d’augmenter le plafond maximal des sommes versées chaque jour travaillé par les entreprises à leurs salariés, et par conséquent la participation patronale, pour contribuer à l’amélioration du pouvoir d’achat et la qualité de l’alimentation.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour présenter l’amendement n° 379 rectifié bis.

M. Olivier Henno. Cet amendement a été parfaitement défendu. Je veux seulement insister sur l’importance de ce montant de 7,50 euros, qui contribuera, s’il est adopté, à améliorer le pouvoir d’achat des salariés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Sur les titres-restaurant, je me permets également de vous renvoyer au PLFR.

En conséquence, la commission sollicite le retrait de ces amendements. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, ministre. Même avis.

M. le président. Monsieur Lagourgue, l’amendement n° 248 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Jean-Louis Lagourgue. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 248 rectifié bis est retiré.

Monsieur Henno, l’amendement n° 379 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Olivier Henno. Non, je le retire, monsieur le président.

Article additionnel après l'article 3 ter - Amendements ° 248 rectifié bis et n° 379 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat
Article 4 (supprimé)

M. le président. L’amendement n° 379 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° 81 rectifié quater, présenté par MM. Sautarel, Tabarot, Paccaud et Darnaud, Mme Ventalon, MM. Anglars, Klinger, Genet, B. Fournier, Belin et Meurant, Mme Belrhiti, MM. E. Blanc, Courtial, Charon et Le Gleut, Mme Borchio Fontimp et MM. J.P. Vogel, de Nicolaÿ, Frassa, Bouloux et Mandelli, est ainsi libellé :

I. – Après l’article 3 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les trois mois suivant la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à la possibilité d’élargir les bénéficiaires des tickets-restaurant et à la possibilité de mettre en place de nouveaux titres fléchés.

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :

Chapitre …

Renforcer les titres fléchés

La parole est à M. Stéphane Sautarel.

M. Stéphane Sautarel. La France compte aujourd’hui un peu plus de 28 millions de salariés. Or seulement 4,5 millions d’entre eux bénéficient de titres-restaurant. Un grand nombre de salariés ne peut pas bénéficier de ces titres fléchés, pour diverses raisons, notamment parce qu’ils ne sont pas mis en place dans leurs organisations.

Il conviendrait de les rendre plus accessibles, notamment en augmentant le nombre d’entreprises concernées.

Je propose donc que le Gouvernement remette au Parlement un rapport visant à étudier un élargissement du public et un assouplissement du dispositif.

Je ne reviens pas sur les arguments que j’ai déjà développés. Ce type d’argent fléché présente un intérêt à la fois économique, social et financier. En termes de pouvoir d’achat, il permet d’augmenter le revenu net du salarié sans accroître la charge du travail pour l’entreprise.

Il me semble donc opportun de promouvoir ces titres fléchés, qui concourent de surcroît au développement de l’économie locale et aux circuits courts.

Le rapport que nous appelons de nos vœux porterait, d’une part, sur la possibilité d’élargir les bénéficiaires des titres-restaurant et, d’autre part, sur la possibilité de mettre en place de nouveaux titres fléchés répondant à l’objectif que je viens de rappeler.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Je comprends l’intérêt de cet amendement et du rapport demandé. La position constante de la commission est toutefois d’émettre un avis défavorable sur les demandes de rapport.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, ministre. L’avis est défavorable, pour les mêmes raisons.

M. le président. Monsieur Sautarel, l’amendement n° 81 rectifié quater est-il maintenu ?

M. Stéphane Sautarel. Non, je retire cet amendement d’appel, monsieur le président. Je souhaiterais toutefois que l’on puisse travailler sur ce sujet, qui me semble ouvrir des perspectives.

M. le président. L’amendement n° 81 rectifié quater est retiré.

Article additionnel après l'article 3 ter - Amendement n° 81 rectifié quater
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat
Article additionnel après l'article 4 - Amendements n° 167 et n° 344 rectifié

Article 4

(Supprimé)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 164, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après l’article L. 3231-4 du code du travail, il est inséré un article L. 3231-4-… ainsi rédigé :

« Art. L. 3231-4-1. – La garantie du pouvoir d’achat des salariés prévue au 1° de l’article L. 3231-2 est assurée par l’indexation des salaires du secteur privé sur l’inflation. La référence est l’indice des prix à la consommation hors tabac élaboré par l’Institut national de la statistique et des études économiques. L’indexation automatique se produit deux fois par an, au 1er janvier et au 1er juillet. L’indexation s’effectue aux dates indiquées précédemment sur la base de la moyenne des six derniers indices mensuels connus. »

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous proposons à travers cet amendement que les salaires du secteur privé soient indexés sur l’inflation, qui n’est pas conjoncturelle, mais bien structurelle. Liée notamment à la crise écologique, qui se traduit par un relèvement du prix des matières premières et des denrées alimentaires, elle a vocation à s’installer dans la durée.

En France, l’indexation des salaires du public et du privé sur les prix a été abandonnée en 1983, lors du tournant de la rigueur. Depuis, sur une longue période, quand l’inflation bondit de 1 %, les salaires n’augmentent que de 0,5 % à 0,6 %.

Le retard accumulé depuis 1983 a entraîné un décrochage des salaires par rapport à l’inflation, et donc une perte de pouvoir d’achat. Ainsi, il aurait fallu qu’un salarié qui touchait l’équivalent de 1 000 euros en 1980 gagne 3 000 euros en 2018 pour conserver le même pouvoir d’achat. Or, nous le savons, le nombre de salariés qui perçoivent une telle rémunération est minime. Par ailleurs, depuis 2018, l’inflation s’est encore accélérée : elle devrait atteindre 5,5 % pour la seule année 2022.

M. le président. L’amendement n° 145, présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco et MM. Parigi et Salmon, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après le 6° du I de l’article L. 2261-32 du code du travail, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« …° En l’absence d’accord assurant un salaire minimum national professionnel au sens du 4° du II de l’article L. 2261-22 au moins égal au salaire minimum interprofessionnel de croissance, dans les six mois après sa dernière revalorisation.

« Lorsque la revalorisation du salaire minimum interprofessionnel de croissance au sens de l’article L. 3231-5 fait l’objet d’une deuxième revalorisation au cours d’une même année, une négociation de l’ensemble des minima conventionnels doit être conclue dans les six mois suivant le second relèvement du niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance. »

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Face au constat d’un nombre élevé de branches affichant des minima inférieurs au SMIC, l’article 4 du projet de loi, supprimé par la commission, visait à renforcer l’arsenal d’outils permettant un regroupement des branches professionnelles.

En réalité, pour assurer un niveau de salaire minimum équivalent au SMIC, le nombre d’accords est moins significatif que la qualité de ces derniers.

L’article 4 manquait ainsi son but : il ne faut pas seulement obliger les branches à revoir leur rythme de négociations ; il faut aussi, et surtout, les contraindre à améliorer la qualité de celles-ci. Les branches doivent de manière pérenne conclure des accords conformes au SMIC.

Cet amendement incite en conséquence les branches à renégocier plus régulièrement leurs minima conventionnels. Elles devront ainsi le faire six mois après une revalorisation du SMIC par le Gouvernement.

L’enjeu est réel : la non-répercussion de l’évolution du SMIC dans l’échelle des salaires contribue à compresser les écarts entre les différents niveaux de la grille et à élargir les effectifs proches des minima de branche, neutralisant ainsi l’ancienneté et la reconnaissance de la qualification.

Pour y remédier, si le SMIC fait l’objet d’une seconde revalorisation au cours de la même année, cet amendement prévoit que l’ouverture et la conclusion d’une négociation portant sur l’ensemble des minima de branche s’imposent dans les six mois – un délai très raisonnable – suivant la seconde revalorisation du SMIC.

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 403 est présenté par MM. Iacovelli, Lévrier, Théophile, Lemoyne et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

L’amendement n° 416 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Au second alinéa de l’article L. 2241-10, les mots : « trois mois » sont remplacés par les mots : « quarante-cinq jours » ;

2° Au 2° du I de l’article L. 2261-32, après le mot : « signés », sont insérés les mots : « , notamment ceux assurant un salaire minimum national professionnel, au sens du 4° du II de l’article L. 2261-22, au moins égal au salaire minimum interprofessionnel de croissance, ».

La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour présenter l’amendement n° 403.

M. Xavier Iacovelli. Cet amendement prévoit de rétablir l’article 4 dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.

Cet article supprimé en commission nous semblait essentiel, puisqu’il permettait de prendre en compte l’état des négociations salariales pour évaluer la nécessité ou non de restructurer une branche.

La difficulté structurelle pour une branche de conclure un accord garantissant que ses minima soient au niveau du SMIC devenait ainsi un indice de la faiblesse de la vie conventionnelle d’une branche.

Ce nouvel indice pouvait selon nous avoir un impact positif sur le pouvoir d’achat des Français, en favorisant la conclusion d’accords conformes au SMIC.

En proposant le rétablissement de cet article, nous entendons donc inciter les partenaires sociaux à agir sur la question, essentielle à nos yeux, de la dynamique des bas salaires.

M. le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 416.

M. Olivier Dussopt, ministre. Il s’agit effectivement de rétablir l’article 4 dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.

J’ai entendu les arguments de Mme le rapporteur, dans la discussion générale ou à travers nos différents échanges ; j’ai également pris connaissance du compte rendu des travaux de la commission des affaires sociales.

Parmi les 171 branches qui font l’objet d’une observation fine de la part de la direction générale du travail, certaines éprouvent des difficultés structurelles à garantir un niveau minimum de rémunération au moins égal au SMIC.

Pour éviter tout malentendu, précisons tout d’abord qu’aucun salarié n’est payé en dessous du SMIC, fort heureusement. Mais le maintien de niveaux de rémunération conventionnels inférieurs au SMIC entraîne des tassements de carrière et, surtout, une forme de désespoir, dans la mesure où un salarié recruté au premier niveau de rémunération doit passer plusieurs stades de qualification pour voir enfin son salaire décoller du niveau du SMIC.

Nous disposons déjà d’outils incitatifs, notamment le Comité de suivi des négociations salariales de branches – j’ai présidé le dernier, ma prédécesseure avait présidé l’avant-dernier. Nous pouvons aussi inscrire les branches qui restent durablement à un niveau inférieur au SMIC en commission paritaire pour garantir un suivi encore plus fin.

Nous proposons à travers cet article 4 un nouvel outil : prévoir comme critère de restructuration de branches le maintien durable de minima conventionnels inférieurs au SMIC.

La mécanique que nous proposons est la suivante : un décret constaterait la carence et le maintien durable des minima conventionnels à un niveau inférieur au SMIC ; il serait accompagné d’un projet de fusion et de restructuration de la branche.

Cette dernière aurait alors deux solutions : soit réagir immédiatement en ouvrant des négociations pour se mettre en accord avec la loi, soit se soumettre à la restructuration ainsi prévue.

Ce mécanisme est très incitatif ; il comporte même un aspect assez coercitif, mais il a vocation à être mis en œuvre avec parcimonie.

Aujourd’hui, l’état des lieux est le suivant : quinze branches ont au moins un minimum conventionnel inférieur au SMIC depuis plus de neuf mois, et deux branches ont des minima conventionnels inférieurs au SMIC depuis plus de dix-huit mois.

J’entends que l’utilité à court terme de ce dispositif puisse être interrogée, mais, à l’avenir, cet outil pourra être utile en cas de maintien de minima conventionnels à un niveau inférieur au SMIC.

La plupart des branches font preuve de beaucoup de diligence pour se mettre en accord avec la loi. Ainsi, après la dernière revalorisation du SMIC au mois de mai, 145 branches avaient au moins un minimum inférieur au SMIC. À l’heure où je m’exprime devant vous, 90 sont encore dans cette situation, ce qui signifie que 55 ont fait le travail de négociation depuis le 1er mai jusqu’à aujourd’hui. La nouvelle revalorisation du SMIC le 1er août entraînera une situation assez identique à celle du 1er mai, avec de nouveau des ouvertures de discussion.

Enfin, l’Assemblée nationale a adopté un amendement qui vise à réduire de 90 à 45 jours le délai au cours duquel les branches doivent ouvrir des négociations, si un minimum passe en dessous du SMIC, ce qui dynamiserait encore plus le dialogue social.

Je ne dis pas que l’outil est parfait, et cela n’aurait aucun sens de l’utiliser de manière brutale. Il s’agit simplement d’un outil supplémentaire à la disposition de l’État, et à travers lui du Comité de suivi des négociations salariales par branches, pour dynamiser les négociations et faire en sorte que les branches disposent de minima conventionnels au moins égaux au SMIC.

Enfin, monsieur le président, je saisis également cette occasion pour dire que le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos 164 et 145.

Nous considérons que l’indexation automatique ferait perdre son sel et son intérêt au dialogue social, sans compter qu’il empêcherait les partenaires sociaux de procéder à des revalorisations différenciées des niveaux de rémunération. L’amendement n° 145 s’inscrit dans la même logique ; c’est pourquoi nous y sommes également défavorables.

Nous privilégions vraiment ce nouvel outil de dynamisation du dialogue social que nous vous proposons, M. Iacovelli et moi-même, à travers ces deux amendements identiques.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très convaincant !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Monsieur le président, je serai un peu longue sur les amendements identiques nos 403 et 416 – je m’en excuse par avance –, mais très rapide sur les deux autres.

L’amendement n° 164 vise à indexer les salaires du secteur privé sur l’inflation. Je rappelle que le salaire est fixé librement entre l’employeur et le salarié, et que cette indexation contreviendrait à ce principe de base. L’avis est donc défavorable.

L’amendement n° 145 entend fixer un nouveau critère pour la fusion de branches et l’obligation de négociation des minima conventionnels. Il est encore plus restrictif que celui prévu à l’article 4, que nous avons supprimé en commission. L’avis est donc également défavorable.

J’en viens aux amendements nos 403 et 416. Pourquoi avoir fait le choix de supprimer l’article 4 ? Dans un premier temps, je me suis dit qu’il y avait sans doute un sujet à traiter, et je me suis demandé comment il pouvait l’être.

Interrogeons-nous collectivement, mes chers collègues, si vous le voulez bien.

Y a-t-il un intérêt au dialogue social au sein des branches ? Oui, nous en convenons tous.

Considérons-nous que ce dialogue, parfois, peut être difficile ? Oui, il n’est pas toujours simple, en effet, mais cela dépend beaucoup des branches.

Globalement, le dialogue dans les branches est-il nourri et soutenu ? Là encore, il me semble que nous pouvons répondre par l’affirmative. Quand on rencontre les partenaires sociaux, ils nous disent qu’ils se voient régulièrement, et nous pouvons nous féliciter de ce dialogue.

Le dialogue social se limite-t-il essentiellement à la grille des salaires ? Non, le champ de la convention collective est bien plus large. En l’occurrence, seule cette grille est pointée par le dispositif de l’article 4, qui permettrait de fusionner les branches dans lesquelles le salaire de départ se situe sous le SMIC.

Les organisations syndicales et patronales se réunissent très régulièrement au niveau des branches, mais, en ce moment, elles doivent sans cesse courir après l’inflation et rattraper des grilles qui passent sous le taux minimal. Il s’agit donc plutôt d’un problème conjoncturel, auquel il ne me semble pas pertinent de répondre par la fusion des branches. Il en irait différemment si nous avions des branches qui, structurellement – j’insiste sur ce terme –, présentaient des minima inférieurs au SMIC.

J’ai cherché ces branches, monsieur le ministre. J’ai organisé une table ronde avec la Fédération des entreprises de propreté, l’Association française des banques et la Fédération du commerce et de la distribution, les représentants de branches dont on disait qu’elles pouvaient être concernées.

Ces organisations ont surtout insisté sur le fait que, depuis un certain temps, elles avaient été jetées en pâture dans la presse comme des branches qui ne menaient aucun dialogue social et qui rencontraient des difficultés.

Vous connaissez sans doute le film de notre collègue député François Ruffin, mes chers collègues ; la Fédération des entreprises de propreté l’a très mal vécu, considérant qu’il avait jeté l’opprobre sur ce secteur, avec comme conséquence des difficultés pour recruter. Et les propos tenus par le Président de la République n’ont rien arrangé.

De fait, les minima des branches que je viens de citer sont supérieurs au SMIC, en dépit d’une conjoncture complexe.

J’ai fini par trouver les deux branches qui pourraient être concernées par l’article 4, monsieur le ministre.

Il s’agit tout d’abord de la Fédération des prestataires de santé à domicile (PSAD), une branche contrainte par la tarification qui s’impose aux prestations qu’elle propose. Elle rencontre donc de vraies difficultés au regard de ces minima de branches, qu’elle avait d’ailleurs exposées dès le mois de novembre dernier dans un courrier adressé à Mme Borne, alors ministre du travail, et dont une copie vous était également adressée, monsieur le ministre. Les représentants de cette branche attendent toujours une réponse à ce courrier… Ils veulent bien se mettre en conformité, mais les tarifs qui s’appliquent à leur secteur les en empêchent.

J’ai cherché la deuxième branche : il s’agit de la PQR, la presse quotidienne régionale, qui vient d’ailleurs de fusionner avec la presse hebdomadaire régionale et la presse quotidienne départementale. Manifestement, cette fusion n’a pas permis à elle seule de résoudre le problème… Ils sont en train de négocier, mais ce n’est pas facile – nous connaissons tous l’état de la PQR aujourd’hui.

On peut se faire plaisir, voter ces amendements et se dire que la fusion permettra de cocher une case. Mais, très honnêtement, ce n’est pas la solution. Le problème, ce sont les salaires qui ne décollent pas du SMIC.

On a donc un vrai sujet à traiter, monsieur le ministre, mais je vous propose de le faire de façon sérieuse dans la future loi Travail, et non à travers ces amendements. Ces derniers n’apportent pas de solutions et ils jettent l’opprobre sur le dialogue social nourri et construit qui se déroule au sein de ces branches. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.