Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.) Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a encore quelques années, nous vivions dans une économie de paix et peu d'entre nous accordaient de l'intérêt aux sujets touchant à la défense. Il y avait l'Europe, il y avait l'Onu ; la régulation des rapports entre les sujets de droit était ainsi peu ou prou respectée.

Ce temps est malheureusement révolu. Nous devons supporter la folie des hommes et une accumulation de crises sociales, économiques et climatiques, qui exacerbent les passions. Immanquablement, ces dérèglements suscitent interrogations et inquiétudes. Tout cela explique que nous ayons changé de logiciel en matière de défense.

Je tiens à remercier le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d'avoir demandé le retour à la procédure normale, car cela nous permet d'aborder le fond du traité de coopération, pilier de la relation bilatérale de défense avec la République de Djibouti.

Chacun le sait, Djibouti accueille cinq bases militaires étrangères : la nôtre, depuis 1977, et celles des États-Unis depuis 2003, du Japon depuis 2011, de l'Italie depuis 2012 et enfin de la Chine depuis 2017. Ainsi, Djibouti est devenu un point névralgique des luttes d'influence.

Pour autant, la France y joue un rôle à part. Parmi les puissances militaires présentes, elle est la seule à avoir signé, conformément à l'article 4 du nouveau traité, une clause de sécurité en vertu de laquelle elle assure l'intégrité du territoire de Djibouti. Elle contribue ainsi à la défense des espaces aérien, terrestre et maritime de ce pays.

La position géographique de Djibouti et l'instabilité environnante lui confèrent une image d'îlot de stabilité indispensable au déploiement de notre stratégie régionale, sur le plan tant géopolitique que géoéconomique.

Djibouti participe aux efforts internationaux et régionaux de contre-terrorisme visant à perturber les Shebab de Somalie et les rebelles Houthis du Yémen, mais constitue également un important nœud de câbles de données sous-marins, plus de 90 % de la capacité Europe-Asie étant acheminée par la mer Rouge. Ces câbles représentent aujourd'hui un enjeu géopolitique mondial, et leur destruction emporterait des incidences substantielles pour les États, alors que chacun tente de peser de tout son poids sur la diffusion de l'information.

Situé face au Yémen, Djibouti voit passer une part non négligeable du trafic maritime mondial : 12 % du volume total, 40 % des échanges Asie-Europe et, par exemple, 90 % des exportations japonaises, ces chiffres évoluant naturellement depuis la crise avec les Houthis, consécutive à l'affrontement entre le Hamas et Israël.

Djibouti se trouve aussi au cœur de notre stratégie indopacifique. Notre engagement se voit renforcé par nos territoires d'outre-mer comme La Réunion, Mayotte et la Polynésie française. L'océan Indien est aujourd'hui le théâtre des rivalités entre grandes puissances, notamment la Chine, les États-Unis et l'Inde.

Pour toutes ces raisons, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen votera en faveur de ce traité de coopération. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Haye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Ludovic Haye. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti représente à la fois une réaffirmation de notre partenariat historique avec ce pays et un instrument stratégique face aux nouveaux défis géopolitiques.

Ce texte vient renforcer un lien de confiance tissé depuis près de quarante-cinq ans. Cette coopération, qui n'a rien perdu de sa vitalité, doit aujourd'hui être adaptée aux enjeux sécuritaires contemporains.

À cet égard, je tiens à saluer le travail rigoureux de notre président de commission et rapporteur de ce projet de loi, dont l'analyse a permis de mettre en lumière toute la portée de cet accord.

Situé à l'entrée du détroit de Bab el-Mandeb, carrefour maritime essentiel entre la mer Rouge et l'océan Indien, Djibouti occupe une position géostratégique majeure et constitue une pièce centrale de la stabilité régionale et du commerce international, au cœur d'une zone traversée chaque jour par près de 30 % des échanges commerciaux mondiaux.

Toutefois, la montée des tensions en mer Rouge, alimentée par les attaques des Houthis contre la navigation commerciale et l'instabilité des rives voisines, exige une adaptation de notre présence et de nos engagements.

C'est pourquoi ce traité modernise les modalités de l'engagement militaire français dans la région.

Dans une logique de respect mutuel et de préservation de la souveraineté djiboutienne, cette coopération stratégique s'articulera autour d'un comité bilatéral renforcé ; elle permettra un appui concret aux forces armées djiboutiennes, notamment au travers de la formation, du transfert d'expertise et de la fourniture de matériels de défense français, pour un montant de plusieurs dizaines de millions d'euros.

Ce traité devient ainsi un levier concret de stabilité pour l'ensemble de la région et porte l'ambition plus large de contribuer à la sécurité internationale, en conformité avec les objectifs inscrits dans la Charte des Nations unies.

Il convient de le replacer dans un contexte de compétition stratégique croissante à Djibouti. Face à la montée en puissance de la présence chinoise, à la fois économique et militaire, les autorités djiboutiennes manifestent aujourd'hui une volonté explicite de rééquilibrer les forces en présence et de renforcer leurs liens avec la France. Cette dynamique va dans le sens de nos intérêts communs.

Enfin, je souhaite adresser, devant les militaires présents dans nos tribunes, un hommage solennel à l'ensemble des soldats qui, depuis des décennies, ont servi à Djibouti. Par leur professionnalisme et par leur sens du devoir, ils incarnent concrètement nos débats et sont les premiers acteurs de cette coopération stratégique que nous nous apprêtons à renforcer.

C'est parce que ce traité se situe à la croisée de notre histoire partagée, de nos intérêts stratégiques et de notre responsabilité internationale que le groupe Union Centriste votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – MM. Cédric Perrin et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE.)

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, notre groupe a sollicité le retour à la procédure normale, car, à la différence de notre collègue Claude Malhuret, il se refuse à adapter l'exigence du respect des droits de l'homme dans les différents pays du monde au gré des intérêts militaires de la France. Je lui laisse donc ses arguments, et vous m'autoriserez, bien sûr, au nom de la démocratie, à développer les miens.

Nul n'ignore le double objectif de ce partenariat : d'une part, maintenir une présence militaire dans le détroit de Bab el-Mandeb, afin de contrer les attaques des rebelles Houthis contre les navires commerciaux, et, d'autre part, garantir des capacités de projection de forces sur le continent africain et dans l'Indo-Pacifique.

Cependant, permettez-moi de revenir sur plusieurs points de ce traité.

Sur la forme, tout d'abord – c'est là notre première objection –, force est de constater, malheureusement, une montée en puissance des Houthis en dépit des actions menées par les différentes coalitions internationales, ce qui souligne d'ailleurs, s'il en était encore besoin, l'échec d'une approche exclusivement guerrière.

Sur le fond, ensuite, le soutien à une telle approche militaire dans ce détroit nous apparaît tout à la fois inefficace et contre-productif, notamment pour ce qui concerne l'objectif de maintien de forces de projection dans le cadre de la stratégie de l'Otan dite de l'Indo-Pacifique.

Vous le savez, nous sommes résolument opposés à cette logique de bloc, qui vise, d'une part, à endiguer la puissance chinoise, et, d'autre part, à soutenir et à encourager une présence militaire américaine dans la région. Je le redis ici : nous ne choisissons pas entre deux impérialismes – ou ingérences, comme disent certains, avec beaucoup de pudeur, lorsque cela les dérange.

Nous affirmons, au contraire, la nécessité, par la force diplomatique de notre pays – y compris, à certains moments, par sa puissance militaire –, de rendre aux peuples la capacité de s'émanciper et de décider souverainement de leur avenir.

Enfin, je m'étonne qu'aucun des orateurs précédents n'ait abordé la nature du régime de Djibouti. Je souhaite donc mettre en lumière l'absence d'exigence morale que sous-tend la ratification d'un tel partenariat : un concours financier de 1,2 milliard d'euros annuels, sur une période de vingt ans, au bénéfice d'un régime dictatorial !

Qu'il me soit permis de le dire crûment : outre les exécutions arbitraires et l'application des lois de la charia, le régime de Djibouti persiste dans son refus de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Il s'obstine à ne pas ratifier les protocoles facultatifs se rapportant à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ainsi qu'à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Mes chers collègues, concevez-vous que l'on puisse, d'un côté, applaudir, comme ce fut le cas ici même il y a un peu plus d'une heure, le ministre de l'intérieur, M. Bruno Retailleau, lorsqu'il affirme, à juste titre, la nécessité de combattre l'islamisme qui se répand à bas bruit, et, de l'autre, approuver par notre vote un soutien financier de plusieurs milliards d'euros à des États qui l'entretiennent objectivement et menaceront, pour les années à venir, l'équilibre de notre planète ?

Soyons la France, celle des Lumières ! Attachons-nous à défendre les principes des droits de l'homme tant que la lumière brille encore dans ces États ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président et rapporteur, porte d'entrée de la mer Rouge et du golfe d'Aden, le détroit de Bab el-Mandeb revêt une importance stratégique majeure. Il relie la Méditerranée à l'océan Indien, constituant un point de transit crucial pour l'Europe : 70 % de son trafic maritime le traverse. L'intérêt stratégique de Djibouti n'est donc plus à démontrer.

La France, ancienne puissance coloniale, le sait très bien. Depuis l'indépendance du pays en 1977, nous y maintenons une présence militaire, dont nous discutons aujourd'hui du renouvellement pour vingt ans.

Ce nouveau traité renforce celui de 2014 sur plusieurs points, notamment par la rétrocession de 40 % de l'île du Héron à Djibouti et par une augmentation du loyer annuel de notre base, fixé désormais à 85 millions d'euros.

Ce nouvel accord vise à maintenir notre implantation dans une région où les enjeux de sécurité demeurent nombreux. Les actes de piraterie des milices shebab depuis la Somalie, ainsi que les attaques des rebelles Houthis du Yémen, menacent la circulation maritime. Djibouti est donc un point d'appui indispensable pour sécuriser ces flux, et la France prend toute sa part aux opérations européennes en la matière.

Notre base de Djibouti sert aussi à projeter des moyens militaires vers l'Afrique de l'Est, le Moyen-Orient et l'océan Indien, où les tensions sont nombreuses. Il s'agit d'un relais utile pour connecter l'Hexagone à La Réunion et à Mayotte ; ce fut le cas, par exemple, pour l'aide d'urgence lors des récents cyclones.

À l'heure d'une forte compétition entre les grandes puissances, notre maintien à Djibouti est d'autant plus vital que notre présence en Afrique recule fortement. Nos bases au Mali, au Niger, au Tchad et au Burkina Faso sont fermées depuis les coups d'État militaires intervenus entre 2021 et 2023, celles de Côte d'Ivoire et du Sénégal sont en train d'être évacuées, et notre présence au Gabon va être réduite.

En quelques années à peine, la France a donc perdu presque toute sa présence militaire en Afrique, à l'exception de Djibouti. Nous ne pouvons prendre le risque de voir cette implantation disparaître à son tour et d'autres puissances non démocratiques comme la Chine prendre notre place. C'est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur de cet accord.

Néanmoins, cette débandade et la montée du sentiment anti-français dans toute l'Afrique doivent nous interroger.

Malgré nos nombreuses alertes à cette tribune, les vieux réflexes de la Françafrique restent présents. Je vous avertis donc de nouveau : si Djibouti est officiellement démocratique, son président est en poste depuis 1999 et son âge avancé pose la question de sa succession. La France doit plaider pour la démocratisation du régime, en particulier pour le droit de l'opposition à concourir aux élections parlementaires.

Cet épuisement d'un pouvoir autocratique accusé de crimes de guerre et de torture pose question, tant ce scénario rappelle celui qui a abouti au départ tumultueux de nos troupes du Sahel.

La formation des soldats djiboutiens par la France se doit donc d'être exemplaire et de ne pas déboucher sur des massacres de civils. Il y va du respect des droits humains comme de notre intérêt stratégique : notre présence s'effondre quand les dictateurs avec qui nous la négocions disparaissent. Je forme donc le vœu que ce vote permette, enfin, d'envisager de nouvelles relations avec l'Afrique.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la république française et la république de djibouti

Article unique

Est autorisée la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris le 24 juillet 2024 et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'article unique constituant l'ensemble du projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti.

Je rappelle que le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

6

Lutte contre les fraudes aux aides publiqueS

Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques (texte de la commission n° 570, rapport n° 569).

La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Rietmann, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l'examen parlementaire de cette proposition de loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques.

Je remercie notre présidente Dominique Estrosi Sassone de m'avoir confié la mission de rapporter ce texte, ainsi que le rapporteur pour la commission des finances, cher Antoine Lefèvre, de nos excellents échanges.

Tout au long de l'examen de cette proposition de loi, ma boussole a été triple : renforcer la protection des consommateurs dans la transition énergétique et dans la révolution numérique ; veiller à la simplicité du cadre législatif, garante de son intelligibilité et de son applicabilité, ainsi qu'à la simplicité de l'action administrative, en prévenant tout effet de silo ; enfin, faire suite aux travaux sénatoriaux, notamment en matière de démarchage téléphonique.

À l'issue de la commission mixte paritaire (CMP), je me félicite que le texte final, qui compte trente-cinq articles, conserve la quasi-totalité des apports sénatoriaux.

À l'article 1er, la CMP a maintenu la possibilité de renouveler la suspension d'une aide publique en cas de pratique frauduleuse. Elle a également conservé l'article 1er ter, qui vise à exclure les indus de revenu de solidarité active (RSA) obtenus frauduleusement de toute remise de dette.

Deux dispositions issues de la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique ont prospéré : le renforcement de l'information sur le service public de la performance énergétique de l'habitat et la possibilité pour la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), d'interdire à une entreprise de candidater à un label.

J'en viens au sujet crucial du démarchage téléphonique. Je rappelle que l'Assemblée nationale a ajouté dans le texte sur les fraudes une partie de la proposition de loi de notre collègue Pierre-Jean Verzelen visant à interdire le démarchage téléphonique, laquelle avait été adoptée à l'unanimité par le Sénat, mais ne faisait pas l'objet de la procédure accélérée.

Nous avons choisi de conserver cet ajout et de le compléter, en responsabilité, afin d'encadrer le plus rapidement possible ces pratiques qui exaspèrent nos concitoyens.

Globalement, la CMP a conforté les acquis du Sénat : elle a précisé la notion d'exception client ; elle a étendu le champ des organisations exemptées de l'interdiction d'utiliser certains numéros pour les appels émis par des automates, comme les organismes de sondage ou les entreprises de recouvrement ; elle a également confirmé la date d'entrée en vigueur du passage à l'opt-in au 11 août 2026. Surtout, elle a refusé toute exemption catégorielle à l'encadrement du démarchage téléphonique, qui aurait complexifié et fragilisé le dispositif.

Les parlementaires que nous sommes ne doivent pas écrire la loi en réponse aux sollicitations de quelques entreprises qui crient plus fort que les autres. Celles-ci ont les moyens de s'adapter ; elles ont besoin d'un peu de temps et de visibilité. Or c'est exactement ce que nous proposons, avec une entrée en vigueur de l'opt-in au 11 août 2026, soit dans quatorze mois, pour toutes les entreprises.

À l'article 4, qui modifie les contrôles et les sanctions en matière de certificats d'économies d'énergie (C2E), plusieurs apports sénatoriaux ont été maintenus. Les C2E pourront être modulés, de manière à exclure en amont les opérations les plus sujettes aux fraudes. Ils seront ainsi mieux contrôlés, et ces contrôles seront assortis de sanctions plus importantes et plus cohérentes.

En contrepartie, nous avons accepté de supprimer la définition par décret de la fonction de mandataire, aux côtés de celle de délégataire.

À l'article 5, qui introduit des contrôles visuels à distance pour les C2E, la version adoptée par le Sénat a été retenue dans le texte final. Sur la forme, elle propose une rédaction simplifiée, en conservant le dispositif pérenne, mais pas celui qui devait être expérimental ; sur le fond, elle offre une disposition consolidée en appliquant un délai de six ans, plutôt que de cinq, pour la conservation des pièces collectées.

Je suis également satisfait que le texte final conserve plusieurs articles additionnels adoptés au Sénat : les articles concernant les pouvoirs d'enquête, de sanctions et de communication de la DGCCRF ; les articles qui visent à lutter contre la fraude dans le champ social, dont la formation professionnelle ; enfin, l'article 8, qui facilite les contrôles à distance des fraudes aux compteurs communicants d'électricité et de gaz. Pour maintenir cette dernière disposition, nous avons accepté de préciser les infractions recherchées, de même que la qualification des agents et les conditions de leur intervention.

Au nom de la commission des affaires économiques, j'invite donc le Sénat à adopter les conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd'hui cette proposition de loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques, qui a fait l'objet d'un accord le 6 mai dernier en commission mixte paritaire et qui vous est donc soumise. Cet examen, je l'espère, entérinera les améliorations apportées au texte.

Je tiens avant tout à remercier les rapporteurs MM. Cazenave, Rietmann et Lefèvre, ainsi que tous les membres de la CMP, de leur esprit de consensus et de leur efficacité, qui ont permis de parvenir à un texte désormais considéré par de nombreux acteurs comme essentiel pour lutter contre un certain nombre de maux bien connus.

Ce texte est essentiel, car Thomas Cazenave, alors ministre délégué chargé des comptes publics, avait repéré, avec l'ensemble des services de Bercy, un trou dans notre cadre juridique : nous avions déployé des outils contre la fraude fiscale et nous essayions de déployer davantage d'outils contre la fraude sociale, mais se développait dans notre pays ce nouveau type de fraude, aux aides publiques, contre laquelle l'État se retrouvait relativement démuni.

Frauder, je le rappelle, c'est voler tous les Français, et toutes les fraudes méritent notre attention, qu'elles soient fiscales, sociales, douanières ou encore liées aux aides publiques.

Je ne referai pas ici le bilan de l'année 2024 en termes de détection – 20 milliards d'euros de fraude – ou encore d'encaissement – 13 milliards d'euros, un record –, mais je tenais à vous redire combien nous sommes mobilisés pour aller plus loin.

Aller plus loin en permettant systématiquement le préremplissage du plus grand nombre de déclarations et de données – le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d'activité ont déjà été évoqués ; aller plus loin en termes de moyens, avec mille agents supplémentaires dans le champ social pour moderniser nos systèmes d'information, mais surtout pour mieux contrôler, pour mieux détecter, pour mieux punir et pour mieux récupérer les fonds fraudés ; aller plus loin, enfin, dans notre mobilisation sur le plan législatif et juridique.

Le Conseil constitutionnel a décidé que certaines dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, concernant les échanges de données avec les complémentaires santé ou la poursuite de la sécurisation de la carte Vitale, ne pourraient aller à leur terme, et nous entendons, collectivement, me semble-t-il, agir à ce sujet.

Nous devons également continuer de nous mobiliser pour que le crime organisé et la fraude aux aides publiques cessent de faire bon ménage. Nous constatons aujourd'hui, avec le démantèlement de grands réseaux criminels, que fraude aux aides publiques et criminalité organisée vont de plus en plus souvent de pair.

Au fond, nous souhaitons frapper au portefeuille ces criminels, comme on dit, et mettre fin aux détournements croissants de ces dispositifs d'incitation, comme les certificats d'économies d'énergie (C2E) ou MaPrimeRénov', dont nous avons longuement fait état ici lors de l'examen de ce texte. Les Français considèrent que ces dispositifs leur sont d'abord destinés, mais les fraudeurs les voient comme des cibles de choix.

Si nous prétendons restaurer la confiance des Français dans nos finances publiques, nous ne devons pas laisser s'éroder la puissance de l'État en manquant de répondre à ceux qui cherchent à l'affaiblir.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce au travail de Tracfin, nous avons hélas ! retrouvé des centaines de millions d'euros d'argent public à l'étranger. Nous avons souvent été en mesure de geler, saisir et ramener ces sommes dans les comptes publics. Nous constatons toutefois à quel point il est crucial d'agir avec efficacité et détermination.

Si ce texte ne résout pas tout, il nous aidera à faire un bon bout de chemin. En cas de suspicion de fraude, nous pourrons notamment suspendre le versement d'une aide publique et renouveler une fois cette mesure en présence d'éléments probants.

Grâce aux outils dont nous disposerons désormais, les indus de RSA obtenus frauduleusement ne pourront plus faire l'objet d'une remise ou d'un effacement de dette.

Les pouvoirs d'enquête et de sanction de la DGCCRF seront accrus, de sorte que nous pourrons mieux détecter les fraudes aux compteurs communicants, les fameux compteurs Linky. Les agents agréés et assermentés des gestionnaires de réseaux de distribution d'électricité et de gaz pourront notamment contrôler et établir des procès-verbaux à distance.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, sur l'initiative du sénateur Verzelen, que je tiens vraiment à remercier, le démarchage téléphonique sera interdit. Les Français en ont assez de se voir proposer l'achat de pompes à chaleur, d'isolants ou de fenêtres à triple vitrage de manière incessante.

Ce texte apporte une garantie supplémentaire en matière de protection du consommateur et de limitation des fraudes liées au démarchage téléphonique, lesquelles frappent hélas ! les Français les plus vulnérables, les plus âgés et, de manière générale, tous ceux qui ne se rendent pas compte que ce harcèlement téléphonique n'est autre que la vitrine d'énormes mécanismes de fraude et de vol.

Les échanges d'informations entre les différentes administrations – les inspections générales des ministères, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) –, mais aussi entre Tacfin et le parquet européen sur tout fait susceptible de relever de la compétence de ce dernier, seront également renforcés.

Ces avancées législatives sont le fruit du travail remarquable des équipes, notamment de la douane et de la mission interministérielle de coordination antifraude, la Micaf, qui a pointé les pistes d'amélioration au sein de notre arsenal juridique et administratif.

Je tiens également à vous remercier, madame la sénatrice Goulet, car vous avez permis l'inscription d'une disposition qui peut paraître symbolique, mais que j'estime essentielle. (Mme Nathalie Goulet sourit.)

Dans notre droit, le vol en bande organisée est un crime s'il est commis à l'encontre d'autrui, mais un délit s'il est commis à l'encontre de l'État. Je vous remercie donc d'avoir proposé ce rééquilibrage de notre droit, par lequel, dans l'échelle des peines, il ne sera plus considéré qu'il est moins grave de voler l'État que son voisin.

Je tiens enfin à saluer de nouveau la qualité du travail sénatorial et la rapidité de la navette. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés de mon plein soutien et de la grande énergie avec laquelle une fois ce texte promulgué, je m'assurerai que l'ensemble des décrets d'application soient pris, de sorte que ces dispositions trouvent leur traduction concrète le plus rapidement possible dans la vie des Français comme dans celle des fraudeurs.

M. Olivier Rietmann, rapporteur. Nous y veillerons !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je me tiendrai bien évidemment à votre disposition pour vous rendre compte de ces avancées. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE. – Mme Agnès Canayer, ainsi que MM. Jean-Jacques Michau et Fabien Gay applaudissent également.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :

proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques

Article 1er

Le chapitre V du titre Ier du livre Ier du code des relations entre le public et l'administration est complété par un article L. 115-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 115-3. – I. – En l'absence de dispositions spécifiques, en présence d'indices sérieux de manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses en vue d'obtenir ou de tenter d'obtenir indûment l'octroi ou le versement d'une aide publique, les agents désignés et habilités d'une administration ou d'un établissement public industriel et commercial chargés de l'instruction, de l'attribution, de la gestion, du contrôle ou du versement d'aides publiques peuvent procéder à la suspension de l'octroi ou du versement d'une aide publique. La durée de la mesure de suspension ne peut excéder trois mois à compter de sa notification. Lorsque des éléments nouveaux laissant supposer un manquement délibéré ou des manœuvres frauduleuses sont portés à leur connaissance durant cette période, les agents précités peuvent renouveler la mesure de suspension pour la même durée.

« II. – En cas de manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses, les autorités mentionnées au I peuvent rejeter la demande d'une aide publique. Elles peuvent également rejeter le versement d'une aide publique, sous réserve, le cas échéant, du retrait de la décision d'octroi de l'aide dans les conditions prévues aux articles L. 241-2 et L. 242-2.