M. Jacques Fernique. La mise en place d'une comptabilisation des références de produits d'une marque au titre de la plateforme, dès lors que celle-ci est le canal de vente principal de la marque, est positive : il s'agit de lutter contre les contournements et détournements du dispositif de l'article 1er par des acteurs dont on connaît l'agilité et l'inventivité commerciales.

En ce qui concerne l'article 2, nous pouvions entendre, en mars dernier, l'explication de Mme la rapporteure selon laquelle il était risqué de moduler les écocontributions en fonction d'une méthodologie de l'affichage environnemental des produits textiles qui n'avait pas encore été approuvée par l'Union européenne.

Ce n'est plus le cas depuis la validation, le 15 mai dernier, par la Commission européenne, du projet de cadre réglementaire relatif à l'affichage volontaire du coût environnemental des vêtements.

C'est pourquoi nous avons soutenu le rétablissement de cet affichage comme critère de modulation des écocontributions. Il s'agit d'un moyen de restaurer la compétitivité de produits durables et de qualité, et d'aider les collectivités à financer la gestion des déchets textiles.

Faisant preuve de pragmatisme, le Sénat a adopté une position moyenne, puisqu'il a retenu la référence au coefficient de durabilité, évalué en application de la méthodologie de l'affichage environnemental.

Pour ce qui est de l'interdiction de la publicité, même si nous sommes conscients du risque d'inconstitutionnalité et d'inconventionnalité que fait courir cette mesure, nous estimons que son abandon aurait représenté un recul considérable, alors qu'il nous faut au contraire peser pour faire en sorte que l'Europe débloque le verrou de la directive e-commerce, qui nous empêche d'agir sur les plateformes de vente en ligne, soumises le plus souvent au droit de l'Irlande, pays soi-disant d'origine.

Le rétablissement de l'interdiction, limitée aux seuls médias classiques et aux marques, est une première étape que nous soutenons.

En tant qu'Européens, il nous faudra néanmoins aller plus loin. La fast fashion envahit nos smartphones. C'est par les nouvelles formes qu'elle prend et les nouveaux canaux de publicité qu'elle emprunte qu'elle pousse à l'hyperconsommation et à des pratiques commerciales néfastes. Seule une interdiction globale sera efficace.

Couplée à une sensibilisation particulière, elle permettra d'accompagner le changement de comportement des consommateurs. C'est ce signal fort que le Sénat envoie à la Commission européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

À travers l'adoption de l'amendement de notre collègue Antoinette Guhl, nous affirmons, au-delà de la seule dimension environnementale, notre vigilance quant aux conséquences sociales et à l'impact sur les droits humains de la fast fashion. Nous pointons aussi la nécessité de mesures miroirs qui permettront de changer la donne.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte, qui a partiellement rétabli deux leviers essentiels d'action et qui a identifié les avancées européennes qui se révéleront nécessaires.

C'est ce dialogue européen et la commission mixte paritaire qu'il faut à présent réussir pour que l'avenir de la filière textile soit celui de l'économie circulaire durable ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l'examen de la proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile.

La mode jetable nous confronte à un défi majeur : la régulation de la dérive d'un capitalisme autodestructeur, que personne ne veut consciemment, mais à laquelle, pourtant, tout un chacun contribue.

La dérive actuelle se caractérise par l'effacement intentionnel de l'exploitation économique et sociale des travailleurs du textile, l'invisibilisation du coût écologique et sanitaire sous-tendu par la production et le transport, ainsi que l'érection de la surproduction en système.

Cette mode nous rappelle que nous perdons souvent de vue les conséquences de nos modes de vie : nous ne voyons plus les dégâts causés par nos comportements.

Et pourtant, les faits sont toujours là, têtus, et brutaux par leur gravité écologique. Rappelons que la production textile représente 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit l'équivalent des émissions de dioxyde de carbone des secteurs des transports aérien et maritime cumulés.

Osons alors poser la question : que vaut un tee-shirt à 2 euros quand il dégrade notre environnement, pollue les océans, exploite hommes, femmes et enfants, et menace l'industrie, l'artisanat français et, plus largement, l'artisanat européen ?

Les grandes firmes qui sont dénoncées sont les principales entreprises à tirer profit de ce modèle, car, hormis celles-ci, la surconsommation ne fait que des perdants.

Ce sont elles aussi qui entretiennent notre indolence. Elles disposent pour cela de plusieurs outils : la publicité, le lobbying et le marketing. Céder à ces sirènes, c'est être captif de leur stratégie, qui fait de la démesure une norme.

Toutefois, même face à des géants, une société attentive sait se ressaisir. Elle a pour cela sa propre réponse : la délibération et la force de la régulation.

La présente proposition de loi, j'y insiste, n'interdit pas ; elle protège, en qualifiant ce qui est hors norme. Elle protège notre environnement et celui de nos enfants. Elle protège notre économie et nos acteurs du textile.

J'attends, tout comme le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, que les garde-fous qui ont été posés soient suffisants, ce texte ayant suscité, dès l'origine, beaucoup d'espoir. Nous pouvons donc nous réjouir qu'il se donne les moyens de ses ambitions.

L'enjeu est trop important, dans une période où l'écologie cède devant le court-termisme, la compétitivité, le surprofit et une fausse idée de la liberté d'entreprendre.

Heureusement, le texte que nous nous apprêtons à voter a été favorablement enrichi en cours d'examen.

Je tiens tout d'abord à saluer la réintroduction de l'article 3 relatif à l'interdiction générale de la publicité pour la mode ultra-express. C'est un des leviers les plus efficaces dont nous disposons pour discipliner ces géants industriels, qui ont bien compris les effets du matraquage publicitaire permanent sur les comportements des Françaises et des Français.

Si la publicité court-circuite nos réflexes d'achat, elle représente également un fléau pour nos entreprises locales. Chambre des territoires, le Sénat connaît bien les conséquences très concrètes de l'expansion du e-commerce sur nos centres-bourgs, sur l'emploi et, in fine, sur l'attractivité de nos villes.

Nous nous félicitons donc du rétablissement de l'article 3, adopté à l'unanimité par nos collègues députés. Bien que demeurant fragile, ce dernier constituera une base de négociation pour demander une modification de la directive européenne sur le commerce électronique, afin que ces mesures de restriction s'appliquent, par exemple, aux acteurs installés en Irlande.

À défaut, notre tentative ne sera qu'un coup d'épée dans l'eau trouble des rapports de force commerciaux.

De la même façon, nous nous réjouissons de l'adoption des amendements visant à réconcilier les terminologies nationale et européenne en vue d'assurer la cohérence de nos travaux.

Une autre avancée importante, confirmée en séance publique, est l'intégration, sur notre initiative, d'une information sur l'impact social du produit. Cette transparence vis-à-vis du consommateur nous semble indispensable.

Nous renforçons également la sensibilisation à l'impact environnemental prévu à l'article 1er par un droit à l'information sur l'impact environnemental de la livraison de ces marchandises, complété par l'interdiction de la mention trompeuse de « livraison gratuite ». Cela nous permet de tordre le cou à l'idée mensongère selon laquelle les livraisons n'auraient aucun coût. Au contraire, ces coûts sont bien réels. À l'heure où il nous faut engager la transition écologique du transport, la mode ultra-express entraîne une explosion du transport routier de marchandises.

Enfin, je tiens à signaler l'adoption d'un amendement important, qui porte un coup majeur à l'opportunisme des grandes plateformes, en supprimant l'abattement applicable aux dons des invendus aux associations. En effet, cette déduction représente avant tout un outil d'optimisation fiscale pour de grands groupes pratiquant la mode ultra-éphémère, qui ont pu ainsi profiter de plusieurs millions d'euros d'argent public. Imaginez l'aubaine pour un groupe comme Shein, qui a injustement bénéficié des deniers publics !

Supprimer cet abattement sur les invendus y met un terme bienvenu. Non seulement cette pratique asphyxiait nos recycleries et la filière du réemploi tout entière, mais cette subvention aux invendus encourageait directement la surproduction que l'on reproche aux industriels de la mode express. Y mettre fin est donc, à double titre, bien inspiré  !

Nous sommes parvenus à un texte ambitieux. Pour autant, je trouverais regrettable que ce dernier se révèle inefficace, parce que nous laisserions perdurer les moyens de le contourner.

Par exemple, il aurait été souhaitable de définir, à l'article 1er, un seuil caractérisant la mode ultra-express, comme nous le proposions, d'autant que le seuil d'un million de références annuelles ne permettait déjà de cibler qu'une extrême minorité d'acteurs. L'instauration d'un mécanisme de révision du seuil, autant que de besoin, offrait la possibilité d'un pilotage adapté à nos enjeux de régulation.

En définitive et en dépit de l'existence de pistes d'amélioration, ce texte demeure un jalon important. Force est d'ailleurs de constater qu'il a suscité des réactions positives dans la société civile comme dans les médias, qui s'en sont emparés.

Espérons que le vote de cette proposition de loi fera réfléchir certains qui, au Gouvernement comme au Parlement, veulent aujourd'hui faire de notre droit de l'environnement le bouc émissaire de leurs propres turpitudes et de leur cécité écologique et sanitaire.

Au demeurant, dans la mesure où il entrouvre la porte d'une régulation, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe. (M. Aymeric Durox applaudit.)

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des textes qui, il faut bien le dire, tombent tard, mais tombent bien !

Reconnaissez-nous au moins le mérite de la constance sur quelques sujets particuliers. Je ne parle pas ici de notre dénonciation constante du désordre migratoire – nous sommes passés du désordre à nos frontières au désordre dans nos rues (Exclamations sur des travées des groupes CRCE-K et SER.) –, mais de notre lutte constante contre la mondialisation et le libre-échange dérégulé.

Constance, car nous avons toujours lutté contre ces phénomènes et dénoncé les thuriféraires de la paix par le commerce et de la mondialisation heureuse.

Beaucoup ici ont participé à un gouvernement qui a validé l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la transformation des chaînes de valeur mondiales, avec les résultats que nous connaissons. D'autres n'ont-ils par ailleurs pas soutenu, avec la dernière des servilités, les commissions européennes successives, allant de nouveaux traités de libre-échange en nouveaux traités de libre-échange ?

Des années avant que nous ne légiférions sur ce sujet, Marine Le Pen dénonçait déjà un système économique faisant produire par des esclaves exploités cyniquement des biens vendus à des chômeurs appauvris sciemment. N'est-ce pas là, tardivement, mais finalement, l'esprit du texte que nous nous apprêtons à voter ?

Cette proposition de loi vise à encadrer certaines pratiques des géants du textile numérique, à réguler et à taxer un peu. Mais ce n'est en réalité qu'un pansement sur une plaie béante, car le problème n'est pas seulement Shein – au passage, vous avez noté que cette entreprise avait été rejointe par l'ancien ministre de l'intérieur, Christophe Castaner – ou Temu, mais ce système qui permet à des entreprises de prospérer, de déverser chaque jour des tonnes de vêtements bon marché dans nos ports, nos aéroports ou nos boîtes aux lettres. Le problème, c'est l'idéologie qui les a rendues possibles, celle du déracinement, du dumping social généralisé et de l'abolition des frontières.

Ce texte est un début de réponse, mais surtout un aveu : l'aveu tardif, honteux, que le libre-échange n'est pas un dogme sans conséquence ; l'aveu que notre tissu économique, notre environnement et notre patrimoine, végétal comme animal, nos savoir-faire, nos travailleurs et nos jeunes – tous ! – paient le prix d'une trahison : la trahison de l'intérêt national, celle de la promotion d'un juste échange, protecteur des producteurs d'ici contre les exploiteurs de là-bas, et d'une préservation réelle du climat et de l'environnement.

Ne nous trompons pas de cible. Ce ne sont pas les consommateurs qu'il faut pointer du doigt. Lorsqu'on achète à bas prix, c'est non pas par confort, mais par nécessité. C'est le système qui pousse à ces choix contraints.

Pouvoir d'achat en berne, production locale devenue pour beaucoup hors de portée : quand la fin du mois dicte les décisions, l'achat devient non pas un acte militant, mais une question de survie.

On ne doit pas culpabiliser les Français d'avoir cédé à une offre qui s'impose à eux, sans alternative.

Oui, nous voterons ce texte, car tout pas vers la régulation est préférable à la servitude complète. Nous le ferons sans illusion, sans naïveté, sans hypocrisie.

Le jour viendra où il ne s'agira plus de compenser les dégâts ce système, mais, enfin, d'en changer, de rétablir les frontières, et d'imposer une préférence nationale, économique et écologique. Le jour viendra où il s'agira de redonner à nos artisans, à nos ouvriers, à nos territoires la place qu'ils n'auraient jamais dû perdre ! (MM. Aymeric Durox et Stéphane Ravier applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant des années, on nous a fait une fausse promesse. Nous avons cru qu'en délocalisant nos industries, les prix baisseraient et notre pouvoir d'achat augmenterait. Vaste mirage, dont nous devons aujourd'hui assumer le service après-vente !

En voulant faire des économies, nous avons en réalité créé des dépenses futures. Il faut le reconnaître : les vêtements de la fast fashion – ou mode ultra-express – ne reflètent pas leur coût réel.

Ici, au Sénat, nous pouvons mesurer l'ampleur de certains de ces coûts directs, que ce soit à travers la collecte croissante des déchets assumée par nos collectivités et, donc, par le contribuable, les délocalisations ou encore les premières fermetures d'enseignes françaises.

Toutefois, nous ne connaissons pas encore les coûts cachés. Or c'est l'ensemble de notre système qui en subira les effets.

D'un côté, l'environnement et la biodiversité pâtiront de cette situation. Qu'il s'agisse de la pollution croissante ou de la concurrence accrue pour l'eau, nous aurons tôt ou tard à payer cet impact écologique.

De l'autre, nos territoires et notre économie seront durement touchés par la baisse de compétitivité de nos entreprises, les fermetures d'usines et les suppressions d'emplois.

Cette perte d'activité aura des conséquences en cascade, pour les sous-traitants, pour les métiers du transport ou encore de la logistique. Nous perdrons les savoir-faire de nos régions.

Le coût n'est pas qu'environnemental : il est économique. Nous avons tout à perdre à laisser se développer la mode ultra-express.

Alors que notre pays et l'Europe cherchent à se réindustrialiser, soyons conscients que notre manière de consommer aujourd'hui conditionne les équilibres de demain.

À ce titre, plusieurs amendements adoptés en séance, dont celui de notre – excellente ! – collègue Vanina Paoli-Gagin (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.), ont permis de recentrer le texte, en prévoyant notamment que les références de produits d'une marque soient comptabilisées au titre de la plateforme, dès lors que celle-ci constitue le canal de vente principal de cette marque. Ces précisions permettront de mieux cibler la proposition de loi sur les géants chinois, en évitant les effets de bord sur les entreprises françaises et européennes.

Les premiers chiffres sont là et ils sont frappants.

La production textile est responsable de 20 % de la pollution mondiale de l'eau potable. La durée moyenne d'usage des produits d'habillement a été divisée par deux depuis l'an 2000. Cent quarante-cinq petits colis entrent chaque seconde en Europe – soit près de dix-sept mille depuis le début de mon intervention ! – et près de 800 millions de colis sont entrés en France en 2024, dont 90 % en provenance de Chine.

L'Union européenne génère 12,6 millions de tonnes de déchets textiles par an. En France, l'industrie textile a perdu 40 % de ses emplois en dix ans et elle représente 20 % de notre déficit global.

Notre première réponse à cette prise de conscience, bien que timide, prend la forme de ce texte. C'est un début – cela a été dit –, mais il a au moins le mérite d'exister.

Madame la ministre, comme certains ont pu le dire au cours des débats, nous faisons de la politique ! Et parfois, il faut savoir envoyer des signaux. Cette proposition de loi est un marqueur qui adresse un message positif aux entreprises françaises et européennes, que nous devons soutenir et renforcer.

Mais nous devrons aller beaucoup plus loin.

D'une part, notre manière de consommer évolue ; nous sommes déboussolés. On nous invente des besoins en créant l'illusion du manque, que l'on nous presse ensuite de satisfaire. Des publicités intempestives, des partenariats commerciaux, des promotions éphémères nous poussent à consommer dans une frénésie d'achats dictés par l'urgence et les réseaux sociaux, dopés par les influenceurs, eux-mêmes ambassadeurs de l'éphémère. Et ce, alors même que les vêtements éphémères sont conçus pour ne pas durer ! Il nous faut alors acheter à nouveau… Il est dès lors indispensable d'encadrer ces publicités sournoises. Nous ne pouvons poursuivre dans cette voie.

D'autre part, il faut des réponses concrètes et économiques pour freiner l'envoi ininterrompu de ces millions de colis. Ces colis entrent librement, en échappant à toute tarification : ils ne nous rapportent rien, mais génèrent des coûts.

Je me réjouis de l'adoption de mon amendement, défendu avec brio par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, visant à taxer les petits colis de moins de 2 kilos. En effet, nous devons nous engager dans une démarche concrète, et je me félicite que cette idée de taxer ces petits colis ait été reprise la semaine dernière lors du Conseil des entreprises réuni par le Gouvernement. Peut-être que cette taxation trouvera sa place dans le prochain projet de loi de finances. Elle est un outil important pour lutter contre les importations massives de produits que nous souhaitons justement endiguer.

Nous le savons, des dispositifs similaires sont en cours de négociation à Bruxelles ; c'est essentiel. Nous sommes dans un marché commun, nous en avons parfaitement conscience : nous ne parviendrons pas seuls, en France, à protéger à la fois notre planète et nos industries. Nous attendons avec impatience l'avancement de ces négociations européennes comme la révision de la directive sur les déchets et la réforme de l'union douanière.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra bien évidemment ce texte, car nous ne pouvons pas laisser nos collectivités assumer seules les coûts directs et indirects de cette mode.

Si nous ne faisons rien, nous en pâtirons tous. Agissons avant l'overdose de déchets. Agissons aujourd'hui pour notre industrie et nos emplois – ce sont eux qui, en l'absence de réponses fortes, deviendront éphémères !

N'oublions pas que, si les économies sont immédiates, elles sont illusoires et que le coût réel, lui, est différé ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi qu'au banc des commissions.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Valente Le Hir, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme Sylvie Valente Le Hir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous nous apprêtons à voter est un bel exemple de ce que le Sénat peut produire de plus utile : une réponse lucide à une dérive contemporaine, forgée dans le dialogue, enrichie par des contributions multiples et portée par un large consensus.

Loin d'un geste partisan, cette proposition de loi a fait l'objet d'un travail approfondi en commission, puis en séance publique, auquel nombre de nos collègues ont activement pris part. Je veux saluer ici l'esprit de coconstruction qui a animé nos débats : il a permis d'élever la discussion et de donner à ce texte une portée véritablement transpartisane.

La proposition de loi que nous venons d'examiner ne se contente pas de dénoncer un modèle ; elle trace le chemin à suivre. Elle ne prétend pas tout résoudre, mais elle ose fixer des limites. Elle assume de poser des bornes. Et pour cela, nous la voterons avec détermination.

Ce texte, le Sénat ne l'a pas affaibli ; il l'a renforcé !

Il l'a renforcé, en refusant la caricature, en évitant les slogans faciles et, surtout, en prenant ses responsabilités : affirmer qu'il est temps d'encadrer les excès de la mode express, sans pénaliser celles et ceux qui œuvrent à une mode plus responsable. Il a su distinguer, au sein d'un secteur parfois mal compris, ce qui relève de la surconsommation programmée et ce qui relève de l'innovation soutenable.

En commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, comme en séance, nous avons clarifié la cible. Nous avons tracé une ligne nette entre ce que nous voulons réguler – la mode ultra-express, incarnée par des plateformes comme Shein ou Temu – et ce que nous voulons préserver : la mode accessible, mais enracinée, qui emploie en France, qui structure nos territoires, qui crée du lien et soutient un tissu économique local. Cette distinction est essentielle : elle permet d'aller dans le sens d'une régulation intelligente, efficace et équitable.

Nous avons aussi innové. Pour la première fois, la logistique est incluse dans le champ de la régulation textile. L'interdiction de la mention « livraison gratuite » et l'obligation d'information sur l'impact des livraisons marquent une avancée structurante. Ces dispositions répondent aux recommandations d'une mission d'information de 2021 de notre commission, dont Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau étaient les rapporteurs. Elles participent d'une prise de conscience plus large : la livraison n'est jamais gratuite, elle a un coût environnemental et logistique que l'on ne peut plus éluder.

Nous avons renforcé les leviers de contrôle de la mode express. La suppression d'un avantage fiscal pour les dons d'invendus par ces entreprises n'est pas un geste symbolique. C'est une mesure de cohérence : on ne peut, d'un côté, condamner les excès de production et, de l'autre, les subventionner indirectement par des réductions d'impôt.

Le renforcement du partage d'informations entre administrations, une mesure également ajoutée par le Sénat, permettra de mieux lutter contre les contournements et les fraudes et de garantir l'effectivité des règles fixées par la loi.

Concernant la modulation des écocontributions, nous avons également adopté une position équilibrée.

L'affichage environnemental apparaissait comme un instrument encore trop immature pour servir, à lui seul, de levier de modulation. Mais nous avons su en retenir l'essentiel : le coefficient de durabilité, qui en constitue une composante, permet de cibler les comportements problématiques, en se fondant sur trois critères – la fréquence de renouvellement, la largeur de la gamme, la transparence sur la chaîne de production. Il s'agit d'un outil opérationnel, pertinent et capable d'évoluer au fil des retours d'expérience.

Surtout, nous avons veillé à ce que les sommes récoltées servent un objectif stratégique : le renforcement des capacités nationales de recyclage textile. Il s'agit non pas seulement de punir, mais aussi de reconstruire, de donner à notre pays les moyens de traiter ses déchets sur son sol, de créer des emplois dans la valorisation des matières, de réinventer un tissu industriel que la délocalisation a trop longtemps effiloché. Il y a ici une véritable ambition industrielle, territoriale, écologique.

Enfin, s'agissant de l'interdiction de la publicité, nous avons affronté un dilemme juridique et politique.

Fallait-il interdire toute publicité sur la mode express, au risque d'une censure constitutionnelle ou européenne ? Ou fallait-il encadrer plus strictement la mesure d'interdiction, la cibler, au risque de paraître timoré ? Cette question est révélatrice de la complexité de notre tâche : conjuguer l'exigence démocratique avec la rigueur juridique, défendre l'intérêt général sans faire fi des équilibres constitutionnels.

Le Sénat a rétabli l'interdiction générale, tout en maintenant les mesures proportionnées d'encadrement de la publicité. La procédure de notification européenne, annoncée par le Gouvernement, permettra d'éprouver la solidité juridique de cette mesure.

Mais il faut en souligner le message politique fort : la publicité ne saurait être une zone de non-droit. Lorsqu'elle promeut des modèles destructeurs, il est légitime, dans une démocratie, de poser des bornes.

Et c'est bien cela qui résume l'esprit du texte. Non pas punir pour punir, mais rétablir un équilibre. Poser des repères dans un univers dérégulé. Rappeler que la consommation n'est pas un acte neutre et que réguler n'est pas restreindre la liberté : c'est lui donner un cadre commun.

Il y aura des résistances, bien sûr, des recours, des discours sur la prétendue atteinte au pouvoir d'achat. Mais soyons clairs : le pouvoir d'achat ne peut justifier n'importe quelle marchandisation. Défendre la dignité des consommateurs, ce n'est pas leur proposer des vêtements jetables, parfois toxiques, souvent conçus dans des conditions inhumaines. C'est leur permettre d'acheter mieux, dans la durée, avec conscience.

Ce que nous allons voter, c'est un texte de régulation. Mais ce que nous avons défendu, c'est une certaine idée de notre société, une société où le progrès ne se mesure plus au nombre de colis livrés dans la journée, mais à la qualité du lien que nous tissons, entre producteurs et consommateurs, entre humains et environnement, entre présent et avenir.

Pour tout cela, mes chers collègues, je vous invite à voter cette proposition de loi, car, au fond, ce que nous avons voulu défendre ici, ce n'est pas seulement un autre modèle de mode, c'est un autre modèle de modernité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis quelques années, un modèle économique particulier s'est imposé dans le secteur de l'habillement : celui de la mode éphémère, aussi appelée fast fashion.

Ce phénomène, qui consiste à produire et renouveler à un rythme effréné des collections toujours plus nombreuses, à des prix toujours plus bas, séduit une large part des consommateurs, notamment les plus jeunes.

Mais derrière cette apparente accessibilité, derrière ces vêtements livrés en quelques clics depuis l'autre bout de la planète se cache une autre réalité, une réalité environnementale, sociale et économique que nous ne pouvons plus ignorer.

Entre 2010 et 2023, le nombre de pièces de vêtements mises sur le marché français est passé de 2,3 milliards à 3,3 milliards, soit une hausse vertigineuse de près de 40 % en à peine treize ans ! Ce chiffre n'est pas anodin. Il traduit une logique de surconsommation qui s'emballe et dont les conséquences sont majeures. La grande majorité de ces vêtements sont fabriqués en Asie du Sud-Est par des personnes dont les conditions de travail sont souvent éloignées de nos standards sociaux ; ils engendrent une empreinte carbone massive liée au transport et à la production.

Il est bon de rappeler ici que l'industrie textile est aujourd'hui la deuxième industrie la plus polluante au monde. Elle représente à elle seule près de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Et une part considérable des 3,3 milliards d'articles mis en vente chaque année sur notre territoire ne sera portée que quelques fois, voire jamais, avant de finir reléguée au fond d'un placard, puis jetée.

Mais réduire la fast fashion au seul enjeu écologique serait une erreur. Elle est aussi le symptôme d'une pression économique féroce qui fragilise notre tissu industriel local. Cette distorsion de concurrence menace ainsi notre souveraineté industrielle, affaiblit des savoir-faire et ruine peu à peu notre capacité à produire localement.

Des textes importants ont déjà été adoptés dans le passé, comme la loi de 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire ou encore la loi Climat et Résilience de 2021. Ils ont posé des jalons très importants, mais force est de constater qu'ils n'ont pas permis de renverser la dynamique. Le phénomène de la mode jetable s'intensifie et les effets pervers se multiplient.

C'est pourquoi cette proposition de loi, que nous avons examinée la semaine dernière, constitue une avancée essentielle. Elle introduit une définition claire de la mode éphémère. C'est indispensable pour pouvoir l'encadrer de manière rigoureuse.

Nous saluons ainsi la définition retenue de la fast fashion : il s'agit des pratiques industrielles et commerciales des producteurs qui ont pour conséquence la diminution de la durée d'usage ou de vie de produits neufs en raison de la mise sur le marché d'un nombre élevé de références de produits neufs ou de la faible incitation à réparer ces produits. Cette définition apparaît complète et englobante.

Elle prévoit également des mécanismes de sanction et de responsabilisation dissuasifs à l'égard des entreprises qui choisiraient de contourner les règles.

Enfin, le groupe RDPI se félicite du rétablissement de l'article 3 qui vise à interdire toute publicité faisant la promotion de la fast fashion. Il complète l'article 3 bis, qui tend à interdire la promotion de ces produits par des influenceurs.

Avec ce texte, nous ne proposons pas d'interdire de s'habiller, mais nous proposons de redonner du sens à nos achats, de sortir de la logique de l'accumulation au profit de celle de la responsabilité.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu'au banc des commissions.)