M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la sénatrice Catherine Dumas, permettez-moi de saluer votre engagement en tant qu'élue de Paris sur ce sujet absolument déterminant. Il s'agit d'exploitation sexuelle et de traite d'êtres humains, mais aussi de la tranquillité du voisinage et de problèmes de sécurité. Derrière les façades de ces établissements, il y a une réalité sinistre, glauque, celle de l'exploitation sexuelle et de la prostitution.

Notre objectif est d'agir sur tous les leviers possibles dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la prostitution, qui concerne tant les majeurs que les mineurs. Il s'agit d'entraver ces activités d'un point de vue administratif en jouant, j'y insiste, sur tous les leviers, que je ne rappellerai qu'en partie.

D'abord, nous renforçons les contrôles pour détecter et signaler toutes les situations de fraude fiscale ou financière, ainsi que toute situation de travail illégal, en lien avec les comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf), les procureurs de la République et l'inspection du travail.

L'ensemble des acteurs se coordonnent et se mobilisent pour regarder partout où ces réseaux agissent, y compris sur les réseaux sociaux. Ils peuvent s'appuyer sur les groupes interministériels de recherche, ainsi que sur un échange d'informations avec l'ensemble de nos services.

Nous prenons aussi directement des mesures à l'encontre des auteurs, c'est-à-dire des proxénètes. Nous accélérons notamment toutes les procédures de retrait ou de non-renouvellement des titres de séjour des personnes qui exploitent la misère humaine et font commerce des êtres humains.

Dans les prochaines heures, la circulaire que vous avez mentionnée sera publiée, sur mon initiative. C'est la première fois qu'une circulaire est signée par les ministres de l'intérieur, de la justice, du travail, de la santé et par celui de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Enfin, nous compléterons par un décret en Conseil d'État la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel, afin que les commissions départementales aient également la charge des mineurs que nous devons évidemment protéger face au fléau de l'exploitation sexuelle.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.

Mme Catherine Dumas. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse complète, qui témoigne de l'engagement du Gouvernement. Vous avez détaillé l'ensemble des mesures possibles. C'est une bonne nouvelle d'apprendre que cette circulaire sera bientôt mise en application.

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente, pour le scrutin public solennel sur la proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures neuf,

est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

2

Intitulé de la proposition de loi (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile
Discussion générale (fin)

Impact environnemental de l'industrie textile

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le scrutin public solennel sur la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile (texte n° 431 [2023-2024], texte de la commission n° 459 [2024-2025], rapport n° 458.)

Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s'effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier immédiatement que celle-ci fonctionne correctement, en l'insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, les huissiers sont à votre disposition.

Avant de passer au scrutin public solennel, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

Explications de vote sur l'ensemble

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées du groupe UC.)

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le climat change et notre planète se porte mal. Comme l'indiquent nombre de scientifiques, que certains se refusent à entendre, nous sommes aux portes d'un territoire inconnu.

Confirmant les données de nombreux rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), la revue BioScience indiquait qu'en 2023, vingt des trente-cinq paramètres vitaux liés au climat avaient atteint des niveaux records.

Épisodes caniculaires, cyclones dévastateurs, orages meurtriers : l'actualité égrène ces catastrophes, mais les climatosceptiques refusent d'entendre les sonneries d'alarme. Les espérances vertes de l'après-covid ont été rangées au placard des illusions perdues. Avec une feinte sérénité, nous continuons de donner raison à Adam Smith, qui estimait que « la consommation est la seule fin et la seule raison d'être de toute production. »

Mme Mireille Jouve. Oui, nous consommons encore et toujours plus. Mes chers collègues, je vous regarde et devine vos interrogations. À quel moment parlerai-je du texte et du vote auquel nous allons procéder ? Mais c'est bien ce que je fais, depuis le premier mot de mon intervention !

Lors de l'examen de cette proposition de loi, nous avons appris que les Français achètent en moyenne 48 nouveaux produits chaque année et que 3,3 milliards de vêtements par an sont mis sur le marché, soit 1 milliard de plus qu'il y a dix ans, les prix ayant baissé depuis de 30 %.

Force est pourtant de constater que cette consommation de produits textiles à bas coût provoque une véritable catastrophe environnementale et sociale, pour le plus grand malheur de notre industrie textile et des enseignes traditionnelles qui assuraient le dynamisme commercial de nos centres-villes. Cet emballement est le fruit d'une grande liberté prise avec les règles environnementales, sociales et sanitaires, comme l'ont souligné plusieurs de nos collègues.

Je n'insisterai donc pas sur les conditions dans lesquelles ces productions sont obtenues – travail forcé, travail des enfants, surexploitation d'une main-d'œuvre féminine sous-payée. De même, le rapport précise que 20 % de la pollution des eaux dans le monde est imputable à la teinture et au traitement de textiles qui finissent au mieux au fond de nos placards, au pire dans des poubelles avant d'être acheminés vers des dépotoirs à ciel ouvert des pays du Sud global.

Si la tendance n'est pas inversée, l'industrie du textile pourrait représenter 26 % des émissions de gaz à effet de serre en 2050.

Dès lors, même si cette proposition de loi est loin d'être parfaite, même si elle ne répond pas à l'ensemble des problèmes liés aux effets délétères de la surconsommation due à l'explosion de la fast fashion, que je préfère appeler « mode ultra-express », ce texte est bienvenu.

Il témoigne d'une prise de conscience et d'une volonté, sans pour autant tenir un discours moralisateur, d'inciter à acheter moins pour acheter mieux. Il invite à aller plus loin et sera, je l'espère, le support de belles négociations menées auprès de l'Union européenne, même si nous pouvons légitimement être inquiets des propos tenus par le Président de la République à l'occasion du sommet Choose France, selon lequel la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et plusieurs autres régulations doivent être non pas simplement repoussées d'un an, mais écartées.

Malgré ces inquiétudes persistantes, je tiens à dire ouvertement oui à la nouvelle définition de la pratique commerciale de la mode éphémère, qui retient l'expression de « mode ultra-express ».

Je me félicite de l'accueil que le Sénat a réservé aux amendements que le groupe RDSE a déposés à l'article 1er.

L'adoption de l'un de ces amendements a permis d'étendre le champ de la définition de ce secteur en prenant en compte les pratiques industrielles. Nous le savons tous, et Mme la ministre l'a rappelé en séance publique, ce modèle d'affaires vise à produire le plus possible en s'appuyant sur une consommation non pas désirée, mais programmée.

L'adoption d'un autre de nos amendements permettra de comptabiliser toutes les références présentes sur une plateforme dès lors que celle-ci constitue le principal canal de vente d'une marque. Nous pourrons ainsi éviter que les géants visés par ce texte ne basculent vers un modèle multimarques factice.

Oui à l'identification des conséquences de la mode ultra-express, à savoir « la diminution de la durée d'usage ou de la durée de vie de produits neufs […] en raison de la mise sur le marché d'un nombre élevé de références de produits neufs. »

Oui à la suppression du crédit d'impôt sur les invendus de la mode ultra-express.

Oui à la base juridique permettant un partage d'informations entre la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), pourvu que ces services reçoivent les moyens de la faire vivre.

Oui au dispositif de modulation des écocontributions versées par les producteurs soumis à la filière à responsabilité élargie des producteurs (REP), qui introduit deux critères : l'impact environnemental et l'empreinte carbone. Il permet de flécher lesdites contributions vers les installations de recyclage situées en France, même si j'aurais aimé que nous allions encore plus loin en prenant en compte les autres critères de l'affichage environnemental.

Oui à l'article 3, qui interdit la publicité relative à ces produits, renforçant la position française dans les négociations à venir à l'échelle européenne.

En revanche, nous regrettons de ne pas avoir été suivis sur l'ajout d'un message à caractère environnemental en complément de l'information synthétique sur l'impact environnemental du produit, qui aurait permis d'éviter tout greenwashing.

Oui enfin à l'interdiction de la promotion des marques de la mode ultra-express – que ces prestations soient rémunérées ou gratuites –, assortie d'une sanction administrative de 100 000 euros.

Malgré des imperfections, cette proposition de loi va dans le bon sens et a été renforcée par un travail constructif du Sénat, tant en commission qu'en séance. Le groupe RDSE, dans la bienveillance que chacun lui reconnaît, votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-Yves Roux applaudit également.)

M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous avons examiné représente un tournant non seulement pour la régulation du secteur textile, mais plus largement pour l'ensemble de notre rapport à la consommation, à la durabilité des produits et à la responsabilité économique face aux défis environnementaux.

Cette proposition de loi, profondément retravaillée par notre commission à la lumière des travaux brillamment menés par notre rapporteure, Mme Sylvie Valente Le Hir, n'est pas un texte de circonstance. Elle s'inscrit dans un temps long, celui de la transition écologique, du respect du vivant et d'un nouveau pacte entre le consommateur, le producteur et la planète.

Je l'affirme d'emblée : le texte que nous nous préparons à adopter est équilibré, pragmatique, mais ambitieux. Il témoigne pleinement du rôle que le Sénat s'honore à tenir dans notre démocratie, en tant que chambre raisonnée et raisonnable où subsiste le dialogue.

Ensemble, nous avons su prendre de la hauteur et éviter les effets de manche ou les postures faciles, pour construire un cadre juridique à la fois rigoureux, ambitieux et opérationnel.

Le premier apport majeur du Sénat est d'avoir clarifié, précisé et surtout mieux ciblé la définition de la fast fashion. En distinguant la mode express de la mode ultra-express, nous avons introduit une gradation qui manquait dans le texte initial.

Cette distinction n'est pas purement sémantique, elle reflète une réalité économique : celle d'une différence entre un modèle d'accélération raisonnable, souvent assumé par de nombreuses marques européennes, et un modèle ultra-accéléré, fondé sur une rotation incessante des collections, une fabrication à très bas coûts et une mise sur le marché à l'échelle mondiale sans aucune prise en compte des externalités.

Cette précision terminologique, que nous avons fait coïncider avec des seuils de production et de prix, permet de cibler de véritables dérives sans fragiliser injustement les acteurs de la filière qui, pour certains, engagent de réels efforts vers des pratiques plus durables.

Je me félicite également que nous ayons élargi la définition de la mode express en y intégrant, en sus des pratiques commerciales, les pratiques industrielles. Ce point est décisif : il ne suffit pas de prendre en compte le marketing, il faut aussi considérer la chaîne de valeur, les méthodes de production, les volumes et les choix stratégiques opérés bien en amont du consommateur.

Ensemble, ces clarifications permettent de cibler les acteurs qui font fi des réalités environnementales, sociales et économiques, notamment Shein ou Temu, sans pénaliser la filière du prêt-à-porter européen.

Le Sénat a en outre procédé à plusieurs ajustements techniques, cruciaux pour empêcher tout contournement du dispositif. En prévoyant que les seuils de définition de la fast fashion soient appréciés au regard du canal de vente principal, nous avons renforcé la robustesse juridique du texte. Cela évite que des marques ne modulent leur présence selon les canaux pour échapper à la réglementation.

Nous avons ensuite introduit une disposition importante : si une marque est massivement distribuée par l'intermédiaire d'une plateforme en ligne, c'est bien cette dernière qui doit être comptabilisée comme canal principal de vente. Cette mesure, défendue par le groupe Union Centriste, répond à un risque réel : celui de la création de marques-écrans ou de labels de complaisance qui seraient artificiellement dissociés pour échapper au seuil. En d'autres termes, nous coupons l'herbe sous le pied des stratégies d'optimisation de façade.

L'interdiction de la mention « livraison gratuite » constitue une autre avancée du texte. Elle peut sembler symbolique, mais elle est en réalité fondée sur un principe de vérité des prix. Rien n'est gratuit : si la livraison ne coûte rien aux consommateurs, elle a un coût environnemental et logistique que d'autres pays paient à sa place. Il est temps de mettre fin à cette illusion de gratuité, qui entretient l'impulsivité d'achat et dévalorise le travail logistique.

Enfin, la nouvelle obligation d'information claire sur l'origine de fabrication des vêtements vendus en ligne est une mesure de bon sens et de justice. Le numérique ne saurait être un angle mort de la traçabilité : je soutiens pleinement cette avancée.

L'article 2, qui vise à introduire une nouvelle modulation des écocontributions, est sans doute l'un des plus structurants du texte. En tant que défenseur de la responsabilité élargie du producteur, je salue les améliorations qui y ont été apportées.

La pénalité financière applicable aux produits de la mode ultra-express est désormais liée au coefficient de durabilité desdits produits. Il s'agit d'une orientation cohérente avec la logique d'écoconception que nous défendons depuis longtemps. Ce lien entre pénalité et durabilité permet de sortir d'une approche strictement punitive pour tendre vers une incitation fondatrice : il s'agit non pas de stigmatiser une entreprise, mais de l'inciter à produire mieux et plus durablement, avec des matériaux recyclables et un design pensé pour durer.

De plus, ce texte adapte le montant des pénalités au type de produit et prévoit une rehausse du plafond à 50 % du prix de vente lorsqu'il s'agit d'une mode ultra-éphémère. Cette mesure est à la fois proportionnée et dissuasive.

Je salue également l'obligation désormais faite aux éco-organismes et aux gestionnaires de déchets de contractualiser leurs relations. C'est une mesure de transparence, mais aussi de régulation, qui permettra de mieux contrôler le cycle de vie des produits.

Le complément apporté à l'article 3 bis, notamment la sanction applicable aux influenceurs qui feraient la promotion de cette pratique commerciale, marque une volonté claire de ne pas laisser les nouveaux modes de communication hors du champ de la régulation. Les influenceurs ont une responsabilité – souvent commerciale – et on ne peut ignorer leur rôle dans la stratégie marketing de la fast fashion. Je me réjouis aussi de l'ajout, dans les canaux de vente concernés, d'un message incitatif en faveur des modèles de consommation plus durables. Là encore, il s'agit d'accompagner une évolution culturelle et pas uniquement d'encadrer une pratique.

Deux avancées introduites en séance méritent d'être soulignées : elles montrent combien ce texte, loin de se limiter à une logique réglementaire, s'inscrit dans une vision systémique.

D'une part, l'inscription de la mode écoresponsable dans les programmes d'éducation au développement durable est essentielle, car les comportements d'achat se forgent tôt. Sensibiliser les plus jeunes aux impacts de la mode, aux notions de cycle de vie, de durabilité et de traçabilité, c'est semer les graines d'une société de consommation plus sobre et plus éclairée.

D'autre part, l'instauration d'une taxe sur les petits colis livrés depuis l'étranger, notamment hors de l'Union européenne, permet d'anticiper les effets délétères du dumping écologique et fiscal que l'on observe aujourd'hui.

Mes chers collègues, ce texte, je le répète, est important. À la fois symbolique et structurant, il marque une étape vers une consommation plus responsable, vers une industrie textile plus transparente, vers une économie plus durable.

En votant cette proposition de loi, nous envoyons un signal fort, non seulement aux géants de la mode ultra-éphémère, mais aussi aux consommateurs, aux jeunes, aux PME du textile et à nos partenaires européens : celui d'une volonté politique assumée de réguler, d'encadrer, et de préparer l'avenir.

C'est pourquoi, en toute cohérence avec mes engagements pour une transition écologique juste, je voterai en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, RDPI et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'industrie textile est l'une des plus polluantes au monde.

Cinquième plus gros émetteur de gaz à effet de serre en Europe, ce secteur est aussi le troisième plus gros consommateur d'eau, après les cultures du blé et du riz.

Du champ de coton à la boutique, un jean parcourt jusqu'à 65 000 kilomètres et il faut de 7 000 litres à 10 000 litres d'eau pour le produire. Notons que 4 % de l'eau potable disponible dans le monde est utilisée pour fabriquer nos vêtements.

Ces constats sont inquiétants, non seulement pour l'environnement, mais aussi pour les droits humains, car les millions de travailleuses et de travailleurs qui fabriquent nos vêtements dans les usines textiles sont confrontés à des conditions de travail déplorables.

Le modèle de la fast fashion et de l'ultrafast fashion fonctionne sur le principe d'un renouvellement très rapide des vêtements proposés à la vente à bas prix. Par exemple, au lieu de présenter quatre collections par an, comme le font les maisons de mode, les marques relevant de la fast fashion peuvent en produire jusqu'à cinquante-deux par an, soit une par semaine !

Ces marques ne créent pas : elles copient les créateurs de prêt-à-porter. Elles produisent ensuite en grande quantité, afin de réduire les coûts et de se constituer des stocks suffisants, allant même jusqu'à produire trop et à brûler les invendus.

Ce modèle incite à la surconsommation de vêtements et produit 932 millions de tonnes de déchets textiles par an, dont très peu sont recyclés.

De 58 millions de tonnes de vêtements produits en 2000, nous sommes passés à 109 millions de tonnes en 2020 et nous nous dirigeons vers une production annuelle de 145 millions de tonnes d'ici à 2030.

Entre 2010 et 2023, le nombre de vêtements mis sur le marché en France est passé de 2,3 milliards à 3,25 milliards, soit une augmentation de 39 %. Cette évolution est en complet décalage avec la hausse de la population, car plus que le besoin de vêtir, c'est bien l'appétit des industriels du secteur qui explique cette augmentation exponentielle.

Selon les statistiques, les Français consommeraient en moyenne 9 kilos de vêtements par habitant et par an, dont seulement un tiers seraient recyclés. À l'échelle européenne, ce sont 4 milliards de tonnes d'habits qui deviennent des déchets vestimentaires chaque année.

Ces plateformes qui nous envahissent quotidiennement sur les réseaux sociaux veulent faire de nous des prisonnières et des prisonniers, victimes à notre insu de la surconsommation.

La fast fashion est une concurrence déloyale qui s'avère très agressive pour nos industries textiles, au sein desquelles le nombre d'emplois a été divisé par trois depuis 1990. Moins de 3 % des vêtements vendus en France sont aujourd'hui fabriqués en France.

L'accélération de la désindustrialisation a inéluctablement touché le secteur de la distribution. Les années 2022 et 2023 ont été catastrophiques pour certaines marques françaises, comme Camaïeu, Kookaï, San Marina ou Pimkie. Plus récemment – à la fin du mois d'avril –, l'enseigne Jennyfer a été placée en liquidation judiciaire ; quant à la marque Naf Naf, qui emploie plus de 600 salariés, elle a été placée en redressement judiciaire.

À Roubaix, l'ancienne ville aux mille cheminées, ex-capitale du textile français, le taux de chômage avoisine désormais les 30 %.

Les difficultés rencontrées par ces enseignes s'expliquent par un report de la consommation vers les enseignes low cost. Il ne faut évidemment pas oublier les conséquences de l'inflation sur le pouvoir d'achat des Français.

Le secteur du textile fait face à une crise sociale et économique dont les causes sont également à rechercher dans les vagues de délocalisations massives que nous avons subies, lesquelles ont été suivies d'une sorte de fuite en avant qui a pris la forme de volumes de production toujours croissants.

Des plateformes comme Shein et Temu nous ont fait entrer dans une économie de produits jetables, que l'on porte deux ou trois fois seulement.

L'exploitation des ressources naturelles, l'utilisation de produits chimiques qui polluent les eaux, l'air et les sols, ainsi que la production de grandes quantités de déchets sont malheureusement l'envers du décor de cette mode éphémère. De la production à la transformation des matières premières, du tissage à la teinture, chaque étape de la confection d'un vêtement contribue à ce lourd bilan environnemental. C'est insoutenable pour la planète, mais aussi pour les travailleuses et travailleurs des pays où les entreprises du textile ont délocalisé les usines.

En 2013, l'effondrement du bâtiment Rana Plaza, à Dacca, au Bangladesh, a coûté la vie à 1 130 ouvriers, ce qui en fait l'une des catastrophes les plus terribles de l'histoire de l'industrie textile. Les consignes d'évacuation qui avaient été données la veille avaient été ignorées par les responsables des ateliers, parce que les vies humaines ont parfois moins de valeur que les marchandises à produire.

Dans ces pays, le coût de la main-d'œuvre est faible et les droits sociaux n'existent pas, ce qui permet aux multinationales de multiplier leurs profits, au détriment des travailleuses notamment – car il s'agit à 80 % de femmes, vulnérables et surexploitées. Alors qu'en 2023 Shein engrangeait plus de 2 milliards de dollars de bénéfices et que Zara dégageait un bénéfice de 5,8 milliards de dollars, le salaire d'une ouvrière ou d'un ouvrier du textile ne dépassait pas les 100 dollars par mois.

Au travers de l'un de nos amendements, qui a été rejeté lors de l'examen du texte, nous avions proposé un autre système de bonus-malus, fondé non plus sur des critères d'écoconception, mais sur le respect des droits humains et le niveau des salaires, l'exploitation exacerbée de notre planète étant indissociable de celle des travailleuses et des travailleurs.

Certains ont considéré que cette proposition de loi avait été détricotée ; d'autres l'ont au contraire jugée ambitieuse. En réalité, elle a le mérite de constituer une étape vers la régulation de l'hyperproduction et de l'hyperconsommation. Ce texte incitera l'industrie textile à repenser davantage sa façon de produire pour éviter des malus ou des pénalités et, éventuellement, pour profiter de bonus si la production de vêtements respecte des critères de durabilité.

Avec le rétablissement de l'article 3, qui interdit la publicité, nous nous attaquons au principal ingrédient de la surconsommation. Je l'ai rappelé la semaine dernière : en 2023, Shein et Temu ont investi respectivement 43,8 millions d'euros et 27,5 millions d'euros dans la publicité digitale.

Nous aurions souhaité cependant que ce texte soit plus ambitieux dans le soutien qu'il apporte aux structures qui aident au recyclage et au réemploi des vêtements.

Dans l'ensemble – je remercie à cet égard Mme la rapporteure –, cette proposition de loi est une première étape encourageante dans la régulation d'un secteur dont l'empreinte environnementale représente 8 % du total de nos émissions de dioxyde de carbone.

S'il reste beaucoup à faire pour réindustrialiser et décarboner le transport de marchandises, en misant sur le ferroviaire notamment, nous devons agir pour favoriser la sobriété et la relocalisation. Il faut acheter moins, mais acheter mieux, un niveau de salaire satisfaisant devant permettre l'achat de produits de meilleure qualité, souvent plus écologiques.

Mon groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Sylvie Valente Le Hir applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trois mois après l'examen de ce texte en commission et plus d'un an après son adoption à l'unanimité par nos collègues de l'Assemblée nationale, il est temps de passer à cette étape décisive, prélude à une commission mixte paritaire qui n'aura pas lieu, me dit-on, avant l'automne et qui sera elle-même précédée d'une phase de notification à la Commission européenne.

En d'autres termes, même si tout se passe au mieux, il faudra attendre encore bien des mois avant que se déploient ces dispositions pour combattre, mieux contrôler, réglementer et limiter les dérives et dégâts colossaux de la déferlante de la fast fashion.

Le vote de ce jour est une étape que l'on peut qualifier de « relativement positive ». Alors que l'on anticipait une atténuation, ici même, au Sénat, du texte des députés et alors que la version issue des travaux de notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable en mars dernier paraissait édulcorée, le travail collectif en séance publique a permis des avancées significatives, qui redonnent de la vigueur aux deux principaux leviers d'action : l'écomodulation et l'interdiction de la publicité.

Face à la disparition de dizaines de milliers d'emplois, face aux liquidations et aux redressements judiciaires et aux fermetures en série, face à l'accumulation de déchets textiles dus à cette mode jetable, qui détruit les filières et toute perspective d'économie circulaire, notre chambre des territoires a su, sur le fondement d'un diagnostic partagé de cette situation calamiteuse, dépasser un scénario politique convenu et écrit d'avance.

Ce diagnostic est celui d'un désastre environnemental, économique et social, qui empire depuis des années et qui trouve sa source dans un modèle reposant sur la surproduction et la surconsommation, un modèle fondé sur une monumentale chaîne de sous-traitance délocalisée et la recherche d'une main-d'œuvre et de matières premières à un coût toujours plus faible, un modèle qui fait fi du droit du travail et de la protection des milieux naturels, un modèle motivé par l'idéologie d'une croissance des volumes et des déchets qui se voudrait infinie.

Shein, Temu ou Amazon représentent 80 % des mises sur le marché et 72 % du chiffre d'affaires mondial du secteur. Ces enseignes poussent jusqu'à son paroxysme un modèle qui détruit les emplois locaux et dévitalise nos cœurs de ville.

Ce processus destructeur a débuté avant l'émergence de Shein et de Temu : l'ultrafast fashion et la fast fashion tout court relèvent d'une même logique, celle d'une mode low cost, éphémère et jetable, imposée par les stratégies marketing.

Avec le passage de relais de l'Assemblée nationale au Sénat, on a assisté, nous dit-on, à un resserrement du texte, qui se cantonnerait désormais à la seule mode ultra-express, autrement dit aux géants asiatiques que sont Shein et Temu.

Il ne serait pas question de « faire payer un euro », selon votre propre formule, madame la rapporteure, aux entreprises françaises ou européennes, qui contribuent certes à la vitalité économique de nos territoires, mais qui participent aussi à ce système dévastateur en misant sur la consommation compulsive et en mettant de très grandes quantités de vêtements sur le marché.

Oui, ce texte cible d'abord la déferlante de l'ultrafast fashion. Toutefois, on voit mal comment le malus ne s'appliquerait pas potentiellement à tout le monde.

L'écomodulation prévue à l'article 2, la réforme de la filière REP applicable aux produits textiles et le conventionnement obligatoire de ses déchets permettront, en cas d'application efficace, de faire reculer la mode jetable des plateformes étrangères, mais aussi des entreprises françaises et européennes.

C'est la mode durable qu'il nous faut promouvoir, quelle que soit la nationalité des metteurs en marché. Ceux qui ont des pratiques non durables devront s'acquitter d'un malus.

Peut-on encore sauver une filière trop souvent en perte de repères ? Nous n'y parviendrons – j'en suis convaincu – qu'en créant un cadre l'incitant à évoluer vers des critères de durabilité et une économie circulaire vertueuse.

S'agissant de l'article 1er, nous regrettons que trop de mesures soient renvoyées à un décret : on devrait inscrire directement dans la loi des dispositions fortes sur les seuils de référence et les critères de la mode éphémère. Fixer un plancher serait pertinent pour sécuriser le dispositif.