Présidence de M. Pierre Ouzoulias

vice-président

Secrétaires :

M. Jean-Michel Arnaud,

M. Mickaël Vallet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Dossier législatif : proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme et du logement
Article 1er A

Simplification du droit de l'urbanisme et du logement

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de simplification du droit de l'urbanisme et du logement (proposition n° 632, texte de la commission n° 694, rapport n° 693, avis n° 684).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Létard, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée du logement. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, chère Dominique Estrosi Sassone, madame, messieurs les rapporteurs, chère Sylviane Noël, cher Guislain Cambier et cher Marc-Philippe Daubresse, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n'est pas un hasard si ce texte de simplification, déposé en avril dernier par le député Harold Huwart et adopté par l'Assemblée nationale le 15 mai, a trouvé au Sénat une oreille attentive et constructive, ce qui aura permis de l'enrichir considérablement.

Je sais, en effet, la mobilisation toute particulière et de longue date de votre assemblée en faveur de la simplification des normes et des procédures.

Lorsque je siégeais au sein de la commission des affaires économiques, celle-ci travaillait en effet déjà à la clarification du droit de l'urbanisme. Elle s'est ainsi fortement mobilisée pour l'élaboration de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, ainsi que de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, textes que le Sénat a enrichis de nombreuses mesures de simplification.

Comme de coutume, le texte que nous examinons aujourd'hui a été étoffé et complété par les commissions chargées de son examen.

Je tiens à remercier les trois rapporteurs de leur écoute, de leur travail et, surtout, de leur mobilisation sans faille en faveur du logement et des maires bâtisseurs.

J'ai fait de ces mêmes axes les lignes directrices de mon mandat de ministre chargée du logement. C'est ainsi qu'avec le soutien du Sénat, j'ai porté et obtenu dans le dernier budget l'élargissement du prêt à taux zéro (PTZ), la création d'une enveloppe de 100 millions d'euros destinée à soutenir les maires qui produisent des logements, ou encore la confirmation des subventions du programme Territoires engagés pour le logement, qui soutient des projets de la Bretagne à Mayotte.

La simplification du droit est l'indispensable corollaire de ces mesures budgétaires. Tous les efforts que je mène, et que vous menez, pour assurer la pérennité de notre système de logement social, pour consolider le modèle économique du logement, pour développer l'habitat pour tous, ces efforts, nous devons les prolonger par la simplification des procédures et des règles.

La simplification constitue un véritable levier de relance économique. Les études requises sont toujours plus nombreuses ; elles représentent aujourd'hui jusqu'à 10 % du coût des projets. Les mois perdus dans les délais d'instruction ou les contentieux emportent autant de frais supplémentaires de portage du foncier et de risques de voir le bilan des opérations remis en cause. Du fait d'un corpus d'obligations en constante croissance et d'une forte exposition au contentieux, les projets mettent toujours plus de temps à sortir de terre.

Je mesure le découragement que peuvent ressentir, face à une telle complexité, les élus locaux engagés pour le logement, les porteurs de projets et nos concitoyens.

Après plusieurs années de crise sanitaire, économique et immobilière, il appartient à chacun d'entre nous d'agir à son niveau, national comme local, en faveur de la simplification. Il y va de notre intérêt commun : élus, professionnels de l'aménagement et du bâtiment, citoyens, tous font partie de cette chaîne d'action qui fait qu'un logement sort de terre. Tous plaident pour des règles plus lisibles, un droit plus accessible, un allégement des contraintes administratives et procédurales.

Je sais que vous partagez cette préoccupation, mesdames, messieurs les sénateurs. Celle-ci est relayée par les commissions et les délégations sénatoriales, dont je salue les présidents.

Je salue à nouveau le travail de fond mené par les rapporteurs, lequel se traduit par les nombreuses mesures pertinentes introduites dans le texte lors de son examen en commission.

En ce qui concerne les documents d'urbanisme, vous avez apporté des assouplissements pertinents, tels que la possibilité de recourir, si la collectivité compétente le souhaite, à la participation du public par voie électronique pour les procédures d'évolution des documents d'urbanisme.

Vous avez aussi ouvert la voie à un document unique, valant schéma de cohérence territoriale (Scot) et plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi), lequel permettra de limiter les couches de planification pour les grandes intercommunalités.

Des avancées très concrètes ont été apportées pour faciliter l'émergence des projets de construction de logements en zones denses. La crise du logement y étant plus aiguë, il nous faut en effet redoubler d'efforts de simplification en ce qui les concerne.

Ainsi, l'adaptation des obligations relatives au stationnement, en articulation avec le plan local d'urbanisme (PLU), constitue une mesure simple, mais très efficace, pour débloquer les réhabilitations d'immeubles et aménager nos quartiers de gare.

L'extension du champ des dérogations au PLU, au bénéfice des projets de surélévation, de logements étudiants, ou de diversification fonctionnelle, offrira aux élus de nouveaux outils pour accompagner la mutation des tissus urbains.

La commission des lois a notablement et utilement enrichi l'article relatif au contentieux de l'urbanisme et à la sécurisation des projets et des documents.

La cristallisation des règles d'urbanisme applicables aux permis modificatifs, mesure de bon sens, soulagera tant les agents instructeurs des collectivités que les porteurs de projets.

Vous avez également apporté une plus grande sécurité juridique aux documents d'urbanisme en renforçant l'articulation entre participation du public et intérêt à agir. La limitation des demandes de substitution de motifs permettra d'obtenir des décisions de justice définitives plus rapidement.

D'autres dispositions me semblent devoir être retravaillées, car la complexité surgit parfois en trompe-l'œil.

Concernant les établissements publics fonciers (EPF), par exemple, il nous faut éviter le mitage du territoire et veiller à l'efficacité de la dépense publique, en garantissant que ces opérateurs d'ingénierie auront l'envergure et les ressources nécessaires pour agir efficacement au service des collectivités.

Dans d'autres cas, j'estime que l'équilibre entre simplification des procédures et objectifs sociaux ou environnementaux doit être réajusté, par exemple en ce qui concerne le changement de destination, que la commission a libéralisé.

Nous débattrons de tous ces points lors de l'examen des amendements.

Permettez-moi de dire quelques mots au sujet des amendements que je présenterai au nom du Gouvernement.

J'ai entendu les appels des maires, notamment des territoires ruraux, qui se trouvent démunis face aux biens sans maître ou abandonnés qui pourraient être réhabilités pour accueillir de nouvelles familles ou être utiles pour les projets des communes. Je présenterai donc un amendement visant à ramener de trente à quinze ans la durée de droit commun au terme de laquelle les collectivités peuvent mettre en œuvre la procédure dite des biens sans maître pour remobiliser ces biens gelés.

Je défendrai également un amendement visant à moderniser et à simplifier les conventions d'utilité sociale, qui traduisent les engagements respectifs de l'État et des bailleurs sociaux, afin de renforcer leur rôle et leur efficacité au service de la production de logements sociaux. Je remercie la commission du travail et de l'analyse qu'elle a menés sur ces sujets.

Je souhaite enfin répondre à ceux qui estiment que ce texte serait trop technique ou qu'il compterait trop de dispositions dispersées. La simplification se cache dans les mesures concrètes autant que dans les grandes révolutions. Notre rôle est aussi d'écouter ceux qui, au quotidien, font la ville, tous ces élus locaux qui nous font part de ces points qui mériteraient d'être ajustés, et de lever l'ensemble des freins recensés, visibles comme invisibles, par la loi comme par le règlement – il s'agit là d'un autre travail, auquel nous nous attelons également.

Dans un moment politique si particulier, il n'est pas simple de réunir le consensus nécessaire aux grandes révolutions. Certaines seraient pourtant bien nécessaires, notamment pour clarifier, enfin, le millefeuille de la planification et simplifier en profondeur les PLU.

Je m'attache pourtant à rechercher ce consensus, car les outils dont il est question dans ce texte ont une incidence sur le quotidien des élus et des Français. En la matière, notre responsabilité est grande et l'exigence est forte.

Je vous proposerai donc tout à l'heure d'habiliter le Gouvernement à prendre une ordonnance visant à refondre les procédures d'évolution des documents d'urbanisme.

Je connais, pour l'avoir moi-même exercée, la vigilance du Sénat envers les ordonnances – je préciserai du reste lors de nos échanges les contours de l'habilitation sollicitée. Je suis cependant persuadée qu'il s'agit aujourd'hui de la voie la plus adaptée pour parvenir sereinement à une simplification globale des procédures relatives aux documents d'urbanisme, en associant l'ensemble des parties prenantes.

Saisissons donc cette occasion, mesdames, messieurs les sénateurs ! Celle-ci nous permettra d'ailleurs de mener ensuite un travail conjoint – nous y reviendrons.

Pour conclure, je tiens à redire tout mon soutien à ce texte attendu et important, et à vous assurer de toute ma détermination à faire avancer le chantier majeur de la simplification.

Je remercie et félicite encore le Sénat pour le travail substantiel qu'il a d'ores et déjà accompli et continuera d'accomplir lors de nos débats pour faire en sorte que ce véhicule législatif soit le plus utile à nos élus locaux, qui attendent ce texte avec beaucoup d'impatience. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sylviane Noël, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a été déposée par le député Harold Huwart à l'Assemblée nationale, le 1er avril dernier, dans l'objectif de simplifier le droit de l'urbanisme et du logement.

Cet objectif, nous le partageons tous, non parce que le Sénat serait dévoré par la passion de la dérégulation, comme on a pu le lire dans la presse, mais parce que la complexité et la lourdeur de la réglementation et des procédures sont bel et bien l'un des facteurs de la crise du logement qui continue de frapper notre pays.

Au premier trimestre 2025, le nombre de logements autorisés est encore inférieur d'environ 20 % aux chiffres de la période pré-covid. La construction neuve peine toujours à suivre la demande de nouveaux logements qui, elle, ne cesse de croître.

Les raisons de ces difficultés à produire sont nombreuses : coûts de l'énergie et des matières premières, crise générale du pouvoir d'achat, attentisme de la part des acheteurs, mais aussi, sans aucun doute, une inflation normative qui se traduit concrètement par l'augmentation de plus de moitié en vingt ans du volume du code de l'urbanisme.

Face à cette situation, ce texte procède à des ajustements à la fois divers et ciblés. Il comprend ainsi des mesures visant à faciliter et à accélérer l'évolution des documents d'urbanisme.

Il élargit également le champ des dispositions qui peuvent être fixées par les documents d'urbanisme, ainsi que celui des dérogations, au cas par cas. Ce dernier volet, qui concernait à l'origine uniquement les dérogations aux règles de destination visant à faciliter la transformation des zones commerciales d'entrée de ville, a été considérablement enrichi au cours de l'examen du texte par la commission, qui a instauré des dérogations sectorielles diverses et variées – nous y reviendrons.

Le texte crée également de nouveaux outils juridiques pour mieux adapter notre droit aux enjeux urbanistiques actuels, notamment la requalification urbaine et la densification. Je pense en particulier au nouveau permis d'aménager multisites pour les lotissements et à l'amélioration de l'efficacité des procédures de mise en concordance des documents des lotissements.

Dans un contexte de raréfaction du foncier, il convient d'encourager de telles évolutions. Nous avons donc enrichi le texte de plusieurs mesures visant à lever les freins à la surélévation et à la transformation du bâti existant, y compris en facilitant les changements de destination, dans la droite ligne d'un texte que nous avons récemment adopté, la loi du 16 juin 2025 visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements, dite loi Daubié.

Afin de mieux épauler les collectivités dans leurs opérations d'aménagement, notamment de portage du foncier, le texte élargit les missions des sociétés publiques locales d'aménagement d'intérêt national (SPLA-IN) et assouplit les conditions d'adhésion aux établissements publics fonciers.

Ces mesures, bienvenues, ont été retravaillées en commission ; nous vous proposerons de les enrichir encore, mes chers collègues.

Le texte comporte également deux dispositions transitoires visant à faciliter les grands chantiers de la réindustrialisation et de la relance du nucléaire : d'une part, on crée une procédure d'autorisation ad hoc pour les aménagements liés aux chantiers nucléaires ; de l'autre, on ouvre la possibilité d'abaisser la proportion de logements réservés aux publics vulnérables dans les résidences hôtelières à vocation sociale (RHVS) en dessous du seuil légal de 30 % dans les territoires présentant un enjeu particulier d'industrialisation.

La proposition de loi relève enfin le seuil d'assujettissement des bâtiments existants aux obligations de solarisation en toiture, à compter de 2028, et aménage les obligations de solarisation pour les parkings.

Ce texte, qui aborde des sujets nombreux, peut à bon droit être qualifié de patchwork. D'ambition modeste, il instaure des dérogations et des procédures ad hoc au lieu de réformer en profondeur l'empilement de normes qui étouffe les collectivités autant que les porteurs de projets.

Jugeant qu'un petit pas vaut mieux que rien, la commission s'y est résolue sans enthousiasme, tout en déplorant les délais d'examen particulièrement contraints de ce texte, adopté il y a à peine un mois par l'Assemblée nationale.

Le Gouvernement nous demande maintenant de l'habiliter à légiférer par ordonnance pour effacer les dispositions de l'article 1er A relatives à l'évolution des documents d'urbanisme. Mais que n'avez-vous mis en œuvre cette approche dans le texte même, puisque vous teniez la plume, madame la ministre ?

Avant de céder la parole, je tiens remercier Guislain Cambier, ainsi que Marc-Philippe Daubresse, de notre collaboration sur ce texte qui, à défaut de régler la crise du logement, permettra – je l'espère – de lever quelques freins. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)

M. Guislain Cambier, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier mes collègues rapporteurs, Sylviane Noël et Marc-Philippe Daubresse, de leur collaboration sur ce texte difficile, qui tire un peu à hue et à dia et dont je crains, moi aussi, qu'il ne nous cause in fine beaucoup de frustration.

Mais n'était-ce pas inévitable ? N'y a-t-il pas, dès l'origine, maldonne lorsqu'on ambitionne de « simplifier le droit de l'urbanisme et du logement » par une proposition de loi de niche ne comptant que quatre articles ?

Le résultat est un texte Frankenstein, qui aborde les carrières, les réacteurs nucléaires et la solarisation des parkings plutôt que d'envisager de manière cohérente et ciblée les freins à la construction de logements, lesquels sont loin de se résumer aux quelques sujets visés par cette proposition de loi.

La commission des affaires économiques s'est toutefois naturellement efforcée d'approfondir les avancées du texte pour simplifier autant que possible, tout en prenant garde à préserver la pleine compétence des collectivités dans une matière à laquelle ces dernières sont très attachées.

Nous avons donc supprimé toutes les dérogations de droit, lesquelles simplifient la vie des promoteurs, mais font perdre la main à nos élus dans l'aménagement de leur propre territoire. Nous leur avons souvent substitué la possibilité de fixer dans le PLU des règles adaptées aux réalités locales ou, lorsque cela s'impose, des dérogations à la main du maire. Nous avons, en somme, privilégié l'application du principe de subsidiarité, qui devrait prévaloir dans la mise en œuvre de toutes nos politiques publiques.

Dans cette optique, nous avons élargi à l'ensemble des communes, au-delà des zones tendues, les possibilités de déroger au cas par cas aux règles du PLU pour créer des logements, notamment dans le cadre d'opérations de renouvellement urbain. Cette mesure très attendue par les communes sera notamment très utile pour les centres-bourgs ruraux.

Nous avons également précisé que toutes ces dérogations au cas par cas ne pourraient être mises en œuvre qu'avec l'accord du maire lorsque ce n'est pas lui qui délivre les autorisations d'urbanisme.

Nous avons par ailleurs assoupli les changements de destination en zones naturelles, agricoles et forestières (NAF), aujourd'hui corsetés par la règle du pastillage. Nos territoires ruraux en attente de revitalisation profiteront ainsi de cette proposition de loi de simplification.

Afin d'adapter plus rapidement les documents d'urbanisme aux enjeux des territoires, nous avons également poursuivi la simplification des modalités d'évolution de ces documents. Nous avons ainsi permis le recours à la participation du public par voie électronique ; il s'agira non d'une obligation, mais d'une simple faculté à la main de l'autorité compétente.

La commission a par ailleurs approuvé la rationalisation, à l'article 1er A, des cas d'usage de ces procédures d'évolution, pour adapter plus vite et plus facilement les règles des PLU aux priorités des politiques publiques, nationales comme locales.

Elle a également soutenu la plupart des mesures d'accélération des procédures de délivrance des autorisations d'urbanisme, notamment pour répondre aux enjeux temporaires de réindustrialisation et de relance du nucléaire.

Enfin, les élus nous disent qu'ils ont besoin d'ingénierie – c'est même leur principale revendication face à des procédures complexes et juridiquement risquées. Nous avons donc élargi les possibilités d'adhésion des communes aux EPF de manière autonome, et supprimé la possibilité, pour le préfet, de s'opposer à la création d'un établissement public foncier local (EPFL). Il y va, à nos yeux, du respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.

Dans un cadre juridique qui est encore celui de l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), il importe que les collectivités, y compris les communes soumises au régime du règlement national d'urbanisme (RNU), puissent s'appuyer sur des structures dont l'efficacité n'est plus à démontrer. Cet assouplissement entre en résonance avec le constat tout récent de la Cour des comptes selon lequel les collectivités trouveraient profit à s'appuyer davantage sur l'expertise publique et parapublique, plutôt que de recourir à des cabinets de conseil privés.

Afin de faciliter l'intervention des EPF sur des projets complexes et de long cours, nous vous proposerons par ailleurs d'allonger la durée de portage du foncier exonéré d'impôts.

Je forme le vœu que, dans la continuité du travail effectué en commission, nos débats de cette après-midi contribuent à enrichir ce texte de manière raisonnée. Il convient en effet de trouver un équilibre subtil entre l'accélération et la sécurisation, entre l'aspiration à plus d'agilité et d'adaptabilité des documents d'urbanisme et la nécessité de ne pas dévitaliser ces derniers.

Je vous invite donc à faire preuve de pragmatisme, mes chers collègues. Loin d'être programmatique – cela a été dit –, ce texte comprend de nombreuses mesures transitoires : sur les RHSV, sur les dérogations pour les centrales nucléaires, mais aussi sur les obligations de solarisation des bâtiments, la directive européenne du 24 avril 2024 sur la performance énergétique des bâtiments devant être intégralement transposée dans moins d'un an.

Ne nous enfermons donc pas dans des querelles picrocholines et faisons preuve de réalisme ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il me revient de présenter l'avis de la commission des lois sur le présent texte.

Comme Sylviane Noël le rappelait à l'instant, celui-ci vise à répondre à une crise du logement sans précédent, une crise à la fois structurelle et conjoncturelle, qui affecte tous les segments du logement, l'ancien comme le neuf.

Si vous avez pris le problème à bras-le-corps, madame la ministre, il faut reconnaître que tous les ministères n'ont pas une conscience aussi aiguë des difficultés auxquelles nous faisons face – je l'ai encore constaté hier à l'occasion d'un échange téléphonique. Cette crise historique, qui tient même de l'hécatombe – les chiffres de début d'année le montrent – demeure largement sous-estimée ! Or, du fait de sa gravité, la situation actuelle aura des répercussions énormes.

Il nous faut donc trouver l'origine de cette crise. Si elle résulte de facteurs conjoncturels autant que structurels, la complexité de nos normes et la lenteur de nos procédures comptent évidemment parmi les principaux freins à la production de logements.

Le législateur – souvent dans un autre palais – a accumulé les procédures, si bien que les délais n'ont jamais été aussi longs, les recours aussi nombreux et la construction de logements aussi complexe.

Forte de ce constat partagé avec les acteurs du logement et avec les élus locaux, la commission des lois souscrit sans réserve aux objectifs de cette proposition de loi.

Sur les dix-neuf articles du texte qui nous a été transmis, trois articles relatifs au contentieux de l'urbanisme – les articles 4, 5 et 7 – entrent directement dans le champ de compétence de la commission des lois.

Nous n'allons pas, avec ce texte, révolutionner la politique du logement – tout l'art du politique consiste du reste à accomplir les réformes qui empêchent les révolutions de se faire –, mais nous pouvons améliorer les outils urbanistiques que sont les Scot, les PLU et les PLUi en réduisant la complexité, les délais et les coûts.

La commission des lois a donc adopté plusieurs amendements visant à améliorer et à compléter cette proposition de loi selon trois axes.

Elle s'est tout d'abord efforcée, tout comme les rapporteurs de la commission des affaires économiques, d'enrichir les dispositifs de simplification proposés en élargissant leur champ d'application, souvent inutilement réduit par des critères trop restrictifs et le recours à des empilements de dérogations qui, sous couvert de simplification, contribuent au contraire à complexifier les procédures, à rebours de l'objectif initial.

Je soutiendrai donc particulièrement les amendements, évoqués par Guislain Cambier, visant à faciliter la construction de logements au sein des zones d'activité économique et à octroyer à tous les maires de France la possibilité de déroger au PLU, au cas par cas, dès lors que cela est nécessaire au regard du besoin de logements.

Nous avons ensuite supprimé des évolutions contre-productives, sources de nouvelle complexité. Le mieux est parfois l'ennemi du bien.

Il en allait ainsi des dispositions des articles 5 et 7 visant à limiter les recours abusifs, qui posaient d'importantes difficultés opérationnelles, sans bénéfice tangible ; nous en avons donc voté la suppression.

Instituer une procédure d'admission préalable des recours formés contre les décisions d'urbanisme sur le modèle de la Cour de cassation alourdirait en effet inutilement les procédures et serait contre-productif. Nous sommes donc défavorables aux amendements de rétablissement de cette disposition.

Il ne paraît de même ni réaliste ni souhaitable, au regard du droit au recours et de la nécessité de respecter une procédure contradictoire, de maintenir l'article 7 dans la rédaction qui nous a été transmise.

Par ailleurs, comme l'ont évoqué les rapporteurs Sylviane Noël et Guislain Cambier, avec lesquels nous avons travaillé en étroite collaboration et qui ont tout fait pour ne pas se laisser vampiriser par un texte Frankenstein (Sourires.), nous avons réduit la portée de certaines dérogations en matière d'évolution des documents d'urbanisme. Celles-ci sont mal comprises par nos élus locaux et contribuent à complexifier le droit existant en vidant de leur portée les règles d'évolution des documents d'urbanisme, au lieu de les simplifier.

Nous nous sommes enfin efforcés de compléter la présente proposition de loi par des mesures de simplification appelées de leurs vœux par les acteurs du logement.

Nous avons exploité les différents gisements d'accélération des recours et de diminution de leur nombre – vous avez du reste ouvert deux autres pistes intéressantes dont les acteurs du logement souhaitent que l'on se saisisse, madame la ministre.

Nous avons ainsi rétabli la réduction à un mois du délai de recours gracieux, fait évoluer le régime de la police administrative de l'urbanisme, limité l'intérêt à agir des personnes recevables à introduire un recours, encadré les demandes de substitution de motifs et exclu l'invocation des vices de forme et de procédure par voie d'exception.

En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à approuver cette proposition de loi, fût-elle plus réformiste que révolutionnaire. Ce texte devrait sécuriser les maires, que notre droit place souvent en situation de vulnérabilité juridique.

Je forme le vœu que l'implication de la présidente et des rapporteurs de la commission des affaires économiques, ainsi que l'engagement sans faille de la ministre chargée du logement, nous permettent de trouver, ensemble, des consensus pour améliorer la situation, ce que nous souhaitons tous. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)

Mme Amel Gacquerre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui est utile et opportune. Elle apporte une souplesse bienvenue, engage des simplifications nécessaires et vise à répondre à des attentes très concrètes exprimées par des élus locaux confrontés à la complexité croissante de l'action publique locale.

Les marges de manœuvre des élus locaux – il faut bien le dire – sont étroites, pour ne pas dire exsangues. Côté pile, il y a le ZAN, un objectif dont il va sans dire qu'il est perfectible et qui, sans bloquer les projets, les complexifie, les ralentit et allonge les délais. Côté face, l'approche des élections municipales fige les décisions et ralentit un secteur de la construction déjà proche de la panne. Et tout cela se joue dans un cadre législatif et réglementaire de plus en plus dense, coûteux et parfois contradictoire – le Conseil d'État a lui-même évoqué un empilement de normes successives et une pluralité d'objectifs parfois difficiles à concilier.

Il fallait donc agir ; tel est l'objet de ce texte. Si je salue la démarche engagée, les urgences et les chantiers sont si nombreux que l'on ne peut que constater les limites de cette proposition de loi et regretter l'absence d'un projet de loi porteur d'une vision d'ensemble, même si je ne méconnais pas le contexte politique, qui rend difficile une telle initiative gouvernementale.

Alors que le texte initial ne comportait que quatre articles, il en comptait vingt-trois à l'issue de son examen par l'Assemblée nationale. Les attentes et le nombre de sujets à traiter sont pourtant encore nombreux.

Cette proposition de loi s'inscrit par ailleurs dans une dynamique de plus en plus prégnante, celle de lois d'exception qui, sans s'attaquer aux racines des maux, qu'elles contournent, portent des mesures dérogatoires. Permettez-moi donc de lancer une alerte, mes chers collègues : l'empilement des exceptions fait perdre en clarté comme en cohérence et suscite de la confusion. Si la dérogation devient la norme, peut-être est-il temps de repenser la norme elle-même !

Ce texte est toutefois bienvenu et attendu par les élus locaux. Il encourage le recyclage urbain, anticipe les besoins économiques et assouplit les évolutions des documents d'urbanisme.

Le véritable chantier, immense, est toutefois devant nous, mes chers collègues. Toutes vos initiatives montrent d'ailleurs que vous en êtes consciente, madame la ministre.

Le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi, mais nous tenons à rappeler que cette crise de l'immobilier, devenue crise du logement, est aussi une crise démocratique. Lorsque les citoyens ne peuvent plus se loger dignement, ce sont les fondements mêmes du pacte républicain qui vacillent.

Je pense à notre voisin espagnol qui, malgré une croissance supérieure à celle de la majorité des économies européennes et un taux de chômage au plus bas depuis 2008, est agité par des mouvements de contestation dont l'intensification récente tient essentiellement à la crise du logement qui y sévit.

Le logement n'est pas qu'un sujet technique : il est éminemment politique. Plus qu'une succession de textes, même bienvenus, il appelle une stratégie de long terme. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)