Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

M. François Bonhomme.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures.)

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Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l'Ukraine

(M. Gérard Larcher, président du Sénat, et M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l'Ukraine, font leur entrée dans la salle des séances. – Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)

M. Gérard Larcher, président du Sénat. Monsieur le président de la Rada suprême de l'Ukraine, monsieur le ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de la francophonie et des partenariats internationaux, monsieur l'ambassadeur d'Ukraine en France, mes chers collègues sénatrices et sénateurs, juin 1940 : mémoire douloureuse pour les Français. La France est envahie et en partie occupée. Sur les routes, c'est l'exode. La supériorité de l'armée allemande est sans appel. Si l'on compare les forces en présence, la guerre est perdue.

Et pourtant, en ce 18 juin 1940, la voix du général de Gaulle retentit depuis Londres. Elle demande aux Français de poursuivre le combat. Elle insuffle l'esprit de résistance. Elle refuse un armistice qui dissimule une capitulation et annonce de nouvelles conquêtes.

S'il faut se garder de lire le présent à l'aune du passé, l'appel du 18 juin 1940 résonne singulièrement dans le contexte de l'agression de l'Ukraine par la Russie.

Hier comme aujourd'hui, les conquêtes territoriales, l'occupation, les exactions, et des crimes qui ne devront pas rester impunis ! Mais, en face, une volonté ukrainienne de résister, de refuser les conditions d'une paix au coût exorbitant qui signerait la disparition d'une Ukraine indépendante et libre.

Du sommet de l'État au simple citoyen – vous nous l'avez rappelé ce midi –, l'Ukraine résiste.

Mes chers collègues, je vous propose que nous nous levions pour rendre hommage, par nos applaudissements, au courage et à la détermination du peuple ukrainien. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement. – M. le président de la Rada suprême remercie.)

Le général de Gaulle, dans son appel du 18 juin 1940, l'a répété : « La France n'est pas seule. » Aujourd'hui, l'Ukraine n'est pas seule, monsieur le président de la Rada. Et à vos côtés, notre responsabilité est grande.

Face à des autorités russes qui font le pari de la force, de la résignation ou de la lassitude, nous vous démontrons que notre détermination à vous aider n'est en rien entamée.

Continuer à vous fournir des armes, en particulier des missiles et des moyens de défense aérienne ; aider votre industrie d'armement, qui accomplit des prouesses d'innovation : le chemin est tracé.

Et ce chemin, ce n'est pas choisir l'escalade militaire ; c'est donner une possibilité d'en finir plus vite avec le fracas des armes.

De toute évidence, hésiter serait prolonger la guerre et éloigner la paix.

Notre devoir est de soutenir l'Ukraine, par convictions et par principe.

L'Ukraine continue de vivre en démocratie en temps de guerre, et le travail législatif de la Rada en est l'illustration éclatante. Ceux d'entre nous qui se sont rendus à Kiev savent dans quelles conditions travaillent nos collègues parlementaires ukrainiens : des sessions maintenues secrètes, des sacs de sable pour protéger le Parlement, des fenêtres partout obstruées. Imaginons de telles conditions ici, et nous en éprouverons tout l'effroi.

Alors que nous célébrons en cette année 2025 le cent cinquantième anniversaire du Sénat de la République française, vous offrez, monsieur le président de la Rada, un bel exemple de la vitalité du parlementarisme et de la force des démocraties, face à des régimes autoritaires qui ne reculent devant rien : ni la terreur ni l'enlèvement d'enfants. Nous l'avons encore évoqué ce midi.

Mais si nous imaginons qu'agir par principe serait faire preuve d'idéalisme et que l'idéalisme n'a pas sa place dans le choix des États, alors, soyons collectivement convaincus au moins d'agir par intérêt !

L'Ukraine est notre rempart. Elle se bat pour notre sécurité et notre liberté. Il n'est pas d'empires qui aient mis un frein à leur appétit de conquêtes. Peut-on rassasier le Léviathan ?

La sécurité de l'Europe, aujourd'hui et non pas seulement demain, est intrinsèquement liée à la victoire de l'Ukraine.

Monsieur le président de la Rada, l'Ukraine n'est pas seule. Elle n'est pas seule, parce qu'elle est accompagnée par la France, le Royaume-Uni, les États de l'Union européenne et – nous en formons l'espoir encore – les États-Unis d'Amérique.

Ce 4 juin, j'étais à Varsovie, avec la présidente du Bundesrat et la présidente du Sénat polonais. Vous étiez avec nous par visioconférence.

Nous sommes convenus d'adresser la déclaration que nous avons alors adoptée aux sénateurs américains, républicains comme démocrates, qui se sont prononcés pour un renforcement des sanctions américaines à l'encontre de la Russie. Car, n'en déplaise aux Cassandre, plus les sanctions sont coordonnées, plus elles sont efficaces. Nous avons, mes chers collègues sénateurs, un rôle de persuasion à accomplir auprès des sénateurs américains pour préserver, autant que faire se peut, l'engagement des États-Unis en Ukraine.

L'Ukraine n'est pas seule.

Elle n'est pas seule, parce qu'elle est accompagnée par les États membres de l'Union européenne et que les portes de l'Union européenne lui sont ouvertes. Voilà aussi une garantie de sécurité pour l'Ukraine de demain !

Le chemin de l'adhésion sera nécessairement progressif et, au nom de cette progressivité, nous invitons instamment le dernier État membre récalcitrant à vaincre ses réticences. Nous lui demandons d'accepter l'ouverture du premier bloc des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.

La Russie a fait le choix de tourner le dos à son horizon européen. La laisserons-nous dicter par oukases quels États doivent rejoindre, ou non, l'Union européenne ? « L'Europe de l'Atlantique à l'Oural » s'est rapprochée de nous. Elle s'interrompt désormais aux frontières internationalement reconnues de l'Ukraine !

Mes chers collègues, dans son message du 18 juin 1940, qui fut ensuite placardé sur un certain nombre de murs de villes et de villages de France, le général de Gaulle écrivait : « La France a perdu une bataille, mais elle n'a pas perdu la guerre. » Les Ukrainiens ont gagné des batailles. Ils en ont aussi perdu, mais nous sommes avec eux. La guerre reste à gagner, pour que demain s'établisse une paix durable.

Je voudrais m'adresser par votre intermédiaire au peuple ukrainien, aujourd'hui en deuil, après les terribles attaques qu'il a vécues, pour lui dire que nous partageons ses souffrances.

Monsieur le président de la Rada, nous vous accueillons dans la solidarité avec le peuple ukrainien et dans le souffle d'espérance de l'appel du 18 juin 1940, parce que ce sont les Ukrainiens et l'Ukraine qui l'incarnent le mieux aujourd'hui.

Vive l'Ukraine, vive la République et vive la France ! (Très vifs applaudissements.)

La parole est à M. le président de la Rada de l'Ukraine. (Applaudissements.)

M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l'Ukraine. Monsieur le président du Sénat, cher Gérard, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, je suis particulièrement honoré de m'adresser à vous aujourd'hui, dans le berceau de la démocratie française, là où bat le cœur institutionnel de la République.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous féliciter sincèrement à l'occasion des 150 ans du Sénat de la République. L'histoire de votre glorieuse institution est non seulement une partie intégrante de l'histoire de France, mais aussi un fondement puissant sur lequel reposent la démocratie française et les principes républicains inviolables.

On ressent dans ces murs la continuité politique qui a été préservée au fil des générations des Français. Elle incarne la sagesse, la cohérence et la dignité nationale de la France.

Je remercie très sincèrement chacune et chacun d'entre vous de m'avoir offert la possibilité de m'exprimer devant cette Haute Assemblée. J'y vois la marque d'un respect profond et sincère envers le peuple ukrainien.

Chers amis, j'ai le privilège d'être ici pour la deuxième fois. J'avais déjà pris la parole, pour la première fois, devant le Sénat de la République française au début du mois de février 2023. À l'époque, l'Ukraine traversait l'un des hivers les plus difficiles de son histoire moderne. Je vous avais alors demandé, à chacun, d'entendre la voix du peuple ukrainien, qui s'élevait pour défendre sa terre et qui avait besoin d'aide. Et vous l'avez entendue.

Vous l'avez entendue dès le premier jour de cette guerre insensée et cruelle que la Russie a commencée contre l'Ukraine, contre mon peuple. Vous avez entendu cette voix à des milliers de kilomètres. Vous l'avez comprise même sans connaître notre langue, et vous êtes venus à la rescousse.

Je le dis sans exagération, la France joue aujourd'hui un rôle historique dans la vie de l'Ukraine. Votre leadership politique a entraîné dans un mouvement puissant tous les autres partenaires pour soutenir l'Ukraine. Vous préservez soigneusement l'unité européenne et l'unité euroatlantique. Vous démontrez la cohérence des actions de toutes les branches du gouvernement français, par des décisions déterminantes et responsables.

Vous avez été l'un des premiers à comprendre – et à en convaincre les autres partenaires – qu'il ne devait pas y avoir de limite dans les moyens à fournir pour défendre notre patrie, qu'il s'agisse du type d'armes, de leur volume ou de leur portée.

Aujourd'hui, je voudrais donc vous remercier d'avoir protégé notre ciel, en nous donnant les ailes qui permettent de le défendre, et d'avoir formé nos soldats. Je remercie le grand peuple français d'avoir hébergé les citoyens ukrainiens ; je salue sa solidarité et son empathie, tous ces fantastiques actes d'humanisme que nous, les Ukrainiens, n'oublierons jamais.

Au nom de la Rada de l'Ukraine et de l'ensemble du peuple ukrainien, permettez-moi de remercier sincèrement le Sénat et, au-delà, mes chers amis, la France tout entière, dont le soutien inestimable nous permet aujourd'hui de continuer à nous battre.

Voilà quelques heures, avec un grand ami de l'Ukraine, le président du Sénat français, Gérard Larcher, nous avons rendu hommage à la mémoire du célèbre général de Gaulle en déposant des fleurs au pied de son monument. À présent, je m'adresse à vous, en ce jour où la France se souvient de lui comme un grand fils du peuple français et comme l'une des plus grandes figures de son histoire et de celle du monde.

Dans son discours radiophonique, dans son appel à la Nation, à tous les Français, il n'a pas seulement lancé le mouvement de la résistance française ; il a donné l'espoir à l'Europe occupée par les nazis. Cet espoir est par la suite devenu la foi, une foi qui s'est transformée en victoire après de nombreuses années de guerre.

Lorsque j'évoque de Gaulle, je comprends à quel point son appel du 18 juin aux Français et aux Alliés est aujourd'hui d'actualité, quatre-vingt-cinq ans après. Si cet appel sonnait aujourd'hui, il s'agirait aussi d'un appel à la résilience, d'un appel à l'unité, d'un appel à la détermination. Quand je parle de Charles de Gaulle, je pense à l'Ukraine.

Depuis près de trois ans et demi, ma patrie résiste à cette agression brutale et non provoquée. Elle résiste au nouveau fléau du XXIe siècle, qui vient de l'Est pour tuer, conquérir, piller. Nous avons relevé ce défi avec dignité face à cet ennemi beaucoup plus grand et plus puissant.

Nous l'avons fait, parce qu'il n'y a pas de valeur supérieure à la liberté ; il n'y a rien de plus cher que sa propre terre et son propre peuple. Nous voulons faire partie d'une grande famille européenne, et non d'une dictature russo-soviétique impitoyable à laquelle le régime de Poutine a cyniquement arraché les derniers vestiges de la démocratie.

Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Ukraine traverse aujourd'hui la phase peut-être la plus dramatique de la guerre, alors que l'aide et le soutien de la communauté internationale sont essentiels à la résolution de celle-ci. Votre histoire et la nôtre nous enseignent que la capitulation n'a jamais été une option.

L'agresseur doit être arrêté, par la force des armes, par le pouvoir de l'unité européenne et euroatlantique et par des sanctions impitoyables qui devraient enfin devenir une réponse appropriée à l'impitoyabilité de la Russie elle-même. Sinon, l'agresseur passera à autre chose et ira plus loin, comme il l'a fait voilà quatre-vingt-cinq ans.

« Cette guerre n'est pas limitée au territoire de notre malheureux pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale » : ces mots du sage et invincible Charles de Gaulle nous parviennent comme s'ils étaient prononcés aujourd'hui.

Seule une pression consolidée sur l'agresseur nous conduira à une paix juste et durable qu'aujourd'hui les Ukrainiens souhaitent plus que quiconque. Cette pression consolidée empêchera la Russie de poursuivre son agression, d'accumuler des ressources humaines et des armes, de retarder le processus de négociation, de mentir et de manipuler.

Je suis convaincu que le châtiment de la Russie pour tous ses crimes sera inévitable. Pour le dire avec des mots susceptibles d'être compris par tous, il faut que l'agresseur, la Russie, paie pleinement le prix de cette guerre, notamment par le gel de ses avoirs. Ce ne serait que justice !

Chers collègues, je suis venu vous demander votre aide et votre soutien sur des questions d'une importance vitale pour l'Ukraine ; outre la défense contre l'agression, c'est aussi de notre chemin vers l'Union européenne et le système de sécurité collective euroatlantique qu'il est question.

Ce choix, comme celui de défendre notre patrie, est un choix conscient et civilisationnel du peuple ukrainien, un choix en faveur de la paix, du développement et de la sécurité.

Je vous demande aujourd'hui de nous soutenir. Continuez à le faire. Nous avons clairement fait ce choix civilisationnel, comme tous les membres de l'Union européenne et de l'Otan.

Je vous assure que le président de l'Ukraine, Volodymyr Zelensky, le parlement et le gouvernement de l'Ukraine ont été et restent des garants fiables de l'orientation inébranlable vers l'intégration européenne et euroatlantique.

Hier, alors que je me rendais ici, j'ai appris le brutal bombardement nocturne sur Kiev : vingt-huit civils innocents tués et cent cinquante blessés en une seule nuit, dans une seule ville.

Je me suis alors demandé quelle était la chose la plus importante que je devais vous dire.

Tout est clair depuis longtemps. Il faut juste prendre une décision, peut-être la plus difficile, mais aussi la plus importante. Chers amis, j'aimerais que nos partenaires défendent l'Ukraine avec autant d'acharnement que la Russie veut la détruire, qu'ils se battent sans demi-mesure, sans demi-action, sans demi-décision, mais pleinement, tous les jours et jusqu'au bout.

Après tout, si la démocratie mondiale l'emporte, ce sont la paix et la prospérité qui attendent et l'Ukraine et l'Europe. Mais si c'est la tyrannie russe – que Dieu nous en préserve ! –, nous aurons la ruine et la mort.

C'est pour cela que je suis ici et que je vous demande plus d'aide.

Je crois fermement à la force de l'esprit français. « Rien n'est impossible », déclarait Napoléon. Tout dépend du degré de détermination. Et la détermination de la France, celle qui nous aide aujourd'hui à survivre, nous aidera – j'en suis sûr – à gagner demain.

Monsieur le président, chers amis, le Sénat est le haut lieu où vivent la démocratie et la force de la Nation. La France est attachée à la liberté, fidèle à la démocratie et aux idéaux européens. Et comme l'a dit le général de Gaulle, dont nous nous souvenons tellement aujourd'hui, la grandeur d'une nation n'est pas dans son territoire, mais dans son idée.

La France a cette grandiose idée, et l'Ukraine a cette grandiose détermination. Cette grande synergie peut rendre l'Europe plus forte, plus solidaire et plus sûre. Ensemble, nous atteindrons certainement cet objectif commun. J'y crois sincèrement.

Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent très longuement.)

M. Gérard Larcher, président du Sénat. Je vous remercie, monsieur le président.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, et je vais raccompagner notre hôte en lui disant : « À bientôt ! » (Applaudissements.)

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures trente, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Souhaits de bienvenue à une délégation saoudienne

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence en tribune d'honneur d'une délégation du Majilis al Choura d'Arabie saoudite, conduite par Son Excellence M. Mohammad Al Humeidi, président du groupe d'amitié Arabie saoudite-France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent et applaudissent.)

La délégation est accompagnée par notre collègue Olivier Cadic, président du groupe d'amitié France-Pays du Golfe, ainsi que par notre collègue Mireille Conte Jaubert, présidente déléguée pour l'Arabie saoudite. Elle s'est entretenue ce midi avec le groupe sénatorial d'amitié.

En votre nom à tous, je souhaite une cordiale bienvenue à la délégation saoudienne au Sénat de la République et un excellent séjour en France en ces temps troublés dans l'ensemble du Moyen-Orient.

3

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

J'appelle chacun de vous à rester attentif au respect des uns et des autres, mais aussi à celui du temps de parole.

J'excuse M. le Premier ministre, qui devra quitter le Sénat dès quinze heures quinze, en raison de la convocation par le Président de la République d'un conseil de défense et de sécurité nationale à l'Élysée.

nécessité pour la france de promouvoir le droit international et de refuser la loi du plus fort

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, à Kiev, à Gaza, à Téhéran, à Tel-Aviv, le fracas des bombes résonne et le sang coule. Les victimes, notamment civiles, se comptent par milliers.

Depuis 2022, sous la pression des empires, des nationalismes et des fous de Dieu, l'horreur de la guerre a ressurgi dans toute l'Eurasie.

Dans ce chaos mondial, la France et l'Europe ne doivent avoir qu'un seul cap : la défense du droit international, la souveraineté des peuples et l'équilibre entre les puissances.

Au nom du droit, nous dénonçons l'agression russe et réaffirmons notre soutien plein et entier à l'Ukraine, représentée par le président de la Rada, Rouslan Stefantchouk, que je salue.

Au nom du droit, nous dénonçons la détention d'otages par le Hamas et les mollahs.

Au nom du droit, nous dénonçons le génocide à Gaza et la colonisation de la Cisjordanie.

Au nom du droit, nous dénonçons le non-respect par le régime sanguinaire iranien du traité de non-prolifération nucléaire.

Au nom du droit, nous dénonçons la guerre préventive, déclenchée hors de tout cadre multilatéral par Israël contre le régime des mollahs, qui menace de dégénérer.

Il n'est plus acceptable d'être mis devant le fait accompli par le bellicisme de Benyamin Netanyahou et par la politique erratique de Trump, qui ne proposent aucune issue politique et torpillent deux rencontres diplomatiques essentielles.

Comme en 2003 avec l'Irak, la France doit affirmer son refus du manichéisme et de la loi du plus fort.

Face à l'impunité de Netanyahou qui engendre le chaos, elle doit sortir du laxisme et de l'inaction. Nous devons prendre des sanctions économiques, cesser nos coopérations, appliquer les mandats de la Cour pénale internationale (CPI) et reconnaître enfin l'État de Palestine.

M. Roger Karoutchi. Cela ne sert à rien !

M. Guillaume Gontard. Nous devons appeler au cessez-le-feu et à des négociations pour une solution à deux États et pour un nouvel accord sur le nucléaire iranien.

Monsieur le Premier ministre, le « en même temps » diplomatique de la France est insupportable. Face à vos atermoiements, nous exigeons de nouveau, sur le fondement de l'article 50-1 de la Constitution, la tenue d'un débat au Parlement sur la situation au Moyen-Orient. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Gontard, avant toute chose, je veux vous présenter mes excuses : le Président de la République ayant convoqué un conseil de défense et de sécurité nationale sur les événements que vous évoquez, je serai contraint de quitter le Sénat dans quelques minutes.

La France est attachée au droit, aux principes humanitaires et au bon sens. Aussi les conclusions du Gouvernement sont-elles simples, devant le constat d'un monde dans lequel la force de la loi a été remplacée par la loi de la force.

Cela a commencé en Ukraine. La guerre qui s'y déroule et qui frappe le malheureux sol ukrainien est nourrie par un certain nombre d'États, dont l'Iran. L'Iran arme en effet la Russie avec des drones, qui – nous le savons, hélas ! – sèment le malheur et la mort en Ukraine.

Un autre théâtre d'opérations nous préoccupe. Il s'agit évidemment du Proche-Orient et du Moyen-Orient. À cet égard, la France, par la voix de son gouvernement et par celle du Président de la République, s'est exprimée à plusieurs reprises sur le caractère inacceptable de ce qui se passe à Gaza, où la population tout entière est soumise à la famine, à l'absence de ravitaillement médical, ainsi qu'à des contraintes inacceptables du point de vue humanitaire.

Sans que nous considérions cela comme normal ou acceptable, ce qui se passe en Iran est totalement différent.

Toutes les organisations internationales chargées de la surveillance et de la lutte contre la prolifération nucléaire ont alerté sur le fait que l'Iran était sur le point – à quelques semaines, à quelques jours peut-être – d'atteindre un degré d'enrichissement de matière fissile suffisant pour rendre le risque de détention de l'arme nucléaire immédiat. (MM. Guillaume Gontard et Yannick Jadot se montrent dubitatifs.)

Or l'Iran a dit à de multiples reprises – j'allais dire à d'innombrables reprises – que le but de son armement nucléaire était de détruire Israël.

Mettons-nous un instant à la place du gouvernement israélien : je comprends qu'il se soucie fortement de voir à ses portes un risque aussi considérable, qui menace sa survie.

Que fait la France ? À Gaza (M. Pascal Savoldelli s'exclame.), elle invite Israël à ne pas aller plus loin et à rétablir les libertés de circulation et d'approvisionnement.

En Iran, elle appelle à la retenue, selon l'expression diplomatique consacrée, en ayant parfaitement conscience des risques immenses que ferait peser une déstabilisation de très longue durée sur la paix dans le monde.

La France défend ces principes en mesurant les risques et en joignant ses efforts, comme le fait depuis plusieurs jours le Président de la République, à tous les pays qui, de par le monde, souhaitent le retour au calme et à l'équilibre.

La politique française respecte nos principes et les lois internationales, sans fermer les yeux sur les agissements de ceux qui ne les respectent pas. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)

application et financement de la loi de programmation militaire

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, selon les déclarations récentes du Président de la République, la France souhaiterait affecter entre 3 % et 3,5 % de son PIB à la défense.

Madame la ministre, comment comptez-vous vous y prendre et à quelle échéance entendez-vous atteindre cet objectif, compte tenu de la situation financière du pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le sénateur, je vous prie d'excuser le ministre des armées, retenu par d'autres engagements au Bourget.

Pour 2024, la loi de finances initiale prévoyait, pour la mission « Défense », un budget de 47,2 milliards d'euros de crédits de paiement conformément à la loi de programmation militaire (LPM). Au total, 49,3 milliards d'euros ont finalement été dépensés, si l'on inclut les ressources extrabudgétaires et les ouvertures de crédits en fin de gestion.

Pour 2025, une enveloppe de 50,5 milliards d'euros est prévue. Toutefois, la motion de censure et la mise en œuvre des services votés ont limité la capacité de la direction générale de l'armement (DGA) à contracter dès le mois de janvier. Certaines commandes ont été retardées de deux mois et n'ont pu être passées qu'au début de mars. En effet, le Gouvernement ne pouvait engager de nouvelles dépenses qu'avec l'autorisation du Parlement.

Monsieur le sénateur, ce retard est en passe d'être rattrapé. La moitié des crédits d'équipement qui avaient été gelés en début d'année ont été libérés en avril et consommés par la DGA. L'autre moitié le sera d'ici à la fin du mois de juin. Le dégel sera donc intégral.

En matière de commandes, le rattrapage progresse. Malgré le régime des services votés, nous avons déjà atteint 3,2 milliards d'euros de commandes, contre 4 milliards d'euros à la même date en 2024.

Pour les paiements, nous en sommes à 10 milliards d'euros, contre 9 milliards d'euros l'an dernier. Les équipements militaires prévus sont donc commandés et livrés et c'est ce qui compte.

Il est évident, monsieur le sénateur, que la LPM sera respectée – cela ne fait pas débat –, comme il est évident que les déséquilibres du monde s'accentuent.

Soyez sûr que nous travaillons, avec le ministre et sous l'autorité du Premier ministre, à adapter mieux encore notre outil de défense à ces menaces. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.

M. Dominique de Legge. Madame la ministre, je crains que vous n'ayez pas répondu à ma question.

Je vous ai posé la question suivante : quand et comment atteindrons-nous les 3 % ? Et vous me répondez sur l'exécution du budget…

Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Oui !

M. Dominique de Legge. Il me semble que, de ce point de vue, notre assemblée est suffisamment informée.

J'en conclus donc que cette perspective devient, en quelque sorte, un secret-défense. C'est dommage.

Deuxième observation : vous n'avez pas du tout répondu sur le point des crédits reportés, qui sont passés de 3,8 milliards d'euros à plus de 8 milliards d'euros en deux ans.

Il me semble que vous pratiquez plus la cavalerie budgétaire, qui relève de la fuite en avant et de l'évitement, que la cavalerie militaire, qui est l'art de la manœuvre. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Cuypers applaudit.)

Madame la ministre, nous devrions nous en tenir à ce qu'a excellemment exposé le Premier ministre dans une conférence de presse. La vérité permet d'agir, disait-il.

Peut-être est-il temps d'ouvrir les yeux sur la situation, de dire la vérité au Parlement et de prendre les bonnes décisions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP. – Mmes Marie-Arlette Carlotti, Hélène Conway-Mouret et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)

gestion de la population de loups