Présidence de Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Céline Brulin,

Mme Marie-Pierre Richer.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Mise au point au sujet d'un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Delia.

M. Jean-Marc Delia. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 335 sur l'ensemble du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, ma collègue Laurence Muller-Bronn souhaitait s'abstenir.

Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point, mon cher collègue.

Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin concerné.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai
Article unique (début)

Permettre aux salariés de certains secteurs de travailler le 1er mai

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai, présentée par Mme Annick Billon, M. Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 550, texte de la commission n° 777, rapport n° 776).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi.

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, permettez-moi de commencer par une devinette. Parmi les trois actions suivantes, laquelle est la plus sévèrement punie ? Réponse A : insulter une femme dans la rue ; réponse B : conduire sans permis ; réponse C : vendre du pain un 1er mai.

La question peut prêter à sourire, mais la réponse a de quoi surprendre. L'acte le plus sanctionné est la vente de pain un 1er mai ! Un boulanger qui fait travailler ses salariés ce jour-là risque ainsi 750 euros d'amende par salarié, 1 500 euros s'il s'agit d'un apprenti.

Je vous livre deux exemples concrets.

Le 1er mai 2021, un boulanger parisien a reçu une amende de près de 80 000 euros pour avoir fait travailler vingt et un salariés, tous volontaires et payés double.

Le 1er mai 2024, cinq boulangers vendéens ont été inquiétés pour les mêmes raisons. Ils ont été contrôlés, verbalisés puis convoqués. Certains encouraient plusieurs milliers d'euros d'amende.

Alors que la conduite sans permis causerait plus de deux cents morts par an, entrer dans une boulangerie n'a, à ma connaissance, jamais tué personne. C'est incompréhensible !

C'est pour mettre fin à ces incohérences qu'avec le président du groupe Union Centriste, Hervé Marseille, que je remercie pour sa réactivité et son engagement, nous avons déposé cette proposition de loi, cosignée par cent soixante sénatrices et sénateurs, dont trois présidents de groupe.

Cette mobilisation illustre l'urgence et la légitimité de ce texte.

Je précise que nous sommes profondément attachés à la journée du 1er mai, chômée depuis 1946. Elle incarne près de quatre-vingts ans d'histoire sociale. Il s'agit non pas de remettre en cause ce totem, mais simplement de donner une base légale (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.) à des pratiques professionnelles en vigueur depuis plus de quarante ans.

L'engagement du Gouvernement aura également été déterminant pour que nous puissions débattre aujourd'hui. Mesdames les ministres, vous avez engagé la procédure accélérée, déclarant souhaiter une inscription rapide de ce texte à l'Assemblée nationale. Je vous en suis reconnaissante.

Alors, mes chers collègues, qui peut faire travailler ses salariés le 1er mai ? Si la question est simple, la réponse l'est beaucoup moins.

Le code du travail mentionne les « établissements qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ». Cependant, la liste précise n'a jamais été fixée par décret. Pour un hôpital, c'est évident, mais pour une boulangerie, c'est plus compliqué.

Prenons un exemple. Pour une boulangerie qui livre un hôpital, une prison, un Ehpad, c'est autorisé ; mais pour les autres clients, c'est porte close.

Pour ouvrir, une boulangerie doit prouver, d'abord, que l'activité ne peut être interrompue et, ensuite, que les salariés présents sont absolument nécessaires. Autrement dit, même le petit-déjeuner du 1er mai devient une affaire d'État !

Pourtant, selon une position ministérielle ancienne, les employeurs autorisés à ouvrir le dimanche peuvent également bénéficier d'une dérogation le jour de la fête du travail. En 1986, un courrier de Mme Martine Aubry, alors directrice des relations du travail au ministère des affaires sociales et de l'emploi, confirmait cette autorisation. Depuis, la question ne faisait pas débat : l'ouverture était tolérée.

En 2006, un arrêt de la Cour de cassation a changé la donne. En cas de contrôle, chaque situation doit désormais être analysée au cas par cas. C'est donc à l'artisan de prendre le risque, puis au juge de trancher.

Dans la pratique, les professionnels, forts d'une tradition de plusieurs décennies, n'ont pas changé leurs habitudes. L'artisan ouvre sa boutique ; les employés sont payés double ; le client repart sa baguette sous le bras. Bref, tout le monde est content. Néanmoins, ce statu quo a été remis en cause par une vague de contrôles et de verbalisations en 2023, 2024 et 2025. Les boulangers ne sont pas les seuls concernés. Les fleuristes vivent le même casse-tête.

Imaginez la scène : le fleuriste, respectueux de la loi, ferme boutique, tandis qu'un vendeur de muguet à la sauvette s'installe. Le client n'y voit que du vert, mais le fleuriste, lui, voit rouge...

Les vendeurs de muguet sont censés être soumis à des règles strictes : vendre en brins, sans autre fleur, feuillage, ou emballage ; pas de tréteau ou de table, et surtout pas d'installation à proximité d'un fleuriste. Vous en conviendrez, ces règles ne sont pas respectées. Les fleuristes subissent ainsi une concurrence totalement déloyale.

La journée du 1er mai est pourtant essentielle pour tous ces artisans. C'est le quatrième jour de l'année pour les fleuristes en volume de ventes. Pour certains, elle représente jusqu'à 10 % de leur chiffre d'affaires annuel. Pour les 35 000 boulangeries qui ferment, cela représente entre 70 millions et 80 millions d'euros de manque à gagner. En Vendée, cette journée représente 25 % de chiffre d'affaires de plus qu'un jour férié classique. Pour les salariés aussi, les conséquences financières sont concrètes. Trois jours fériés de mai travaillés, ce sont 300 à 400 euros de plus sur une fiche de paie.

En 2025, vingt-deux boulangeries ont été verbalisées pour avoir vendu du pain à des clients, venus nombreux. Elles ont été sanctionnées pour avoir fait leur travail. Ce flou juridique est devenu un non-sens. Alors, aujourd'hui, ces professions ont besoin de clarté. Elles aspirent à travailler sans risquer une verbalisation, une amende.

Nous avons déposé ce texte le 25 avril 2025 dans l'urgence, avec le président Marseille, pour envoyer un signal fort aux professionnels à la veille du 1er mai. Notre rapporteur, Olivier Henno, a retravaillé le texte avec précision et application. Je l'en remercie.

La version initiale du texte s'appuyait sur le décret relatif aux dérogations au repos dominical. Plus de quarante catégories d'établissements étaient visées, ce qui ne permettait pas de sécuriser suffisamment le dispositif.

La réécriture proposée par le rapporteur permet de cibler uniquement les professions visées. Cette nouvelle rédaction insiste aussi sur le volontariat : pas d'obligation ; pas de contrainte ; pas d'automatisme. Tout salarié devra donner son accord préalable. Avec le président Hervé Marseille, nous vous présenterons un amendement tendant à renforcer cette garantie.

Ce texte doit prospérer avant le 1er mai 2026, madame la ministre (Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles approuve.), pour clarifier, sécuriser et encadrer l'autorisation d'ouverture de certains établissements. Il est temps de mettre fin à cette incertitude qui fragilise les professionnels.

Mes chers collègues, entre le pain interdit et le muguet clandestin, remettons un peu de bon sens dans la loi ! J'en profite pour remercier le président de l'interprofession française de l'horticulture, de la fleuristerie et du paysage (Valhor), qui assiste à nos débats en tribune. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Mmes Marta de Cidrac et Frédérique Puissat applaudissent.)

M. Olivier Henno, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, s'il convient de légiférer toujours « d'une main tremblante », la maxime de Montesquieu s'applique encore davantage à certains sujets. La symbolique et l'importance du 1er mai nous obligent à agir avec beaucoup de prudence. C'est bien cette ligne de conduite qui a été adoptée pour l'instruction de ce texte et son examen en commission des affaires sociales.

Permettez-moi de revenir d'abord sur cette date et sa portée. Je ne m'attarderai pas sur la longue histoire mouvementée de la fête du travail. Je rappellerai simplement que cette journée fut pendant longtemps le support de la lutte internationale en faveur de la journée de huit heures, ainsi qu'un jour de repos célébré localement au gré des municipalités. Elle s'est aussi chargée d'une forte dimension mémorielle après le drame du 1er mai 1891 à Fourmies, dans le département du Nord – un événement marquant pour le sénateur du Nord que je suis –, lors duquel la répression d'une manifestation fit neuf morts et trente blessés. Puis, après plusieurs tentatives de reconnaissance législative dans l'entre-deux-guerres et une appropriation par le régime de Vichy, c'est le Conseil national de la Résistance (CNR) qui la consacra définitivement comme jour férié et chômé, par les lois du 30 avril 1947 et du 29 avril 1948.

Depuis la IVe République, le 1er mai est donc un jour férié et chômé en vertu de la loi. Parmi les onze jours fériés reconnus, ce régime spécifique, directement inscrit dans le code du travail, fait figure d'exception.

Au principe d'interdiction d'occuper les salariés ce jour est assortie une dérogation applicable aux établissements « qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ». Les salariés occupés ont alors droit à une indemnité égale au salaire s'ajoutant à leur rémunération habituelle.

Depuis 1947, la liste des établissements pouvant employer des salariés ce jour-là n'a jamais été précisée par voie réglementaire. Il en résulte quelques controverses juridiques sur la portée exacte de la dérogation. Certains secteurs, comme les transports publics, les hôpitaux, les hôtels, les services de gardiennage, semblent, de manière manifeste, ne pas pouvoir interrompre leur activité. Pour d'autres domaines, l'affaire est plus ardue.

Suivant une position ministérielle, une correspondance était établie avec la dérogation permanente de droit au repos dominical. Tous les employeurs admis à accorder le repos hebdomadaire un autre jour que le dimanche étaient également réputés pouvoir faire travailler leurs salariés le 1er mai. Cette assimilation présentait un intérêt pratique, dans la mesure où la liste des secteurs concernés par la dérogation au repos dominical est, elle, expressément fixée par décret.

Cette position fut réaffirmée, dans une lettre du 23 mai 1986, par Martine Aubry, alors directrice des relations du travail au ministère des affaires sociales et de l'emploi, dirigé par Philippe Séguin, également maire d'Épinal. Ce courrier est éclairant pour nos débats actuels : il y est précisé qu'en 1986 cette pratique administrative était déjà ancienne et que, selon le ministère, le boulanger ayant ouvert le 1er mai n'avait nullement commis de fait répréhensible.

La Cour de cassation, toutefois, a retenu une autre interprétation de la loi. Dans un arrêt de 2006, elle a ainsi jugé que les établissements admis à déroger au repos dominical n'avaient pas pour autant le droit, par principe, d'occuper des salariés le 1er mai. Elle a considéré qu'il appartenait à l'employeur de justifier que l'activité exercée ne permettait pas, en pratique, d'interrompre le travail. En vertu de cet arrêt, chaque situation devait donc être analysée au cas par cas.

Vous le constatez, l'état du droit en la matière ne relève pas d'un jardin à la française, ordonné et parfaitement délimité : la portée de la dérogation n'a jamais été précisément définie. Pourtant, dans la plupart de nos départements, les choses, en pratique, se réglaient facilement.

Dans certains secteurs d'activité – boulangeries-pâtisseries, fleuristes, jardineries, théâtres et cinémas –, l'ouverture des établissements et le travail des salariés le 1er mai ont toujours été considérés comme allant de soi. J'insiste aussi sur le fait que cette pratique n'a jamais soulevé de difficultés particulières au sein des entreprises, compte tenu du doublement de la rémunération ce jour-là.

Pour les fleuristes, en particulier, la fête du travail a toujours revêtu une importance majeure, puisque l'affluence du public dans les magasins et le chiffre d'affaires réalisé ce jour sont parmi les plus importants de l'année en raison de la vente du muguet. Cette situation a cependant été remise en cause très récemment par des contrôles et des verbalisations dressées par certains services de l'inspection du travail.

Ces verbalisations ont été très localisées. Selon les informations portées à ma connaissance par les fédérations d'employeurs, quelques jardineries indépendantes, des fleuristes et des boulangeries-pâtisseries ont été verbalisés en 2023 et 2024 en Charente, à Lyon ou à Paris. En particulier, cinq boulangers ont été verbalisés en Vendée pour avoir occupé leurs salariés le 1er mai 2024.

Le phénomène a beau être marginal, les conséquences n'en sont pas moins importantes pour les employeurs mis en cause. Ces derniers risquent une amende de quatrième classe, soit 750 euros par salarié employé. Ce risque financier encouru n'est pas négligeable pour ces commerces, qui sont souvent de très petites entreprises (TPE). Une majorité de boulangeries ont donc décidé de rester fermées le 1er mai 2025 et cette situation a fait naître, dans la profession, un sentiment d'incompréhension.

Les détracteurs de ce texte de loi ne manqueront pas de se saisir de ces verbalisations pour objecter que le travail ce jour-là dans les boulangeries était une pratique contra legem et que, dès lors, légiférer sur ce point serait donner une prime aux contrevenants et faire preuve de laxisme. Ce raisonnement est spécieux et repose sur un raccourci juridique. Les cinq employeurs mis en cause en Vendée ont par exemple démontré au juge que la nature de leur activité ne permettait pas d'interrompre le travail. Le tribunal de police leur a donné raison, et ils ont finalement été relaxés par un jugement du 25 avril 2025.

C'est bien là que se révèle la faiblesse du droit existant. La marge d'interprétation de la loi laisse la place à des contrôles et à des poursuites pénales. Ensuite, la charge de la preuve incombe aux employeurs, qui doivent justifier de la légalité de leur situation dans les circonstances de l'espèce. Ce régime comporte une trop grande incertitude juridique, qu'il convient de lever.

La prudence, dont je parlais au préalable, demande de légiférer en dernier ressort. Tel est bien le cas sur ce sujet. La jurisprudence ne saurait mettre fin à l'insécurité juridique qui demeure pour les employeurs. La négociation collective non plus, puisque l'interdiction d'employer des salariés le 1er mai est d'ordre public. De même, l'indépendance des inspecteurs du travail, qu'il convient de respecter, ne laisse pas de marge de manœuvre à une instruction ministérielle. Pour en avoir discuté avec Mme la ministre, je puis vous assurer que les choses sont claires et limpides.

Le législateur doit donc se saisir de cet enjeu, et je remercie notre collègue Annick Billon et le président Hervé Marseille d'avoir déposé cette proposition de loi. La commission l'a adoptée – j'en profite pour remercier aussi le président Philippe Mouiller –, en souhaitant toutefois repréciser le périmètre des secteurs concernés.

Dans sa version initiale, le texte associait les établissements couverts par cette exception au chômage du 1er mai à ceux bénéficiant d'une dérogation au repos dominical en raison des « contraintes de la production, de l'activité ou des besoins du public ». Cette rédaction avait l'avantage de renvoyer à un décret déjà existant, pris en Conseil d'État.

Cependant, la liste prévue par ce décret comprend de très nombreux domaines d'activité et tend à s'allonger régulièrement. En outre, si le 1er mai n'est pas un jour férié comme un autre, son régime ne saurait, à plus forte raison, être assimilé à celui du dimanche.

La commission a donc renvoyé à un nouveau décret la liste des secteurs qui bénéficieraient d'une dérogation de principe à l'interdiction d'occuper des salariés ce jour. Le décret serait encadré par des critères légaux précis et comprendrait les entreprises qui, traditionnellement, ouvrent ce jour, et dont l'activité justifie la dérogation : les commerces de bouche de proximité, dont les boulangeries, pâtisseries, boucheries, poissonneries, qui permettent la continuité de la vie sociale ; les commerces de fleurs, qui, par la vente du muguet, sont liés à un usage traditionnel du 1er mai ; enfin, les établissements du secteur culturel, cinémas et théâtres notamment, dont l'activité répond à une demande naturelle du public un jour chômé.

Nous n'avons pas souhaité inclure dans cette dérogation les grandes surfaces et je vous proposerai un nouvel amendement visant à éviter tout risque d'élargir le décret en ce sens.

Enfin, la commission a également prévu que l'activité des salariés ne serait possible que sous réserve de leur volontariat. Cette précision est essentielle pour ne pas porter une atteinte disproportionnée à cette date symbolique. Le texte maintient, en parallèle, le régime existant de dérogation, afin de tenir compte de la spécificité de certains secteurs, tels que les hôpitaux, pour lesquels la condition de volontariat ne paraît pas souhaitable.

L'intention des auteurs de cette proposition de loi est non pas de banaliser le 1er mai, mais bien de garantir que la pratique traditionnelle de ce jour soit maintenue. Il s'agit d'un texte de clarification du droit et non pas de renversement de principe. Je vous invite donc à adopter la proposition de loi dans sa version issue de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame l'auteure de la proposition de loi, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose de nous poser une question à la fois simple et essentielle : comment faire vivre les principes de notre droit du travail sans ignorer les réalités du terrain et les besoins de nos concitoyens ?

Mme Corinne Féret. En oubliant les luttes des salariés !

Mme Catherine Vautrin, ministre. C'est, au fond, tout l'objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. (Mme Corinne Féret et M. Pascal Savoldelli s'exclament.)

Nous parlons ici d'une journée très particulière de notre calendrier national : le 1er mai, jour de la fête du travail, journée des droits des travailleurs. Un jour porteur d'un héritage social fort, qui est le seul jour férié à la fois chômé et payé dans notre droit du travail.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Cette reconnaissance n'a rien d'un hasard. Elle est l'aboutissement de décennies de luttes ouvrières, en France comme à l'étranger. Depuis la Libération, le 1er mai est officiellement un jour chômé et payé. C'est incontestablement un acquis et un symbole.

La proposition de loi ne remet nullement en cause le statut et la tradition de la fête du travail, qui restera fériée et chômée pour la grande majorité des salariés. Il ne s'agit ni d'en banaliser la portée ni d'en faire un jour comme un autre. (Mme Corinne Féret ironise.)

Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, la force d'une loi ne réside pas seulement dans ce qu'elle affirme. Elle réside, aussi, dans le fait d'énoncer une règle claire, lisible et applicable sur tout le territoire. L'exemple de la vente du muguet cité par Mme Billon est particulièrement parlant à cet égard.

Mme Corinne Féret. La loi est claire, il faut la respecter !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Aujourd'hui, dans certains secteurs, notamment les boulangeries et les fleuristes, des établissements ouvrent, des salariés souhaitent travailler – j'y insiste ! – et des clients attendent ces services essentiels. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Nous l'avons vu ces derniers mois, les règles relatives à ce jour férié sont source de confusion.

Le code du travail prévoit bien certaines dérogations au principe du repos dominical et des jours fériés, dans l'intérêt du public ou pour assurer la continuité de l'activité, mais il reste beaucoup trop imprécis concernant le 1er mai. On s'en rend compte à la lecture de la lettre de Martine Aubry, à l'époque directrice des relations du travail, en 1986, ainsi que de l'arrêt de la Cour de cassation de 2006, que les deux orateurs précédents ont évoqués.

Résultat, ces dernières années : des sanctions, des procès-verbaux, une insécurité juridique,…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Quand on ne respecte pas la loi…

Mme Catherine Vautrin, ministre. … avec des appréciations hétérogènes selon les territoires et des commerçants parfois pénalisés, alors même qu'ils agissaient de bonne foi. Et je tiens à souligner la bonne foi de l'ensemble de ces professionnels.

Avec la ministre Astrid Panosyan-Bouvet, nous avons clairement dit que la loi devait évoluer. Nous devons apporter notre soutien aux artisans de proximité, ces professionnels qui, chaque jour, assurent un service essentiel dans nos territoires, en zone urbaine comme dans les territoires ruraux, parfois dans l'ombre, toujours avec passion.

Le jugement rendu par le tribunal de police de La Roche-sur-Yon, le 25 avril 2025, qui a prononcé la relaxe de cinq boulangeries vendéennes poursuivies pour avoir ouvert le 1er mai, montre bien l'impasse actuelle. Il reconnaît la bonne foi des professionnels concernés, mais il ne suffit pas à sécuriser juridiquement l'ensemble des salariés et des employeurs. Il revient au législateur d'apporter la clarté attendue.

Tel est l'objectif de la proposition de loi déposée par le président Hervé Marseille, la sénatrice Annick Billon et les membres du groupe Union Centriste. Elle ne crée pas un droit nouveau ; elle ne remet pas en cause l'existant. (Mme Cathy Apourceau-Poly ironise.) Elle vient combler une faille juridique, mettre fin à une insécurité qui pénalise aujourd'hui des commerçants, des salariés, des territoires, ainsi que certains de nos concitoyens. Elle vient sécuriser les employeurs, comme les travailleurs.

Soyons clairs, nous ne voulons pas banaliser une journée qui reste et restera emblématique du dialogue social. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Le Gouvernement soutient pleinement cette proposition de loi.

Mme Monique Lubin. Ben tiens !

Mme Catherine Vautrin, ministre. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité engager la procédure accélérée. Ce texte permettra à certains établissements d'employer le 1er mai des salariés volontaires – encore une fois, j'y insiste –…

Mme Cathy Apourceau-Poly. Le volontariat, parlons-en !

Mme Catherine Vautrin, ministre. … dans un cadre strictement défini et avec une rémunération doublée, comme le prévoit le droit commun. Oui, madame la sénatrice, il y a des salariés qui sont demandeurs de cette approche ! Nous leur apportons une réponse concrète avec ce texte. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Il vaudrait mieux augmenter le Smic !

Mme la présidente. Mes chers collègues, écoutons Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Je salue à ce titre le travail de la commission et du rapporteur, qui a permis de resserrer le texte pour borner très précisément les activités concernées. Je veux ici les rappeler avec précision, pour lever toute ambiguïté.

Certains établissements et services pourront continuer à se prévaloir du cadre existant, puisqu'ils ne peuvent évidemment pas interrompre leur activité : secours et sécurité, établissements sanitaires et médico-sociaux, transports, maintenance, industries de l'énergie ou utilisant des fours, agriculture, gens de la mer, hôtellerie.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Ils travaillent déjà le 1er mai !

Mme Catherine Vautrin, ministre. En plus de ces activités essentielles, seules quatre catégories d'établissements pourront bénéficier de cette dérogation leur permettant d'ouvrir le 1er mai avec des salariés volontaires : les établissements assurant, à titre principal, la fabrication ou la préparation de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate ; les établissements dont l'activité exclusive est la vente de produits alimentaires au détail ; les établissements répondant à un besoin du public lié à un usage traditionnel du 1er mai ; enfin, les établissements exerçant une activité culturelle.

Ce périmètre a été pensé avec rigueur et avec le souci de préserver l'exception de la fête du travail.

La mise en œuvre de ces dispositions nécessitera un décret en Conseil d'État, que nous sommes en train de rédiger, en parallèle du processus législatif.

Mme Raymonde Poncet Monge. Bien sûr, il n'y a rien de plus urgent !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Je tiens à être très claire : ce décret sera fidèle à l'intention du législateur. Il ne visera pas d'autres établissements que ceux que je viens de mentionner. Les établissements assurant la fabrication ou la vente de produits alimentaires comprendront les cafés, les restaurants, les boulangeries, les traiteurs, les primeurs et autres commerces de bouche. Les établissements répondant à un besoin du public lié à un usage traditionnel du 1er mai incluront l'activité de vente de fleurs naturelles. Les établissements exerçant une activité culturelle comprendront les cinémas, les musées, les centres culturels et autres lieux de spectacle.

Le Gouvernement ne souhaite pas inclure la grande distribution, qui ne relève ni de la logique de proximité ni d'un usage traditionnel lié au 1er mai. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Grâce à cette proposition de loi, si elle est votée, il n'incombera plus aux employeurs de démontrer qu'ils ne peuvent interrompre le travail ce jour-là en raison de la nature de leur activité. Il leur suffira de figurer sur la liste des établissements et activités mentionnés dans le décret.

Pour conclure, je veux réaffirmer un principe fondamental : cette proposition de loi ne porte en rien atteinte aux droits des travailleurs. Les salariés seront amenés à travailler sur la seule base du volontariat et ils bénéficieront d'une rémunération doublée, conformément à l'article L. 3133-6 du code du travail.

Il s'agit d'un texte d'équilibre, qui articule liberté d'entreprendre, liberté de travailler, respect des traditions locales et protection des droits sociaux.

Mme Silvana Silvani. C'est grotesque !

Mme Catherine Vautrin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est utile, équilibrée et attendue. Elle clarifie, elle encadre, elle protège, en apportant des réponses concrètes aux professionnels et à leurs salariés. Ce texte ne fait pas l'économie de notre histoire sociale,...

Mme Monique Lubin. Non, il crache dessus !

Mme Catherine Vautrin, ministre. ... il en est une déclinaison contemporaine et respectueuse. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani, Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d'une motion n° 18.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai (n° 777, 2024-2025).

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la motion.