Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le 1er mai est la fête des travailleurs et non, comme certains à l'extrême droite le prétendent, la fête du travail.
Depuis 1890, la classe ouvrière définit le 1er mai comme une journée d'auto-reconnaissance en tant que classe sociale. Cette journée est l'occasion de rendre visible, sur les scènes locale, nationale et même internationale, la présence massive de ceux qui travaillent et de leurs familles.
Le 1er mai est une fête ouvrière et populaire qui sert de catalyseur, mais aussi de baromètre des mouvements sociaux comme de la conjoncture politique. En France, le 1er mai ne se résume pas à des défilés de cortèges dans les villes ; c'est également l'occasion de rassemblements, de meetings et de moments populaires où l'on chante Le Temps des cerises et où l'on danse dans les bals de village.
Dans le sillage des ouvriers de Chicago, qui avaient manifesté le 1er mai 1886 en faveur de la journée de huit heures, et du 1er mai 1891 à Fourmies, où la répression de la manifestation avait fait neuf morts, dont deux enfants, et plus de trente blessés, cette journée a été inscrite dans l'histoire du mouvement social.
C'est bien cette histoire que le groupe centriste veut rayer d'un trait par cette proposition de loi. Le 13 novembre 2024, le président du groupe Les Républicains du Sénat avait déclaré aux journalistes de Public Sénat que la suppression d'un jour férié était « quelque chose qui pourrait être voté ».
Si le choix du jour férié en question s'est porté sur le 1er mai, c'est parce que c'est le seul qui, de par la loi, est obligatoirement chômé. L'idée que des salariés puissent percevoir une rémunération sans travailler est insupportable pour la majorité sénatoriale comme pour les soutiens du Gouvernement. Si au moins c'était une journée religieuse, ou servant à commémorer une guerre capitaliste…
Au prétexte que cinq boulangeries ont été verbalisées, nous devrions changer le droit qui organise les usages depuis 1947 ! Alors même que ces cinq boulangeries ont toutes été relaxées, le Gouvernement a estimé nécessaire de déclencher l'urgence sur ce texte qui étend les dérogations au jour chômé du 1er mai.
En effet, il importe de rappeler qu'il existe déjà des dérogations au 1er mai, puisque les employeurs qui ne peuvent pas interrompre le travail sont autorisés à poursuivre leur activité ce jour-là. Selon la direction générale du travail, les transports publics, les hôpitaux, les hôtels et les services de gardiennage remplissent naturellement cette condition, de même, d'ailleurs, que certaines industries. Certains ont voulu s'insérer dans la brèche en arguant qu'un restaurant ne pouvait s'arrêter de fonctionner, tout comme les cafés, ce qui est déjà contestable.
Depuis des années, bénéficiant de cette dérogation, les employeurs qui ne pouvaient arrêter de fonctionner ouvraient leur établissement le dimanche. Lorsque la Cour de cassation a exigé des boulangers de démontrer l'impossibilité pour eux d'arrêter de travailler, les premières plaintes sont apparues, lors de la campagne présidentielle de 2007. La tolérance ministérielle a été contredite par la plus haute juridiction de droit civil.
Aujourd'hui, les entreprises exigent donc que soient légalisées leurs pratiques illégales. Cette manière de faire est d'autant plus insupportable que ce texte fait partie d'un ensemble de remises en cause du droit social que mène le Sénat depuis plusieurs années. La guerre idéologique consiste à affaiblir toutes les victoires syndicales de notre pays, qui constituent notre pacte social.
Depuis un an, c'est un festival de la part du groupe centriste : remise en cause du droit de grève dans les transports, création d'une journée de travail gratuite et, aujourd'hui, dérogation au seul jour férié et chômé de l'année !
Au nom de la correction d'une prétendue insécurité juridique, cette proposition de loi était censée permettre aux boulangers et aux fleuristes d'ouvrir le 1er mai. Pourtant, le périmètre retenu dans sa rédaction initiale dépassait largement ce cadre puisque toutes les entreprises autorisées à ouvrir le dimanche, comme les magasins d'ameublement, les supermarchés ou les casinos, auraient été autorisées à faire travailler leurs salariés le 1er mai.
En réalité, derrière le débat sur l'autorisation de faire travailler les salariés le 1er mai se révèle un désaccord, entre nous, sur la vision que l'on se fait de notre société et du droit au repos.
Les modernes seraient ceux qui souhaitent travailler 365 jours par an pour consommer en tout temps et en tout lieu. Pour notre part, nous considérons que les moments sans consommation deviennent déjà trop rares et qu'il faut protéger des temps démarchandisés.
Certains répètent à l'envi que notre société se délite du fait d'un repli sur les individus, au détriment du collectif ; pourtant, en autorisant des dérogations au chômage du 1er mai, vous remettez en cause une journée de repos et de partage en famille et entre amis.
En commission, le texte a été modifié, sur l'initiative du rapporteur, de manière à limiter le bénéfice des dérogations supplémentaires aux commerces de bouche de proximité, aux fleuristes et jardineries, aux cinémas et aux théâtres.
Le rapporteur ne nous a pas fourni d'évaluation du nombre de salariés potentiellement concernés, mais, si l'on cumule les secteurs de l'agroalimentaire et des commerces de détail alimentaire, les boulangers, les fleuristes et les activités culturelles, nous arrivons à près de 1,5 million de salariés affectés par ce texte. (Protestations sur les travées du groupe UC.)
Vous avez beau jeu de nous répondre que les salariés devront être volontaires pour travailler le 1er mai ! Vous avez eu l'air surpris de découvrir, en commission, le principe du lien de subordination. Il s'agit, je le rappelle, de ce rapport particulier qui fait que, lorsqu'un patron demande à un salarié s'il veut venir travailler le 1er mai, celui-ci acceptera par crainte de répercussions négatives. Le volontariat n'existe pas pour les salariés !
On avait prétendu sécuriser de la même manière l'instauration du travail dominical. Eh bien, dix ans après le vote de la loi Macron, le volontariat des salariés qui travaillent le dimanche n'existe pas. Je ne vois pas trace non plus des taxis censés être payés par les employeurs pour ramener chez eux ces salariés ! Même la majoration de salaire de droit le dimanche, qui devait être de 50 %, est descendue à 30 %, voire à 20 %, selon les conventions collectives.
Le travail dominical était censé permettre à la fois aux étudiants de payer leurs études et aux entreprises de gagner plus d'argent. Selon une étude publiée par l'Insee en 2023, intitulée Qui travaillera dimanche ? Les gagnants et les perdants de la déréglementation du travail dominical, le résultat est sans appel : l'ouverture dominicale ne s'est accompagnée d'aucune hausse des effectifs ni du chiffre d'affaires.
Aujourd'hui, vous reprenez le même argument de la rémunération doublée pour justifier l'ouverture du travail le 1er mai. Pourtant, nous avons la démonstration qu'il n'existe pas d'argent magique, qu'il s'agisse du dimanche ou du 1er mai. Nos concitoyens ne consomment pas davantage le dimanche ou le 1er mai parce que les magasins ouvrent leurs portes, puisque les entreprises refusent d'augmenter les salaires !
L'augmentation des salaires, voilà un sujet qui aurait mérité que le Gouvernement dépose un projet de loi et engage la procédure accélérée ! L'augmentation du Smic et l'indexation des salaires sur l'inflation – nous avions proposé ces mesures en février dernier – permettraient d'augmenter le pouvoir d'achat et de dynamiser l'économie.
Mais vous préférez vous attaquer à une journée hautement symbolique dans notre pays. Le 1er mai chômé est une conquête des luttes sociales, acquise en 1947 dans notre pays. Après les dérogations au repos dominical, après le recul de l'âge de départ à la retraite, après la journée de solidarité, voici que les 35 heures et le 1er mai sont les nouveaux acquis sociaux remis en cause par les groupes Union Centriste, RDPI, Les Indépendants et Les Républicains du Sénat : les mêmes qui vantent depuis des mois le dialogue social au motif de l'organisation du conclave sur les retraites s'attaquent aujourd'hui ouvertement aux organisations syndicales.
Avec l'extension des dérogations, vous détricotez petit à petit le principe du 1er mai chômé, de manière à justifier demain sa remise en cause totale.
Votre objectif final, évidemment non revendiqué, est de voler un jour de congé aux salariés, car vous jugez qu'ils ne travaillent pas suffisamment. Cette vieille rengaine du patronat semble trouver un grand d'écho du côté droit de l'hémicycle !
Je voudrais pourtant rappeler les données de l'OCDE de 2022, selon lesquelles la France se classe sixième en Europe en matière de productivité. Pour nous, l'enjeu n'est pas de travailler plus ; c'est de travailler tous, et dans de bonnes conditions, pour ne pas finir cassés à la retraite.
Cette proposition de loi, inscrite par le Gouvernement à l'ordre du jour de la session extraordinaire de juillet, est une bombe à fragmentation de la société. La prudence et la proportionnalité, si chères aux rapporteurs, auraient dû inciter à l'abstinence, mais vous semblez prêts à affronter une nouvelle colère sociale.
Vous pouvez compter sur le groupe communiste républicain citoyen et écologiste – Kanaky pour ne pas céder d'un pouce quand on s'attaque à des acquis sociaux obtenus dans le sang et les larmes. Clara Zetkin voyait dans le 1er mai « l'unique vrai jour de fête du prolétariat exploité et militant, un jour de fête librement voulu et résolu, en antagonisme avec les jours de fête religieux ou laïcs octroyés aux esclaves de l'usine, de la mine et des champs, par la volonté des exploiteurs et des gouvernants. […] Le 1er mai est une fête de l'avenir, une fête révolutionnaire. »
Nous sommes profondément attachés à cette dimension du 1er mai et, comme l'ensemble des organisations syndicales, nous refusons ce texte.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que nous vous appelons, solennellement, à voter notre motion et à rejeter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. Olivier Henno, rapporteur. Il est évidemment défavorable.
Notre volonté n'est pas d'empêcher quiconque de chanter Le Temps des cerises ou d'écouter Jean Ferrat. (Sourires sur les travées du groupe UC.) Nous voulons que le débat ait lieu, afin de démontrer que cette proposition de loi d'Annick Billon et Hervé Marseille est connectée à la vie réelle,…
M. Pascal Savoldelli. On va en parler, de la vie réelle !
M. Olivier Henno, rapporteur. … qu'elle sécurise les employeurs comme les salariés…
M. Pascal Savoldelli. Des salariés, il n'y en a pas beaucoup dans vos rangs !
M. Olivier Henno, rapporteur. … et qu'elle vise simplement à revenir à la situation antérieure aux récentes décisions de justice.
Mes chers collègues, les TPE qui emploient des salariés ne sont pas des esclavagistes ! Le travail n'est pas l'enfer et le lien de subordination n'a pas forcément une dimension maléfique.
Il sera donc intéressant, sur ces bases, d'avoir ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Vautrin, ministre. Comme vous pouvez l'imaginer, le Gouvernement est particulièrement défavorable à cette motion.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Faire travailler le 1er mai, c'est porter atteinte à la spécificité d'un jour symbolique, façonné par une histoire longue et internationale, dont la portée émancipatrice a traversé les XIXe et XXe siècles.
Le législateur a pour mission non de satisfaire des intérêts économiques particuliers, mais de protéger un temps commun qui, depuis les grèves pour la journée de huit heures – huit heures de loisir ! – jusqu'à sa consécration légale en 1947, rappelle que ce temps libre de toute subordination pour les travailleurs et travailleuses est, dans nos aspirations comme dans les faits, un temps d'émancipation.
Faire travailler le 1er mai au-delà des activités qui ne peuvent être arrêtées, c'est nier l'aspiration qui est à son origine, celle de la réduction du temps de travail, de la libération d'un temps pour l'épanouissement personnel et familial du salarié, d'un temps qui permette de faire ensemble société, faire ensemble classe, dans la majorité des pays.
À Fourmies, en 1891, à la veille de la journée qui vit l'armée ouvrir le feu sur les manifestants, le patronat avait fait placarder une affiche affirmant que « l'on travaillerait le 1er mai comme tous les autres jours ». La volonté patronale de faire travailler le 1er mai n'est donc pas nouvelle !
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui est dangereux, car il ouvre une brèche. En cédant à certains établissements, alors que la population sait très bien se passer de leurs services les jours de leur fermeture, on s'expose à une stratégie du pied dans la porte. Le champ de dérogation sera demain élargi.
Faire travailler le 1er mai crée aussi une inégalité entre, d'une part, celles et ceux qui seront, à terme, contraints de travailler – le volontariat étant voué à devenir un leurre – alors que la plupart des services sont fermés et, d'autre part, celles et ceux qui auront la possibilité de se reposer et de participer aux temps sociaux, dont les temps de manifestation.
Les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires voteront donc pour cette motion.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Voici venu le temps des propositions de loi réactionnelles, pour ne pas dire réactionnaires… Réactionnelles, dis-je, car il suffit que quelques boulangers – cinq pour être exact – n'ayant pas, je le précise, respecté la loi se voient opposer l'obligation de la respecter pour que l'on décide soudainement que, décidément, cette loi ne convient pas et qu'il faut la changer.
Or quel changement propose-t-on ? On voudrait permettre de travailler le 1er mai à un certain nombre d'artisans et de commerçants, lesquels demanderont bien évidemment à leurs salariés de travailler ce jour-là.
Il va tout de même falloir nous expliquer – je ne doute pas de la qualité de la démonstration qui nous sera offerte – pourquoi l'on ne pourrait pas se passer, le 1er mai, d'aller dans une charcuterie acheter un pâté tout juste sorti du four, ou dans une boulangerie où l'artisan ne sera pas le seul à travailler : il aura mobilisé une horde de salariés – l'un des boulangers condamnés, puis relaxés, en avait vingt et un – pour préparer tartes, viennoiseries et salades, tout ce qui se vend aujourd'hui dans les grandes boulangeries. De tout cela, à vous entendre, on ne pourrait absolument pas se passer !
De surcroît, vous osez – la socialiste que je suis a bien compris la manœuvre ! – vous prévaloir de la caution de Martine Aubry ! Mais celle-ci, qui n'était, à l'époque à laquelle vous nous renvoyez, que directrice des relations du travail, a simplement voulu – sous l'autorité de son ministre de tutelle, j'imagine – faire en sorte que les services qui ne peuvent et ne doivent pas être arrêtés, notamment les services de soins, puissent continuer de fonctionner.
Mme la présidente. Merci de conclure, ma chère collègue !
Mme Monique Lubin. J'aurai l'occasion de m'exprimer de nouveau sur ce sujet au fil du débat. Pour l'heure, sachez que les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront bien évidemment pour la motion de nos collègues du groupe CRCE-K. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Il est tout à fait nécessaire de clarifier dans la loi la possibilité offerte aux volontaires de certaines professions, comme les fleuristes et les boulangers, de travailler le 1er mai. Il convient aussi, à l'évidence, de préciser les conditions dans lesquelles ce volontariat s'exercera ; tel est l'objet d'un amendement qui sera présenté.
Cette proposition de loi ne remet pas en cause le 1er mai, fête des travailleurs et du mouvement social, en tant que journée fériée et chômée. Mais il serait quand même difficile d'expliquer aux travailleurs volontaires – ce volontariat, je le répète, doit être bien encadré – qu'ils peuvent être sanctionnés pour ce travail. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.) Il y avait une tolérance en en la matière, mais la multiplication des contrôles et des sanctions impose de clarifier en droit la nature des établissements de commerce exemptés de cette obligation de chômer ; nous devons donc légiférer.
Je suis par conséquent favorable à la proposition de loi de notre collègue Annick Billon, que j'ai cosignée, car elle clarifie la situation et protège les professionnels et les salariés. Je ne voterai donc pas cette motion.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Le groupe Union Centriste votera évidemment contre cette motion, que ses auteurs justifient, je dois le dire, par des arguments assez caricaturaux, pour ne pas dire complètement erronés.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Quels arguments sont erronés ?
Mme Annick Billon. Le président Hervé Marseille et moi-même, auteurs de cette proposition de loi, sommes attachés au 1er mai chômé et férié. Je le répète, car nous avons été attaqués sur ce point de manière assez incisive. Nous n'ouvrons pas une brèche ; nous sécurisons certaines situations.
Mes chers collègues, quarante ans durant – plus ou moins, en fonction de votre âge –, vous avez acheté du muguet le 1er mai, vous avez acheté du pain le 1er mai,…
Mme Cathy Apourceau-Poly. Non, jamais !
Mme Annick Billon. … sans que cela vous pose aucun problème. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Oui, mes chers collègues, je le rappelle, Martine Aubry a sécurisé la situation en 1986 et, depuis lors, pas un seul député ou sénateur, qu'il siège à droite ou à gauche, n'est venu remettre en cause cet équilibre. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Cette proposition de loi a donc pour seul objet de préciser le droit et de sécuriser ces situations.
Mme Cécile Cukierman. Elle n'est pas pour les artisans, votre proposition de loi, elle sécurise juste les profits des grands groupes ! Il faut assumer !
Mme Annick Billon. Mes chers collègues, à l'évidence, nous ne partageons pas votre vision du travail tirée de Germinal ! C'est pourquoi nous voterons contre votre motion. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous prie de respecter l'expression de chacun des orateurs.
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Beaucoup de commentateurs s'escriment à expliquer qu'il n'y aurait plus de gauche, plus de confrontation gauche-droite. Franchement, notre débat illustre bien combien cela est faux.
Il me donne aussi l'occasion, madame la ministre, de rappeler – cela permettra de clarifier les choses – les propos que vous avez tenus en janvier dernier : vous mettiez au débat l'idée de sept heures de travail supplémentaires non rémunérées pour les salariés. C'est bien vrai, madame la ministre ? « C'est une piste qui est sur la table », ajoutait votre collègue chargée des comptes publics. Là est la vérité, le sens réel de cette proposition de loi.
Un autre élément justifie le dépôt de cette motion : le débat s'est déjà tenu, mes chers collègues. Le 20 novembre 2024, les groupes Les Républicains et Union Centriste défendaient un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) inspiré du dispositif de la « journée de solidarité ». C'est cela même qui se retrouve dans cette proposition de loi !
Le sujet n'est donc nullement les boulangeries ou les traiteurs, ni ce que l'on peut acheter ou non le 1er mai. Nous débattons de tout autre chose ! Il me semble d'ailleurs que Mme la ministre l'a tout à fait assumé à la tribune tout à l'heure. Elle a de la cohérence politique, je ne le lui reproche pas : ce qu'elle a annoncé en janvier, elle l'a bien soumis au débat.
Mais je veux inviter à deux réflexions nos collègues de droite et Mme la ministre avant de conclure mon propos.
Premièrement, rappelez-vous la prudence du Premier ministre de l'automne dernier, Michel Barnier, qui est loin d'être un homme de gauche : « Attention, disait-il, on ne peut pas prendre une telle décision sans l'accord des organisations syndicales. » Vous pouvez le vérifier. Eh bien, toutes les organisations syndicales sont opposées à ce texte ; c'est bien pourquoi nous appelons par cette motion à le rejeter.
Deuxièmement, rappelez-vous ce qui s'est passé cette année pour le budget de la sécurité sociale ; je m'en souviens très bien, et ceux de mes collègues qui siègent à la commission des affaires sociales mieux encore. Les amendements visant prétendument à financer l'autonomie par du travail supplémentaire non rémunéré ont été soutenus par les députés du Front national. Cela aussi, vous pouvez le vérifier ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais revenir sur plusieurs points.
Mme la sénatrice Apourceau-Poly, en présentant cette motion, nous a parlé du Temps des cerises et des bals populaires, mais elle a oublié le pain. Pourtant, s'il y a une tradition française qui est toujours mise en avant, c'est bien celle-ci ! Il y a toujours eu, parmi nos concitoyens, des gens qui vont acheter du pain tous les jours. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. On peut l'acheter le 30 avril au soir, le pain !
Mme Catherine Vautrin, ministre. Le problème que nous avons aujourd'hui, c'est que, alors que cela n'a pas posé la moindre difficulté pendant des années (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.), le fondement légal manque désormais de sécurité, la loi n'est pas claire. C'est pour y répondre que cette proposition de loi a été déposée.
Monsieur Savoldelli, par votre interpellation, vous essayez de nous amener sur un tout autre terrain, à savoir celui de la journée de solidarité instituée après la canicule de 2003, quand notre pays devait s'équiper pour faire face au phénomène du vieillissement. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.) Une question a bien été posée lors de l'examen du PLFSS pour 2025 : celle de l'instauration d'une deuxième journée de solidarité ; cette idée n'a d'ailleurs pas prospéré dans ce cadre. Mais ce n'est pas du tout ce dont il est question aujourd'hui !
La meilleure preuve en est que cette proposition de loi est extrêmement précise quant aux professions qui pourraient bénéficier de la dérogation ouverte. Il s'agit bien d'un dispositif exceptionnel, avec une journée de travail payée double, alors que la proposition à laquelle vous faites référence consistait, à l'inverse, à demander aux gens de travailler une journée de plus sans être rémunérés. Il s'agit d'une logique absolument différente ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Vous suscitez là une grande confusion en évoquant des idées qui n'ont rien à voir avec la proposition de loi de Mme Billon, dont M. le rapporteur nous a exposé le dispositif tout à l'heure.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 18, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Union Centriste et, l'autre, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 337 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l'adoption | 101 |
Contre | 225 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à souligner en préambule que cette proposition de loi suscite des interrogations profondes quant à la manière dont nous nous penchons sur la problématique du travail. Là est bien le sujet, car on ne peut pas dénouer le 1er mai de la question du travail et des travailleurs.
Était-il si urgent de discuter ensemble d'une question qui traverse la société tout entière ? Était-ce le bon véhicule ?
Certes, ce débat n'est pas sans légitimité. Je comprends les revendications exprimées par certains commerçants de proximité – boulangers, fleuristes, primeurs – confrontés à des injonctions contradictoires. D'un côté, une tradition commerciale les incite à ouvrir le 1er mai ; de l'autre, ils subissent une insécurité juridique face aux sanctions qu'on leur inflige parfois, et ce alors même que de grandes enseignes ouvrent leurs portes le 1er mai sans que l'État assure réellement le respect de la loi.
La demande des professionnels, c'est qu'il y ait une stricte égalité de traitement entre les commerces et entre les territoires, qu'il n'y ait pas de régime factuel d'exemption, hors de la loi. Ils identifient une demande de consommation sur la journée du 1er mai, donc une perte de chiffre d'affaires potentiel. Cette éventuelle perte ne doit pas peser sur les seuls volontaristes qui, sans contrôle, respectent la loi.
Malgré la prégnance de l'enjeu, il me semble que cette proposition de loi divise outre mesure, alors qu'il nous faudrait au contraire trouver ici de la concorde.
Ce que vous sous-entendez, mes chers collègues, c'est que le 1er mai serait caduc. Les valeurs qui sont au cœur de cette fête ne seraient plus d'actualité.
Pourtant, il y a des dates dans notre calendrier républicain qui relèvent non pas simplement de l'organisation du travail, mais de la mémoire collective. Le 1er mai en fait partie. C'est cette mémoire sociale que la République a sanctuarisée en 1947, en faisant de cette date le seul jour férié obligatoirement chômé et payé.
C'est bien ce socle symbolique que ce texte, même amendé, vient fragiliser. En instaurant un régime de dérogation pour certaines activités commerciales, il modifie ce qui, jusqu'ici, faisait l'unité du 1er mai, donc l'unité du corps social des salariés.
Certes, la proposition est encadrée : les secteurs concernés sont restreints, le volontariat est exigé, une majoration salariale est prévue. Mais l'histoire du droit du travail nous a appris que les dérogations finissaient souvent par devenir la norme. Le travail dominical, auquel j'étais d'ailleurs opposé en tant qu'employeur – je dirigeais quelques magasins –, en est l'exemple le plus évident.
Ce risque s'accentue à une époque de net recul du syndicalisme. Cette réalité affaiblit le dialogue social, réduit la capacité de négociation des salariés et rend plus fragile encore l'effectivité du volontariat, notamment dans les petites structures.
Pour conclure, je reconnais la valeur du travail de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, M. Olivier Henno, qui a exclu une assimilation au régime du dimanche.
Franchement, je ne suis pas arc-bouté contre ce texte, et je ne veux pas esquiver cette question, mais un véritable débat national doit être ouvert, comme sur tant d'autres sujets : la dégradation des conditions de travail – j'ai une pensée particulière pour les travailleurs agricoles, en ces journées caniculaires –, l'attractivité des métiers du social, ou encore l'ubérisation du travail.
Surtout, le législateur ne saurait passer outre la démocratie sociale. Court-circuiter les corps intermédiaires aboutirait à une décision non concertée, donc non acceptée. Preuve en est la réaction face à la réforme des retraites et l'enlisement que l'on connaît.
C'est pourquoi, reconnaissant les intentions d'apaisement exprimées par les commissaires aux affaires sociales et refusant tout dogmatisme, les membres du RDSE voteront, comme à l'accoutumée, selon leurs convictions. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)