M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, auteur de la question n° 662, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur.
M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la ministre, mon intervention portera sur un drame qui s'est déroulé dans mon département : le 22 juin dernier, une fusillade dans le village de Goult a causé la mort de deux personnes et en a blessé trois autres.
Le couple ciblé par cette attaque à l'arme lourde venait de se marier dans un département voisin et sortait d'une réception qui se tenait dans la salle des fêtes communale, louée pour l'occasion.
Il est apparu par la suite que le marié, qui avait obtenu la location de cette salle municipale, était connu des services de police pour association de malfaiteurs et trafic de stupéfiants, ce qui a orienté l'enquête sur la piste d'un règlement de compte.
Ce drame met une nouvelle fois en évidence le décalage entre le rôle imparti au maire en matière de sécurité publique et le défaut d'information dont il pâtit quant à la dangerosité des personnes les plus susceptibles d'y porter atteinte.
À l'heure où les violences liées au narcobanditisme s'étendent des centres urbains vers les territoires ruraux, permettre un échange d'informations entre les maires et les services du renseignement territorial en amont de l'octroi d'une salle municipale constituerait une solution pour éviter la répétition de tels faits. De nombreux élus nous le demandent.
L'autorisation du partage d'informations à caractère secret, y compris, le cas échéant, celles qui relèvent de l'article 11 du code de procédure pénale, serait également une solution pour faciliter les échanges entre les maires et les services de renseignement. Il va de soi que les maires seraient alors tenus au secret des informations communiquées.
Dans ce contexte, madame la ministre, quelle est la position du Gouvernement sur la possibilité d'un tel partage d'informations ?
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, je tiens tout d'abord à affirmer avec force, au nom du ministre d'État, ministre de l'intérieur, que le drame survenu le 22 juin dernier dans le village de Goult est absolument inacceptable. Le renforcement de la sécurité dans la vie quotidienne des Français constitue l'une des priorités du ministre de l'intérieur, tout comme la lutte contre le narcotrafic, qui est à la source de nombreuses violences.
Vous l'avez rappelé, la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic permet de renforcer nos moyens d'action. Le Sénat n'y est pas tout à fait étranger.
Faire reculer la délinquance n'est pas seulement l'affaire de l'État, mais suppose, comme vous l'avez dit, une dynamique collective, un continuum de sécurité qui commence sur le territoire par l'implication des maires, qui peuvent être des acteurs essentiels de cette lutte contre la violence.
Le cadre juridique actuel, issu de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, prend déjà en compte cette préoccupation.
Il instaure, d'une part, un devoir d'information du maire par les responsables locaux de la police ou de la gendarmerie s'agissant des infractions qui causent un trouble à l'ordre public sur le territoire communal ; il prévoit, d'autre part, la possibilité pour le maire de solliciter le procureur de la République aux fins d'obtenir communication des suites judiciaires apportées.
Par ailleurs, les policiers municipaux disposent depuis plusieurs années d'un accès étendu aux fichiers relevant de l'État, ce qui leur permet de traiter les infractions relatives à la sécurité qu'ils sont habilités à constater.
Pour ce qui concerne le renseignement territorial, ses agents entretiennent, vous le savez, des relations très régulières avec les élus locaux et les maires. Ces échanges s'effectuent toutefois sous la réserve – c'est bien là que le bât blesse – des dispositions légales et réglementaires, au premier rang desquelles figure le secret de l'instruction, principe cardinal de notre procédure pénale.
Votre proposition appelle un travail conjoint du ministère de l'intérieur et du garde des sceaux. Il est en effet essentiel de trouver les voies et moyens qui permettront à la fois de préserver la tranquillité de nos concitoyens et de donner aux élus locaux la capacité d'agir de façon préventive.
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Je remercie tous nos collègues, ainsi que les membres du Gouvernement, qui ont pris part à cette séance.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt,
est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Anne Chain-Larché.)
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
2
Mise au point au sujet d'un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour une mise au point au sujet d'un vote.
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 335 sur l'ensemble du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, mon collègue Sebastien Pla a été enregistré comme votant contre, alors qu'il souhaitait s'abstenir.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin concerné.
3
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l'inscription à l'ordre du jour du mercredi 15 octobre, à seize heures trente, sous réserve de son dépôt, d'une convention internationale France – Finlande et France – Suède en matière fiscale ; d'une convention internationale France – Moldavie relative à l'échange de permis de conduire ; et d'une convention internationale France – Macédoine du Nord dans le domaine de la défense.
Ces deux dernières conventions seraient examinées selon la procédure d'examen simplifié.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions en conséquence fixer le délai limite de demande de retour à la procédure normale pour l'examen de ces deux conventions au lundi 13 octobre à quinze heures.
Pour la convention internationale France – Finlande et France – Suède en matière fiscale, nous pourrions prévoir une discussion générale de quarante-cinq minutes et fixer le délai limite d'inscription des orateurs des groupes au mardi 14 octobre à quinze heures.
Il n'y a pas d'opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
4
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire suisse
Mme la présidente. J'ai le plaisir de saluer la présence, dans la tribune d'honneur, de cinq membres de la Délégation du Parlement suisse pour les relations avec le Parlement français, dont sa présidente, Mme Simone de Montmollin, députée au Conseil national. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, se lèvent et applaudissent longuement.)
La délégation est accompagnée de M. Yachar Nafissi-Azar, ministre conseiller de l'ambassade de Suisse en France ainsi que de nos collègues Loïc Hervé, vice-président du Sénat et du groupe interparlementaire d'amitié France-Suisse, et Sabine Drexler, également vice-présidente du groupe d'amitié. (Applaudissements.)
La délégation vient d'être reçue à l'Assemblée nationale, et les échanges se poursuivront cette après-midi au Sénat avec notre groupe d'amitié.
Nous nous réjouissons de cette nouvelle rencontre des groupes d'amitié entre la Suisse et la France, la première depuis 2021, placée sous le signe de la poursuite du rapprochement entre nos deux pays, après la visite officielle à Paris de la présidente de la Confédération suisse la semaine dernière.
Nous souhaitons rappeler les fructueux échanges de longue date entre nos deux Parlements, dans le cadre des activités des groupes d'amitié et au sein des assemblées interparlementaires.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à la délégation suisse la plus cordiale bienvenue au Sénat de la République française. (Vifs applaudissements.)
5
Programmation et simplification dans le secteur économique de l'énergie
Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, rejetée par l'Assemblée nationale, portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie (proposition n° 775, texte de la commission n° 802, rapport n° 801).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d'adresser un mot de bienvenue à la délégation venue de Suisse. En tant qu'ancien député représentant les Français établis dans ce pays, je suis particulièrement sensible à sa présence.
Il est des lois qui façonnent notre avenir et creusent des sillons durables.
Le texte qui nous réunit aujourd'hui appartient à cette famille décisive. Derrière les chiffres, les objectifs et les articles, nous discutons d'un élément essentiel : la capacité de notre pays à produire son énergie, à maîtriser son destin et à tenir sa place dans le monde. Nous parlons d'un choix de société qui nous engage pour les décennies à venir. Ce texte doit nous permettre d'opérer ce choix lucidement et collectivement.
L'énergie n'est pas un luxe ; elle est la condition pour que nos usines tournent, pour que nos territoires innovent, pour que nos concitoyens vivent, se déplacent et travaillent. Elle constitue aussi un levier stratégique, un socle industriel, un choix d'avenir.
Cette proposition de loi est essentielle, car elle répond aux attentes de ceux qui ont besoin d'une énergie abondante, décarbonée et compétitive : nos industriels, nos chercheurs, nos territoires d'innovation. Elle est tout aussi déterminante pour ceux qui veulent produire ici, en France, et pour tous nos compatriotes qui travaillent dans la filière énergétique française. Nous leur devons une loi solide, lucide, tournée vers les solutions ; une loi qui assume de planifier, de produire et d'investir.
Ce texte doit donner à notre pays une orientation claire en matière d'énergie. Je tiens à rappeler ici les ambitions du Gouvernement. Elles sont simples et tiennent en deux convictions.
La première est l'urgence de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles importées, ce qui signifie produire plus d'électricité. Pour y parvenir, il nous faut dépasser les vieux clivages.
La seconde est que cette énergie compétitive et décarbonée doit constituer un levier au service des Français et de l'industrie. Tel est notre cap, telle est notre cohérence, tel est l'esprit de ce texte, que vous avez su préserver dans vos travaux.
Je tiens à saluer ici le travail du Sénat. Depuis le mois d'octobre, nous avançons ensemble et je mesure l'engagement du sénateur Daniel Gremillet, le sérieux des rapporteurs, MM. Alain Cadec et Patrick Chauvet, et la qualité du travail de la commission des affaires économiques. Je n'oublie pas non plus l'investissement de ma prédécesseure au ministère de l'énergie, Mme Olga Givernet. Vous avez su, ici, dépasser les clivages et préserver l'essentiel.
Ce travail responsable, cette méthode et cette exigence sont absolument indispensables et ont permis des avancées majeures.
Tout d'abord, la relance historique du nucléaire. Le rétablissement de l'article 3 n'est pas un détail. Supprimé en commission à l'Assemblée nationale, il est réintroduit ici par la force de l'évidence. Il s'agit d'une avancée décisive. Pour la première fois, des objectifs clairs et ambitieux sont gravés dans la loi : 27 gigawatts de capacité supplémentaire d'ici à 2050, six réacteurs pressurisés européens de deuxième génération (EPR2) lancés d'ici à 2026, huit EPR2 supplémentaires d'ici à 2030, et la perspective de la fermeture du cycle du combustible.
C'est un choix stratégique, une boussole pour notre politique énergétique, une promesse pour les 200 000 travailleurs du nucléaire et un signal fort pour toute cette filière.
Cette relance n'est pas une ambition théorique, elle est concrète et déjà engagée. Le conseil de politique nucléaire du 17 mars dernier a posé les bases de son financement ; l'État et EDF ont finalisé un projet d'accord, que le conseil d'administration d'EDF a validé à l'unanimité ; le grand chantier de l'EPR2 de Gravelines est lancé. Le message est limpide : nous avançons pour le climat, pour l'industrie et pour la Nation.
Toutefois, le nucléaire ne pourra pas tout, il est essentiel de le comprendre. J'en viens donc au deuxième pilier de notre stratégie, laquelle vise un mix énergétique équilibré afin de garantir notre souveraineté, notre décarbonation et notre compétitivité.
Une fois encore, un constat s'impose : notre dépendance aux énergies fossiles nous coûte cher. Sur le plan économique, d'abord : 70 milliards d'euros pèsent chaque année sur notre balance commerciale, et bien davantage en cas de crise.
Elle nous coûte cher, ensuite, sur les plans politique et diplomatique, car ces énergies fossiles nous rendent dépendants de pays étrangers, vulnérables au chantage, aux rétorsions et aux conséquences de conflits qui, parfois, nous dépassent. Nous ne voulons plus subir ces dépendances ; nous voulons agir. Pour cela, il n'y a pas de raccourci : moins d'énergies fossiles, plus d'électricité, plus vite !
Cela nécessite un mix énergétique équilibré, qui combine puissance du nucléaire et potentiel des énergies renouvelables. Ce sont ces énergies propres et complémentaires qui nous rendront autonomes. Là résidera notre force.
Cette force, vous l'avez consolidée dans ce texte, avec l'article 5. Je me réjouis de la convergence de la commission avec la trajectoire défendue par le Gouvernement : 200 térawattheures (TWh) d'électricité renouvelable d'ici à 2030, 360 TWh de nucléaire, 297 TWh de chaleur et 44 TWh de gaz renouvelable injecté, soit un mix équilibré, cohérent et responsable.
Ce point est essentiel, car, comme chacun ici le sait, le débat s'est enflammé ces dernières semaines sur la question des énergies renouvelables. L'idée d'un moratoire sur les projets solaires et éoliens a agité les esprits avant d'être rejetée par l'Assemblée nationale. Cette proposition a inquiété les territoires et menacé des milliers d'emplois.
Malheureusement, ces crispations n'ont pas disparu avec le rejet du texte par l'Assemblée nationale ; elles ressurgissent aujourd'hui dans une tribune récente, dont je déplore ici, à de nombreux égards, les constats comme les recommandations.
Je tiens à poser les bases d'un débat documenté. En premier lieu, nul ne saurait ignorer la réalité économique. Défendre le pouvoir d'achat et la compétitivité, c'est regarder les chiffres en face et dire la vérité : certaines énergies renouvelables sont aujourd'hui très compétitives.
Je songe, par exemple, à Horizéo, ce projet photovoltaïque de grande ampleur que nous soutenons et que nous nous employons à concrétiser. Sans aucune subvention publique, cette centrale produira une énergie compétitive à 70 euros le mégawattheure et s'approvisionnera en panneaux photovoltaïques auprès d'usines françaises. Il ne s'agit pas d'un cas isolé : de nombreux autres projets atteindront la maturité économique si nous levons les freins et si nous fixons un cap clair et, surtout, stable.
Nul ne saurait ignorer les limites qui pèsent sur la production d'énergie nucléaire, c'est le point le plus important. Le nucléaire est une force, un pilier. En tant que ministre, je n'ai eu de cesse de le défendre, notamment en Europe, pour faire évoluer la doctrine relative à son financement, mais ce pilier ne peut être le seul.
Se pose d'abord la question de l'eau, dont dépend directement le fonctionnement des centrales. Il existe une température maximale à laquelle l'eau de refroidissement doit être restituée aux rivières ou aux fleuves. Or, en période de forte chaleur, la température des cours d'eau augmente rapidement. Lors des vagues de chaleur, dont nous savons tous qu'elles pourraient devenir plus fréquentes, les centrales doivent donc réduire leur production. C'est précisément ce qui s'est produit à Golfech et au Bugey la semaine dernière.
La canicule de ces derniers jours a emporté une double conséquence sur notre système électrique : d'une part, une baisse de la production nucléaire ; d'autre part, un bond de 13 % de la consommation électrique, avec des pics enregistrés entre dix heures et dix-huit heures. Cela signifie qu'en période de forte chaleur, le tout nucléaire ne suffit pas.
De la même manière, l'hydroélectricité, qui est un socle essentiel de notre politique énergétique, présente des limites en cas de forte chaleur ou de sécheresse. C'est la raison pour laquelle les énergies renouvelables viennent compléter – non pas dupliquer, mais bien compléter – une production nucléaire et hydroélectrique.
Évidemment, ces énergies ont également leurs contraintes, leurs limites : elles sont prévisibles, elles peuvent être écrêtées, mais elles ne peuvent être déclenchées sur demande. Elles nécessitent des adaptations quant aux signaux tarifaires ou à la manière d'utiliser les flexibilités du réseau. Cela signifie que le tout-renouvelable ne suffit pas non plus.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais l'importance des convictions politiques. Je respecte le débat d'idées, j'y suis profondément attaché. Mais, en l'espèce, nous parlons d'avenir. Je veux le dire avec gravité : la guerre fratricide du nucléaire et des renouvelables n'a que trop duré. Nous devons regarder en face le vrai combat, et ce combat, c'est la sortie des énergies fossiles.
Dans la perspective du débat qui s'ouvre maintenant sur le texte que vous avez construit, je le dis en toute transparence : la responsabilité dont le Sénat a fait preuve jusqu'à présent me rassure. Elle me conforte dans la conviction que nous avançons ensemble.
Dans cet esprit, le Gouvernement vous soumettra encore quelques amendements. Sur l'article 5, particulièrement, nous veillerons à mieux intégrer le froid renouvelable dans nos objectifs de développement des énergies décarbonées. Rafraîchir les bâtiments est devenu un enjeu concret, immédiat. En ce domaine, nous ne pouvons plus nous permettre de restreindre le champ des solutions.
Au-delà de ce texte, je veux rappeler une ambition claire du Gouvernement, annoncée par le Premier ministre au mois de mai : il s'agit de publier la programmation pluriannuelle de l'énergie avant la fin de l'été.
C'est indispensable : indispensable pour donner de la visibilité aux porteurs de projets ; indispensable pour lancer les appels d'offres relatifs à l'éolien en mer et aux investissements portuaires qui y sont associés ; indispensable pour que nos industriels investissent, pour que nos territoires planifient, pour que nos jeunes se projettent. Sans cette visibilité, il n'y a pas de confiance ; sans confiance, il n'y a pas d'investissements. Et sans investissements, il n'y a ni réindustrialisation ni souveraineté énergétique.
Cette boussole est attendue avec impatience. Depuis le parc de Yeu-Noirmoutier, où j'étais il y a quelques jours, les acteurs de l'éolien en mer nous regardent. Depuis Le Creusot, où j'étais il y a quelques mois, les jeunes qui se forment aux métiers du nucléaire nous observent. Dans chaque territoire, les élus, les industriels, les salariés nous le rappellent : ils attendent de la clarté.
La programmation pluriannuelle de l'énergie leur apportera cette clarté, cette stabilité, cette visibilité. Notre pays a en effet besoin d'une feuille de route énergétique claire pour sortir des énergies fossiles, pour produire plus, pour produire mieux.
J'ajoute un point important pour le ministre de l'industrie que je suis : s'il y a urgence à nous donner un cap, c'est aussi d'un point de vue industriel. Des usines, en France, dépendent de ces énergies. Pour ce qui est du nucléaire, le grand carénage et le nouveau nucléaire vont nécessiter près de 100 000 recrutements dans les années à venir. Pour ce qui est des énergies renouvelables, nous orientons les appels d'offres, grâce aux critères de résilience, pour faire émerger des chaînes industrielles en France. C'est déjà le cas pour l'éolien en mer ; les projets sont en route concernant le photovoltaïque. Le signal de la programmation pluriannuelle de l'énergie est puissant pour pérenniser ces emplois, qui ont des effets d'entraînement positifs sur tous les territoires.
Cette programmation sera aménagée par rapport à celle qui a été mise en consultation au mois de mars 2025, afin de tenir compte des débats et des votes parlementaires. Le Gouvernement a entendu l'ambition collective qui s'est exprimée, celle de tirer le meilleur parti du nucléaire – je la partage. La cible de production pourra ainsi être rehaussée.
En cohérence avec cette orientation, la cible de puissance pour les énergies renouvelables, tant éoliennes que photovoltaïques, sera adaptée, mais – je le redis – sans renier la complémentarité entre nucléaire et renouvelable, en cherchant le bon équilibre pour notre énergie et pour nos industries.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est essentiel. Il doit tracer une voie, il doit fixer un cap, il doit donner un signal aux industriels, aux investisseurs, aux travailleurs et aux citoyens : un signal de cohérence, de lucidité et d'ambition. Je sais pouvoir compter sur vous, sur votre esprit de responsabilité, pour leur fournir les solutions qu'ils attendent, les solutions dont ils ont besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Alain Cadec, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, mon collègue Patrick Chauvet et moi-même avons été désignés rapporteurs sur cette proposition de loi, et je suis chargé du titre Ier, relatif à l'actualisation de la programmation énergétique nationale.
En première lecture, et avant de rejeter le texte, l'Assemblée nationale avait apporté de nombreuses modifications à ce volet programmatique. Ainsi, l'on dénombrait neuf articles supprimés, neuf modifiés et quinze ajoutés. Nous constatons que le contenu des articles adoptés en séance publique à l'Assemblée nationale était ambivalent : des modifications souvent intéressantes des articles initiaux de la proposition de loi côtoyaient une multitude d'ajouts inopportuns, dont nous ne voulions pas.
Ainsi, nous nous rallions à la réécriture par l'Assemblée nationale de l'article 3 relatif à nos objectifs en matière d'énergie nucléaire – vous l'avez évoqué, monsieur le ministre. En effet, cette rédaction conserve l'objectif sénatorial de construction de 27 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires installées d'ici à 2050, la réalisation de six EPR2 devant être engagée d'ici à 2026 et celle de huit autres d'ici à 2030. Voilà qui garantira un mix électrique aux deux tiers nucléaire en 2030, et majoritairement nucléaire en 2050 – je sais que c'est pour nombre d'entre vous, mes chers collègues, un point essentiel.
Nous acceptons également la réécriture par l'Assemblée nationale de l'article 5 sur nos objectifs en matière d'énergie renouvelable. En particulier, les objectifs sénatoriaux d'au moins 560 térawattheures d'électricité décarbonée, 297 térawattheures de chaleur renouvelable et 44 térawattheures de biogaz injecté d'ici à 2030 sont maintenus. Je rappelle que ces objectifs ont déjà été adoptés par le Sénat au mois d'octobre 2024.
En revanche, nous regrettons que l'Assemblée nationale ait érodé l'ambition proposée par le Sénat sur trois points.
D'une part, l'Assemblée nationale avait réduit à 4,5 gigawatts d'ici à 2030 l'objectif en matière de production d'hydrogène prévu à l'article 4.
D'autre part, elle avait abaissé à 330 000 logements par an l'objectif en matière de rénovation énergétique mentionné à l'article 9.
Enfin, l'Assemblée nationale avait supprimé tout objectif d'efficacité énergétique, quand le texte initial prévoyait, au même article, une cible fixée, via les certificats d'économies d'énergie, entre 1 250 et 2 500 térawattheures par an.
De surcroît, nous déplorons l'ajout par l'Assemblée nationale d'une multitude d'objectifs inapplicables : la sortie du marché européen de l'énergie, avec un changement de statut et une position monopolistique pour le groupe EDF, de même qu'une extension des tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE) et un rétablissement des tarifs réglementés de vente du gaz (TRVG) ; l'obligation de réouverture de la centrale nucléaire de Fessenheim ou des centrales à charbon ; l'introduction d'un moratoire – vous l'avez évoqué, monsieur le ministre – sur les projets éoliens et solaires.
En définitive, parce qu'il est urgent de légiférer pour notre programmation énergétique, notre commission a opté pour une position responsable, celle qui donne à notre pays le plus de chances de disposer d'une programmation énergétique actualisée.
Nous avons repris plusieurs apports utiles issus des travaux de l'Assemblée nationale. Sept amendements ont été adoptés en ce sens. Nous avons intégré les objectifs de production d'énergie nucléaire et d'énergie renouvelable adoptés en séance publique aux articles 3 et 5, qui maintiennent l'ambition sénatoriale initiale.
Sur l'initiative de nos collègues Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et Didier Mandelli, un sous-amendement a été adopté pour mieux encadrer le développement des projets éoliens, en privilégiant notamment le renouvellement des installations existantes sur la création de nouvelles, ce qui permet de répondre aux inquiétudes des élus locaux.
De plus, nous avons inclus dans le texte les objectifs de stabilité des prix ainsi que de flexibilité et d'effacement, adoptés en séance publique aux articles 1er et 4, qui suppriment des redondances. Il en va de même des objectifs de rénovation et d'efficacité énergétiques et de sortie des centrales à charbon, proposés en commission aux articles 8 et 9, qui apportent de la souplesse.
Enfin, nous avons repris l'objectif de décarbonation des outre-mer, adopté en commission et en séance publique à l'article 10, qui répond aux spécificités de ces territoires.
À l'inverse, nous n'avons pas donné suite aux propositions problématiques de l'Assemblée nationale, qui auraient été contraires au cadre juridique comme à la réalité économique.
Le droit de l'Union européenne n'autorise pas les évolutions proposées à l'Assemblée nationale sur le statut du groupe EDF, l'extension des TRVE ou la réintroduction des TRVG. En outre, le législateur n'a pas à s'immiscer, à la place de l'exploitant, dans la gestion des projets de production énergétique, en imposant des réouvertures de centrales nucléaires ou de centrales à charbon ou en interdisant les projets éoliens ou solaires.
Cette proposition de loi n'épuise pas les autres chantiers du secteur de l'énergie. Il faudra bien sûr – c'est important – évaluer le coût du financement des projets d'énergie renouvelable comme des projets d'énergie nucléaire, afin de faire évoluer certains dispositifs de soutien public, dans un légitime souci de maîtrise des coûts. Ce débat relève de la prochaine loi de finances et non de cette proposition de loi.
Au nom de notre commission, je vous invite à adopter la proposition de loi ainsi amendée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'a indiqué mon collègue Alain Cadec, nous avons tous deux été désignés rapporteurs sur ce texte, et j'ai été chargé du titre II relatif à la simplification des normes et à la protection des consommateurs.
En première lecture et avant de rejeter le texte, l'Assemblée nationale avait recentré la proposition de loi sur son volet programmatique, afin d'en faciliter l'examen face au volume d'amendements déposés.
Si cette intention était audible, nos collègues députés avaient tout de même eu la main lourde, supprimant vingt-trois articles. Les dispositions relatives à la simplification des normes, celles qui ont trait à la protection des consommateurs et les demandes de rapport d'évaluation avaient ainsi été retirées…
Cependant, ces suppressions d'articles avaient été réalisées à géométrie variable.
D'une part, le Gouvernement lui-même avait fait adopter un article 16 ter modifiant les modalités de gestion des déchets radioactifs et des combustibles usés par leurs producteurs et leurs détenteurs, ainsi que par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).
D'autre part, le rapporteur Antoine Armand lui-même avait fait adopter un article 25 F prévoyant la remise par le Gouvernement au Parlement d'un rapport sur l'application des objectifs prévus par la présente proposition de loi de programmation énergétique et par le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie. L'Assemblée nationale avait donc dû considérer que ce type de dispositions de simplification ou d'évaluation n'était somme toute pas si inutile.
Les articles non programmatiques de la proposition de loi n'ont en effet rien d'accessoire. Ils sont issus des travaux de suivi de l'application des lois de la commission des affaires économiques pour l'année 2023-2024. Daniel Gremillet, pour la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, dite loi Nouveau nucléaire, et moi-même, pour la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dite loi Aper, avions identifié des mesures à ajuster ou à compléter dans ce cadre.
En première lecture au Sénat, les filières du nucléaire, des renouvelables et de l'hydrogène ont plébiscité les mesures de simplification qui les concernent. La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) a soutenu les dispositions prévues pour les collectivités territoriales. Quant à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et au Médiateur national de l'énergie, ils ont accueilli très positivement les mesures de régulation et de protection proposées, tout en suggérant des compléments.
Dans ce contexte, en deuxième lecture, nous avons pris acte d'un nécessaire recentrage du texte sur le volet programmatique, afin de faciliter son examen en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. C'est pourquoi nous avons proposé de supprimer une partie – consacrée à la simplification des normes – du titre II de la proposition de loi. Douze amendements ont été adoptés en ce sens. Nous serons particulièrement attentifs à ce que les articles ainsi supprimés prospèrent dans d'autres véhicules législatifs.
En revanche, les articles les plus importants ont été maintenus. Je pense aux articles 14 à 16 bis, sur la simplification des projets nucléaires. Je pense aussi aux articles 23 et 24 sur la protection des consommateurs. Un amendement a même été adopté, à la demande de la CRE, pour actualiser l'article 24 afin de tenir compte des concertations conduites, depuis l'examen du texte au Sénat en première lecture, sur différents aspects : prix repère de vente de gaz naturel, encadrement des offres dont le prix n'est pas connu à l'avance, sanctions encourues en l'absence de respect des obligations prudentielles.
Enfin, nous avons reconduit les demandes de rapport d'information introduites au Sénat en première lecture. Elles concernent l'application de la stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC) ; le contenu des mesures financières et non financières prises pour la conversion des centrales de production d'électricité à partir du charbon vers des combustibles décarbonés ; le fonctionnement des parcs éoliens en mer.
Mes chers collègues, le texte qui nous est soumis n'est pas anodin. Contrairement à ce que j'ai pu entendre, et du fait des décisions qu'il implique, notamment la relance du nucléaire, il fixe un cap qui va bien au-delà des cinq prochaines années. Il s'agit d'un texte structurant pour notre pays dans la perspective des prochaines décennies, que je vous invite donc à examiner par-delà l'écume de l'actualité. En effet, aujourd'hui, nos concitoyens regardent le Sénat et attendent qu'il soit un pôle de constance et de stabilité. Ils attendent de notre expérience la capacité à tenir la barre par temps agité et à trouver des équilibres et des compromis qui dessinent un futur pour notre pays.
Soyons à la hauteur de cet enjeu. Soyons fidèles au choix que nous avons exprimé au mois d'octobre 2024 par un très large vote.
Au nom de notre commission, je vous invite à adopter la proposition de loi ainsi amendée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)