Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Jadot, Mme Guhl, MM. Salmon, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, d'une motion n° 40.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie (n° 802, 2024-2025).
La parole est à M. Yannick Jadot, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Gisèle Jourda et M. Fabien Gay applaudissent également.)
M. Yannick Jadot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment avons-nous pu en arriver là ? Comment une proposition de loi qui ne visait qu'à rappeler le Gouvernement à ses responsabilités – nous vous en remercions, cher collègue Gremillet (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.) – via un exercice de promotion du nucléaire peut-elle devenir la loi ?
La loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat est sans ambiguïté : elle a prévu qu'une loi de programmation détermine, avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, les grands objectifs énergétiques du pays. Or, depuis 2022, tous les gouvernements ont failli à présenter un tel projet de loi.
Une loi de programmation Énergie-Climat est nécessaire, mais elle ne saurait être débattue dans ces conditions, à savoir sans étude d'impact – un groupe parlementaire n'a pas la capacité de conduire une telle étude –, sans avis du Conseil d'État, sans consultation publique et, surtout, sans trajectoire financière.
De quoi parlons-nous ici et sur quoi engageons-nous le pays ?
Il s'agit d'adapter notre système énergétique au plus grand défi du siècle, celui du dérèglement climatique – et ça cogne dur en ce moment !
Il s'agit de tirer les leçons de la guerre en Ukraine, de nos dépendances aux énergies fossiles, de nos complaisances à l'égard de régimes totalitaires.
Il s'agit d'engager des centaines de milliards d'euros pour bâtir les infrastructures énergétiques qui dessineront pour des décennies nos modes de production, de consommation et de transport.
Quels seront les impacts de cette loi sur le prix de l'électricité payé par les Français ? sur le montant nécessaire d'investissement public ? sur notre trajectoire climatique ? sur l'équilibre entre offre et demande d'électricité pour les dix ans à venir ? sur notre souveraineté ? On n'en sait rien : zéro, nada, walou ! C'est irresponsable. Telle est la raison de notre motion tendant à opposer la question préalable.
Monsieur le ministre, vous avez fait une mise au point importante sur les énergies renouvelables, eu égard aux prises de position de votre collègue Bruno Retailleau – je vous en remercie. Mais la représentation nationale ne comprend plus la parole gouvernementale. Un flou complet régnait déjà, du côté du Gouvernement, lors de l'examen en première lecture de la proposition de loi Gremillet. Lors du débat récemment organisé en application de l'article 50-1 de la Constitution sur la souveraineté énergétique de la France, vous avez déclaré que le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie serait publié au début de l'été. Lors des questions d'actualité au Gouvernement qui ont eu lieu le 25 juin, vous nous avez expliqué que le décret serait publié une fois l'examen de la présente proposition de loi complètement achevé. Désormais, vous nous expliquez que ce sera chose faite avant la fin de l'été…
Monsieur le ministre, nous assistons sidérés à la démission de fait du Gouvernement sur un enjeu essentiel pour notre pays.
Depuis des mois, les acteurs des énergies renouvelables tremblent devant tant d'indécision et d'incertitude. On est bien loin des plans de soutien au solaire et à l'éolien qui devaient participer à la réindustrialisation du pays et à notre souveraineté énergétique. On est bien loin également de nos obligations européennes : la France atteint à peine l'objectif fixé pour 2020.
Nos entreprises sont plus proches du dépôt de bilan que du développement. Des dizaines de milliers d'emplois sont directement menacés dans un secteur où se déploie partout le génie de l'innovation, un secteur où s'échafaudent la résilience et la souveraineté des économies de demain.
Cette proposition de loi prolonge l'incompréhensible défiance qui prévaut à l'égard des énergies renouvelables, filières pourtant présentes sur tout le territoire. Elle prévoit de remplacer l'objectif calculé en part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique et dans la production d'électricité par un objectif de 58 % d'énergie décarbonée – soit 33 % d'énergie renouvelable – dans la consommation finale brute d'énergie en 2030. Nous proposons de revenir à l'objectif de 44 % d'énergie renouvelable dans la consommation finale brute d'énergie et de 45 % dans la production d'électricité en 2040. Il y va de notre responsabilité – une responsabilité européenne.
Vous voulez sortir la France du monde et des réalités économiques. Le reste du monde, en effet, ne pense pas comme vous. Surtout, il agit et prend de l'avance : les renouvelables représentent 93 % – 93 % ! – des nouvelles capacités de production d'énergie installées dans le monde en 2024, année au cours de laquelle la capacité mondiale de production d'énergie renouvelable a crû de 15 %. On dénombre d'ores et déjà dans ce secteur 16 millions d'emplois, dont 7 millions dans le solaire. Du reste, les filières des énergies renouvelables résistent en France – mais pour combien de temps encore ? –, soutenues par l'opinion publique : la production y a augmenté de près de 10 % l'année dernière et de 58 % depuis 2016.
Chers parlementaires de droite (« Et du centre ! » au banc des commissions.), votre esprit est au moratoire. En vous écoutant, en vous lisant, les acteurs des filières renouvelables ne tremblent pas, ils sont pétrifiés : pétrifiés par les mensonges grossiers du Rassemblement national, que certains reprennent cyniquement, pétrifiés par un discours anti-économique teinté d'antiscience, parfois climatosceptique. (M. Laurent Duplomb ironise.) On a droit à cinquante nuances de climatoscepticisme : il y a les tenants d'un moratoire « allégé » et ceux qui plaident pour un moratoire définitif et complet ! Mes chers collègues, vos derniers alliés « anti-renouvelables » ne sont autres que Trump, Orban, Meloni, Poutine ! (Mme Monique de Marco applaudit. – M. Damien Michallet s'esclaffe.) Est-ce vraiment là le camp du progrès auquel vous voulez appartenir ?
M. Stéphane Piednoir. La nuance incarnée !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Tout dans la mesure !
M. Yannick Jadot. Vous renouez avec une funeste tradition : en décembre 2010, François Fillon, alors Premier ministre, avait décrété un moratoire sur le photovoltaïque.
M. Michel Savin. Excellent !
M. Yannick Jadot. À la clef, 15 000 emplois détruits, des centaines d'entreprises fermées, tout cela pour finir payé par les pétrogaziers russes : une sacrée conception de la souveraineté énergétique et du progrès ! Rassurons l'ancien Premier ministre : notre facture énergétique liée aux importations d'énergies fossiles continue de dépasser les 65 milliards d'euros par an.
Mes chers collègues, il nous faut agir vite pour le climat et, à cet impératif, la présente proposition de loi ne répond pas. La France sort de l'accord de Paris par la petite porte. En 2024, nos émissions de gaz à effet de serre n'ont baissé que de 1,8 % ; il en faudrait au moins le double pour atteindre l'objectif commun de 55 % de baisse d'ici à 2030. Encore l'année 2024 n'est-elle rien par rapport à 2025 : le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) estime que la baisse de nos émissions ne sera cette année que de 0,8 %.
Cet effondrement devrait malheureusement tourner à la débâcle, étant donné les coupes budgétaires massives dans les secteurs les plus émetteurs, comme ceux du transport et du logement.
Il y a urgence à agir pour électrifier nos usages et bâtir une industrie énergétique souveraine.
M. Alain Cadec, rapporteur. Tout à fait d'accord !
M. Yannick Jadot. Or cette proposition de loi nous fait perdre dix ans en faisant du nouveau nucléaire le seul pilier de votre projet. Vous voulez construire quatorze EPR2, installations dont, reconnaissons-le, le design n'est pas totalement bouclé et qui seront opérationnelles, au mieux, à partir de 2040.
D'ici là, que fait-on ? On attend ? On persiste à sacrifier la rénovation thermique des logements, l'électromobilité, les énergies renouvelables ?
Facture annoncée des six premiers EPR2 : 51 milliards d'euros, chiffre de 2020, réévalué, en euros constants, à 67 milliards l'année dernière. La Cour des comptes nous dit désormais qu'il y en aura au moins pour 100 milliards d'euros, soit 16 milliards d'euros l'unité, pour une électricité à 130 euros le mégawattheure. C'est trop tard et c'est trop cher !
Comment, de surcroît, ne pas tirer les leçons de la première génération d'EPR ? S'il y a bien une énergie intermittente, notamment à Flamanville, c'est le nouvel EPR. Celui-là, il tourne, il fuit, il tourne, il fuit !… (Rires sur les travées du groupe GEST.) Les surcoûts sont connus : la facture de l'EPR de Flamanville est passée de 3 milliards à 23 milliards d'euros, la mise en service se faisant avec une décennie de retard. Sans surprise, la Cour des comptes, qui, tout compte fait, trouverait matière à soutenir cette motion de rejet, recommande de « retenir la décision finale d'investissement du programme EPR2 jusqu'à la sécurisation de son financement et l'avancement des études de conception détaillée ».
À ce stade, et à moins de mettre à contribution les Français par le biais de leurs impôts ou de leur facture d'électricité, ce programme n'est certainement pas finançable par EDF non plus qu'il n'est rentable.
Mes chers collègues, l'urgence climatique et la raison économique exigent de rééquilibrer notre mix énergétique par des politiques puissantes de sobriété et d'efficacité énergétiques, d'une part, et de déploiement massif des énergies renouvelables, d'autre part. Telle est la ligne que nous défendrons dans le débat à venir.
Par respect pour le travail parlementaire et pour l'intelligence collective qui devrait naître entre nous autour d'enjeux aussi lourds et vitaux pour notre pays, je vous invite à voter cette motion de rejet. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Fabien Gay applaudit également.)
M. Alain Cadec, rapporteur. La question préalable soulevée à l'encontre de la proposition de loi est à la fois caricaturale et incompréhensible.
M. Vincent Louault. Bravo !
M. Alain Cadec, rapporteur. Légiférer sur notre programmation énergétique est une nécessité institutionnelle. En effet, le Parlement a adopté le principe d'une loi quinquennale sur l'énergie, à l'article 2 de la loi Énergie-Climat du 8 novembre 2019. Lors des débats sur l'énergie respectivement organisés le 28 avril dernier à l'Assemblée nationale et le 6 mai dernier au Sénat, la quasi-totalité des parlementaires ont demandé, à raison, que le Gouvernement ne prenne pas le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie sans débat législatif préalable.
Légiférer est une obligation légale, car l'article L. 100-1 A du code de l'énergie dispose qu'une loi de programmation est prise tous les cinq ans et qu'elle prévaut sur le décret relatif à la PPE.
Légiférer est aussi une nécessité économique, car la filière nucléaire a besoin d'une assise législative et d'une légitimité politique pour mettre sa relance à l'abri des contentieux et des soubresauts.
L'avis de la commission est bien évidemment défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Marc Ferracci, ministre. Sans surprise, l'avis du Gouvernement est également défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
Je me joins aux propos du rapporteur, en insistant sur les dispositions qui sont déjà inscrites dans le droit en vigueur.
Je l'ai dit dans mon propos liminaire : nous avons besoin d'une assise pour donner de la visibilité aux industriels.
Les débats qui ont d'ores et déjà eu lieu sur cette question, qu'il s'agisse des débats organisés en application de l'article 50-1 de la Constitution ou de ceux auxquels a donné lieu la première lecture du texte à l'Assemblée nationale, dont, certes, on connaît l'issue, ont éclairé l'opinion publique et nos concitoyens sur les enjeux de notre politique énergétique.
Il est donc nécessaire de prolonger le débat. J'attends beaucoup des échanges que nous allons avoir pour éclairer encore davantage ces enjeux absolument essentiels.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 40, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, vous avez dit au début de votre déclaration liminaire que cette proposition de loi, qui a trait à la question énergétique, devait tracer un sillon, un chemin, y compris pour les décennies à venir. Je partage cette orientation.
Le problème, c'est que nous sommes dans une impasse. Et je tiens à cet égard, sans polémique, à m'expliquer à nouveau devant vous, mes chers collègues, car il ne s'agit pas seulement d'une question de forme : la question est démocratique.
Voilà quatre ans, gouvernement après gouvernement, que l'on nous promet cette fameuse PPE. Tous les meilleurs arguments ont été avancés : la crise du covid, la crise énergétique, l'absence de majorité à l'Assemblée nationale… Bref, tout y est passé.
Notre collègue Daniel Gremillet, à juste raison – je le redis –, a posé sur la table un travail sérieux. Il y a entre nous beaucoup de points d'accord et aussi, évidemment, des points de débat, ce qui est tout naturel. Il a pris l'initiative, afin de forcer la main du Gouvernement. Très bien !
Nous avons ensuite eu l'occasion d'échanger assez sérieusement en première lecture.
Entre-temps, la donne politique a changé : la droite sénatoriale, qui se trouvait alors dans l'opposition, a rejoint la minorité présidentielle, formant ainsi une coalition. Très bien, c'est son droit.
Le texte est ensuite arrivé à l'Assemblée nationale, où la droite s'est entendue avec le Rassemblement national pour détricoter le travail mené par la majorité sénatoriale de droite, au point que plus personne ne reconnaissait ses petits !
On nous propose désormais la réouverture de Fessenheim. Nous étions opposés à sa fermeture, mais, pour avoir échangé avec certains salariés, même eux reconnaissent que personne ne sait concrètement comment une telle réouverture pourrait être mise en œuvre. Bref, des décisions ahurissantes ont été votées.
La question est celle du moratoire sur les énergies renouvelables. Vous avez raison de dire que ce n'est pas tenable. D'ailleurs, nous avons tous reçu de nombreux mails de personnes concernées, directement ou indirectement, par ces filières. Or, cette semaine, j'ai lu dans Le Figaro – excellent journal – que le chef de la majorité de la droite, M. Bruno Retailleau, se prononce en faveur d'un moratoire. (On le conteste vivement sur les travées du groupe Les Républicains.) Si, mes chers collègues, il l'affirme dans une tribune avec M. Bellamy ! Il faut tout de même reconnaître là une forme d'incohérence majeure.
Au milieu de cette confusion, nous ne cessons d'interroger le ministre. Mais tout cela est vain, puisqu'il ne nous apporte pas – je suis désolé de le dire – de réponses suffisamment sérieuses. Prenons l'exemple de la relance du nucléaire : nous y sommes favorables. Toutefois, en l'absence d'étude d'impact et sans aucun éclairage sur le financement, il manque aujourd'hui 20 milliards d'euros pour concrétiser cette relance. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous poser encore la question : comment allons-nous financer le nouveau nucléaire ? Toujours aucune réponse.
D'ici à la fin de l'année, nous sortirons du dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) tant décrié et que j'ai eu l'occasion de critiquer à maintes reprises. De quelle manière allons-nous procéder ? Nul ne sait comment fonctionnera le nouveau système…
L'une des grandes questions porte également sur le tarif réglementé, qui devra nécessairement évoluer puisque nous quitterons le cadre de l'Arenh. Je vous interroge de nouveau : 21 millions de ménages sont aujourd'hui au tarif réglementé et nous ne savons toujours pas comment sera calculé le tarif de l'électricité au 1er janvier prochain…
J'en profite pour poser une question simple. Mon groupe s'oppose à l'augmentation du taux de la TVA appliquée à l'abonnement, qui passerait de 5,5 % à 20 %. Cette mesure a été votée dans le dernier projet de loi de finances. Résultat : à compter du 1er août, la facture d'électricité de 20 millions de ménages français va augmenter. Quand pourrons-nous débattre de ce sujet ? Quand aurons-nous un texte ?
Lorsqu'une affaire est aussi mal engagée, il faut arrêter. Nous ne demandons ni un énième débat, ni une consultation, ni même un débat au titre de l'article 50-1 de la Constitution : nous appelons le Gouvernement à prendre ses responsabilités en présentant un projet de loi de programmation pluriannuelle de l'énergie afin que nous puissions avoir un véritable débat démocratique.
Chacun fera alors valoir ses arguments. Vous connaissez les nôtres sur l'exigence d'un service public de l'énergie. Nous pourrons être battus, mais au moins que cela se fasse dans un cadre véritablement démocratique. Nous ne pouvons régler de cette façon une question aussi essentielle pour l'avenir de notre pays ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'énergie est un bien commun, elle est au cœur de notre souveraineté. Sur une question éminemment complexe, qui engage le pays pour le siècle à venir, il est pour le moins inquiétant qu'un gouvernement passe par une proposition de loi.
En premier lieu, nous regrettons les conditions de débat et le flou complet qui entoure cette proposition de loi.
Si nous divergeons largement sur la méthode et le fond, j'y reviendrai, nous partageons un constat : il est nécessaire de fixer une trajectoire claire, notamment pour les acteurs économiques et les filières industrielles, menacées par le retard de la publication d'une troisième programmation pluriannuelle de l'énergie. Je pense, en particulier, à la filière de l'éolien en mer. Pour la droite, qui affirme soutenir le monde de l'entreprise, il s'agit là d'un véritable sujet.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s'oppose fermement à l'objectif central, dépourvu de cohérence, qui acte une relance à l'aveugle du nucléaire, sans aucune étude d'impact ni avis du Conseil d'État.
Cette proposition de loi ne contient pas non plus de plan de financement, alors que la décision de construire d'ores et déjà six nouveaux EPR est un choix a minima à 80 milliards d'euros, selon la Cour des comptes. C'est un montant colossal pour une technologie qui n'a toujours pas fait la preuve de sa robustesse, loin de là.
Par ailleurs, vous devez bien admettre, malgré votre foi inébranlable dans l'atome, que le premier EPR2 ne délivrera pas ses premiers mégawattheures avant 2040, même en brûlant quelques cierges. Ce sera beaucoup trop tard pour répondre à la hausse significative de la demande en électricité attendue pour 2030-2035.
Quant au prix du mégawattheure, il n'est pas un facteur discriminant comme l'a indiqué à de nombreuses reprises Réseau de transport d'électricité (RTE) en prenant en compte l'ensemble du système énergétique. Nous sommes bien ici devant un véritable choix de société.
Le vôtre est clair : on abandonne les ambitions de souveraineté, de sobriété et d'efficacité ; on mise tout sur le nucléaire et les énergies renouvelables (EnR) sont cantonnées au rang de supplétif.
En attendant, vous maintenez de fait la France dans une dépendance suicidaire aux énergies fossiles et à l'uranium pour les décennies à venir.
Vous actez également un vrai recul de l'ambition climatique en renonçant à ce que la France s'aligne sur les objectifs européens que nous avons-nous même initiés : quelle crédibilité internationale notre pays aura-t-il en tournant ainsi le dos à l'accord de Paris ?
L'énergie la moins chère et la plus propre étant encore et toujours celle que l'on ne consomme pas, nous déplorons également l'abandon de tout objectif chiffré de rénovation globale de logements.
Désormais, le Sénat reprend à son compte l'abandon pur et simple décidé par le Gouvernement des rénovations globales. C'est un signal catastrophique adressé à toute une filière industrielle qui s'arrache les cheveux devant les renoncements incessants des pouvoirs publics. C'est un signal désastreux pour tous les Français dont le logement est doublement invivable, l'hiver à cause du froid et l'été à cause de la canicule.
Cette politique de rénovation, juste, vertueuse et souveraine devrait pourtant faire l'unanimité entre nous sur toutes les travées.
En définitive, cette proposition de loi est celle du déni et de la foi : déni de la gravité du changement climatique et de la responsabilité historique de la France ; déni quant aux réels bénéfices des EnR ; foi aveugle dans le technosolutionnisme atomique qui ne fait que retarder l'action de notre pays pour engager enfin une vraie transition énergétique. On entretient même le mirage que les agrocarburants pourraient décarboner de manière significative le secteur aérien.
Il y a urgence à faire tout autrement, urgence à prendre le chemin de l'intérêt général, de la bifurcation énergétique, de la reconquête de la maîtrise publique de l'énergie.
Pour construire cette stratégie crédible, ambitieuse et réaliste, la seule trajectoire possible pour les vingt prochaines années est la maîtrise structurelle de la consommation d'énergie, la flexibilité de la demande, l'efficacité énergétique dans tous les secteurs et le développement massif des énergies renouvelables.
Chers collègues, l'avenir énergétique du pays mérite une programmation pluriannuelle dans le cadre d'un projet de loi digne de ce nom. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis maintenant plus d'un an, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain appelle de ses vœux la discussion d'un projet de loi de programmation énergie climat permettant de débattre notamment de la PPE dans sa troisième version.
Nous voilà aujourd'hui saisis en seconde lecture d'une proposition de loi du groupe Les Républicains portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie.
La motion tendant à opposer la question préalable déposée par le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a permis de mettre en évidence les faiblesses et les manquements de cette façon de procéder tout à fait inadéquate – je n'y reviens pas.
Il nous faut avancer, dans l'intérêt de la Nation. La procrastination des gouvernements successifs n'a que trop duré.
Sur le fond, la méthode législative consistant à recourir à une proposition de loi pose question, d'autant que les différentes possibilités de mix énergétique de production doivent prendre en compte l'efficacité escomptée des politiques de sobriété touchant à l'habitat, au tertiaire, aux déplacements, à l'industrie et à la production en général.
L'efficacité de tous les process affecte aussi sensiblement le niveau de production nationale d'énergie nécessaire. Quel mix énergétique entend-on viser, pour quel niveau de production et à quel horizon ? Rien n'est précisé, alors même qu'il s'agit d'une question centrale et que RTE s'apprête à actualiser son bilan prévisionnel. Le premier comité de suivi des Futurs énergétiques 2050 se tiendra après-demain, en présence de certains parlementaires.
Fondamentalement, il manque à cette proposition de loi une solide étude d'impact qui permettrait de juger des conséquences à terme du mix énergétique proposé sur les coûts de production, de réseaux et de flexibilité ainsi que sur les prix de l'électricité payée par tous les consommateurs.
Quels sont les critères technico-économiques et environnementaux qui amènent à faire le choix de tel scénario de mix plutôt que de tel autre ?
C'est dans l'étude des Futurs énergétiques 2050 de RTE que l'on trouve des éléments de réponse aux questions qui conditionnent le choix des moyens de production. Le cadre général ne peut être éludé.
La politique française en matière de climat et d'énergie doit permettre d'atteindre les objectifs nationaux qui sont en pratique déjà fixés pour partie dans le cadre international et européen.
Quel scénario est-il préférable de retenir pour notre pays au regard des coûts moyens complets actualisés des différents modes de production, des niveaux de performance réels et escomptés des filières industrielles tels qu'ils sont appréhendés aujourd'hui, de l'acceptation des installations par les populations, des objectifs d'indépendance et de souveraineté nationale, de l'impact prix pour les consommateurs, des considérations géopolitiques que l'on ne peut ignorer et qu'un débat récent au Sénat sur les terres rares et les matériaux critiques a mises en lumière ?
La décision politique, in fine, doit être fondée sur un choix étayé rationnellement, dans le cadre d'hypothèses clairement explicitées, en rapport direct avec les politiques publiques de transition écologique nécessaires.
Cela étant, compte tenu de l'indécision gouvernementale en la matière et du flou préjudiciable à l'intérêt national qui en résulte, l'initiative des auteurs de cette proposition de loi peut se comprendre. Je salue ceux de nos collègues qui l'ont déposée et soutenue.
Je voudrais ici rappeler les positions de principe de mon groupe quant au mix énergétique et à sa mise en œuvre.
Au préalable il convient d'être aussi clair que possible sur les hypothèses de consommation nationale à moyen et long terme.
À ce propos, l'actualité d'ArcelorMittal et de très nombreuses autres entreprises françaises de toutes tailles, avec son cortège de licenciements et d'emplois supprimés, fait obligation au Gouvernement de nous dire quelles sont ses projections en matière industrielle sur le sol français.
Les décisions concernant le mix énergétique se prennent pour quarante ou cinquante ans, voire plus. Elles demandent de la visibilité et de la stabilité, éléments indispensables pour les filières industrielles concernées.
Les dépenses afférentes de l'État doivent aussi être optimisées, a fortiori dans un contexte budgétaire contraint avec une charge de la dette très dégradée.
À partir de quel scénario de mix à l'horizon de 2050 faut-il travailler ?
Les décisions annoncées à Belfort pour le nouveau nucléaire, la mise en œuvre du grand carénage et les déploiements d'énergies renouvelables non pilotables projetés sont proches du scénario N03 de RTE à 50 % de nucléaire et 50 % d'énergies renouvelables non pilotables.
Nous estimons qu'un scénario équilibré, reposant sur au moins 50 % d'énergie nucléaire, le reste étant assuré par des énergies renouvelables non pilotables, doit être privilégié.
Je précise – c'est un point très important – que ce scénario 50-50 optimise les coûts complets : ceux de la production, des réseaux de transport et de distribution, ainsi que des mécanismes de flexibilité, en comparaison des autres scénarios.
Il va sans dire qu'un moratoire sur le développement des énergies renouvelables non pilotables n'a pour nous absolument aucun sens.
Nous rejetons l'idée d'un nucléaire dit de transition et tenons à ce que les énergies renouvelables non pilotables puissent se développer en tenant compte, notamment, des progrès attendus dans le domaine du stockage à grande échelle de l'électricité.
La position de vote final du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain en seconde lecture de ce texte sera fonction du sort réservé à notre amendement n° 67, à l'article 3, qui vise à « tendre vers 52 gigawatts de capacités installées de production d'électricité nucléaire au moins, dont 27 gigawatts de nouvelles capacités, à l'horizon 2050 ». Ce dispositif est équilibré et réaliste en ce qu'il s'inscrit pleinement dans la nécessaire reconstruction de la filière nucléaire française, tout en donnant des signes positifs à la filière des énergies renouvelables non pilotables, qui en a grandement besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)