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Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour un rappel au règlement.
M. Guy Benarroche. Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 33, qui prohibe, lors de nos débats, « toute attaque personnelle, toute manifestation ou interruption troublant l'ordre ».
Lors de la séance de questions au Gouvernement qui s'est achevée voici quelques minutes, les interruptions, les cris, les beuglements, les interventions intempestives des uns et des autres m'ont empêché d'aller au bout de mon temps de parole et de dire tout ce que je souhaitais.
Dans un tel cas, toujours selon le règlement, le président doit ramener l'ordre au sein de notre assemblée, voire interrompre la séance avant de la reprendre une fois le calme revenu. Or il n'en a rien été ; le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a même vu son temps de parole réduit, le micro ayant été coupé avant la fin de mon intervention.
Ce rappel au règlement a donc pour objet d'émettre une protestation contre cette remise en cause du droit d'expression de notre groupe au cours des questions d'actualité au Gouvernement.
M. le président. Acte est donné de ce rappel au règlement.
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Mandat d'élu local
Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Je mets aux voix l'article 17, modifié.
(L'article 17 est adopté.)
Article 17 bis
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 205, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
À la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 2121-20 du code général des collectivités territoriales, après le mot : « constatée », sont insérés les mots : « ou de congé de maternité ou d'adoption dans les conditions prévues à l'article L. 331-3 du code de la sécurité sociale ».
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement a pour objet de rétablir l'article 17 bis afin de compléter l'article L. 2121-20 du code général des collectivités territoriales (CGCT) en y inscrivant la possibilité, pour une élue municipale en congé de maternité, ou en cas de congé d'adoption, de recourir à un pouvoir de vote.
L'amendement de repli n° 212, qui suit celui-ci dans la discussion commune, ne vise que le congé de maternité, conformément à la version de l'article 17 bis adoptée par l'Assemblée nationale.
Dès la première lecture du texte, notre groupe avait mis en avant le sujet de l'exercice du mandat par les femmes qui deviennent mères, de manière à lever le voile sur certains impensés de la maternité.
Actuellement, l'article L. 2121-20 du CGCT dispose que les conseillers municipaux peuvent donner pouvoir à un collègue pour voter en leur nom en cas de maladie ou d'empêchement dûment constaté. Cette formulation générale couvre déjà certains cas, mais ni la maternité ni l'adoption ne sont spécifiquement mentionnées. Or ces congés constituent un droit fondamental prévu par le code de la sécurité sociale. En inscrivant explicitement ce cas dans le CGCT, on lèverait toute ambiguïté sur la possibilité, pour une élue enceinte ou venant d'adopter, de continuer à exercer indirectement son mandat pendant cette période en utilisant un pouvoir de vote.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 88 rectifié est présenté par MM. Masset et Bilhac, Mme Briante Guillemont, M. Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire, Daubet, Gold, Guiol et Laouedj, Mme Pantel, M. Roux et Mme Jouve.
L'amendement n° 212 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
À la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 2121-20 du code général des collectivités territoriales, après le mot : « constatée », sont insérés les mots : « ou de congé de maternité dans les conditions prévues à l'article L. 331-3 du code de la sécurité sociale ».
La parole est à M. Ahmed Laouedj, pour présenter l'amendement n° 88 rectifié.
M. Ahmed Laouedj. Cet amendement vise à rétablir dans la proposition de loi l'article 17 bis que l'Assemblée nationale y avait inséré.
Actuellement, le code général des collectivités territoriales dispose qu'un conseiller municipal peut donner pouvoir de vote écrit en son nom au profit d'un collègue de son choix lorsqu'il est empêché d'assister au conseil municipal. « Sauf cas de maladie dûment constatée », ce pouvoir ne peut être valable pour plus de trois séances consécutives.
Il nous apparaît donc que le droit existant pour le congé maladie ne s'applique pas aujourd'hui au congé maternité.
Suivant le souhait partagé de continuité démocratique dans l'exercice des mandats municipaux pour les élues locales, nous proposons de lever toute ambiguïté sur la possibilité pour une élue enceinte ou jeune mère de continuer à exercer indirectement son mandat pendant cette période en utilisant un pouvoir de vote.
Nous l'avons tous souligné lors de la discussion générale, ce texte vise à lever les freins à l'engagement des citoyens dans la vie communale. La disposition proposée ici traduit tout à fait cet impératif en s'attaquant aux obstacles à la participation des femmes à la vie publique.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. L'article L. 2121-20 du CGCT permet aux élus dont l'état de maladie a été dûment constaté de donner pouvoir pour plus de trois séances consécutives.
L'Assemblée nationale a introduit dans la proposition de loi l'article 17 bis afin de préciser que cette possibilité bénéficie également aux élues placées en congé de maternité.
Nous avons considéré en commission que cet article était satisfait par le droit en vigueur. Nous n'avons d'ailleurs pas eu connaissance de situations dans lesquelles des élues en congé de maternité se seraient vu refuser le bénéfice de cette disposition.
Toutefois, dans un esprit de compromis, notamment avec l'Assemblée nationale, nous émettons un avis de sagesse sur les amendements nos 88 rectifié et 212.
En revanche, nous ne considérons pas nécessaire d'étendre cette possibilité au congé d'adoption. C'est pourquoi nous émettons un avis défavorable sur l'amendement n° 205.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Françoise Gatel, ministre. Si la loi exige de la précision, vous avez visé juste avec ces amendements, messieurs les sénateurs. Je confirme que la grossesse n'est pas une maladie.
Mme Marie Mercier. Évidemment !
Mme Françoise Gatel, ministre. Au contraire, il serait bon pour la prospérité de notre pays d'en connaître plus !
Cela étant, je reprends ce qu'a dit Mme la rapporteure : nous n'avons pas connaissance de difficultés qui auraient été créées à des conseillères municipales enceintes souhaitant bénéficier de ce droit.
Toutefois, je souscris à vos propositions, car je considère qu'en précisant cette disposition, nous la clarifions. C'est aussi un gage d'entente cordiale entre le Sénat et l'Assemblée nationale, ce qui peut contribuer à faire prospérer ce texte. Le Gouvernement est favorable aux trois amendements.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je remercie Mme la ministre pour ses avis favorables, ainsi que Mme la rapporteure pour son avis de sagesse sur notre second amendement, qui est un peu un avis favorable…
Néanmoins, je souhaite poser à Mme la rapporteure une question ni vindicative ni digressive. Quelle est la raison pour laquelle la commission refuse d'inclure le cas de l'adoption dans ce dispositif ? Je ne vois pas en quoi cette situation est différente de la maternité. Elle participe de même à la prospérité de notre pays, comme l'a dit Mme la ministre, et requiert également que nous facilitions la participation des élus concernés.
Faute d'explication plus précise, j'apprécierais que la commission transforme son avis défavorable sur l'amendement n° 205en avis de sagesse, ce qui peut aider à le faire adopter. Ce n'est pas l'Assemblée nationale qui nous le reprochera.
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour explication de vote.
Mme Lana Tetuanui. Madame la rapporteure, madame la ministre, les élus de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française n'ont malheureusement aucune couverture sociale, alors même que ce sont des agents de l'État. Les indemnités que touchent les élus communaux de ces territoires sont pourtant alignées sur le droit commun, selon la même grille indiciaire que les élus de métropole.
Madame la ministre, vous êtes venue en Polynésie française, comme un certain nombre de collègues sénateurs. Il y aura des élections municipales l'an prochain, outre-mer comme en métropole. Aussi, je pense qu'il est grand temps de lever cette ambiguïté et d'aligner totalement le régime des élus communaux des outre-mer, en particulier ceux des trois collectivités du Pacifique, sur celui des élus de métropole. Il faudrait en particulier qu'ils bénéficient désormais, eux aussi, d'une couverture sociale. Les fonctionnaires d'État travaillant dans nos collectivités bénéficient de la sécurité sociale. Pourquoi pas les agents de l'État que sont les élus communaux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre. Madame la sénatrice, j'ai bien entendu votre question. Je ne peux y répondre aujourd'hui, parce que je n'ai pas tous les éléments en main.
La Polynésie française relève du statut particulier défini à l'article 74 de la Constitution. Vous savez bien, parce que vous êtes toujours vigilante, que chaque fois que nous adoptons des dispositions d'ordre général, nous travaillons à leur adaptation, ou à la pertinence de cette adaptation, aux territoires d'outre-mer relevant de cet article particulier. Il ne s'agit pas pour moi de me réfugier derrière un argument juridique : je vous promets que je regarderai cette question avec attention.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Madame la sénatrice, je vous rassure, nous avons bien pris soin d'étendre le périmètre des dispositions de cette proposition de loi à la Polynésie française.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote.
Mme Patricia Schillinger. Je m'interroge aussi sur le cas de l'adoption. Pour les salariés, l'assurance maladie prévoit un congé de seize semaines, soit cent douze jours, lorsque le congé est pris par un seul parent ; pour un couple, c'est seize semaines plus vingt-cinq jours lorsque le congé est réparti entre les deux parents. Je ne vois pas pourquoi vous avez des réticences lorsqu'il s'agit des élus.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 88 rectifié et 212.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 17 bis est rétabli dans cette rédaction.
Chapitre IV
Sécuriser l'engagement des élus et les accompagner dans le respect de leurs obligations déontologiques
Article 18
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° L'article 432-12 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « de nature à compromettre » sont remplacés par le mot : « altérant » ;
b) Après le même premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« L'intérêt mentionné au premier alinéa peut être constitué par le lien entre la personne mentionnée au même premier alinéa et ses ascendants ou descendants en ligne directe, ses frères et sœurs, son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité, les personnes avec lesquelles elle vit habituellement ainsi qu'avec ses proches.
« Un intérêt public ne peut constituer un intérêt au sens du présent article. » ;
2° À l'article 432-12-1, les mots : « de nature à influencer » sont remplacés par les mots : « , qui n'est pas un intérêt public, altérant » ;
3° (nouveau) À l'article 711-1, les mots : « loi n° 2025-623 du 9 juillet 2025 visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé » sont remplacés par les mots : « loi n° … du … portant création d'un statut de l'élu local ».
II. – La loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est ainsi modifiée :
1° Au premier alinéa du I de l'article 2, les mots : « des intérêts publics ou privés » sont remplacés par les mots : « un intérêt privé » ;
2° (nouveau) Au premier alinéa du I de l'article 35, les mots : « loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France » sont remplacés par les mots : « loi n° … du … portant création d'un statut de l'élu local ».
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, j'ai une faveur à vous demander : je souhaiterais évoquer en une seule prise de parole les articles 18 et 18 bis A, ainsi que les amendements que nous allons examiner. M'autorisez-vous à prendre un peu de temps, et ce pour la clarté de nos débats ? Je n'abuserai pas…
M. le président. Je vous en prie, madame la présidente.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission. Merci, monsieur le président !
Nous le savons tous, l'un des buts de ce texte était de faciliter la vie des élus sur des aspects administratifs, comme la légalité des actes, ce qui implique de s'interroger sur les déports et la prise illégale d'intérêts, bref sur l'aspect pénal de l'activité des élus. C'est un vrai souci pour eux.
Il s'agit non pas de permettre aux élus de faire ce qu'ils entendent, mais tout simplement de faire en sorte qu'ils ne soient pas pénalement ennuyés lorsqu'ils agissent dans l'intérêt public, dans l'intérêt général, en restant dans le cadre de leurs fonctions.
Sur ces sujets, nos rapporteurs auront des expressions assez techniques, mais je souhaiterais auparavant éclairer l'hémicycle, autant que je le peux, sur les effets réels de ce que nous aurons voté si nous adoptons, ce que je souhaite, ces deux articles modifiés par deux amendements proposés par les rapporteurs.
Le dispositif qui résulterait des articles 18 et 18 bis A de cette proposition de loi, tel qu'amendé par les rapporteurs, porte sur trois situations d'élus, aujourd'hui exposés au risque d'une prise illégale d'intérêts lorsqu'ils participent à des délibérations d'une collectivité qui intéressent une autre structure, de droit public ou privé, à laquelle ils appartiennent également.
Première catégorie : les élus membres de deux collectivités territoriales, ou d'une collectivité territoriale et d'un groupement de collectivités tel qu'un EPCI. Pour ceux-ci, il est expressément prévu que, lorsque leur première collectivité se prononce sur une affaire qui intéresse la seconde, comme l'octroi d'une subvention, tout simplement, le seul fait qu'ils siègent aux deux n'entache pas en soi d'une illégalité la délibération.
De plus, dans la mesure où la décision intéresse deux collectivités publiques, qui relèvent donc de deux intérêts publics, il n'y aura pas de prise illégale d'intérêts ou de conflit d'intérêts au sens du code pénal. Ce serait le premier apport de cette proposition de loi. Je dis cela sous le regard de Mme la ministre, qui l'avait elle-même proposé lorsqu'elle avait la chance de siéger avec nous.
Deuxième catégorie : les élus qui sont membres à la fois d'une collectivité territoriale et d'un organisme de droit public autre qu'une collectivité, par exemple une société publique locale (SPL), ou d'un organisme de droit privé, par exemple une société d'économie mixte (SEM), mais ne touchent pas de rémunération ni ne bénéficient d'avantages particuliers du fait de leur participation à ces structures. C'est en général le cas s'ils n'en sont ni les présidents ni les vice-présidents.
Pour ces élus qui, je le répète, ne touchent pas de rémunération, leur participation, dans la collectivité, à une délibération qui concerne la seconde structure ne sera pas réputée, de ce seul fait, illégale. Il n'y aura donc pas d'obligation de déport ni de risque de prise illégale d'intérêts.
Certes, s'il est identifié un autre type d'intérêt, il pourra y avoir prise illégale d'intérêts ; simplement, j'y insiste, le seul fait d'appartenir aux deux structures ne leur fait pas encourir ce risque.
En revanche, la proposition de loi prévoit un cas de déport obligatoire extrêmement bien identifié : lorsqu'une des structures sera candidate à un marché public de la collectivité concernée, l'élu ne pourra ni siéger à la commission d'appel d'offres, ni participer à la commission d'examen des candidatures, ni participer à la décision d'attribution du marché public. Cela sera expressément inscrit dans la loi.
Dernière catégorie d'élus : ceux qui, comme les précédents, sont membres d'une collectivité territoriale et d'un organisme de droit public ou de droit privé, mais qui, cette fois, touchent une rémunération, par exemple des indemnités de fonction, ou qui bénéficient d'avantages particuliers au sein de l'une de ces structures. Ce peut être le cas d'un maire qui est par ailleurs membre du conseil d'administration d'une association sportive. S'appliqueront alors soit les dispositions de droit commun, soit des dispositions spécifiques si elles existent.
Dans ce texte, la commission a cependant veillé à améliorer les dispositions de droit commun.
D'une part, lorsque l'intérêt en jeu au sein des deux structures est d'ordre public, il n'y aura ni prise illégale d'intérêt ni conflit d'intérêts.
D'autre part, lorsque l'élu concerné se trouve dans une situation où, pour répondre à un motif impérieux d'intérêt général, il ne peut pas faire autrement que de se placer dans une situation où l'on pourrait lui reprocher une prise illégale d'intérêt, la loi l'exonérera de responsabilité pénale. Prenons un exemple concret : si, à la suite du passage d'une tornade, comme cela vient de se produire en région parisienne, un élu devait faire appel à un charpentier pour étanchéifier dans l'urgence le toit de l'école et qu'il ne trouvait aucun autre charpentier qu'un autre élu, il serait exonéré de responsabilité.
Ce n'est pas d'une simplicité totale, mais le code général des collectivités territoriales et le code pénal ne le sont pas toujours… Toutefois, j'ai tenté de dresser la liste des catégories d'élus et les conséquences qu'aurait l'adoption des amendements que vous soumet la commission, de façon à mieux protéger les élus dans le cadre de leur mandat. Il me semble que ceux-ci ne doivent pas être pénalisés en raison des efforts qu'ils accomplissent pour la collectivité.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je tiens à rappeler les points sur lesquels a travaillé la commission à l'article 18, qui porte sur l'infraction de prise illégale d'intérêt.
Premier élément essentiel, nous souhaitons que ce délit soit mieux défini et qu'il serve à la répression des cas avérés d'atteinte à la probité, en évitant que soient mis en cause les décideurs publics, notamment les élus, qui ont agi de bonne foi.
Pour atteindre ce but, nous vous proposons, via l'amendement que nous avons déposé, de procéder à trois modifications du dispositif.
D'abord, conformément à l'objectif qui nous rassemble depuis le dépôt de cette proposition de loi et dont nous avons beaucoup discuté avec le Gouvernement, notamment avec vous, madame la ministre, le dispositif proposé exclut les intérêts publics du périmètre de la répression pénale. C'est un point crucial, car cela mettra fin à la quasi-intégralité des poursuites litigieuses.
Ensuite, il est prévu que l'intérêt en cause doit « altérer » et non plus simplement « compromettre » l'impartialité, l'objectivité ou l'indépendance du décideur public. Pour le dire autrement, cela revient à passer d'une notion potentielle à une atteinte effective.
Enfin, reprenant les propositions de certains de nos collègues, dont je salue le travail, nous souhaitons que soit clairement affirmé le caractère intentionnel de l'infraction, en exigeant que la prise illégale d'intérêt soit commise « en connaissance de cause ». Cette expression est habituelle en droit pénal : elle est, par exemple, retenue en matière de recel.
Deuxième élément, nous souhaitons que la rédaction retenue soit inattaquable en droit. Cela nous a conduits à prévoir deux modifications.
La première modification concerne l'articulation du code pénal avec les exemptions prévues dans d'autres codes, notamment le code général des collectivités territoriales. La rédaction que nous proposons permet de rappeler que ces exemptions existent et doivent être prises en compte par les juridictions pénales. En outre, elle nous évite de nous lier les mains avec une formulation trop précise, qui serait pour l'avenir source de confusion, voire d'erreurs dont les conséquences pourraient être lourdes pour les élus locaux.
La seconde modification porte sur les liens affectifs susceptibles de constituer un intérêt au sens pénal. Nous y avons consacré de longs débats. Des craintes se sont élevées sur la rédaction adoptée en commission, qui a pu être perçue comme insuffisamment claire. Elle était de toute façon indicative et condamnée, pour cette raison, à ne pas être exhaustive : nous préférons donc la supprimer pour limiter tout risque d'incertitude, donc d'insécurité juridique.
Troisième et dernier élément, je souhaite appeler votre attention sur les situations d'urgence, que les députés avaient regroupées sous le vocable « motif impérieux d'intérêt général ».
Nos recherches ont montré que cette formulation pouvait valablement être retenue, car elle ne pose pas de difficultés d'articulation avec les notions classiques du droit pénal ou avec la rédaction actuelle du code. Néanmoins, le périmètre retenu par l'Assemblée nationale nous a paru trop large : selon la version adoptée par les députés, tout « motif impérieux d'intérêt général » aurait permis d'échapper à la prise illégale d'intérêt, ce qui ne correspond ni à notre souhait, ni à celui des élus locaux, ni aux propositions de la mission Vigouroux. Nous vous proposons donc de prévoir que le « motif impérieux d'intérêt général » ne pourra être retenu que si le décideur public concerné est contraint dans sa décision par les circonstances, c'est-à-dire s'il ne peut pas agir autrement.
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial, sur l'article.
M. Cédric Vial. En préambule, je tiens à remercier les rapporteurs et la présidente de la commission des lois du travail accompli nuitamment sur l'article 18 et l'article 18 bis A. La rédaction qui nous est proposée aujourd'hui me semble régler une large proportion des problèmes que quelques-uns d'entre nous ont soulevés ces jours derniers. Sur un certain nombre de sujets qui nous préoccupaient beaucoup, notamment les questions de conflits d'intérêts, nous avons presque atterri, si je puis dire.
Aujourd'hui, un élu est soumis au principe de précaution. Lorsqu'il est dans une zone de flou, ce qu'il ne veut surtout pas, c'est qu'une interprétation malheureuse, contraire à son intention première, puisse le conduire devant les tribunaux. Au nom de ce principe de précaution, l'obligation d'avoir des déontologues au sein de toutes les collectivités a conduit ces dernières à demander presque systématiquement à des élus de se déporter. Cela altère fortement le fonctionnement de certaines assemblées régionales ou départementales – le quorum n'est pas atteint, etc. –, alors même que le conflit d'intérêts n'a pas été caractérisé.
Avec la rédaction proposée, la commission règle un certain nombre de ces problèmes, notamment lorsqu'un élu siège à la fois dans une collectivité et dans une autre structure, généralement du fait même de sa première qualité. Qu'elle en soit encore une fois remerciée.
Il reste pour moi un sujet d'irritation : les notions de « rémunération » et d'« avantages particuliers », que la commission souhaite conserver dans le texte, quand bien même elle le modifie. Qu'est-ce qu'un avantage ? Je ne sais trop. Si se faire défrayer constitue un avantage, alors tous les élus seront concernés. Une rémunération est-elle différente d'une indemnité ?
J'aimerais que l'on puisse discuter de ces sujets ; sinon, le flou demeurera et l'on ne réglera pas tous les problèmes auxquels nous entendions nous attaquer.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Roiron, sur l'article.
M. Pierre-Alain Roiron. Comment régler certaines des difficultés auxquelles sont confrontés les maires ? Telle est la question cruciale qui se posait à nous. Bien évidemment, il ne s'agit pas de créer un statut protégé : il faut que chacun se justifie de ses actes ; ceux qui fautent doivent évidemment être condamnés, ou au moins aller devant la justice. Simplement, nous essayons de trouver le meilleur chemin pour chaque élu local.
Nous avons donc déposé un amendement qui correspond aux conclusions auxquelles a abouti la commission. Je ne peux que me réjouir de cette avancée, quand bien même elle est arrivée un peu tard. Il a été très difficile de se mettre d'accord sur ce qui constitue la première mission de l'élu local, à savoir servir son territoire et non se servir de son territoire pour privilégier ses intérêts personnels.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Françoise Gatel, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à prendre la parole de façon solennelle sur cet article essentiel.
Comme l'a encore souligné M. Roiron, nous courons tous après la sécurisation des moyens accordés aux élus afin qu'ils réalisent la mission pour laquelle ils ont été désignés par leur conseil municipal. C'est bien de cela qu'il s'agit. Bien avant l'adoption de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, nous savions déjà qu'il faudrait un texte spécifique, qui comporte des dispositions claires.
Le Sénat a beaucoup travaillé sur le sujet. Nous avons tous bénéficié du rapport de M. Vigouroux, qui a permis de compléter les dispositions que le Sénat avait introduites dans le texte en première lecture.
Je tiens en cet instant à remercier Mme la présidente de la commission des lois et Mme la rapporteure Jacqueline Eustache-Brinio d'avoir développé avec clarté et pédagogie ces explications sur ce que le Sénat s'apprête à voter. Je n'y reviens pas, car je fais mienne leur présentation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'avez compris, le sujet est technique : il s'agit de sécuriser l'élu dans l'exercice de son mandat sans pour autant en faire un citoyen soustrait à la loi. Soyons bien clairs pour nos concitoyens !
Je remercie également les présidents de groupe, les commissaires, les rapporteurs et la présidente de la commission des lois du travail considérable, difficile et exigeant que nous avons accompli ensemble.
Monsieur le sénateur Roiron, vous l'avez souligné, cela a été difficile, mais des grandes douleurs naissent des choses assez réussies. Je veux exprimer la satisfaction qui est la mienne pour tous les élus locaux que nous aidons via les dispositions qui sont proposées.
Ces amendements, nous les avons travaillés ensemble ; je veux aussi remercier le Premier ministre et le garde des sceaux d'avoir œuvré à cette rédaction.
Je le répète, je tiens à saluer ce travail, qui s'est accompli dans un contexte très contraint : hier matin, nous n'avions pas d'accord. Celui auquel nous sommes parvenus n'est pas un compromis : c'est un accord de précision et d'exigence, car nous ne pouvons pas mettre en difficulté les élus locaux.
Je précise enfin que les associations d'élus sont en phase avec les propositions de la commission des lois.
Vous l'aurez compris, ces propositions reçoivent l'entier soutien du Gouvernement. Je renouvelle mes remerciements à tous pour l'effort considérable que nous avons fourni et pour cette bonne volonté sans complaisance dont nous avons fait preuve.


