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Candidatures à des commissions

M. le président. J'informe le Sénat que le groupe Les Républicains a présenté des candidatures pour siéger au sein de la commission des finances, de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, et de la commission des affaires économiques.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

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Structures économiques face aux risques de blanchiment

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 877 [2024-2025], texte de la commission n° 95, rapport n° 94).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier mes collègues du groupe Union Centriste, qui m'ont permis de créer une commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales. Je salue également le président Hervé Marseille, qui a fait en sorte que ce texte puisse être examiné aujourd'hui, bien que nous soyons dans une semaine de contrôle.

Je veux d'emblée rendre hommage aux policiers, aux gendarmes, aux douaniers et aux magistrats qui combattent la criminalité organisée et la fraude. Ils luttent, comme nous d'ailleurs, contre le poids du système et la bureaucratie, tout en étant soumis à des contraintes budgétaires.

Je travaille sur les questions de fraude depuis longtemps ; chacun sait ici qu'il s'agit du fil rouge de mon mandat. C'est donc avec beaucoup d'intérêt que j'avais suivi les travaux de notre collègue Étienne Blanc, lorsque celui-ci était rapporteur de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.

La commission d'enquête relative à la délinquance financière, présidée par l'excellent Raphaël Daubet, s'inscrit volontairement dans la suite du travail sur le narcotrafic. Elle a rempli sa mission en complétant le dispositif proposé, car le narcotrafic ne représente qu'une partie de la criminalité organisée.

Ainsi, nous avons parlé de contrefaçons, de corruption, de trafic de migrants, de trafic d'or et de bijoux – c'est d'actualité ! Il a également été question d'entreprises éphémères et de services de blanchiment, qui sont devenus une activité à part entière.

Force est de constater que notre rapport n'a pas bénéficié du même portage que celui d'Étienne Blanc. En effet, ni le ministre de l'intérieur ni le ministre de la justice n'ont cru devoir nous recevoir. En revanche, Mme de Montchalin et l'ancien Premier ministre François Bayrou l'ont fait : je les remercie de leur attention.

Permettez-moi de rappeler quelques éléments de contexte, car c'est important. Face à une délinquance pluridisciplinaire et opportuniste, qui se montre toujours plus créative, nous présentons un ensemble de travaux législatifs décousus et mettons en place des structures fonctionnant trop souvent en tuyaux d'orgue, ce qu'avait déjà signalé le rapport de la commission d'enquête sur le narcotrafic.

Monsieur le ministre, nous nous livrons à ce que je qualifierai de mikado législatif : nous touchons les dispositifs, tout en veillant, avec un doigté de sylphide, à ne pas faire tomber l'ensemble. (M. le rapporteur pour avis acquiesce.)

Il me semble que cette analogie avec le mikado reflète assez bien le travail morcelé que nous menons en ce moment : en moins de six mois, quatre textes totalement parcellaires ont été présentés sur la fraude.

La proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner ne fait d'ailleurs pas exception. Alors qu'elle est plus ambitieuse que les conclusions de notre commission d'enquête, elle n'a pas trouvé d'espace législatif pendant un certain temps. Au reste, le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, que nous examinerons la semaine prochaine, s'inscrit lui aussi dans ce mikado.

Or cette politique des petits pas législatifs ne convient pas aux besoins de la lutte contre la fraude, ni à ceux de la lutte contre la criminalité organisée. Fraude et criminalité organisée sont des sœurs jumelles, voire siamoises, puisque la criminalité organisée utilise les réseaux de la délinquance financière, comme la fraude fiscale et sociale.

Il faut changer de méthode et instituer une culture nouvelle, consistant à avoir une vision globale et financière des infractions. Je l'ai dit, les trafiquants sont opportunistes. Ils peuvent participer aux trafics de drogue, de contrefaçons ou d'or, mais aussi de migrants. Alors qu'ils ne s'interdisent rien, nous restons enfermés dans une vision passéiste et cloisonnée.

Cessons de répéter qu'il faut frapper les criminels au portefeuille : quand nous ne recouvrons que 2 % des avoirs criminels, il n'y a pas de quoi pavoiser ! La plateforme d'identification criminelle (Piac) ne disposerait même pas des licences permettant d'accéder à des données essentielles. D'ailleurs, certains services d'un ministère important usent pour décrypter la blockchain de licences différentes, qui sont incompatibles entre elles. Cela signifie qu'il ne peut pas y avoir d'échange de données entre deux étages du même ministère.

Bref, monsieur le ministre, vous prenez la mesure de notre niveau d'impréparation… Il faut donc muscler et réarmer les procédures de saisie et de confiscation, ainsi que l'enquête patrimoniale, aussi bien pendant la phase d'investigation qu'après le jugement, de sorte que le criminel ne puisse pas continuer à profiter de l'argent de son crime. Je pense à ce trafiquant qui, comme on nous l'avait expliqué lors de notre déplacement à Dubaï, achetait des biens immobiliser là-bas, en crypto-actifs, depuis sa cellule des Baumettes…

Nous devons également pouvoir échanger les données de façon plus fluide et systématique. Les responsables d'Interpol et d'Europol que nous avons interrogés nous ont convaincus de leur transmettre un certain nombre de dossiers de criminalité organisée qui avaient été jugés.

Pour nous, après que l'affaire est jugée, le dossier est clos. Mais la data, elle, vit toujours. En conséquence, les agents d'Europol ou d'Interpol peuvent encore trouver des données relatives à des réseaux internationaux d'ampleur.

Il faut en finir avec cette mauvaise façon de travailler qui consiste à payer d'abord et à contrôler ensuite. On l'a vu avec le dispositif MaPrimeRénov', la formation professionnelle, la covid et la taxe carbone. Tout cela crée un manque de lisibilité pour les services comme pour les parlementaires, mais un réservoir inépuisable d'occasions pour les fraudeurs.

Un fraudeur heureux est un fraudeur qui revient. Ainsi, nous avons vu les escrocs aux quotas carbone et les auteurs de la fraude carrousel à la TVA revenir lors de la covid. Et lorsque des textes vecteurs d'améliorations sont programmés, on nous oppose l'article 45 de la Constitution, qui se trouve verrouillé par nos propres services, afin de ne pas compliquer les choses et de ne pas retarder les débats.

Tout cela ne peut plus continuer, monsieur le ministre ! Avec 100 milliards d'euros de fraude fiscale, 40 milliards d'euros de fraude sociale et 50 milliards d'euros de blanchiment ou de fabrication d'argent sale, il n'y a pas de quoi être fier de nos 2 % de recouvrement des avoirs criminels !

C'est dans ce contexte que s'inscrit la modeste proposition de loi que nous allons examiner aujourd'hui. Elle vise précisément la prévention des fraudes et les entreprises éphémères, chevaux de Troie de la criminalité organisée. Je rappelle tout de même que, chaque année, la fraude à la TVA est comprise entre 20 milliards et 25 milliards d'euros.

On nous dit qu'il ne faut pas retarder la création d'entreprises et ne pas gêner la liberté du commerce et de l'artisanat. Alors, on fait le même mikado et, surtout, on ne change pas de méthode.

C'est exactement le contraire de ce que nous ont demandé Mme Carole Maudet et M. Pierre Gallet, au nom respectivement de la direction générale des finances publiques (DGFiP) et de l'Urssaf, lorsque nous avons procédé à leur audition ; vous pouvez le vérifier aux pages 245 et 528 du rapport de la commission d'enquête, mes chers collègues.

On continue donc, sans inscrire de définition dans la loi, à laisser passer des entreprises éphémères fraudeuses. Il paraît que nous n'avons pas besoin de cette définition, car la mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf) aurait un guide... Bientôt un numéro vert ! (Sourires.)

Or je n'ai pas trouvé le guide en question. Je suis seulement tombée sur des catalogues de formation publiés en 2023 et en 2025 – d'ailleurs, la formation n'a pas changé, et il faut croire que les besoins non plus. Pendant ce temps-là, tout continue !

La commission d'enquête a considéré qu'une acculturation au problème des entreprises éphémères était nécessaire. C'est la raison pour laquelle nous déposerons un amendement sur ce sujet.

Monsieur le ministre, je ne vous cache pas ma surprise vis-à-vis des réserves sur l'article 4, qui oblige les entreprises à déclarer les comptes qu'elles détiennent à l'étranger. Nous sommes tombés de notre chaise lorsqu'un représentant de l'Urssaf nous a appris, au cours de notre commission d'enquête, que les entreprises, contrairement aux personnes physiques, n'avaient pas à déclarer leurs comptes à l'étranger.

Il paraît qu'une telle déclaration pourrait nuire à l'attractivité de la France. Je n'ai pas très bien compris pourquoi, quand on connaît la politique américaine menée en ce domaine. On nous a rapporté que la DGFiP ne serait pas très attachée à cette déclaration, mais nous, nous le sommes !

Le blanchiment est devenu un métier, un service. C'est pourquoi il faut s'attaquer à ses acteurs. Tel est l'objet de cette petite proposition de loi modeste, mais énergique. Il faut tenir compte non seulement du discours des experts de la conformité, mais aussi de celui des praticiens.

La délinquance financière ne constitue pas seulement une infraction économique : c'est un levier stratégique du crime organisé, un facteur de fragilisation des institutions démocratiques et un puissant moteur de distorsion du modèle républicain.

Le blanchiment des flux criminels irrigue aujourd'hui des pans entiers de l'économie légale, notamment par l'intermédiaire de structures entrepreneuriales, détournées de leur finalité, qui servent de vecteurs à des opérations frauduleuses. Voilà l'objet de la présente proposition de loi.

C'est avec confiance que j'aborde cette discussion générale. Je salue les rapporteurs, car, même s'ils ont raboté un peu le texte, ils en ont gardé l'esprit. Je remercie également le Gouvernement d'avoir bien voulu engager la procédure accélérée sur ce texte.

Le combat ne s'arrête pas aujourd'hui, puisque nous débattrons d'un énième projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales la semaine prochaine et examinerons bientôt le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances.

Il y a beaucoup d'argent dehors, monsieur le ministre. Avant de taper le contribuable, je vous encourage à solliciter d'abord les fraudeurs ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP, RDSE et GEST)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous revient d'examiner cet après-midi la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment.

Je remercie nos collègues Nathalie Goulet et Raphaël Daubet, qui sont à son origine ; pour rappel, ils étaient, respectivement, rapporteur et président de la commission d'enquête relative à l'évaluation des outils de la lutte contre la délinquance financière. C'est bien dans le sillage de ces travaux sénatoriaux – je veux les saluer, car ils ont montré l'ampleur des enjeux de la lutte contre le blanchiment et la criminalité organisée – que s'inscrit le présent texte.

Dans sa version initiale, la proposition de loi comprenait neuf articles, dont quatre – les articles 2, 3, 8 et 9 – ont été délégués au fond à la commission des lois. Je remercie d'ailleurs le rapporteur pour avis, Hervé Reynaud, qui a mené avec moi des travaux constructifs sur ce texte ; il reviendra tout à l'heure sur les articles qui le concernent.

L'examen de cette proposition de loi se déroule dans le contexte d'une multiplication des textes relatifs à la lutte contre la fraude et le blanchiment, Nathalie Goulet vient de le rappeler. Après l'adoption de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, qui commence à produire ses effets, le Sénat aura examiné trois textes en trois semaines : la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire, la semaine dernière, le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, la semaine prochaine, et, aujourd'hui, cette proposition de loi contre le blanchiment.

Une telle accumulation a pour conséquence que chaque texte ne traite qu'une partie du problème, ce qui crée parfois des redondances et, surtout, ne nous permet pas de nous occuper de façon satisfaisante d'un sujet particulièrement large.

Ces éléments de contexte étant posés, je présenterai succinctement les dispositions de la proposition de loi dont la commission des finances a conservé l'examen, à savoir l'article 1er et les articles 4 à 7.

Chacun de ces articles a fait l'objet d'une modification, parfois substantielle.

L'article 1er, supprimé par la commission, visait un double objectif : d'une part, il cherchait à définir au niveau législatif des critères de détection d'une entreprise éphémère ; d'autre part, il entendait imposer aux professions soumises à la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), notamment aux greffiers des tribunaux de commerce, l'obligation d'effectuer auprès de Tracfin un signalement lorsque des éléments laissent présumer l'existence d'une telle entreprise.

Les arguments que nous avons entendus lors de nos auditions ont poussé la commission à supprimer cet article.

Tout d'abord, des raisons de souplesse et d'efficacité opérationnelle entraient en compte : il aurait été contre-productif d'inscrire dans la loi cette définition, car cela aurait permis aux entreprises fraudeuses de mieux échapper au radar des services de contrôle, ralentissant la capacité de ces derniers à s'adapter aux évolutions des pratiques criminelles.

Ensuite, l'obligation de déclaration de soupçons à Tracfin, lors de la détection d'une potentielle entreprise éphémère, se trouve satisfaite par le droit existant. Compte tenu de ces éléments, je vous proposerai en cohérence, mes chers collègues, le retrait des amendements qui visent à rétablir, même en partie, les dispositions de l'article 1er.

J'en viens à la présentation de l'article 4.

La lecture des conclusions de la commission d'enquête sur la délinquance financière permet de constater que, en l'état du droit, les sociétés commerciales ne sont assujetties à aucune obligation de déclaration à l'administration fiscale des références des comptes ouverts, détenus ou clos à l'étranger.

Pourtant, cette obligation incombe aux personnes physiques, aux associations et aux sociétés n'ayant pas de forme commerciale domiciliées ou établies en France.

L'article 4 supprime cette exception et étend l'obligation aux sociétés commerciales, en leur imposant de déclarer à l'administration fiscale l'ensemble des comptes bancaires que celles-ci détiennent à l'étranger. Je tiens à souligner qu'une telle mesure impliquera un bouleversement important pour les entreprises et exigera que la DGFiP s'organise pour stocker, gérer et exploiter ces nouvelles données.

En conséquence, et en lien avec la DGFiP, la commission a adopté une disposition qui décale d'un an la mise en œuvre de cette obligation, afin de laisser aux services concernés le temps de s'organiser.

La commission a également supprimé les dispositions de l'article, dans sa version d'origine, relatives à certains cas de saisine de Tracfin pour effectuer des déclarations de soupçons, celles-ci étant satisfaites par le droit existant.

Si je propose l'adoption de cet article, tel qu'il a été modifié par la commission, je n'en appelle pas moins notre assemblée à la prudence. En effet, une telle évolution imposera des charges administratives importantes aux entreprises, en particulier aux sociétés multinationales qui opèrent en France et qui, par essence, détiennent de multiples comptes à l'étranger.

Ensuite, la commission a largement réécrit l'article 5, lequel impose aux organismes financiers permettant à leurs clients de procéder à des opérations par le biais d'interfaces automatisées de déterminer les opérations qui, en raison de leur nature ou de leur montant, ne peuvent être exécutées sans avoir été préalablement examinées par un agent humain.

Les échanges que j'ai menés montrent cependant que l'automatisation constitue parfois un atout dans la lutte contre les circuits frauduleux. Plutôt que d'aller à rebours de l'évolution technologique du secteur, il convient d'utiliser ces nouveautés pour permettre une détection plus rapide des schémas de fraude. On imagine mal, concrètement, que des employés de banque se retrouvent à devoir valider manuellement un paiement par carte bleue ou à autoriser un retrait d'argent…

Je propose donc, au nom de la commission, la suppression de cet article, dont l'adoption, de surcroît, provoquerait une distorsion de concurrence défavorable à la France, aucun pays européen n'ayant prévu une telle obligation.

En cohérence, je demanderai le retrait de l'amendement, déposé par ailleurs, qui vise à inclure les prestataires de services sur crypto-actifs dans le champ de l'article. Plus encore que dans les services bancaires, une telle évolution se trouverait en porte-à-faux vis-à-vis de la pratique et de l'efficacité opérationnelle des contrôles.

L'article 6 de la proposition de loi visait à créer un registre national des comptes rebonds géré par la DGFiP et accessible aux autorités judiciaires, aux services d'enquête et aux organismes financiers. Ses dispositions étant satisfaites par l'adoption de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire la semaine dernière, il a été supprimé en commission.

Enfin, l'article 7, tel qu'il a été modifié par la commission, donne à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) la possibilité d'exiger qu'un établissement sous sa supervision effectue un audit réalisé par un prestataire externe qu'elle aura elle-même validé.

Je défendrai un amendement rédactionnel sur cet article au nom de la commission des finances, pour en préciser la portée tout en en conservant l'esprit.

Mes chers collègues, la recherche de l'efficacité opérationnelle et de la mise en œuvre d'un contrôle proportionné a guidé les travaux de la commission des finances.

Ce texte va dans le sens d'un travail toujours plus efficace contre le blanchiment, alors que notre arsenal législatif est déjà robuste. Je vous propose donc de l'adopter, tel qu'il a été modifié par les amendements que mon collègue Hervé Reynaud, rapporteur pour avis de la commission des lois, et moi-même vous proposerons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDSE.)

M. Hervé Reynaud, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission a approuvé sans réserve la philosophie des dispositions reprenant les recommandations de la commission d'enquête sur la lutte contre le blanchiment de Nathalie Goulet et Raphaël Daubet.

Pour y avoir participé, je puis témoigner que les travaux de cette instance étaient d'une remarquable densité. La commission s'est ainsi associée aux conclusions de nos collègues, qui appelaient à faire de la lutte contre le blanchiment une priorité.

Interpol place le blanchiment parmi les cinq menaces les plus graves pesant sur nos sociétés. Il est absolument crucial de frapper les criminels au portefeuille pour emporter le combat contre la criminalité organisée.

Le constat édifiant de l'ampleur des flux criminels infiltrant l'économie légale souligne le besoin de renforcer les dispositifs actuels de contrôle. D'importants progrès ont pourtant été réalisés, souvent sur l'initiative du Sénat. J'ai ainsi à l'esprit la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, à laquelle Étienne Blanc fera sans doute référence, mais aussi la loi du 24 juin 2024 améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.

Pour autant, les flux financiers issus des trafics et réinjectés dans l'économie française sont estimés à entre 38 milliards d'euros et 58 milliards d'euros, tandis que l'État ne parvient à en recouvrer que 2 %. Ces chiffres mettent en évidence une vulnérabilité structurelle du tissu économique face à l'infiltration criminelle.

Cette proposition de loi est donc bienvenue. Elle s'attaque à la persistance d'angles morts, tels que les cessions amiables de société ou encore la nécessité de renforcer les prérogatives des greffiers des tribunaux de commerce.

La commission des lois, saisie au fond sur quatre articles – les articles 2, 3, 8 et 9 –, a donc apprécié favorablement la démarche qui lui a été proposée, en l'accompagnant de trois principes : tout d'abord, sécuriser juridiquement les rédactions qui devaient l'être, notamment à l'article 9 ; ensuite, supprimer les éléments redondants avec le droit existant, notamment à l'article 8 ; enfin, leur substituer des mécanismes d'action plus opérationnels, inspirés de l'expérience sur le terrain des services et des besoins qu'ils ont exprimés lors des auditions menées avec Stéphane Sautarel – je saisis cette occasion pour saluer ce dernier, qui a montré sa capacité à fédérer nos énergies –, notamment en ce qui concerne les articles 2 et 3. Je.

Dans le détail, l'article 2 autorisait le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce à créer un nouveau fichier recensant les identités fictives et les prête-noms impliqués dans des affaires de blanchiment.

À l'issue de nos travaux, il nous est apparu qu'un tel fichier serait aisément contournable par l'utilisation de faux Iban (International Bank Account Number) à usage unique. Il emportait également un risque de double peine pour les victimes d'usurpation d'identité, qui deviennent bien souvent des prête-noms malgré elles.

Tout en souscrivant à l'objectif des auteurs du texte, la commission a jugé préférable de s'appuyer sur un outil déjà existant : les appels à la vigilance de Tracfin. Le service de renseignement financier peut déjà signaler des personnes physiques particulièrement à risque aux acteurs de la lutte contre le blanchiment. Nous avons souhaité que ce signalement puisse aussi inclure explicitement les identités fictives des intéressés.

L'article 3 prévoyait ensuite une justification obligatoire de l'origine des fonds par l'acheteur dans le cadre de toute cession amiable d'une société commerciale. Nos collègues ont visé juste. Pour autant, la solution proposée aurait créé une charge administrative importante pour les acteurs économiques, qui nous demandent de simplifier. Surtout, elle aurait conduit à un envoi massif à Tracfin de déclarations de soupçons d'un intérêt limité.

Nous lui avons donc substitué une nouvelle mesure de vigilance complémentaire. Cette approche par les risques nous a semblé plus adaptée qu'une obligation déclarative systématique. Cette vision est partagée par les organisations professionnelles et le monde économique, que nous avons auditionnés et questionnés.

L'article 8 renforce les prérogatives des greffiers des tribunaux de commerce. Nous avons supprimé les éléments redondants avec le droit existant, sans remettre en cause le cœur du dispositif.

L'article 9, enfin, prévoit l'expérimentation d'un accès direct des greffiers aux données cadastrales. Nous ne l'avons pas remis en cause ; nous l'avons sécurisé juridiquement et ajusté dans le temps.

Mes chers collègues, nous le vivons au quotidien, cela n'a rien de conceptuel : dans nos communes, avec des commerces ou des artisans douteux, l'enjeu est bien de juguler ce qui s'apparente à un crime contre la démocratie et à une incitation à la corruption. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.  M. Marc Laménie et M. Raphaël Daubet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer particulièrement Mme Nathalie Goulet et M. Raphaël Daubet, auteurs de cette proposition de loi. Celle-ci fait suite aux travaux parlementaires qu'ils ont conduits et qui vise à la sécurisation juridique des structures économiques face au risque de blanchiment.

Je tenais, avant d'entrer dans le détail de vos travaux et dans l'examen des différents amendements, à vous remercier d'avoir permis au Sénat aujourd'hui, et très prochainement à l'Assemblée nationale, de se saisir de nouveau de ce sujet essentiel.

En effet, ainsi que Mme Goulet l'a rappelé, le blanchiment est le crime qui permet tous les autres, qui les autorise, les facilite et les prépare souvent. Il sert non seulement à réinjecter des sommes d'argent constituées de manière illicite dans l'économie réelle et légale, mais aussi souvent à organiser d'autres crimes et à alimenter d'autres réseaux. C'est la raison pour laquelle il est très important d'avancer sur cette question.

Pour autant, cela a été dit, il ne s'agit que d'une étape ; il faudra aller plus loin. Le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, que nous examinerons dans votre assemblée dès la semaine prochaine, permettra d'ajouter des dispositifs à notre arsenal en la matière.

De manière plus générale, en effet, il faut adopter une nouvelle méthode dans la lutte contre la fraude et contre le blanchiment. Celle-ci exige que nous adoptions une approche complète de ces problématiques. Ainsi, au sein de la fraude, nous devons considérer fraude fiscale et fraude sociale ; au sein de cette dernière, fraude aux prestations sociales et fraude aux cotisations sociales. C'est ainsi, seulement, que nous franchirons des pas décisifs.

C'est la raison pour laquelle le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales est l'un des plus complets sur cette question, même s'il devra encore être enrichi par les débats que nous aurons au Parlement.

Pour revenir au cœur de votre texte, qu'il s'agisse du renforcement des capacités d'alerte de Tracfin à l'encontre des prête-noms ou de l'obligation de vérifier l'origine des fonds lors d'opérations sensibles, ses dispositions viennent pallier des impensés de notre arsenal juridique.

La qualité de ce texte s'explique aussi par le travail mené pendant de longs mois par votre commission d'enquête, intitulée Ces Dizaines de milliards qui gangrènent la société, laquelle a permis à la fois de documenter davantage l'ampleur du phénomène – une première étape nécessaire avant de légiférer – et de préparer les propositions qui nous sont soumises.

Sur cette base, ce texte est structuré autour de deux grands axes. Le premier a pour objectif de faciliter et de renforcer les contrôles exercés par les greffiers des tribunaux de commerce lors de la création ou de la reprise d'entreprises, afin, notamment, d'éviter la constitution de sociétés ayant pour seul but de servir à des actes de blanchiment ; le second vise à prévenir la création de comptes bancaires dont la seule finalité serait de servir à faire transiter les fonds issus d'activités criminelles.

Ces axes sont très importants. Nous avons constaté ces dernières années une amélioration de la lutte contre le blanchiment, et je tiens à saluer le travail qui est réalisé par les services de Tracfin, des douanes, de la DGFiP. Ceux-ci se sentent souvent un peu seuls dans ce combat ; il est donc capital de démontrer la volonté politique du Gouvernement comme du Parlement de les accompagner et de les doter des outils qui leur permettront d'être encore plus efficaces demain.

Les instruments que vous nous proposez permettront de renforcer la vigilance des acteurs économiques et de soutenir ainsi les activités de contrôle.

En matière de lutte contre la fraude et, au premier chef, de lutte contre le blanchiment, il est aussi très important de ne pas céder à la culture des annonces, mais de s'appuyer sur une culture du terrain et du résultat : de manière générale, tout le monde est contre la fraude, et il est rare que des élus ou des responsables prétendent y être favorables…

Comme toujours, le diable se cache dans les détails. Ce qui doit guider nos travaux, c'est donc bien l'efficacité opérationnelle des mesures que nous proposons ; il nous faut à cette fin partir des besoins des acteurs de terrain, issus de l'administration, qui sont engagés dans la lutte contre le blanchiment et contre la fraude, mais aussi des acteurs économiques, afin de déceler les dispositifs les plus efficaces.

C'est bien à la lumière de ces considérations que vos travaux se sont tenus, en amont de la proposition de loi, mais aussi en commission. Vous avez prêté attention à la nécessité de conjuguer ces deux exigences essentielles : garantir l'efficacité opérationnelle des dispositifs proposés et veiller à ce que les obligations qui pèsent sur les acteurs économiques restent claires, proportionnées et adaptées à leur réalité.

Grâce à cette démarche, le texte qui nous est présenté continue à gagner en cohérence, en efficacité et en équilibre. Il convient de poursuivre dans cette voie.

Je tiens, à ce titre, à saluer également les améliorations qui ont été apportées en commission et que les rapporteurs viennent de détailler. Certaines dispositions gagneront encore à être affinées au cours de la discussion, ce qui est normal, et le Gouvernement accompagnera ces travaux.

C'est la raison pour laquelle nous avons décidé d'engager la procédure accélérée : nous avons besoin de cette proposition de loi, et il nous faut travailler pour continuer à l'améliorer. Ainsi, nous aboutirons à un texte utile.

Les mesures qui, à mon sens, pourraient encore bénéficier de précisions techniques pour garantir leur pleine efficacité sont les suivantes.

En ce qui concerne l'article 4, il existe aujourd'hui une différence, entre particuliers et entreprises, quant à la déclaration des comptes détenus à l'étranger. Des dispositifs spécifiques et des obligations déclaratives s'appliquent aux entreprises, en matière de coopération internationale, s'agissant particulièrement des intermédiaires bancaires et financiers.

Si le Gouvernement souscrit à l'intention des rédacteurs de cet article, il me semble qu'une réflexion technique doit maintenant être menée pour nous assurer de sa bonne application au vu du cadre existant, afin d'éviter un empilement de dispositifs susceptible d'entraver l'action des services de contrôle. L'efficacité opérationnelle, mais aussi économique, me semble donc commander de poursuivre le travail sur ce dispositif, afin d'en garantir la proportionnalité.

Nous avons un double objectif de simplification administrative et d'efficacité opérationnelle de la lutte contre le blanchiment et la fraude. À cet égard, l'article 4, tel qu'il est aujourd'hui rédigé, ne me semble pas encore atteindre cet équilibre. J'en comprends l'intention, mais j'estime qu'il devra être amélioré, au Sénat, puis durant la navette parlementaire. C'est pourquoi je m'en remettrai à la sagesse de votre assemblée à son sujet.

En ce qui concerne l'article 5, nous partageons pleinement l'ambition de renforcer la vigilance sur les opérations réalisées via des interfaces automatisées. Il nous apparaît toutefois que cet objectif pourrait être mieux atteint en mobilisant des outils déjà existants et en poursuivant les travaux engagés au niveau européen. Dans cet esprit, afin de préserver la fluidité des opérations, nous soutiendrons l'amendement proposé par M. le rapporteur Sautarel.

Pour ce qui concerne l'article 7, lequel ouvre la possibilité pour l'ACPR de solliciter un audit indépendant, un travail complémentaire sera sans doute nécessaire, afin de préciser les modalités d'exercice de cette faculté et d'assurer une mise en œuvre efficace, proportionnée et aisément applicable pour tous les acteurs concernés.

J'en resterai là sur les différentes mesures du texte, car nous y reviendrons durant la discussion des articles.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme se gagne non pas seulement par le droit, mais aussi par l'action collective et par la mobilisation des instruments juridiques pertinents. Elle suppose un engagement constant de l'ensemble des acteurs : autorités judiciaires, services de contrôle, professions réglementées, secteurs financiers, élus locaux, entreprises et associations.

C'est la raison pour laquelle un texte, quel qu'il soit, ne saurait constituer un aboutissement ; il est seulement une étape dans ce combat. Nous continuerons à renforcer les moyens et à moderniser les outils.

Le Parlement, par le biais de sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement, jouera un rôle important en mesurant l'efficacité des mesures que nous mettons en place. Pour ce qui concerne sa tache législative, nous poursuivrons le travail dès la semaine prochaine, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'avez compris, le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi, qui permettra de compléter notre arsenal législatif ; nous mènerons ensemble le travail technique encore nécessaire sur certaines de ses dispositions. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)