Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le blanchiment de capitaux constitue un risque majeur pour notre économie et pour la confiance publique. Selon la Cour des comptes européenne, il représenterait environ 1,3 % du PIB européen.
La commission d'enquête du Sénat sur la délinquance financière, dont j'ai fait partie, qui a été présidée par Raphaël Daubet et dont Nathalie Goulet était le rapporteur, a mis en lumière l'ampleur du phénomène et les dizaines de milliards d'euros qui échappent chaque année au contrôle des autorités françaises. De ce rapport est née la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, fruit d'un travail minutieux et rigoureux.
Les montants en cause alimentent les réseaux mafieux, enrichissent des individus et, dans certains cas, financent le terrorisme. Il est donc indispensable de disposer d'un cadre législatif clair et efficace.
Cette proposition de loi s'inscrit dans un travail parlementaire proactif en matière de lutte contre les trafics en tout genre ; elle viendra compléter les récentes lois adoptées par le Sénat sur le narcotrafic – je salue notre collègue Étienne Blanc –, et sur l'efficacité des saisies et confiscations, qui ont renforcé notre capacité à frapper les réseaux criminels.
Élue de Moselle, dans une zone frontalière où les flux économiques et financiers avec le Luxembourg et l'Allemagne sont importants, je suis d'autant plus attentive à ces enjeux. Des vulnérabilités concrètes existent, comme l'usage de sociétés-écrans logées au Luxembourg pour brouiller la traçabilité ou le transit de fonds en liquide à travers la frontière allemande, pour fragmenter les montants. Le défi consiste à contrôler ces points de friction, tout en préservant la dynamique économique d'un territoire ouvert.
Cette proposition de loi renforce les moyens d'action au service du contrôle et de l'enquête et élargit leur périmètre d'intervention.
Dans le travail législatif engagé, je tiens à souligner le rôle important de nos deux rapporteurs, Stéphane Sautarel et Hervé Reynaud. Leurs amendements ont donné au texte davantage de consistance et d'impact dans la lutte contre le blanchiment : la définition des sociétés éphémères est désormais précisée, la déclaration des comptes à l'étranger mieux encadrée et le contrôle des opérations financières à risque renforcé. Ces ajustements rendent cette proposition de loi plus opérationnelle, mais aussi plus efficace.
Ces mesures apportent des outils concrets aux autorités de contrôle et d'enquête dans le domaine de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Tracfin sera à même de mieux signaler les identités fictives, les prête-noms ; l'ACPR disposera de pouvoirs accrus pour imposer des audits aux entités financières défaillantes ; les services fiscaux auront accès, de manière sécurisée, à certaines données cadastrales pour détecter des montages suspects.
Ainsi, ce texte permettra un suivi plus fin des flux financiers, une détection rapide des comptes à rebond et une coordination renforcée entre les acteurs. L'efficacité de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme s'en trouvera significativement améliorée.
Enfin, cette proposition de loi signale combien le Sénat s'engage à lutter contre le blanchiment, à sécuriser notre économie et à maintenir la confiance dans le tissu économique. Elle invite également tous les acteurs, publics et privés, à collaborer pleinement. Ensemble, nous pouvons faire en sorte que la France demeure à la pointe de la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Salama Ramia. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Salama Ramia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer et à remercier chaleureusement la commission des finances et la commission des lois, ainsi que leurs rapporteurs respectifs, du travail considérable qu'ils ont mené. En un temps record, ils ont su proposer des modifications pertinentes et utiles qui ont permis d'améliorer ce texte. Cette efficacité témoigne d'une collaboration menée en bonne intelligence avec les administrations et les services de Bercy.
Je tiens également à adresser mes remerciements appuyés à notre collègue Nathalie Goulet, auteur de cette proposition de loi, dont l'engagement constant et déterminé contre la délinquance financière force l'admiration. Je n'oublie pas Raphaël Daubet, président de la commission d'enquête sur la délinquance financière dont les travaux ont nourri et inspiré ce texte. Cette proposition de loi n'est pas le fruit du hasard : elle est l'aboutissement d'un travail parlementaire de fond, documenté et rigoureux.
Je tiens enfin à saluer la politique en la matière du Gouvernement, qui prend à bras-le-corps depuis plusieurs mois les questions liées à la fraude et au blanchiment. Cette volonté politique est essentielle : sans elle, aucune réforme d'envergure ne saurait voir le jour.
Mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui illustre parfaitement ce que doit être notre action : une politique transpartisane, déterminée et implacable face aux fléaux qui minent notre économie et notre société.
Oui, le blanchiment de capitaux est un fléau, dont les proportions sont vertigineuses. Considérez ces chiffres : en France, le montant des flux annuels issus des trafics et recyclés dans les circuits légaux est estimé à entre 38 milliards d'euros et 58 milliards d'euros. De ce tsunami financier, nous ne récupérons que 2 %. C'est clairement insuffisant !
Pendant que des réseaux criminels prospèrent, que des narcotrafiquants blanchissent leurs profits en toute impunité, que des fortunes illicites se fondent dans notre économie légale, l'État peine à récupérer les fruits de ces activités criminelles. Cette situation doit cesser.
Mme Nathalie Goulet. Très juste !
Mme Salama Ramia. Le blanchiment d'argent n'est pas un crime sans victime : il finance le terrorisme ; il alimente les trafics de drogue qui détruisent nos quartiers ; il fausse la concurrence et pénalise nos entreprises honnêtes ; il fragilise la confiance dans notre système économique et financier.
Mes chers collègues, à ce constat accablant, cette proposition de loi apporte une première réponse essentielle : elle crée des outils concrets, des dispositifs efficaces pour mieux lutter contre le blanchiment. Elle renforce les mécanismes de vigilance. Elle améliore la traçabilité des flux suspects. Elle donne aux acteurs économiques les moyens de se protéger et de protéger notre économie contre l'infiltration de capitaux criminels.
Ces mesures permettront de mieux détecter, de mieux prévenir et de mieux sanctionner les opérations de blanchiment. Elles offriront un cadre plus clair et plus protecteur pour les entreprises qui jouent le jeu de la transparence. Elles renforceront les obligations de vigilance sans pour autant paralyser l'activité économique légitime.
Ce texte envoie surtout un message fort : la France ne sera pas un territoire où l'argent sale circulera librement.
Mes chers collègues, ce combat contre le blanchiment et contre la fraude ne recouvre pas de clivages politiques, il s'agit non pas d'un sujet de gauche ou de droite, mais d'une question de confiance, de justice et d'État de droit. C'est pourquoi je me réjouis de constater que la volonté de mener cette lutte transcende les appartenances partisanes.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Salama Ramia. Tous les groupes de cette assemblée ont conscience de l'urgence. Tous comprennent que nous avons une responsabilité collective sur cette question.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants a toujours placé la lutte contre la fraude et le blanchiment au cœur de ses priorités. C'est pourquoi, avec force et clarté, nous voterons résolument en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains. – MM Marc Laménie et Raphaël Daubet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Vincent Éblé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui un texte aussi technique que nécessaire, à savoir la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face au risque de blanchiment, déposée par nos collègues Nathalie Goulet et Raphaël Daubet.
Ce texte, travaillé avec sérieux et amendé avec justesse par la commission des finances, répond à une préoccupation majeure : comment renforcer la capacité de notre économie à se protéger des circuits de blanchiment, des sociétés-écrans et des structures frauduleuses qui sapent la confiance publique ?
Depuis dix ans, dans un contexte de défiance et de vigilance accru, l'Europe et la France sont confrontées à une série de scandales économiques et financiers : Panama Papers, CumEx Files, escroqueries à la TVA, scandales liés aux crypto-actifs, etc. Derrière ces noms, ce sont des milliards d'euros qui, chaque année, échappent au contrôle des États, au financement de nos politiques publiques et à la loyauté du marché.
Ces affaires ont révélé la fragilité de nos mécanismes de prévention : trop d'acteurs, trop peu de coordination et une ingénierie criminelle désormais mondialisée.
La France a certes réagi, par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II, par le renforcement de Tracfin, par le déploiement du parquet national financier (PNF) et par la transposition des directives européennes successives, mais les réseaux criminels se sont, eux aussi, adaptés. Ils exploitent désormais les zones grises, les entreprises éphémères, les prête-noms, les comptes rebonds. Nos concitoyens exigent que la puissance publique s'empare des angles morts de la lutte contre la fraude.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi, qui s'inscrit pleinement dans le mouvement européen tendant à harmoniser les règles de vigilance et à rapprocher nos standards de ceux de la future Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent (Amla). Nous devons adapter notre droit à des pratiques criminelles qui n'ont ni frontières ni délais.
Je tiens à souligner la cohérence du travail mené depuis plusieurs années par le Sénat, en particulier par sa commission des finances. Cette dernière a été pionnière dans l'analyse des dispositifs de lutte contre la fraude et le blanchiment.
Nous avions alerté sur la fraude à la TVA, dite fraude carrousel, qui coûte chaque année plusieurs milliards d'euros à la collectivité, ou encore sur les CumEx Files, qui ont mis en lumière des montages d'arbitrage de dividendes permettant à des investisseurs de prêter des actions juste avant le versement des dividendes pour éviter la retenue à la source. Selon les travaux du Sénat, ce mécanisme coûte au moins 1 milliard d'euros par an au budget français – certains analystes avancent même la somme de 3 milliards d'euros.
Les montages CumCum-ComEx ne sont pas des abstractions : véritable casse fiscal du siècle, ils fragilisent le consentement à l'impôt. D'autres scandales ont par ailleurs montré que des sociétés-écrans, des comptes bancaires temporaires ou des plateformes de néobanque servaient de passerelles au blanchiment.
Notre Haute Assemblée n'a pas attendu pour agir. En 2018, après les révélations des CumEx Files, la commission des finances, alors sous ma présidence, avait constitué un groupe de suivi et auditionné la DGFiP, l'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'ACPR. Il est résulté de ces travaux l'adoption d'une position consensuelle transpartisane et le dépôt, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, de plusieurs amendements visant à empêcher ces montages.
Tous les groupes politiques avaient notamment déposé le même amendement tendant à instaurer une retenue à la source de 30 % sur les opérations suspectes, charge ensuite aux bénéficiaires non-résidents de prouver la légitimité des dividendes. En tant que président de la commission des finances, j'avais alors souligné que ce dispositif constituait la réponse légitime au casse fiscal du siècle et qu'il fallait agir rapidement.
Ce front commun, qui honore notre institution, illustre la capacité du Sénat à réagir face aux grandes fraudes internationales. Pendant que certains préfèrent accumuler les déclarations d'intention et les effets d'annonces, le Sénat, lui, continue de faire ce qu'il sait faire : travailler, écouter, amender et construire.
Au-delà de nos différences, les groupes politiques qui constituent notre assemblée savent encore dialoguer, car ils partagent le même sens de l'intérêt général. C'est cela, au fond, le travail du législateur : avancer sans bruit, mais avec méthode et responsabilité.
La proposition de loi qui nous occupe aujourd'hui s'inscrit dans le même esprit : sans courir après les scandales, elle vise à anticiper les risques. Elle complète nos initiatives précédentes en élargissant la détection des sociétés-écrans, en encadrant les comptes rebonds, en renforçant la vigilance des greffes et le contrôle des néobanques et en croisant des bases de données jusqu'ici cloisonnées.
Ce texte renforce les maillons faibles sans complexifier l'édifice. Il complète, sans les contredire, les instruments déjà créés par le législateur. C'est un texte non pas d'empilement, mais de consolidation. Il ne bouleverse pas notre code monétaire et financier : il agit là où les failles demeurent.
Il favorise la détection des entreprises éphémères, véritables chevaux de Troie de la fraude. Il améliore la traçabilité des identités fictives et des prête-noms. Il renforce la vigilance autour des comptes rebonds et encadre les néobanques à forte exposition numérique. Il consolide, enfin, le rôle des greffiers des tribunaux de commerce, acteurs souvent discrets, mais essentiels, de la sécurité publique.
Ces dispositions précises, équilibrées, ont un objectif clair : assainir l'environnement économique sans alourdir les formalités des acteurs honnêtes.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutient l'esprit de ce texte. Si nous partageons son objectif – faire reculer l'économie souterraine et protéger la probité des affaires –, nous souhaitons préserver la souplesse du dispositif.
C'est pourquoi nous soutiendrons l'amendement n° 3 de notre collègue Grégory Blanc, qui vise à rétablir la notion d'entreprise éphémère tout en revoyant les critères de définition de celle-ci à un décret. Une telle rédaction permet d'agir sans rigidifier le droit.
Nous sommes en revanche réservés sur les amendements dont l'adoption risquerait d'affaiblir la portée des vérifications relatives à l'origine des fonds, tout en étant favorables aux amendements de nos collègues du groupe communiste relatifs aux crypto-actifs, car les technologies financières doivent en effet être encadrées, évaluées, mais sans hostilité de principe.
Nous soutiendrons également les propositions tendant à renforcer utilement les pouvoirs de vérification des greffes avant déclaration de soupçon.
Enfin, nous ne pourrons pas soutenir l'amendement n° 1 de notre collègue Nathalie Goulet visant à soumettre les associations exerçant une activité économique à une immatriculation au registre du commerce. Si l'intention de transparence est légitime et louable, la méthode nous paraît inadaptée. Une telle mesure risquerait en effet d'affaiblir le tissu associatif, qui constitue l'un des piliers de notre vie démocratique et sociale. Ce débat mérite un travail sans doute spécifique, distinct de ce texte et mené en concertation avec les acteurs concernés.
La commission des finances a fait œuvre utile. Elle a précisé, clarifié, simplifié. Nous souhaitons que la navette parlementaire poursuive ce travail dans le même esprit. L'enjeu est de produire une loi non pas symbolique, mais applicable et évaluable. Les dispositifs créés doivent être suivis, contrôlés et rendus comptables de leurs résultats. C'est là tout le sens du contrôle parlementaire, auquel notre groupe est profondément attaché.
L'efficacité d'un texte se mesure moins à sa sévérité qu'à sa capacité à être appliquée partout, par tous et de manière juste. Cette proposition de loi s'inscrit à ce titre dans le cadre plus large d'une refondation européenne de la lutte contre le blanchiment.
Le futur parquet européen, qui entrera en vigueur l'année prochaine, fera de la transparence des bénéficiaires effectifs et de la traçabilité des flux financiers deux priorités absolues. En adoptant cette proposition de loi, la France montrerait que, loin de se contenter de suivre, elle anticipe.
Ce n'est pas un hasard si le Sénat se saisit de cette question. Nous savons en effet combien la probité économique conditionne la crédibilité de l'action publique et la justice fiscale, mes chers collègues. Chaque société écran qui prospère, chaque circuit opaque qui se referme sur lui-même, c'est une part de confiance républicaine qui s'érode.
Lutter contre le blanchiment, c'est défendre la République économique, mais aussi la République morale.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain approuve cette proposition de loi, telle qu'elle a été amendée par la commission. Nous devrions donc la voter à l'issue de nos débats, parce qu'elle conjugue efficacité et proportionnalité, parce qu'elle renforce la coopération entre acteurs publics et parce qu'elle promeut une vision équilibrée de la régulation économique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE – Mme Nathalie Goulet et M. Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, cette proposition de loi est directement issue du travail mené par la commission d'enquête sur la délinquance financière, dont notre collègue Nathalie Goulet était le rapporteur et Raphaël Daubet le président.
Je me permets d'ailleurs de rappeler que le présent texte porte sur les risques que le blanchiment fait peser sur nos structures économiques, monsieur le ministre. Je comprends que vous vous efforciez de défendre le Gouvernement jusqu'à l'outrance, mais la mention du projet de loi de lutte contre les fraudes sociales et fiscales est à ce titre l'équivalent d'un cavalier législatif... (Sourires.) Si vous le voulez bien, laissons donc les choses à leur place !
Les travaux de la commission d'enquête que j'évoquais ont eu le mérite d'éclairer un phénomène souvent sous-estimé. Entre 38 milliards d'euros et 58 milliards d'euros issus d'activités criminelles seraient en effet recyclés chaque année dans notre économie, et moins de 1 % des flux criminels mondiaux seraient saisis. En France, seulement 2 % à 3 % des signalements Tracfin débouchent sur des poursuites.
Les constats édifiants de ce travail ont montré la fragilité de notre arsenal répressif en la matière, mais aussi le manque de moyens criant de la justice financière, des douanes et de Tracfin. Cette délinquance financière n'a pas le visage du gangster : elle s'appuie sur des cabinets d'avocats, des banques ou encore des sociétés de domiciliation. Elle gangrène des secteurs entiers, capte des fonds publics et influence des décisions économiques.
Ce que l'on pourrait appeler le crime en col blanc n'est pas une anomalie : il constitue une composante à part entière d'un capitalisme mondialisé ; rouage fonctionnel de ce dernier, il permet une optimisation du profit et soumet l'économie réelle à son emprise envahissante.
La proposition de loi qui nous est soumise place la prévention au cœur de la régulation économique, quand prévalait jusqu'alors un modèle de sanction a posteriori, souvent trop tardif d'ailleurs.
Ce texte pose donc un cadre utile, fondé sur un principe simple, mais essentiel : l'entreprise privée ne doit plus être considérée comme un simple agent d'économie libre. Elle doit être envisagée comme un point potentiel d'introduction de flux illicites mettant en danger l'ordre public économique. L'alerte est sérieuse !
Nous avons un devoir de vigilance à l'entrée du tissu économique : immatriculations, reprises d'entreprises, comptes bancaires, contrôle des néobanques ou encore rôle accru des greffiers.
Lors du passage de ce texte en commission, certains équilibres en ont toutefois été modifiés. Si certaines modifications répondaient à un souci de cohérence juridique, nous estimons que d'autres ont contribué à affaiblir la portée de ce texte de manière substantielle.
La définition légale des entreprises éphémères, tout d'abord, qui visait à donner un fondement clair au signalement effectué par les greffiers, a été supprimée. Cela a pour conséquence de laisser perdurer ce que l'on peut qualifier d'angle mort.
La création d'un fichier national des identités fictives et des prête-noms a ensuite également été abandonnée, au profit d'un élargissement du champ des appels à la vigilance de Tracfin, dont l'effectivité – c'est là que le bât blesse – nécessiterait que des moyens supplémentaires soient alloués à cette instance pour assurer la diffusion en temps réel de signaux exploitables aux acteurs de terrain. À défaut des moyens nécessaires, en effet, cette coordination restera théorique.
La transformation, enfin, de l'obligation systématique de justification de l'origine des fonds en une simple vigilance laissée à la discrétion du professionnel chargé de l'acte – notaire, greffier ou avocat – marque un infléchissement significatif.
Sous couvert de proportionnalité et de simplification administrative, on déplace la responsabilité de la prévention du blanchiment vers l'appréciation subjective des acteurs privés. Pour notre part, nous redoutons qu'une telle rédaction ne conduise à des pratiques hétérogènes, quand une obligation automatique aurait eu le mérite d'unifier et de sécuriser la vigilance.
Cela dit, il faut aussi reconnaître les avancées maintenues ou introduites dans cette nouvelle version : l'extension de la déclaration des comptes bancaires à l'étranger, l'encadrement plus strict des services automatisés, l'expérimentation d'un accès aux données cadastrales par les greffes ou encore le renforcement des pouvoirs de l'ACPR.
Dans un monde où la valeur se substitue à la monnaie, la finance, telle est la dure réalité, va parfois plus vite que la loi. Les crypto-actifs, souvent présentés comme l'avenir de la liberté économique, deviennent une richesse sans contrôle, sans visage, sans frontière. Comme le disait notre ancien collègue Éric Bocquet – cette citation fera plaisir à Nathalie Goulet ! (Sourires.) –, « pendant que nous dormons, l'argent circule, s'échappe et se cache ».
En dépit des réserves que j'ai formulées, nous voterons donc en faveur de cette proposition de loi, qui, loin de tenir la criminalité financière pour un phénomène secondaire, reconnaît qu'elle constitue un danger systémique qui affaiblit l'État, mine la démocratie et renforce les inégalités.
Dans le cadre de nos travaux législatifs, en particulier budgétaires, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky continuera de porter l'exigence d'une véritable souveraineté financière et démocratique, laquelle suppose des moyens techniques, mais aussi humains. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST, RDSE et INDEP. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Grégory Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le blanchiment – c'est évident, et cela a été dit avant moi – se trouve au cœur des trafics. Les trafiquants agissent pour gagner de l'argent : sans l'appât de gains rapides, pas de corruption, pas de narcotrafic, pas de fraude fiscale organisée ni de traite des êtres humains.
Le blanchiment permet que, par l'achat de commerces, d'immeubles ou d'entreprises, l'argent sale se fonde dans l'économie licite. Il désigne la contamination de notre économie réelle, notre vulnérabilité collective résidant dans le point de jonction entre les sphères économiques licite et illicite.
Je salue le travail très important accompli par la commission d'enquête consacrée à ce sujet, pilotée de manière énergique et lucide par Nathalie Goulet et Raphaël Daubet et dont j'ai eu l'honneur d'être membre. La présente proposition de loi est issue du rapport rendu par cette commission au mois de juin dernier.
En dépit de ses qualités indéniables, il faut reconnaître que ce texte paraît avoir subi un programme de lavage quelque peu élevé en température... (Sourires.) Si la proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui est utile, elle n'est en effet plus que l'ombre de la proposition de loi initiale, qui comportait trente articles – après avoir subi un sévère rétrécissement au lavage, elle n'en compte plus que neuf.
Les ambitions ont été rabotées pour des raisons de calendrier et d'empilement législatif, mais aussi du fait de l'inscription à l'ordre du jour de notre assemblée, la semaine prochaine, du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.
Le présent texte a donc été recentré uniquement sur les sociétés commerciales, quand j'estime, avec mon groupe, qu'il aurait fallu embrasser la criminalité financière dans toutes ses dimensions.
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Grégory Blanc. Nous nous livrons, au contraire, à un véritable saucissonnage législatif, mes chers collègues, puisque, après avoir examiné la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire la semaine dernière, nous débattons aujourd'hui de ce texte pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, avant d'examiner, la semaine prochaine, le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, sans oublier la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques – intitulé quelque peu présomptueux –,…
Mme Nathalie Goulet. C'est sûr !
M. Grégory Blanc. … dite proposition de loi Cazenave, qui nous a été soumise il y a quelques mois.
Autant de textes certes utiles, mais fragmentés et dépourvus de vision d'ensemble. Or la criminalité financière ne s'arrête pas aux frontières d'un code : étant par nature systémique, elle appelle une réponse de la même nature.
Vous avez insisté à juste titre sur la nécessité de ne pas accumuler les textes, monsieur le ministre. C'est tout à fait juste, mais il appartient au Gouvernement de nous présenter un texte d'ensemble, complet, remédiant aux trous dans la raquette, plutôt que le texte quelque peu cosmétique et principalement centré sur la fraude sociale, au détriment de la fraude fiscale, qui nous sera présenté la semaine prochaine.
Soucieux, avec mon groupe, de remédier à ce déséquilibre, je n'ai donc déposé qu'un amendement sur le présent texte, au bénéficie des enrichissements considérables que nous proposerons d'apporter au texte du Gouvernement la semaine prochaine.
La présente proposition de loi permet toutefois de réelles avancées : amélioration du traçage des cessions d'entreprise, responsabilisation accrue des greffiers, renforcement de l'encadrement des néobanques.
Plusieurs articles ayant été affaiblis en commission, la portée de ces outils demeure toutefois limitée. Nous prenons acte de cet affaiblissement et proposerons d'y revenir la semaine prochaine.
À l'article 1er, comme Raphaël Daubet, j'ai déposé un amendement, qui me paraît tout à fait fondamental, visant à rétablir une définition des sociétés éphémères. C'est une question de cohérence : sans cadre clair, les sociétés-écrans continueront de fleurir, au détriment de la transparence.
Nous soutiendrons de même, comme notre collègue Vincent Éblé et son groupe, les amendements tendant à enrichir les dispositions de ce texte relatives aux cryptomonnaies, ainsi que l'amendement présenté par notre collègue Nathalie Goulet.
Au-delà des procédures, il nous paraît important de rappeler avec force que la question de l'effectivité demeure entière. Comment garantir que la lutte contre le blanchiment se traduise sur le terrain ?
Les constats de la commission d'enquête sont clairs : si notre raquette législative comporte des trous, nos services manquent de moyens. Il nous faut donc un projet de loi d'ensemble, afin d'articuler les dispositions législatives qui s'imposent avec le nécessaire renforcement des moyens de l'ensemble des services et une coordination européenne plus effective.
Je conclurai en répondant à certains propos, dont je dois avouer qu'ils m'ont choqué.
J'ai en effet entendu que le renforcement de la lutte contre le blanchiment pourrait contribuer à affaiblir l'attractivité de la France… Je veux vous le dire avec force, mes chers collègues : si l'amélioration de nos dispositifs de contrôle des fonds affaiblit l'attractivité de notre pays, nous avons une véritable difficulté ! J'invite donc chacun à réfléchir au sens de ses propos. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne partage pas l'avis de Nathalie Goulet : le texte que nous vous soumettons aujourd'hui n'est pas un petit texte. (Sourires.) Il est le fruit, cela a été dit, du travail parlementaire rigoureux mené par la commission d'enquête que j'ai eu l'honneur de présider.