Je tiens d'ailleurs à remercier le groupe Union Centriste, qui, sous la houlette de son président Hervé Marseille, a exercé son droit de tirage pour demander la constitution de cette commission d'enquête, ainsi, naturellement, que Nathalie Goulet, qui, pour tout dire, m'a entraîné dans son sillage sur les sujets de fraude et de blanchiment qu'elle porte depuis longtemps avec la passion impétueuse et virevoltante qu'on lui connaît. S'il n'a pas toujours été simple de présider cette structure temporaire, nos échanges ont toujours été amicaux et passionnants…

Je remercie également notre rapporteur, Stéphane Sautarel, ainsi que notre rapporteur pour avis, Hervé Reynaud, qui se sont approprié ce texte et l'ont enrichi en tant que de besoin.

Ce texte, je le disais, n'est pas un petit texte. S'il ne reflète naturellement qu'une petite partie de nos travaux, je le crois beaucoup plus ambitieux qu'il n'en a l'air, car il prépare le changement de culture qu'il faut nous approprier pour combattre le crime organisé. Tel est l'apport majeur de ce texte, qui, en instaurant une traçabilité ex ante en sus de la détection a posteriori dont nous nous contentons actuellement, acte un changement de logique.

L'idée est non pas d'ajouter une couche de bureaucratie supplémentaire, mais d'armer ceux qui sont au contact du réel – les greffes, les notaires, les experts-comptables, les banques –, pour déceler les signaux faibles avant que les circuits de blanchiment ne se referment.

Le travail mené par nos collègues sur le narcotrafic a été à ce titre déterminant, car il nous a convaincus de la nécessité de changer d'angle d'approche et d'appréhender la criminalité au prisme du blanchiment.

Si les réseaux criminels diversifient leurs activités, il leur faut en effet dans tous les cas blanchir les fonds, ce qui expose nos démocraties à des risques de corruption et de gangrène qui rendent le crime financier bien plus grave qu'il n'y paraît. L'argent sale se mêle à l'argent propre et l'économie illicite infiltre l'économie légale dans une forme d'empoisonnement invisible de nos démocraties.

Le constat est alarmant, puisque plusieurs dizaines de milliards d'euros sont blanchis chaque année. Les criminels jouissent de cet argent, même depuis leur prison lorsqu'ils sont arrêtés, ou après avoir purgé leur peine.

Notre ambition est simple : refermer les brèches par lesquelles l'argent sale s'infiltre dans le tissu économique français. Le texte cible quatre points de fuite bien identifiés : les entreprises éphémères, les cessions d'entreprises mal contrôlées, les comptes bancaires à l'étranger des sociétés commerciales et les comptes dits rebonds, hébergés dans certaines néobanques.

À l'urgence de colmater ces brèches s'ajoute la nécessité de donner aux greffiers des tribunaux de commerce des leviers d'action et de contrôle réellement opérationnels.

L'ensemble de ces dispositions – telle est la transformation culturelle majeure – déplace la lutte contre le blanchiment du champ judiciaire répressif vers le champ préventif administratif.

Je tiens par ailleurs à revenir sur deux points soulevés par nos commissions.

Tout d'abord, tout en comprenant les difficultés inhérentes à l'exercice de définition des sociétés éphémères, des comptes rebonds et des néobanques, j'estime que nous ne devons pas renoncer à établir des critères, car ceux-ci seront un levier essentiel de notre faculté à détecter le plus tôt possible les démarches frauduleuses.

Ensuite, si je consens au report d'un an de l'obligation de déclaration des comptes à l'étranger pour les sociétés commerciales, j'insiste sur l'importance de mettre en place cette déclaration. Il faudrait en effet ne pas avoir pris la mesure de la dimension internationale du blanchiment et du crime organisé pour passer à côté de cette obligation.

Certains s'inquiéteront sans doute d'un risque de suradministration, mais il faut être clair : on peut rechercher la simplification dans beaucoup de nos modèles administratifs, mais en la matière, compte tenu de l'ampleur du phénomène de blanchiment permis par ces comptes à l'étranger, nous n'avons pas intérêt à défendre la simplification au détriment des filtres et des contrôles.

Nous avons besoin d'un État qui ne se contente plus d'observer et de poursuivre, mais qui anticipe, qui détecte et qui empêche.

Voter ce texte, c'est donc affirmer que le droit ne reste pas statique quand les criminels innovent. C'est comprendre que, pour lutter contre la criminalité organisée, il faut l'asphyxier financièrement. C'est à ce prix que la France rétablira l'ordre public, la justice économique et une part essentielle de sa souveraineté. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, SER et GEST. – Mme Nathalie Goulet et M. Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Il est passé par ici, il repassera par là ! (Sourires.) De nouveau, je prends la parole sur ce texte.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le président Daubet, qui a sauté à pieds joints dans ce sujet. Nous avons effectivement réalisé un travail formidable, notamment avec Étienne Blanc.

Chacune des auditions préparatoires à l'examen de ce texte a été l'occasion de rappeler que nous nous inscrivions dans la voie ouverte par les travaux de notre commission d'enquête, hélas ! avec moins de moyens. Les contraintes du temps parlementaire ne nous ont en effet pas permis de présenter le texte plus ambitieux que nous avions préparé, cher Grégory Blanc, lequel abordait bien d'autres sujets tout à fait importants et urgents, tels que la corruption, le trafic de migrants et bien d'autres.

Dès lors que nous disposerons de temps législatif, ce que je nous souhaite collectivement, il faudra y revenir, monsieur le ministre.

Mes chers collègues, j'utiliserai les quelques minutes dont je dispose pour vous expliquer pourquoi, sous certaines conditions et à partir d'un certain seuil, nous travaillons, notamment avec les greffes des tribunaux de commerce, à l'élaboration d'un dispositif d'enregistrement des associations ayant une activité commerciale.

Avec un « chiffre d'affaires » de près de 120 milliards d'euros chaque année, le secteur associatif joue un rôle très important. Or certaines associations, bien qu'elles relèvent du régime juridique des organisations à but non lucratif, exercent des activités économiques, dont le contrôle est impossible en raison du statut issu de la loi de 1901.

Même si elles sont rattrapées par la patrouille de l'impôt sur les sociétés, il n'en demeure pas moins que les contrôles financiers et juridiques liés à cette activité économique, notamment ceux des bénéficiaires effectifs, de la lutte contre la fraude, du blanchiment, du financement du terrorisme ou de la sécurisation d'un certain nombre de transactions économiques, ne se font pas.

Plusieurs pays européens – l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Pologne et le Portugal – disposent de registres qui comportent à la fois les sociétés commerciales, mais aussi les associations, à l'exclusion – cela s'entend – des associations dont l'activité est au-dessus d'un certain seuil, des associations culturelles ou de petits producteurs, par exemple de camembert. (Sourires.)

Des dysfonctionnements au sein de certaines associations ont du reste été révélés : l'année dernière, dans son rapport annuel, le Groupe d'action financière (Gafi) indiquait que, si la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République avait contribué à l'amélioration des dispositifs de contrôle des associations, chère Sophie Primas, les difficultés qu'il avait pointées dans son rapport annuel de 2022 restaient pendantes. Le constat est clair : notre arsenal comporte en la matière un certain nombre de failles.

Certaines associations, notamment cultuelles, ont un « chiffre d'affaires » extrêmement important. D'autres se caractérisent par des dysfonctionnements qui ont été rappelés à de nombreuses reprises. Ainsi, l'ancien directeur de l'association Equalis a été condamné pour un détournement de fonds de plus de 600 000 euros. Vous vous rappelez tous le scandale de l'ARC, l'association pour la recherche sur le cancer. L'association SOS Éducation a été sanctionnée pour des émissions abusives de reçus fiscaux – le sujet reviendra lors de l'examen du projet de loi de finances, car chaque année, monsieur le ministre, comme mars en carême, je dépose le même amendement pour contrôler les rescrits ; cela reste manifestement sans effet, mais ce n'est pas grave, car je siégerai dans cet hémicycle jusqu'en 2029… Il y a aussi l'association BarakaCity que nous avons interdite ici et que nous avons retrouvée ailleurs, et bien d'autres encore.

C'est la raison pour laquelle nous engageons ce débat sur l'enregistrement des associations. Il n'aboutira sans doute pas aujourd'hui, mais il reviendra demain – vous pouvez me faire confiance. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Alexandre Basquin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue le travail de nos rapporteurs, Stéphane Sautarel pour la commission des finances et Hervé Reynaud pour la commission des lois, travail partagé avec les collègues de ces deux commissions, dont je salue également les présidents. Je remercie aussi les deux auteurs de cette proposition de loi pour le travail qu'ils ont mené dans le cadre de la commission d'enquête et qui a abouti à un grand nombre de recommandations que nous retrouvons dans ce texte.

Entre 12 milliards et 20 milliards d'euros : tel est le montant auquel est estimé le chiffre d'affaires des réseaux spécialisés dans le blanchiment d'argent, chaque année, en France. En comparaison, le montant alloué à la justice pour 2025 est de 12 milliards d'euros et celui consacré au logement est de 23 milliards d'euros. Il est inacceptable de laisser cette situation perdurer. Le chiffre d'affaires généré par le blanchiment d'argent ne peut pas être équivalent à des postes budgétaires de l'État essentiels pour les Français, comme la justice ou le logement, entre autres.

Au total, le montant des flux annuels issus des trafics et recyclés dans les circuits légaux serait compris entre 38 milliards et 58 milliards d'euros par an, pour un taux de récupération par l'État – cela a été rappelé par plusieurs de nos collègues – estimé à seulement 2 % – vous l'avez indiqué également, monsieur le ministre.

Il y a urgence à agir et à agir efficacement. Tel est l'enjeu de cette proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment.

C'est pourquoi nous tenons à saluer le travail mené par les sénateurs à l'origine de ce texte, Nathalie Goulet et Raphaël Daubet. Mes chers collègues, vous avez été en première ligne dans le cadre de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, en tant que rapporteur et président.

Celle-ci a dressé plusieurs constats dont, notamment, le fait que les structures éphémères, les prête-noms fictifs ou encore l'usage des néobanques non agréées sont des leviers d'action pour les auteurs d'infractions financières d'ampleur.

À l'issue des travaux de la commission d'enquête, cinquante recommandations ont été émises – cela montre l'importance du travail réalisé – articulées autour de trois axes : la nécessité d'une meilleure compréhension du blanchiment, la définition d'une stratégie de lutte efficace contre le blanchiment et le développement de la coopération internationale, qui est un sujet très vaste.

La présente proposition de loi s'inspire de certaines de vos recommandations, mais se concentre sur un champ plus restreint, même si l'idée d'une réforme plus large avait été envisagée. Dans un calendrier législatif chargé, figurent plusieurs textes portant sur la fraude : la semaine dernière, nous avons examiné une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire ; la semaine prochaine, nous examinerons un projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales ; et comme cela a été rappelé, certains collègues ont également déposé antérieurement des textes sur le sujet. Cela montre la volonté d'aboutir à des textes plus ciblés afin d'apporter des réponses rapides.

Ainsi, le principal objectif de ce texte est de donner aux autorités les moyens juridiques de mieux lutter contre les dérives entrepreneuriales liées à la criminalité financière.

Durant son examen en commission, la présente proposition de loi a été enrichie par nos deux rapporteurs. Je salue leur travail, qui a eu pour principal objectif d'assurer une mise en œuvre du texte fluide et sécurisée juridiquement, dans la lignée des recommandations de plusieurs services administratifs concernés par le déploiement de cette proposition de loi. Monsieur le ministre, vous avez cité Tracfin, la direction générale des finances publiques, l'administration des douanes – je peux témoigner de son implication puisque les Ardennes sont un département frontalier –, auxquels s'ajoutent de nombreux autres services administratifs.

Dans sa version initiale, l'article 4 prévoyait d'étendre l'obligation déclarative aux sociétés commerciales en leur imposant de déclarer à l'administration fiscale l'ensemble des comptes bancaires qu'elles détiennent à l'étranger. Un amendement du rapporteur, adopté en commission, vise à prévoir une entrée en vigueur différée pour permettre aux services concernés de se préparer à la gestion de la masse de données qui seraient ainsi collectées.

En outre, le présent texte permet d'importantes avancées. Il renforce les moyens d'action des greffiers des tribunaux de commerce, afin de mieux prévenir les fraudes à l'identité et les manquements aux obligations de transparence des entreprises.

Il met également en place une expérimentation dans les juridictions commerciales de Paris, Lyon et Marseille pour permettre aux greffiers d'accéder aux données cadastrales relatives aux immeubles détenus par des personnes morales immatriculées dans leur ressort.

Il prévoit aussi de nouvelles mesures de vigilance sur l'origine des fonds avant la reprise d'une entreprise, notamment en cas de cession amiable.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra ce texte qui comprend une série de dispositions qui permettront, demain, de mieux lutter contre les formes modernes de blanchiment d'argent.

Toutefois, il est important de rappeler que le blanchiment d'argent, la criminalité financière et l'ensemble des infractions qui en découlent ne s'arrêtent pas à nos frontières, d'où l'intérêt du travail de cette commission d'enquête et de ses recommandations.

Il nous paraît essentiel et prioritaire d'agir afin que l'État dispose de moyens suffisants à tous les niveaux pour prévenir et empêcher de telles manœuvres : cela participe de notre pacte républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nadine Bellurot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « nous assistons aujourd'hui à l'émergence de nouvelles formes de criminalité marquées par l'internationalisation des phénomènes couplée au développement des nouvelles technologies. Les réseaux peuvent ainsi être très structurés à l'échelon international, avec des ramifications locales. Le lien très fort entre la délinquance locale et les trafics internationaux nécessite une bonne circulation de l'information entre les services, afin de mettre en place une stratégie globale de lutte contre la délinquance et la criminalité organisée. »

Cette observation est extraite du rapport d'information intitulé La police judiciaire dans la police nationale : se donner le temps de la réussite, que j'avais remis avec Jérôme Durain en 2023. Nous mettions en garde contre l'accélération de la modernisation des réseaux criminels, qui profitent pleinement des faiblesses structurelles de nos administrations, trop cloisonnées, fonctionnant en silo et manquant de moyens.

Les ramifications au sein de l'économie française s'intensifient et les chiffres sont accablants. Entre 38 milliards et 58 milliards d'euros de flux criminels blanchis infiltrent chaque année notre économie légale et, comme cela a été dit, seulement 2 % de ces flux sont saisis par l'État. Cette situation n'est plus acceptable ; elle met en danger notre République en déstabilisant nos institutions.

Cela a été dit et redit, la criminalité organisée, dans laquelle baigne notamment, mais pas seulement, le narcotrafic, est un fléau. Des avancées ont été permises, en particulier dans le cadre de la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, dont je veux saluer le corapporteur et coauteur, Étienne Blanc.

Lutter contre le blanchiment est l'une des seules manières efficaces de priver la criminalité organisée de sa raison d'être et de l'empêcher de contaminer l'ensemble de l'économie et de la société. Cette lutte ne se gagne pas seulement sur le terrain – qui exige beaucoup de moyens, nous le savons –, mais aussi dans les livres de comptes. Le Sénat en a fait une priorité, comme cela a été dit, à travers l'adoption récente de plusieurs propositions de loi.

Mais, comme l'a démontré la commission d'enquête sur la délinquance financière, des marges de progrès subsistent face à l'insuffisance des dispositifs actuels de contrôle. J'ai participé à cette commission en tant que vice-présidente et je tiens à saluer Nathalie Goulet et Raphaël Daubet pour les travaux qu'ils ont menés et leur engagement sans faille, ainsi que les rapporteurs des commissions des lois et des finances.

Quelques recommandations issues de la commission d'enquête sont reprises dans ce texte : lutter contre les entreprises éphémères, s'attaquer concrètement à l'opacité bancaire, renforcer les moyens techniques de contrôle des greffiers et des tribunaux de commerce pour prévenir les fraudes et radier les sociétés non conformes. Ce texte responsabilise donc chaque acteur et fluidifie l'action des administrations en donnant des moyens proportionnés et opérationnels, car il y a urgence à protéger notre économie.

À l'heure où le budget pour 2026 demande beaucoup aux Français et aux collectivités territoriales – pour ne pas dire beaucoup trop –, la lutte contre la fraude et le blanchiment d'argent est un levier d'action concret pour le rééquilibrage de nos comptes publics.

Frappons la criminalité organisée au portefeuille, car, le blanchiment, c'est le crime qui permet tous les autres ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste a fait de la lutte contre les fraudes de toute nature un cheval de bataille, notamment sous la houlette de notre collègue Nathalie Goulet. C'est pour cela qu'il a été à l'initiative de la création de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, présidée par Raphaël Daubet et dont la rapporteure était Nathalie Goulet.

Cette commission d'enquête, monsieur le ministre, a formulé cinquante propositions. La mise en œuvre d'une partie d'entre elles découlera d'évolutions législatives qui doivent intervenir, tandis que, pour un grand nombre d'autres, elle découlera d'une organisation et de dispositions à mettre en œuvre au sein de l'administration d'État, en lien avec l'ensemble des opérateurs. Nous espérons que ces recommandations, ou ces propositions d'action, pourront être suivies d'effets et que le Gouvernement s'en saisira pour mieux lutter contre les fraudes diverses.

En effet, à un moment où les comptes publics sont particulièrement dégradés, où le recours à la fiscalité est déjà considéré comme excessif par beaucoup, et où nous avons du mal à maîtriser nos dépenses – il le faudra et ce sera l'objet des discussions que nous aurons dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances –, il importe que la lutte contre les fraudes soit un leitmotiv d'action. La commission d'enquête a examiné et évalué à près de 58 milliards d'euros le montant des opérations de fraudes diverses qui peuvent être identifiées et sur lesquelles il y a lieu de mener des actions vigoureuses. Nous espérons que tout cela pourra être effectué assez vite.

Dans ce texte, plusieurs propositions de bon sens ont été formulées par Nathalie Goulet et Raphaël Daubet : je n'y reviendrai pas, car les rapporteurs ont déjà apporté un certain nombre de précisions.

Toutefois, il faut que nous approfondissions le travail engagé, notamment au sujet des pouvoirs des greffiers, de façon à pouvoir agir plus efficacement.

En outre, il reste beaucoup à faire sur la question de la capacité à payer, c'est-à-dire la capacité à saisir les actifs lorsque des actions de fraude sont identifiées. En effet, le Trésor public dispose déjà d'un certain nombre d'outils permettant de saisir les actifs en attendant que la fraude soit reconnue et que des pénalités soient prononcées, mais d'autres institutions, en particulier les institutions sociales, ne bénéficient pas des mêmes avantages. Or les élus du groupe Union Centriste considèrent qu'il est important que ces institutions puissent être dotées de pouvoirs accrus en la matière.

Cela vaut par exemple pour l'Urssaf, car le travail dissimulé représente, à l'échelle nationale, 1 milliard d'euros de cotisations qui ne sont pas recouvrées. Lorsque les opérateurs qui fraudent sont identifiés, le temps que les jugements interviennent, le montant des sommes à recouvrer devient inférieur à 10 % du montant de la fraude constatée. C'est un problème auquel il faut remédier.

Tel est le sens des excellentes propositions qui ont été formulées dans ce texte. Les élus du groupe Union Centriste invitent le Gouvernement à s'en saisir et à donner aux services les outils pour agir. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, RDSE et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc.

M. Étienne Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 15 juin 2025, la France s'est dotée d'un texte puissant pour lutter contre le narcotrafic. Il faisait suite à une commission d'enquête que nous avons menée avec un grand nombre de collègues présents dans cet hémicycle.

Cette commission d'enquête, pour employer un terme trivial, nous a un peu donné le tournis. Elle nous a appris que, en France, le trafic de drogue représentait 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour un résultat net de 50 %. Il faut comparer cela au budget de la justice, qui est de l'ordre d'une dizaine de milliards d'euros : cela représente donc 70 % du budget de la justice, qui finance les magistrats, l'administration pénitentiaire, etc.

Surtout, ce que nous avons appris, ou ce qui nous a été révélé, c'est la rentabilité du trafic de drogue : 5 000 euros investis à Bogota représentent, un an après, 1 million d'euros en France.

En quoi consiste donc le financement de ce trafic de drogue ? Il est constitué de petites coupures parce que, à la base, il y a un consommateur qui paie en espèces, jamais avec une carte bleue ou un chèque. Ce sont donc des masses colossales de billets de 5, 10, 20 ou 50 euros, rarement 100 euros et encore plus rarement 200 euros.

Sur ces 7 milliards d'euros provenant des stupéfiants et du trafic de drogue, nous saisissons environ 130 millions ou 140 millions d'euros, alors que le total des saisies d'avoirs criminels atteint 1,4 milliard d'euros. C'est dire si ce montant est absolument dérisoire.

Cet argent s'évapore. Comment cela ? Il y a les achats de biens de luxe, de voitures, de biens immobiliers, entre autres. Au fil du temps, cet argent entre aussi dans l'économie réelle. Désormais, les narcotrafiquants sont présents sur les marchés boursiers, ils possèdent des entreprises, notamment dans la construction, des hôtels et des commerces divers. Avec cela, ils disposent d'une capacité extraordinaire de fluidité des flux financiers.

C'est à cela qu'il faut s'attaquer.

Je voudrais donc saluer cet excellent texte, qui constitue une brique de plus dans la lutte contre le crime.

Il faudra savoir remonter dans le temps, parce que le narcotrafic ne date pas d'hier. Des avoirs criminels se sont constitués depuis des dizaines d'années. D'ailleurs, dans le texte que nous avons adopté en commission, nous avons fait voter un amendement visant à rappeler, pour clarifier le droit, que le blanchiment est une infraction occulte et continue.

Il est donc possible de remonter dans le temps. Cela signifie, monsieur le ministre, qu'il faudra des moyens puissants – les vôtres, mais aussi ceux du ministère de la justice et de Bercy – et des investigations extrêmement poussées pour remonter ces filières. Il faudra mieux surveiller les flux, associer les greffiers, associer les notaires et mobiliser pleinement Tracfin. J'avais été frappé, dans le cadre de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, par la qualité du travail de cet organisme, sa finesse, et la capacité des agents à repérer ce qui est anormal dans les flux financiers ou dans une situation particulière.

Toutefois, monsieur le ministre, le travail qui a été engagé reste encore largement inabouti au regard de deux éléments.

Ce qui nous a frappés en premier lieu, Jérôme Durain et moi-même, c'est la rapidité des narcotrafiquants et des criminels dans le domaine du blanchiment, qui ont trois ou quatre coups d'avance sur la puissance publique. Nous courons derrière eux, mais nous peinons à anticiper.

Quant au second sujet, c'est l'épineuse question des cryptomonnaies. J'aimerais que vous nous disiez quelles seront les stratégies du Gouvernement dans ce domaine et, alors que je vous pose cette question, je voudrais revenir sur le fait que, hier, aux États-Unis, le président Trump a gracié Changpeng Zhao qui a blanchi de l'argent pendant des années grâce à la plateforme d'échanges de cryptomonnaies Binance. Nous ne pouvons pas admettre cela en Europe, car l'Europe a été victime du système Binance qui a permis de blanchir des quantités énormes de capitaux.

Dans le cadre de ce travail inabouti, monsieur le ministre, je souhaite donc connaître la position du Gouvernement sur la lutte contre le blanchiment dans le domaine des cryptomonnaies. Nous savons qu'il faut des algorithmes puissants et des dispositifs d'intelligence artificielle extrêmement performants. J'aimerais que, à l'issue de ce débat, vous puissiez nous dire quelles sont vos intentions dans ce domaine. Je parlais de la rapidité et de l'inventivité des narcotrafiquants : ils utilisent déjà les cryptomonnaies et s'en servent pour inonder le monde entier. Essayez de faire en sorte, monsieur le ministre, qu'ils n'aient pas trop d'avance sur vous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et GEST.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment

TITRE Ier

LUTTER CONTRE LES ENTREPRISES ÉPHÉMÈRES

Article 1er

(Supprimé)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après l'article L. 561-15-1 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 561-15-... ainsi rédigé :

« Art. L. 561-15-.... – Les personnes mentionnées à l'article L. 561-2, notamment les greffiers des tribunaux de commerce, procèdent à une déclaration de soupçon dans les conditions définies à l'article L. 561-15 lorsqu'elles constatent, à l'occasion de l'immatriculation ou de la modification d'une personne morale, des éléments laissant présumer que nonobstant son objet social déclaré et la régularité formelle des documents présentés à l'occasion de la formalité, les éléments nécessaires à la réalisation de l'activité économique manquent ou ne sont pas de nature à permettre la réalisation certaine du contrat de société. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, je souhaite retirer mon amendement au profit de celui de M. Grégory Blanc.

M. le président. L'amendement n° 2 rectifié est retiré.

L'amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. G. Blanc, Daubet et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :