Mme Céline Brulin. Tout dépend du travail !

M. Patrick Kanner. Venez donc à Dunkerque expliquer cela aux salariés d’ArcelorMittal !

M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Monsieur Kanner, je vous ai écouté sans vous interrompre, permettez-moi de parler à mon tour.

M. Patrick Kanner. Ne soyez pas aussi caricatural, alors !

M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Vous-même l’avez été, et même à l’extrême sur des sujets de médecine !

Il est un point qui me semble extrêmement important, mais que personne n’a encore évoqué dans ce débat. La réforme Touraine prévoyait d’en venir à 43 années de cotisations ; la réforme Borne ne prévoit pas autre chose. (Marques dapprobation sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. L’âge légal, dans la réforme Touraine, c’était 62 ans !

M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Mais à quel âge les gens auraient-ils pu partir à la retraite, aux termes de la réforme Touraine ? À 63 ans et 8 mois… En 2023, on a simplement rajouté quatre mois, pour que les gens puissent partir à la retraite à 64 ans. Dans ces conditions, mes chers collègues, en toute honnêteté, la violence des termes que certains d’entre vous ont employés dans vos interventions se justifie-t-elle ? Je ne le pense pas.

En revanche, je reconnais une erreur dans la réforme Borne : le fait que ce fut une réforme strictement financière. Comme elle a pris la forme d’une loi de financement de la sécurité sociale, la pénibilité a été exclue du texte…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pourquoi l’avez-vous votée, alors ?

M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Certes, lors de son examen au Sénat – je le rappelle à l’intention de ceux qui ne siégeaient pas encore parmi nous –, nous y avions introduit des dispositions visant à prendre en compte la pénibilité, comme Mme El Khomri l’avait souhaité, ou encore des mesures améliorant la retraite des femmes…

M. Patrick Kanner. C’était une mauvaise réforme !

M. Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Monsieur Kanner, je me souviens bien que vous avez voté avec nous ces dispositions relatives aux femmes, à la prise en compte des grossesses dans le calcul des pensions, ou encore au temps de travail et aux carrières longues. Tout cela, nous l’avons voté, mais le Conseil constitutionnel l’a évidemment censuré du fait de la nature juridique du texte.

Dès lors, la sagesse serait, plutôt que de revenir sur la loi qui a été adoptée – par le 49.3, malheureusement – en 2023, de travailler sur la pénibilité, la retraite des femmes et les carrières longues. Surtout, arrêtons de nous invectiver pour rien ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, sur l’article.

M. Éric Kerrouche. J’ai écouté attentivement les interventions de nos collègues Bruno Retailleau et Olivier Henno, qui nous ont exposé tout le mal que représentent selon eux les solutions mises en place par les socialistes au cours de l’histoire ; à les entendre, elles seraient à l’origine de l’ensemble des dérives de la France. Je retrouve là comme un écho de certains propos tenus jadis par des députés ou sénateurs de droite, que je voudrais vous citer.

Ainsi, s’agissant de la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels, qui a limité à dix heures la journée de travail, le député Paul Beauregard déclarait : « La réduction des heures de travail est une chimère socialiste qui ruinera nos usines et découragera le capital. »

Lors de l’instauration des retraites ouvrières et paysannes, en 1910, un sénateur de droite affirmait : « Vous créez une retraite que l’ouvrier ne demande pas et que l’État ne pourra pas payer. Nous faisons naître des espérances que nous serons incapables de satisfaire. » Un autre encore disait ceci : « On veut faire croire que l’État pourra assurer à tous une vieillesse paisible. Ce n’est qu’une illusion coûteuse qui compromettra nos finances et nos libertés. »

Je vous le dis donc tout à fait clairement, mes chers collègues de droite : vous serez toujours les défenseurs de quelques-uns au détriment de tous. C’est ce même choix que vous vous apprêtez à faire ce soir : le choix de la résignation sociale. Si vous le faites, si vous confirmez ce renoncement, il se fera au détriment du plus grand nombre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Barros, sur l’article.

M. Pierre Barros. Il y a du monde ce soir dans notre hémicycle, et c’est bien normal : c’est un vrai débat politique qui se tient sur cet article, un débat important sur des choix qui permettent d’ailleurs de distinguer clairement la droite de la gauche.

Certes, nous ne referons pas aujourd’hui tout le débat sur les retraites, mais l’examen de cet article nous autorise tout de même à discuter un tant soit peu de toutes ces problématiques.

Il est question ici non seulement d’efficacité budgétaire, mais d’un réel choix de société. Ainsi, M. Retailleau veut aller encore plus loin, au-delà de la réforme des retraites : il pose la question du temps de travail, en remettant en cause les 35 heures, et en suggérant que la France, qui, selon lui, ne travaille pas suffisamment, pourrait travailler un peu plus pour créer un peu plus de richesses.

Certes, je ne nierai pas que c’est le travail qui produit la richesse ; il a en outre le mérite de nous inscrire dans la société, il peut procurer une réelle satisfaction quand on produit réellement quelque chose. Mais, quand on participe, comme beaucoup d’entre nous, à la vie de la collectivité, quand on est élu municipal, on sait que la vie productive de chacun ne se réduit pas au travail salarié.

Il ne faut pas oublier tout le travail que l’on fournit et produit en dehors du temps de travail. Intervenir dans le milieu associatif, faire de la politique quand on est actif ou à la retraite, c’est l’occasion de faire autre chose et de produire d’autres richesses. Quand ils s’inscrivent dans un cadre budgétaire, le débat sur les retraites et celui sur le temps de travail éludent souvent la richesse que l’on crée en dehors du temps de vie au travail.

Pour ma part, pendant vingt ans, j’ai réduit mon temps de travail pour faire de la politique. Ce choix, que j’ai fait comme beaucoup d’entre nous, mes chers collègues, a été heureux, puisqu’il m’a permis de m’épanouir à la fois au travail et en politique.

Nous évoquons aujourd’hui la question du temps dans une institution qui a fêté son cent cinquantième anniversaire cette année et qui a vu naître de nombreuses avancées sociales. Il ne faut surtout pas créer les conditions d’un retour à l’époque où l’hémicycle dans lequel nous siégeons a été construit, lorsque hommes, femmes, enfants, travaillaient dix heures par jour, soixante heures par semaine, dans des conditions épouvantables.

Mme la présidente. Merci, mon cher collègue.

M. Pierre Barros. Mesurons, mes chers collègues, tous les progrès qui ont été accomplis et toutes les avancées sociales qui perdurent.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l’article.

M. Laurent Duplomb. En réalité, ce n’est pas la force des opposants qui provoque cette suspension, mais bel et bien l’aveuglement des dirigeants, enfermés dans une logique de fuite en avant, cédant au chantage et n’hésitant pas à s’autodésigner otages du diktat de quelques minorités. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Suspendre pour ne pas gouverner, c’est pire qu’un échec, c’est un aveu d’impuissance. C’est un retour à la case départ.

Pendant que l’Europe repousse l’âge de départ à la retraite – à 67 ans en Italie et en Espagne ; à 70 ans au Danemark –, la France ferait marche arrière, comme d’ailleurs dans beaucoup de domaines,…

M. Ian Brossat. Avec les pesticides ?

M. Laurent Duplomb. … pour revenir à 62,5 ans.

Le pire, c’est qu’il faut bien voir que la suspension de ladite réforme des retraites fait définitivement basculer celle-ci dans le vide, vers une suppression irrévocable. Qui oserait en effet se risquer à remettre le sujet sur la table à la veille de l’élection présidentielle ? (Exclamations ironiques sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. Thomas Dossus. Vous êtes pourtant majoritaires au Sénat !

M. Laurent Duplomb. Pour celui qui tenterait de défendre cette réforme tant écornée, l’exercice serait suicidaire. Résultat, la suspension, qui sera en définitive une suppression inévitable, conduira à creuser allègrement un déficit qui compte pour moitié dans l’accroissement de notre dette depuis dix ans.

Aujourd’hui, et c’est inquiétant, presque personne ne semble remettre en cause ce renoncement que les générations futures payeront au prix fort, car, pour elles, il ne restera plus que des miettes du système de retraite par répartition et beaucoup de dettes.

Comme l’a écrit Marc Bloch, c’est non pas l’absence de moyens qui frappent, mais « l’incapacité de commandement » de nos responsables politiques qui « ne se sont pas seulement laissés battre », mais qui « ont [aussi] estimé très tôt naturel d’être battus ».

L’histoire nous enseigne que les nations s’effondrent non pas seulement sous les coups de l’ennemi, mais par l’usure interne, par la rupture entre les gouvernants et les gouvernés. La suspension de la réforme des retraites doit être prise pour ce qu’elle est : le signal d’une étrange défaite. (Marques dimpatience sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Laurent Duplomb. Refuser de réformer, c’est préparer l’effondrement silencieux d’un système à bout de souffle. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 128 rectifié nonies est présenté par MM. Henno et Marseille, Mme Billon, MM. Bleunven, Bonneau, Cadic, Cambier, Canévet, Cazabonne, Chauvet, Cigolotti et Courtial, Mme de La Provôté, MM. Delahaye, S. Demilly et Dhersin, Mme Doineau, MM. Fargeot et Folliot, Mmes Gacquerre et Guidez, MM. Haye et L. Hervé, Mme Herzog, M. Hingray, Mmes Housseau et Jacquemet, MM. Kern, Lafon, Laugier et Levi, Mme Loisier, MM. Longeot, P. Martin, Maurey, Menonville et Mizzon, Mmes Morin-Desailly et Patru, M. Pillefer et Mmes Romagny, Sollogoub, Tetuanui, Vérien, Vermeillet et Perrot.

L’amendement n° 155 rectifié ter est présenté par MM. Capus, Malhuret et Chasseing, Mmes Bourcier, Lermytte, Bessin-Guérin, L. Darcos et Paoli-Gagin, MM. Brault, Grand, Laménie, Chevalier, L. Vogel, Wattebled, Rochette, Pellevat, Médevielle et V. Louault et Mme Canayer.

L’amendement n° 716 est présenté par Mme Gruny, au nom de la commission des affaires sociales.

L’amendement n° 1512 rectifié ter est présenté par M. Le Rudulier, Mme Dumont, MM. Khalifé, Sido et Séné, Mme Lopez et MM. H. Leroy et Panunzi.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Olivier Henno, pour présenter l’amendement n° 128 rectifié nonies.

M. Olivier Henno. Il n’est pas question de revenir une nouvelle fois sur les arguments échangés à l’issue de ces débats intenses.

Cet amendement a pour objet de préserver la réforme de 2023, qui a été engagée pour sauver le système de retraite par répartition. Monsieur Kerrouche, il s’agit de revenir non pas sur la totalité des conquêtes sociales,…

M. Patrick Kanner. Vous en rêvez !

M. Olivier Henno. … que nous approuvons toutes, mais sur la suspension de la réforme des retraites.

Notre raisonnement est très simple. Nous constatons que, quand un pays travaille moins, il s’appauvrit ; et, quand un pays s’appauvrit, ce sont les plus fragiles et les plus pauvres qui payent la note. C’est ce dont nous ne voulons pas pour la France. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour présenter l’amendement n° 155 rectifié ter.

M. Emmanuel Capus. J’ai une bonne nouvelle pour le président Kanner. Je vais la lui apprendre, car, manifestement, elle n’est pas encore arrivée jusqu’à ses oreilles. M. Kanner vit visiblement sur la même île que le Rassemblement national, puisqu’elle n’a manifestement pas non plus été portée à la connaissance de ce parti politique. Cette bonne nouvelle, c’est que nous vivons en moyenne dix ans de plus qu’il y a quelques années. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

Comme M. le vice-président Milon l’a indiqué, le travail participe évidemment grandement à l’allongement de l’espérance de vie. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) Nous ne volons donc pas deux années de vie : nous continuerons à vivre huit, neuf, dix ans de plus en bonne santé.

Nous faisons comme tous les pays du monde qui, eux, ne vivent pas sur une île. Nous allons faire comme la Belgique et l’Espagne, qui ont repoussé l’âge de départ à la retraite à 65 ans, comme l’Allemagne, le Portugal et l’Irlande, qui l’ont repoussé à 66 ans,…

M. Mickaël Vallet. Comme le Luxembourg !

M. Emmanuel Capus. … comme l’Italie et les Pays-Bas, qui l’ont repoussé à 67 ans. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

Mme Monique Lubin. Et le taux d’emploi ?

M. Emmanuel Capus. Comment les gens font-ils pour travailler après 62 ans, madame Lubin ? Il serait bon que vous alliez sur place le constater. En fait, c’est simple : ils travaillent. Et figurez-vous que cela améliore la qualité de vie des seniors. C’est le meilleur moyen de lutter contre le défaut de travail des salariés les plus âgés. Tout cela est corrélé à l’allongement de la vie…

Nous allons donc faire exactement ce que font tous les autres pays.

L’erreur funeste, le péché originel, c’est la retraite à 60 ans de François Mitterrand. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.) Elle a été une catastrophe, un contresens historique.

Depuis, quels que soient les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, que les Premiers ministres se nomment Balladur ou Rocard, les ministres Woerth ou Touraine, personne n’a jamais renoncé à une réforme des retraites, tout simplement parce qu’elle s’impose.

Nous nous apprêtons à faire la même chose. Ne pas le faire serait une première.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Emmanuel Capus. Nous ne renoncerons pas à réformer et nous ne sacrifierons pas les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 716.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. Nous en arrivons aux amendements tendant à supprimer cette mesure de suspension de la réforme des retraites.

Mes chers collègues, je ne sais pas si vous avez été interrogés dans vos territoires sur cette réforme. Pour ma part, j’ai constaté que celle-ci avait été intégrée par nos concitoyens.

Le parti socialiste a agité un chiffon rouge (Mme Laurence Rossignol proteste.) : la réforme des retraites ou la censure du Gouvernement, afin de faire gagner un trimestre aux générations nées en 1964 et 1965 – tout cela pour un coût de 400 millions d’euros en 2026 et de 1,5 milliard d’euros en 2027, si l’on tient compte de la mesure sur les carrières longues adoptée à l’Assemblée nationale.

Comme la France a beaucoup d’argent, il n’y a pas de problème…

M. Patrick Kanner. On a trouvé des recettes !

Mme Pascale Gruny, rapporteur. Les recettes ? Oui, on les a trouvées…

M. Patrick Kanner. Sur le dos des plus faibles !

Mme Pascale Gruny, rapporteur. Non, sur le dos des retraités, monsieur Kanner, parce que nous n’avons pas le choix si nous voulons conserver la retraite par répartition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le choix est simple : soit le report de l’âge de départ à la retraite, soit la baisse des pensions, soit la hausse des cotisations. À vous de choisir…

C’est d’ailleurs ce que j’ai dit aux syndicats. Quand on leur demande ce qu’ils proposent, ils ne nous parlent pas des riches, car ils ont conscience que cela relève du projet de loi de finances et n’a rien à voir avec la branche vieillesse.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons supprimer l’article 45 bis.

Cette suspension de la réforme n’est que de la poudre de perlimpinpin ; c’est une annonce pour sauver le Gouvernement – je ne suis d’ailleurs pas très convaincue que cela fonctionne. Pour les retraités, on sacrifie la jeunesse et les jeunes actifs, que ce débat n’intéresse pas, parce qu’eux savent bien qu’ils n’auront pas de retraite – et cela me fend le cœur ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour présenter l’amendement n° 1512 rectifié ter.

M. Stéphane Le Rudulier. Je me suis penché sur la philosophie de notre système par répartition. Si un constat doit faire l’unanimité – et je pense que c’est le cas dans cet hémicycle –, c’est qu’il faut le sauvegarder.

De quoi s’agit-il ? Il s’agit de financer les retraites de demain avec les bébés d’aujourd’hui. Cette équation n’est valable que si l’on bénéficie d’une parenthèse démographique enchantée similaire à celle des années 1950.

Or que constatons-nous a minima ? Nous sommes face à un double phénomène. D’une part, la population vieillit. Avec l’allongement de la durée de vie, dont tout le monde peut se réjouir, cinq générations cohabitent aujourd’hui. D’autre part, notre taux de natalité est en berne et la pyramide des âges décline.

Face à ce constat démographique, c’est la petite mort du système par répartition qui est aujourd’hui en jeu.

M. Laurent Duplomb. Tout à fait ! Et ce sont les pauvres qui trinquent !

M. Stéphane Le Rudulier. Comme l’a rappelé Bruno Retailleau, en 1945, on comptait six actifs pour un retraité. Aujourd’hui, on en est à 1,6 actif pour un retraité. Dans quinze ans, c’est-à-dire demain, ce même ratio sera de 1,2. En 2040, nous connaîtrons un pic démographique auquel succédera un déclin des actifs – on prévoit une baisse de 30 % de ces derniers en 2045. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

Clou du spectacle, les Français travaillent 170 heures de moins en moyenne que dans le reste des pays européens. Qu’il faille travailler davantage est une évidence…

Je conclurai par un clin d’œil à M. Kerrouche, qui semble nostalgique de la loi de 1910. Celle-ci prévoyait un système par capitalisation pour les ouvriers et les paysans qui gagnaient moins de 3 000 francs par an et, tenez-vous bien, un âge légal de départ à la retraite à 65 ans… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Quelle est l’analyse du Gouvernement sur cette suspension de la réforme des retraites ?

Certes, je devine la position majoritaire du Sénat,…

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. … car je connais le sérieux budgétaire qui caractérise la chambre haute.

Mais le Gouvernement a perçu cette mesure comme une condition nécessaire à la stabilité politique et économique voulue par les Français. Je rappelle en effet que 61 % des Français sont favorables à une forme de stabilité. Il en va de même des entreprises. Les changements perpétuels de gouvernement depuis quelques mois commencent à nuire au fonctionnement de notre pays.

Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : pour le Gouvernement, cette suspension n’est pas une abrogation – j’en suis désolé pour le côté gauche de cet hémicycle. Certes, elle suspend le déploiement initial de la réforme des retraites, dont les paramètres ont été figés au moment de son adoption, mais, à défaut d’une autre réforme, celle-ci reprendra au 1er janvier 2028. Je réponds ainsi aux questions qui ont pu être posées sur l’avenir de la réforme.

Quel est le coût de cette suspension ?

Pour le moment, au regard des modifications opérées par l’Assemblée nationale, puisque des ajustements ont eu lieu au cours des débats, notamment sur les carrières longues, cette disposition coûtera 300 millions d’euros en 2026 et 1,9 milliard d’euros en 2027. Je précise que tout cela peut évoluer jusqu’au vote définitif.

Cette suspension a un avantage, celui de donner du temps au dialogue social. C’est fondamental – j’y ai beaucoup insisté durant les débats –, car cela permettra par exemple de revenir sur la question de la pénibilité que vous avez évoquée, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous ne sommes pas passés loin d’un accord sur ce point, mais nous n’y sommes finalement pas parvenus.

Certains d’entre vous ont souligné que cette réforme avait été élaborée dans le cadre d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale et qu’elle s’était donc bornée aux aspects financiers.

M. Mickaël Vallet. C’est le cas de le dire !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Ce volet était certes très important, mais les autres sujets n’ont pu être traités, par exemple tout ce qui touche au travail ou à la pénibilité. Lorsque l’on exerce un métier pénible pendant trente, trente-cinq ou quarante ans, comment envisager la poursuite de sa carrière ? Il faut répondre à ces enjeux.

L’un des objectifs de la conférence sur le travail et les retraites est de discuter en profondeur du travail, des conditions de travail, de l’organisation du travail, du vécu au travail, de la rémunération au travail, du rapport au management. Il est primordial de traiter ces problématiques si nous voulons que, dans notre pays, les salariés abordent la dernière partie de leur carrière en bon état physique et mental. Les réponses sur lesquelles nous nous accorderons permettront certainement aux travailleurs d’appréhender plus facilement une poursuite de leur carrière au-delà des limites d’âge fixées aujourd’hui.

En ce qui me concerne, j’ai confiance dans le dialogue social. Si l’on y intègre cette question du travail, en particulier de la pénibilité, le débat a une chance réelle de reprendre et de déboucher sur un accord qui, au fond, réglerait le problème. Si les partenaires sociaux parviennent à un accord, ce dernier devrait pouvoir trouver sa traduction dans la loi – disant cela, je ne préjuge pas des débats qui auront lieu au Parlement.

En cas d’échec, le débat démocratique prendra le relais. On voit bien d’ailleurs que certains partis proposent déjà de nouveaux systèmes de retraite.

Ce temps sera aussi un temps utile. Le sénateur Yannick Jadot a évoqué la prochaine élection présidentielle : tant mieux si les sujets sociaux sont au cœur de la campagne qui s’annonce. On parle des retraites, mais il faudra peut-être aussi parler du financement de la sécurité sociale, dont on voit qu’il est à bout de souffle.

Il s’agit là de sujets fondamentaux pour les Français. Je préfère que ce soient ces enjeux qui soient au cœur du débat politique, plutôt que d’autres, car cela concerne toutes les Françaises et tous les Français, quelle que soit leur génération. Au fond, si c’est le cas, nous n’aurons pas travaillé pour rien : ce matériau ordonné, structuré, au sujet duquel tout le monde accepte de s’écouter sans tabou, permettra de choisir entre des options qui auront fait l’objet de l’évaluation la plus objective possible. Tout cela sera porté au débat et sera tranché de façon démocratique, si les partenaires sociaux n’ont pas su le faire avant. C’est par le débat démocratique que sera décidée l’évolution de la réforme. Évidemment, tout cela a de la valeur.

Par ailleurs, le redressement des comptes de la sécurité sociale fait partie des objectifs du Gouvernement et constitue l’une de ses principales préoccupations. D’un point de vue macroéconomique, la copie du Gouvernement permettait de parvenir à un déficit de 17,5 milliards d’euros. Selon quelles recettes et quelles dépenses ? C’est tout l’objet du débat parlementaire.

La suspension de la réforme des retraites concerne avant tout la branche vieillesse. Les finances de celle-ci dérapent cependant moins que celles de la branche maladie, qui, sans mauvais jeu de mots, reste la branche la plus malade. Ce sont les comptes de l’assurance maladie qui sont en effet les plus déficitaires, et ce en raison de la conjonction de deux facteurs déterminants : le vieillissement de la population et le coût croissant des maladies en fin de vie. Cela étant, l’évolution de la démographie a aussi une incidence sur la branche vieillesse, ainsi que sur les retraites.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ai écoutés avec attention. J’ai bien vu que la pression était montée d’un cran. Ne vous trompez pas d’enjeu : il s’agit non pas d’être pour ou contre la réforme des retraites, mais pour ou contre sa suspension. (Exclamations sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Je reste factuel : l’article 45 bis a trait à la suspension de la réforme des retraites, il n’a pas pour objet la réforme en tant que telle.

Vous l’aurez compris, le Gouvernement est favorable à la suspension de la réforme des retraites ; c’est d’ailleurs pourquoi il a intégré cet article dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026. Vous ne serez donc pas surpris qu’il émette un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Je souhaite revenir sur les propos qu’a tenus M. Retailleau : les Français doivent travailler plus. Or, en allongeant la durée du travail, mon cher collègue, vous allongez en fait la vie au travail de ceux qui travaillent déjà beaucoup et qui n’ont pas le choix de s’arrêter avant.

Par ailleurs, le déficit caché est une fable irresponsable. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Dans le temps qui m’est imparti, et compte tenu de la technicité du débat, je ne pourrai pas développer mes arguments, mais faut-il vraiment intégrer les retraites des fonctionnaires dans le déficit ? Et dans ces conditions, qui est censé les payer ? Nous aurons l’occasion d’en reparler…

J’ai entendu différents éléments de langage, qui reviennent de plus en plus fréquemment du côté droit de l’hémicycle : il a été question des 35 heures, de la retraite à 60 ans… À cet égard, j’évoquerai des temps encore plus anciens que ceux que mon collègue Kerrouche a rappelés : je vous invite à vous souvenir de l’époque où vos lointains prédécesseurs fustigeaient la fin du travail des enfants qui allait ruiner les entreprises. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.) C’est pourtant ainsi que cela a commencé, non ?