Mme Marianne Margaté. La pension alimentaire est un outil censé garantir le droit de l’enfant à être entretenu par ses deux parents. En réalité, elle révèle aujourd’hui une fracture profonde, sociale et genrée.
Le montant des pensions alimentaires reste très faible en France. Il est en moyenne presque quatre fois inférieur au coût réel d’un enfant, mesuré par les travaux de recherche.
Dans la très grande majorité des cas, les mères prennent en charge la différence. Elles le font souvent seules, alors que leur budget est déjà fragile, les familles monoparentales figurant parmi les ménages les plus exposés à la pauvreté.
Dans ce contexte, notre système fiscal produit une absurdité : alors que le parent qui verse la pension, souvent un homme, ne la déclare pas comme un revenu, ce qui est légitime, la mère qui la perçoit doit, elle, l’intégrer dans son revenu imposable. Autrement dit, une contribution destinée à couvrir les besoins de l’enfant finit par augmenter l’impôt de celle qui en a déjà la charge quotidienne.
Nous demandons donc une chose simple : que les pensions alimentaires reçues pour les enfants cessent d’être fiscalisées.
Certains le diront, une telle mesure a un coût, évalué à 400 millions d’euros. Toutefois, ces estimations ne tiennent pas compte du fait que de nombreuses mères seules ne sont déjà pas imposables, puisqu’elles vivent déjà sous le seuil de pauvreté. En réalité, l’effort budgétaire serait donc moindre. Et même si ce coût était exact, serait-il trop élevé alors qu’il s’agit de soutenir les familles les plus précaires, d’améliorer les conditions de vie de centaines de milliers d’enfants et de réduire une injustice qui frappe les femmes ?
Mme la présidente. L’amendement n° I-1660 rectifié, présenté par M. Iacovelli, Mme Havet, MM. Buis, Mohamed Soilihi, Lévrier, Rambaud et Khalifé, Mme Aeschlimann et MM. Patient et Théophile, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au début de l’article 80 septies, est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Les pensions alimentaires reçues pour l’entretien d’un enfant mineur ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu dans la limite de 4 000 euros par enfant, plafonnée à 12 000 euros par an. »
2° Après le deuxième alinéa du 2° du II de l’article 156, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le contribuable ne peut opérer de déduction que pour les sommes versées pour ses descendants mineurs au-delà du seuil fixé à l’article 80 septies lorsqu’ils ne sont pas pris en compte pour la détermination de son quotient familial. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Cet amendement de mon collègue Xavier Iacovelli vise à défiscaliser la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants pour le parent qui la reçoit, dans la limite d’un plafond fixé à 4 000 euros par enfant et à 12 000 euros par an, et à intégrer la part de la pension alimentaire dans le calcul du quotient familial du parent débiteur.
Mme la présidente. L’amendement n° I-645, présenté par MM. Cozic, Kanner et Raynal, Mmes Blatrix Contat, Briquet et Espagnac, MM. Éblé, Féraud, Jeansannetas et Lurel, Mmes Artigalas, Bélim et Bonnefoy, M. Bourgi, Mmes Brossel et Canalès, MM. Chaillou et Chantrel, Mmes Conconne et Daniel, MM. Darras, Devinaz, Fagnen, Fichet et Gillé, Mme Harribey, M. Jacquin, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Le Houerou et Linkenheld, M. Marie, Mme Matray, MM. Mérillou et Michau, Mme Monier, M. Montaugé, Mme Narassiguin, MM. Ouizille, Pla et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Roiron, Ros, Temal, Tissot, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber, Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Au début de l’article 80 septies du code général des impôts, est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Les pensions alimentaires reçues pour l’entretien d’un enfant mineur ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu dans la limite de 4 000 euros par enfant plafonnée à 12 000 euros par an. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à Mme Colombe Brossel.
Mme Colombe Brossel. Je vais enfoncer le clou. La question qui se pose est la suivante : la pension alimentaire est-elle un revenu ? La réponse est non : la pension alimentaire vise à contribuer à l’éducation et à l’entretien des enfants. Dès lors, la situation actuelle est profondément injuste.
Au cours de sa mission d’information sur les familles monoparentales, la délégation aux droits des femmes a auditionné de nombreuses personnes. Toutes nous ont fait part de leur sentiment, que nous avons relayé dans notre rapport : il est profondément injuste que la pension alimentaire puisse être déduite du revenu imposable du parent non gardien et qu’elle vienne augmenter celui du parent gardien.
En effet, de qui parle-t-on ici ? Dans 83 % des cas, de mères solo. Or, en tant que telles, elles cumulent déjà certaines inégalités – professionnelles, sociales et de genre – qui les conduisent sur le chemin de la précarisation. Il faut donc absolument combattre cette injustice.
Surtout, il ne s’agit pas que d’une seule injustice, car cette mesure aura un effet démultiplicateur.
D’une part, quand le parent non gardien – le père, dans 83 % des cas – est, pour quelque raison que ce soit, défaillant et ne peut verser de pension alimentaire, c’est la solidarité nationale, via l’allocation de soutien familial (ASF), qui prend le relais. Or, contrairement à la pension alimentaire que touchent les femmes, qui se sont battues pour percevoir ce à quoi elles ont droit, l’ASF ne s’ajoute pas au revenu imposable de la bénéficiaire.
D’autre part, parce qu’elle est prise en compte dans le revenu imposable, la pension alimentaire affecte le calcul d’un certain nombre de prestations sociales. Le voilà l’effet démultiplicateur !
J’ajoute que nous avons mis en place, dans un certain nombre de collectivités, des tarifications fondées sur le revenu pour la cantine, les centres de loisirs, etc. Mais quand les mères perçoivent enfin ce à quoi elles ont droit, quand elles ont assez de sous pour remplir leur frigo,…
Mme la présidente. Veuillez conclure, madame Brossel.
Mme Colombe Brossel. … elles doivent payer plus cher un certain nombre de prestations et perdent en outre le bénéfice de certaines aides sociales.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. En premier lieu, ces amendements ne me semblent pas toucher leur cible. J’ai précédemment évoqué le niveau de revenu des ménages. Les foyers fiscaux les plus modestes ne sont pas redevables de l’impôt sur le revenu. En 2022, seuls 20 % des ménages qui percevaient une pension alimentaire étaient redevables de cet impôt.
En deuxième lieu, les parents isolés bénéficient d’aides ou d’avantages fiscaux, comme le quotient familial et la demi-part fiscale supplémentaire.
En troisième lieu, la fiscalisation des pensions alimentaires entraînerait pour leurs débiteurs un surcroît d’impôt significatif, ce qui aurait pour conséquence d’amoindrir les capacités contributives que le juge prend en compte pour déterminer le niveau de la pension alimentaire, d’où des pensions moins élevées. Je ne pense pas que ce soit votre objectif.
J’ajoute, pour ce qui concerne l’amendement n° I-2625, que l’attribution au parent débiteur d’un quart de part fiscale supplémentaire pour compenser la fiscalisation des sommes versées est contradictoire et coûteuse.
J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce sujet est très complexe.
D’abord, nous avons estimé que la disposition adoptée à l’Assemblée nationale représentait un surcroît de recettes pour l’État de 500 millions d’euros.
Mme Christine Lavarde. Oui !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Or, comme on ne crée pas 500 millions d’euros de revenus supplémentaires pour les pères, cela représente 500 millions d’euros de pension alimentaire en moins. En effet, le taux moyen d’imposition des bénéficiaires de la pension alimentaire étant beaucoup plus faible – je suis la première à m’en offusquer – que celui des personnes qui les versent, si l’on fiscalise celui qui donne plutôt que celui qui reçoit, l’État gagne 500 millions, une somme qui bénéficie actuellement aux ménages qui les perçoivent.
Cela me gêne, parce que nous luttons – et je pense que nous avons ce combat en commun – pour assurer des moyens suffisants aux parents seuls, souvent des femmes, qui élèvent des enfants. Cette disposition, inspirée par des principes légitimes et compréhensibles, conduirait, dans le système fiscal qui est le nôtre aujourd’hui, à diminuer de facto de 500 millions d’euros les pensions alimentaires versées.
Ensuite, si ces amendements, destinés à corriger cet effet de bord, étaient adoptés, il faudrait revoir les barèmes des juges.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Oui…
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Sans un ajustement majeur des barèmes utilisés dans les juridictions, les pensions alimentaires versées diminueront de 500 millions d’euros. Ce n’est pas exactement le cas de votre amendement, madame Brossel, mais je souhaitais préciser le contexte en préambule, afin que chacun sache de quoi l’on parle.
Votre amendement est différent ; il y est question de quotient familial, de modalités d’attribution de la pension alimentaire. Il pose de nombreuses difficultés, que je ne vais pas détailler une par une, sans quoi on y passerait trop de temps – on pourra y revenir si vous le souhaitez –, mais il y en a une qui est importante, c’est la question de l’âge des enfants. Cet argument vaut d’ailleurs aussi pour l’amendement n° I-1256 de M. Savoldelli.
Si le dispositif que tend à prévoir votre amendement était appliqué à des parents d’enfants majeurs, il en résulterait une double imposition : pour simplifier, on fiscaliserait le père et la mère. Tel qu’est rédigé votre amendement, c’est bien cela qui se passerait ; c’est un problème majeur.
Nous pouvons nous pencher et travailler ensemble sur cette question – ce serait une réforme de grande ampleur –, mais, je le répète, sans révision du barème des juges, l’adoption de ces amendements entraînerait une diminution de facto des pensions alimentaires perçues et utilisables par celles, souvent des femmes, qui élèvent les enfants seules.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements.
Mme Nadège Havet. Je retire mon amendement !
Mme la présidente. L’amendement n° I-1660 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Colombe Brossel, pour explication de vote.
Mme Colombe Brossel. Eh bien, je prends la balle au bond, madame la ministre.
Dès qu’un ministre nous propose une rencontre pour discuter des familles monoparentales, mes collègues Béatrice Gosselin, Dominique Vérien, la présidente de la délégation au droit des femmes, et moi-même saisissons l’occasion. Nous serons donc ravies de venir vous voir pour avancer sur ce sujet.
Mme Colombe Brossel. Même le 3 si vous voulez…
Monsieur le rapporteur général, nous ne nous connaissons pas très bien, mais je me ferai un plaisir de vous envoyer le rapport d’information que Béatrice Gosselin et moi-même avons rédigé pour la délégation, pour que nous examinions le sujet ensemble.
D’abord, il n’y a pas un seul barème, les amis, il y en a deux et c’est l’un des sujets qui posent problème : celui de la CAF (caisse d’allocations familiales) et celui du ministère de la justice ; ils sont radicalement différents et même contradictoires. Dans la vie quotidienne des mères solo, cela pose de véritables problèmes. Passez donc le message à vos collègues, madame la ministre ; il est temps de retravailler ces barèmes.
Je le répète, les conclusions du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge ne sont pas exactement celles que vous avez exposées, monsieur le rapporteur général.
Surtout, le plus choquant, venant d’une ministre qui défend une orientation politique et économique libérale, c’est le paradoxe auquel on aboutit avec vos arguments : il est plus intéressant pour une mère solo de percevoir l’ASF, versée par la solidarité nationale, que la pension alimentaire qui lui est due, quand le parent non gardien assume ses responsabilités.
Pardon de vous le dire, madame la ministre, mais c’est assez choquant ; la solidarité nationale doit certes exister en cas de défaillance du parent non gardien, mais, la règle, c’est que le parent non gardien doit assumer. En ne mettant pas en œuvre la défiscalisation des pensions alimentaires, on contraint la solidarité nationale à assumer. La solidarité nationale doit assumer quand le parent non gardien est défaillant, mais non parce qu’on n’arrive pas à faire évoluer le code général des impôts. (M. Victorin Lurel applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Tout d’abord, je précise un point : nous pensions que l’un des amendements en discussion commune était mieux rédigé et nous envisagions de retirer le nôtre à son profit ; cela fait plusieurs fois que ce sujet revient dans l’hémicycle.
Ensuite, il va falloir que l’on précise, tôt ou tard, ce que veut dire « effet de bord ».
M. Thierry Cozic. Oui !
M. Pascal Savoldelli. En finance, il y a l’effet de levier, nous le connaissons tous ici, c’est le fait d’utiliser l’endettement pour augmenter le rendement de son investissement dans une entreprise. Tout le monde sait ce qu’est l’effet de levier. L’effet de bord, j’ai du mal à saisir ce que c’est, mais peut-être par manque de culture, de savoir.
Par ailleurs, il y a, depuis un bon moment, un malentendu sur le sujet qui nous occupe : certains considèrent que la pension alimentaire est un revenu et non un transfert de la solidarité nationale au bénéfice de l’enfant. Nous avons là un problème. Vous considérez la pension alimentaire comme un revenu imposable pour la mère, ce qui revient à transformer le droit de l’enfant en assiette d’une recette fiscale. Ce n’est pas qu’un débat fiscal, il s’agit d’un choix de société. C’est cela qui a motivé le dépôt de ces amendements en discussion commune.
Monsieur le rapporteur général, vous nous faites souvent, dans ce genre de débats sur l’impôt sur le revenu, des reproches sur le thème : « Vous, les communistes, vous défendez des dispositifs qui favorisent les femmes aisées ! » Franchement, ce n’est pas le sujet ! La différence entre femmes aisées et femmes plus pauvres est traitée au travers de la fiscalité, de la progressivité de l’impôt sur le revenu ; c’est un autre débat.
Enfin, je tiens à dire qu’une mère qui ne reçoit pas de pension ne bénéficie d’aucun avantage fiscal.
Nous allons débattre pendant des heures et des jours d’exonérations fiscales, de niches fiscales.
Mme la présidente. Veuillez conclure !
M. Pascal Savoldelli. Nous aurons sur ce sujet des accords ou des désaccords, mais une femme seule, je le répète, n’a pas, elle, d’avantage fiscal. Tel est le sens de ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Ce débat n’est pas nouveau, ni à l’Assemblée nationale, où il a même donné lieu à un vote, ni ici.
J’ai une question sur notre processus de travail. J’ai bien compris la méthodologie du Premier ministre, qui nous dit « Nous proposons, vous débattez, vous votez. » Par conséquent, quelle est la proposition du Gouvernement sur ce sujet de société, qui touche des centaines de milliers de familles ? Nous aurions aimé avoir un amendement du Gouvernement sur ce sujet, à la suite du débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale.
Nous sommes chaque fois obligés de reporter, sur votre demande, notre décision – je précise d’emblée que nous souhaitons que ces amendements soient mis aux voix, nous ne les retirerons pas –, mais il y a là une faille politique. Ce problème, qui est une question de société, aurait pu être tranché par un amendement du Gouvernement, sur lequel nous aurions pu trouver un point d’accord.
Je m’étonne de ce trou dans la raquette sur un sujet aussi important pour nombre de nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour explication de vote.
Mme Christine Lavarde. Nous voterons contre ces amendements, non pas parce que nous serions pour un rééquilibrage quelconque de la fiscalité à l’intérieur des foyers qui se séparent, mais parce que l’adoption de ces amendements aurait pour conséquence, par un « petit » effet de bord, comme l’a indiqué Mme la ministre, d’augmenter les recettes de l’État de 500 millions d’euros.
Mme Colombe Brossel et M. Thierry Cozic. Non !
Mme Christine Lavarde. Vous qui ne cessez d’invoquer la justice fiscale, expliquez-moi où est la justice ici !
Comme l’indiquait la ministre, quand le juge aux affaires familiales détermine le niveau d’une pension alimentaire, il tient compte des revenus de chacun des deux parents. Il aurait donc fallu, à tout le moins, que les dispositifs que vous proposez portent sur le futur ; en l’état, ils auront un effet rétroactif sur toutes les décisions des juges aux affaires familiales prises par le passé.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je ne reviens pas sur le fond du débat, je pense que vous avez compris la position du Gouvernement.
Néanmoins, monsieur Kanner, sur un sujet de cette importance, le Gouvernement considère que, si l’on veut changer les règles, alors il faut le faire au travers d’une véritable réforme, d’un texte spécifique, qui englobe tous les enjeux : le recouvrement des pensions, la fiscalité et même – M. Martin Lévrier l’a abordé au travers de son amendement – ce que l’on inclut ou non dans le revenu fiscal de référence. Une telle réforme – j’ai bien entendu vos propos, madame Brossel – intégrerait également un travail sur les barèmes, certains d’entre eux ne prenant pas toujours en compte des situations légitimes.
Pour le dire clairement, il ne me semble pas opportun de faire une telle réforme au détour d’un amendement tendant à insérer un article additionnel dans le PLF, car elle dépasserait largement le périmètre des comptes publics.
Je ne peux m’engager pour mes collègues ni pour le Premier ministre, mais cette réforme globale pourrait être intéressante et faire – pourquoi pas – l’objet d’un texte du Gouvernement. En tout état de cause, le problème ne sera pas réglé par voie d’amendement.
Monsieur Savoldelli, qu’est-ce qu’un effet de bord ? Prenons un exemple. On veut aider les femmes qui élèvent seules des enfants et dont nous connaissons les difficultés au travers d’une disposition fiscale. Effet de bord de cette disposition : 500 millions d’euros de pensions alimentaires en moins. Il ne me semble pas que ce soit l’objectif des auteurs de cet amendement.
Voilà ce que j’appelle un effet de bord ; c’est un effet en cascade, un effet en chaîne, en effet collatéral, qui advient lorsqu’une proposition, même si elle part d’une bonne intention, a des conséquences involontaires. Elle peut même aller jusqu’à produire un effet contraire à celui qui était escompté.
Je serai donc toujours, au cours de nos débats, la plus claire possible sur les effets en cascade des amendements. Il faut que vous puissiez être éclairés sur toutes les conséquences qui pourraient en découler.
Voilà ce que je souhaitais ajouter dans ce débat certes important, qui touche un grand nombre d’enfants, mais qui ne peut pas être réglé par cette proposition, laquelle, j’y insiste, aurait des effets de bord dans le cadre actuel.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je pense que notre vote sur ces amendements différera, monsieur Kanner, mais il y a un point sur lequel nous sommes d’accord : du fait des conséquences durables de la dissolution – cette décision malheureuse –, quand les budgets arrivent au Sénat, il y a finalement peu de matière.
On peut donc ressentir, au cours de ce débat comme dans d’autres, une forme de frustration, quel que soit le sujet ; nous parlons là de fiscalité et de famille, cela sera vrai aussi sur la sécurité, la défense ou encore l’agriculture.
Nous devons chaque fois combler le manque d’informations, de projets, de décisions du Gouvernement, afin de permettre au Parlement d’avoir un débat de fond, par exemple sur une réorientation de la politique familiale. Je l’ai toujours dit, la fiscalité, dans quelque domaine que ce soit, n’est pas le support adéquat d’une grande politique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour explication de vote.
Mme Isabelle Briquet. Madame la ministre, s’il nous semble en effet totalement injuste de fiscaliser les pensions perçues, nous ne proposons nullement, au travers de notre amendement n° I-645, de fiscaliser la pension du côté du verseur.
Je ne comprends donc pas votre réponse.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour explication de vote.
Mme Frédérique Espagnac. J’irai dans le même sens.
Une certaine incompréhension a pu naître de la discussion commune sur ces amendements ; le nôtre ne va pas du tout dans le même sens que les autres. En effet, nous ne proposons une fiscalisation ni de la mère ni du père. Tout ce débat est donc incompréhensible.
Je suis d’accord avec Mme la ministre sur les conséquences qui découleraient de l’imposition du père : les mères percevraient une pension inférieure. Donc, attention !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. En effet, cet amendement diffère des deux précédents. (Voilà ! sur les travées du groupe SER.) Je ne voulais pas ralentir excessivement nos débats, mais il faut que je sois précise.
Votre amendement, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe SER, me pose un autre problème. Je vais me permettre de le dire un peu crûment, en prenant toutes les précautions qui s’imposent, mais l’adoption de cet amendement créerait un gain fiscal en cas de divorce. (Sensation.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Bien vu !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce serait pour le moins bizarre, car il y aurait alors une masse de revenus qui ne serait imposée ni d’un côté ni de l’autre. Vous l’aurez bien compris, je prends toutes les précautions langagières possibles, car le sujet est délicat, mais une telle disposition reviendrait ni plus ni moins à favoriser la fraude, puisqu’il faut bien appeler les choses par leur nom.
M. Patrick Kanner. Vous voyez le mal partout !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je le dis avec beaucoup de prudence, mais un tel dispositif doit être encadré.
C’est pourquoi je préférerais, monsieur Kanner, que l’on ait plutôt une réflexion d’ensemble sur le sujet. La proposition de votre groupe est intéressante. Elle relève un peu de la même logique que l’octroi d’une part fiscale à la personne qui a l’enfant en garde alternée ou en garde totale, qui permet une forme d’exonération de facto.
Au fond, il serait plus pertinent de proposer d’augmenter le quotient familial dans les situations que vous ciblez ; ce quotient serait bonifié quand on est seul. C’est complexe, mais peut-être cela recouvre-t-il une réalité.
En tout état de cause, vous proposez en l’espèce de transférer des masses de revenus qui ne seraient assujetties à aucun impôt. Malheureusement, notre pays est prompt à inventer des niches qui deviennent rapidement des sources de fraude. Cela n’est pas votre intention, mais c’est une réalité.
Bref, il faut y réfléchir de manière beaucoup plus globale. Par conséquent, oui, si nous avons un budget, je suis prête à vous recevoir dès le 3 janvier prochain – ou plutôt le 5, qui est un lundi –, afin d’envisager ces travaux d’envergure.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° I-2625 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° I-2587 rectifié, présenté par M. Canévet, Mme Havet, MM. Folliot, Dhersin, Courtial, Longeot, Delcros, Bleunven et L. Hervé et Mmes Saint-Pé et Guidez, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 6° du 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts est abrogé.
La parole est à M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. L’instauration du dispositif de la rupture conventionnelle du contrat de travail a été très positive, mais, quand on discute avec de nombreux chefs d’entreprise, on s’aperçoit qu’il donne lieu à certains abus. J’invite donc le Gouvernement à lancer une réflexion sur ce sujet, car il faut absolument éviter les effets d’aubaine. Les situations qui nous sont rapportées ne sont pas toutes acceptables ; je pense notamment au fait de recourir à ce dispositif pour toucher les indemnités de chômage.
J’en viens à l’objet de mon amendement, qui est tout autre, puisqu’il s’agit de fiscaliser l’indemnité de rupture conventionnelle, ce qui paraît logique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. D’abord, à ce jour, l’exonération d’impôt sur le revenu que vous visez n’est ni inconditionnelle ni illimitée.
Ensuite, en supprimant cette exonération, on supprimerait aussi le caractère incitatif de la rupture conventionnelle pour chacune des parties, le salarié comme l’employeur. Or cet outil a été mis en place pour offrir une certaine souplesse.
Enfin, l’adoption de votre amendement entraînerait une différence de traitement, puisque, nous l’avons déjà dit, les indemnités de licenciement sont exonérées d’impôt sur le revenu, mais dans certaines limites.
En tout état de cause, ce sujet relève, à mon sens, de la discussion entre les partenaires sociaux, dans le cadre d’un conclave ou non…
La commission demande donc le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. C’est un sujet très pertinent, monsieur le sénateur, sur lequel un certain nombre de propositions ont d’ailleurs été faites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En effet, nous avons constaté que près de 25 % des dépenses de l’assurance chômage sont liées aujourd’hui aux ruptures conventionnelles. C’est sans doute un bon mécanisme, mais nous devons nous assurer qu’il garde une logique assurantielle et ne devienne pas une habitude dans le traitement des deniers de la solidarité nationale. Il y a une part de solidarité, mais aussi une part d’assurance dans notre système ; il faut que nous gardions la logique assurantielle.
Les partenaires sociaux travaillent actuellement sur l’enjeu de la rupture conventionnelle. Le Gouvernement a reçu un certain nombre de rapports, dont certains préconisent d’abaisser le plafond de l’exonération d’impôt sur le revenu qui existe actuellement. Cela me paraît intéressant.
Votre amendement est un amendement d’appel, monsieur le sénateur. Le sujet ne me paraît pas mûr. Je ne pense pas, en tout état de cause, qu’il soit pertinent de supprimer toute exonération. Nous devons bien articuler en la matière le PLF et le PLFSS.
Ce dispositif peut être amené à évoluer au cours de prochaines semaines, mais, à ce stade, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.