M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, sur l'article.

M. Thierry Cozic. Nous abordons la taxe sur les holdings.

La question que pose cet article est la suivante : pourquoi les ultrariches de ce pays, soit quelques centaines de personnes, sont moitié moins imposés que l'ensemble des Français ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce n'est pas vrai !

M. Thierry Cozic. Les biens professionnels étant exclus de son assiette, 90 % des actifs des holdings patrimoniales échapperont à cette fameuse taxe : les titres de participation, les fonds communs de placement, les titres détenus dans les PME européennes, mais aussi la fraction non encore réemployée des produits de cession.

Non, la trésorerie n'est pas ciblée, car elle pourra devenir très facilement de l'actif professionnel. Si vous me permettez cette image, madame la ministre, c'est un filet à sardines qui laisse passer les baleines…

On dénombre actuellement 30 000 holdings en France. L'assiette théorique de cette taxe est de 10 000 holdings, mais le rendement sera réalisé sur 4 000 d'entre elles. Cette taxe concernera donc moins de 0,1 % des acteurs économiques.

Tout est fait pour qu'elle ne touche personne !

Pourtant, le taux d'effort fiscal des ultrariches s'élève à environ 25 %, soit, je le répète, deux fois moins que pour la moyenne des Français. Le sujet est d'importance, car ce différentiel coûte chaque année environ 18 milliards d'euros à l'État. En d'autres termes, si les ultrariches étaient imposés à la même hauteur que tous les Français, 18 milliards d'euros de plus entreraient dans les caisses de l'État.

Voilà donc la question qu'il faut traiter à l'article 3. Est-il normal que, grâce à cette fiscalité régressive, 500 personnes possèdent à elles seules 40 % du PIB, soit deux fois plus qu'en 2017 ? La période 2017-2025 s'est caractérisée par l'accumulation des richesses pour les ultrariches. Celles-ci doivent être redistribuées pour le bien du pays et pour l'égalité.

Force est pourtant de constater que cet article vise à maintenir une telle situation.

M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, sur l'article.

M. Grégory Blanc. Il y a quelques mois a eu lieu ici même un débat important et structurant sur la taxe Zucman. Une partie de l'hémicycle a expliqué qu'elle n'était pas d'accord, une autre, minoritaire, a soutenu cette mesure. Nous en débattrons de nouveau dans le cadre de ce projet de loi de finances.

Ce premier débat sur la taxe Zucman a donné lieu à une discussion sur les effets de suroptimisation fiscale. Cela a amené le Gouvernement – vous-même, madame la ministre – à reconnaître qu'il y avait en effet, dans ce pays, un problème de suroptimisation, lié aux stratégies et aux artifices fiscaux utilisés par un certain nombre de hauts patrimoines. Et s'est imposée l'idée qu'il fallait examiner ces questions de manière beaucoup plus fine pour limiter les trous dans la raquette.

Tout cela a conduit à la création de cette taxe.

De vous à moi, s'il y a bien une chose impensable, c'est l'idée que le pouvoir macroniste, qui portait en son cœur l'idée de bienveillance, pourrait devenir malveillant à l'égard des hauts patrimoines de ce pays. (Sourires.) Cette taxe, telle qu'elle a été conçue, ce n'est pas de la malveillance : il s'agit simplement de corriger des dispositions qui favorisent la suroptimisation fiscale, laquelle relève presque de l'abus de droit fiscal.

Nous allons examiner un certain nombre d'amendements déposés par la droite sénatoriale. Le Sénat fera son travail, annonce-t-elle, travail qui consistera à affaiblir ce dispositif déjà modeste inventé pour limiter les trous dans la raquette.

Il faut savoir raison garder ; notre débat est attentivement suivi à l'extérieur de cette enceinte. Les Français ne sont pas dupes : ils savent que certains ont les moyens de se livrer à la suroptimisation fiscale.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Grégory Blanc. Il faut absolument limiter ces pratiques.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l'article.

M. Bruno Retailleau. Pour ma part, je développerai la position inverse.

Dans cette foire aux taxes à laquelle on assiste depuis des semaines, l'une des initiatives fiscales qui ont le plus choqué – mis à part la taxe Zucman, mais celle-ci n'est pas d'origine gouvernementale – a été la taxe sur les holdings, notamment les holdings familiales.

Cette taxe a été ressentie comme une initiative punitive, pour quatre raisons.

Premièrement, contrairement à ce qui se passe habituellement, il s'agit de taxer non un revenu, mais l'absence de distribution. En clair, les géniaux inventeurs de cette mesure, si j'ose dire, ont considéré qu'il fallait taxer l'entrepreneur sur ce qu'il aurait pu percevoir, mais ne percevra pas parce qu'il entend différer son revenu pour des investissements futurs.

C'est en quelque sorte une taxation par anticipation. Elle aura qui plus est un effet de bord, celui d'inciter les investisseurs à se porter non pas sur des sociétés à forte croissance, qui, elles, conservent leurs ressources pour investir, mais, au contraire, sur des sociétés qui distribuent beaucoup de dividendes, car il faudra payer la taxe ! C'est une évidence.

Deuxièmement, cette taxe paraît totalement injuste, puisque le seuil de participation fixé – 5 % – exonérera les gros patrimoines, au détriment des patrimoines beaucoup plus modestes, qui, souvent, n'atteignent pas ce seuil.

Troisièmement, cette taxe est juridiquement fragile, puisque des contribuables détenant des patrimoines de valeur égale seront traités différemment selon qu'ils investissent directement ou par le biais d'une holding.

M. Grégory Blanc. C'est déjà le cas…

M. Bruno Retailleau. Quatrièmement, cette taxe est confiscatoire. Aucun plafond n'est prévu. J'ai en tête les exemples de deux chefs d'entreprise : l'entrée en vigueur de cette mesure reviendrait à taxer l'un à 120 % de ses revenus et l'autre à 262 % !

Qui plus est, cette taxe affecte des entreprises familiales, celles-là mêmes que l'on trouve dans chacun de nos territoires.

Il faudra donc se rallier aux avis du rapporteur général et de notre collègue Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° I-44 rectifié bis est présenté par MM. Capus, Malhuret et Laménie, Mmes Bourcier et Bessin-Guérin, MM. Brault, Chasseing et Chevalier, Mme L. Darcos, M. Grand, Mme Lermytte et MM. V. Louault, A. Marc, Médevielle, Pellevat, Rochette, L. Vogel et Wattebled.

L'amendement n° I-500 rectifié est présenté par MM. Levi, Henno, Laugier et Fargeot, Mme Billon, M. Courtial, Mme Devésa et M. Chauvet.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Emmanuel Capus, pour présenter l'amendement n° I-44 rectifié bis.

M. Emmanuel Capus. M. Retailleau m'a convaincu ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cette taxe sur les holdings est complètement stupide : encore un impôt nouveau qui ne sert à rien ! C'est parce que j'ai lu dans les pensées de mon collègue que j'ai déposé par anticipation un amendement de suppression de l'article 3. (Sourires.) Il faut aller jusqu'au bout du raisonnement, mes chers collègues, et supprimer ce nouvel impôt qui est une aberration.

Je suis en désaccord avec le rapporteur général sur un point : à mon sens, il faut supprimer purement et simplement cet article.

Je suis également en désaccord avec la ministre. Nous étions tous deux en séance lors de l'examen de la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches, elle au banc du Gouvernement, moi au banc des commissions. J'ai rédigé un rapport assez long sur cette taxe Zucman, qui, d'ailleurs, n'est pas beaucoup cité dans votre rapport, monsieur le rapporteur général. (Sourires.)

À la page 48 du premier fascicule du tome II du rapport de la commission des finances, on comprend – à cet égard, Grégory Blanc a raison – que cette taxe a été conçue uniquement en guise de réponse au lobbying incroyable de Zucman pour nous faire croire qu'il y a un problème. Or ce problème – c'est écrit noir sur blanc dans le rapport – concerne les 0,0002 % plus hauts revenus !

Nous sommes donc en train de créer une taxe sur toutes les holdings au seul motif que, pour 0,0002 % des contribuables, l'impôt deviendrait légèrement dégressif.

J'ajoute qu'une telle analyse s'appuie sur un triple postulat erroné.

Premièrement, on assimile aux revenus professionnels les revenus économiques, c'est-à-dire les participations détenues dans les sociétés par actions. Il n'y a aucune raison de le faire.

Deuxièmement, on ne tient pas compte de l'impôt sur les sociétés acquitté. Cela ne compte pas ! (M. Yannick Jadot s'exclame.)

Troisièmement, on ne tient pas compte de l'impôt qui va être payé.

En d'autres termes, non seulement on ne tient compte ni de l'impôt qui a été payé ni de celui qui va l'être, mais on considère que ce qui appartient à la société appartient à son dirigeant, ce qui est tout à fait contraire au principe de personnalité fiscale. Par conséquent, le principe même sur lequel nous débattons est erroné.

M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot, pour présenter l'amendement n° I-500 rectifié.

M. Daniel Fargeot. Il s'agit purement et simplement de supprimer l'article 3, qui prévoit l'instauration d'une nouvelle taxe punitive sur les entreprises.

Ne l'oublions pas, c'est l'outil de production et la création de valeur qu'il faut mettre en avant au lieu de vouloir toujours taxer les mêmes. Il n'y aura ni création d'emplois, ni hausse du pouvoir d'achat, ni augmentation des salaires, tant que nous continuerons à taxer les entreprises comme cela nous est proposé aujourd'hui.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Mme la ministre s'inquiète... (Sourires.)

Non, madame la ministre, ne vous inquiétez pas ! La commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.

À écouter nos débats, j'ai l'impression de vivre le retour de la gauche au pouvoir.

MM. Yannick Jadot et Patrick Kanner. Ça va venir !

M. Grégory Blanc. C'est mieux que l'extrême droite !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. On entend beaucoup parler ISF (Exclamations sur les travées du groupe SER.), temps de travail, retraite, emprunt forcé – à l'époque, il était rémunéré : il ne l'est même plus. C'est sain, mais décalé, car le monde et la société ont évolué.

Comme j'aime à le dire, à l'instar d'un certain nombre de nos collègues, qui siègent plutôt sur les travées de la droite et du centre, il faut être attentif aux messages que nous envoyons à ceux qui créent de la richesse, qui prennent des risques, que ce soit dans l'innovation, dans l'industrie traditionnelle, dans les PME, dans les établissements de taille intermédiaire. Ils sont la richesse de notre pays et ils engagent souvent dans leur entreprise une part de leur patrimoine.

Parmi toutes les constructions économiques existantes, il y a la holding. Dès que l'on a recours à des termes anglais, la connotation est différente et l'on s'en effraie. Pour ma part, je ressens plutôt de la fierté à voir le drapeau français sur des multinationales : c'est la marque d'une réussite. Il y a par ailleurs, autour de ces grandes entreprises et travaillant pour elles, énormément d'acteurs économiques qui gravitent.

Nous avons besoin aujourd'hui d'encourager très fortement notre économie.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. De quoi parlons-nous ?

Cela fait quelques mois maintenant que le sujet des holdings est dans le débat. Il est temps de revenir, d'abord, à la réalité de la fiscalité, aux enjeux soulevés, à la proposition du Gouvernement et, ensuite, aux aménagements envisageables.

Il est ici question d'un mécanisme, la holding, qui n'a rien de mal en elle-même : elle est un outil utile, notamment pour faciliter l'investissement, le réinvestissement, la diversification des groupes économiques. Le Gouvernement ne considère évidemment pas qu'il y a un problème avec les holdings en tant que telles. J'insiste sur ce point, car une certaine confusion a pu être entretenue autour de ce sujet.

Par ailleurs, contrairement à ce qu'avançait Bruno Retailleau, le Gouvernement n'a rien non plus contre l'idée que des revenus ne soient pas distribués, mais conservés pour être réinvestis. Il n'a d'ailleurs rien contre le fait que les holdings puissent héberger une part de trésorerie pour des investissements futurs. Une telle pratique est nécessaire et utile à beaucoup de nos groupes industriels et commerciaux.

Reste qu'il nous faut nous pencher – très calmement – sur une situation qu'ont observée les services placés sous mon autorité, à savoir qu'un certain nombre de nos compatriotes utilisent la holding et la fiscalité des entreprises qu'elle permet pour se constituer un patrimoine personnel.

M. Grégory Blanc. Exactement !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. J'y insiste, il arrive que la fiscalité des entreprises soit mise au bénéfice de la constitution d'un patrimoine personnel. Une partie des actifs personnels immobiliers, ce que vous et moi considérons comme un PEA (plan d'épargne en actions) ou une assurance vie se retrouvent ainsi logés dans une holding.

M. Grégory Blanc. Exactement !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Or la fiscalité des entreprises est beaucoup plus favorable que la fiscalité des particuliers, puisqu'elle a été pensée, précisément, pour permettre le réinvestissement.

La proposition du Gouvernement est donc la suivante.

Il est tout à fait normal que les entreprises aient un niveau de trésorerie correspondant par exemple à deux années de bénéfices, tout comme il est tout à fait normal que les holdings aient un niveau de trésorerie correspondant à deux ans de levée de fonds ou aux sommes nécessaires à un projet de réinvestissement.

Les contribuables ont tout à fait le droit de placer des actifs personnels dans une holding – ce n'est pas grave ! Toutefois, au-delà d'un certain seuil, qui peut être discuté, et pour une liste de biens qui ne sont manifestement pas mis au service ou au bénéfice d'une activité industrielle ou productive, cela ne sera possible qu'à condition de s'acquitter d'un impôt dont l'objet est de parvenir à une forme de neutralité entre le fait de placer de tels biens dans la holding et celui de les détenir hors holding. Ce faisant, il s'agit de recréer une forme d'équité entre les contribuables en neutralisant le montage fiscal élaboré par certains.

En quelque sorte, c'est une mesure « balai ». Nous avons évoqué un dispositif analogue ce matin en traitant de la CDHR : au bout du compte, quel que soit le montage retenu, le patrimoine personnel doit être soumis à impôt.

Ce principe étant posé, nous allons examiner des amendements qui visent à fixer le bon niveau de trésorerie, le bon niveau d'imposition, à déterminer quels biens sont considérés comme personnels, etc.

Je le répète avec beaucoup de sérénité : non, nous ne voulons pas mettre à mal l'investissement ; non, nous ne voulons pas mettre à mal les entreprises. Mais oui, ayons ce débat, parce qu'il y a manifestement des abus. M. le rapporteur général et M. le président de la commission des finances peuvent à tout moment venir à Bercy contrôler sur place et sur pièces.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ne nous demandez pas de venir trop souvent !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je peux évidemment leur transmettre des informations que je ne saurais dévoiler ici, car elles sont couvertes par le secret fiscal.

Mon but, c'est de combattre les abus, non l'investissement. C'est précisément cela que le Gouvernement vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs.

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.

M. Yannick Jadot. Je suis d'accord avec Bruno Retailleau sur un point : il s'agit d'une taxation par anticipation – c'est vrai.

Pourquoi doit-on en arriver là ? Pourquoi un certain nombre de détenteurs du capital, d'entreprises, de propriétaires se sont-ils sentis autorisés à contourner la juste fiscalité à laquelle ils devaient être assujettis sur leurs revenus ? C'est à ce problème qu'il faut répondre. La ministre a rappelé le cheminement de cette mesure.

Nous aurons un débat sur les seuils.

Oui, le monde a changé et, de fait, un certain nombre de personnes organisent aujourd'hui l'évitement fiscal via l'outil de la holding. D'ailleurs, ce terme britannique dit tout de même beaucoup de la financiarisation de l'économie – et celle-ci n'a pas que du bon.

Taxer par anticipation serait quand même un peu aberrant, nous dit-on ; eh bien non ! Eu égard aux pratiques que je viens de décrire, dès lors que la volonté du contribuable est d'éviter l'impôt, le législateur doit corriger le tir.

J'entends toujours dire que seuls les chefs d'entreprise – seules les entreprises – créent de la richesse. Oui, les entreprises créent de la richesse ; oui, les chefs d'entreprise créent de la richesse, innovent, prennent des risques. Mais ils ne le font pas tout seuls ! Une entreprise sans salariés formés par le système éducatif et protégés par la sécu – j'aurais pu m'en tenir à dire : une entreprise sans salariés –, une entreprise sans routes, une entreprise sans infrastructures, ne créerait aucune richesse ! (Mme Sophie Primas s'exclame.)

La richesse créée doit, grâce à la fiscalité qui s'y applique, contribuer à créer de la richesse autour d'elle. Cela s'appelle un modèle social.

M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour explication de vote.

M. Olivier Rietmann. Une première chose : je n'aime pas le terme de « holding » : je préfère parler de « société mère ». Quand on évoque une holding, on pense à une structure qui a été construite dans le seul but de cacher des choses et de faire de l'optimisation fiscale. Or tel n'est pas le cas : une société mère est une entreprise qui travaille avec ses filiales, avec ses « filles », pour les protéger et assurer une meilleure circulation des actifs, afin d'être elle-même plus compétitive.

Avant de créer des droits de douane ou autres mesures du même genre, nous devrions tous bien comprendre que la première protection pour nos entreprises, c'est la compétitivité.

Je me permets une petite précision à l'attention de mon collègue Jadot : hier, en discussion générale, j'ai dit qu'une entreprise, c'étaient des femmes et des hommes, de l'ouvrier au dirigeant. (M. Yannick Jadot acqiuesce.) Bien évidemment, une entreprise ne se résume pas à son chef ; c'est un tout, c'est un écosystème.

Puisque nous mettons le doigt, à l'article 3, sur la taxation du patrimoine professionnel, je vous livre une image : lorsque j'étais exploitant agricole, je m'entendais régulièrement dire, à propos de mon troupeau de vaches : « Toi, à la fin de l'année, si tu as un souci, c'est simple : tu vends quelques vaches. » Mais, s'il fallait entrer dans ce jeu-là, au bout de cinq ou dix ans, il n'y aurait plus de troupeau et, partant, plus d'entreprise ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. Olivier Rietmann. Par principe, parce que je considère qu'il y va de l'avenir de notre pays, de son avenir économique notamment, c'est-à-dire de l'avenir de nos entreprises et de leurs salariés, des femmes et des hommes qui y travaillent, je voterai pour ces deux amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote.

M. Thierry Cozic. Le groupe socialiste, quant à lui – vous vous en doutez –, votera contre ces deux amendements. Quel est l'objet de cet article ? Il s'agit simplement de corriger les inégalités face à l'imposition.

Permettez-moi, mes chers collègues, de partager avec vous quelques données.

S'il y a bien une terre d'accueil extrêmement intéressante pour les milliardaires, c'est la France, qui en compte 147, alors qu'ils ne sont que 128 en Allemagne et 43 en Suède. Autrement dit, nous sommes donc les champions d'Europe de l'accueil des milliardaires !

M. Olivier Rietmann. Tout le monde en profite !

M. Pierre-Antoine Levi. Et c'est tant mieux !

M. Thierry Cozic. En six années, les cinq familles les plus riches de France ont vu leur patrimoine boursier progresser de 400 %, quand le salaire des Français, lui, augmentait de… 8 % !

S'il est proposé de les mettre à contribution, comme le prévoit cet article, c'est bien parce que, pendant six ans, ils ont continué à accumuler du patrimoine.

Reste la question des recettes escomptées de cette contribution, car le moins que l'on puisse dire, madame la ministre, c'est que ce n'est pas très clair. En fait de recettes attendues, vous avez coutume d'annoncer des chiffres assez élevés – ils ne le sont en général pas assez à nos yeux, mais demeurent suffisants pour rassurer nos concitoyens.

Je citerai deux exemples au hasard.

La contribution sur la rente inframarginale des énergéticiens devait rapporter 12 milliards d'euros ; or elle a rapporté en définitive moins de 1 milliard d'euros.

La taxe sur les superprofits des entreprises pétrolières, quant à elle, a rapporté 70 millions au lieu des 200 millions escomptés.

C'est bien la question de l'allocation des richesses qui est posée dans cet article.

Quand on entre dans le détail, on s'aperçoit que plus de 90 % des holdings patrimoniales échapperont à cette fameuse taxe. Je le redis, c'est un filet à sardines qui laisse passer les baleines !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Vous m'indiquerez la cote de la maille ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour explication de vote.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Dans notre pays, il existe des juges. Aussi, je ne comprends pas bien pourquoi, dans ce cas d'espèce, il faudrait légiférer. Dans notre droit fiscal, il existe des notions bien définies pour traiter ces situations : le dévoiement, l'abus de droit, etc. Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi on ne s'en remettrait pas au juge pour requalifier de la sorte, le cas échéant, certaines pratiques, ainsi que vous nous l'expliquiez tout à l'heure, madame la ministre.

Par ailleurs, mes chers collègues, je vous fais remarquer que le dispositif tel qu'il nous est proposé reviendrait à taxer des revenus futurs, virtuels, potentiels. Je pense notamment à nos jeunes pousses, dont les valorisations peuvent atteindre des montants hallucinants l'année n, puis être en chute libre l'année n+3. Aussi, je ne comprends pas le sens structurel de cette démarche. (MM. Emmanuel Capus et Olivier Rietmann et Mmes Sophie Primas et Évelyne Renaud-Garabedian applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour explication de vote.

M. Grégory Blanc. Pour ma part, je n'ai pas été chef d'exploitation ; en revanche, j'ai été le chef d'une entreprise que j'ai créée, qui comptait quelques salariés. Au regard de sa taille, il n'était pas question de créer une holding. Disant cela, je veux évoquer les nombreux chefs d'entreprise de ce pays qui engagent leur patrimoine pour créer une TPE ou une PME et essayer de faire grandir leur activité. Mais ce n'est pas d'eux que nous parlons ici.

Je dis un mot sur les holdings.

Nous débattrons bientôt de la surtaxe Barnier sur l'impôt sur les sociétés. Or, on le sait très bien, un certain nombre de grandes entreprises ayant depuis l'an dernier logé leurs flux financiers à l'étranger, le rendement de cette surtaxe s'en trouvera amoindri – c'est ce qu'on appelle un effet d'évitement.

En l'espèce, nous parlons d'un autre évitement, et je veux citer les propres mots du rapporteur général : « L'interposition d'une holding entre le contribuable et son patrimoine lui permet de limiter son revenu imposable » – lui permet de limiter son revenu imposable ! –, « les dividendes reversés sur le compte d'une holding n'étant pas fiscalisés au titre de l'imposition sur les revenus mais à l'impôt sur les sociétés, le taux du second étant très inférieur au taux supérieur du premier. »

Ce ne sont pas mes mots, ce ne sont pas les mots d'un homme de gauche, ce sont les mots du rapporteur général dans son rapport, que chacun est invité à lire !

Et qu'est-il proposé à l'article 3 ? De créer une nouvelle contribution dont le taux serait de 2 % – 2 % ! Si ça, c'est confiscatoire, alors tout est confiscatoire !

Il faut savoir raison garder et considérer qu'il existe bel et bien des comportements qui relèvent non pas de l'abus de droit fiscal – ce n'est pas de cela qu'il s'agit –, mais de la suroptimisation fiscale (M. Olivier Rietmann manifeste son agacement.) : le recours à certains artifices permet à un certain nombre de détenteurs de hauts patrimoines d'être bien moins imposés que ne le sont de petits chefs d'entreprise de notre pays, qui, eux, créent de la valeur avec leurs salariés, y engagent leur faible patrimoine, et contribuent davantage. Il faut de l'équité !

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. J'ai écouté M. Capus.

M. Emmanuel Capus. Très bien !

M. Patrick Kanner. Et puisque, ce matin, il a dit du bien de moi, je vais être prudent dans mon propos… (Sourires.) En ce qui nous concerne, nous voulons de la justice fiscale : telle est notre boussole permanente.

En définitive, cet article n'a pas d'autre objet que de limiter l'optimisation fiscale flagrante qu'a évoquée Mme la ministre et de permettre à l'État de récupérer quelques moyens supplémentaires – trop peu, d'ailleurs, selon nous, et nous défendrons des amendements d'amélioration du dispositif.

Supprimer cet article, ce serait finalement donner raison à ceux qui se disent que, sur le plan fiscal, la France est un pays de cocagne pour les plus riches.

M. Olivier Rietmann. Ça se saurait !

M. Patrick Kanner. Mais bien sûr que si !

Mes chers collègues de droite, voilà quelques années maintenant – si l'on ne tient pas compte de l'année qui vient de s'écouler –, vous étiez au pouvoir. Eu égard à la situation budgétaire catastrophique dans laquelle se trouve notre pays, tout ce qui permet de limiter la casse est le bienvenu, et il est légitime de demander un effort à ceux qui ont tant reçu depuis des années, singulièrement depuis 2017, parvenant ainsi – les chiffres ont été rappelés par notre collègue Cozic – à doubler, tripler, quadrupler leur patrimoine.

Leur demander cet effort qui est somme toute très raisonnable, c'est surtout reconnaître que les pratiques dont ces holdings patrimoniales sont le terreau ne sont moralement pas acceptables dans un pays de justice fiscale comme la France.

En ce qui nous concerne, nous voterons bien sûr contre ces deux amendements de suppression, en espérant que la suite du débat nous permette d'aller encore plus loin dans le sens que j'ai indiqué.

Nous accompagnons donc le Gouvernement – nous ne le soutenons pas – dans cette démarche.

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. Mes chers collègues, vous ne vous étonnerez pas que je vote ces deux amendements de suppression.

Il vient d'être dit que la France pourrait être considérée comme un pays de cocagne… Alors, sachez-le, le Royaume-Uni vient de mettre fin au régime des « non-dom », grâce auquel les gains obtenus à l'international n'étaient pas fiscalisés dès lors qu'ils n'étaient pas rapatriés.

Quels sont les premiers effets de cette décision ? Ceux qui auparavant bénéficiaient de ce dispositif quittent tout simplement le pays ! Ils ne s'en vont pas pour la France, qui n'est pas pour eux un pays de cocagne, mais plutôt pour la Suisse, où il existe un régime d'imposition forfaitaire, puis, deuxième choix,…

M. Albéric de Montgolfier. Ils vont en Italie, à Milan !

M. Olivier Cadic. … en effet, pour l'Italie, qui a créé un régime dit « des nouveaux résidents », aux termes duquel ceux-ci doivent acquitter un impôt forfaitaire de 100 000 euros par an. Autrement dit, les Italiens, eux, semblent considérer qu'au-delà de 100 000 euros un impôt est confiscatoire…

Dans cette compétition fiscale internationale qui n'est pas sans effets sur la France, il faut garder en tête que les mots ont un poids. Et plutôt que de dire aux milliardaires qui résident fiscalement en France qu'ils vivent dans un pays de cocagne, il conviendrait de les remercier d'être toujours là : ils participent pleinement à l'effort national. (M. Yannick Jadot lève les bras au ciel.).