M. Michel Masset. Une partie des membres du groupe RDSE soutiennent l'adoption de la taxe Zucman : ils estiment que cette proposition permet de s'attaquer à un angle mort de notre fiscalité et qu'elle devrait ainsi susciter l'adhésion des républicains de tout poil.

Cet amendement vise à réaffirmer un principe simple : dans une République juste, les très grandes fortunes doivent contribuer à hauteur de leur puissance économique.

L'adoption de cet amendement reviendrait à faire un choix républicain fort : protéger l'égalité devant l'impôt pour garantir l'égalité entre les citoyens.

Dans un contexte de crise budgétaire et sociale, où les inégalités se creusent et où le consentement à l'impôt s'effrite, il n'est plus tenable qu'une minorité contribue proportionnellement moins qu'un salarié ou qu'un artisan. Cette mesure n'est ni provocatrice ni excessive. Elle vise simplement à rétablir une justice fiscale devenue indispensable.

M. Thomas Dossus. Très bien !

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° I-185 rectifié est présenté par Mme Blatrix Contat, M. Montaugé, Mme Le Houerou, MM. Bourgi, Ros, Devinaz et Redon-Sarrazy, Mme Matray, MM. Fichet, Pla, Ziane et Bouad, Mmes Bélim et Briquet et MM. Féraud, P. Joly, Kerrouche et Tissot.

L'amendement n° I-2640 rectifié bis est présenté par Mme Pantel, MM. Bilhac et Cabanel, Mmes M. Carrère, Girardin et Jouve et MM. Roux et Masset.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° Avant le chapitre II du titre IV de la première partie du livre Ier du code général des impôts, il est inséré un chapitre I ter ainsi rédigé :

« Chapitre Ier ter

« Impôt plancher sur la fortune

« Art. 885 AA. – Sont soumises à l'impôt plancher sur la fortune lorsque la valeur de leurs actifs mentionnés aux articles 885 AB à 885 AH est supérieure à 100 millions d'euros :

« 1° Les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France, sur leurs biens situés en France ou hors de France.

« Toutefois, les personnes physiques mentionnées au premier alinéa du présent 1° qui n'ont pas été fiscalement domiciliées en France au cours des cinq années civiles précédant celle au cours de laquelle elles ont leur domicile fiscal en France ne sont imposables qu'au titre de leurs biens situés en France.

« Le deuxième alinéa du présent 1° s'applique au titre de chaque année au cours de laquelle le redevable conserve son domicile fiscal en France, jusqu'au 31 décembre de la cinquième année qui suit celle au cours de laquelle le domicile fiscal a été établi en France ;

« 2° Les personnes physiques n'ayant pas leur domicile fiscal en France, sur leurs biens situés en France lorsque leur valeur est supérieure à 100 millions d'euros ;

« Art 885 AA bis. Les contribuables fiscalement domiciliés en France pendant au moins six des dix années précédant le transfert de leur domicile fiscal hors de France sont imposables lors de ce transfert à l'impôt plancher sur la fortune à un tarif égal à dix fois celui prévu à l'article 885 AL.

« Le paiement de cet impôt peut être échelonné à la demande du contribuable et, avec l'accord de l'administration fiscale, dans un délai ne pouvant excéder 10 ans à compter du transfert de résidence fiscale.

« Un décret fixe les conditions d'application du présent article, notamment les obligations déclaratives des contribuables.

« Sauf dans les cas prévus aux a et b du 4 de l'article 6, les couples mariés font l'objet d'une imposition commune.

« Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini à l'article 515-1 du code civil font l'objet d'une imposition commune.

« Les conditions d'assujettissement sont appréciées au 1er janvier de chaque année.

« Art. 885 AB. – L'impôt plancher sur la fortune est assis et les bases d'imposition sont déclarées selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de mutation par décès, sous réserve des dispositions particulières du présent chapitre.

« Les exonérations prévues en matière de droits de mutation par décès ne s'appliquent pas à l'impôt plancher sur la fortune.

« Lorsque le contribuable est passible de l'impôt plancher sur la fortune, l'administration calcule la valeur des actifs et des créances telle que définie à l'article 885 AC en vue de l'établissement d'un avis d'imposition. »

« Art. 885 AC. – L'assiette de l'impôt plancher sur la fortune est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année d'imposition, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant aux personnes mentionnées à l'article 885 AA, et à leurs enfants mineurs lorsqu'elles ont l'administration légale des biens de ceux-ci.

« Dans le cas de concubinage notoire, l'assiette de l'impôt est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année d'imposition, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant à l'un et l'autre des concubins et aux enfants mineurs mentionnés au premier alinéa du présent article.

« Art. 885 AD. – Les primes versées après l'âge de soixante-dix ans au titre des contrats d'assurance non rachetables souscrits à compter du 20 novembre 1991 et la valeur de rachat des contrats d'assurance rachetables sont ajoutées au patrimoine du souscripteur.

« La créance que le souscripteur détient sur l'assureur au titre de contrats, autres que ceux mentionnés à l'article L. 132-23 du code des assurances, qui ne comportent pas de possibilité de rachat pendant une période fixée par ces contrats est ajoutée au patrimoine du souscripteur.

« Art. 885 AE. – Les biens ou droits grevés d'un usufruit, d'un droit d'habitation ou d'un droit d'usage accordé à titre personnel sont compris dans le patrimoine de l'usufruitier ou du titulaire du droit pour leur valeur en pleine propriété. Toutefois, les biens grevés de l'usufruit ou du droit d'usage ou d'habitation sont compris dans les patrimoines respectifs de l'usufruitier ou du nu-propriétaire suivant les proportions fixées à l'article 669 dans les cas énumérés ci-après, à la condition, en cas d'usufruit, que le droit constitué ne soit ni vendu, ni cédé à titre gratuit par son titulaire :

« 1° Lorsque la constitution de l'usufruit résulte de l'application des articles 767, 1094 ou 1098 du code civil. Les biens dont la propriété est démembrée en application d'autres dispositions, notamment de l'article 1094-1 du même code, ne peuvent faire l'objet de cette imposition répartie ;

« 2° Lorsque le démembrement de propriété résulte de la vente d'un bien dont le vendeur s'est réservé l'usufruit, le droit d'usage ou le droit d'habitation et que l'acquéreur n'est pas l'une des personnes mentionnées à l'article 751 du présent code ;

« 3° Lorsque l'usufruit ou le droit d'usage ou d'habitation a été réservé, par le donateur d'un bien ayant fait l'objet d'un don ou legs à l'État, aux départements, aux communes ou aux syndicats de communes et à leurs établissements publics, aux établissements publics nationaux à caractère administratif et aux associations reconnues d'utilité publique.

« Art. 885 AF. – Les biens ou droits transférés dans un patrimoine fiduciaire ou ceux éventuellement acquis en remploi ainsi que les fruits tirés de l'exploitation de ces biens ou droits sont compris dans le patrimoine du constituant pour leur valeur vénale nette.

« Art. 885 AG. – Les biens ou droits placés dans un trust défini à l'article 792-0 bis ainsi que les produits qui y sont capitalisés sont compris, pour leur valeur vénale nette au 1er janvier de l'année d'imposition, selon le cas, dans le patrimoine du constituant ou dans celui du bénéficiaire qui est réputé être un constituant en application du II du même article 792-0 bis.

« Le premier alinéa du présent article ne s'applique pas aux trusts irrévocables dont les bénéficiaires exclusifs relèvent de l'article 795 ou sont des organismes de même nature relevant de l'article 795-0 A et dont l'administrateur est soumis à la loi d'un État ou d'un territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.

« Art. 885 AH. – L'article 754 B du code général des impôts est applicable à l'impôt plancher sur la fortune.

« Art. 885 AI. – La valeur des biens est déterminée suivant les règles en vigueur en matière de droits de mutation par décès.

Un décret d'application précise les modalités de calcul de la valeur vénale des titres d'une société non-admise à la négociation sur un marché réglementé.

« Art. 885 AJ. – Les valeurs mobilières cotées sur un marché sont évaluées selon le dernier cours connu ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent la date d'imposition.

« Art. 885 AK. – Les créances détenues, directement ou par l'intermédiaire d'une ou de plusieurs sociétés interposées, par des personnes n'ayant pas leur domicile fiscal en France sur une société à prépondérance immobilière mentionnée au 2° du I de l'article 726 ne sont pas déduites pour la détermination de la valeur des parts que ces personnes détiennent dans la société.

« Art. 885 AL. – Le tarif de l'impôt plancher sur la fortune dû est égal à la différence, si elle est positive, entre :

« 1° Le montant résultant de l'application d'un taux de 1 % à la valeur nette taxable de l'assiette telle que définie à l'article 885 AC ;

« 2° Et le montant résultant de la somme des montants acquittés, pour l'année en cours, par le redevable au titre de l'impôt sur le revenu prévu à l'article 1A du CGI, de l'impôt sur la fortune immobilière prévu à l'article 964 du CGI, de la taxe foncière prévue à l'article 1380 du CGI, de la taxe d'habitation prévue à l'article 1407 du CGI, du prélèvement prévu par l'article 235 ter du CGI, des contributions prévues aux articles L. 136-1 et L. 136-6 du code de la sécurité sociale, des contributions au remboursement de la dette sociale prévues au chapitre II de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale et de la contribution prévue à l'article 223 sexies du présent code, ainsi que des impôts équivalents acquittés à l'étranger.

Un décret en Conseil d'État précise et met à jour, le cas échéant, la liste des impôts mentionnés au précédent alinéa pour l'application du présent article, afin d'y inclure tout impôt de nature équivalente institué postérieurement à l'entrée en vigueur de cet article.

« Art. 885 AM. – I – Les redevables souscrivent, au plus tard le 23 septembre de chaque année, une déclaration de leur fortune précisant la valeur brute et la valeur nette taxable de leur patrimoine, déposée au service des impôts de leur domicile au 1er janvier et accompagnée du paiement de l'impôt.

« La valeur brute et la valeur nette taxable du patrimoine des concubins notoires et de celui des enfants mineurs lorsque les concubins ont l'administration légale de leurs biens sont portées sur la déclaration de l'un ou l'autre des concubins.

« II. – Les époux et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini à l'article 515-1 du code civil doivent conjointement signer la déclaration prévue au I du présent article.

« III. – En cas de décès du redevable, le 2 de l'article 204 est applicable. La déclaration mentionnée au I du présent article est produite par les ayants droit du défunt dans un délai de six mois à compter du décès. Le cas échéant, le notaire chargé de la succession peut produire cette déclaration à la demande des ayants droit si la succession n'est pas liquidée à la date de production de la déclaration.

« Art. 885 AN. – Les personnes possédant des biens en France sans y avoir leur domicile fiscal et les personnes mentionnées au 2 de l'article 4 B peuvent être invitées par le service des impôts à désigner un représentant en France dans les conditions prévues à l'article 164 D.

« Toutefois, l'obligation de désigner un représentant fiscal ne s'applique ni aux personnes qui ont leur domicile fiscal dans un autre État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ainsi qu'une convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement de l'impôt, ni aux personnes mentionnées au 2 de l'article 4 B qui exercent leurs fonctions ou sont chargées de mission dans l'un de ces États.

« Art. 885 AO. – Lors du dépôt de la déclaration mentionnée au I de l'article 885 AM, les redevables doivent joindre à leur déclaration les éléments justifiant de l'existence, de l'objet et du montant des dettes dont la déduction est opérée. »

« Art. 885 AP. – La vente de parts cédées prévues au 1716 bis du code général des impôts peut faire l'objet d'une procédure d'autorisation au sens de l'article L151-3 du code monétaire et financier. » ;

2° Après le I de l'article 1716 bis du code général des impôts, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :

« .... – L'impôt plancher sur la fortune prévu à l'article 885AA peut être acquitté par la remise de parts de sociétés d'une valeur équivalente à l'impôt dû tel que défini à l'article 885AL. La prise de participation de l'État dans ces sociétés ne donne pas lieu à la nomination de représentants de l'État ou de commissaires du Gouvernement supplémentaires au sein des instances de gouvernance ou de direction des sociétés concernées.

« Ce transfert de parts peut faire l'objet d'un pacte d'actionnaires qui comprend notamment les dispositions suivantes :

« 1 – rétrocession par l'État aux contribuables concernés des droits de votes afférents ;

« 2 – clause de rachat des parts par les contribuables.

« Cette procédure exceptionnelle de règlement des droits est subordonnée à un agrément donné dans des conditions fixées par décret. » ;

3° L'article 1723 ter-00 B est complété par les mots : « et pour le paiement de l'impôt plancher sur la fortune » ;

4° Après l'article 1723 ter-00 B du code général des impôts, il est inséré un article 1723 ter-00 C ainsi rédigé :

« Art. 1723 ter-00 C. – I. – L'impôt plancher sur la fortune défini au chapitre Ier ter d du titre IV de la première partie du livre Ier du présent code est recouvré et acquitté selon les mêmes règles et sous les mêmes garanties et sanctions que les droits de mutation par décès.

« II. – Ne sont pas applicables aux redevables mentionnés au I de l'article 885 AM :

« 1° Les articles 1715 et 1716 A ;

« 2° Les articles 1717, 1722 bis et 1722 quater.

« 3° Les dispositions du III de l'article L. 269 du livre des procédures fiscales relatives à l'inscription de l'hypothèque légale du Trésor. »

II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2026.

La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour présenter l'amendement n° I-185 rectifié.

Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement de repli tend à conserver l'esprit de l'impôt minimum sur les très hauts patrimoines, en abaissant cependant le taux de prélèvement à 1 %.

L'objectif est simple : proposer un compromis plus que raisonnable et qui paraît largement acceptable quand sept prix Nobel d'économie appellent à instaurer un tel mécanisme.

Il est difficile, en outre, d'imaginer une proposition plus modérée ! Les travaux académiques et les données de l'administration fiscale le démontrent : au sommet de la pyramide sociale, l'impôt réellement payé, après optimisation, devient proportionnellement inférieur à celui des classes moyennes ou même supérieures.

Ce décalage nourrit le sentiment d'un défaut d'équité. Aussi, cet amendement de repli vise à conserver l'esprit de la taxe Zucman, en s'appuyant sur une assiette identique.

M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour présenter l'amendement n° I-1640 rectifié bis.

M. Michel Masset. Mes chers collègues, nous vous proposons également d'instaurer cette taxe avec un taux, plus bas, de 1 %. Vous le voyez, le RDSE ne manque pas d'idées ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Sans grande surprise, la commission a émis un avis défavorable sur l'ensemble de ces amendements.

Nombre des arguments auxquels je pourrai recourir pour vous répondre ont déjà été présentés, de manière plus détaillée, lorsque cette mesure a été examinée, au Sénat, au sein de la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches. C'est notre collègue Emmanuel Capus qui les avait alors vaillamment et brillamment défendus.

Notre rapporteur avait notamment beaucoup souligné le risque juridique d'inconstitutionnalité d'une telle contribution. Depuis lors, d'ailleurs, le Conseil d'État a confirmé que ce risque était avéré dans l'avis qu'il a rendu sur ce sujet à la demande du Gouvernement.

Un tel dispositif ne vise-t-il pas plutôt à répondre au sentiment d'urgence provoqué par la dérive des comptes publics ? Cette situation ne devrait-elle pas plutôt nous inciter à réorienter, voire à simplifier la fiscalité ? C'est une démarche que nous avons bien du mal à adopter, comme en témoigne, d'ailleurs, cette proposition. Après la CDHR et la CEHR, faudra-t-il employer toutes les lettres de l'alphabet ? (Sourires.)

Au-delà de ce trait d'humour, la problématique est réelle. Sans doute devrions-nous chercher à simplifier la fiscalité, tant pour les ménages que pour les entreprises, et à élargir ou recomposer les assiettes, plutôt que de miser sur une petite réserve de gens très riches, auxquels certains voudraient demander beaucoup, si ce n'est trop. Or, vous le savez, je ne suis pas de ceux-là.

J'ai entendu les critiques formulées lors de l'examen de l'article 3. Il faut commencer par lutter contre certains abus et fraudes. Nous nous y sommes déjà employés. C'est une démarche importante, que nous devons privilégier.

Prenons garde également aux signaux que nous envoyons en matière de mobilisation des capitaux. Il est important que la France retrouve une attractivité pour les investissements, en particulier étrangers. Ne soyons pas naïfs : nous n'avons pas rencontré le succès escompté en matière de réindustrialisation, pour de multiples raisons que je ne développerai pas maintenant.

Rappelons que la France est déjà le pays de l'OCDE où les impôts sont les plus lourds et la dépense publique la plus élevée. Il est difficile de ne pas y voir un problème de modèle : on ne peut pas avoir beaucoup d'impôts et une dépense publique excessive, d'autant plus quand le niveau de croissance est relativement faible.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. L'avis du Gouvernement repose sur trois arguments.

Premièrement, on entend souvent que les ménages les plus riches de notre pays paieraient moins d'impôts que les ménages les plus pauvres. Je veux tordre le cou à cette idée. En effet, cela signifierait que les ménages les plus pauvres seraient contributeurs nets au système fiscal. Or c'est faux : actuellement, environ 40 % des ménages sont des contributeurs nets, tandis que 60 % sont des bénéficiaires nets.

Les ménages du premier décile paient en effet beaucoup d'impôt, puisque leur revenu est faible et qu'ils contribuent à la TVA par la consommation. Mais ils reçoivent aussi des prestations et des transferts monétaires !

Mme Sophie Primas. Très bien !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Le débat public laisse penser que des Français très modestes paieraient tellement d'impôts qu'ils seraient contributeurs nets au système fiscal. Or ce n'est pas vrai.

Je tiens à votre disposition toutes les données permettant de comparer les revenus avant transfert, les impôts totaux, les prestations monétaires et les effets redistributifs de notre système fiscal et social. Si on ne prend pas tout cela en compte, on répète de grosses bêtises.

Deuxièmement, comment sont calculées les valorisations des entreprises dont fait parfois mention la presse ? Elles sont obtenues à partir de la dernière levée de fonds. Si un acquéreur offre 1 million d'euros pour acheter 1 % d'une entreprise, la presse et le débat public en déduisent que 100 % de l'entreprise vaut 100 millions d'euros. Mais personne n'a jamais vu ces 100 millions d'euros ! Ce n'est pas parce que 1 % de l'entreprise vaut 1 million d'euros qu'il existe un acquéreur susceptible d'acheter l'intégralité de l'entreprise pour 100 millions d'euros… Ce calcul est donc une extrapolation réalisée sur la dernière levée de fonds.

C'est la raison pour laquelle les licornes valent des milliards d'euros, quand bien même personne n'imagine que leurs fondateurs empocheraient une telle somme dans le cas où l'entreprise était vendue.

Cette extrapolation se fait à partir de toutes petites parties de capital, qui peuvent intéresser des acquéreurs prêts à payer cher pour entrer dans l'entreprise. Mais n'imaginons pas que des milliards d'euros se promènent dans l'économie et que des acquéreurs sont prêts à acheter des entreprises à de tels montants. Cela n'existe pas !

Troisièmement, nous avons déjà largement débattu de la constitutionnalité du dispositif proposé. Je puis vous relire les avis du Conseil d'État, que le Gouvernement a sollicité sur la taxe proposée par la députée Estelle Mercier à l'Assemblée nationale, qui était similaire aux dispositifs que vous proposez, dans de moindres proportions.

Trois éléments doivent être pris en compte pour juger de la constitutionnalité d'une telle taxe : son taux, la présence ou non d'un plafond et le fait de viser, ou non, des biens professionnels.

Tout d'abord, il est démontré aujourd'hui par la jurisprudence que le Conseil constitutionnel a toujours considéré qu'un taux de prélèvement supérieur à 0,5 % était de l'ordre du confiscatoire. Seuls des taux, sans plafonnement, inférieurs ou égaux à 0,5 % peuvent donc être envisagés.

Ensuite, quand le taux est élevé – c'était le cas de l'ISF –, un plafond de revenus, sur la base du patrimoine, est prévu lorsque le taux est supérieur à 0,5 %.

Enfin, entre 1981 et 1983, l'impôt sur les grandes fortunes (IGF) a inclus les biens professionnels. Mais cette mesure a été retirée avant d'être appliquée ! En effet, il était impossible d'imposer les biens professionnels.

Pour résumer, tout d'abord, cessons de dire que les ménages les plus pauvres paient plus d'impôts que les plus riches : ils sont bénéficiaires nets de notre système fiscal et social !

Ensuite, les valorisations sont des extrapolations sur les dernières levées de fonds. Personne ne recevrait un montant égal à la valeur de son entreprise en la vendant.

Enfin, en raison de son taux, de l'absence de plafond et de l'inclusion de biens professionnels, il apparaît, d'après la jurisprudence, que le Conseil constitutionnel censurerait l'instauration d'un tel impôt.

Ces trois arguments devraient vous permettre de comprendre pour quelles raisons le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'ensemble de ces amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Isabelle Florennes et M. Vincent Delahaye applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Mes chers collègues, le débat n'est ni technique ni fiscal : il est politique. (M. Olivier Rietmann proteste.)

Nous sommes pourtant d'accord sur deux faits essentiels. D'une part, les inégalités sociales, dans notre pays, n'ont jamais été aussi importantes. D'autre part, le sentiment d'injustice fiscale n'a jamais été aussi fort.

Les faits sont là. Vous connaissez, comme nous, le peuple français : vous savez que ce sont là les ferments d'une crise sociale et politique majeure, qu'il faut résoudre !

Mme Sophie Primas. C'est vous qui la nourrissez !

M. Pierre Ouzoulias. Vous évoquez la constitutionnalité de la taxe Zucman. Laissez-moi vous lire l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui, permettez-moi de le dire, forme l'identité de la France : « Pour l'entretien de la force publique […] une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Actuellement, nous ne respectons pas l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. (M. Jean-Raymond Hugonet fait un signe de dénégation.)

M. Pierre Ouzoulias. Si la taxe Zucman n'est pas la solution pour y remédier, faites-nous des propositions pour que nous nous conformions enfin à cet article.

M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour explication de vote.

M. Alexandre Ouizille. Madame la ministre, continuons à faire preuve d'honnêteté. Vous dites en effet la vérité : le système fiscal français est redistributif, puisque 60 % des Français en sont bénéficiaires nets, et c'est heureux.

Je m'inscris dans le sillage des propos qui viennent d'être prononcés. Madame la ministre, reconnaissez-vous que, depuis plusieurs années, nous assistons à une nouvelle concentration des patrimoines, qui met en danger la classe moyenne patrimoniale, alors que celle-ci était le grand acquis de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à la fin des années 1970 ? L'augmentation massive des revenus du capital par rapport aux revenus du travail, dans une période de croissance limitée, est devenue un problème que nous devons régler.

Je rejoins donc les propos de notre collègue Ouzoulias : si la taxe Zucman ne vous convient pas, que proposez-vous dans ce budget pour répondre à cette question fondamentale, qui abîme le corps social et qui empêche ce pays d'avancer ? Alors que la France a l'égalité pour principe identitaire, une bulle s'est installée au sommet de la pyramide sociale. Comment remédier à ce problème ? Madame la ministre, j'attends votre réponse.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour un rappel au règlement.

M. Emmanuel Capus. Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36, alinéa 3, ainsi que l'article 54 du règlement intérieur du Sénat, qui concerne la proclamation des votes. Nous débattons des articles additionnels après l'article 3 : il est donc important que nous sachions si l'article 3 a été adopté.

Lorsque vous avez procédé au vote sur l'article 3, monsieur le président, la majorité sénatoriale n'a pas levé la main – sans doute par distraction. Vous avez donc proclamé que l'article n'était pas adopté, ce qui était bien normal : bien plus de mains se sont levées contre que pour l'adoption de cet article. La captation vidéo le montrera sans doute.

Vous vous êtes repris ensuite, mais ce n'est pas très clair. Vous ne pouvez pas proclamer l'adoption de l'article en corrigeant le vote de vos collègues qui n'ont pas voté : nous sommes assez nombreux à avoir constaté que les oppositions étaient majoritaires. Peut-être pourrions-nous faire une seconde délibération, même s'il est un peu tard pour cela.

Il y a en tout cas un vrai problème pour la clarté des débats : quand un bras n'est pas levé, le vote n'est pas comptabilisé ! On ne peut pas changer un vote.

L'article n'a pas pu être adopté, faute de majorité.

M. Emmanuel Capus. C'est la raison pour laquelle je vous demande une clarification. D'ailleurs, notre collègue Dossus a justifié la présentation de son amendement n° I-1498 par le rejet de l'article 3 par la majorité !

On ne peut pas débattre de ces articles additionnels sans savoir ce qui a réellement été voté plus tôt.